LA CONTRIBUTION DU DROIT
INTERNATIONAL A L'EMERGENCE
DE L'ETAT DE DROIT
Par
Théodore C. LOKO
PLAN
Introduction
- Contexte de l'étude: Les défis qui menacent
l'humanité en matière de stratégies de pouvoir.
- Le concept d'Etat de droit comme solution dans les cadres
juridiques nationaux, et
- L'appréhension du phénomène par le droit
international avec une problématique particulière nourrie par
trois difficultés : le dualisme traditionnel entre l'Etat
et le droit (1), les relations entre le droit interne et le
droit international (2) et l'Etat de droit comme principe de
droit constitutionnel et comme processus inachevé (3).
- L'état des lieux aujourd'hui se doit d'être
mesuré à travers les approches et les ressources du droit
international.
Première partie: Les approches du droit
international
A/ Une approche graduelle et holistique
B/ Une approche à cheval entre l'universalisme et le
régionalisme Deuxième partie: Les ressources du
droit international
A/ La méthode de renvoi aux attentes dans la
rhétorique diplomatique B/ La consolidation du réalisme
juridique
Conclusion
Une synthèse en quatre leçons apprises.
INTRODUCTION
1/Contexte de l'étude:
Les défis qui menacent l'humanité de nos jours en
matière de stratégies de
pouvoir constituent le contexte d'une étude juridique qui
tente de saisir la
valeur ajoutée d'un `'droit international de l'Etat de
droit».
Depuis la prise de conscience collective sur le plan
planétaire dans les années 90
et face à de nombreux nouveaux défis, l'Etat est au
coeur d'incessantes
polémiques en ce début du XXIème
siècle.
L'Etat reste un lieu privilégié par le
déploiement de stratégies de pouvoir souvent
exacerbées et s'inspire de la regrettable mais durable
rupture entre ceux qui
gouvernent et ceux qui sont gouvernés.
Nous vivons pourtant l'âge du pouvoir
institutionnalisé introduisant une
dissociation entre la personne physique des gouvernants et le
concept abstrait
du pouvoir, ce saut qualitatif ayant permis l'émergence de
l'Etat.
Face donc à ces menaces, il devient impérieux de se
demander si une telle
évolution était inéluctable et s'interroger
dès lors sur la persistance de
pratiques ambigües couvertes par une commune
dénomination.
2/ Le concept d'Etat de droit comme solution dans les
cadres juridiques
nationaux
Comme solution à cette situation, le concept d'Etat de
droit a été forgé, dans
un premier temps, dans les cadres juridiques nationaux pour
justifier un
certain nombre d'évolutions relevant du droit
constitutionnel tout au long
du XXème siècle.
Ce concept comporte deux aspects:
- L'Etat de droit formel, où chacun, y compris l'Etat, est
soumis au droit;
- L'Etat de droit substantiel qui prend en compte des
impératifs de justice et
le respect des droits de l'homme.
3/ L'appréhension du phénomène par
le droit international
Dans un second temps, sur le plan international,
l'appréhension des relations de pouvoir par le droit international,
telle que signalée par les enseignements de la pratique, a aussi tenu
compte des impasses du formalisme pour entreprendre de réaliser son
dépassement.
En effet, à travers le caractère absolu de
l'autonomie de la volonté, le fondement du droit international
est associé à sa définition institutionnelle et sa force
obligatoire ne dépend nullement de la conformité de son contenu
à certaines exigences extérieures, de sorte que,
entre la forme et la matière, le positivisme volontariste choisit la
première, l'appréciation de la seconde devant demeurer
dans le domaine extra - juridique.
Les tendances actuelles du droit international vers le jugement
des valeurs intercalé entre le fait et la norme montrent
son orientation objectiviste. Le droit que DUGUIT qualifie
d'objectif est celui qui dérive des nécessités
sociales.
Plus aucun Etat ne prétend et nul ne saurait admettre
qu'un traité pourrait rendre licites des pratiques esclavagistes ou un
génocide. La notion de `'jus cogens» qui est la
timide transposition de celle d'ordre public dans la sphère
internationale est la traduction juridique de cette idée.
Toutefois, le droit n'ayant pas été à
l'avant-garde, il est significatif de faire remarquer que le terme
`'Etat de droit»
apparaît dans le dictionnaire du droit international de
Jean Salmon de 2001 et qu'il est absent dans celui de la
terminologie du droit international de Jules Basdevant de 1960
alors qu'on lit déjà à cette date dans la
Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948
`'qu'il est essentiel que les droits de l'homme soient
protégés par un régime de
droit.»D'où tout l'intérêt de faire la
traçabilité de ce concept en droit international en vue de savoir
d'où nous venons et où en sommes nous.
