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Identité et appartenance: temps et comput anthropologique chez R. E. Mutuza Kabe

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par Jean Francis Photios KIPAMBALA MVUDI
Université de Kinshasa RDC - Doctorat en philosophie 2012
  

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§3. Indépendance du troisième genre ou abolition désirée de la civilisation

On sait combien l'auteur des Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60 eut l'ambition de supprimer la colonisation, souvent identifiée par lui avec les derniers avatars de la science coloniale(423(*)). Férocement lucide sur une vision du monde qui s'estime, par moments, comme Nietzsche, capable de détruire, il se bat contre elle non sans ressentiment comme si, nouvelle tunique Nessus(424(*)), elle lui tient encore à la peau. Nietzsche a proclamé la fin de ce « rien », de ce nihil, qu'est devenue l'Europe, infestée par la passivité chrétienne ; il ne peut s'empêcher de revenir à travers le visage de l'enfant dont il envie l'innocence et le jeu, sans pouvoir le retrouver lui-même. Par delà Dionysos et Ariane, aussi mythiques que l' « éternel retour », ce nostalgique de la Grèce demeure, au fond de l'Engadine, un chrétien de naissance épris de Celui qu'il combat, faute de pouvoir, à sa manière, le remplacer(425(*)). Haïssant Paul, qu'il défigure tout autant que Socrate, en raison de la croix où Jésus le déçoit, Nietzsche espère anéantir la foi chrétienne en s'apprenant à ses déformations. C'est par là que Mutuza le rejoint, lui qui représente l'indépendance du troisième genre, qui n'atteint l'au-delà de la Révélation qu'en s'assurant d'abord du moment négatif de sa liquidation. Ainsi pense Mutuza de l'indépendance ; à moins qu'il ne s'acharne comme Nietzsche lui-même, à caricaturer une mission civilisatrice inhérente à la colonisation et qui devait définir la vie des peuples autochtones(426(*)).

Voyez ces Tutsi, déclare Charles Djungu-Simba dans un journal(427(*)), bien qu'ils soient nos ennemis, passez près d'eux en silence et l'épée au fourreau. Attention cependant de ne pas « se souiller », « si l'on s'en prend à eux ». Ils passent pour des bergers, ce sont seulement des moutons : ils suivent un «  Sauveur » dont il faudrait les délivrer ! Projet d'ailleurs insensé, car ils ont fait de leur captivité la condition de leur puissance ; leur désistement est devenu la source d'un empire sur ceux dont ils cultivent ainsi la maladie. Le salut qu'ils proclament dans « ces cavernes embaumées qu'ils appellent murenge consiste à consentir à ce qui nous détruit. La guerre est donc pour eux le maître-mot, c'est leur maître tout court. N'ont-ils pas dû apprendre à dire « non » à tout ce qui mérite un « oui » ?, dit C. M. Overdulve(428(*)).

D'où vient donc que des hommes qui ont altéré à ce point « la plus pure doctrine, soient devenus si convaincants ? Certes ils sont « pleins d'astuce » mais la meilleure raison se trouve dans le fait que « jamais encore il n'a existé de Surhomme », dit Nietzsche ; ils ont donc exploité les penchants trop humains, qui ont fait l'homme religieux. L'homme, ou plutôt cette forme de l'homme qu'il faut à tout prix dépasser, est un être en effet qui s'est cassé en deux et qui a construit « Dieu » avec la moitié de lui-même dont il s'est alors dépouillé.

Mutuza emprunte Nietzsche ici. Il n'est pas d'ailleurs loin de Feuerbach qui a lancé, le premier, cette généalogie réductrice de la « culture ». Mais alors que Marx a transposé l'idée de Feuerbach sur le terrain économico-social, Nietzsche, lui, l'a maintenue dans le domaine psychologique, comme le fait Mutuza lui-même à la suite de Freud dans L'avenir d'une illusion. De toute manière, Mutuza croit y trouver la raison du succès « remporté » par les Tutsi. Le Tutsi réussit parce qu'il s'arroge une fonction de médiateur, qui dispense les hommes d'exister par eux-mêmes ; il prend ainsi la place lâchement délaissée par chacun en soi-même et falsifie en justice ce qui n'est qu'une abdication.

Marx, dans les Manuscrits de 1844, avait félicité Adam Smith d'avoir été comme un nouveau Luther qui a intériorisé le sacerdoce dans le croyant lui-même, comme Smith avait intériorisé la richesse dans le travailleur ! Mutuza, lui entend anéantir toute trace de « Tutsi » dans la RD Congo. La médiation en tant que le fait de devenir soi-même grâce à une relation constitutive à un autre que soi, était valable pour Luther, comme elle l'est pour Hegel(429(*)) à condition qu'elle se résorbe finalement dans la liberté du croyant. Pour Mutuza, cette médiation doit être à tout prix supprimée, de quelque nature qu'elle soit(430(*)).

C'est par le doute effrayant sur soi-même qu'elle peut provoquer et non pas par les fins délirantes au service desquelles elle se trouve liée, que la critique mutuziste du colonisateur entre dans les composantes culturelles de la « crise » que nous analysons. En effet, à la faveur d'une « mission civilisatrice» qui les mettait au contact immédiat et brutal avec le milieu ouvrier, bien des colons ont découvert tout d'un coup, en eux ou dans l'action civilisatrice, des défauts ou des manques profonds sur lesquels ils avaient pu s'illusionner. Ils avaient pu le faire, faute d'avoir réellement rencontré la partie non lettrée des autochtones, qu'ils ont rejetés sans en avoir alors été conscients. En rejoignant sur le terrain des hommes façonnés par leur refus de la « civilisation », nombre de colons entrèrent dans une auto-critique d'autant plus radicale que les « valeurs », rencontrées chez leurs sujets, souvent devenus amis, semblaient rendre inutile la « mission » dont ils étaient porteurs. Même s'ils ignoraient totalement le bestiaire burlesque imaginé par Nietzsche pour ridiculiser les attitudes qu'il prêtait aux primitifs, tel ou tel colon de « mission » en venait à se voir comme bête de somme, `âne' ou « chameau », précise Nietzsche(431(*)) -qui aurait consenti à se voir « bien » chargé. Mutuza va dans cette même ligne : refus de l'enfance, transformation en « lion », par rapport à leur propre passé. Ainsi pouvait-ils déchirer à belles dents leur précédente identité et « conquérir » la « liberté et le droit sacré de dire non » à ce qui leur avait paru tout d'abord un « devoir ».

