2-2-2. Controverses théoriques relatives
à la demande d'éducation
2-2-2-1 Les écrits théoriques
La littérature sur le phénomène de la
scolarisation s'est largement développée tant dans les sciences
humaines que dans les sciences économiques et la plupart se sont
intéressées aux déterminants explicatifs du
phénomène. Ces études abordent les facteurs sous plusieurs
angles
Les études de Béginet et al (1993)
auprès des enfants sur leurs expériences familiales confirment
que la baisse de participation des parents à l'éducation scolaire
de leur enfant constitue un élément considérable dans la
dégradation du rendement académique et il est vain
d'espérer améliorer la situation en changeant une fois de plus
les programmes et méthode d'enseignement
Il est aussi nécessaire de savoir qu'un être
vivant ne peut rien faire sans la santé (physique, mentale...) en
particulier l'Homme d'où une corrélation entre la santé et
l'éducation en général (Grossman et Kaestner, 1997 ;
Hammond, 2002) et plus précisément le rôle de la
santé des enfants dans leur maintien à l'école (Dickson et
al. 2000 ; Kremer et Miguel, 2004 ; Bobonis et al. 2006 ;
Bleakley, 2007a, 2007b). Ces derniers travaux montrent
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scolarisation des enfants de 6-11 ans au Bénin
en général que le mauvais état de
santé des élèves peut constituer un frein à la
fréquentation scolaire. Entre temps au Bénin, la maladie de verre
de Guinée a empêché bon nombre des parents à ne pas
mettre pied à l'école. En Afrique subsaharienne par exemple, la
bilharziose représente un problème de santé publique
énorme ayant eu des conséquences non moins importantes sur la
scolarisation primaire (Duflo, 2010) ; le traitement collectif
des élèves contre la bilharziose a contribué à
baisser le taux d'absentéisme dans les écoles de 14%, soit
l'équivalent de 0,14 années supplémentaires d'instruction
par enfant (Kremer et Miguel, 2004 ) ; en Inde, traiter les enfants contre
l'anémie réduit l'absentéisme (Bobonis et al.,
2006). Ces différents résultats sont de nature à confirmer
le rôle important que joue l'état de santé des
élèves dans la scolarisation dans le monde.
Duflo (2010) à travers ses études montre qu'au
niveau maternel et primaire les enfants n'ont pas de choix entre aller à
l'école alors que le taux d'abandon à ce niveau est vraiment
significatif. Par contre au niveau secondaire, universitaire les enfants ont
leurs mots à dire en matière d'abandon.
Cependant, dans le cas de la scolarisation primaire, la
décision de scolarisation est beaucoup plus imputable aux parents
d'élèves ; la régularité et la qualité des
relations avec les parents d'élèves, constituent un
élément déterminant dans l'accomplissement de la mission
confiée au service public de l'éducation. L'obligation faite
à l'État est de garantir le respect de l'action éducative
des familles conduit notamment à une démarche d'éducation
partagée et requiert de soutenir et de renforcer le partenariat
nécessaire entre l'institution scolaire et les parents
d'élèves, légalement responsables de l'éducation de
leurs enfants. La synthèse publiée sous le titre « Les
Français et leur école - Le miroir du
débat2» présente ce qui s'est dit lors du
débat national sur l'école qui s'est déroulé entre
septembre 2003 et mars 2004. L'évocation du rôle et de la place
des parents, des attentes réciproques des familles et de l'école,
y est fréquente.
Considérée comme faisant partie des
caractéristiques personnelles des apprenants, la motivation figure en
bonne place parmi les variables invoquées dans le processus
scolarisation (Parker, 1999 ; Abrahamson, 1998).
2 « Les français et leur école - Le miroir
du débat », commission du débat national sur l'avenir de
l'école », 2004, Dunod.
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scolarisation des enfants de 6-11 ans au Bénin
Parlant des facteurs influençant la scolarisation des
enfants à l'école, le mauvais comportement de certains
enseignants vis-à-vis des filles rendent également les parents
réticents à maintenir les filles à l'école. Par
exemple l'étude sur les déterminants et entraves de
l'accès à l'éducation dans la sous-préfecture de
Zè Aide et Action Bénin, (2002) montre que le harcèlement
sexuel est l'un des facteurs qui déterminent les disparités entre
les sexes en matière d'éducation.