4/ La démarche
Dans cette veine, les résultats des travaux ont
révélé que la valeur ajoutée de
la contribution du droit international à
l'émergence de l'Etat de droit se
doit d'être mesurée à
travers les approches et les ressources du droit
international.
Ce qui explique que le présent exposé sera
articulé autour de deux points, à
savoir,
- Dans une première partie: Les
approches du droit international de l'Etat
de droit, et
- Dans une deuxième partie: Les
ressources du droit international de l'Etat
de droit
de droit
Les approches du droit international expriment ici la tendance
de
l'adaptabilité du droit international actuel face aux
défis de l'humanité qui
touchent tous les secteurs et impose du coup une approche
graduelle et
holistique avec une nécessaire articulation entre
l'universel et le régional
Donc :
A/ Une approche graduelle et holistique
B/ La nécessaire articulation entre l'universel
et le régionalisme
de droit (Suite)
A/ Une approche graduelle et holistique
Deux éléments fondamentaux permettent de mettre
l'accent sur l'approche graduelle et holistique, il s'agit de
l'élargissement du domaine normatif et opérationnel (1) et de
l'extension de la fonction protectrice du droit international (2).
1- L'élargissement du domaine normatif et
opérationnel
Trois exemples suffiront pour faire toucher du doigt cette
novation:
- Le premier: L'invocabilité des droits de l'homme
à travers la technique de l'individualisation de la norme
internationale et du développement progressif d'une jurisprudence
favorable à l'opposabilité à tous les Etats de quelques
normes internationales fondamentales.
- Le deuxième: L'élargissement du domaine
d'action du Conseil de sécurité qui englobe le
rétablissement de la paix (Angola, Mozambique, Bosnie
Herzégovine, Géorgie, etc.), la protection des
populations (Kurdes en Irak, Somalie, Libéria, Rwanda,
etc.), le rétablissement de la démocratie
(Haïti), la reconstruction de l'Etat (Cambodge,
Somalie).
- Le troisième: La concentration de l'aide au
développement sur les projets portant sur la bonne gouvernance
et qui visent par exemple la gestion du secteur public, les
réformes légales et judiciaires, etc.
I Une approche graduelle et holistique
(Suite)
A/ Une approche graduelle et holistique (Suite)
2- En ce qui concerne l'extension de la fonction
protectrice du droit international
Elle se réalise à travers une nouvelle forme de
responsabilité (la responsabilité de protéger) et la
justice pénale internationale.
- a/ La responsabilité de protéger
Elle est le fruit de la méfiance
généralement nourrie sur la scène internationale à
l'égard de l'intervention humanitaire. Elle reste en phase avec la
jurisprudence de la CIJ dans l'affaire du Détroit du Corfou
(1949), dans l'affaire des activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui ci ((1986) et dans
l'affaire relative à la licéité de
l'emploi de la force (1999). Déclinée de
manière précise dans le rapport Evans-Sahnoun, elle tourne autour
de deux propositions principales et d'une proposition complémentaire:
1 Les Etats ont la responsabilité de la protection des
personnes qu'ils tiennent sous leur juridiction, 2 En cas de
carence, d'autres Etats peuvent assurer cette protection en recourant à
l'intervention humanitaire lorsque certaines considérations humanitaires
sont en jeu. 3 Il est proposé que l'intervention
humanitaire fasse l'objet d'une codification.
- b/ La justice pénale internationale
Il est admis depuis longtemps que la répression des
crimes commis par les individus agents publics revêt une nature mixte,
à la fois nationale et internationale. Certaines juridictions
internationales ont pu être
cependant établies dans des situations où des
données politiques autorisaient un contournement du monopole de la
répression nationale . L'adoption du Statut de Rome le 17 juillet 1998
et son entrée en vigueur le 1er juillet 2002 ouvre avec la
Cour Pénale Internationale une nouvelle ère dans les relations
internationales en ce qui concerne les crimes contre l'humanité, les
crimes de guerre et le génocide.
I Les approches du droit international de
l'Etat
de droit (Suite)
B/ La nécessaire articulation entre
l'universalisme et le régionalisme
En matière d'Etat de droit, l'universalisme et le
régionalisme entretiennent des rapports complexes dans la mesure
où la pratique internationale met en place des systèmes à
la fois autonomes et complémentaires.
1- L'autonomie revêt plusieurs formes.
Elle est:
- Autonome dans l'interprétation des dispositions de
chaque institution, et
- Autonome dans la volonté de ne pas mélanger les
contrôles.
2- La complémentarité, quant à
elle, revêt aussi plusieurs formes.
- En tenant compte de la théorie de la
spécialité des compétences des organisations
internationales, on
peut affirmer que la diversité des systèmes
régionaux montre que leur addition est un élément
d'universalité et que la plupart des instruments régionaux font
référence aux instruments universels.
