INTRODUCTION
Le traité de Rome portant statut de la Cour
Pénale Internationale du 17 juillet 1998 dispose en son article premier:
je cite "il est crée une Cour Pénale (la Cour) en tant
qu'institution permanente, qui peut exercer sa compétence à
l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une
portée internationale, au sens du présent statut. Elle est
COMPLEMENTAIRE des juridictions pénales nationales. Sa
compétence et son fonctionnement sont régis par les dispositions
du présent statut".
Cette affirmation, selon laquelle la Cour est COMPLEMENTAIRE
des juridictions pénales nationales mérite d'être
analysée en détail, afin d'asseoir ou non l'évidence de
cette assertion au regard de la réalité judiciaire.
En effet, dans la pratique, bon nombre des juristes
évoquent le caractère de la complémentarité de la
C.P.I. en lieu et place de la subsidiarité, et vice versa, laissant
penser que ces notions s'équivalent.
L'étude sous examen se propose de clarifier ces notions
et pour ce faire, elle abordera tour à tour l'aspect de la
complémentarité (I) ; et celui de la subsidiarité de
la cour pénale internationale(II) ; et enfin dégagera la
conclusion qui s'impose (III).
I. L'ANALYSE DE LA NOTION DE
COMPLEMENTARITE
A. NOTIONS
La "Complémentarité"
est un nom féminin. Son invention remonte au XXème
Siècle. Elle dérive d'un autre concept
"complémentaire" avec le substantivant -ITE. Il
signifie le caractère de ce qui est complémentaire,
c'est-à-dire la caractéristique qui lie deux biens
économiques. C'est le fait de l'utilisation d'une unité de l'un
entrainant ipso-facto l'utilisation d'une certaine quantité de
l'autre1(*). On peut
par exemple relever la complémentarité entre un
hôpital public et une clinique privée.
En physique, la complémentarité désigne
la coexistence des interprétations corpusculaire et ondulatoire de la
matière.
Par extension, elle s'emploie dans d'autres domaines où
le même objet apparaît sous des aspects différents selon la
méthode utilisée pour son étude2(*) ; l'adjectif
"complémentaire" par contre, vient du verbe
transitif "compléter", il a comme explication, ce qui
vient s'ajouter à d'autres choses de même nature pour les
compléter. Exemples : des informations
complémentaires ; des choses, de personnes qui se complètent
l'une l'autre ; ce sont des industries complémentaires.
Sur le plan économique, cet adjectif se dit des biens
caractérisés par la complémentarité. En
mathématique, il s'entend de deux objets mathématiques tels que
l'un est complémentaire de l'autre.
Enfin sur le plan optique, il se conçoit comme une
couleur qui, par mélange en proportion convenable avec une autre, donne
un stimulus achromatique. (Ainsi le jaune, couleur primaire, et violet, couleur
binaire, sont complémentaires).3(*)
"Compléter" enfin, est un
verbe transitif qui signifie rendre complet, ajouter ce qu'il manque.
Il a comme synonymes, accompagner, achever, additionner,
adjoindre, enrichir, ajouter, améliorer, combler.
B. ANALYSE JURIDIQUE
La notion de la complémentarité est complexe,
elle s'emploie tantôt dans le domaine de droit, tantôt dans
d'autres disciplines, lorsqu'un même objet apparaît sous des
aspects différents, comme nous l'avons relevé en sus, selon la
méthode utilisée pour son étude4(*) ou sa réalisation.
En droit, la complémentarité se précise
par le renvoie express et le renvoie indirect, et par la dépendance
implicite.
Il y a complémentarité lorsque dans une loi,
certains de ses dispositions renvoient pour le règlement d'une
situation, expressément à une autre loi. Pris d'une
manière générale, la loi de renvoie ainsi que celle
à laquelle le renvoie est réalisé, forme bloc,
c'est-à-dire, se complètent, et forment une totalité. Il
en est de même des renvoies au niveau des juridictions quelques que
soient par ailleurs leur nombre, et leur importance. Ces lois principales qui
imposent le renvoie ne sont pas complètes et ne suffisent pas à
elles-mêmes. Ainsi, la conjonction de la loi de renvoie et celle à
laquelle on renvoie fondent la complémentarité juridique.