« L'éducation est une condition essentielle de la
lutte contre la pauvreté, de la responsabilisation des femmes, de la
protection des enfants contre le travail dangereux, l'exploitation par le
travail et l'exploitation sexuelle ainsi que la promotion des droits humains et
de la démocratie, de la protection, de l'environnement et de l'influence
sur la croissance démographique » (INS, 2010). En effet, selon
Ouedraogo (2003), après le bilan de la décennie de
l'éducation en 2000 à Dakar, de nombreux observateurs sont
désormais convaincus que les objectifs d'Education Pour Tous (EPT),
lancés lors de la conférence de Jomtien (1990) et
réaffirmés au Forum de Dakar (2000), ne seront atteints qu'en
prenant en compte la problématique de la demande d'éducation.
Cependant, en dépit des efforts (nationaux et internationaux) entrepris
pour développer l'offre scolaire, la mise à l'école est
encore loin de concerner tous les enfants en âge d'être
scolarisés, surtout en Afrique et particulièrement au
Bénin
Dans une étude réalisée au Congo en 2003,
par Mumpasi et Pitshandenge, sur la demande d'éducation, il ressort que
la en République Démocratique du Congo qui doit scolariser plus
ou moins 9 millions d'enfants de 6-11 ne scolarise que 52% de cette effectif.
Cette faiblesse dans la scolarisation s'expliquerait par deux
éléments : d'une part, une insuffisance de l'offre de
scolarisation et d'autre part, le refus ou l'incapacité de certaines
personnes à inscrire leurs enfants. Les facteurs
révélés par l'étude comme étant les causes
de l'incapacité des ménages à scolariser leurs enfants
sont : la pauvreté des parents et leur incapacité à payer
les frais d'étude, le rôle social de la femme qui
privilégie le mariage de la fille plutôt que son instruction, le
retard considérable pris par certaines provinces du pays et le rendement
interne du système qui exclut de milliers d'enfants de l'école.
D'après ces deux chercheurs, l'augmentation de l'offre scolaire, par la
construction et la réhabilitation des bâtiments scolaires ainsi
que le paiement de salaires décents aux enseignants, constitue un atout
pour répondre à la demande scolaire. Mais, il parait très
important de stimuler et de maintenir cette demande en permettant aux parents
d'avoir des revenus qui leur permettent de
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scolarisation des enfants de 6-11 ans au Bénin
payer les frais de scolarité de leurs enfants, et de
mettre ces derniers dans de meilleures conditions d'études. Selon le
rapport sur l'éducation des filles de l'INS (2010), l'influence de la
taille des ménages sur la scolarisation des enfants est mitigée
selon les résultats empiriques. Au Tchad (Mbaindoh, 1997), au Cameroun
(Odi, 1995), au Kenya (Gomes, 1984), au Mali (Marcoux, 1994) et en Côte
d'Ivoire (Ondo, 1999), l'on observe que plus la taille du ménage est
élevée, plus les enfants ont des chances d'être
scolarisés. En milieu rural Thaïlandais (Knodel et al. 1990) et au
Québec (Jean, 1989), les familles nombreuses ont tendance à
soustraire les enfants de l'école. Zahonogo fait une étude des
déterminants de la demande d'éducation des ménages ruraux
du Burkina Faso. Il fait un modèle Probit sur les données de la
campagne 1999-2000 faites dans la zone soudanienne (Nord) du pays. Cette
étude a permis de montrer que les variables démographiques et la
technologie de production expliquent mieux la demande en éducation des
ménages ruraux que les variables de capacité telle que le revenu.
En effet, le revenu ne représente pas une contrainte pour la demande
d'éducation en milieu rural. Les contraintes sont plutôt
liées à la main d'oeuvre et au processus de production.
L'étude a montré qu'une politique de promotion de
l'éducation devra mettre un accent particulier sur le potentiel humain
des ménages, car la taille de ceux-ci a été
révélée comme un facteur favorable à la demande
d'éducation en milieu rural. C'est-à-dire que les ménages
de grande taille ont plus de chance de scolariser leurs enfants que ceux des
ménages de petites tailles. Il faudra, de ce fait, coupler les
politiques d'éducation avec des politiques de santé en vue de
rendre favorable l'émergence d'une main d'oeuvre bien portante et donc
plus productive. Zonon (2001) a fait une étude ayant pour objectif, de
connaitre les déterminants de la scolarisation au Burkina Faso (2001).