De façon plus précise,
- Par rapport à l'Etat de droit formel, l'influence de la
jurisprudence de la CPJI qui a assimilé l'Etat de droit
au principe de légalité dans l'affaire de
compatibilité de certains décrets lois dantzikois avec la
Constitution de la ville libre (1935) est toujours présente dans de
nombreuses organisations internationales;
- Par rapport à l'Etat de droit substantiel, la plupart
des instruments régionaux font référence à la
Charte
Internationale des Droits de l'Homme.
II Les ressources du droit international de
l'Etat
de droit
Les ressources du droit international sont à la fois
cadrées et diversifiées.
- Elles sont cadrées parce que la Charte des Nations
Unies en fixe les limites par
son article 2 par. 1er qui stipule que
`'L'Organisation est fondée sur le principe
de l'égalité souveraine de tous ses
Membres''.
- Elles sont diversifiées parce qu'en ce qui concerne les
rapports entre le droit
international et le droit interne, la solution au problème
des matières qui
doivent être réglées par l'un ou par l'autre,
ne s'exprime pas en termes
immuables et dépend du progrès du droit
international.
Ainsi donc, dans l'intervalle entre la cadrage et le
progrès diversifié, le génie
semble se réaliser à travers la philosophie de
l'histoire utilisant comme outils,
la consolidation du réalisme juridique et le renvoi aux
attentes dans la
rhétorique diplomatique.
Donc:
A/ Le renvoi aux attentes dans la rhétorique
diplomatique
B/ La consolidation du réalisme juridique
II Les ressources du droit international (Suite)
A/ Le renvoi aux attentes dans la rhétorique
diplomatique
La pratique des Etats et des organisations internationales
montre, à travers la rhetorique diplomatique, qu'il y a une preeminence
du droit international programmatoire (1), ce qui entraîne une difficile
emergence des principes generaux de droit (2).
1/ Une prééminence du droit international
programmatoire
Pour les constructivistes, la rhetorique diplomatique est une
variante pertinente dans les relations internationales . Ils postulent la force
factitive du discours et considèrent le langage comme une
actualisation des modes d'interaction constitutive. L'histoire
leur donne raison quand on se rappelle la force legitimante des discours
onusiens relatifs à la decolonisation ainsi que l'influence de l'Acte
final d'Helsinki dans les mouvements politiques de l'Europe de l'Est.
En matière d'Etat de droit, les Nations Unies adoptent
la perspective du droit international programmatoire. Ainsi en 2000, le
Soudan declare qu'il prepare le terrain à l'avènement de l'Etat
de droit. En 2002,
L'Ouzbekistan declare expressement qu'il s'efforce d'instaurer un
Etat de droit. En 2003, le Comite des droits de l'homme note les efforts faits
par le Mali en vue d'instaurer un Etat de droit. En 2004, le Tadjikistan
declare qu'il s'est fixe comme objectif de faire regner l'Etat de droit.
II Les ressources du droit
international (SUITE)
A/ Le renvoi aux attentes dans la rhétorique
diplomatique
2/ Une difficile émergence des principes
généraux de droit
Après avoir dépouillé et comparé 175
constitutions à la recherche de
garanties constitutives d'Etat de droit en vue de dresser une
typologie des garanties les plus fréquemment
rencontrées et celles
souvent absentes (habeas corpus) ainsi que des conditions dont
elles étaient assorties, Jacques Yvan MORIN conclut dans
son cours
à l'académie du droit international que la
constitutionnalisation ne
suffit pas par elle-même à instaurer l'Etat de droit
surtout s'il
n'existe aucun moyen de contrôle extérieur sur
certains
comportements des Etats.
Au point où on en est à se demander si la
constitution ne risque pas de
devenir le commun où s'enracine l'expérience de la
production de
l'uniforme comme un double perverti de l'universel.
II Les ressources du droit international de
l'Etat
de droit (Suite)
B/ la consolidation du réalisme juridique
Le réalisme juridique prend le contre pied du
réalisme politique dont le scepticisme à
l'égard du droit international est bien connu. Il a deux
aspects fondamentaux, une
lecture plus relationnelle des phénomènes
internationaux (1) et une plaidoirie
pour un engagement plus poussé (2).
1/ Une lecture plus relationnelle des
phénomènes internationaux
L'heure est moins aux positions tranchées (droit/force)
qu'aux situations mêlées dans
lesquelles il faut négocier âprement, ce qui
réévalue le rôle des règles comme
cadre cognitif des acteurs. Si l'autorité du droit reste
toujours en question, son
effectivité ne se mesure plus seulement à sa force
obligatoire. Le Mécanisme
africain d'évaluation par les pairs (MAEP)
l'illustre fort bien.
