INTRODUCTION GENERALE
S'il est vrai comme le dit le journaliste Alain Foka que
« Nul n'a le droit d'effacer une page de l'histoire d'un peuple car un
peuple sans histoire est un monde sans âme »1, il
est aussi nécessaire voire indispensable que chaque peuple prenne
conscience qu'il faut reconstituer sa propre histoire.
En effet, Eugène Pittard paraphrasant Hegel
n'écrivait-il pas en 1953 que : « Les races africaines
proprement dites (celle de l'Egypte et d'une partie de l'Afrique Mineure mise
à part), n'ont guère participé à l'histoire telle
que l'entendent les historiens...Je ne me refuse pas à accepter que nous
avons dans les veines quelques gouttes d'un sang africain (d'Africain à
peau vraisemblablement jaune) mais nous devons avouer que ce qu'il en peut
subsister est bien difficile à retrouver. Donc deux races humaines
habitant l'Afrique ont seules joué un rôle efficient dans
l'histoire universelle : en premier lieu et d'une façon
considérable les Egyptiens puis les peuples du nord de l'Afrique
»2
C'est dans le but de briser les élucubrations de ces
penseurs occidentaux qui dénient toute histoire à l'Afrique que
Patrice Lumumba3 écrit : « l'histoire dira un jour
son mot...L'Afrique écrira sa propre histoire ».
Ainsi, c'est dans le souci de faire la lumière sur
l'histoire du royaume tem du Tchaoudjo dont certains des aspects ont
déjà fait l'objet d'étude par nos
prédécesseurs, que nous avons choisi notre thème que voici
: « LES NOUVELLES HEGEMONIES DE LA REGION SEPTENTRIONALE. LE
ROYAUME TEM DU TCHAOUDJO (18801914) ».
1 -Alain Foka, journaliste de RFI dans son
émission hebdomadaire de vendredi « Archives d'Afrique ».
2 - Ki-Zerbo, 1978, p10.
3 - Cité par Ki-Zerbo, 1978, p9.
2
Etant donné que l'histoire n'est jamais écrite
une fois pour toute et qu'elle se renouvelle au rythme de l'évolution
des sources documentaires et surtout du questionnement, nous avons voulu
traiter certains aspects restés encore sous silence et apporter quelques
précisions sur d'autres.
En effet pour traiter ce thème, nous avons choisi un
cadre spatial et chronologique très réduit. Par ailleurs, le
choix de notre thème n'est pas le fait du hasard. Il s'explique par la
motivation que nous avons pour les études monographiques. De même,
l'intérêt scientifique que nous trouvons en de telles
études, c'est celui de contribuer à reconstituer l'histoire
globale du Togo en général et celle du pays1 tem en
particulier.
Pour dégager le sens de notre travail, nous dirons que
les dates qui délimitent notre thème de recherche sont
significatives. En effet, 1880 est la date à laquelle le royaume a pris
véritablement son essor pendant le règne de Ouro-Djobo Boukari
dit « sémôh » de Kparatao2. C'est
aussi la date à laquelle il aurait pris le pouvoir suite à la
guerre qui l'aurait opposé à Yélivo3.
19144 est la date à laquelle les Allemands
quittent le Togo après leur défaite de la « Grande
guerre » cédant la place aux Français.
Après cet exposé, une série de questions
se posent :
Comment se fit le peuplement du royaume et quelle
évolution connurent ses peuples de 1880 à 1914 ?
Dans quelles conditions voit-il le jour ? Quelle
évolution connaît-il ? Comment s'explique la
sédentarisation du pouvoir royal du Tchaoudjo à Kparatao ?
Qui furent les principaux acteurs de sa formation ? Quels
rôles jouèrent les sémassi dans le trafic
esclavagiste ?
1 -Signifie dans notre contexte toute la région
de peuplement tem.
2 -Gayibor N L (ss la dir), 1997, p346.
3 -Entretien avec Ouro-Akpo Kassim, chef de
Yélivo, du 16-08-06.
4 -Avec la Grande guerre de 1914-1918, les
Allemands vaincus au Togo dès Août 1914 ont évacué
cédant la place aux Français.
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Quels furent les changements provoqués au sein du
royaume au contact des Allemands ? Quel rôle joue-t-il dans le nouveau
contexte ? En effet, l'histoire du Togo a fait l'objet de plusieurs recherches
tant par les chercheurs étrangers que par les chercheurs nationaux et
les étudiants de l'Université de Lomé. Tous ces travaux,
dans leur ensemble ont permis d'avoir un éclairage nouveau sur
l'histoire des différents peuples du Togo. Mais, si l'histoire de la
plupart des populations du sud-Togo telle que celle des Guin, des Mina et des
Ewé est connue, cela n'est pas pour autant le cas en ce qui concerne
l'histoire des peuples de l'hinterland (tels que les Kabiyè, les Losso,
les Tem etc.). Ceci s'explique d'une part, par le fait que ces peuples du sud
ont eu un contact précoce avec l'homme blanc et d'autre part, par
l'abondance de la littérature historique dont ils disposent sur leur
passé.
Afin de réussir ce travail, nous avons parcouru la
plupart des travaux qui ont déjà abordé notre
thème. De ce fait, nous avons pu recenser les documents qui ont
traité de l'histoire générale de l'Afrique, du Togo et
ceux qui ont traité spécifiquement de l'histoire des Tem.
En dépit de notre documentation très
variée, nous nous sommes confronté à des lacunes
d'informations précises sur notre thème.
Les obstacles rencontrés sont liés à
l'état très précaire et de délabrement des
documents écrits (surtout les archives), à la rareté des
sources documentaires relatives aux populations du Nord-Togo, au manque de
moyens financiers et matériels.