La complémentarité juridique procède le
plus souvent par renvoie grâce à des techniques bien
identifiées. Il s'agit de :
1° La technique de renvoie formel.
Cette technique veut qu'une loi commande expressément
par une de ses dispositions le renvoie. Autrement dit que le renvoie doit
être formellement exprimé dans le corpus de la loi principale.
A titre d'exemple, nous retiendrons que le code civil du
Québec en ses articles 517et 2714 comportent en leur sein, des clauses
de renvoie à des lois fédérales. Par contre, le code
civil congolais, jugé complet, se suffirait à lui-même et
n'exige pas d'être complété.
2° Technique du renvoie indirect.
Le renvoie indirect se réalise par
interprétation, par la compréhension, par
nécessité. Elle ne relève pas de l'expression expresse du
législateur. On y recourt lorsqu'on recherche la clarté. La loi
principale dans dispositions contenant moins de clarté, et la loi
spéciale qui les éclairent étant de même nature
forment un seul corpus juridique et deviennent par nécessité des
lois complémentaires. Au canada, à titre principal, l'on se
réfère à la Common Law, où le droit civil est
rendu applicable, non par une disposition législative expresse, mais,
par l'effet même d'une règle de Common Law.
3° Technique de la dépendance implicite.
Dans cette technique, la loi ne fournit pas à elle
seule, toutes les indications nécessaires à son application pour
pouvoir la compléter. On recourt dans ce cas à des concepts et
à des règles qui sont extérieures à la loi
elle-même. La technique de dépendance implicite s'applique aussi
bien aux règles de droit public que privé. Cette technique
concourt par des dispositions expresses, à la détermination de ce
qui constitue le droit supplétif. Ces dispositions sont presque toutes
placées dans une relation de dépendance implicite par rapport
à un autre droit, à une autre loi.
II. EXAMEN DES ELEMENTS DE
LA NOTION DE SUBSIDIARITE
A. NOTION
Le principe de subsidiarité est une maxime politique et
sociale selon laquelle la responsabilité d'une action publique,
lorsqu'elle est nécessaire, doit être allouée à la
plus petite entité capable de résoudre le problème
d'elle-même. Le principe de la subsidiarité va de pair avec le
principe de suppléance, qui veut que quand les problèmes
excèdent les capacités d'une petite entité,
l'échelon supérieur a alors le devoir de la soutenir, dans les
limites du principe de subsidiarité.
C'est donc le souci de veiller à ne pas faire à
un niveau plus élevé, ce qui peut l'être avec plus
d'efficacité à une échelle plus faible,
c'est-à-dire, la recherche du niveau pertinent d'action publique. La
signification du mot latin d'origine (subsidiarii : troupe de
réserve, subsidium : réserve /recours /appuis)
reflète bien ce double mouvement, à la fois de non intervention
(subsidiarité) et de capacité d'intervention
(suppléance).5(*)
La subsidiarité peut être :
· Descendante : délégation ou
attribution de pouvoir vers un échelon plus petit, on parle alors de
dévolution ou décentralisation. Concrètement, lors d'une
subsidiarité descente, c'est l'échelon supérieur qui
décide de qui doit connaitre quelle question.
· Ascendante : attribution de pouvoirs vers une
entité plus vaste, on parle alors de fédération ou,
entre pays de supranationalité. Concrètement, lors d'une
subsidiarité ascendante, c'est l'échelon inferieur qui
décide qui doit connaitre quelle question.
Trouvant son origine dans la doctrine sociale de
l'église catholique, la notion de subsidiarité est devenue l'un
des mots d'ordre de l'union européenne. Ce principe de
subsidiarité est clairement inscrit tant dans le droit que dans le
discours européen. La mise en application et le contrôle de la
mise en oeuvre de ce principe de subsidiarité sont en revanche des
questions légitimes, mais ouvertes à ce jour.6(*)
On peut d'ailleurs considérer le philosophe Johannes
Althusius comme à l'origine du principe de subsidiarité7(*). Dons son ouvrage de 1603,
politica Methodice digesta et exemplis sacris et profanis illustrata, Cui in
fine adjuncta est oratio panecyrica, il souligne la nécessité
d'autonomie des collectivités de base, vis-à-vis des pouvoirs
centraux. De foi réformée et "maïeur" d'Emden, il
puisa le principe dans les délibérations du synode
réformé d'Emden(1571).8(*)
Certaines expériences de l'époque moderne comme
par exemple les provinces de l'union dans le sud de la France du temps des
guerres de religion peuvent être qualifiées de tentative
d'application du principe de subsidiarité.
