Noah Noah Fabrice, Science po 5, Université de
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Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
INTRODUCTION:
I- PRESENTATION DU SUJET :
Le pétrole n'a pas toujours été, comme il
l'est aujourd'hui, une ressource naturelle convoitée. Il a même
constitué une cause de désenchantement pour nombres
d'investisseurs à la recherche de la fortune, aux premières
heures de son exploitation industrielle.1 C'est avec John
Rockefeller et la Standard oil of New Jersey, que cette source
énergétique sera facilement associée à la
sécurité et à la prospérité.2 A
l'occasion de plusieurs conflits armés, son rôle essentiel dans
les efforts de guerre des belligérants, lui a conféré le
statut d'énergie stratégique. George Clémenceau
déclare même qu'en 1918, la victoire des alliés a
«vogué sur un océan de trole ».3 De
même, le rôle essentiel qu'il a joué pendant la seconde
guerre mondiale sur terre, dans les airs et sur mer, a renforcé ce
statut et l'impression qu'il n'est vraiment pas une énergie comme les
autres. 4
L'histoire des pays producteurs de pétrole nous
démontre qu'il ne saurait à lui seul en déterminer le
destin. Si pour certains le pétrole n'échappe pas à la
logique qui veut que les ressources naturelles constituent une «
malédiction » pour les pays qui en possèdent5,
les exemples de la Norvège, des Etats-Unis ou même de la Russie,
apparaissent comme la preuve de la possibilité de bâtir
prospérité et puissance sur le pétrole. Il semble
qu'au-delà de sa simple possession, des politiques de gestion
efficientes soient des gages d'une économie dynamique.6
En effet, le caractère épuisable et surtout rare
du pétrole, fait qu'il est l'objet de conflits constants. De nombreuses
guerres ont été déclenchées pour le contrôle
de quelques réserves, ou pour assurer à quelque puissance un
approvisionnement régulier malgré l'adoption par leurs
partenaires de mesures protectionnistes.7 L'issue de celles-ci est
souvent fonction de négociations où le grand vainqueur n'est pas
toujours celui qui possède du pétrole.8 Même en
l'absence de conflit militaire la situation de certains pays producteurs, plus
particulièrement en Afrique et au Moyen Orient, n'est pas exempte de
conflictualité. Les politiques de gestion, lorsqu'elles sont
jugées inefficaces par une partie de la population, peuvent en effet
constituer des sources
1- Pierre Noel, « les Etats Unis et le pétrole :
de Rockefeller à la guerre du Golfe », in Questions
internationales n° 2- juillet-aout 2003. P 31.
2 - idem.
3 - André NOUSCHI, Pétrole et relations
internationales depuis 1945, Armand colin, paris 1999. 4- Idem. P7.
5 - Il existe de nos jours, de nombreuses théories qui se
basent sur l'échec des politiques de développement basée
sur l'exploitation des ressources naturelles, au cours de l'histoire, ou sur le
destin tragique de plusieurs pays africains producteurs de pétrole pour
justifier une certaine « malédiction des ressources naturelles
». Celles-ci seraient à la base d'une crise économique
(Pays-Bas entre 1940 et 1950) ou de la prolifération des conflits
(Angola, Nigéria, Congo, etc.) rendant ainsi impossible un
développement par le pétrole.
6 - Ian GARRY et Terry LYNN Karl, Le fond du baril. Boom
pétrolier et pauvreté en Afrique, catholic relief services,
juin 2003.P 1.
7 - Les cas des différentes campagnes militaires
américaines dans le Golfe (1990 et 2003), des guerres du Biafra et au
Congo Brazzaville sont autant cas pratiques de ces situations.
8 - Nous pouvons citer à cet effet les cas des campagnes
américaines en Irak ou de l'OTAN en Libye en 2012.
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potentielles d'instabilité.9On assiste alors
à la naissance de mouvements de contestation populaire qui peuvent se
radicaliser, selon que les revendications qu'ils portent sont prises, ou non,
en considération par les autorités politiques.
