Paragraphe 3 : Richesse pétrolière et
dépendance énergétique: le Nigéria au coeur d'un
paradoxe africain.
A. Le pétrole dans l'approvisionnement
énergétique mondial :
Le pétrole est aujourd'hui une des sources
d'énergie les plus utilisées au monde. Au cours du siècle
dernier, il a progressivement supplanté le charbon comme «
première source énergétique, indispensable à un
mode de développement économique alliant industrialisation,
urbanisation et explosion des échanges. ».381 Le
pétrole représente près de la moitié de la
fourniture de l'énergie primaire, loin devant le charbon, le gaz et le
nucléaire. Il est impossible d'envisager, à court terme, un
renversement de tendance en matière d'approvisionnement
énergétique mondial.
La place du pétrole dans l'approvisionnement
énergétique en Afrique est tout aussi importante. Même si
la consommation annuelle par habitant y est faible, comparativement à
d'autres régions du monde (0,3 tep en moyenne contre 7,8 pour un
américain et 4 pour un européen),382 le manque
d'alternative au pétrole en décuple l'importance. En effet, le
pétrole est la principale énergie dans le transport (essence,
kérosène, gaz oil, etc.). Il constitue une matière
première importante dans l'industrie chimique, la production
électrique, et sert à la fabrication de produits
dérivés (médicaments, peinture, matière plastique,
détergents, caoutchouc, etc.). La part du pétrole dans les
relations commerciales des pays producteurs d'Afrique est demeurée
importante au fil des années. Il représente plus de 90 % des
exportations de pays comme l'Algérie, la Libye, la Guinée
Equatoriale ou le Nigéria.383
B. Production pétrolière et
dépendance énergétique du Nigéria :
Le premier producteur de pétrole d'Afrique connait une
dépendance énergétique majeure. Les failles
observées dans l'organisation et le fonctionnement de sa filière
pétrolière, le rendent profondément dépendant de
l'expertise technologique extérieure. Dans ces conditions,
l'indépendance stratégique ou tout simplement
énergétique du Nigéria s'en trouve menacée. Les
autorités en charge de la gestion du pétrole,
empêtrées dans des luttes pour le contrôle de positions
rentières, n'ont pas pu mettre le pays à l'abri d'une
éventuelle crise énergétique. La situation du
Ni-géria est alors originale, comparée à celles d'autres
membres de l'OPEP.
La dépendance énergétique du
Nigéria est perceptible à la fois dans l'amont et l'aval
pétroliers. Au niveau des activités d'exploration-production, le
Nigéria fait montre d'une incapacité stratégique, qui
l'expose aux manoeuvres des grands consommateurs. En effet, la compagnie
pétrolière nationale, la NNPC, est l'actionnaire
381 -Pascal Lorot, « Géopolitique des hydrocarbures
», in Questions internationales n°24, mars-avril 2007.
382 -Ngoungue Stéphane, les enjeux de l'énergie
pour l'Afrique, exposé présenté dans le cadre de l'UE
PHY 595 intitulée géopolitique des hydrocarbures, master II de
physique, Université de Yaoundé I, année académique
2011-2012.
383 -Voir Etanislas Ngodi, Gestion des ressources
pétrolières et développement en Afrique,
11e assemblée géné-rale du CODESRIA, 6-10
décembre 2005, Maputo, Mozambique, 30 pages.
Noah Noah Fabrice, Science po 5, Université de
Yaoundé II-Soa. Page 90
Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
majoritaire dans les joint-ventures qui le lient aux
multinationales.384 Par ce procédé, l'Etat essaye
d'assurer le leadership du Nigéria sur son secteur pétrolier,
tout en évitant la nationalisation des réserves. Cependant,
à cause de problèmes financiers et politiques, l'Etat assure
difficilement ses charges dans les différentes associations
pétrolières. Selon Philippe SEBILLE-LOPEZ, « A l'amont, le
principal problème pour le gouvernement fédéral est de
financer les appels de fonds correspondant à sa quote-part dans les
joint-ventures. ».385 En 2004, le gouvernement nigérian
a difficilement obtenu du sénat 3,2 milliards de dollars de
crédit budgétaires, alors que les besoins de la NNPC
étaient évalués à 5 milliards de
dollars.386 L'impossibilité pour l'Etat de remplir ses
obligations financières en matière pétrolière
réduit ses chances d'intervenir directement dans les activités
d'extraction. L'industrie pétrolière nigériane devient
alors dépendante des investissements et de l'expertise
extérieurs.