Cette étude part du modèle des ménages de Becker pour
dériver des fonctions de demande en supposant que les parents ont des
préférences différentes selon le sexe des enfants. Ce qui
conduit à des fonctions de demande séparées selon le sexe.
Le nombre d'années d'éducation reçue étant
ordonné entre 0 et 6, Zonon a proposé l'utilisation d'un
modèle Probit Ordonné. Cette étude a été
réalisée à partir des données de l'Institut
National de la Statistique et de la Démographie (INSD) sur les
conditions de vie des ménages de 1998. L'étude a permis de mettre
en évidence les variables principales qui influencent la scolarisation
au Burkina Faso. En effet, le niveau d'éducation des parents est
significatif dans la scolarisation des enfants au primaire. Il en est de
même pour le milieu où vivent les ménages. Les
ménages qui habitent les zones urbaines ont une demande en
éducation plus grande que ceux vivant en zones rurales. Cela s'explique
entre autre par la faiblesse de l'offre éducative dans les campagnes et
aux mentalités qui y ont cours. La
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scolarisation des enfants de 6-11 ans au Bénin
religion, le niveau d'étude de la mère et la
distance entre le lieu d'habitation et l'école influencent positivement
la demande de scolarisation. Il existe un biais du genre au primaire, qui
disparait au secondaire. En effet, pour le primaire, les parents
préfèrent scolariser les filles plutôt que les
garçons.
2-2-2-2. Travaux empiriques
Généralement, c'est au sein de l'unité
familiale que la décision d'investissement éducatif est prise.
Becker et les économistes du capital humain adoptent dans ce contexte,
une vision d'un ménage sans conflits dans lequel les ressources sont
mises en commun, et postulent pour l'existence d'un chef de famille
«altruiste», «dictateur» et «bienveillant» qui
décide des différents objectifs du ménage, y compris de
l'investissement dans le capital des enfants, dans un souci d'efficacité
et d'équité. Ces économistes montrent dans la perspective
de l'investissement en capital humain, les forces qui s'exercent sur la demande
d'éducation et qui assurent à la fois la détermination et
la variabilité. Selon eux, on peut assigner à tout individu, i,
une fonction de taux de rendement de l'éducation, r, et une fonction de
taux de financement, f, dont les arguments sont le niveau d'investissement,
S, et un ensemble d'autres facteurs, Z1 et Z2. ri = ri
(Si, Z1i) (1) fi = fi (Si, Z2i) (2) La quantité
optimale d'éducation sera ~ ; l'unité marginale
d'éducation aura un taux de rendement, ~, qui sera égal au taux
marginal de financement, LI. Une telle notation n'exclut pas la
possibilité que certaines variables soient présentes à la
fois dans Z1 et Z2. Le taux de rendement vient de la comparaison entre les
bénéfices, donnés par l'augmentation anticipée du
flux de revenus après la période de scolarisation, et les
coûts autres que financiers, qui correspondent à la somme du
manque à gagner pendant la période de scolarisation et des divers
frais directs ou supplémentaires que l'étudiant doit alors
encourir. Le taux de rendement est donc déterminé par la
capacité d'un individu de transformer des inputs en services
éducatifs et, également, par sa capacité de transformer
ces services éducatifs en flux de revenus. Deux raisons peuvent
être invoquées en faveur de la relation négative entre le
taux de rendement et le niveau de l'investissement. D'abord, le temps de
l'étudiant est un input important dans la production du service
éducatif ; à mesure que le stock de capital humain s'accumule, le
manque à gagner s'accroît en proportion alors qu'il n'est pas
sûr que l'apprentissage fasse de même puisque les filières
d'études s'orientent petit à petit davantage vers le
marché du travail plutôt que vers l'amélioration de la
capacité d'acquérir subséquemment d'autres connaissances
scolaires. Ensuite, l'espérance de vie est limitée, il existe une
préférence pour le temps et l'on ne peut pas remettre
indéfiniment
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scolarisation des enfants de 6-11 ans au Bénin
la période pendant laquelle on recevra les
bénéfices de l'éducation. Pour établir la relation
positive entre le taux de financement et le niveau de l'investissement, on fait
appel habituellement à certaines caractéristiques du
marché financier. Ce marché est notoirement imparfait quand il