2/ Une plaidoirie pour un engagement plus poussé
Le jeu en vaut la chandelle car plus le filet normatif se
resserre, plus les coûts de sortie
risquent d'être élevés.
Il s'agit donc de creuser patiemment dans la norme pour
accroître les opportunités
d'influence du droit.
EN GUISE DE CONCLUSION
1/ Le présent travail a mis en lumière
deux questions fondamentales :
- Par la traçabilité, il a précisé
les contours et le domaine d'application du
droit international en matière d'Etat de droit; et
- A travers une sommaire théorisation du droit, il a mis
l'accent sur une
certaine conception démocratique du droit international,
laquelle pourrait
s'analyser comme la voie vers le dépassement de l'inter
étatisme. Cela
pour dire que le dépassement du formalisme en droit
international
pourrait être une des voies d'accès au
dépassement de l'inter étatisme, ce
qui a commencé, comme l'affirme Olivier de
Frouville, depuis que `'le
monde des Etats s'est vu assiégé par
des individus qui contestaient aux
Etats la qualité exclusive de sujets de droit
international.» Cela, à ses yeux,
semble nous avoir tirés d'un rêve qui nous avait
plongé dans un pays
imaginaire et fait oublier que le seul sujet de droit est
l'individu.
CONCLUSION (SUITE)
2/ De manière concrète la contribution du
droit international à l'émergence
de l'Etat de droit a introduit un changement de paradigme
dans les
relations internationales
`'Le monde a pu fonctionner comme un navire dont on n'avait pas
à s'occuper.
Chacun gérait sa cabine sans se soucier de la
manière dont les autres
étaient tenues. Progressivement, des relations se sont
établies entre les
cabines et des règles ont facilité ces
échanges. Puis, face aux cris des
victimes d'exactions dans certaines des cabines, l'on a
introduit des règles
de bonne conduite que chacun devrait observer.
Les passagers se sont
même organisés en se donnant le droit
d'intervenir de force dans les
cabines qui menaçaient sérieusement la
tranquillité de la vie à bord.»Le nouveau paradigme est
ainsi devenu l'universalité partageable
fondée
davantage sur des modèles de comportement.
CONCLUSION (Suite)
3/ le droit international est donc désormais porteur
d'un projet politique
On y décèle une conception démocratique du
droit qui voit dans la
réglementation juridique le support d'un projet
politique et non plus
seulement le résultat d'un rapport de
force.
Or, ainsi qu'il vient d'être démontré, cette
conception est dores et déjà présente
dans les institutions juridiques internationales.
En effet, il y est reconnu :
- que le droit est sécurité et
stabilisation des attentes des partenaires sociaux;
- que l'Etat est l'aboutissement d'une
conception évolutive du pouvoir; et
- que le degré variable des prises de conscience
collective n'explique que la
diversité des réalisations étatiques dans le
temps et dans l'espace.
Il est donc reconnu qu'un Etat de droit qui
laisse la porte ouverte à l'arbitraire du
pouvoir n'est qu'une contradiction dans les termes et dans les
pratiques.
CONCLUSION (SUITE)
.../...," `.../...,.. "I
4/ Il découle de tout ce qui précède
qu'en droit international, l'Etat ne peut plus rester une aventure
incertaine
- Selon la definition `'traditionnelle» comme la qualifie
Michel Virally, le droit international public est le droit des
relations internationales, conçues comme se confondant avec les
relations inter etatiques, ou le droit de la societe internationale, consideree
elle-même comme ne se distinguant pas de la societe des Etats.
- En apprehendant l'Etat de droit et donc les relations de
pouvoir à l'interieur de l'Etat, le droit international influence
desormais l'interaction entre politique internationale et politique interne,
même si les variables restent dependantes du genie de chaque peuple.
- Il y a donc lieu de retenir que l'esprit du monde, tel qu'il
evolue à travers l'histoire, donne une preeminence à l'approche
contractualiste du pouvoir, imposant que dès lors qu'en droit interne,
les citoyens font l'option d'entrer dans l'état civil,
c'est-à-dire dans l'univers de la coexistence des libertes et d'exigence
de la legitimite, le droit international ne tolère plus que les
gouvernants, eux, optent pour l'état de nature,
c'est-à-dire l'univers des empiètements exacerbes, donnant ainsi
la chance à Antigone d'avoir raison du Roi Creon.
- Ne voilà t-il pas enfin un droit international qui fait
la synthèse de `'l'imperatif categorique» de Kant
et de l'esprit du monde (der `'Weltgeist» ) de
Hegel?
`'Agis de telle sorte /que tu puisses également
vouloir /que ta maxime devienne /une loi/ universelle» (Voir
notion d'Universalite partageable/Jacques Yvan MORIN)
Je vous remercie.
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