Vincent BASTIN
Contribution à l'histoire politique et
religieuse du monde rural.
Les Doyens ruraux dans le diocèse de
Liège au Moyen Âge.
Mémoire déposé pour l'obtention
du grade de licencié en histoire
Université de Liège Faculté de
philosophie et lettres Section des sciences historiques
Année académique 1999-2000
INTRODUCTION.
Si le décanat rural nous est relativement bien connu
pour l'époque moderne, de nombreuses lacunes apparaissent aux yeux des
historiens médiévistes que les institutions liégeoises
passionnent : ils devront, en effet, se contenter de quelques travaux
épars et souvent assez anciens. Par ailleurs, s'ils souhaitent
s'intéresser, par exemple, au statut social des doyens ou à
l'originalité du décanat dans le diocèse de Liège,
ils resteront désespérément sur leur faim car aucune
étude parue à ce jour ne traite de ces sujets. De plus, ces
différents ouvrages devraient être enrichis et
éventuellement confirmés par l'analyse et la confrontation de
très nombreuses sources récemment publiées ou
exhumées de leur dépôt d'archives.
C'est en 1863 que Malbrenne ouvre les portes de la recherche
sur le décanat rural, par une étude d'ensemble, en glanant le
maximum d'informations sur tous les pays et toutes les époques. Il
parvient ainsi à mettre en relief quelques traits saillants de cette
institution.1
Nous ne saurions ici souligner ni toute l'importance de
l'édition des sources, ni l'utilité considérable de
collections comme les Analectes pour servir à l'histoire
ecclésiastique de la Belgique qui, dès le premier volume, paru en
1864, consacrent quelques pages aux records décanaux.2 Les Analectes
vont faciliter le travail de nombreux historiens et, par la même
occasion, leur donner de nouvelles idées de recherche.
En 1875, Habets publie une monumentale histoire du
diocèse de Roermond. Les premières listes de doyens ruraux sont
dressées dans le volume consacré aux régions
septentrionales de l'évêché de Liège.
Le cadre géographique utilisé lors des
recherches se restreint encore par la suite. En 1883, le chanoine Roland
préfère concentrer ses investigations uniquement sur le
doyenné de Graide,4 ce qui lui permet de travailler son sujet
1. MALBRENNE, N.J.A., Des doyens et de leurs fonctions, dans
Revue catholique, t. 3, Louvain, 1863.
2. Records ecclésiastiques de la Belgique, dans A.H.E.B.,
t. 1, Louvain, 1864, pp 337 et suiv.
3. HABETS, J., Geschiedenis van het tegenwoordig bisdom
Roermond, t. 1, Roermond, 1875.
4. ROLAND, C.-G., le Doyenné de Graide, dans Annales de
la société archéologique de Namur, t. 16, 1883, pp.
454-468.
en profondeur. Il commence par se poser la question de
l'origine de ce concile, à laquelle il pense pouvoir répondre par
l'existence de la procession des croix banales. Ses idées, reprises,
développées et augmentées d'autres hypothèses par
Manfred Van Rey en 1981,5 cheminent jusqu'en 1986, date à laquelle Alain
Dierkens publie un article faisant table rase de toutes ces théories.6
De nouvelles explications sur l'origine du décanat rural, qui semblent
faire l'unanimité, ont été publiées cette
année même par l'abbé André Deblon.7 Outre ces
considérations , le chanoine Roland envisage aussi l'aspect
géographique du concile et une liste sommaire des doyens qui l'ont
dirigé.
Le dossier des doyens ruraux dans le diocèse de
Liège est repris, en 1895, par l'abbé Ceyssens,8 à la
suite de la découverte de la copie d'un livre manuscrit,
rédigé en 1516 par un doyen de Beringen, Henri Van der Scaeft.
Nous en reparlerons ultérieurement.
La vie de saint Walhère, doyen de Florennes,
intéresse hagiographes et historiens depuis la fin du XVIe
siècle. En 1879, quand les Analectes publient un document de 1190,
mettant en cause un certain Walter, doyen de ce même concile, bon nombre
d'amateurs d'histoire ecclésiastique pensent détenir la preuve
que saint Walhère a bel et bien vécu à la fin du XIIe
siècle.9 Cependant, en 1912, Jules Feller démontre
l'hétérogénéité des prénoms Walherus
et Walterus.10 S'en suit une controverse qui va passionner plusieurs
générations d'historiens qui, dans le but de développer
leur argumentation sur la vie du saint, seront amenés à
s'intéresser à l'ensemble du décanat rural.11
5. VAN REY, M., les Divisions politiques et
ecclésiastiques de l'ancien diocèse de Liège au Haut Moyen
Âge, dans le Moyen Âge, t. 87, Bruxelles, 1971, pp. 161- 206.VAN
REY, M., Die Lütticher Gaue Condroz und Ardennen im Frühmittelalter.
Untersuchung zur Pfarrorganisation, Bonn, 1977.
6. DIERKENS, A., la Création des doyennés et des
archidiaconés dans l'ancien diocèse de Liège (début
du Xe siècle?), dans le Moyen Âge, t. 92, Bruxelles, 1986, pp.
345-365.
7. DEBLON, A., les Origines des doyennés ruraux dans le
diocèse de Liège, dans le Moyen Âge, t. 105, Bruxelles,
1999.
8. CEYSSENS, J., les Doyens ruraux dans l'ancien diocèse
de Liège, dans Bulletin de la société d'art et d'histoire
du diocèse de Liège, Liège, 1895, pp. 159-224.
9. Documents concernant les paroisses de Waulsort et
d'Hastière, dans A.H.E.B., t. 16, p. 43.
10. FELLER, J., le Nom de saint Walhère, dans Wallonia,
t. 20, Liège, 1912, pp. 326-328.
11. V. annexe 3.
Les études qui ont été publiées
par la suite sont toutes centrées sur un seul aspect de l'institution :
outre les thèmes évoqués en 1883 par le chanoine Roland,
citons l'élection des doyens,12 les actes dressés par ceux-ci,13
les synodes paroissiaux14 et les conciles décanaux.15 La plupart des
listes de doyens, quant à elles, se concentrent sur un endroit ou une
période donnée. Elles présentent, en outre, bon nombre
d'imprécisions. Par cette étude d'ensemble, nous espérons
donc pouvoir remédier à ces différentes lacunes, tout en
étant conscients que la quantité des sources est telle que de
nouvelles mentions de doyens pourront toujours être
découvertes.
Le premier doyen rural connu apparaît dans une source
hagiographique, en même temps que le premier archidiacre. Ce document,
intitulé Virtutes sancti Eugenii, a été
rédigé au début du Xe siècle, sous
l'épiscopat d'Etienne (903-920). Son interprétation, assez
délicate, a déjà fait l'objet de plusieurs travaux parfois
fort controversés.16
Les statuts synodaux liégeois constituent une des
sources essentielles de notre travail. Les droits et devoirs de chaque clerc y
sont réglementés avec le maximum de précision et de
clarté. Un intérêt tout particulier a été
apporté à l'étude des statuts de l'évêque
Jean de Flandre, où un chapitre entier a été
réservé aux archidiacres et aux doyens ruraux.17
12. TOUSSAINT, F., Election et sortie de charge des doyens
ruraux dans les diocèses de Liège et de Cambrai, dans Revue
d'histoire ecclésiastique, t. 42, Louvain, 1947, pp. 50-80.
13. NELIS, H., les Doyens de chrétienté, dans
R.B.P.H., t. 3, Bruxelles, 1924, pp. 59-73, 251-278, 509-525 et 821-840.
14. TOUSSAINT, F., les Doyens ruraux et les assemblées
synodales aux anciens diocèses de Liège et de Cambrai, dans
Miscellanea moralia in honorem Eximii Domini Arthur Janssen, Louvain et
Gembloux, 1948, pp. 665-659.
15. WAGNON, H., les Records ecclésiastiques des
assemblées décanales de l'ancien diocèse de Liège,
dans Monumenta iuris canonici, série C, Subsidia, vol. 1, proceedings of
the Second International Congress of Medieval Canon Law, Vatican, 1964, pp.
473-483.
16. Virtutes S. Eugenii apud Bronium, éd. MISONNE, D.,
dans les Miracles de saint Eugène à Brogne. Etude
littéraire et historique. Nouvelle édition, dans Revue
bénédictine, t. 76, Maredsous, 1966, pp. 231-291.
17. AVRIL, J., les Statuts synodaux de Jean de Flandre,
évêque de Liège (1288), dans B.S.A.H.L., t. 61,
Liège, 1995, pp. 3-228.
En 1516, le doyen de Beringen, Henri Hoegloen ou Van der
Scaeft, écrit un livre sur les doyens de concile, le Registrum sive
Repertorium speculum seu Instrumentum jurium proventuum et emolumentorum decani
christianitatis sive archipresbyteri concilii Beringensis Leodiensis diocesis
et archidiaconatus Campiniae. Dans la première partie de ce registre, il
décrit différents aspects de la fonction décanale. Dans la
seconde sont consignés quelques modèles de lettres ainsi que des
mandements archidiaconaux et épiscopaux où il est question des
droits décanaux. Cet ouvrage ne sera jamais publié. Cependant, il
ne tombe pas dans l'oubli car, à partir de 1547, le vice-doyen Jean
Dompens, un des successeurs de Van der Scaeft, entreprend de le
compléter. Depuis, la plupart des doyens de Beringen y ont ajouté
leur touche personnelle.18
Au début du XVIIe siècle, le doyen Georges
Spierinx fait exécuter des copies du Registrum par des notaires
apostoliques. Deux d'entre elles sont aujourd'hui conservées. La
première date de 160119 et la seconde de 1611.20 Après cette
date, nous perdons toute trace du manuscrit original de Van der Scaeft.
En 1789, Paul-Léonard Tielens, lui aussi doyen de
Beringen, décide de se démettre de ses fonctions.21 Il transmet
alors probablement la copie de 1601 à son successeur,22 puis il se
retire dans le couvent des soeurs franciscaines de Peer avec, dans ses bagages,
la copie de 1611 et le registre de Dompens.23 A sa mort, les religieuses
prennent possession des biens du doyen. Ne sachant que faire de ces deux
volumes, elles décident de les ranger dans leur grenier.
18. Archives de l'Etat à Hasselt (=A.E.Ht.), Registrum
compositionum et caeterum jurium concilii Beringensis cum aliquot
institutionibus 1547-1579.
19. A.E.Ht, Registrum sive Repertorium speculum seu
Instrumentum jurium proventuum et emolumentorum decani christianitatis sive
archipresbyteri concilii Beringensis Leodiensis diocesis et archidiaconatus
Campiniae I (=Registrum I)
20. A.E.Ht, Registrum sive Repertorium speculum seu
Instrumentum jurium proventuum et emolumentorum decani christianitatis sive
archipresbyteri concilii Beringensis Leodiensis diocesis et archidiaconatus
Campiniae II, (=Registrum II).
21. ROBYNS, O., Het Landdekanat Beringen en zijne dekens, dans
Limburg, t. 6, Hasselt-Maaseik, 1925, p. 53.
22. A.E.Ht, ibid., Registrum I . Nous avons retrouvé,
entre le f° 85 et le f° 86, une lettre de 1792
adressée au doyen de l'époque.
23. CEYSSENS, J., Ibid., p. 163.
C'est à cet endroit que les deux registres ont
été découverts, à la fin du XIe siècle.
L'abbé Ceyssens les a alors étudiés et en a publié
certaines parties.24 En 1925, Robyns les utilise pour établir la liste
des doyens du concile de Beringen.25
Les soeurs franciscaines de Peer décident alors
d'envoyer toutes leurs archives au dépôt de Hasselt. Or, cette
démarche a déjà été effectuée par le
prêtre du doyenné de Beringen qui détenait la copie de
1601. Le conservateur décide alors de classer le registre de Dompens et
le manuscrit de 1611 avec celui de 1601, dans les archives de Beringen. A notre
connaissance, ces documents n'ont plus été analysés depuis
1925.