L'organisation de la filière amont de l'industrie
pétrolière nigériane a ceci de particulier qu'elle accorde
l'exclusivité du travail de terrain à des actionnaires
minoritaires. Les compagnies pétrolières internationales,
malgré leurs parts relativement faibles dans les joint-ventures, sont
les opérateurs chargés d'extraire le pétrole du sous-sol
et des fonds marins. La compagnie SHELL par exemple, qui est partie dans une
joint-venture avec l'Etat dont elle détient 30% des parts, tandis que
celui-ci en possède 55%, est chargée des activités au jour
le jour sur le terrain.387 Le Nigéria fait ainsi preuve d'une
immaturité stratégique qui accentue sa dépendance
énergétique. L'approvisionnement du pays en pétrole est,
ainsi, tributaire des volumes extraits et effectivement déclarés
par les multinationales, travaillant dans l'amont pétrolier.
Au niveau de l'aval pétrolier, le Nigéria
connait essentiellement un problème d'approvisionnement de son
marché en produits raffinés. Le pays possède 4 raffineries
de pétrole : une au nord à Kaduna et trois au sud, dans les
villes de Port-Harcourt (deux) et de Warri (une). Elles lui assurent une
capacité théorique de raffinage de 438 000 barils par
jour,388soit environ 69 642 000 litres de pétrole. Or,
à cause d'une mauvaise gestion « chronique », les raffineries
nigérianes produisent un peu plus de la moitié de ces chiffres.
La NNPC, qui reçoit des compagnies opératrices 57% de la
production totale de pétrole brut, est alors obligée d'en
exporter une grande partie.389 Ainsi, l'essentiel des produits
pétroliers que l'on retrouve sur le marché nigérian est
importé. Le premier producteur de pétrole d'Afrique se trouve en
être également un importateur net. Les sommes engagées dans
l'achat du pétrole raffiné à l'étranger sont
importantes. Selon Sanusi Lamido Sanusi, gouverneur de la Banque centrale du
Nigéria, le pays a utilisé près de 16 milliards de dollars
de ses réserves
384 -Cf. supra
385 - Philippe Sébille-Lopez, « les hydrocarbures
au Nigéria et la redistribution de la rente pétrolière
», in Afrique contemporaine n°216, avril 2004, P
386 -Idem.
387 - Voir Amnesty International, CEHDR, La vraie «
tragédie ». Retards et incapacité à stopper les
fuites de pé-
trole dans le Delta du Niger, Amnesty international,
novembre 2011, P. 26
388 -Cf. Alexandra Gillies, « Reformer la corruption de l'or
noir nigérian ? Première partie : cartographie des risques de
corruption dans la gouvernance de la filière pétrole. », in
U4 brief n°23, septembre 2009, disponible sur
http://www.u4.no/
389- Voir Ian Gary, Terry Lynn Karl, Le fond du baril,
catholic relief services, Juin 2003, p.26
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dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
de change, au cours des onze premiers mois de l'année
2011, pour importer du pé-trole.390 Il dépend presque
autant des importations de pétrole que certains pays peu ou non
producteurs. Cette dépendance pétrolière du
Nigéria, en plus de l'exposer aux aléas du marché
international, réduit considérablement l'impact économique
et social du pétrole.
L'importation de produits pétroliers raffinés
par le Nigéria a un coût économique considérable. En
effet, pour permettre aux nigérians d'acheter du pétrole moins
cher, l'Etat en subventionne les prix. Les distributeurs achètent le
pétrole aux prix du marché international, puis le revendent aux
prix subventionnés. Une filiale de la compagnie pétrolière
nationale leur rembourse la différence. Avant la tentative de suspension
des subventions aux prix du pétrole de janvier 2012, elles
coûtaient annuellement à l'Etat fédéral près
de huit milliards de dollars, soit plus du quart de ses
dépenses.391 Le soutien de l'Etat aux prix à la pompe
lui fait perdre des moyens financiers considérables et constitue une
poche de corruption et de détournement des fonds.392 En
outre, il ne résout pas le problème de la dépendance
énergétique du Nigéria. Bien qu'étant pour ses
adeptes le « seul bienfait tangible de la richesse
pétrolière pour la plupart des nigérians
»,393 la subvention aux prix du pétrole est une
manoeuvre politicienne qui grève le budget de l'Etat et l'empêche
de songer à l'amélioration des capacités de raffinage du
pays. Cette situation rend alors incertaine l'approvisionnement
énergétique du pays, dont la population est appelée
à croitre considérablement.
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