3.4. Enjeux de pouvoir liés à la gestion
des ressources de la forêt
L'usage des ressources de la FC de Dida par
différents agents économiques engendre des
rivalités entre eux. Ces enjeux de pouvoir sont perceptibles au
regard des modes d'accès aux ressources, et surtout dans l'analyse des
externalités liées à l'appropriation de
ces ressources.
3.4.1. Modes d'accès à la terre
Les autochtones sont les propriétaires terriens
qui disposent du «droit
éminent» sur les terres et ses ressources.
Ils accordent les espaces agricoles aux migrants qui acquièrent
alors le «droit d'usufruit ». L'accès
à la terre est conditionné par le payement du droit traditionnel
qui, généralement, est composé d'un
poulet et d'une chèvre. Ce droit est perçu par les chefs de terre
des villages de Noumoukiedougou, Mouroukoudougou, ou
Diarakorosso. Mais, à ces premiers détendeurs de droits
traditionnels s'est substituée une deuxième
catégorie de propriétaires terriens, issus des
premiers occupants des espaces agricoles. Ces nouveaux
52
propriétaires, composés d'autochtones et parfois
de migrants, perçoivent en lieu et place des anciens
propriétaires les droits traditionnels.
Il faut noter que la question foncière est de nos jours
en mutation dans la zone d'étude. Même si les propriétaires
terriens se refusent à admettre une monétarisation des droits
traditionnels, on assiste de plus en plus à une vente des terres,
à en croire les propos de certains enquêtés : «
les propriétaires terriens vendent les terres (...) j'ai un ami qui a
acquis ses terres au prix de quinze mille (15 000) francs CFA l'hectare dans la
forêt classée ». Nous relate ce jeune de trente deux
(32) ans.
Quant aux femmes, elles ont accès à la terre par
le biais de leurs maris mais elles ne peuvent toutefois prétendre au
statut de propriétaire terrien. Elles exploitent des lopins de terre qui
leur sont accordés pour des cultures dites secondaires : légumes,
arachide, voandzou, niébé, sésame. Ces lopins de terre
sont généralement de superficies moyennes.
Les espaces forestiers sont aussi source de rivalité
entre acteurs dans son usage. Ils opposent de plus en plus les agriculteurs et
les éleveurs, dans la mesure où les zones de pâturage sont
progressivement occupées par les champs et les espaces cultivés
font l'objet de dégâts des animaux.
3.4.2. Conflits liés à l'appropriation des
ressources
On distingue deux types de conflits dans l'appropriation des
ressources de la FC de Dida. Le premier type oppose l'ensemble des exploitants
aux services forestiers. Quant au deuxième type, il oppose exploitants
entre eux, notamment les agriculteurs aux éleveurs.
En effet, l'appropriation des ressources est sources
d'externalités positives et négatives pour les acteurs en
compétition dans la mesure où la FC est un espace de «
non-exclusion ». Dans le cas de la FC de Dida, les activités
des agriculteurs présentent des externalités négatives et
positives pour les éleveurs et vice-versa.
En effet, les éleveurs perçoivent la FC comme
une zone de pâturage en régression qui se transforme de plus en
plus en espaces agricoles et de plantation d'anacardiers. Comme
externalité positives pour les éleveurs, les résidus
agricoles des agriculteurs comme la paille, les feuilles (arachide, mil, sorgho
et niébé) sont appétés par les animaux.
A l'opposé, les déchets des animaux contribuent
à enrichir les champs des agriculteurs. A ce titre, certains
propriétaires n'hésitent pas à retirer au bout d'une ou de
deux années les aires de
53
parcage des boeufs à des fins agricoles. Le
reproche fait aux actions des troupeaux des éleveurs est la destruction
des champs aussi biens de céréales que d'anacardes. De
plus, l'encroûtement du sol dû au passage des animaux
raréfie l'accès à l'Andropogon
gayanus, herbe utilisée pour la toiture des
habitations.