s'agit de financer le coût des investissements en capital humain. Les
fonds y sont rationnés : l'étudiant doit se rabattre
progressivement sur des sources de financement de plus en plus coûteuses
: aide de l'État, aide de la famille, prêts personnels, sacrifice
de loisir, réduction de la consommation, etc. Croire que l'appareil
décrit dans les paragraphes précédents contient un
mécanisme de convergence vers l'optimum, S, apparaît donc
raisonnable. Dans l'article relatif au rapport de la demande d'éducation
des jeunes québécois (L'Actualité économique,
1987), il ressort que les chercheurs Baril, Robidoux Et Lemelin se sont
appuyés sur la modèle de Becker pour mettre en évidence
les facteurs ayant un impact sur la demande d'éducation au
Québec. En effet, la décision de fréquentation scolaire au
Québec est soumise à l'influence des facteurs : sexe, langue,
résultats scolaires, milieu familial, expérience
antérieure sur le marché du travail, conditions du marché
du travail, etc. L'une des particularités de cette étude, est la
prise en compte de l'impact du milieu familial et de celui du marché du
travail sur la scolarisation. En effet, le milieu familial qui a
été très longtemps négligé dans les travaux
inspirés par la théorie de l'investissement en capital humain
s'avère être un facteur très déterminant dans la
demande d'éducation des jeunes québécois. En ce qui
concerne le marché du travail, une insertion plus hâtive sur ce
marché ou un marché du travail plus favorable exerce une
influence néfaste sur la fréquentation scolaire. Les chercheurs
ont interprété cette relation par l'intermédiaire d'un
manque à gagner plus considérable dont les effets font plus que
contrebalancer ceux d'un meilleur accès au marché financier. Ils
soutiennent également que l'accès précoce au marché
du travail et l'amélioration du marché du travail des jeunes
peuvent avoir une influence défavorable sur l'investissement en capital
humain et ainsi, par ricochet, sur le succès professionnel
subséquent.
Les travaux de Bougroum et Ibourk sur Les déterminants
de la demande d'éducation chez les enfants travaillant dans le secteur
de l'artisanat à Marrakech révèlent deux
caractéristiques générales et essentielles. La
première concerne l'importance de la pauvreté comme
déterminant du travail des enfants (pour 64 % des ménages, le
revenu mensuel déclaré ne dépasse pas 250 dirhams par
personne). Les enfants travailleurs sont issus de ménages de conditions
sociales très défavorisées. Deux facteurs cumulatifs
précipitent l'entrée sur le marché du travail de ces
enfants. D'une part, les fortes contraintes de liquidité, auxquelles
leurs familles font face, augmentent considérablement le coût
d'opportunité de leur scolarisation.
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Les déterminants individuels et familiaux de la non
scolarisation des enfants de 6-11 ans au Bénin
Pour cette catégorie de ménages,
l'impératif d'allégement à court terme des contraintes de
liquidité grâce au travail des enfants prend le pas sur les
perspectives d'allégement structurel sur le long terme associées
à l'investissement dans la scolarisation des enfants. La deuxième
caractéristique générale et essentielle
suggérée par cette étude est relative à la
perception sociale qu'ont les artisans-employeurs du travail des enfants.
Beaucoup d'entre eux affirment qu'en employant des enfants, ils ne font que
répondre à une offre de travail existante émanant
d'enfants travaillant par nécessité (pauvreté et/ou
échec scolaire). Les artisans-employeurs appréhendent le travail
des enfants en mettant l'accent sur la dimension d'apprentissage qui lui est
associée. L'exercice d'une activité fournit, en effet, à
l'enfant en situation de déscolarisation l'opportunité
d'apprendre un métier et lui ouvre la voie de l'insertion
professionnelle.
Au regard de ces études qui portent sur les
déterminants de l'efficacité interne des systèmes
éducatifs, on peut affirmer que la scolarisation des enfants est un
phénomène dont le processus est réellement complexe. Ses
déterminants varient selon non seulement en fonction des
caractéristiques des élèves, mais aussi des facteurs
liés à l'école fréquentée, au contexte
familial, etc. En résumé, des facteurs académiques et
extra-académiques peuvent entraîner la non scolarisation des
enfants
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