B- Principes de base de l'allocation
fédérale statutaire et évolution historique :
Le partage des revenus pétroliers obéit au
principe de l'allocation fédérale statutaire. Il s'agit
d'un processus complexe de répartition de la rente entre les
différents niveaux de gouvernement de l'Etat. Principe majeur organisant
la redistribution de l'argent du pétrole, l'allocation
fédérale statutaire structure l'essentiel des finances
publiques nigérianes.171 En fonction des années, elle
oscille entre 65% et 90% des revenus pétroliers172 (qui
représentent eux, il faut le rappeler, 80% des revenus bruts de la
fédération). L'organisme en charge de l'élaboration des
critères et de la ventilation des revenus pétroliers est la
Commission Fiscale de Mobilisation de l'Allocation des Revenus
(RMAFC). Elle est composée de représentants des Etats
fédérés.173 La RMAFC établie des
critères de répartition qui sont ensuite présentés
au chef de l'Etat. Celui-ci les transmet au parlement pour approbation. En cas
de désaccord entre les deux chambres, le président de la
république peut procéder par décret.174
Deux types de critères sont à la base de
l'allocation fédérale statutaire : des critères
verticaux et des critères horizontaux. Les
critères verticaux concernent la répartition des revenus
pétroliers entre les trois niveaux de gouvernement dans le pays à
savoir le niveau fédéral, les Etats fédérés
et les gouvernements locaux. La répartition de la rente
pétrolière entre ces différents échelons de
gouvernement, au cours de la période 1992-2002, était de 48,5%
pour le niveau fédéral, 24% pour les Etats
fédérés et 20% pour les gouvernements locaux ; le reste
étant déposé dans des fonds spéciaux.175
Cette répartition de la rente a toujours constitué un point de
discorde entre les bénéficiaires. Pour les Etats
fédérés, dont cette allocation représente plus de
la moitié des revenus budgétaires,176 les montants
à eux alloués constituent une véritable question
d'efficacité de gestion et même de survie. Il est par
conséquent important que l'Etat fédéral prenne en
considération, dans la répartition de la rente
pétrolière, leur place incontournable dans le processus de
développement du pays. Les gouvernements locaux, qui s'en remettent aux
Etats fédérés pour
171 - Voir Philippe Sébille-Lopez, « les
hydrocarbures au Nigéria et la redistribution de la rente
pétrolière », in Afrique contemporaine n° 216,
avril 2004, p
172-Idem.
173 -Ibid.
174 -Ibid.
175 -Ibid.
176 -Ibid.
Noah Noah Fabrice, Science po 5, Université de
Yaoundé II-Soa. Page 36
Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
entrer en possession de leur enveloppe, jugent quant à
eux ce mode de fonctionnement favorable à une dépendance de leur
part envers les Etats fédérés. Certaines tensions entre
ces deux niveaux de gouvernements ont souvent provoqué un retard dans
l'acheminement les fonds alloués.
Les critères horizontaux de l'allocation
fédérale statutaire concernent, quant à eux, la
répartition de l'enveloppe allouée d'une part aux Etats
fédérés, et d'autre part aux gouvernements locaux. La
redistribution de la rente pétrolière prend en
considération les besoins des Etats, et le statut pétrolier de
certains d'entre eux. Dès la période coloniale, les anglais
mirent sur pied une sorte de « prime à la productivité
» destinée à encourager le développement au niveau
local. Il s'agissait de reverser aux régions, par une politique dite de
Dérivation, une importante partie de la richesse tirée
de leur sol. Cette politique, qui favorisa le développement des
régions agricoles, (nord et ouest en particulier) se poursuivit
après l'indépendance du pays. Des statistiques sur la
dérivation des recettes pétrolières, au cours de
l'année fiscale 19741975, montrent par exemple que les régions
pétrolifères de River et de Midwest comptant au
total 4,1 millions d'habitants ont reçu de l'Etat fédéral
près de 241 millions de Nairas, contre seulement 102,3 millions pour les
régions de Western, de East- central, de
North-western, et de North-East plus peuplées (30,2
millions d'habitants à l'époque).177 Le boom
pétrolier viendra cependant provoquer une certaine dénonciation
de ce principe, par les régions non pétrolières. Celles-ci
estimaient, en effet, que la richesse pétrolière devait
être redistribuée selon de nouveaux critères.178
Il fut alors décidé, dans un premier temps, d'établir une
distinction entre production on shore et offshore à travers un autre
principe, la dichotomie. Introduit en 1971, celui-ci
stipulait que les revenus tirés de la production offshore
échappaient au principe de dérivation et devaient être
répartis de manière plus ou moins équitable à
l'ensemble des Etats de la fédération. Les Etats
pétroliers perdaient ainsi près de 45% de leurs revenus, alors
que la production offshore ne représente guère plus de 20% de la
production nationale.179
Le principe de dérivation, qui permettait aux
régions productrices de recevoir près de la moitié des
revenus du pétrole en 1969, ne concernait plus que 2% de ceux-ci en
1981, puis 1% en 1989.180 De nouveaux critères favorisant une
redistribution plus ou moins équitable de la rente
pétrolière entre tous les Etats de la fédération
furent alors introduits. Il fallait dorénavant prendre en compte la
population des Etats, l'importance des besoins de ceux-ci et
l'équité entre eux. Deux autres critères furent introduits
au cours de l'année 1980. Il s'agissait du développement social
et de la capacité interne de l'Etat en question à
générer des revenus. L'équilibre entre ces
différents critères dans les années 1990 était le
suivant181 :
177 -Ibid.
178 -Ibid. 179-Ibid.
180 -Ibid.
181 - cette répartition est présentée par
Philippe Sébille Lopez, dans son article cité supra.
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Nigéria.
Egalité c'est-à-dire la proportion des sommes
allouées, qui est répartie
équitablement entre les Etats : 40%.
Prorata de la population de chaque Etat : 30%.
Superficie de chaque Etat : 10%
Niveau de développement social : 10%
Capacité des Etats à générer des
revenus propres : 10%
Les Etats du nord étaient favorisés par ce
système de redistribution à cause de leurs populations
importantes. En effet, les Etats du sud, d'où provenait pourtant la
majeure partie du pétrole, ne recevaient que 19,3% des fonds
alloués aux Etats tandis que ceux du nord en recevaient
26%.182 Finalement, malgré les manoeuvres de politiciens
issus des régions non pétrolières visant à vider de
toute sa consistance le principe de dérivation, celui-ci a pu
résister au temps et passer comme donnée incontournable d'une
bonne administration de la rente pétrolière. Les Etats
pétroliers, qui recevaient par dérivation depuis le début
des années quatre vingt dix 3% de la rente redistribuée aux Etats
fédérés, peuvent ainsi bénéficier de 13 % de
celle-ci depuis l'an 2000. Le principe de dichotomie, quant à lui, a
été aboli en 2004 par le président Olosegun
OBASANJO.
La gestion du pétrole au Nigéria est alors
éminemment politique. L'égalité entre les Etats
recherchée par les autorités politiques fédérales,
à travers les modifications successives des principes de
l'allocation fédérale statutaire, cache en effet de
nombreuses considérations géopolitiques. Il faut, cependant,
souligner que la gestion de la rente pétrolière a varié
selon l'ouverture ou la fermeture du régime politique. Les gouvernements
militaires successifs, qu'a connus le pays au cours de son histoire, sont
passés maîtres dans l'art de faire de l'opacité et de la
subjectivité des règles de gestion, dans l'univers
pétrolier.
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