Tous les acteurs sont unanimes qu'il existe des
conflits dans la gestion des ressources. Les points de vue n e
divergent légèrement que quand il s'agit d'en déterminer
l'ampleur. La figure 16 ci-dessous illustre bien cet
état de fait.
![](Enjeux-socio-economiques-et-conservation-des-ressources-naturelles-dynamique-des-populations-et-pe24.png)
48%
Fréquence de conflits
5%
47%
Rares Fréquents
Très fréquents
Figure 16 : Perception de la fréquence des
conflits par les enquêtés
Ils représentent seulement 5% les
ménages qui estiment que les cas de conflits entre agriculteurs et
éleveurs sont rares, contre 47 % qui les estiment fréquents et 48
% très fréquents. Toute la problématique
de la question des conflits réside dans leur mode de
résolution. Les acteurs ne savent à quel
«saint se vouer ». Quand les cas de
conflits sont portés devant les préfectures,
tribunaux départementaux, les acteurs se voient orientés vers les
SDEDD. Là aussi, ils sont renvoyés dos à
dos, les forestiers considérant agriculteurs et éleveurs
en situation illégale, car s'adonnant à
des activités illicites dans une FC. Et cette situation
qui semble bénéficier aux éleveurs apparait aux
yeux des agriculteurs comme une accointance entre éleveurs et
forestiers, au détriment de leurs intérêts. A cela
s'ajoutent les propos de certains éleveurs pour qui «
ils ne peuvent payer la forêt et aussi payer les champs
» , parce qu'ayant pris une autorisation de pâturage
dans la FC, ils se disent alors être dans leurs droits.
Par conséquent, à défaut de
trouver une solution à l'amiable, à l'aide de machettes, les
agriculteurs s'en prennent aux boeufs des éleveurs quand des cas de
dégâts dans leurs champs sont constatés. Ces animaux
blessés sont alors vendus le plus souvent au marché de
Goté. Cette situation exacerbe les conflits entre
éleveurs et agriculteurs et, les propos de
54
certains agriculteurs ne présentent nullement de
bons augures. «Ces éleveurs là, nous allons
les chasser d'ici » a laissé
entendre le chef du village de Mado.
On pourrait cependant se demander entre agriculteurs et
éleveurs qui a le plus d'impacts négatifs sur la FC ?
Pour le SDEDD, il n'y a aucun doute que ce soit les
espaces agricoles et notamment les
plantations d'anacardes et la culture
d'igname
qui ont tendance à uniformiser le paysage de la
FC. Pour le chef du SDEDD, « on a longtemps pris pour
cible les éleveurs alors que ce sont les agriculteurs qui
détruisent plus la forêt ». Quand le
débat est porté devant les acteurs
eux-mêmes, il donne les résultats suivants
présentés par la figure 17:
![](Enjeux-socio-economiques-et-conservation-des-ressources-naturelles-dynamique-des-populations-et-pe25.png)
2%
94%
Agriculteurs
4%
Agriculture Elevage Pareils
10%
Eleveurs
90%
Agriculture Elevage
Figure 17 : Activité ayant le plus d'impacts
négatifs sur FC en fonction des acteurs
Pour 94 % des agriculteurs, c'est
l'élevage qui a un impact négatif sur la forêt. Il
en est de même pour 90 % des éleveurs qui
estiment que ce sont les agriculteurs qui sont responsables de la
destruction constatée. Il apparait clairement que les acteurs se
rejettent mutuellement la responsabilité de la dégradation
des ressources de la FC. Il n'est pas étonnant que
comme solution à cette situation, la proposition de
chaque catégorie d'acteurs aille dans le sens
de la consolidation de ses acquis, tout en interdisant pour
l'autre.
Dans cette situation de compétition, d'enjeux
socio-économiques, quelles peuvent être les
perspectives pour une gestion durable des ressources de la FC de
Dida?
|