Eblouis par des modalités nouvelles que revêtait l'humain, meurtris par les contradictions auxquelles l'exposait leur « mission », certains, mais non pas tous, se laissèrent convaincre que l'authenticité de l'Homme noir et la fidélité de le servir ne pouvaient plus passer par cette civilisation qui avait vu en eux des délégués de sa présence. Les années 60 furent cette prise de conscience de l'abolition désirée de la civilisation et de colonisation.

Conclusion : Refonte nécessaire de tels présupposés mutuzistes

Comment se libérer d'une vision politique qui considère comme un dogme l'opposition de principe qu'elle a peu à peu établi entre la culture et la civilisation dans le domaine de l'anthropologie et de la science coloniale, sans s'affranchir des présupposés dont cette vision résulte, des interdits dont elle est obérée ?

Remarquons tout d'abord que cette distinction est la dernière étape d'une longue dérive au cours de laquelle la vision politique de Mutuza devenue la nature qui apparaît étrangère ou hostile au mystère de l'humanité qui cependant la fonde. Livrée dès lors à la seule compétence du savoir et du pouvoir humains, la vision politique est elle aussi entièrement enfermée sur soi. Comme elle est la condition sine qua non de l'histoire, elle entraîne dans l'histoire le mutisme de l'humanité. Le moindre signe que l'on pourrait trouver d'elle en elle, détruirait la parfaite immanence que le Mythe Hima-Tutsi ainsi construit dans la colonisation entend s'attribuer.

Dans sa charpente, la philosophie de Mutuza constituait le paysage que nous inspections dans cette partie de notre dissertation. Son relief est rempli de montagnes caillouteuses du fait que Mutuza aborde beaucoup de thèmes dans son acception du concept d'appartenance, qu'il n'utilise d'ailleurs pas. C'est pourquoi sa cartographie laisse à désirer. Comme philosophe, Mutuza a ouvert la voie vers une autre façon de concevoir la philosophie de l'histoire et sa vision de la culture. Il a contracté pour cela une dette envers la culture lega qu'il donne en paradigme. Suivant notre avertissement nous étions entrés dans une jungle de problèmes et de confusions, mais partout nous avions vu comment en sortir : à savoir grâce à une herméneutique de l'oeuvre de Mutuza soumise à la réévaluation des concepts telle que l'on le rencontre chez Musey.

Le concept d'appartenance dans la Problématique du Mythe Hima-Tutsi explique cette herméneutique du phénomène humain à l'occasion d'un essai d'interprétation de la culture. Deux conséquences marquent alors sa pensée: le refus de définition et le maintien de concept. Du coup en effet l'universalité du concept devient une nécessité linguistique. Dans sa tentative de concilier définition et concept, il a abouti à deux conceptions dont l'une, le refus de définitions crée la confusion mais maintient le concept ; et l'autre, le maintient de concept crée de définitions, mais maintient la confusion.

* 423 MUTUZA, Réflexions d'un séminariste autour des événements des années 60, p. 49.

* 424 La bataille entre les Centaures et les Lapithes a fourni à la sculpture grecque classique un très beau sujet, figurant la lutte entre la sauvagerie et la civilisation. Les Centaures sont ainsi les héros du bas-relief de Michel-Ange, Combat des Centaures (1492). On les retrouve également dans de nombreuses oeuvres picturales : Déjanire enlevée par le Centaure Nessus (1620-1621) de Guido Reni, Combat des Lapithes et des Centaures (XVIIe siècle) de Rubens, l'Éducation d'Achille par le Centaure Chiron (1783) de Jean-Baptiste Regnault, etc. Le thème a également inspiré des sculpteurs, tel Antoine Bourdelle (Centaure mourant, 1914).

* 425 JASPERS, K., Nietzsche et le christianisme (trad. Jeanne Hersch) Minuit 1949, 55-99 ; 1026103, H. de LUBAC, Nietzsche le mystique, dans Affrontements mystiques, Edition du Témoignage chrétien, Paris, 1976, 171-173.

* 426 NIETZSCHE, F., Ainsi parlait Zarathoustra, p. 54.

* 427 MUTUZA, La problématique du mythe Hima-Tutsi, Epigraphe (Voisin) !

* 428 OVERDULVE, C-M., Fonction de la langue et la communication au Ruanda. L'auteur est né en 1929 ; pasteur des Eglises Réformées aux Pays-Bas depuis 1957, et pasteur-missionnaire de l'Eglise Presbytérienne au Ruanda de 1961 à 1971 et de 1982 à 1988, de 1987 à 1994, professeur de théologie pratique à la Faculté de Théologie Protestante de Butare au Rwanda.

* 429 Albert Chapelle a rappelé ce point dans Pour la vie du monde, pp. 262-270.

* 430 Cfr. VALADIER, P., Nietzsche et la critique du christianisme, pp. 290-291.

* 431 Cfr. Nietzsche qui nous donne la triade évolutive sur le plan individuel : âne, lion et super-homme.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera