CONCLUSIONS.
Tout au long de notre étude, nous avons approché
quelques aspects de la vie politique, religieuse et quotidienne des campagnes
du diocèse de Liège par le biais du décanat rural, une
institution qui ne nous était connue que par diverses monographies
isolées. Nous avons tenté d'en démontrer
l'originalité et l'importance pour le Moyen Âge et le début
de l'époque moderne. Voici donc, rapidement brossés, les traits
saillants de notre exposé.
Le décanat rural apparaît à
l'époque carolingienne, probablement sous l'épiscopat de Francon
ou d'Etienne. Cette institution, inspirée de la règle d'Aix de
816, a pour but de réunir tous les curés d'un même district
sous l'égide d'un seul homme : le doyen rural, qui occupe une place
centrale dans la hiérarchie ecclésiastique
séculière, entre l'évêque et les curés. Il
est aussi, à l'origine un agent fiscal de l'évêque. Telles
sont les conclusions que nous pouvons tirer des Virtutes Sancti Eugenii, texte
daté du début du Xe siècle, dans lequel apparaît le
premier doyen connu. Durant les Xe et XIe siècles, les archidiacres
acquièrent plus d'importance. De simples vicaires de
l'évêque, ils se placent à la tête de
circonscriptions géographiques regroupant plusieurs doyennés. Les
doyens ruraux, ainsi médiatisés, conservent tout de même
des rapports directs avec le prélat, notamment en matière
fiscale.
Traditionnellement, la nomination du doyen rural dépend
quasi uniquement des prêtres du concile. L'archidiacre en est tenu
éloigné ; l'évêque ou le pape n'y interviennent que
pour la confirmer. A partir du milieu du XIIe siècle, les conditions
d'éligibilité se précisent : toute personne
âgée de vingt-cinq ans au moins et étant sur le point de
devenir prêtre dans l'année peut briguer cet office. Toutefois,
nous constatons la présence d'un certain nombre de lois tacites,
respectées par l'ensemble des conciles : tout candidat au décanat
doit desservir une paroisse du district qu'il souhaite administrer et doit
faire preuve de certaines aptitudes intellectuelles. Le coût de
l'élection peut, lui aussi, être défini comme un
critère important de sélection. Dans certains districts, les
électeurs privilégient les prêtres d'une paroisse ou d'un
chapitre déterminés par la coutume. Si le scrutin ne permet pas
de départager deux candidats, le président de l'assemblée
a recours au compromis, en choisissant deux arbitres parmi les
électeurs. Pour éviter la procédure traditionnelle, le
postulant peut avoir recours à la nomination par provision apostolique.
La charge décanale est inamovible.
Le chapitre relatif à la condition sociale des doyens
ruraux nous a permis de découvrir un groupe d'hommes aux modes de vie
très différents, selon qu'il s'agit de nobles, de clercs
passés maîtres dans l'art de cumuler les bénéfices
ou de simples prêtres de campagne. Hormis ces quelques
considérations, leurs émoluments varient dans des proportions
considérables selon deux paramètres : le revenu minimum,
apparemment différent pour chaque district et un certain nombre
d'événements de nature exceptionnelle, comme le
décès des nobles, des prêtres et des gens de basse
condition, l'institution de nouveaux curés dans les quarteschapelles,
les amendes perçues lors des synodes paroissiaux et les activités
en matière de juridiction gracieuse et contentieuse. En
général, les doyens proviennent de la région linguistique
à laquelle appartient le concile car leur mission nécessite la
connaissance des idiomes locaux.
La première obligation du doyen rural consiste à
assister aux synodes généraux afin de pouvoir expliquer à
tous les prêtres de son district les tenants et les aboutissants de
chaque mesure prise par l'évêque. Il doit aussi rendre la justice,
pour les causes mineures, lors des synodes paroissiaux et dénoncer
publiquement les usuriers et les faussaires. Si les doyens ruraux ont le droit
d'infliger des amendes à ceux qui enfreignent les lois et d'obliger
ceux-ci à effectuer un pèlerinage proportionnel à la
gravité de leur méfait, ils ne peuvent prononcer eux-mêmes
des sentences d'excommunication, d'interdit ou de suspense. Pour cela, ils
doivent s'en remettre à l'officialité
archidiaconale ou épiscopale. Néanmoins, il leur
est demandé de tenter de ramener les excommuniés sur le droit
chemin par la cérémonie symbolique des aggraves ou
rénovations. Véritables oculi episcopi, les doyens savent, en
principe, tout ce qui se passe dans leur doyenné. Les archidiacres leur
délèguent habituellement le droit de visiter les églises
entières et médianes. Ce droit, les doyens le possèdent
ordinairement pour les quartes-chapelles, sur lesquelles ils détiennent
des droits archidiaconaux. Ils enregistrent tous les déplacements de
leurs subordonnés et ils s'enquièrent, en outre, de tenir
à jour un registre consignant leurs absences. Ils doivent aussi
célébrer les jubilés et procéder aux
funérailles des prêtres, des nobles, des comédiens, des
prostituées, des vagabonds et des lépreux qui meurent dans leur
district. Ces derniers, qui jouissent d'un statut particulier aux yeux de
l'Eglise, sont placés, tout au long de leur existence, sous la
protection des doyens. Les cérémonies religieuses relatives au
passage d'un homme dans le monde de la lèpre, qui préfigure
l'au-delà, par leur symbolisme, nous ont permis de mieux cerner les
mentalités de l'époque. Par ailleurs, nous nous
réjouirions de découvrir les résultats d'une recherche sur
le traitement de la lèpre dans le diocèse de Liège car les
travaux que nous avons dû utiliser sont assez anciens ou traitent de
sujets connexes, comme l'assistance aux pauvres.
En dehors de la distribution du saint chrême, le lundi
de Pâques, le concile de chrétienté se réunit, au
maximum quatre fois par an, selon les traditions en vigueur dans chaque
district. Il statue sur tous les conflits ayant rapport aux droits et devoirs
des décimateurs, des mambours et des paroissiens, essentiellement au
sujet de l'entretien des églises et des objets liturgiques. Ses
décisions se basent sur les coutumes et sont, le plus souvent,
consignées sous forme de lois dans des records.
A côté des tâches qui leur sont
imposées, les doyens ruraux sont parfois appelés à faire
partie d'un comité d'arbitrage, à dresser des actes que nous
qualifierions aujourd'hui de notariés et à y apposer leur sceau
afin de les authentifier.
Notons enfin que, pour accomplir tous ces travaux, les doyens
ont pris l'habitude de se faire seconder ou remplacer par des vice-doyens, qui
sont entièrement à leur charge et qui, de fait, sont assez mal
rémunérés.
En somme, nous espérons, par ce travail, avoir
contribué à mettre en lumière quelques aspects de la vie
d'hommes qui, ayant décidé de consacrer leur vie à leurs
convictions religieuses, se sont aussi impliqués, au quotidien, dans la
vie politique de leur région.
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