Quant aux enquêtes sur le terrain, la tâche n'a pas
été du tout facile. Les obstacles rencontrés sont
liés au manque de personnes ressources car la plupart de nos
informateurs se contentent de répéter les versions transmises par
les ancêtres ou carrément tentent de forger leur propre version
des faits.
Nous étions également confronté aux
problèmes de réticence de nos informateurs qui refusent de nous
livrer les informations car ils croyaient que nous étions mus par des
mobiles politiques.
En dépit de cette situation, nous avons fait de la
tradition orale notre cheval de bataille avec tout ce qu'elle comporte comme
inconvénients. Nous n'avons pas la chance de rencontrer les personnes
« idéales »1 puisque la plupart de nos informateurs
n'ont pas vécu la période qui correspond à notre
étude (1880-1914). Ils tiennent leurs informations de leurs parents.
C'est donc avec une grande prudence que nous utilisons les témoignages
oraux.
Néanmoins, nous avons pu recueillir suffisamment
d'informations qui nous permettront de faire la lumière sur l'histoire
du royaume tem du Tchaoudjo.
En définitive, soulignons que toutes ces
difficultés citées plus haut ont exigé de nous une
attention particulière, mieux une analyse très approfondie et un
sens critique.
Dans ces conditions, nous nous sommes efforcé de
combiner aussi harmonieusement que possible les différentes informations
recueillies sur les Tem pour pouvoir rendre intelligible notre travail. C'est
grâce à cette méthode que nous sommes parvenu aux
résultats réunis dans ce mémoire que nous
présentons en deux grandes parties :
La première partie intitulée origine et
cadre de la constitution du royaume comprend trois chapitres: d'abord,
la présentation générale du pays tem et histoire du
peuplement, ensuite la constitution du royaume et enfin, l'organisation
politique et économique du royaume. La seconde partie intitulée
la militarisation du royaume comprend deux chapitres notamment
: la militarisation et les différents conflits du royaume et le
Tchaoudjo sous domination allemande.
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1 -C'est-à-dire des témoins oculaires
qui ont vécu les faits qu'ils nous rapportent.
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Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, il nous paraît
important pour la compréhension de notre travail d'expliquer
l'utilisation d'un certain nombre de concepts.
Ainsi, le choix du concept « royaume » au
détriment des concepts « chefferies » et
«confédération » est significatif.
Selon le Petit Robert1, la
confédération se définit comme l'« union de
plusieurs Etats qui s'associent tout en conservant leur souveraineté
». Quand on se réfère à l'histoire de l'Europe,
on note l'exemple de la Confédération helvétique, de la
Confédération de Délos pour la crise antique.
Or, pour ce qui concerne notre étude, les sept villages
constitutifs correspondent plus à une « union »
plutôt qu'à une quelconque « souveraineté
» puisqu'ils dépendaient tous du village à qui revenait
le pouvoir royal. Ce qui prouve donc que les sept villages ne sont pas
indépendants les uns des autres comme on a pu le croire.
Pour ce qui est de la chefferie, le Petit Robert, la
définit comme une « unité territoriale sur laquelle
s'exerce l'autorité d'un chef de tribu ». Cette
définition nous paraît insuffisante pour expliciter le cas du
Tchaoudjo.
Cependant, selon Larousse2, le royaume est un
« Etat gouverné par un roi ». Cette définition
semble répondre à notre sujet d'autant plus que
l' « Etat » dans notre contexte peut
englober plusieurs entités qui correspondent mieux aux sept villages
constitutifs du royaume et le « roi » qui correspond au
souverain ou à ouro-esso.
Kotokoli ou Cotocoli : c'est une variation
graphique. Les Allemands utilisaient la première forme et les
Français la seconde. Ce terme désigne l'ethnie du pays tem. Pour
raison de notre contexte historique, nous avons fait usage de la forme
adoptée par les Allemands : Kotokoli.
1 -Dictionnaire Le Petit Robert, 1986, p298.
2 -Dictionnaire Larousse, 1977, p341.
Pays : ce mot perd un peu de son sens
premier dans notre contexte. Pour nous, il représente toute la
région de peuplement tem.
Tem : nous l'avons utilisé
à la fois comme nom : Les Tem sont des Kotokoli, à la
fois comme adjectif : Les Kotokoli sont de culture tem.
Pays tem : le territoire sur lequel vit une
population dont les membres se reconnaissent traditionnellement comme les
« Temba » c'est-à-dire des gens qui parlent la
même langue tem.
Royaume tem du Tchaoudjo : qui fait
l'objet de notre étude ne comprend que les sept villages constitutifs du
royaume où seuls les Mola peuvent postuler au pouvoir royal.
Kotokoli et Tem : La nuance
entre les deux noms ne devrait pas poser des problèmes.
Le Tem de l'avis de nos informateurs est l'habitant autochtone
connu comme étant un agriculteur, un éleveur, un chasseur, un
forgeron, un animiste, enraciné dans son milieu par ses occupations et
sa culture. A propos des deux noms, Gayibor1 écrit : «
Quoi qu'il en soit,
l'ethnonyme kotokoli est le plus usité de nos jours.
Il semble s'identifier plus aux éléments du groupe qui sont
urbanisés et islamisés alors que
le tem désignerait plutôt le monde rural et
païen, le fonds ancien du peuplement. Ainsi donc cette appellation
cotocoli ou kotokoli qui, à l'origine, ne semble avoir revêtu
qu'une signification culturelle, s'est-elle imposée au détriment
de tem ou temba, le véritable ethnonyme » C'est ce qui
explique cette transmutation du tem en Kotokoli.
6
1 - Gayibor NL (ss la dir), 1997, p350
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