Henri Van der Scaeft a défendu à quiconque de
modifier le contenu de son ouvrage.26 Sa volonté a été
assez bien respectée puisque les deux manuscrits ne présentent
que des différences mineures. La copie de 1601 a été
réalisée sous la direction de maître Cillen27 ; celle de
1611, sous la responsabilité du notaire apostolique Christian Servais.28
Néanmoins, en comparant les deux, nous avons pu constater que certains
de leurs copistes ont parfois été quelque peu négligents
sur les détails. Par exemple, ils n'ont pas toujours pris la peine de
recopier les prières et les chants religieux.29
Parmi les autres sources utilisées figurent
essentiellement des actes où les doyens ruraux apparaissent, le plus
souvent, à titre de témoins, mais aussi, parfois, à titre
d'arbitres. Les décisions des conciles décanaux, basées
sur des coutumes, sont consignées dans des records et prennent ainsi
forme de lois. Durant tout le Moyen Âge, l'établissement de ce
type de document constitue une des principales caractéristiques du
décanat rural.
24. CEYSSENS, J., Ibid., p. 163.
25. ROBYNS, O., Ibid., pp. 49-54.
26. Registrum I, f° 240. Registrum II,
f° 144 v°.
27. Registrum I, f° 21. L'écriture est
particulièrement difficile à déchiffrer car le document a
été recopié très rapidement. Plusieurs scribes y
ont travaillé. Leurs abréviations sont excessivement nombreuses
et peu conventionnelles.
28. Registrum II, f° 180. Un effort de
lisibilité a été consenti. La majeure partie du manuscrit
a été retranscrite par le même scribe.
29. Contrairement à la copie de 1611, celle de 1601
comprend, par exemple, des partitions de musique avec des chants religieux
(Registrum I, f° 68-70).
De nombreux renseignements sur la situation du postulant et
sur le mode d'élection ont aussi été puisés dans
les suppliques. Ces informations peuvent aussi être tirées des
formulaires de l'officialité épiscopale.26 Il serait fastidieux
d'énumérer et de décrire ici tous ces documents, mais nous
le ferons au cours de notre exposé.
Nous ne manquerons pas non plus de souligner
l'intérêt des documents nécrologiques et
généalogiques, qui fournissent souvent des renseignements
remarquables sur la vie et l'origine sociale des personnages
étudiés. Les sources figurées, elles aussi, sont d'une
importance capitale, bien qu'elles soient trop rarement utilisées par
l'historien.
Les limites chronologiques que nous nous sommes
imposées pour cet ouvrage ne surprendront pas les personnes qui
s'intéressent à l'histoire liégeoise. De l'époque
carolingienne, époque de l'apparition des doyens ruraux, nous
rejoindrons le milieu du XVIe siècle et, plus précisément,
la date de 1559, qui consacre le démembrement du diocèse de
Liège. C'est aussi l'époque du concile de Trente (1545-1563), qui
réforme en profondeur la discipline ecclésiastique et qui annonce
le déclin du décanat rural. Bien sûr, nous envisagerons, au
cours du premier chapitre, de situer la naissance du décanat rural dans
l'évolution du christianisme dans le bassin mosan, afin de mieux cerner
le contexte dans lequel cette institution a vu le jour.
26. La partie de ce formulaire consacrée aux doyens
ruraux a été éditée par LAENEN, J., Notes sur
l'organisation ecclésiastique du Brabant à l'époque de
l'érection des nouveaux évêchés, dans A.A.R.A., t.
56, Bruxelles, 1904, pp. 176- 179. Nous démontrerons, au cours du
chapitre II, relatif aux élections, qu'il s'agit d'une charte
modèle qui compile des formules puisées dans plusieurs autres
documents.
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