Conclusion
Avant d'épiloguer à perte de vue sur l'histoire
de la cuisine urbaine congolaise, il nous fallait aplanir les concepts et les
composantes de cette cuisine urbaine. Nous avons voulu considérer la
ville comme un lieu d'échanges, de rejets et d'adaptation. Notre
étude s'est intéressée à la cuisine urbaine
congolaise qui est confrontée à des multiples pesanteurs :
économiques, culturelles, sociologiques. Les mutations qui
s'opèrent dans le mangé quotidien, dans le choix des aliments et
dans la présentation et prise des repas offrent un double regard :
modernisme ou traditionalisme, respect des normes anciennes ou évolution
de cette tradition. La cuisine Kinoise est le fruit d'un processus historique
à la fois lié aux populations l'habitant et à l'histoire
socio-économique de cette ville.
Sous cette approche, la cuisine n'est plus abordée sous
l'angle seulement nutritionnel, social ou économique mais aussi comme
baromètre de l'évolution d'une société. Il y a une
cuisine congolaise moderne et urbaine dont la cuisine Kinoise en est le reflet
ou si l'on veut l'une des facettes, mais elle n'est pas différente dans
sa base de la cuisine congolaise. C'est une approche importante pour
l'historien de considérer la cuisine comme le fruit d'un processus, car
elle est à la fois document d'histoire, témoignage muet et
silencieux d'un ensemble de traditions parfois séculaires.
Nous avons retenu quatre grandes périodes de
l'évolution de cette cuisine. Les éléments de la
modernité conçue selon les logiques coloniales étaient
visibles au quotidien durant la première et deuxième
période de notre périodisation. Les conséquences de ces
contraintes sont appréciables dans les pratiques culinaires de ces
premiers immigrés à Kinshasa. Il s'en est suivi une certaine
dualité entre rites culinaires traditionnelles et acceptation du
modèle occidentale durant les périodes qui ont suivi. Parfois
grâce à des améliorations, des nouveautés, et des
changements, le plat pourra être plus épicé, plus gras,
plus épaissi en légumes ou plus carné. Dues à la
présence pluriethnique dans la composition de la population de Kinshasa,
ces transformations seront à la base de notre cuisine moderne urbaine,
simple dans ces moyens, raffinée dans ses résultats.
Aussi, une forte pression économique, sociale et
alimentaire est à l'origine des émancipations gastronomiques tant
constatées à Kinshasa et qui résultent, nous l'avons dit,
du brassage des populations au sein de Kinshasa. Parmi les facteurs
d'évolution, il y a donc la pauvreté, mais aussi les mutations
des cadres congolais, les mariages interethniques et la promiscuité dans
les habitations. Par ailleurs, à l'intérieur des
frontières culturelles congolaises, beaucoup de plats au départ
propres à tel terroir ont perdu de leurs identités d'origine
à cause de l'engouement qu'ils ont provoqué. Dans la rencontre
entre les cultures, dont la cuisine est un des aspects, l'apport des uns
enrichit les autres et vice-versa. Ils font partie aujourd'hui du patrimoine
national du fait de leur totale intégration dans les habitudes
culinaires du pays.
Mais les changements n'intervinrent pas de façon
brutales, ils résultèrent plutôt d'ajustements progressifs
qui font de l'histoire culinaire kinoise comme partout ailleurs, une histoire
de longue durée. Partout dans le pays, les villes deviennent donc comme
des laboratoires, des ateliers et des carrefours de création et des
voies de diffusion des techniques alimentaires et culinaires typiques et
plurielles tant et si bien que l'on aurait tort de croire que le contexte
nutritionnel de ce pays soit monotone et figé. L'histoire culinaire
kinoise est donc bien vivante, elle n'est pas isolée mais s'inscrit dans
le contexte culinaire global des expériences des cuisines du monde.
MATONDA SAKALA Igor
Historien /Assistant Unikin
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nicolas.bricas@cirad.fr
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