B. ANALYSE JURIDIQUE DE LA
SUBSIDIARITE.
Le principe de subsidiarité a été repris
du droit canonique. On trouve déjà cette notion dans la
pensée de Thomas d'Aquin, mais il a été formulé
pour la première fois par le pape Léon XIII, dans l'encyclique
Rerum novarum, première formalisation de la doctrine sociale de
l'église catholique. Celle-ci avait été rendue
nécessaire par les abus de la révolution industrielle et ses
conséquences sur la société civile.
Ce principe, dit aussi "principe d'aide",
énonce que c'est une erreur morale et de charité que de laisser
faire par un niveau social trop élevé ce qui peut être fait
par le niveau social le plus bas, car on le priverait de tout ce qu'il peut
faire. A ce titre, et en conséquence de cela, le travail de chacun
à droit au même respect quelque soit son niveau social, car il est
le seul à pouvoir faire.
Le principe de subsidiarité a aussi été
défendu par des penseurs socialistes comme Proudhon, des militants du
mouvement coopératifs et des auteurs libéraux comme John Locke et
John Stuart Mill.9(*)
Dans l'Union européenne.
Le principe de subsidiarité a été
introduit dans la législation communautaire par l'article 3B du
traité de Maastricht, il a pour objectif que les décisions
prises dans l'Union européenne les soient au niveau le plus pertinent et
le plus proche possible des citoyens.
Le principe de subsidiarité au sens européen
était ainsi défini aux paraphes 1 et 2 de l'article 5 du
Traité instituant la communauté
européenne : "la communauté agit dans les limites
des compétences qui lui sont conférées et des objectifs
qui lui sont assignés par le présent traité. Dans les
domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la
communauté n'intervient, conformément au principe de
subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de
l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de
manière suffisant par les Etats membres et peuvent donc, en raison des
dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux
réalisés au niveau communautaire".
C'est sous la pression de länder allemands que ce
principe a été inscrit au traité dans le cadre des
compétences concurrentes entre l'Union européenne et les Etats
membres, l'Union européenne est compétente lorsqu'il est
incontestable que l'action de la communauté apparaît comme plus
efficace qu'une action menée par une instance plus locale.
Ce principe se trouve désormais au paragraphe 3 de
l'article 5 du traité sur l'union européenne : "en
vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne
relèvent pas de sa compétence exclusive, l'union intervient
seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action
envisagée ne peuvent pas être atteints de manière
suffisante par les états membres, tant au niveau central qu'au niveau
régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des
dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de
l'union".
Il ressort de cette disposition que le principe de
subsidiarité ne peut être évoqué que sous les
conditions suivantes :
· Il ne doit pas s'agir d'un domaine relevant de la
compétence exclusive de l'union ;
· les objectifs de l'action envisagée ne peuvent
pas être atteints d'une manière satisfaisante par les Etats
membres ; et
· L'action peut être mieux réalisée,
en raison de ses dimensions ou de ses effets, par une intervention de
l'union.
CONCLUSION
Que dire alors de la compétence complémentaire
ou subsidiaire de la C.P.I. ?
A la lumière de l'analyse luminaire que nous venons de
réaliser au sujet de ces deux notions, il me semble plus responsable de
militer en faveur de l'usage du concept subsidiarité, ce, pour des
raisons évidentes que sont :
1° La C.P.I. n'est pas une juridiction
complémentaire des juridictions nationales en ce sens qu'elle ne
complète pas les actions judiciaires nationales. Que les juridictions
nationales se suffisent à elles-mêmes et que leur règles ne
renvoient ni formellement, ni indirectement à des règles de la
C.P.I. et qu'elles dépendent non plus implicitement des règles
de cette dernière, mais au contraire, c'est la C.P.I. qui renvoie et
dépend des règles des juridictions nationales
précisément celles qui concerne le devoir de coopérer
c'est-à-dire que les Etats partis au statut de la C.P.I. s'engagent
à se conformer aux demandes de coopération et d'assistance dans
les enquêtes formulées par la C.P.I. et surtout que
l'efficacité de la Cour dépend de la collaboration que lui
prêtent les Etats. Ainsi, ne disposant pas de sa propre force de police,
la C.P.I. ne pourra conduire des enquêtes en toute
célérité que si les Etats partis accèdent à
ses demandes de coopération judiciaire. Sur ce, on pouvait peut
être parlé de la complémentarité des juridictions
nationales à la C.P.I. et non le contraire.