Le Nigéria, premier producteur de pétrole
d'Afrique,10avec une production se classant au sein des pays de
l'OPEP directement derrière celles de l'Arabie Saoudite ; du Venezuela ;
de l'Iran et des Emirats Arabes Unis, 11est une illustration de la
vitalité du marché pétrolier dans le Golfe de
Guinée. Au fil des années, sa production est demeurée
relativement constante malgré une atmosphère sociale
exécrable dans le delta du Niger, principale région
pétrolière du pays. Cependant, il demeure un exemple du paradoxe
caractéristique des pays pétroliers africains où une
pauvreté extrême vient relativiser l'apport en matière de
développement et de puissance des richesses naturelles. Selon le
classement de l'Indice de développement humain du PNUD de
l'année 2005, ce pays se classe à la 158 e place
mondiale sur 177 pays.12 Cette situation n'a pas foncièrement
changée, au regard des chiffres du dernier rapport de la même
agence onusienne sur le développement en Afrique en 2012.13
En outre, la dangerosité de ses côtes et les nombreux coups de
force militaires qui jalonnent son histoire, font de lui un des pays les plus
instables du Golfe de Guinée. En effet, depuis le forage du premier
puits de pétrole dans le pays en 1956, par les compagnies British
Petroleum et Shell14, il a connu de nombreux
moments de tensions certes localisées, mais d'une violence
inouïe.15 Trois principaux facteurs favorisent la
résurgence d'évènements déstabilisants dans le pays
: la gestion de l'industrie pétrolière et des revenus qui en
découlent par les autorités politiques centrales et locales ;
l'attitude de prédation des acteurs transnationaux du secteur
pétrolier nigérian ; et les velléités autonomistes
et sécessionnistes de peuples autochtones des régions
productrices.
Au Nigéria, la gestion de l'industrie
pétrolière est dévolue, en priorité, aux
autorités politiques. En effet, selon la Land Use Act de 1978,
l'Etat est le propriétaire de la terre, ceci en dépit des
avantages dont pourraient se prévaloir les communautés locales en
matière de droit foncier. En vertu de ce statut, il procède
à l'exploitation des richesses naturelles dont recèlent les
régions du pays et en assure le partage des bénéfices
financiers à l'ensemble des Etats de la fédération. Dans
le domaine de l'exploitation pétrolière, par exemple, la rente
est redistribuée de manière à en faire profiter tous les
nigérians quelque soit le statut de producteur ou non de leur Etat.
Or,
9- cf. L'interview du leader du MEND, JOMO GBOMO paru dans la
brève du golfe de guinée, n° 002, oct. Nov.
Déc. 2010, p.28.
10 - Cf. annexe n° 8
11- Ian Garry et Terry LYNN Karl, le fond du baril. Boom
pétrolier et pauvreté en Afrique, catholic relief services,
juin 2003, p. 25.
12 - Voir Philippe Sébille Lopez, « les
hydrocarbures au Nigéria et la redistribution de la rente
pétrolière », in Afrique contemporaine, n°
216, avril 2004, p.
13 - Cf. PNUD, rapport sur le développement en Afrique
2012. Vers une sécurité alimentaire durable, PNUD 2012,
14 p.
14- Idem
15 - Voir Amnesty International, Nigéria :
pétrole, pauvreté et violence, éditions
françaises d'Amnesty Interna-tional, Aout 2006 ; voir aussi Laurent
FOUCHARD, « Violence et ordre politique au Nigéria », in
Politique africaine, « le Nigéria sous OBASANJO. Violences et
démocratie. » n° 106, Juin 2007, pp.5-28
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ce qui est souvent constaté, c'est que les dirigeants
politiques utilisent l'argent du pétrole pour se créer un cercle
d'obligés au niveau local, gracieusement entretenus à coup de
pétrodollars.16 La plupart des présidents
nigérians n'ont pas réussi à sortir leur pays de la
situation de rente dans laquelle il se trouve, et qui l'oblige à se
servir de l'argent du pétrole, pour des buts plus politiques
qu'économiques ou sociaux. De même, de nombreux membres des
niveaux inférieurs17 de gouvernement (Etats
fédérés, gouvernements locaux), dont la mission est de
rapprocher la décision politique des populations, sont souvent
accusés d'abuser de leurs positions de pouvoir pour s'enrichir
personnellement. L'argent, alloué par l'Etat ou même par les
multinationales pétrolières pour des projets de
développement, est en grande partie
détour-né18aggravant ainsi la pauvreté chez une
majorité de nigérians.