2° La C.P.I. serait plus, une juridiction subsidiaire,
c'est-à-dire une instance d'aide, de suppléance des lacunes des
juridictions nationales.
En effet, l'article 17 du statut de Rome précise les
circonstances dans lesquelles la C.P.I. peut ouvrir une enquête et
engager des poursuites contre les auteurs présumés des crimes
internationaux quand :
· l'Etat compétent n'a pas la volonté ou
est dans l'incapacité de mener véritablement à bien des
poursuites ; ou
· cet Etat, en décidant de ne pas poursuivre, a
fait preuve de manque de volonté ou s'est trouvé dans une
situation d'incapacité. Ce manque de volonté, que le statut
définit dans le corps même de l'article 17 (2), s'apprécie
par l'irrégularité des procédures suivies et cela dans
l'intention de soustraire une personne accusée à la vigilance de
la justice. En d'autre terme, la cour va examiner si les exigences d'un
procès équitable et impartial ont été
respectées.
A l'opposé, l'incapacité est reprise par
l'article 17 alinéa 3 en ces termes "la cour considère si un
Etat est incapable, en raison de l'effondrement de la totalité ou d'une
partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de
l'indisponibilité de celui-ci, de se saisir de l'accusé, de
réunir les éléments de preuve et les témoignages
nécessaires ou de mener autrement à bien la
procédure"
Ainsi, en principe tant qu'une affaire fait déjà
l'objet objet d'une enquête ou de poursuite par l'Etat ayant
compétence ou si l'affaire a fait l'objet d'une enquête par le
même Etat compétent et que celui-ci a conclu à
l'inopportunité de poursuite, il y aura irrecevabilité devant la
cour.
De même, si l'auteur présumé des faits a
été jugé ou relaxé du chef de ces faits, l'affaire
sera irrecevable en vertu du principe non bis in idem.10(*)
Ces conditions de recevabilité d'une affaire devant la
C.P.I. correspondent à celles exigées par la subsidiarité
à savoir :
· Il ne doit pas s'agir d'un domaine relevant de la
compétence exclusive de la C.P.I. ;
· Les objectifs de l'action envisagée ne peuvent
pas être atteints, d'une manière satisfaisante par les Etats
partis au statut de Rome ;
· L'action peut être mieux réalisée,
en raison de ses dimensions ou de ses effets, par une intervention de la
C.P.I.
D'où, la nécessité de l'amendement de
l'article 1er du statut de Rome de la C.P.I. pour une terminologie
plus adéquate.
* 1
www.larousse.Fr/dictionnaires/Francais/complémentarité/17673.
* 2 Fr.
wiktionary.org/wiki/complémentarité.
* 3
www.larousse.op.cit, p.17673.
* 4 Fr.wiktionary.org,
Op.cit.
* 5 Chantal MILLON-DELSOL,
"De l'Etat subsidiaire ingérence de l'Etat : Le principe de
subsidiarité aux fondements de l'histoire européenne",
Paris, PUF, 1992.
* 6 Chantal MILLON-DELSOL,
Op.cit.
* 7 Jean-Sylvester MONGRENIER
et Johannes ALTHUSIUS, L'Europe subsidiaire,
Institut-thomas-more.org, le 25 mai 2009.
* 8 Marc LOYCKY,
"Histoire philosophique du principe de subsidiarité"
commission européenne, cellule de prospective, ML (92) 64/92, le 20
janvier 1992.
* 9 Jean-Claude BOUAL et
Philippe BRACHET, "La subsidiarité, principe de la
démocratie délibérative et la
décentralisation", 2005.
* 10 IMEMBE KOYORONWA
J'espère, "La réparation devant la C.P.I",
Editions Universitaires Européennes, SARRE BRUCH, 2012, p.
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