L'action des multinationales pétrolières
constitue la seconde cause potentielle d'insécurité.
Considérées par beaucoup comme des complices du pouvoir
politique, celles-ci n'ont pas bonne presse au sein des masses populaires.
Elles sont même souvent accusées de vouloir déstabiliser le
pays pour préserver leurs intérêts. Lors de la guerre du
Biafra (1967-1970), le groupe français ELF, avec la
bénédiction des autorités politiques françaises,
aurait par exemple armé les sécessionnistes et oeuvré,
ainsi, à la partition du pays.19 Plus significatif encore,
Loïk le Floch- Prigent, un ancien patron de la défunte
multinationale affirme que « Elf est mise en oeuvre pour fonctionner comme
une compagnie pétrolière [...] mais il s'agit également
d'un prolongement de l'Etat.20». Cette mauvaise image des
« majors » au Nigéria est aussi la conséquence de leurs
bénéfices annuels énormes ressentis comme une injustice
par les populations autochtones qui vivent, pour la plupart, dans la
pauvreté. De même, la pollution par le déversement
accidentel de pétrole, et par conséquent la destruction de
l'habitat et des moyens de subsistances des populations,21 est une
cause à la fois d'insécurité environnementale et de
mécontentement dans la population.
Le troisième et dernier facteur
d'insécurité vient des populations habitants les zones
d'exploitation. Celles-ci présentent leurs actes de rébellion au
pouvoir central, comme autant de cris d'exaspération contre les
politiques pétrolières mises en oeuvre depuis de nombreuses
années et considérées par elles comme injustes et
préda-trices.22Qu'il s'agisse des peuples Ogoni,
Ibo ou Ijaw, les revendications sont les mêmes :
décentralisation de la gestion du pétrole ; octroie en
priorité et en majorité des revenus du pétrole aux
populations des zones de production ; réparation des dé-
16- C'est l'occasion de citer ici l'exemple du docteur Peter
ODILI, ancien gouverneur l'état pétrolier de river qui
possédait 500 taxis ! (Cf. UKOHA UKIWO, « le Delta du Niger face
à la démocratie virtuelle du Nigéria » in
Politique Africaine, n°106, juin 2007.P 128-147.
17 - L'emploi de l'adjectif inférieur ici traduit, non
pas l'importance mineure des Etats fédérés et des
gouvernements locaux, mais la réalité fédérale qui
est caractérisée par une administration publique à
plusieurs niveaux.
18 - Idem
19 -François Xavier VERSHAVE, la françafrique.
Le plus long scandale de la république, éditions STOCK,
1998. P 141-145.
20 - LOIK le FLOCH- PRIGENT, Affaire Elf, Affaire d'Etat,
Gallimard, 2001.P 61.
21 -Cf. rapport d'Amnesty international cité par
Loïc KOKUVI MOSSI, covalence Analyst paper, impacts des mu l-tinationales
du pétrole sur l'économie du Nigéria.
22- Cf. L'interview de JOMO GBOMO citée plus haut.
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gâts causés par la pollution
pétrolière, etc.23Lorsque le pouvoir central
n'accède pas, ou de manière insuffisante, à ces demandes,
c'est par des actes aussi divers que la piraterie, le terrorisme ou même
par du vandalisme24que répondent les populations
autochtones.
L'importante production pétrolière du
Nigéria le place au centre de nombreuses convoitises de la part de pays
grands consommateurs de brut. Cette situation, qui est foncièrement
porteuse d'insécurité, vient s'ajouter au péril
causé par son environnement politique et social interne instable. C'est
alors à une situation, sinon inédite, au moins
particulière, que notre étude des enjeux
énergétiques et de l'insécurité au Ni-géria
nous permettra d'accéder.
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