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Lee Konitz, l'art de l'improvisation

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par Yvonnick PRENE
Université Paris IV Sorbonne - Master 2 Musique et Musicologie  2011
  

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Université Paris-Sorbonne

LEE KONITZ, L'ART DE L'IMPROVISATION

Yvonnick Prené

Mémoire de master 2, musique et musicologie

Sous la direction de Laurent Cugny

2011

Sommaire

Sommaire ............................................................................................................................................. ...3

Introduction .............................................................................................................................. 5

Chapitre 1................................................................................................................................. ..15

Le parcours musical de Lee Konitz : réinterrogation de quelques mythes ....... 15

1.1 Lester Young ............................................................................................................................... 15

1.2 Charlie Parker ............................................................................................................................ 26

1.3 Lennie Tristano .......................................................................................................................... 39

1.4 Les débuts dans les grandes formations de jazz ............................................................ 57

1.5 Bilan et perspectives ................................................................................................................ 70

Chapitre 2................................................................................................................................. .73

Analyse de deux improvisations sur « All the Things You Are » ........................... 73

2.1 Origine de « All the Things You Are » ................................................................................. 75

2.2 Analyse de la première version d'« All the Things You Are » .................................... 77

2.3 Analyse de la deuxième version d'« All the Things You Are » ................................... 86

CONCLUSION .........................................................................................................................101

Bibliographie ................................................................................................................................... 107

Table des exemples musicaux ................................................................................................... 113

Discographie sélective de Lee Konitz ...................................................................................... 115

Index des noms propres................................................................................................................ 120

.

Table des matières ......................................................................................................................... 123

Introduction

L'idée de ce mémoire est apparue au cours de leçons privées avec le saxophoniste de jazz, Lee Konitz (1927). Musicien d'exception et pédagogue octogénaire, Konitz poursuit une carrière exceptionnelle et enseigne depuis un demi-siècle l'art de l'improvisation aux instrumentistes ou vocalistes de tous niveaux. Entre septembre et décembre 2009, j'ai pu observer à son contact sa discipline et apprécier son franc-parler. Il fut un mentor et une source d'inspiration intarissable Au fil des rencontres à son appartement situé dans le nord-ouest de Manhattan, m'est venue l'envie de comprendre davantage son art de l'improvisation, à la fois en tant que chercheur et en tant que musicien.

Ce mémoire est également le prolongement de mon Master 1, consacré à un autre maître de l'improvisation, Warne Marsh (1927-1987), saxophoniste ténor inspiré et à mon sens très sous-estimé et peu reconnu par l'historiographie du jazz. À l'opposé de Konitz, Marsh n'enregistrera que très peu, le plus souvent sur des labels obscurs. On le connaît principalement pour sa participation au groupe Super Sax dans les années 1970. Élève et membre du quintette de Lennie Tristano aux côtés de Konitz, Marsh partageait avec ce dernier une même dévotion pour la maitrise de l'improvisation jazz. En outre il fut un élève studieux de Lennie Tristano avec qui il étudia des conceptions mélodiques et rythmiques complexes, à l'avant-garde du be-bop.

À écouter Konitz improviser sur scène au Village Vanguard ou au Jazz Standards, je n'ai pu m'empêcher de remarquer à quel point sa musique avait changé depuis sa présence dans le combo de Lennie Tristano. Ses longues mélodies inspirées de Lester Young se sont simplifiées. Son jeu est désormais décanté, filtré pour ne laisser que l'essentiel. C'est un exemple de pure improvisation dans le cadre tonal issu de la tradition du jazz américain. Peut-on rattacher son style à un mouvement particulier de l'histoire du jazz ? À supposer que Lee Konitz joue dans le style cool durant les années 1950, peut-on en dire autant des années 2000 ? Au cours de sa carrière que l'on peut faire débuter en 1947, il s'attacha à développer au jour le jour des idées originales, à partir du cadre traditionnel des standards de jazz utilisés par les musiciens depuis les années 1930.

C'est à partir d'un matériel limité, une vingtaine de standards, augmentés des thèmes reposant sur des progressions harmoniques familières et une poignée de compositions originales que Konitz a développé son l'art de l'improvisation. C'est alors qu'apparaît la question à laquelle le développement qui suit tentera d'apporter des éléments de réponse: peut-on parler d'un style tardif dans le cas de Lee Konitz ? Autrement dit, la réflexion doit permettre de comprendre l'émergence d'un nouveau style qui couronne soixante ans de recherche musicale.

Cette étude se focalisera sur des improvisations sélectionnées de Konitz. Deux de ses solos seront minutieusement analysés, tous provenant du célèbre standard « All the Things You Are » composé par Jerome Kern et dont l'auteur des paroles est Oscar Hammerstein II. Ces analyses montreront l'évolution de Konitz comme improvisateur en commençant avec sa performance au Confucius Restaurant dans le quartette de Lennie Tristano en 1954, puis avec une récente interprétation de ce standard en quartette au Village Vanguard en 2009, qui provient d'un enregistrement officieux. Aussi mes recherches tenteront d'établir la genèse de son style. Moins spectaculaires que celles de Charlie Parker, John Coltrane ou Ornette Coleman, les innovations de Konitz apportèrent une contribution non moins importante à l'histoire du jazz. Dernier illustre représentant de la génération du jazz moderne nous verrons ainsi en quoi il contribua de manière unique à prolonger les découvertes du be-bop.

Afin de répondre à la problématique, le champ de la réflexion doit s'élargir et prendre en considération des éléments extra-musicaux. Nous élargirons l'étude aux dimensions historiques, sociologiques et biographiques, englobant la formation et le parcours professionnel de Lee Konitz. De plus, nous tenterons d'établir les caractéristiques stylistiques de Konitz dans la première partie de sa carrière, ses relations avec les mondes du be-bop et du cool requérant donc une prise en compte des enregistrements du saxophoniste, de ses influences mais aussi d'éléments de sa biographie.

Dans la première partie de mon exposé je tâcherai de rendre compte de son parcours. Une première sous-partie sera consacrée au développement du jeune Konitz. Je montrerai clairement les influences qui ont façonné sa personnalité musicale telles que Louis Armstrong, Lester Young, Lennie Tristano et Charlie Parker. Ces analyses tenteront de réunir plusieurs remarques afin de trouver un système cohérent de critères permettant de comprendre comment s'est forgé le

style de Lee Konitz. Ensuite, il me semble nécessaire de questionner certaines des idées fausses qui circulent depuis des décennies dans la littérature jazzistique. Nous isolerons l'une de ces idées et tâcherons de l'éclaircir. Au fil de mes recherches j'ai constaté que l'on considéra à tort Lee Konitz comme un saxophoniste cool ce qui dénotait souvent sous la plume des critiques, un aspect négatif. Certains journalistes et critiques musicaux qualifiaient son jeu de froid et cérébral. De plus il a été admis que Konitz et plus largement les musiciens associés au clan Tristano ne savaient pas jouer le blues, ni ne pouvaient swinguer. Tout d'abord nous tenterons de réévaluer l'opposition entre cool et be-bop en redéfinissant ces mouvements puis nous testerons la véracité de ces mythes. La suite de cette première partie sera dédiée aux étapes du parcours de Konitz, principalement les premiers orchestres, au côté de Claude Thornhill, le Nonette de Miles Davis, l'orchestre de Stan Kenton et sa carrière solo.

Au cours de la seconde partie, je m'emploierai donc à analyser trois solos de Lee Konitz sur « All the Things You Are ». Les improvisations ont été choisies dans différentes époques de sa carrière et révéleront les évolutions successives du jeu de Konitz improvisateur. Nous pourrons constater les éléments de maturation de son style au fur et à mesure de l'étude. La réflexion sera donc chronologique. Il convient de s'attarder sur la méthode qui sera employée dans le développement. Afin de pouvoir apporter des éléments de réponse au problème tel qu'il a été posé, la méthode qui paraît la plus appropriée consiste à analyser les improvisations de Konitz. En revanche, ce type d'analyse pose une difficulté, car l'improvisation n'est pas, par définition, notée. De plus, aucune des improvisations enregistrées à ces diverses périodes par le saxophoniste n'a encore fait l'objet d'une publication. La première étape du travail consiste donc à transcrire ces improvisations, d'une part, mais aussi les différentes interprétations du thème, car la façon dont il est joué peut contribuer à une réflexion stylistique. En analysant le matériel d'un point de vue pratique, c'est-à-dire à travers le prisme de l'improvisateur, je me suis efforcé de puiser des éléments utiles à la fois au chercheur et au musicien. Toutes les transcriptions analysées ou citées ont été réalisées par moi-même au cours de mes recherches. Afin d'acquérir une connaissance approfondie de la musique étudiée, je me suis appliqué à chanter avec le disque la majeure partie des solos discutés. Je procède donc en premier lieu à une écoute active en

chantant avec l'improvisateur, puis je mémorise et joue le solo avec mon instrument en tâchant de reproduire le plus fidèlement les nuances du solos. Enfin, après transcription du solo sur papier, je me consacre à son analyse mélodique, rythmique et harmonique. Le dossier final sera rendu avec un enregistrement audio personnel dans lequel j'interpréterai plusieurs morceaux de mon choix dans l'esprit de Lee Konitz. De plus, la dernière analyse sera l'occasion d'évaluer ou non l'existence d'un style tardif de Lee Konitz selon la définition de Joseph Strauss: « Le `'style tardif'' est une catégorie esthétique observable dans tous les arts. En musique, le style tardif d'un artiste est supposé avoir certaines qualités intrinsèques telles que l'intimité, la nostalgie, le fragment, la concision et est associé à plusieurs facteurs externes comme l'âge avancé du compositeur, une conscience de l'approche de la mort, le respect de ses prédécesseurs. Le style tardif est relié à la condition physique ou mentale de l'artiste: la plupart des compositeurs qui écrivent au cours de ce que l'on peut appeler leur style tardif ont partagé des expériences similaires de handicap physique ou mental. Ensuite, ils expriment leurs états à travers la

musique et le résultat est souvent lié à ce qui est généralement nommé style tardif. »1

Il convient d'ajouter, du point de vue méthodologique, qu'une analyse qui se donne pour objectif de situer une improvisation par rapport à un style donné, le be-bop et le cool en l'occurrence, ne peut être menée sans une étude préalable destinée à mettre en évidence les critères de distinction de ce style. Ces critères constituent par la suite une grille de lecture, et l'analyse se fera dès lors comparative, cherchera à mettre en évidence ce qui, dans le jeu, peut être rapproché de cette grille, et ce qui ne peut y être intégré. De plus, les éléments trouvés soutiendront mon désir de soulever certains présupposés sur l'improvisation en jazz. Par son exemple, Konitz nous montre qu'il est possible d'improviser réellement sans le secours de

schémas travaillés a priori ou de chemins préétablis. Pourtant, même si sa musique ne recouvre

1 STRAUSS, Joseph, Disability and Late Style in Music, Journal of Musicology, 2008, p3. «Late style» is a longstanding aesthetic category in all the arts. Late-style music is presumed to have certain internal qualities (such as fragmentation, intimacy, nostalgia, or concision) and to be associated with certain external factors (such as the age of the composer, his or her proximity to and foreknowledge of death, lateness within a historical period, or a sense of authorial belatedness with respect to significant predecessors). Upon closer inspection, it appears that many of these external factors are unreliably correlated with a musical style that might be described as late. Late style is often better correlated with the bodily or mental condition of the composer: most composers who write in what is recognized as a late style have shared experiences of non-normative bodily or mental function, that is, of impairment and disability. Composers inscribe their disabilities in their music, and the result is often correlated with what is generally called late style''

pas les appellations free jazz ou bien improvisation libre, elle n'en est pas moins aussi

improvisée et imprévisible.

De nombreux articles et entretiens existent sur Lee Konitz mais peu de recherches universitaires sérieuses ont été menées malgré sa longue carrière. Aucune étude ne s'est penchée sur son style, particulièrement celui d'aujourd'Hui. La plupart des journalistes et écrivains ont présenté leurs analyses en privilégiant sa période avec Tristano. La présente recherche se distingue d'autres études consacrées à Konitz et a été réalisée à travers ce point de vue privilégié. L'unique ouvrage substantiel paru à ce jour sur Konitz est Lee Konitz Conversations on the

Improviser's Art de Andy Hamilton, publié par The University of Michigan Press2, en 2007.

C'est une nouvelle approche de la biographie juxtaposant des interviews de Konitz et divers musiciens, qui, à ma connaissance n'existait pas auparavant. L'auteur a procédé à des coupes minimales afin de préserver au plus près les propos de Konitz. L'altiste, en toute franchise, fait part de ses goûts et nous plonge avec humour et honnêteté dans ses soixante années de carrière. Ainsi l'ouvrage retrace-t-il la vie du saxophoniste de manière précise, au travers de commentaires de proches et de Konitz lui-même. Hamilton a effectué un travail important d'entretiens avec des musiciens majeurs tels que Joe Lovano, Phil Woods, Ornette Coleman ou Sonny Rollins. Il ne fait aucun doute que le recours à la parole directe d'acteurs de l'histoire du jazz facilite le travail du musicologue en quête de critères pertinents pour qualifier la musique d'un artiste à une époque donnée. De ce point de vue, l'étude de l'ouvrage d'Andy Hamilton s'avère éclairante. En outre, la biographie comporte en plus quelques transcriptions de solos et de compositions de l'altiste. On aurait toutefois aimé un approfondissement des chapitres consacrés à ses compositions. Par rapport à la question de recherche, bien qu'il n'y ait pas de chapitre consacré au Late Style, des remarques intéressantes apparaissent néanmoins au fil des interviews. L'annexe comporte une discographie très pertinente où sont mentionnés d'une part les séances en leader et sideman et de l'autre des enregistrements privés. Un ouvrage très précieux qui m'a

été d'une grande utilité.

2 HAMILTON, Andy, Lee Konitz Conversations on the Improviser's Art,

Durant mes recherches, j'ai pu consulter un article intéressant paru sur A Blog Supreme, de Patrick Jaenwattamamon, intitulé On Lee Konitz And Late Style3. Travaillant pour la radio NPR Jaenwattamamon s'occupe de retransmettre en direct des concerts du célèbre club de Manhattan, le Village Vanguard, dont un du quartette de Lee Konitz. L'auteur applique les concepts d'Edward Said tirés de son essai intitulé Late Style à l'altiste Konitz. Selon Said, dans le cas de certains artistes, la vieillesse est perçue comme synonyme de sérénité, d'harmonie et

d'apogée d'une carrière. On peut le constater chez Bach, Matisse, Rembrandt. En revanche pour d'autres, la vieillesse et la maladie développeraient chez eux de l'intransigeance, plus de difficulté et de contradiction. La musique de Lee Konitz qui, à mesure que le temps passe, devient « fragmentée », composée « d'harmonies complexes » et « imparfaites » rejoint cette vision de Said. L'idée développée est séduisante, mais ne va pas sans poser certains problèmes. Néanmoins, elle met en germe des idées de recherche de ce mémoire.

La méthode employée ici combine histoire orale, recherches d'archives, ainsi que des analyses musicales. Aussi, pour réaliser ce mémoire, je me suis appuyé sur un ensemble varié de sources : ouvrages généraux concernant l'histoire du jazz (The Oxford Companion to Jazz édité par Bill Kirchner 4 , Bebop To Cool Context, Ideology, and Musical Identity de Eddie S. Meadows5), des biographies (An Unsung Cat - The Life and Music of Warne Marsh de Stafford Chamberlain6, Lennie Tristano - His Life in Music de Eummi Shim7, Lee Konitz Conversations

on the Improviser' Art de Andy Hamilton8, The Legacy of Lennie Tristano de Peter Ind9, Miles,

the Autobiography de Miles Davis et Quincy Troupe10, Lester Young de Lewis Porter11), des ouvrages critiques (Out of Nowhere de Marcus M. Cornelius12, Hommes et problèmes du jazz

3 «consulté en août 2010» http://www.npr.org/blogs/ablogsupreme/2010/01/lee_konitz_and_late_style.html

4 KIRCHNER, Bill, The Oxford Companion to Jazz, New York, Oxford University Press, 2005.

5 MEADOWS, Eddie S, Bebop To Cool Context, Ideology, and Musical Identity, Praeger Publishers, 2003.

6 CHAMBERLAIN, Stafford, An Unsung Cat - The Life and Music of Warne Marsh, Lanham, The

Scarecrow Press, 2005.

7 SHIM, Eummi, Lennie Tristano - His Life in Music, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 2007.

8 HAMILTON, Andy, Lee Konitz Conversations on the Improviser's Art. Op.cit

9 IND, Peter, The Legacy of Lennie Tristano, Italie, Equinox, 2005.

10 DAVIS, Miles, TROUPE, Quincy, Miles The Autobiography, New York, Simon & Schuster, September

1989.

11 PORTER, Lewis, Lester Young, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1985.

12 CORNELIUS, Marcus, Out of Nowhere, France, Aurora Nova, 2002.

d'André Hodeir 13 , Lennie and Ornette, searching for Freedom improvisation de Jari Perkiomaki14), des entretiens personnels avec des musiciens de jazz (Bill Kirchner, Ben Street, Lee Konitz, Jérôme Sabbagh, Peter Bernstein, Dave Glasser, John Klopotowski, Connie Crothers). En ce qui concerne la recherche d'archives, j'ai collecté d'appréciables donnés grâce à

un travail méticuleux d'examen de différentes sources, ce qui m'a permis de documenter ces activités et de recouper les propos de Konitz. Je me suis rendu à diverses reprises aux archives du Lincoln Center afin de consulter de riches interviews de Konitz durant les années 1950, provenant des magazines Down Beat, Cadence, Jazz Hot, des entretiens audio en anglais menés par la pianiste Marian McPartland 15 , des sites internet contenant des interviews, articles et

analyses (Jazz History Database16, Jazz Standard17, All About Jazz18, The New Yorker19, Jerry

Jazz Musician20, Lennie Tristano Experience21, ProQuest). Le corpus de cette étude comporte des enregistrements de Lee Konitz et d'autres musiciens (Charlie Parker, Lester Young, Count Basie, Lennie Tristano). Figurent également en annexe des transcriptions de solos de Lee Konitz ainsi que les biographies de certains des musiciens présents sur ces enregistrements.

Ayant eu l'opportunité d'étudier aux États-Unis, grâce au programme d'échange de l'Université Paris-Sorbonne, au City College de New York, à la Columbia University, ainsi qu'à la New School of Jazz and Contemporary Music, j'ai consacré mon temps à approfondir mes connaissances sur l'histoire du jazz et d'autre part à mettre en pratique les concepts étudiés. Aussi, j'ai profité de mon séjour pour recevoir l'enseignement de musiciens tels que Lee Konitz, Charles Persip, Peter Bernstein, Kevin Hayes, Reggie Workman, Connie Crothers, Ben Street,

John Patitucci et Jane Ira Bloom. Certains d'entre eux m'ont fait part de leurs opinions sur Konitz.

1954).

13 HODEIR, André, Hommes et problèmes du jazz, Marseille, Parenthèse, 1981 (1ère éd. Paris, Flammarion,

14 PERKIOMAKI, Jari, Lennie and Ornette, Searching for Freedom Improvisation, thèse de doctorat,

Helsinki, Sibelius Academy, 2002.

15 consulté en août 20 10 http://www.npr.org/programs/piano-jazz/

16 Idem http://www.jazzhistorydatabase.com/

17 Idem http://www.jazzstandards.com/

18 Idem http://www.allaboutjazz.com/

19 Idem http://www.newyorker.com/

20 Idem http://www.jerryjazzmusician.com/

21 Idem http://www.lennietristano.com/

J'ai également mené des entretiens avec des personnes associées à Lennie Tristano (les

''Tristanoites''), tels que le guitariste John Klopotowski, ancien élève de Warne Marsh, la pianiste Connie Crothers, ancienne étudiante de Tristano. Les précieuses informations recueillies au cours des interviews ont rendu possible d'approcher les thèmes soulevés concernant la vie et de la musique du pianiste de manière comparative et documentée.

Chapitre 1

Le parcours musical de Lee Konitz :

réinterrogation de quelques mythes

Il s'agit ici de mettre en évidence des éléments des musiques de Lester Young (1909-

1959), Lennie Tristano (1919-1978) et Charlie Parker (1920-1955) qui influencèrent Lee Konitz. Ainsi, ces éléments pourront-ils servir de points de repère lorsque sera abordée la musique du jeune saxophoniste.

L'influence de Lester Young qui sera ici mise en évidence est à retrouver dans le son, les mélodies et la conception rythmique de Konitz.

1.1 Lester Young

C'est par l'intermédiaire de Stan Koscow que Konitz entend pour la première fois à l'âge de seize ans Lester Young. À Chicago, tous deux jouaient dans l'orchestre de danse du clarinettiste Jerry Wald. Saxophoniste et émule de Young, Koscow fit écouter des albums du « Prez22 » au jeune Konitz autour de 1945.

Né le 27 aout 1909, décédé le 15 mars 1959, Lester Young fut un saxophoniste novateur de l'histoire du jazz. Maillon important dans le passage du swing au be-bop, il est souvent considéré comme un précurseur du cool jazz. Contrairement au style de ténor dominant basé sur le jeu de Coleman Hawkins, lequel reposait notamment sur un son épais, puissant et des harmonies sophistiquées, Young se démarqua de ses contemporains en adoptant un son unique

22 Ce surnom lui a été attribué par Billie Holliday, Prez est le diminutif de Président.

proche du saxophone alto et un style mélodique et aérien. Pour ne pas réduire Young simplement à ces aspects généraux, il est utile d'illustrer les facettes de son jeu. Mises côte à côte, ses innovations multiples apparaissent contradictoires. Considéré comme le père du cool jazz, il est aussi à l'origine de l'effet graveleux appelé honk entendu avec l'orchestre de Count Basie et employé largement ensuite par les saxophonistes de rhythm'n'blues. Young est aussi un joueur renommé de ballades comme on le constate à l'écoute des versions de « These Foolish Thing » de 1945 et « She Is Funny That Way » datant de 1946, lesquelles préfigurent deux ans plus tôt la fameuse version d' « Embraceable You » par Charlie Parker. En outre, il s'adonnait aussi au tempo rapide, comme sur sa composition la plus enregistrée « Lester Leaps in » qu'il interprétait avec beaucoup de swing et de passion. Par la suite, ces aspects de son jeu furent développés par des musiciens qui étaient pour la plupart catégorisés musiciens cool. Son lyrisme et sa sonorité légère apparaissent chez Stan Getz et Warne Marsh, ses riffs et autres honks musclés chez les saxophonistes inspirés par le rhythm-and-blue tels que Gene Ammons et Illinois Jacquet. Enfin, son phrasé fut largement copié par Zoot Sims et Al Cohn parmi d'autres. Lee Konitz et Warne Marsh, contrairement à la plupart des suiveurs du Prez, consciemment poursuivirent l'esprit du grand improvisateur plutôt que l'imitation pure de ses riffs et autres honks. Les enregistrements de Count Basie auxquels il a participé ainsi que ceux aux côtés de Billie Holiday dans les années 1930 sont considérés comme ses plus aboutis (la séance de 1936 du Kansas City Six, Glenn Hardman et son Hammond Five, Basie's Bad Boys, Teddy Wilson et Billie Holiday). C'est à partir de ceux-ci en priorité que l'on tâchera de comprendre les aspects marquants du jeu de Prez qui ont influencé le jeu de Konitz.

23 Honk est un un effet spectaculaire du saxophone qui consiste à surjouer une note dans le registre grave ou aigu.

1.1.1 Un swing contagieux

On peut d'abord s'intéresser à la mise en évidence des aspects rythmiques

caractéristiques du style de Lester Young.

Aux dires de Lee Konitz, Lester Young est l'exemple parfait de l'improvisateur accompli.

« C'était de la musique magnifique, il ne sonnait jamais de manière frénétique, ni de manière forcée. Il jouait plutôt de manière décontractée en mettant chaque phrase en place dans un bon groove. C'était très joli et à la fois très intense. »24 Dans ces propos, Konitz oppose le caractère «forcé» et «frénétique» de certains improvisateurs à la fluidité de Prez qui reste quant à lui «décontracté» et maître de son improvisation. Il confirme également ses qualités rythmiques.

On pourrait dire ainsi qu'il swinguait sans effort. À première vue, il est juste de rappeler que Young commence la pratique instrumentale à la batterie avec l'orchestre de sa famille The Blue Devils. Selon l'illustre Jo Jones, un des principaux batteurs de Young après 1942, ce dernier serait le meilleur batteur qu'il ait entendu. Sa mise en place précise et son aisance à interagir avec le batteur, quel que soit le tempo, suggéraient une fondation rythmique solide. On note la fluidité rythmique du jeu de Lester à travers la diversité des figures rythmiques employées, et ce dans les tempos lents, moyens et élevés. Là où Coleman Hawkins et Don Byas, jouent la plupart des solos en croches parfois agrémentées de triolets, Lester Young semble rechercher sans cesse de nouvelles combinaisons rythmiques dans ses phrases comme on peut l'observer dans son solo sur « When You're Smiling » avec Billie Holiday et l'orchestre de Teddy Wilson25.

24 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, page 10 «He never sounded frantic nor did he sound as if it was an effort to play. He sounded as if he was sitting back and putting everything right. It was very pretty and at the same time very intense»

25 WILSON, Teddy, Teddy Wilson & His Orchestra featuring Billie Holiday, New York, Columbia, 1938.

Exemple musical 1 : « When You're Smiling », Teddy Wilson & His Orchestra featuring

Billie Holiday, 1938. Dix mesures d'improvisation de Lester Young.

Son passé de batteur lui aurait permis de développer au cours de son adolescence cet atout important de son jeu. Le pianiste Oscar Peterson et accompagnateur de Young se souvient de son expérience avec ce dernier: « Lester avait cette remarquable habilité à transmettre la beauté depuis lui-même à la section rythmique. Il avait coutume de jouer des lignes qui étaient si

relaxe, même à un tempo rapide, que la section rythmique se relaxait elle aussi. »26

On pourrait affirmer que son style est la combinaison d'un swing à la fois «intense», c'est-à-dire une façon de Young d'ajuster ses notes juste sur le temps comme on peut le constater sur les enregistrements au cote de Basie, et d'autre part laid- back27, tel que l'on peut s'en apercevoir un peu plus tard dans sa carrière, quand son jeu devint langoureux et derrière le temps. Selon Young, « Je pense qu'ils finiront tous par revenir au swing et à la musique de

danse une fois de plus. Aujourd'hui beaucoup de choses sont juste de passage. Pour moi la

26 CAPONI Gena Dagel, Signifyin(g), sanctifyin', and slam dunking, Amherst University of Massachusetts Press,1999, p 256"Lester had this remarkable ability to transmit beauty from within himself to the rhythm section.[He would] play some lines that were so relaxed that, even at a swift tempo, the rhythm section would relax."

27 « Laid back » pourrait être traduit par « en retenant ».

musique doit swinguer en premier. »28 Soliste dans l'orchestre de Count Basie, Young faisait danser le public avec un swing énorme. Il façonna un style énergique, funky et inventif. Ses deux solos légendaires sur « Lady Be Good » 29 et « Shoe Shine Boy » 30 dévoilent Young, 27 ans, surfant sur les registres du ténor, usant des techniques de honk31 et du crooning32 avec un flot d'idées toujours renouvelées. Une caractéristique de son style qui apparaît alors est l'accentuation des temps faibles. On remarque que Young commence ou termine ses phrases

souvent sur les deuxième et quatrième temps de la mesure comme on le constate sur l'exemple

suivant :

Exemple musical 2 : « Lady Be Good », Count Basie, Chicago, 1936. Cinq mesures de

l'improvisation de Lester Young.

28in HENTOFF, Nat, «Pres: One Of Jazzdom's Greats Reminisces», Down Beat, mars 1956. «I think they'll all be finally coming back to swinging and to dancing to music again. A lot of the things now are just novelties. For me, the music has to swing first.»

29 BASIE, Count, The Essential Count Basie, Vol. 1, Sony, Chicago, 1936.

30BASIE, Count, The Lester Young Story (Proper Box 8), Decca, Chicago, 1936.

31 Le honk est un effet expressif de saxophone qui consiste à «surjouer», une note et à la répéter en l'accentuant. L'initiateur de cette technique est Illinois Jacquet. On peut l'entendre pour la premiere dans son célèbre solo sur «Flying Home» en 1942 avec l'orchestre de Lionel Hampton.

32 «Crooning» ce terme le plus souvent applique au chanteur tel que Sinatra ou Tony Bennett designe une

manière de jouer doucement, presque en murmurant une melodie.

À l'écoute, Young flottait au-dessus des barres de mesures et semblait communiquer directement aux auditeurs à travers son ténor avec une voix calme et sage. Selon Konitz « c'est tout coordonné et très joliment façonné [...]». Complexe dans sa simplicité [...] polyrythmique.

» 33 Complexe car le jeu de Young était imprévisible. Ses phrases pouvaient chevaucher la

carrure de telle façon que ses idées mélodiques n'étaient pas soumises au joug de la barre de

mesure.

L'accentuation du quatrième temps est un procédé rythmique efficace qui produit une impression d'instabilité et d'asymétrie. On peut le remarquer dans le pont de « Shoe Shine Boy » lors de la première grille du solo de Young. Ce procédé sera largement employé par les musiciens bop, notamment Charlie Parker au cours de la version en concert de « Cheryl »34.

Exemple musical 3 : «Shoe Shine Boy», Count Basie, 9 novembre 1936, Mosaic Records. Improvisation de Lester Young sur Shoe Shine Boy (A7; Dm7; G7 ; Gm7 ; C7)

Young utilisait des motifs rythmiques qui se prolongeaient sur les mesures suivantes. Relaxe même sur des tempos rapides, son tempérament était plutôt cool que hot. Ses lignes mélodiques enjambaient les mesures et narguaient la carrure. De cette manière il créait un effet de déplacement tout en restant dans la carrure. En conséquence, on peut affirmer que son style

était linéaire, axé sur le riff plutôt que sur une conception élaborée de l'harmonie. Toujours

33 «Communication personnelle» Octobre 2010.

34 PARKER, Charlie, Complete Savoy live performances from the Royal Roost, Savoy, 1947.

d'après Konitz « swinguer reste la chose la plus dure, vraiment. Je suis encore en train d'y travailler! C'était sans problème pour Lester. » 35 Aussi, la façon de Young tout à fait nouvelle de phraser en croches sur des tempos moyens influencera les instrumentistes de l'ère swing et du be-bop.

1.1.2 Le langage mélodique

Selon Loren Schoenberg « Ses solos révèlent une perfection architecturale qui contraste avec leur apparente simplicité. » 36

Dans l'histoire du saxophone jazz, il existe deux courants majeurs d'improvisateurs représentés par Coleman Hawkins et Lester Young. Ce dernier possède une approche linéaire fondée sur de longues lignes, un débit lâche, comme une sensation d'écoulement dans le phrasé ainsi qu'un renouvellement constant d'idées mélodiques. Son solo sur « Lady Be Good » en donne un exemple parfait. Young développe son solo logiquement. Ses phrases mélodiques s'enchaînent les unes aux autres. Contrairement à luiYoung, le style de Coleman Hawkins est caractérisé par une sonorité large, un son de saxophone affirmé avec des inflexions bluesy et des riffs.

Ses improvisations sont dites ''verticales'', car il adhère d'avantage aux harmonies du morceau. On observe un goût prononcé pour les notes de passages, et les substitutions harmoniques. Chez Lester en revanche, on ne décèle pas de trace de pentatonisme, de gamme de blues ni de clichés hot ou be-bop. En cela son style est passe-partout. Son jeu versatile s'adaptait aux multiples situations de jeu du jazzman de l'époque et pouvait ainsi s'adonner à des contrechants magnifiques au côté de Billie Holiday, swinguer avec Basie, et se confronter aux boppers de l'époque tel qu'Oscar Peterson et Charlie Parker dans les années 1950. Cette simplicité mélodique qui est en même temps une richesse, Young l'a puisée en partie chez le

saxophoniste Frankie Trumbauer.

35 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, op.cit, p. ??

36 KIRCHNER, Bill, Oxford Companion jazz, Lester Young by Loren Schoenberg, Oxford University

Press, 2005.

Exemple musical 4 : « Jive at Five », Count Basie, 4 février 1939. Seize mesures de

l'improvisation de Lester Young.

Ce qui frappe dans ses improvisations est sa capacité à se renouveler sans cesse en utilisant un matériel limité. Pour Konitz, c'est de «l'improvisation totale diatonique». Si l'on examine les mesures 7 à 12 de l'exemple musical 4, Young assemble une longue phrase diatonique dans la tonalité de mi bémol majeur. Son usage de figures rythmiques particulières telles que les groupes de cinq notes aux mesures 9 et 10, provoquent un déphasage entre les phrases et la carrure du morceau. Sa capacité a créer de nouvelles combinaisons rythmiques surprend et captive l'auditeur. En effet, le vocabulaire mélodico-harmonique de Young dépasse rarement les intervalles de sixte et de neuvième.

1.1.3 Le chant

De par sa tessiture et son expressivité, le saxophone ténor est un instrument proche de la voix. Bien qu'il soit souvent joué à des fins de virtuosité pure, certains improvisateurs tels que Young et Konitz, envisagent le saxophone comme le prolongement de leurs voix. Ils construisent leurs improvisations en suivant leur chant intérieur et favorisent ainsi le son et l'expression. Pour Young, connaître les paroles d'une chanson enrichit l'improvisation du soliste. « Un musicien doit connaître les paroles des chansons qu'il interprète. Cela apporte du sens. Ensuite, vous pouvez exprimer ce que vous désirez en sachant ce que vous êtes en train de faire. Beaucoup de musiciens de nos jours ne connaissent pas les paroles des morceaux. En conséquence, ils ne jouent que sur les changements harmoniques. C'est pourquoi j'aime écouter des chanteurs

quand je suis chez moi. J'apprends le texte des morceaux à partir du disque. » 37 De plus, le

poème d'une chanson développe l'imagination du soliste et permet en outre une mémorisation de la mélodie. Young partageait avec Konitz une passions pour Franck Sinatra (1915-1998). D'après Konitz « Young chantait avec son saxophone. » 38 Au côté de Bille Holiday (1915-1959), il pouvait être minimaliste, paraphrasant le plus simplement la mélodie d'une chanson comme sur

« Foolin' Myself ».

37 HENTOFF Nat, Pres: One of Jazzdom's Greats Reminisces, Down Beat, 1956 «A musician should know the lyrics of the songs he plays, too. That completes it. Then you can go for yourself and you know what you're doing. A lot of "musicians that play nowadays don't know the lyrics of the songs. That way they're just playing the changes. That's why I like records by singers when I'm listening at home. I pick up the words right from there."

38 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, op.cit

Exemple musical 5 : « Foolin' Myself », Billie Holiday, « Lady Day & Pres 1937-1941,

1937 ». Seize mesures d'improvisation de Lester Young.

Il existe d'ailleurs un enregistrement de Young sur lequel il chante accompagné du trio d'Oscar Peterson (1925-2007), « Two to Tango »39, paru en 1952.

1.1.4 Le son

Le son est le premier aspect du jeu de Young qui attira le jeune Konitz. Young se distinguait du son robuste, opératique, doté d'un large vibrato de Coleman Hawkins. Adolescent, il puisa son inspiration chez les saxophonistes Jimmy Dorsey (1904-1957) et Frankie Trumbauer (1909-1956) ainsi que chez le cornettiste Bix Beiderbecke (1903-1931). Il commença sa carrière au saxophone alto, s'inspirant de Jimmy Dorsey puis de Trumbauer. Il confia dans un entretien avec Leonard Feather, alors critique pour le Los Angeles Times, son admiration pour le

saxophoniste: « Trumbauer était mon idole...j'ai tenté de me rapprocher du son du saxophone

39 YOUNG, Lester, «With the Oscar Peterson Trio», Verve, New York, Novembre 1952.

en ut au ténor. C'est pour cela que je ne sonne pas comme les autres. » 40 Ces musiciens sont

connus pour leur style retenu, leur son classique pourvu d'un délicat vibrato. L'enregistrement de

« Singin' the Blues » en 1927, par Frankie Trumbauer et son orchestre en compagnie de Bix Beiderbecke au cornet et d'Eddie Lang à la guitare en est un exemple parfait. Franck Bergerot et Arnaud Merlin qualifient la sonorité de Young de « lisse, voilée et sans vibrato. » 41

Malgré une idée reçue, Young utilisait un vibrato placé en queue de phrases. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter le célèbre solo qu'il exécuta sur « Lady Be Good ». Bien que moins émotionnel et plus léger comparé à celui de Hawkins, il n'en est pas moins plein d'intensité. D'après Warne Marsh, saxophoniste ténor et émule de Young, la conception consistant à atténuer le vibrato provenait de sa pratique de la clarinette classique. Pour Lee Konitz, le vibrato chez Young, était utilisé uniquement à des fins musicales et se séparait ainsi de certains saxophonistes tels que Ben Webster et Coleman Hawkins qui privilégiaient une expression plus émotionnelle de la musique.

1.1.5 Lester Young : un père du jazz moderne

À l'instar de Louis Armstrong, Young fut un modèle pour un grand nombre de musiciens du jazz moderne. En effet, sa liberté rythmique, son phrasé élégant et sa sonorité lisse furent des éléments précurseurs des mouvements suivants, be-bop et cool. L'admiration de Konitz pour Young n'a pas cessé depuis sa première rencontre avec le maitre jusqu'à aujourd'hui. Pour Konitz, son ami le saxophoniste Warne Marsh était d'un point de vue musical le plus proche de Lester Young. « Tellement de types ont basé leur jeu sur Young: Stan Getz, Zoot Sims, Al Cohn, Paul Desmond, Wardell Gray, Allen Eager...mais Warne ne l'a pas seulement imité, il incarnait

l'esprit de Lester Young. » 42 Konitz rendit hommage à Young à de multiples reprises en

40 HENTOFF, Nat, Pres: One Of Jazzdom's Greats Reminisces, Down Beat, 1956 «He played the C melody saxophone. I tried to get the sound of a C melody on a tenor. That's why I don't sound like other people.»

41 BERGEROT. F. et MERLIN A, L'épopée du jazz, vol. I, Du Blues au bop, Gallimard Découvertes n°114,

1991, page 96.

interprétant plusieurs morceaux fameux et solos de Lester. Ainsi « I Want a Litle Girl », enregistré au soprano en 1975 sur Oleo43 est un clin d'oeil à la version originale44 de Young à la clarinette. Konitz affectionne particulièrement les enregistrements de Young avec l'orchestre de Count Basie. Il reprend le célèbre solo de Young sur « Lady Be Good » dans les albums Tenorlee 45 et Once Upon a Line46. En outre, Konitz et le saxophoniste Richie Kamuca, en duo, closent une version de « Tickle Toe »47 en interprétant le solo de Young comme une coda. Enfin, nous avons pu constater combien Young fut un modèle essentiel dans la formation de Konitz jusqu'à la découverte de Charlie Parker.

1.2 Charlie Parker

L'influence exercée par Charlie Parker sur Konitz se manifesta en deux étapes: une attitude de rejet tout d'abord puis une assimilation irrépressible de sa musique. Nous commencerons par une brève étude des innovations de Parker, puis nous comparerons son style à celui de Konitz en mettant en perspective leurs traits communs, ainsi que le son, le répertoire, la virtuosité et les divergences visibles dans leurs conceptions respectives de l'improvisation. Il s'agira moins d'observer des critères de différenciation entre deux styles à partir d'exemples musicaux que de comparer les procédés employés par ces musiciens, afin de disposer de repères à partir desquels pourra être menée l'analyse de la musique de Lee Konitz.

1.2.1 Charlie Parker, une révolution musicale

L'année 1945 marqua le sommet de la carrière de Charlie Parker avec la publication sur le label Savoy des enregistrements mythiques du quintette comprenant « Koko »,

42 «consulté en août 2010» dothemath.typepad.com/dtm/1-18-with-lee-k.html»So many guys came out of Pres: Stan Getz, Zoot Sims, Al Cohn, Paul Desmond, Wardell Gray, Allen Eager...but Warne did not just an imitation, but embodied the actual spirit of Lester Young.»

43 KONITZ Lee, Oleo, Sonet, New York, 1975

44 YOUNG Lester, The Kansas City Sessions, Commodore, New York, 1938

45 KONITZ Lee, Tenorlee, Candid, New York, 1977

46 KONITZ Lee, DANKO Harold, Once upon a Line, Musidisc, Paris, 1990

47 KONITZ Lee, The Lee Konitz Duets, Milestone, New York, 1967

« Now's the Time » et « Billie's Bounce. »48 À ce moment, le swing et ses grands orchestres laissaient la place au jazz moderne et à ses petites formations. Le be-bop, plus qu'un style parmi d'autres, devint le courant majeur du jazz. Son premier représentant en était Charlie Parker. Ses innovations établirent un nouveau standard de jeu. Aucun autre musicien n'aura autant sollicité l'intérêt de ces pairs. Sa musique était une synthèse de divers éléments provenant à la fois du blues de Kansas City, du swing, de la musique populaire, des chansons de Broadway, de Tin Pan Alley 49 et des folks songs. Les musiciens de jazz qui ont le plus compté pour Parker étaient précisément Louis Armstrong, Don Byas, Lester Young (avec qui il enregistra lors des concerts du JATP50), Johnny Hodges, Art Tatum, Benny Carter et Coleman Hawkins. Parker réussit à adapter le blues rural à une musique moderne plus élaborée. Dans son laboratoire musical, Parker mêla d'une manière naturelle les nuances du blues vocal aux harmonies chromatiques. Son sens de la pulsation et son concept rythmique lui permirent une grande liberté mélodique. Ainsi, il pouvait commencer ses phrases musicales sur n'importe quel temps de la mesure, faible ou fort, à l'image de Lester Young. Le style de Parker comprenait donc l'habilité à jouer le blues, à swinguer à l'instar de jazzmen des années 1930, un vocabulaire harmonique élaboré et une technique phénoménale du saxophone alto.

1.2.2 Une influence dissimulée ?

Konitz reconnaît avoir eu la chance de débuter son apprentissage avec Lennie Tristano avant d'avoir entendu Charlie Parker. Tristano détecta quelque chose d'unique dans son approche de la ligne. Cette sensibilité à la mélodie, conjuguée aux connaissances harmoniques et

48 PARKER Charlie, Complete Savoy Sessions, Savoy, New York, novembre 1945

50 JATP- Jazz at the Philharmonic était le nom attribué à une série de concerts, tournées et enregistrements produits par Norman Granz. De 1944 à 1983 le JATP engagea les musiciens de jazz parmi les plus reconnus de leur époque.

rythmiques transmises par Tristano, produisit une conception originale de l'improvisation. Il fut un maillon essentiel dans la formation de Konitz. Selon lui, « Tristano avait étendu les harmonies et les permutations rythmiques. C'était vraiment intriguant à cette époque et cela m'empêcha de succomber réellement, comme tout le monde, à l'influence de Parker. »51 Il invita Konitz à prendre un chemin différent de celui de Parker à travers l'étude poussée de l'harmonie, du rythme et des lignes mélodiques influencées par les compositeurs classiques comme Bach. Il

encouragea le jeune altiste à formuler sa propre voix sans tomber dans les sillons de Bird, comme tant d'autres à cette époque : Phil Woods, Gene Quill (1927-1988), Jackie McLean (1931-2006), Cannonball Adderley (1928-1975) , Sonny Stitt (1924-1982)... D'ailleurs, certains altistes des années 1950 tels que Jimmy Heath (1926), surnommé à l'époque « Little Bird », et Sonny Stitt passèrent au ténor, lassés d'être pris pour des imitateurs de Parker. L'originalité de Konitz ne passa pas inaperçu chez ses contemporains et fut une occasion de dissensions chez les musiciens. « A l'époque, il y avait une très forte désapprobation de mon jeu parmi les imitateurs de Charlie Parker. Ils ne me jugeaient pas très dans le coup. Maintenant on me remercie d'avoir

développé un concept personnel. »52

Au même moment, Prez et Bird étaient devenus les chefs de files de leurs instruments respectifs et avaient de nombreux admirateurs. La plupart des musiciens blancs qui imitant leurs styles rencontraient d'avantage de succès. Tristano perçut en son temps ce phénomène et le condamna: « Si Charlie Parker désirait invoquer les lois relatives concernant le plagiat il pourrait attaquer presque tout ceux qui enregistrèrent un album dans les dix dernières années.

Si j'étais Bird, j'aurais mis en prison tous les meilleurs boppers du pays ! »53 Au contraire,

51 «consulté en août 2010» http://www.jazzweekly.com/interviews/konitz.htm «Tristano had ideas of extending the harmonies and the rhythmic permutations. That was very intriguing at the time and kept me from really getting very involved, as everyone else was, with Charlie Parker's influence».

52 «consulté en août 2010» http://jazztimes.com/articles/27721-lee-konitz-a-q-a-by-ethan-iverson «Back then, there was a lot of disapproval of my playing on the part of those guys who played like Charlie Parker. They didn't think I was very hip. Now I get thanked for developing an idea of my own.»

53 TRISTANO, Lennie , Blindfold Test Down Beat, 1951 « If Charlie Parker wanted to invoke plagiarism laws he could sue almost everybody who's made a record in the last ten years. If I were Bird, I'd have all the best boppers in the country thrown into jail! »

Konitz est souvent décrit par les critiques tel que Andy Hamilton dans Conversations on the Improviser's Art comme le seul saxophoniste alto de la fin des années 1940 à être resté totalement étranger à l'influence de Parker. Durant mes recherches j'ai pu constater qu'il se défendait à chaque interview de cette affirmation. À vrai dire, il était difficile de s'isoler radicalement de son jeu tant son style était répandu dans le milieu du jazz. Les jazzmen s'écoutaient énormément les uns les autres, que ce soit par le biais des enregistrements, ou, de façon directe, au cours des jam sessions, ce qui permettait l'échange d'idées et à la musique de se développer. De plus, le jeune saxophoniste a rencontré Parker à de multiples reprises, notamment pendant une tournée du JATP au début des années 1950. En réalité la relation s'est faite en deux temps : Le rejet puis l'assimilation inévitable. L'interview récente de l'altiste par Bruno Pfeffer est révélatrice. « Oh, mais j'en ai toujours écouté. Un musicien

monumental ; ce type vole (il se met à chanter le solo de « Don't Blame Me »54 Vous Voyez ? Je

le connais par coeur. Simplement, je voulais amener autre chose. Alors je me suis interdit de jouer sa musique. Je me suis appuyé sur mes premières émotions. J'adorais Johnny Hodges. Le premier son que j'ai identifié. Ses ballades m'ont marqué. Comme celles de Lester Young. Ils sont mes influences majeures... Avec Louis Armstrong. »55 L'altiste nous laisse entendre qu'il tâcha de maintenir à bonne distance cette figure écrasante du père de l'alto moderne afin de pouvoir à son tour devenir un artiste original. Dans une interview accordée à 1996 dans Jack

Fifties Jazz Talk, Konitz révélait les raisons de son rejet premier de Parker. « À l'évidence Charlie Parker était une influence majeure à l'alto, mais pour ma part, je n'ai pas ressenti de difficulté à l'éviter car le tempérament de sa musique ne m'avait pas traversé. À cette époque je n'arrivais pas à m'identifier à l'intensité de sa musique. Finalement, c'était mon ego qui s'exprimait et je me rendis compte que je passais à côté du plus grand saxophoniste alto de tous les temps. Je commençai à apprendre sa musique sans pour autant adopter son vocabulaire parce que c'était une telle tentation de jouer ces belles mélodies comme tout le monde.

Néanmoins j'avais d'autres stimuli. »56 Afin de se dégager de Parker, Konitz nous suggère ici

54 PARKER Charlie, The Dial Masters: Original Choice Takes, Spotlite, 4 November 1947, New York.

55 PFEFFER, Bruno, Ca Va Jazzer, 2 009, http://jazz.blogs.liberation.fr/pfeiffer

56 GORDON, Jack, Fifties Jazz Talk: an Oral Retrospective. Lanham, Md: Scarecrow, 2004, p122

différentes influences lorsqu'il affirme « J'avais d'autres stimuli. » Il s'agit probablement de Lennie Tristano et Lester Young. Il emploie les termes « tempérament » et « intensité » pour définir ce qui le différencie de Parker. On peut se demander s'il évoque le « tempérament » du musicien noir par rapport à celui du jazzman blanc. Existe-il une différence sur le plan esthétique ? Franck Socolow, un saxophoniste blanc se remémore l'ambiance de Harlem à l'époque du be-bop. « Il n'y avait pas de place pour les conneries. Si un type blanc jouait du bon jazz, cela aurait été avec le feeling des noirs, parce que le type blanc qui jouait avec un feeling

authentique jouait la musique des Noirs. »57 C'est donc un certain type d'approche de la musique

que signifie le « feeling noir ». Si ces termes connotent un jeu musclé, bluesy voire funky, de ce point de vue Konitz est plus proche de Lester Young que de Parker : « J'admirais plus Charlie Parker quand il jouait quelque chose qui provenait de Lester. Dans les dernières années, Bird pouvait devenir un peu trop bluesy pour moi. » À son goût les phrases de Parker teintées de blues sonnaient de temps en temps comme des clichés et perdaient leur authenticité. Il ajoutait également dans le même registre « J'adore le défi qui consiste à jouer sur le blues de douze mesures. Mais, comme je ne peux pas m'identifier avec l'origine de la naissance du blues, c'est

simplement une forme de douze mesures sur laquelle je joue quelque chose qui a du sens. »58

Konitz se sert du blues comme d'un prétexte pour improviser sur sa structure et ces harmonies si caractéristiques. L'expression du blues se révèle ainsi différente chez les deux altistes. En dépit de ces divergences, on observe au cours des années 1950 que les critiques n'hésitèrent pas à comparer le jeune Konitz à Parker, alors affaibli par l'usage des drogues. Selon Robert Aubert et Jean-Francois Quievreux, « plusieurs influences semblent à l'origine de son style. L'influence de Charlie Parker prédomine chez lui, mais son jeu est plus terne, moins coloré et ses solos ne font jamais montre de la chaleur et de ces aspérités qui sont une de caractéristiques du jeu du Bird.

Et il ne possède ni le punch ni le swing énorme de Parker. »59 Pour décrire le jeu de Konitz, ils

28. «consulté en août 2010» http://thebadplus.typepad.com/dothemath/2009/08/1-18-with-lee-k.html « I admired Charlie Parker the most when he played something like Lester. In the later years, sometimes Bird could get too bluesy for me»

57 GITLER Ira, Swing to Bebop: An Oral History of the Transition in Jazz in the 1940s. 1985 :307

58 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, op cit p130 «I love the challenge of playing

a twelve-bar blues. But since I can't identify with the original birth of the blues, it is just a twelve - bar form to play something meaningful on it «

59 ROBERT Aubert, QUIEVREUX Jean-Francois, Lee Konitz, Jazz Hot, juillet- août 1950,7.

utilisent un adjectif comme « terne » et signalent en outre son absence de « chaleur », d'« aspérités », de « punch » et de « swing ». Cette critique met en lumiere les faiblesses du jeu de Konitz lorsque l'on le compare au style de Parker, mais c'est aussi ce son personnel, cette nouvelle approche du rythme et de la ligne, plus intuitive, qui différencient les deux saxophonistes. On le rappelle, à l'époque il fut presque impossible de trouver un saxophoniste à la mesure de Parker. Konitz ne débuta sérieusement l'apprentissage des thèmes be-bop et l'étude des solos qu'après la mort de ce dernier comme le suggéra Jackie McLean au cours d'un blindfold test du journal Down Beat. Selon McLean « Étrangement, le style de Lee s'est tourné plus vers Parker depuis cette période. Au milieu des années cinquante, il commença à être influencé par Bird, ce qui ne peut gêner personne. Plus tard, Lee avait l'habitude de paraphraser Parker dans ses progressions harmoniques, alors que dans ses jeunes années, il ne l'avait jamais fait. »60 Konitz s'est construit à l'ombre du be-bop afin de se préserver et créer son style propre.

De plus, il n'a jamais porté le costume des boppers et imité leurs extravagances. « J'ai toujours détesté le comportement des hippies, les drogues et tout le reste. Je ne m'identifiais pas avec le style de vie des Noirs ... Je me sentais comme un étranger. »61 Konitz remarquait que l'attitude et la personnalité de Parker hors scène eurent un rôle néfaste sur sa musique, contrairement à Lester Young : « Voilà, c'était cent pour cent de la musique. Il n'y avait pas d'ego impliqué, pas d'attitude, pas de Noir ni de Blanc, c'était de la musique pure,

contrairement à Charlie Parker parfois. Il y avait des choses extra musicales qui se mêlaient à sa musique. En revanche, quand il était au meilleur de sa forme, il sonnait superbement. Quand il ne saturait pas son jeu ou jouait de manière funky et tout, ce n'était pas ce que je préférais entendre chez lui. En outre, son jeu avec l'orchestre de Jay McShann, c'était quand il

commençait, ça c'était un son purement magnifique. »62

60 BIMBAUM Larry, Blindfold Test with Jackie Mclean, Down Beat,1965

61 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, p121

«I always hated the behavior of the hippies, with the drugs and all that. I didn't identify with the black

people's lifestyle -I felt pretty much like an outsider, actually.»

2 Consulté en août 2010, http://www.sawf.org/Newedit/edit09182000/musicarts.asp

«Well, it was one-hundred percent music. There was no ego involved, no attitudes, no black and white, it was pure music, and Charlie Parker less in a way. There were some problems

1.2.3 Les caractéristiques principales du jeu de Charlie Parker

On pourrait ramener les aspects du style de Charlie Parker que l'on retrouve chez Konitz à trois caractéristiques principales : le son, la virtuosité et le répertoire.

1.2.3.1 Le son

Radicalement différent de ces prédécesseurs et contemporains, le son d'alto de Parker est dur et sec. Son utilisation du vibrato varie selon le type de morceau exécuté. Dans les pièces rapides, Parker emploie un vibrato léger et court. Ses attaques franches s'accordaient au nouveau style de jeu, vif et anguleux, qui exigeait plus de précision. Son vibrato devenait expressif dans les ballades sentimentales et les blues. En tous cas, le son de Parker contrastait avec le timbre riche et sentimental de Johnny Hodges (1906-1970) et de Benny Carter. Lee Konitz se souvient de la première fois qu'il entendit le son de Parker. « C'était difficile au début. J'ai même eu quelques soucis avec Charlie Parker. Parce que j'avais l'habitude d'écouter Benny Carter et Johnny Hodges et des gens comme eux. Mais bien sûr, après quelques écoutes, Parker devint

quelqu'un de très spécial. »63

Au milieu des années 1950, les critiques français Robert Aubert et Jean-François Quievreux dédient un article au jeune Konitz alors en pleine ascension. Ils comparent le jeune Konitz, 23 ans à l'époque, encore en pleine formation, au Bird, en ces termes : « sa sonorité est un curieux mélange de Parker et de saxophone classique : elle est curieusement lisse et blanche, presque figée, et ne manque pas de charme. Un vibrato bref et serré placé sur la dernière note de chaque longue phrase donne à sa musique un caractère curieusement chaleureux. Cette sonorité lisse est encore renforcée par une attaque tranchante et une technique instrumentale

hors pair. »64 Les caractéristiques sonores décrites à travers les expressions « mélange de Parker

that came out through his music that were extra musical. But at his best his sound was a

great sound also. When he wasn't really over blowing or being funky and everything, that wasn't my favorite part of him. But I mean if you ever heard him, his playing with Jay McShann, that's when and where he started, that was pure beautiful sound»

63 «consulté en août 2010» http://www.allaboutjazz.com/php/article.php?id=1087 «It was difficult at first. I even had trouble with Charlie Parker at first. Cause I'd been listening to Benny Carter and Johnny Hodges and people like that. But of course after some listening, [Parker] became very special."

64 ROBERT Aubert, QUIEVREUX Jean-Francois, Lee Konitz, Jazz Hot, juillet- août 1950,7.

et de saxophone classique », « attaque tranchante » avec un « vibrato bref » dénotent une parenté certaine avec le style de Parker et plus largement l'appartenance de Konitz au mouvement bop. Les adjectifs pour distinguer sa « sonorité lisse », le son de « saxophone classique » renvoient également aux reproches généraux sur les musiciens cool. Il aurait été judicieux aussi de reconnaître la jeunesse de Konitz et de prendre en compte le temps nécessaire pour acquérir un son mûr. Encore une fois, on doit bien admettre qu'il était difficile à l'époque, comme tout aussi bien aujourd'hui, pour n'importe quel musicien de soutenir la comparaison avec Parker.

1.2.3.2 Virtuosité rythmique et mélodique

On définit la virtuosité comme une grande habileté artistique. Nous envisagerons la virtuosité de Parker à deux niveaux : la variété rythmique dans un premier temps, puis la fluidité sur les tempos rapides et sur les ballades dans un second temps. D'un point de vue rythmique, Parker possédait un sens du tempo solide qui lui permettait ses envolées mélodiques. Il est étonnant de constater que cette part essentielle de son art a été souvent sous-estimée. L'aspect rythmique de Parker est en fait réellement novateur. En revanche, la plupart des conceptions harmoniques qu'il utilisa, c'est-à-dire les accords de passage et le recours aux superstructures d'accord employées dans une perspective originale avaient déjà été explorés par des musiciens tels qu'Art Tatum, Don Byas (1912-1972) et Coleman Hawkins (1904-1969). En posant le regard sur l'histoire du jazz, un changement majeur s'opéra dans les années 1928 et 1932. Le rôle de la contrebasse et de la batterie s'organisa de manière nouvelle, notamment dans le big band de Count Basie (1904- 1984) avec le contrebassiste Walter Page (1900-1957) et le sextette de John Kirby (1908-1952). La formation de ce dernier fut une des pionnières du jazz swing et ouvrit les portes au be-bop. En visionnaire, Kirby révoqua le tuba pour la contrebasse avec laquelle il exécutait des walking basses. Son sextette comprenait ainsi contrebasse, batterie, piano, clarinette, saxophone alto et trompette. Le batteur de sa formation marquait le temps avec la grosse caisse et introduisit de nouveaux accents à la caisse claire qui étaient jusque-là automatiquement placés sur le deuxième et quatrième temps de la mesure. Ainsi, le rôle du batteur évolua durant la période swing vers une plus grande liberté vis-à-vis de la façon de jouer le tempo et l`interaction avec les autres membres de la formation devint monnaie courante. Parfois, au cours de

son improvisation, Bird pouvait diviser une mélodie en groupes irréguliers qui rappelaient les figures d'accompagnement à la caisse claire et à la grosse caisse. En outre, les notes accentuées de Parker jaillissaient à des moments souvent imprévisibles et à intervalles irréguliers. Nous pouvons l'observer dans l'exemple suivant :

Exemple musical 6 : « Koko », Savoy, 1945, quatre mesures d'improvisation de Charlie

Parker (Dbmin; Gb7 ; B sur deux mesures).

« Koko » est un des premiers morceaux du be-bop à avoir été enregistré. Le thème de Parker, construit sur les harmonies de « Cherokee », s'ouvre avec une mélodie complexe rythmiquement, interprétée en homorythmie par la trompette et le saxophone alto. S'ensuit un échange de courtes improvisations jusqu'au solo de Parker. On raconte que le jeune Miles Davis et le pianiste Sadik Hakim (1919-1983) étaient supposés participer à l'enregistrement de Parker. Devant les difficultés rencontrées, ils préférèrent laisser la place aux musiciens plus chevronnés. Improviser sur un tempo extrême comme celui-ci exige une grande maîtrise technique de l'instrument. A cette époque, les musiciens capables de produire un tel solo sur les harmonies sophistiquées de « Cherokee » étaient peu nombreux. On pense à Dizzy Gillespie, Art Tatum, Lennie Tristano, Fats Navarro et Bud Powell. Finalement, Gillespie joua de la trompette durant le thème et se mit au piano pendant le solo de Parker. On remarque également l'interaction de Parker et Max Roach (1914-1985), l'un des plus grands batteurs de Bird, au moment de l'interprétation du thème et durant les improvisations. Contrairement aux batteurs de la période swing, dont le principal rôle était de maintenir un tempo régulier en faisant très peu attention aux improvisations des solistes, Clarke n'hésitait pas à engager Parker dans un dialogue rythmique. C'était un dialogue hautement interactif qui se déroulait sur le moment, une création instantanée pourvue de sens qui comprenait des phrases, des exclamations, des accents, une ponctuation. Clarke bouleversa le rôle traditionnel du batteur. Assujetti jusque-là à maintenir un

tempo régulier pour les danseurs, il devint un vrai accompagnateur et une source d'inspiration pour les solistes. Clarke pointa la connexion omniprésente dans le be-bop entre la batterie et le soliste : « quand les cymbales sont jouées en accords avec ce que le soliste joue, quelque chose qui correspond, c'est vraiment beau, à ce moment tout arrive, juste ici. »65 Avec Dizzy Gillespie, le langage rythmique de Charlie Parker était en ainsi à l'avant-garde de son époque. L'unité rythmique élémentaire employée par Parker de même que la plupart de ses pairs (Bud Powell, Dizzy Gillespie Thelonious Monk (1917-1982) était la croche. Néanmoins, le recours à la double

croche parfois même au sextolet était fréquent dans ses interprétations de ballades ou dans les pièces avec un tempo moyen tel que sur « Parker Mood »66.

Exemple musical 7 : « Parker's Mood », Savoy. Deux mesures du solo de Charlie Parker

(Eb7).

Lester Young usait d'une grande variété rythmique déjà au côté de Count Basie : croches, noires, syncopes, par exemple sur le morceau « When You're Smiling ». Comparé à Young, les solos de Parker apparaissent plus denses. Aussi pour contourner la division des phrases conventionnelles du swing en quatre ou huit mesures, Parker et les boppers construisirent des lignes mélodiques asymétriques et prolongèrent la longueur de leurs phrases. Elles pouvaient être placées de manière inopinée en début ou à la fin de la mesure. Konitz et Tristano, héritiers de ces avancées apportèrent à leur tour un degré supérieur de sophistication rythmique comme nous le verrons dans le chapitre consacré à Lennie Tristano. Habitué au jeu des saxophonistes de

l'ancienne génération - Johnny Hodges (1906-1970), Benny Carter (1907-2003) et Lester Young

65 GILLESPIE, Dizzy, To Be, or Not to Bop, Univ Of Minnesota Press, 2009, p100 «When the cymbals are played according to what the soloist is playing, something that corresponds, it's really beautiful. That's where the whole thing happens, right there.»

66 PARKER, Charlie, Charlie Parker All Stars, Savoy, New York 1948.

- la découverte de Charlie Parker fut un choc pour Konitz. « Lorsque pour la première fois j'écoutai Parker, je fus vraiment émerveillé mais pas encore convaincu. » 67 Virtuose certainement dans leurs styles respectifs, le jeu des maitres du swing contrastait avec la maîtrise instrumentale, la fluidité des phrases et la virtuosité technique de Parker. Le bop échappait encore à l'oreille du jeune Konitz. Ainsi la virtuosité est évidente chez Parker, par exemple quand il prend son envol sur des ballades comme « Embraceable You », « Don't Blame Me » ou « Out of Nowhere ». En dédoublant son débit, il atterrissait toujours élégamment sur le temps. Elle est aussi évidente dans la version de « Koko »68, enregistré sur le label Savoy en 1945, dans laquelle Parker, en dépit du tempo de 300 à la noire et des changements d'accords complexes, Parker parvient à créer une mélodie continue, construite avec logique, et des phrases qui font sens. Parker improvise de façon extrêmement claire, afin de bien faire ressortir les harmonies, dont l'enchaînement dans « Koko » était très rapide.

1.2.4 Un répertoire commun

Lee Konitz et Charlie Parker partageaient un répertoire commun issu du cadre traditionnel des standards de jazz dont l'origine se trouve dans les chansons de Tin Pan Alley, des morceaux composés par les musiciens de jazz et enfin, dans une moindre mesure pour Konitz, à travers le blues. La différence majeure se trouve dans le recours intensif de Parker aux grilles harmoniques de « I Got Rhythm » et des multiples formes du blues dans ses compositions plutôt

que l'usage des show tunes69 de Broadway. Exception faite de l'album Charlie Parker With

Strings70 qui fut composé exclusivement de standards. Il est la compilation de deux séances pour le label Mercury. Néanmoins, le répertoire de Konitz était plus diversifié car il comportait d'avantage de standards et en revanche moins d'anatoles 71 et de blues. Pour autant,

67 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, page 15

68 « Koko » est construit sur la grille du célèbre standard de Ray Noble, Cherokee

69 Un Show Tune est une chanson populaire originalement écrite pour une comédie musicale ou un film.

70 PARKER Charlie, «Charlie Parker With Strings», Mercury, New York, novembre 1949 et juillet 1950

71 L'anatole est un terme employé par les musiciens francais pour indiquer une forme AABA de 32 mesures bâtit sur la grille harmonique du standard «I Got Rhythm ».

l'interprétation de « Blues for Bird »72 en solo de saxophone, lors du dixième anniversaire de la

disparition de Parker, témoignait d'une profonde maitrise du blues.

Comme Parker précédemment, les improvisations de Konitz effacent parfois les mélodies

sur lesquelles elles étaient basées. A titre d'exemple, « Embraceable You » est rebaptisée

« Meandering ». Sur cette ballade Parker commence à improviser dès les premières mesures. Une marque distinctive des musiciens de jazz des années 1920 et 1930 qui préféraient coller davantage à la mélodie. On note que Lester Young avec « These Foolish Things »73 ou Coleman Hawkins sur « Body and Soul » avaient déjà exploré cette pratique mais uniquement en utilisant la ballade comme vecteur. En outre, Konitz interpréta des compositions de Parker telles que l'énergique « Donna Lee » sur l'album Lee Konitz with Warne Marsh paru en 1955.

Curieusement, au moment de la reprise du thème, ils débutèrent la mélodie sur le deuxième temps de la mesure (temps faible) alors que Parker et Gillespie partaient sur le troisième. L'originalité de ce procédé ne semble pas indispensable à la performance. Konitz ne paraît pas aussi à l'aise dans cet exercice. Le déplacement rythmique occasionné contribue en outre à noyer le swing du morceau.

1.2.5 Deux conceptions de l'improvisation

Enfin, nous pouvons distinguer entre ces deux maîtres des différences de point de vue liées à leur approche unique de l'improvisation. Konitz, au côté de Tristano développa une manière plus intuitive d'aborder son solo. Il construisit ses improvisations avec un réservoir limité de phrases préconçues, et reposait assez sur les autres musiciens pour lui fournir de nouvelles idées. Par contre, si un soir l'inspiration venait à lui manquer, il n'avait pas de plan nécessaire pour ce sortir de ce genre de situation embarrassante. De cette façon, il n'avait pas la garantie de pouvoir délivrer une improvisation d'une qualité homogène à chaque performance. Aussi, on note dans ses interventions la place qu'il accorde au silence. Il laisse passer quelques mesures de façon à prendre de la distance vis-à-vis de la musique qu'il est en train de peindre,

72 The Charlie Parker 10th Memorial Concert, New York, Limelight Records, 1965

73 YOUNG Lester, «The Complete Savoy Recording», New York, 18 Avril 1944.

pour observer sa toile avec une vue d'ensemble. Ensuite, il rentre dans le vif du sujet avec des idées fraiches et une vivacité nouvelle. L'enjeu est d'improviser note à note en étant conscient de l'intensité et du timbre de chaque son produit. En outre, pense-t-il davantage pour enchaîner un accord à l'autre en termes d'intervalles qu'en gammes. On associe autant Bud Powell que Lester Young à cette conception de l'improvisation.

Quant à Parker, ses improvisations s'élaboraient à partir de plusieurs types d'approches. Tout d'abord on remarque une stratégie combinatoire. Dans son ouvrage intitulé Analyser le jazz

74 Laurent Cugny définit ce type d'improvisation ; « la combinatoire : le soliste assemble des

unités a priori sans lien entre elles. » Selon James Patrick, Parker façonnait ses improvisations à partir de motifs travaillés préalablement qu'il assemblait spontanément. « Parker fondait ses solos a partir de la grille harmonique sous-jacente, en créant sans arrêt des nouvelles mélodies qui n'avaient pas de ressemblance certaines avec l'originale. En agissant de la sorte, Parker utilisait souvent un procédé de centonization connu des musicologues par lequel, de nouvelles

phrases sont créées à partir de formules mélodiques préexistantes. »75 On qualifie cette approche

également de compositionnelle. Pour Konitz, il était d'avantage un «compositeur» qu'un improvisateur pur, focalisant sur la mélodie en tâchant d'éviter les licks. Ce procédé appelé centonization suggère un assemblage de formules mélodiques préparées. Thomas Owen appliqua cette formule à Parker dans Charlie Parker: Techniques of Improvisation76. Dans une étude minutieuse d'environ 250 solos de Parker, Owen comptabilisa un total de 100 motifs récurrents. Il observait à l'analyse que Parker appliquait un motif particulier en fonction de la grille harmonique et de la tonalité, à la fois en jouant sur les accords déjà établis, les superstructures et

des accords de passage. Néanmoins, Parker possédait également une pensée mélodique horizontale qui lui donnait la liberté d'interagir avec ce qui ce passait autour de lui, en particulier avec le batteur. Konitz met en lumière la part omniprésente d'imprévisibilité et d'improvisation

pure chez lui. « Il concevait ces superbes lignes et les assemblaient de la manière la plus logique

74 CUGNY, Laurent, Analyser le Jazz, Outre Mesure, Paris, 2009

75 PATRICK, James, «Charlie Parker», The Oxford Companion to Jazz, Oxford University Press, New

York, 2000 `'Parker based his solos on the underlying chord structure, endlessly creating new melodies with no obvious resemblance to the originals. In doing so, Parker often used a process known to musicologists as centonization whereby new works are created out of short, preexisting melodic formulas.''

76OWEN, Thomas, Charlie Parker: Techniques of Improvisation, non publié, Los Angeles, 1974

et les interprétaient jusqu'à ce qu'elles prennent vie, ensuite il décidait de dépendre de ce qui communique réellement avec son public. »77 Enfin, au cours de ses improvisations en public, il lui arrivait d'incorporait des citations provenant aussi bien du répertoire jazz que classique, sans pour autant briser la continuité mélodique. L'intuition était prédominante dans son style ainsi que le recours à de courtes cellules mélodiques caractéristiques. Pour lui « intuitif signifie que vous n'avez pas vraiment de plan. Vous commencez à jouer avec une concentration intense et, ajoutez une note après l'autre. »78 Chez Konitz, nous remarquons de courtes cellules mélodiques caractéristiques de son style. Plus simples d'exécution, elles sonnent également de manière moins préméditée et mécanique, comparées aux motifs de Parker.

1.3 Lennie Tristano

Pianiste, compositeur et pédagogue, Lennie Tristano était atteint de cécité depuis son enfance. Il fut un acteur essentiel dans la formation de Lee Konitz de 1943 à 1952. En dépit de son handicap, il entra à 12 ans à l'American Conservatory of Chicago, terminant ses études avec une licence en musique à la fin de l'année 1943. C'est à la même époque qu'il s'attacha un cercle de jeunes musiciens prometteurs qui furent à la fois ses disciples et collaborateurs, dont le guitariste Billy Bauer, le saxophoniste Warne Marsh et Lee Konitz également natif de Chicago. Âgé de 15 ans, il jouait déjà professionnellement dans les clubs au ténor et à la clarinette lorsqu'il rencontra pour la première fois Lennie Tristano. « Par accident, je travaillais avec un de ces orchestres de danse de Chicago. J'avais quinze ou seize ans, et je traversais la rue pour aller écouter un ami à moi qui était en train de jouer. Lennie était dans l'autre groupe, qui était un peu comme un orchestre de rumba. Nous sommes entrés en communication immédiatement, et

je sus que cela serait une opportunité pour réellement apprendre la musique. » 79 En 1945,

77 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003 page 103 « he conceived those great phrases and fit them together in the most logical way, and played them until they came alive- and then decided to depend on what really communicates with his audience».

78 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003 page 22

« `'Intuitive'' means you don't really have a plan-starting to play, and with intense concentration putting one note after another ».

79 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, page 5

Tristano enregistra au Birdland80 quelques morceaux en piano solo qui furent parmi les plus acclamés par la critique. Malheureusement les bandes ne verront pas le jour avant leur publication posthume en 1977. Il fut nommé musicien de l'année 1947 par Barry Ulanov, critique du magazine Metronome et apparut sur scène au côté de Charlie Parker, Miles Davis et Dizzy Gillespie (1917-1993) avec le Metronome All Stars. Tristano assembla un sextette dans les années 1948-49 qui, à la manière d'un laboratoire, marqua l'histoire du jazz par ses expérimentations rythmiques et mélodiques. La formation comprenait Billy Bauer (1915-2005) à la guitare, Arnold Fishkin (1919-1999) à la basse, Konitz, Marsh et Denzil Best (1917-1965) à la batterie. Les harmonies produites par les saxophones alto et ténor interprétant les lignes serpentines de Tristano laissèrent en général une impression favorable chez le public. Cependant la critique fut généralement cinglante, qualifiant la musique de Tristano de « cérébrale » et

« glaciale ». Il a été reconnu également comme un précurseur du free jazz pour les enregistrements d'« Intuition » et de « Digression »81 en 1949. Réalisé dix ans avant les premiers prises d'Ornette Coleman et Cecil Taylor (1929), cette séance était entièrement improvisée si l'on excepte les instructions précédant la performance concernant l'ordre d'entrée des solistes. Le groupe incluait Lee Konitz, Warne Marsh et Billy Bauer. Konitz exprime son amertume en ce qui concerne le manque de reconnaissance des musiciens «free» des années 1960 qui ne mentionnèrent pas l'influence qu'ils auraient reçue de la pièce « Intuition » : « Personne dans

toutes ces discussions n'a pris la peine de mentionner cela. Et vous savez très bien que ces gars ont écouté ce disque quelque part en route. Cela n'est pas arrivé de nulle part. »82 Tristano fonda à New York en 1951 la première école de jazz dont les plus fameux étudiants furent Bud Freeman (1906-1991), Art Pepper (1925-1982), Bob Wilber (1928), Mary Lou Williams (1910-

1981) Phil Woods (1931), Dave Liebman, Connie Crothers (1941). D'après Konitz toujours, « il

Lee Konitz,»By accident. I was working with one of the dance bands in Chicago. I think I was fifteen or sixteen, and I went across the street where a friend of mine was playing. Lennie was in the other band, which was like a kind of rumba band. We got in communication immediately, and I knew that this was my opportunity to seriously learn something about the music»

80 Célèbre club de Manhattan.

81 TRISTANO, Lennie, » Lennie Tristano and Warne Marsh, Intuition», Capitol, New York, 1949 .

82 MEADOWS, Eddies, Bebop to Cool, Praeger Londre, 2003, « No one in all this talk, hardly ever mentions that. And you know damn well that these cats have heard that record somewhere along the line. It just

doesn't come from no place. ».

était le premier à présenter une méthode pour l'improvisation en jazz. Presque tout le monde à un moment donné vint étudier auprès de lui afin de savoir de quoi il parlait. »83

Les professeurs étaient tous d'anciens élèves comme Warne Marsh, Lee Konitz et Billy Bauer. Mis à part quelques engagements au Half Note Tristano se produisait rarement sur scène. Durant cette période, il mena plusieurs expérimentations musicales : la technique de l'enregistrement multipiste sur les titres « Tristano », « Line up » et « East Thirty »84, où Tristano improvisait sur des accompagnements préalablement enregistrés. Il augmenta la vitesse de la bande magnétique au cours du mixage final produisant un effet spectaculaire de virtuosité. Il procéda également à des expérimentations rythmiques. Il pratiqua la technique du re-recording

sur la pièce « Turkish Mambo » en enregistrant plusieurs parties dans des métriques diverses. Il continua à parfaire sa technique et à enseigner dans son appartement de Manhattan jusqu'à sa mort en 1978. On considère les albums enregistrés dans les années 50 pour le label Atlantic, Lennie Tristano, en 1955 et en solo en 1962 avec la parution de The New Tristano comme ses plus aboutis.

1.3.1 Une approche différente des boppers

Tristano subit l'influence de pianistes contemporains tels qu'Earl Hines (1903-1983) et Art Tatum (1909-1956) pour ses traits rapides à la main droite, ainsi que des boppers comme Charlie Parker et Bud Powell avec qui il se produisit. Son jeu incorporait une conception de l'harmonie très riche comme si Tristano cherchait a empiler des accords de manière à obtenir l'effet le plus dense possible, ce qui contrastait avec ses longues lignes mélodiques aux contours évoquant les instruments à vents. Il s'agit là d'une particularité dominante de son style.

En 1946, Lennie Tristano, gagna la scène new yorkaise avec un concept qui étendra l'esthétique dominante du be-bop en adjoignant à la musique de Charlie Parker et Bud Powell (1924-1966), une recherche rythmique et un langage harmonique issus de la pratique de la

83 «consulté en août 2010» http://www.melmartin.com/html_pages/Interviews/konitz.html

was the first one to present a method for improvised jazz playing. Almost everyone at some point or other

came to study with him to find out what he was talking about.»

84 TRISTANO, Lennie, «Tristano», Atlantic Records, New York, 1956.

musique contemporaine. Tristano s'intéressait aux oeuvres de musiciens contemporains comme Hindemith et Schoenberg. Les enregistrements de son sextette datant de 1949 tels que « Wow »85 et « Crosscurrent »86 reflétaient le début d'une nouvelle direction musicale, qui etendit les decouvertes harmoniques, ryhtmiques et melodiques du be-bop. Avant lui, Lester Young fut l'un des premiers musiciens de jazz à juxtaposer des motifs irréguliers sur une mesure traditionnelle en 4/4.

La réflexion sur ce sujet de la vocaliste et ancienne étudiante de Tristano, Lynn Anderson est particulièrement enrichissante. Son solo sur la composition intitulée « Line Up » 87, établi sur la grille de « All of Me », reflète une liberté rythmique et harmonique inouïe.

Exemple musical 8 : « Line Up », septembre 1955. Douze mesures d'improvisation de

Lennie Tristano (AbM7 ; C7 ; F7; Bbm7; C7; Fm7)

Son approche linéaire de l'improvisation était un élément majeur de son style. Oblitérant

parfois l'harmonie originelle d'un morceau afin de poursuivre une idée mélodique, Tristano

produisait des effets de déplacements rythmiques en répétant des courtes phrases sur plusieurs

85 TRISTANO Lennie, Wow, Capitol, New York, Mars 1949

86 Idem

87 TRISTANO Lennie, New Tristano, Atlantic, New York, 1957

mesures. Sans perdre le fil harmonique du morceau, Tristano créait une sensation d'instabilité avec la rythmique qui l'accompagnait, comme on peut le remarquer sur la version de « Donna Lee » enregistrée en public sur l'album, Live at The Confucius Restaurant88. La cohésion de l'ensemble en pâtit car la section rythmique tendait à se contracter sur les phrases complexes du pianiste, empêchant la flexibilité du jeu qui reste vitale pour le swing.

La difficulté qu'il rencontra à obtenir une section rythmique qui lui convienne l'a poussé à expérimenter avec des accompagnements pré-enregistrés. Ainsi sur « Line Up », composition originale fondée sur la progression harmonique de « All of Me », Tristano choisit d'enregistrer la section rythmique au préalable. Il improvisa ultérieurement sur les bandes à un tempo deux fois moins élevé. Le résultat est une improvisation mélodique unique, riche en complexités rythmiques et harmoniques. Pour ce faire, il recherchait un accompagnement de la section rythmique le plus droit possible rythmiquement et, le plus épuré du point de vue harmonique sur lequel il pouvait construire des figures polyrythmiques. « Je veux un rythme qui coule. Je veux des personnes qui ne cassent pas le rythme avec des figures qui sont vraiment hors contexte. Les figures que j'utilise devraient être dans le contexte de ce qui est en train de se passer, pour ne pas casser la continuité de l'ensemble. Beaucoup de batteurs interpolent des figures qui cassent la ligne. Tout d'un coup, la ligne s'arrête, et ils jouent une jolie figure rythmique sur la caisse claire ou sur le tom. Avec les sections rythmiques avec lesquelles j'ai joué, je n'ai pas eu le sentiment d'une pulsation constante quoi qu'il arrive. Dès que je sens la pulsation s'interrompre, mon flux est interrompu que je sois en train de jouer ou en pause, parce que c'est

la même chose.» 89

Sur le même répertoire de standard employé par les boppers, Tristano tricotait de longues lignes mélodiques originales et harmoniquement audacieuses. Déjà en 1946, date de son premier enregistrement, il s'était délivré de la tyrannie des barres de mesure et construisait ses lignes

88 TRISTANO Lennie, "The Sing-Song Room, Confucius Restaurant", Atlantic, New York, 1955.

89 SHIM Eunmi, Lennie Tristano His Life in Music, University of Chicago, 2007. Page 181 « I want time that flows. I want people who don't break the rhythm with figures that are really out of context. What figures are used should be in the context of what's happening, so as not to break continuity. A lot of drummers interpolate figures that break the line. All of a sudden, the line stops, and he plays a cute figure on the snare drum or tom-tom. » Il ajote aussi « With rhythm sections I've played with, I don't have the feeling of a constantly flowing pulse no matter what happens. As soon as I feel the pulse being interrupted, my flow is interrupted whether I'm playing or resting, because it`s all the same thing »

librement et sans entrave. Du point de vue harmonique, il fut influencé par les compositeurs Européens du XXe siècle. Il intégra la polytonalité, élément nouveau et avant-gardiste, de façon la plus spontanée et naturelle possible à son discours. Ces innovations semblaient, sans conteste, être les prémices d'un nouveau langage dont certains pianistes majeurs des années 1960, comme Herbie Hancock, s'inspirèrent. Ce dernier ne cacha pas son admiration pour Tristano. « En ce qui concerne son influence sur moi, le fait que je l'ai apprécié, je suis certain que son jeu a déteint

sur moi...d'une façon ou d'une autre. »90 On s'en aperçoit d'ailleurs à l'écoute de l'album de

Davis, Miles Smiles91, à travers ses solos composés de longues lignes mélodiques. À l'image de Tristano, Hancock se sert de sa main droite, qu'il fait sonner dans le registre grave du piano, à la manière d'un instrument à vent.

1.3.2 Un répertoire construit sur le démarquage des standards

Conformément à l'usage du bop, Tristano avait un goût pour le démarquage de standards. Il empruntait les grilles harmoniques de show tunes de Broadway et y ajoutait un thème original. Ses mélodies témoignaient d'une plus grande sophistication. En effet, il surimposait des lignes polytonales sinueuses avec des rythmes complexes comme on peut l'entendre au travers de pièces comme « Wow »92, réalisée en 1949 ou « 317 East 32nd Street »93 devenu un classique, respectivement basées sur « You Can Depend on Me » et « Out of Nowhere ». Si la musique de Tristano a été trop souvent considérée comme une « version intellectualisée du be-bop »94, ce

que prétendent par exemple Gary Giddins et Scott Devaux, on pourrait en dire autant de Dizzy

90 SHIM Eunmi, Lennie Tristano His Life in Music, University of Chicago, 2007. Page209 « As far as Lennie's influence on my playing, the fact that I liked him, I'm sure that the influence probably rubbed off...one me some way »

91 DAVIS. Miles, Miles Smiles, Columbia Records, New York, 1967.

92TRISTANO, Lennie, Lennie Tristano Quintet Live in Toronto, New York, le 4 mars 1949.

93 TRISTANO, Lennie, Lennie Tristano Sextet Toronto , New York, le 4 mars 1949.

94 GIDDINS Gary, DeVaux Scott, Jazz, Norton Company, New York, 2009 « intellectualized version of bop » page 341.

Gillespie, considéré par Tristano comme « le maitre du nouvel idiome »95 qui était à la fois

théoricien et l'un des principaux interprètes du be-bop.

À cette époque Lee Konitz et Warne Marsh mettent au point une technique de contrepoint initiée par Tristano qui évoquait les orchestres de la Nouvelle-Orléans. L'alchimie inouïe des deux musiciens n'avait pas d'équivalent à l'époque. La ligne mélodique improvisée de l'alto se combinait parfaitement à celle du ténor à la manière d'une invention de Bach. D'ailleurs ils incluaient de temps à autres une invention de Bach à deux voix dans leur programme de concert.

D'après Konitz96 « deux lignes simultanées qui sont fortes formeront un bon contrepoint. » Les

deux lignes mélodiques créées spontanément demeuraient parfois indépendante l'une de l'autre. Néanmoins leurs attaches à l'harmonie du morceau les maintenaient la cohérence et leur à- propos. Konitz se souvient de l'effet produit dans le monde du jazz. « Quand nous avons joué pour la première fois, ces techniques étaient encore relativement nouvelles, les gens les considéraient comme quelque chose qu'ils n'avaient jamais entendu avant ; cela représentait quelque peu un défi pour les musiciens désireux de comprendre cette manière de jouer. En fait, cela le demeure d'une certaine façon, parce que cette conception particulière n'a jamais été standardisée comme le be-bop ; cela reste une spécialité, ce que l'on appelle soi-disant l'École

de Tristano. »97

1.3.3 Le professeur de Konitz

Pour Konitz, Tristano fut en même temps un professeur, un ami et un employeur. L'éducation musicale de Konitz à Chicago ne comprenait pas le be-bop. Il lui donna à voir à quoi le monde de l'improvisation jazz ressemblait. À quel point c'était une discipline sérieuse qui exigeait un investissement considérable. Il débuta par l'apprentissage de la clarinette

95 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003 page 49

« I think that two simultaneous lines that are strong will form a good counterpoint ».

97 «consulté en juin 2010» http://www.jazzprofessional.com/interviews/Lee%20Konitz._1.htm "when we first played, those techniques were still kind of new, and people discussed them as something that they hadn't heard before; it presented a certain kind of technical challenge for musicians who wanted to understand that way of playing. Well, it still does, in a way, because this particular conception has never become standardized like bebop; it's still a specialized way of playing, the so--called Tristano school.»

tout d'abord puis passa au saxophone alto. Ses premiers professeurs lui transmirent les rudiments de la technique instrumentale et l'initièrent à l'improvisation. Il rencontra les jeunes boppers tels que le guitariste Jimmy Raney (1927-1995) et le pianiste Lou Levy (1928-2001) mais ne partagea pas la scène avec eux. Tristano encouragea le jeune Konitz à improviser.

Il lui ouvrit un monde musical fascinant où il pouvait joindre à la théorie une approche plus intuitive de la musique : la création originale de lignes mélodiques sur le moment, guidée par son instinct. Konitz dressait le bilan de cet enseignement en des termes positifs. Tristano lui conseilla d'aller chercher en lui-même ses mélodies intérieures, et de « découvrir ce que j'entendais réellement et non pas faire seulement ce qui me semblait convenir. La plupart de ce

qu'il m'enseigna est toujours pertinent aujourd'hui. »98

1.3.4 Un enseignement du jazz sans précédent

La pédagogie de Tristano était ouverte à tout instrumentiste selon Konitz. « Tristano incarnait un courant à lui tout seul. Il enseignait sous forme de concepts. Du coup, on trouvait même des batteurs dans ses élèves. Al Levitt, par exemple. La priorité de Lennie ? Les mélodies. Il se positionnait en dehors des modes et des tendances .»99

L'enseignement était la principale activité de Tristano qu'il poursuivra toute sa vie en dépit de l'enregistrement d'albums ou la performance en public. D'après Eunmi Shim, il aurait eu

400 ou 500 élèves par an au milieu des années soixante, ce qui lui permit de vivre convenablement de cette activité. Néanmoins, il est intéressant de se demander quelle carrière aurait eue Lennie Tristano s'il ne s'était investi autant dans l'enseignement. Pour Konitz, Tristano aurait été davantage présent en tant que pianiste dans le monde du jazz. « S'il n'avait pas eu les stigmates

du professeur, il aurait été plus accepté comme pianiste, je pense. Parfois il était vu comme un professeur en premier et commeperformeur en second. Pourtant c'était un

performeur d'abord, un grand pianiste. »100

98 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, page 24 « to find out what I was really hearing and not just doing things that I thought were the thing to do. But most of what he taught is still relevant to me «

99 PFFEFER, Bruno, Le Jazz et Konitz : une vie entière dans mon Lee, 2009 http://jazz.blogs.liberation.fr/pfeiffer.

1.3.4.1 L'étude des maîtres

Durant ses leçons dans son appartement situé au centre de Manhattan, Tristano insistait sur l'imitation des maîtres du jazz afin de s'en servir comme outil pour sculpter sa propre identité. Son panthéon incluait Louis Armstrong (1901-1971), Lester Young, Billie Holiday (1915- 1959), Charlie Christian (1916-1942), Bud Powell (1924-1966), Roy Eldridge, (1911-1989) Fats Navarro (1923- 1950), Lee Konitz, Warne Marsh et plus tard Freddie Hubbard (1938-2008). Selon Warne Marsh, « l'étudiant recevait en premier lieu une initiation à la musique de Louis [Armstrong], Prez et Bird. »101. Avant même l'apprentissage de la théorie et de la technique instrumentale, Tristano recommandait à ses nouveaux étudiants d'écouter les musiciens cités plus haut afin de les sensibiliser à l'émotion et l'intensité du jazz. Selon lui, « la fonction du musicien de jazz est de ressentir. »102 Le jeune apprenti focalisait directement sur la musique. Tristano accoutumait l'étudiant en premier lieu aux plus illustres, Louis, Prez et Bird. Selon Tristano, « tu dois être influencé par tous les grands musiciens. Peu importe l'instrument que tu joues, car l'essence du jazz c'est le feeling, ce ne sont pas vraiment les notes. »103 Rejouer les improvisations des maîtres permettaient d'entrer en communication directe avec leur feeling.

Il insistait sur l'entraînement oral de l'élève afin de développer la capacité d'écoute et de réaction. Chanter des solos des maîtres avec le disque est devenu une pratique aujourd'hui répandue dans la pédagogie notamment grâce à Dave Liebman (1946) et Lee Konitz. Cela permettait d'entrer dans la peau du soliste et de ressentir à son tour l'émotion de l'improvisateur. De plus, cette pratique améliore sensiblement l'intonation et la reconnaissance des intervalles.

100 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003 page 64

« If he hadn't had the teacher stigma, he would have been more accepted as a pianist, I think. Sometimes he was thought as a teacher first and a player second. But he was a player first, a great pianist »

101 SHIM Eunmi, Lennie Tristano His Life in Music, University of Chicago, 2007« A student who has any listening experience first gets an education in Louis , Prez and Bird. »

102 BILLARD, François. Lennie Tristano, Editions du Limon, 1988

103 SHIM Eunmi, Lennie Tristano His Life in Music, University of Chicago, 2007 page 124 « You have to be influenced by all great musicians, no matter what instrument they play, because the essence of jazz is feeling, it's

not really the notes, and it's the feeling behind. »103

1.3.4.2 La composition

Une autre tâche était l'écriture de solos de trente-deux mesures basées sur l'harmonie d'un standard. Le but étant de coucher sur papier le solo que l'on aurait aimé improviser. La première étape est l'écriture; ensuite vient la mémorisation du solo et enfin son interprétation musicale. Cette pratique engendre une meilleure conscience du processus de l'improvisation et parfois aboutit à la création d'un matériel utilisé sur scène tels que « Subconscious-lee »104 de

Lee Konitz et « Marshmallow »105 de Warne Marsh.

Les compétences élémentaires du musicien sont un des principes fondamentaux de son enseignement: l'intonation, le travail de l'oreille, le rythme, l'harmonie au clavier, chanter les solos. Il déclara en 1962 : « enseigner les fragments ne m'intéresse pas, seulement la totalité... Bird était certainement meilleur que tous ses plans. C'est pourquoi ses imitateurs n'étaient pas

si bons. Ils ne travaillaient que les parties. »106 Ainsi, Tristano entendait transmettre à l'étudiant

une formation musicale complète. Pour cela, il transféra en quelque sorte les méthodes pédagogiques dites classiques issues du conservatoire, pour les appliquer au jazz. Selon Warne Marsh, « ses explications étaient de la pure théorie européenne. » 107 Les aspects les plus importants étaient la composition, l'harmonie au clavier, l'étude de la polytonalité et la polyrythmie. Tristano insufflait un cadre et une discipline de travail aux étudiants. On constate que sa méthode pédagogique évolua vers la fin de sa vie. Selon le témoignage d'anciens étudiants, Tristano aurait diminué son niveau d'exigence. Cela expliquerait peut-être l'absence

de figures marquantes, à l'image de Warne Marsh ou de Lee Konitz, parmi la génération

suivantes d'étudiants.

104 «Subconscious-lee» est une composition de Lee Konitz basée sur la grille harmonique du standard

«What is This Things Called Love». Il figure sur l'album éponyme enregistré dans les années 1949 -1950 sur le label

Prestige.

105 « Marshmallow » est un thème de Warne Marsh base sur les changements harmoniques de «Cherokee»

106 SHIM Eunmi, Lennie Tristano His Life in Music, University of Chicago, 2007 page 125 « I'm not interested in teaching parts. Only the whole...Bird was certainly the greater than all his licks. That's why the imitators are not so great. They're only doing the parts »

107 «consulté en août 2010» http://www.scribd.com/doc/28356274/A-Conversation

1.3.5 Une musique cool ?

1.3.5.1 Origine du Cool

Durant les années 1950, le terme «cool» était utilisé pour décrire une branche particulière du jazz issue du be-bop. Caractérisé par une conception laid-back 108 du temps, c'était une musique plus calme et introspective. Le cool était représenté largement par les jazzmen blancs109 de la Californie. Leur style collectif fut appelé West Coast Jazz et incluait des musiciens de premiers ordre tels que Art Pepper (1925-1982), Bud Shank (1926-2009), Shorty Rogers (1924-

1994), Marty Paich, (1925-1995) de la côte Ouest des États-Unis.

1.3.5.2 Distinction entre Hot et Cool

Curieusement le cool a longtemps été définit comme l'antithèse de «hard» et non de «hot». Le hard bop est apparu à New York, Detroit et Philadelphie vers la fin des années 1950. Reflétant la vie intense des métropoles de la côte Est des États-Unis. Il est une extension du be- bop dont le style agressif, la référence prépondérante au blues et, une urgence émotionnelle étaient originairement perçus comme une réaction à la tendance cérébrale du cool. Le hard bop était identifié comme une musique noire. En conséquence, les musiciens blancs étaient souvent jugés à tort par les critiques de l'époque comme introspectifs et intellectuels alors que les jazzmen noirs étaient perçus comme plus instinctifs, émotionnels et incarnaient la tradition du blues. Le groupe porte-drapeau de ce style était l'orchestre des Jazz Messengers d'Art Blakey (1919-1990).

Le terme hot en revanche soulignait une conception strictement émotionnelle de la musique. Selon Tristano, le feeling que les joueurs hot exprimaient était gorgé d'agressivité et révélait plus l'ego du musicien que quelqu'un qui était au service de la musique. On pouvait les reconnaître à travers leur timbre sale et leur vibrato empathique. Les pionniers du style cool comme Bix Beiderbecke, Franck Trumbauer, Lester Young peignaient un feeling qui n'évoquait pas un sentiment précis. Leur musique était interprétée avec un vibrato mesuré, un timbre

108 `'Laid-back'' est une expression employée par les musiciens de jazz qui renvoie à une conception en arrière du tempo, légèrement en retard et relâché.

109 On note bien sur des exeptions comme le Modern Jazz Quartet et Miles Davis.

restreint, une dynamique sonore stable, un phrasé clair et détaché, des harmonies diatoniques et parfois sophistiquées et un recours modéré à l'idiome du blues. Il convient de ne pas prendre les remarques de Tristano au pied de la lettre et de relativiser ses propos amers. Il a pu dire de musiciens tels que John Coltrane, Miles Davis, Sonny Rollins et Ornette Coleman: « que de l'émotion, aucun feeling. »110 Pendant le règne du be-bop, Charlie Parker jouait de façon cool sur ses compositions telles que « Yardbird Suite » et « Cool Blues ». En le voyant sur scène, Konitz était fasciné par l'immobilité de Parker et sa profonde concentration. « Charlie Parker ne

bougeait pas d'un muscle pendant qu'il jouait [...] il n'y avait pas de mouvements gaspillés. C'est la posture la plus désirable à mon sens. »111 Malgré un tempérament différent de Parker, Konitz s'inspira de sa maitrise émotionnelle et de son austérité. Doté d'un penchant pour des mélodies simples et le dépouillement plus que pour la virtuosité et se satisfaisant d'une exécution musicale pure sans mise en scène ni sensationnalisme, le style de Konitz était classé dans la catégorie des joueurs cool par les critiques. « Quand je joue, je pense uniquement à interpréter

une succession de notes mélodiques, avec un sens du rythme aussi précis que possible. Je ne suis pas spécialement d'humeur poétique [...] J'essaie juste de jouer la musique à la fois de manière claire, chaleureuse et positive - c'est vraiment ma motivation. »112 Il déplorait la confusion que provoquait cette appellation. « C'est pourquoi j'ai été estampillé avec le son «cool». Les gens

me disent, «quand vas-tu commencer à swinguer ?». Ce n'est pas une compétition pour moi. »113

110 BILLARD François. Lennie Tristano, Editions du Limon, 1988.

111 Hamilton Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, p 31 «Charlie Parker didn't moved a muscle when he was playing; [...]There was no wasted motion, That's the most desirable way to me''

112 Hamilton Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, p31«When I play, I'm just thinking playing a melodic succession of notes, with as accurate a time-feeling as possible. I don't feel very poetic. [...] I am just playing the music clear, warm, and positive- that's really my motivation `'

113 «consulté en mai 2010» http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=128953406« This is what I got coined with -- the "cool" sound. Some people say, 'When are you gonna swing?' It's not a competition to me«

Les musiciens qui représentaient l'esthétique cool étaient pour Konitz, Louis Armstrong, Lester Young, Charlie Parker. Selon lui, la distinction entre hot et cool ne procédait pas d'une question raciale, sociale ou stylistique mais uniquement musicale. « Quelqu'un me demanda une fois il y a longtemps à la télévision le sens du jazz cool. J'ai indiqué que lorsque Louis Armstrong joue de manière excellente, il est cool. Quand Charlie Parker joue superbement, il est cool. Le hot est

seulement la part de show business. »114 À travers les multiples connotations, le plus souvent

négatives, qu'englobe le terme cool, Konitz redéfinit complètement sa signification. « Nous avions toujours pensé cela en termes positifs. J'avais un album avec des glaçons sur la couverture. Maintenant c'est une insulte pour un improvisateur qui est supposé jouer une sorte de musique passionnée. »115 Il regrettait également les accusations contre Lennie Tristano. « Ils le traitaient de froid et incapable d'émotion. Comment quelqu'un qui dévoua sa vie à la pureté de son art, qui ne se vendit jamais, pouvait-il être froid et sans émotion? Ce sont les musiciens

qui remanient leurs ''licks'' et les styles, et les techniciens froids qui sont froids et sans émotions. La technique incroyable de Lennie est l'extension directe de son feeling, non le contraire comme la plupart des personnes essaient de faire. »116

1.3.5.3 Les connotations négatives attachées au Cool

Les critiques dénotaient la musique de Tristano et de ses suiveurs avec des épithètes péjoratifs pour un jazzman tels que «froid» et «cérébral». Le sextette avait été surnommé « les six souris aveugles »117 se souvient Konitz. À l'époque, ces connotations dépréciatives avaient plusieurs origines. Sociale tout d'abord, on pourrait attribuer ces critiques au fait qu'à cette époque peu de musiciens blancs et encore moins de be-bop s'exprimaient avec un feeling

114 MURPHY, Molly, Interview pour les NEA (National Endowment for the Arts Jazz Masters), 2009

« Someone asked me once a long time ago on a television thing about the meaning of cool jazz. And I mentioned that Louis Armstrong when he's playing great is cool, man. Charlie Parker when he's playing great is cool. The hot is just the show business part.

116«consulté en mai 2010» http://www2.pcom.net/sminer/x4_28_77.htm, 13 aout 2000. «They called him cold and unemotional. How can someone who devotes their life to the purity of their art, who never sells out, be cold and unemotional? It's people playing rehashed licks and styles, and cold technique who are cold and unemotional. Lennie's incredible technique came from his stretching out from his feeling, not vice versa as most people try to do.»

117 SHIM, Eunmi, Lennie Tristano His Life in Music,University of Chicago, 2007 « The Six Blind Mice »

authentique de jazz. Certains étaient accusés de copier la musique des Noirs. Le be-bop né à Harlem, était le fruit de revendications politiques et représentait un moyen d'émancipation destiné à mettre en valeur une communauté stigmatisée. Ce jazz moderne formait une contre- culture, un cercle fermé qui exigeait un investissement profond de la part du musicien venant de l'extérieur pour interpréter le be-bop correctement et mériter sa place dans la communauté. Mis à part Bix Beiderbecke, Stan Levey, Al Haig. Red Rodney, Phil Woods et quelques autres, les jazzmen blancs étaient souvent décrits par les critiques comme des musiciens classiques : intellectuels, virtuoses mais dénués de swing et de passion. Pour Bill Kirchner, Konitz était l'épitome d'un jazz flegmatique. « Aucun artiste n'a poussé plus loin la distance émotionnelle du jazz cool d'un aussi grand extrême que Lee Konitz, un autre ancien élève du nonette de Miles Davis, exception faite peut être de ses collègues réguliers, son pianiste et mentor le pianiste

Lennie Tristano et Warne Marsh au saxophone ténor. »118

Les attaques émanaient également des musiciens contemporains tels que Dizzy Gillespie et touchait a l'aspect rythmique de la musique. « Il n'y avait pas de tripes dans cette musique, ni de rythme119 non plus. Ils ne transpiraient jamais sur scène, Lee Konitz, Lennie Tristano, et ces types. »120 Dizzy, chef de file des boppers, mettait ainsi en cause leur manque d'engagement. Il est vrai que Tristano avait une conception spécifique du rôle de la batterie. Elle a toujours occupé dans les formations de Tristano un rôle moindre que dans les ensembles be-bop. Elle devait

maintenir un flot rythmique régulier et une dynamique moyenne afin ne pas recouvrir les solistes et les perturber dans leurs improvisations. Gerry Mulligan en fin observateur remarqua cette différence entre Tristano et les boppers : « c'est difficile de dire sans émotion, parce que ce

n'était pas exactement ça, mais il y avait une tranquillité dans toute son approche du niveau

118 KIRCHNER, Bill, The Oxford Companion to Jazz, Oxford Companion, 1988, page 334 «No artist pushed the emotional distance of cool jazz to a farther extreme than Lee Konitz, another alumnus of the Birth of Cool band- except perhaps his frequent colleagues, pianist and mentor LT and tenor saxophone WM.»

119 Il faudrait remplacer ici le terme «rythme'' par swing.

120 GILLESPIE Dizzy, To Be or Not to Be «There was no guts in that music, not much rhythm either. They never sweated on the stands, LeeKonitz, Lennie Tristano , and those guys»

dynamique sonore. »121 À l'écoute, cette section rythmique peut sembler ennuyeuse à cause de l'interaction limitée des musiciens avec la batterie. Par conséquent, la section rythmique n'était pas aussi intense que celle des boppers. Cependant, les critiques qui qualifièrent la musique de Konitz de cérébrale, suggérant une absence de feeling et une improvisation préparée, semblaient avoir manqué l'essence de son jeu. Konitz se souvient d'avoir partagé des moments forts avec le clan Tristano : « avec Billy (Bauer) et Warne Marsh, parfois nous créâmes des moments extraordinaires. Malheureusement ils ne furent pas tellement enregistrés. » 122 Selon Peter Watrous du New York Times, « la musique faite par le pianiste Lennie Tristano et ses élèves ne parvient pas à émouvoir l'auditeur. Vous devez la suivre dans des coins obscurs où elle est partie se cacher; la musique est timide et semble anti-dramatique. »123 La dynamique sonore paraissait sans doute moindre comparée à la section rythmique de Charlie Parker ou d'Art Blakey. L'objectif de Tristano était de produire une musique aux lignes équilibrées et naturelles, de construire une architecture sonore sensée et sans excès qui pouvait sembler parfois inexpressive et ennuyeuse. Konitz n'était pas favorable de prime abord au sensationnalisme du

be-bop mais a reconnu sa nécessité pratique. « C'était définitivement une question de show business, en terme de communication avec un public qui pouvait ne pas connaitre la musique. Quelle que soit l'audience que le be-bop ait eue, qui était certainement un public petit, limité, elle était due en partie, selon moi, à cette sorte d'expression dynamique. »124 Au cours des années 1960 et 1970, Konitz ne fut pas un soliste aussi populaire que Phil Woods, Art Pepper ou

Jackie McLean. « Il y eut une période où le saxophoniste alto Lee Konitz n'était pas une

121 MACMILLAN, Jazz Masters of the Forties, New York, 1966 « It's hard to say unemotional , because it's not exactly that , but there was a coolness about his whole approach in terms of the dynamic level »

122 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003 page 65

« With Billy and Warne Marsh, sometimes we hit some extraordinary moments. Not too much of that was recorded, unfortunately. »

123 WATROUS Peter, A Kind of Shy Counterpoint That's Rarely Heard Today, New York Times, 17 avril

1999» The music made by the pianist Lennie Tristano and his students doesn't come out and shake a listener. You have to follow it into the dark corners where it's gone to hide; the music is shy and seemingly anti-dramatic.»

124 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003 page 23 «this was definitely a showbiz consideration, in terms of communicating to an audience who might not know about music. Whatever audience bebop got, which was certainly a small, limited audience, had to do in part, I think, with that kind of dynamic expression. »

attraction régulière dans le circuit des clubs de New York. En fait cela n'a jamais été le cas pendant le plus gros de sa carrière : Mr Konitz n'a jamais été le plus chaleureux ou le plus facile d'accès des légendes du jazz et, a longtemps souffert d'une relation erratique avec les projecteurs. »125 Ainsi, même après sa collaboration avec Tristano, Konitz est resté en quelque sorte une figure du cool, en dehors du courant et des modes principales du jazz.

1.3.5.4 L'intuition avant tout

Konitz choisit de se consacrer à un art dénué de sensationnalisme, à une discipline exigeante: la recherche de nouvelles mélodies à travers l'improvisation. L'approche intuitive de Tristano semblait être la cause d'une musique qui bien que puisant sa source dans le be-bop apparaissait plus introspective. Moins accessible que celles de Bud Powell ou Charlie Parker, la musique de Tristano demandait de la part du public un effort d'écoute pour appréhender sa complexité rythmique et mélodique. En effet, une éducation musicale et une connaissance de l'histoire du jazz était préférable. Ce processus d'improvisation demandait d'éviter les chemins déjà traversés et, note après note, de créer de nouvelles mélodies.

1.3.5.5 Peut-on opposer le cool au be-bop?

Le style de Konitz se définit par une synthèse des principaux solistes de son temps en incluant Louis Armstrong, Lester Young, Lennie Tristano et Charlie Parker. Eddie Meadows, dans son ouvrage Be-bop to cool, classait le style de Konitz à la croisée du bop et du cool. Selon lui, « les improvisations de Konitz reflétaient aussi bien l'influence du cool que du be-bop. Son utilisation constante d'une sonorité presque dépourvue de vibrato, ses tempos lents à modérés, son emploi judicieux de notes et le silence à l'intérieur de ses improvisations, se retrouvent dans les concepts relatifs au cool. Quelques improvisations de Konitz ont aussi une syntaxe be-bop.

Des quintes diminuées et des neuvièmes mineures peuvent être trouvées dans « Love for Sale » et

125 CHINEN Nat, Spanning Generations While Sticking to Old Standards, New York Times, 2009«consulté en juillet 2010»

«There was a time when the alto saxophonist Lee Konitz wasn't a regular attraction on the New York club

circuit. Actually, that was the case for much of his career: Mr. Konitz, never the warmest or most ingratiating of jazz legends, has long had a fickle relationship with the spotlight»

« There Is No Greater Love »126. En réalité, d'un point de vue spécifiquement musical, il n'existe pas de différence notoire. Les quintes diminuées et les neuvièmes étaient déjà présentes dans le vocabulaire de la majeure partie des musiciens dès la période swing. L'argument à propos de l'emploi du vibrato et des tempos modérés n'est pas pertinent. Le vibrato de Charlie Parker était à certains moments imperceptible d'une part. D'autre part, Konitz était aussi capable d'improviser sur des tempos rapides comme l'attestent les enregistrements de « Marshmallow »,

« Subconcious-Lee », « Background Music », « Donna Lee ». Selon Warne Marsh, cette distinction entre cool et be-bop n'avait de sens que pour la critique spécialisée. Durant les années

1940 et 1950, Charlie Parker et Lennie Tristano représentaient l'avant-garde du jazz. « À cette époque, le terme jazz avait seulement deux significations. Il évoquait d'une part les contemporains, la ville de New York, Charlie Parker, Lennie, Lee et d'autre part le Dixieland, c'était tout. Aujourd'hui ils essaient d'inventer d'autres significations. Maintenant les gens essaient d'inventer d'autres sens pour en trouver d'autres encore. Mais au milieu des années

1950, durant la vie de Charlie Parker, il y avait juste la compréhension qu'il était la norme. C'était ce à quoi tout le monde aspirait, improviser aussi bien et autant. C'était vraiment un art de l'improvisation à cette période. »127 On note que, dans cette déclaration, Marsh omet des

musiciens tout aussi primordiaux comme Thelonious Monk, Miles Davis et John Coltrane.

126 MEADOWS, Eddie. S, Be-bop to Cool Context, Ideology, and Musical Identity, Praeger, London, 2003. »So it is that Konitz`s improvisation reflect both Cool and Bebop influences. His consistent use of an almost vibrato less tone, his slow to moderate tempos, his judicious use of notes, and the silence within his improvisations are consistent with Cool concepts.» «Some of Konitz's improvisations also have Bebop syntax. Flatted fifths and ninths can be found in Love For Sale, There is No Greater Love.»

127 RONZELLO, Robert, Warne Marsh, A Conversation with Robert Ronzello, Saxophone Journal, 1982 « In those days the term jazz had only two meanings. They were contemporary, New York City and Charlie Parker, Lennie, Lee and Dixieland, that was it. Nowadays there are trying to invent meanings. Now people are trying to invent meanings to find it over again. But through the mid-fifties, Charlie Parker's lifetime, there was just an understanding that that was the standard. That was where it was at. That's what everybody aspired to do, improvise that well and that much. It was really an improvising art until then. »

1.3.6 Le passage chez Stan Kenton

Les raisons du départ de Lee Konitz qui seront ici mises en évidence sont de nature artistique, personnelle et financière.

Parvenu aussi rapidement à interpréter la musique complexe de Tristano, Konitz sentit au bout d'un certain temps le besoin de raffiner, d'élaguer son jeu et de réviser les fondamentaux de la musique. Par la suite, son style évoluera vers un phrasé plus expressif et intuitif. « J'ai le sentiment d'avoir été un peu au-dessus de moi-même, d'une certaine façon, avec l'influence de

Lennie. J'ai le sentiment qu'il m'a conduit un peu trop rapidement au sommet de la chaîne. »128

Prendre congé de l'enseignement de Tristano était l'occasion propice pour explorer de nouveaux territoires musicaux et se confronter à différentes situations de jeu. Pendant cette période, Konitz assimila l'enseignement de Tristano, ce qui lui permit d'adopter un regard plus critique vis-à-vis des conceptions musicales du mentor. Il ajoute: « je n'étais pas en train de vouloir me libérer de Tristano, j'essayais juste de jouer ce que je pouvais entendre ou ressentir. Cela impliquait de revenir aux fondamentaux, ce que je continue de faire aujourd'hui encore. J'essaie de trouver une phrase qui tient à la bonne place et sonne proprement, qui vient de quelque part pour aller

ailleurs. C'est un travail quotidien. »129

De plus, Tristano occupait une place envahissante dans la vie de l'altiste. Konitz comparait ainsi dans plusieurs interviews la relation de Tristano avec ses élèves à celle d'un gourou avec ses disciples, « un gourou à tel point que je peux encore, quarante ans après reconnaître quelqu'un qui étudia avec lui par la façon qu`il se déplace dans la rue. Finalement, je devais quitter cette situation et comprendre comment toute cette éducation avait fait évoluer ma personnalité. » Il va

de soi qu'il est nécessaire, à un moment donné, de se libérer de la tutelle d'un professeur ou du

128 SURPIN, Alain, Inside Lee Konitz, Down Beat, 1968 «I feel that I was a little ahead of myself, in a way,

with Lennie's influence. I feel that he got me a little more quickly to the top of the chain»

129 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, The University of Michigan, 2003, page 24 « I wasn`t trying to break free from Tristano as such, I was just trying to play what I could hear or feel. A lot meant getting more basic, and I'm still working on it every day, trying to find a phrase that sits in the right place and reverberates properly, comes from someplace and goes someplace. That's a daily undertaking «

gourou de manière à se réaliser soi-même. Le départ de Konitz provoqua l'animosité de Tristano et de sa communauté.

Une autre raison reposerait dans les divergences de tempérament entre eux. Repliés sur eux même, Tristano et une partie de ses élèves se confrontaient très peu aux autres musiciens de leur génération. Toujours d'après Konitz : « malheureusement, il ne choisit pas de sortir et de rencontrer des gens, ce qui leur aurait donné une opportunité de l'entendre jouer. C'était une grande perte pour lui et le public. Il était très critique vis-à-vis de la scène, je pense que les gens lui en voulaient un peu pour ça. Mais le fait reste qu'il était un grand pianiste que beaucoup de

gens appréciaient. »130 Tristano ne ménageait pas son discours et porta des jugements acerbes

sur ces contemporains tels que Thelonious Monk, John Coltrane ou encore Sonny Rollins.

Enfin, l'invitation offerte par Stan Kenton à rejoindre son orchestre en 1952, provoqua le mépris de Tristano. Le succès commercial de Kenton heurta la vision puriste de l'art pour l'art de Tristano. Le départ de Konitz causa la fin du quintette.

L'élargissement de sa famille, en plus des points discutés plus haut, et la perspective d'un revenu régulier furent les principales motivations de Konitz : « je me suis installé en Californie en 1962 car ma femme et moi sentions qu'il y avait un besoin de se séparer de Lennie Tristano qui était pour moi une très forte figure paternelle. Nous avions vécu dans sa maison, mais elle m'encouragea à aller voir ailleurs ce qui se passait, et nous sommes restés en Californie pendant quelques années. » Konitz accepta la proposition de Stan Kenton de rejoindre son orchestre et quitta New York pour la Californie.

1.4 Les débuts dans les grandes formations de jazz

Cette partie est consacrée aux premiers engagements de Lee Konitz dans les orchestres de

danse et de jazz. Elle est construite de manière chronologique sur la période 1946-1956.

130 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003, page 152 «Unfortunately, he didn't choose to go out and meet people and give them the opportunity to hear him play. That was a great loss for him and the people. He was very critical of the scene, and people, I think, kind of resented him for that. But the fact remains that he was a great pianist who affected a lot of people»

S'intéresser à ses expériences avec les orchestres de Claude Thornhill, le nonette Birth of the Cool de Miles Davis et enfin celui de Stan Kenton, en plus d'apporter un éclairage sur l'évolution esthétique de Konitz, permettra de considérer cette partie de l'histoire du jazz consacrée aux grands orchestres à travers le prisme unique d'un improvisateur et acteur de cette période. Savoir avec quels musiciens Konitz a été employé donne à voir le parcours qu'il traçait en fonction de ses affinités. Son approche esthétique se révéla tout autant en phase avec la musique de ces orchestres qu'avec les courants modernes de son époque. Lieu de rencontre et d'échange privilégié entre les musiciens, les big bands permettaient la naissance de nouveaux projets. S'intéresser à ces expériences permettra de connaitre les musiques auxlesquelles Konitz a été exposé et qui ont forgé sa personnalité musicale.

1.4.1 Claude Thornhill

Pianiste classique, compositeur et chef d'orchestre, Claude Thornhill fonda en 1939 un orchestre singulier mêlant diverses influences. En effet, les musiques impressionnistes européennes de Ravel, Debussy, de Falla et Albéniz, le be-bop et les chansons populaires de Tin Pan Alley formaient une part importante de la palette musicale de la formation. L'arrangeur Gil Evans et, quelque temps après, le saxophoniste baryton Gerry Mulligan, écrivirent pour Thornhill. Ils trouvèrent une terre fertile pour leurs expérimentations et le développement de leur vocabulaire musical. Incorporé en 1942 à 1945 dans la Navy pour aller combattre dans le Pacifique sud, Thornhill fut finalement contraint de dissoudre l'orchestre.

C'est au cours de cette période qu'il rencontra Lester Young et écouta du be-bop pour la première fois. À la fin de la guerre, il retourna à ses affaires et assembla une nouvelle formation au début de l'année 1946, qui intégrait la plupart des anciens membres dont Gil Evans. À la différence des orchestres `'swing'', de Duke Ellington ou de Count Basie par exemple, la formation de Thornhill était classée dans la catégorie des sweet bands 131 . Ceci était dû premièrement à la place modeste réservée à l'improvisation et aux sonorités d'orchestre de

chambre de la formation. Celle-ci attira néanmoins l'attention de la critique et des mélomanes.

131 Sweet band : nom donné aux grands orchestres de danse, le plus souvent composés de musiciens blancs, durant la période swing.

L'originalité de l'orchestre reposait essentiellement sur la vision unique de Thornhill. Avec lui, l'arrangeur et pianiste, Gil Evans Il furent parmi les premiers à moderniser le son des ensembles de taille moyenne et large en ajoutant des climats modaux ainsi que des lignes mélodiques issues du be-bop. Entre 1947 et 1948 Claude Thornhill donna carte blanche à Evans pour créer, selon ses propres termes, « quelque chose de nouveau qui attire l'attention, un

orchestre différent des autres... »132 Alors que les orchestres de Stan Kenton, Woody Herman et

autres privilégiaient des sonorités lourdes de cuivres et des dynamiques fortes, Thornhill favorisa une approche plus subtile et parfois complexe de l'orchestration. Il affectionnait les textures sonores élaborées. Pour ce faire, il modifia le rôle des instruments traditionnels dans l'orchestre. Il ajouta un tuba à l'orchestre qui associé au cor, engendra une unique combinaison de timbre. Evans s'en servira ensuite au côté de Miles Davis. Ainsi l'addition d'instruments comme le cor - habituellement inexistant dans le domaine du jazz - contribua, en leur attribuant des rôles de premier plan, à la logique d'un son original et axé sur un registre plus grave. Comme l'emploi novateur du tuba au sein d'une formation be-bop. Durant les années 1946 et 1948, Evans tira son inspiration du be bop « J'arrangeai les thèmes de Parker comme Claude aurait eu plaisir à les entendre. Par exemple, cette unisson sur « Anthropology »133, avec les trompettes en «cup

mute134» et deux saxophones alto plus cinq clarinettes. En outre, je voulais que le tuba joue de façon plus flexible, des passages de jazz, mais il aimait le son statique du tuba dans les accords. »135 Depuis 1941 Thornhill utilisait principalement cors, tuba, flute, clarinette basse en plus des instruments traditionnels du jazz. Ainsi la mélodie n'était plus attribuée aux saxophones

ou aux trompettes, mais à des instruments aux registres plus graves comme le saxophone baryton.

132TERCINET, Alain, West Coast Jazz, Marseille, Parenthèse, 1986, Page 357

133 Morceau bop composé par Charlie Parker basé sur la grille de « I Got Rhythm » qui fut enregistré en

Septembre 1947 par Claude Thornhill.

134 Une variété de sourdine produisant un son plus étouffé que la sourdine dites «straight».

135 «consulté en juillet 2010» http://www.bigbandlibrary.com/claudethornhill.html

«I arranged those Parker things the way I figured Claude would like to hear them. For example, that unison thing on Anthropology, with the trumpets in cup-mutes and two altos and five clarinets. And I wanted the tuba to play flexible, moving jazz passages, but he liked the static sound of the tuba on chords.»

En outre, l'accompagnement traditionnel fut finalement légué aux chaudes sonorités de trois trombones. Le son se voulait pur et donc sans recours au vibrato qui altérait sensiblement la qualité et la hauteur de celui-ci. D'après Thornhill, « À l'exception de certains passages dans nos arrangements, l'orchestre jouait sans vibrato. Le vibrato était seulement utilisé pour grossir

l'expressivité. »136 Le but de telles expérimentations était de trouver un équilibre dans la sonorité

globale des morceaux.

Evans arrangea un répertoire composé de pièces provenant des petites formations du be- bop telles que « Donna Lee »137, « Anthropology », « Yardbird Suite » de Charlie Parker, de la musique populaire comme « Early Autumn » qui était propice aux improvisations instrumentales ainsi que des thèmes de la musique classique, « The Troubadour » de Moussorgski et « Arab Dance » de Tchaïkovsky par exemple. Le passage du jeune musicien dans les orchestres était une étape naturelle dans l'apprentissage du jazzman. Konitz connu sa première expérience dans une grande formation sur les bancs de l'orchestre de Claude Thornhill. Bien que Konitz de référait à sa pratique au côté de Tristano comme la plus bénéfique à son développement, il déclarait aussi :

« chaque situation de jeu avait des éléments qui étaient satisfaisants... D'autres situations

amenèrent un aspect de mon jeu qui ne serait pas forcement sorti. »138

Ainsi, la prestation de Konitz dans la formation de Thornhill fut formatrice. Elle semblait être une école pratique du be-bop qui complétait sa formation avec Tristano. Le trompettiste Ed Zandy se souvient « Gil devait nous apprendre comment jouer cette nouvelle conception de la musique, mais finalement nous nous sommes mis à aimer des morceaux comme

« Anthropology », « Donna Lee » et « Yardbird Suite ». Claude embaucha des gars tels que Bill

Barber, un des meilleurs tubistes, le saxophoniste alto Lee Konitz, qui nous fit très peur au début,

136 «consulté en juillet»2010» /www.bigbandlibrary.com/claudethornhill.html http «With the exception of certain places in our arrangements, the orchestra played without vibrato. Vibrato was used to heighten expressiveness."

138 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003 page 181 «Each of the playing situations had elements that were satisfying...The others situation brought , out an aspect of playing that didn't necessarily come out»

et le jeune Red Rodney, un des premiers disciples blancs de Dizzy. »139 Konitz enregistra pour la première fois de sa carrière avec l'orchestre de Thornhill. Sur le morceau « I May Be Wrong » enregistré en 1947, nous entendons le jeune Konitz improviser quelques lignes derrière le chanteur Gene Williams. Il est rare d'entendre Konitz accompagner un ou une vocaliste. Sa sonorité droite et ses phrases courtes et rapides dénotaient déjà un style original et tranchant qui contrastait avec l'interprétation broadwayesque de Williams. En le comparant au jeu de Charlie Parker figurant sur les plages « Romance Without Finance » tirées de l'album du guitariste et vocaliste, Tiny Grimes, le jeu d'alto de Konitz semblait plus rigide et ne possédait pas cette fluidité d'exécution. Son jeu était original mais encore immature. Son regard rétrospectif sur cette période confirme notre analyse. « J'aurais aimé avoir été un peu plus apte à jouer confortablement à cette époque, mais j'étais toujours en train d'apprendre et un peu... le mot

est impétueux. »140 Robert Aubert et Jean-François Quievreux quant à eux accusèrent la section

rythmique qui n'aurait pas favorisée la créativité du soliste. En revanchent, ils relevèrent les interventions plus réussies de Konitz au sein du nonette de Miles Davis : « mais nous préférons, et de loin, Konitz dans le grand orchestre de Miles Davis ou, stimulé par une grande merveilleuse section rythmique, il peut se laisser aller et swinguer sans effort. De plus, son jeu «cool» convient parfaitement au jeu de Miles Davis et le complète heureusement. Ils ont

également une certaine parenté dans la conception de la sonorité. »141 Il semble nécessaire de

rappeler ici que la moitié de la section rythmique de Claude Thornhill participera au nonette de Miles Davis ou sera associée à divers projets de Gil Evans. On comptait le batteur, Billy Exner, le bassiste Joseph "Joe" Shulman et le guitariste Joseph Barry Galbraith. N'oublions pas ici que la formation de Claude Thornhill était un orchestre de danse. Il jouait dans les bals devant un public venu pour danser en premier lieu et non forcement écouter les solistes de l'orchestre. En

139 PRRIESTLAY, Brian, liner note 1948 Transcription Performance «Gil had to teach us how to play this new conception, but eventually we got to enjoy playing things like Anthropology, Donna Lee and Yardbird Suite. And Claude hired guys like Bill Barber, one of the finest tuba players in the business, alto saxist Lee Konitz, who scared the hell out of us at first, and little Red Rodney, one of Dizzy's first white disciples»

140 BAAGGANEAS, Roland , Jazz Greats Speak, Interviews with Master Musicians, Scarecrow Press, Avril 2008 «I wish that I had been a little more able to play comfortably during that period, but I was still learning and still a little bit... the word is impetuous»

141 AUBERT, Robert, QUIEVREUX, Jean-Francois, Lee Konitz, Jazz Hot, juillet-aout 1950.

conséquence, les parties improvisées n'étaient pas spécialement mises en relief et les solos durant la performance se faisaient rares. En 1949, Lee Konitz décida de quitter l'orchestre et laissa sa place au saxophoniste Hal McKusick.

1.4.2 Le nonette de Miles Davis

Quand Pete Rugolo, qui travaillait comme arrangeur et producteur pour la maison de disque Capitol, baptisa le nonette de Miles Davis, The Birth of the Cool, Konitz contesta la justesse historique de cette appellation : « le titre était un peu déplacé, ce n'est pas la naissance du cool. Franck Trumbauer et Bix Beiderbecke auraient pu être la naissance du cool, Benny Carter, puis Lester Young et toutes ses influences, Charlie Parker, et Tristano et tous ses

ami. »142

1.4.2.1 L'effectif de l'orchestre

Le nonette de Miles Davis paraissait hétérogène car il intégrait des musiciens blancs et noirs. Lee Konitz (sax alto), Gerry Mulligan (sax baryton), Junior Collins (cor), Bill Barber (tuba), - le personnel variait sans arrêt - Ted Kelly, Mike Zwerin ou Kai Winding (trombone), Miles Davis à la trompette, John Lewis (piano), Al McKibbon (basse) et Max Roach (batterie). Le Birth of Cool, nom donné a posteriori était davantage un collectif de musiciens audacieux qu'un orchestre de jazz classique. La plupart d'entre eux possédaient une expérience dans les big band swing et les petites formations be-bop. Les compositions et les arrangements étaient issus des mains de John Lewis, Gil Evans, Gerry Mulligan et John Carisi. Selon Konitz, les rôles des leaders se répartissaient ainsi : « Miles était le point de convergence du groupe ; il pouvait obtenir les concerts et il avait le son qu'ils voulaient pour l'ensemble. Gerry Mulligan était plus actif dans l'organisation des séances d'enregistrements du Birth of Cool, mais Gil restait la

figure du gourou. »143 Les caractéristiques principales des pièces étaient l'économie de notes, les

142HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, page 41» The title was a little bit off-center-that's not the Birth of the Cool. Franck Trumbauer and Bix Beiderbecke might have been the «birth of the cool», Benny Carter, then Lester Young and all his influences, Charlie Parker, and Tristano and his friends. «

dynamiques moyennes, le goût du silence et une texture d'ensemble favorisant le registre medium des instruments. Les solistes ont joué un rôle important dans l'esthétique de cool de l'orchestre. La remarque de Miles Davis est éclairante : « je voulais jouer avec un son léger, car il m'était plus facile de penser. »144 Il développa en effet au cours des années cinquantes, une nouvelle approche de la trompette caractérisée par des notes longues, un goût de l'espace suggéré entre les notes et un timbre personnel. Bien que Davis avait atteint un niveau de virtuosité instrumentale comparable à celui de son mentor Dizzy Gillespie.

1.4.2.2 « The Birth of the Cool »

En 1954 le produit de trois séances fr 1949 et 1950 aboutit à la réalisation de l'album intitulé Birth of the Cool qui était la reconnaissance de l'orchestre précurseur du mouvement éponyme qui devint entre temps populaire aux États-Unis. « Autant j'ai apprécié d'avoir joué avec le groupe et d'avoir eu la chance de produire quelques bons licks145 sur les disques, autant j'ai eu le sentiment de n'avoir pas été complètement impliqué dans le groupe comme j'aurais aimé l'avoir été. »146 Konitz est parfois sévère avec lui-même dans ses interviews. Ces propos font écho avec le commentaire de ses prestations dans l'orchestre de Thornhill. Il semble éprouver un sentiment rétrospectif de n'avoir pas été à la hauteur de l'événement. Cependant, il demeure mystérieux sur les points précis qui le gênaient dans ses improvisations : « j'étais capable de produire un son et j'avais une connaissance du matériel que j'étudiais, mais il y avait encore des choses essentielles qui manquaient dans mon éducation musicale. La production réelle de la musique n'était toujours pas à la bonne place à mon avis. Il y avait une indication,

laquelle, Dieu merci, avait été remarquée par certaines personnes qui m'ont encouragé à

143 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, page 40 «Miles was the focal point of the group; he could get the gigs and he had the sound that they wanted for the ensemble. Gerry Mulligan was more active in organizing the Birth of the Cool sessions, but Gil was the guru figure»

144 CARR Ian, Miles Davis: the definitive biography, Thunder's Mouth Press, 1999, page 49 « I wanted to play with a light sound, because I could think better when I played »

145 `'Licks'', terme employé en jazz pour signifier des lignes mélodiques travaillées au préalable qui paraissent improvisées.

146 GITLER Ira, Jazz Master of the Forties, MacMillan Publishing Company, 1974 «As much as I enjoyed

sitting there and playing with the band and as lucky as I was to get a couple of good licks on the records, I felt I

wasn't as completely involved as I would like to have been»

continuer à de développer ceci. Quand j'écoutais ma musique, j'entendais les imperfections. Il y avait quelque chose qu'il fallait que je développe. »147 Néanmoins, Konitz pointa la particularité de son style qui plut à Miles Davis : « Ils sentirent que mon son s'ajusterait avec eux. Charlie Parker aurait couvert l'ensemble »148.

Aussi, n'ayant pas le talent d'arrangeur ou de compositeur de Gil Evans, John Carisi ou Gerry Mulligan et, considérant le peu de solos qui lui étaient octroyé, à ses yeux, il ne fut pas un acteur majeur dans le nonette de Miles Davis. Selon lui « être complètement impliqué dans une situation de musique de chambre serait de composer quelques pièces, et avoir plus

d'occasions pour improviser. »149 Pourtant, ses phrases sinueuses et sa sonorité diaphane se

mariaient admirablement avec les textures de l'orchestre.

En 1992, Gerry Mulligan lui demanda de rejoindre l'orchestre du Rebirth of the Cool, le temps d'une tournée européenne. Konitz en garde un souvenir mitigé. « C'était le spectacle de Gerry, et il le fit très bien, Dieu protège son âme mais, j'étais juste assis là, interprétant des partitions et, j'avais le sentiment de ne pas suffisamment jouer. » 150 Malgré cela, Konitz appréciait la situation de jeu en medium band puisqu'il il fonda à son tour son propre nonette dans les années 1970. Plusieurs albums résultèrent de cette expérience dont le Live at Laren,

paru en 1984 sur le label indépendant Soul Note. Ce disque comporte des réinterprétations

147 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, and 2003 page

96»I was able to make a sound and have some understanding of the things I had been studying, but there were still some very essential things missing in my musical education. The actual delivery of the music was still not in the right place to me. There was an indication, which thank goodness was picked up by some people who encouraged

me to go on and develop that. When I listen to my music I heard the imperfections in it- there was something I

needed to develop.»

148 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003 page 41

«They felt that my sound would fit with them. Charlie Parker would have out blown the whole outfit»

149 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003 p 41 «To

be completely involved in a chamber music situation would be to compose some of the music, and have more solo opportunities.»

150 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003 p 154

«It was Gerry's show, and he did it very well, God rest his soul, but I was just sitting there interpreting parts and I

felt I wasn't playing enough

d'arrangements originaux de Gil Evans comme « Moon Dreams »151. L'orchestre incluait parmi les meilleurs musiciens de l'époque comme Red Rodney, Ronnie Cuber, John Eckert et Tom Harrell. « J'apprécie vraiment de jouer au sein d'un ensemble mais, je n'ai pas eu beaucoup d'opportunités de jouer dans ce genre de situation. Au cours des dernières années, j'ai participé à des albums avec des big bands interprétant des arrangements de mes morceaux. Je ne pense pas qu'ils deviendront des classiques mais ils sont bons quand même. »152 Au cours des années

1980, la mode était aux rythmes binaires. Les musiciens de fusion jazz étaient appréciés du

public et des medias. Malgré cela, Konitz s'en tint à sa pratique du swing.

Son jeu reflétait à la fois les influences du cool et du bop. Son utilisation parcimonieuse du vibrato, l'amplitude habituelle des tempos de lent à medium rapide, ses phrases élaborées note à note et, la place du silence dans ses improvisations, sont des concepts cool.

1.4.3 Stan Kenton

Kenton débuta sa carrière musicale sous l'influence de l'orchestre de danse de Jimmy Lunceford avec une formation de onze musiciens. Il change à plusieurs reprises de direction musicale au milieu des années 1940 et 1950. Son oeuvre peut se diviser en trois périodes stylistiques distinctes. L'étude se focalisera sur la seconde, à laquelle Konitz participa.

1.4.3.1 « Artistry in Rhythm »

Kenton, au début des années 1940, réalisa avec sa formation appelée Artistry in Rhythm plusieurs albums dont Artistry In Rhythm et Artistry in Boléro qui s'articulaient autour de la volonté de mettre en évidence un des solistes de la formation tel que les vocalistes Anita O' Day et June Christy. Il engagea alors de nombreux musiciens et arrangeurs de talent, qui émanaient

du jazz et étaient influencés par la musique contemporaine européenne. En 1945, il débute une

151 «Moon Dreams». (Chummy Macgregor, Johnny Mercer, arrange par Gil Evans), The Birth of Cool, Capitol Records, New York, le 21 January 1949.

152 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003, Page

41 «I really enjoy an ensemble but haven't had many opportunities to play in such a special situation. In the last few years I made CD's with big bands playing arrangements of my tunes. I don't think they will become classics but they're nice, though.»

collaboration féconde avec l'arrangeur Pete Rugolo. Élève de Darius Milhaud et grand admirateur de Stravinsky, Rugolo amena dans ses bagages des éléments musicaux nouveaux. Celui-ci était apparu en 1949 sur deux enregistrements au cours d'une séance avec le Metronome All Stars au côté de Lennie Tristano. Rugolo devint ainsi l'arrangeur principal de Kenton. Après la Seconde Guerre Mondiale son orchestre, avec celui de Dizzy Gillespie, était parmi les premiers big bands à incorporer des conceptions rythmiques influencées par la musique afro- cubaine et plus généralement les rythmes des Caraïbes, par exemple dans l'album Cuban Fire. Pourtant, les critiques s'élevèrent concernant l'intrusion de Kenton et Rugolo dans le domaine du jazz. Pour Gunther Schuller ces expérimentations s'éloignaient du jazz. « Il n'y avait pratiquement pas de jazz dans sa musique, en tout cas certainement pas d'un point de vue conventionnel et beaucoup de gens s'y méprenait simplement parce que cela avait été enregistré

ou joué en concert par Stan Kenton et son orchestre»153. Cependant le public appréciait cette

figure controversée qui remporta le référendum de Down Beat et eut le privilège, en 1948, d'être le premier ensemble de jazz à se produire à la télévision. Son orchestre était l'une des meilleures réussites commerciales dans le métier.

1.4.3.2 « Progressive Jazz »

Kenton tombe malade en 1947. Il se retire du circuit pendant un an et dissout son orchestre. Par la suite, il revint sur scène avec une nouvelle formation comprenant de véritables solistes de jazz. Au moment où la plupart des big bands cessèrent leurs activités, Kenton doubla ses effectifs et assembla un orchestre colossal de jazz moderne. La formation incorporait trente- neuf musiciens, seize cordes, une section de vent et deux cors. Selon le critique de jazz Gary Giddins, « comme Berlioz, il voyait les choses en grand ; il avait l'habitude de construire une plus grande scène, un orchestre plus grand. C'était sa réponse pour chaque tendance en jazz ou

en pop. Le mien est plus grand que le vôtre. » 154 En 1950, il intitula son grand orchestre

Innovations in Modern Music et nomma dans ce même esprit pompeux les titres de ces albums

153«consulté en juillet 2010» http://www.nytimes.com/learning/general/onthisday/bday/0219.html «almost no jazz material, certainly not from any conventional point of view, but it came to be confused with jazz by many people simply because it was performed and recorded by Stan Kenton and his orchestra."

154 GIDDINS, Gary Vision of Jazz, Oxford University Press, États-Unis septembre 1998, page 328 «Like

Berlioz, he believed that more was more; build a bigger stage, and he would build a bigger orchestra. His response

to every fashion in jazz or pop was» Mine is bigger than yours».

tels que Progressive Jazz, Adventures in Blues, Adventures in Standard. Toujours d'après Giddins, son répertoire « réfléchissait non seulement des approches musicales hétéroclites, mais aussi la prétention qui guiderait le jazz quand les maîtres d'écoles pensaient encore qu'il avait besoin d'un raffinage. »155 En effet, après la Seconde Guerre mondiale, Kenton produisit une synthèse musicale kitsch résultant du mariage des courants musicaux de l'époque, cool, be-bop, pop et classique. C'était d'une certaine façon le commencement de ce que l'on appela le Third

Stream. Kenton embaucha des compositeurs et arrangeurs modernes tels que Bill Holman, Gerry Mulligan, Shorty Rodgers, Johnny Richards, Bob Graettinger, qui s'employèrent à façonner un style musical combinant des éléments de big band de jazz et de musique symphonique classique. Une particularité intéressante de l'Innovations Orchestra empruntée à Duke Ellington, était l'écriture de pièces, à l'image d'un concerto, destinées à ses solistes comme Art Pepper et Lee Konitz. Le projet fut une tentative significative. Ainsi, suivant le pas des formations de Duke Ellington et d'Artie Shaw, Kenton commença à interpréter des oeuvres écrites par des compositeurs de jazz à la manière d'un orchestre symphonique, non plus destinées à la danse mais uniquement à l'écoute. Kenton utilisait son orchestre comme un medium pour exprimer non seulement une vision musicale personnelle mais aussi des idées philosophiques. D'un point de vue commercial, l'entreprise fut un échec. Kenton entreprit deux tournées entre 1950 et 1951 puis abandonna ce projet pour retourner à un orchestre plus modeste de dix-neuf musiciens. Cependant, son travail ne fut pas oublié des musiciens de jazz et influença les compositeurs majeurs du Third Stream tels que Gunther Schuller, John Lewis et Don Ellis. Sa formation était en majeure partie constituée des anciens du nonette de Miles Davis, des orchestres de Dizzy Gillespie et de Woody Herman. En plus des arrangeurs, le big band incluait une section de saxophones composée de Lee Konitz, Art Pepper, Zoot Zims, Bill Perkins, Lennie Niehaus, les cuivres comprenaient Carl Fontana, Al Porcino, Franck Rosolino au trombone, les frères Candoli à la trompette. La section rythmique était composée de Mel Lewis, du bassiste Max Bennett. L'album Comtemporary Concepts fut considéré comme l'un des meilleurs dans la catégorie

grand orchestre des années 1950. En partie grâce au travail de Bill Holman et de Gerry Mulligan.

155 GIDDINS, Gary, Vision of Jazz, Oxford University Press, États-Unis, septembre 1998, page 330 «Reflected not only sundry approaches to music, but the pretentiousness that goaded jazz when schoolmasters still thought it needed refinement.»

1.4.3.3 Lee Konitz, un soliste de big band à part entière

L'arrangeur Bill Russo, ami d'enfance de Konitz, lui proposa de rejoindre l'orchestre.

« Quand Stan m'appela, il était encore connu pour ses opérations lourdes (...) mais il disait qu'il voulait alléger son orchestre, avoir quelque chose qui ressemble plus à un orchestre de jazz. »156 Ce fut une décision qui allait accroître la popularité de Konitz. En acceptant l'invitation de Kenton, Konitz marquait son indépendance et sa volonté de couper le cordon temporairement avec son ancienne famille musicale. On aurait pu croire qu'il attira la haine du clan Tristano. Au contraire, Tristano maintint une relation amicale et encouragea ses étudiants à copier les solos de

Konitz sur les albums de Kenton. Il souligna en prime les similitudes du rôle de Konitz dans le big band de Kenton avec celui de Lester Young dans l'orchestre de Count Basie. D'après Konitz,

« Tristano aimait réellement ce que je faisais. Il savait que je devais le faire pour soutenir ma famille à cette époque-là. »157 De même, Il remarque amèrement la transition difficile entre les deux formations. « Beaucoup de gens se moquait de moi quand je quittais Tristano pour rejoindre l'orchestre de Kenton. Plus tard j'ai appris que ces mêmes musiciens étaient en train de copier les solos que je faisais avec Stan. »158 En août 1952, l'altiste franchit le pas et reste un peu plus d'un an dans l'orchestre. il rejoint le quintette de Tristano en 1955 pour l'enregistrement en concert au restaurant le Confucius situé à New York. Durant cette période, Konitz enregistre abondamment aux cotés de Charles Mingus, Bill Russo, Billy Bauer, Lars Gullin et remporte en

1954 le premier prix dans la catégorie saxophone alto du célèbre magazine Metronome.

Dans ses interviews, Konitz ne cache pas son respect pour Kenton : « j'ai toujours

admiré Kenton, depuis que je l'ai vu quand j'étais enfant à l'Oriental Theatre de Chicago. Cela représentait une opportunité intéressante pour moi - entre autres un engagement régulier - dont

156 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003, «When Stan called me, he was still known as something of a heavy handed operation, but he said he wanted to lighten up, have something more of a jazz band.»

157 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003, page 26

«He really liked what I did. He knew I had to do that , to support my family at the time»

158 «consulté en juin 2010» http://www.allaboutjazz.com/php/article.php?id=1232&pg=1» A lot of people

ridiculed me when I left Tristano to join the Kenton band. Later on I learned these same musicians were copying down the solos I made with Stan.»

je savais très peu de choses. »159 Il y avait une entente mutuelle entre les deux artistes. Aussi proche de son public que de ses musiciens, le tact de Kenton et l'attention particuliè qu'il portait aux solistes furent appréciés : « il était totalement dédié à la musique, mais il ne m'a jamais dit comment jouer. C'est important du point de vue du musicien. Il donna à nous, jeunes musiciens une occasion de jouer. »160 Kenton reconnut le talent unique d'improvisateur de Konitz et lui fournit des pièces qui le mettaient en valeur tels que « My Lady », « In Lighter Vein », « Lover Man » et « My Funny Valentine » arrangé par Bill Holman. Il figura entre autres sur les albums New Concepts of Artistry In Rhythm, Concert In Miniature ainsi que sur une dizaine

d'enregistrements en public. Malgré tout, Konitz ne semblait pas satisfait de ses prestations. L'exécution chaque soir des mêmes arrangements produit une certaine lassitude chez lui qui déteint dans ses solos. Dans le même ordre d'idée, un musicien, à force de broder à chaque prestation sur le même court passage, en vient à retenir inconsciemment les principales parties de son développement et, peu à peu, à jouer toujours le même solo. En conséquence, Konitz avait de temps en temps recours à une improvisation déjà préparée. Le solo était alors figé. Konitz se souvient de cette situation. « Tout particulièrement sur un morceau de Bill Holman intitulé « In A Lighter Vein », j'ai joué des choses préparées sur celui-ci. Avec une section de dix cuivres interprétant très fort les backgrounds, je devais savoir ce qu'étais en train de faire. Je ne pouvais entendre des nouvelles choses aussi facilement. Vous êtes assis dans la section de saxophones, jouant des parties fonctionnelles, ensuite vous vous levez et jouez tous ce que vous

connaissez sur 32 mesures ! »161 Ce qui semble inconcevable quand on connait ses principes sur

159 TESSER, Neil, Lee Konitz, Searches for the perfect Solo , Down Beat juin 1980»I had always admired Kenton, from seeing him when I was a child at the Oriental Theater in Chicago,» So he represented an opportunity that was of interest to me- a steady job, among other things, which I knew very little about»

160 «consulté en juillet 2010» http://www.allaboutjazz.com/php/article.php?id=1232&pg=1 « He was dedicated to the music, but he never told me how to play. That's important from a musician's point of view." "He gave us young musicians a chance to play»

161 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003, page 81 «Especially on a Bill Holman tune called `' In a Lighter Vein'' I did play some prepared things on that one. With ten brass hitting backgrounds, I had to know what I was doing- I couldn't hear new things that easily. You sit in the sax section, playing functional parts, then stand up and play all you know in thirty-two bars!»

l'art de l'improvisation. De plus, les conceptions musicales de Kenton semblaient être en divergence avec l'horizon musical de Konitz car malgré le désir de Kenton de diminuer les proportions de son organisation, l'orchestre demeurait imposant. En dépit de sa qualité, il rencontra des difficultés à improviser devant une formation de cette dimension. Le son des cuivres était très puissant. Pour de n'être pas complètement recouvert par l'orchestre, il fut contraint de forcer son jeu. À posteriori, il observa de manière lucide les défauts de ses interventions dans l'orchestre : « j'aimais beaucoup certains enregistrements officiels, mais les autres ne sonnent pas très relaxés ou musicaux maintenant. Non pas dans le choix des notes à vrai dire mais plutôt par rapport à l'interprétation trop sentimentale, avec ce vibrato désuet et

ce phrasé rythmique qui était la conséquence de tensions que je n'aime pas »162. Mais Konitz

juge toutefois son expérience gratifiante : « mais pendant environ quinze mois ce fut une vive expérience d'un point de vue musical et personnel. » 163 En 1953, plusieurs musiciens cool s'ajoutèrent à l'effectif de l'orchestre tels que Zoot Sims, Dave Schildkraut, Bill Holman et Bob Gioga dans la section de saxophones. Les trombonistes Frank Rosolino, Bill Russo et Bob Burgess. La section de trompette incluait Buddy Childers, Maynard Ferguson, Conte Candoli et Don Dennis. Sal Salvador, guitare, Don Bagley, contrebasse, Stan Levey à la batterie composaient la section rythmique. Il enregistra alors deux albums pour Capitol avec cette

formation, New Concepts Of Artistry In Rhythm et Kenton Show case. Kenton dissout sa formation en 1953. Après une tournée en Europe, Konitz choisit de rester à New York

1.5 Bilan et perspectives

L'analyse des influences de Konitz a permis de réunir plusieurs remarques afin de comprendre comment s'est forgé son style au cours des années 1940 et 1950. Les éléments caractéristiques de

la musique de Lester Young, Charlie Parker et Lennie Tristano ayant été mis en évidence. Ces

162 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003, page 81 «I liked some of the official recordings very much, but others don't sound too relaxed or musical to me now. Not in the note selection so much as in the over sentimental rendition, with that corny vibrato, and rhythmic phrasing as a result of tension that I don't like».

163 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003, page 81

«But for about fifteen months it was a very vital experience musically and personally»

éléments pourront servir de points de comparaison lorsque seront abordées les improvisations de Konitz. Il sera possible de comprendre en quoi il fut plus ou moins proche ou éloigné de l'un ou de l'autre. La réflexion a pu montrer également que Lee Konitz a suivi un parcours identique à celui de la plupart des boppers : venu de l'orchestre, il se consacre ensuite presque exclusivement aux petites formations notamment en solo, duo, trio, quartette et quintette. Ainsi, son intérêt pour le be-bop ne peut être démenti. Il admire Charlie Parker ; il collabore même avec lui. De ce point de vue, Lee Konitz a été au coeur du monde de l'avant-garde du jazz des années 1940, dont il est effectivement l'un des principaux saxophonistes.

Cette partie a cherché à montrer que la plupart des assertions sur le clan Tristano et le jazz cool relevaient du mythe. La réévaluation de l'opposition entre cool et be-bop après avoir redéfini ces mouvements a montré l'ambigüité des termes et leurs sens multiples. Certains modes d'interprétation, sans doute trop rigides, devraient être à leurs tours réévaluées. Toutefois cette réévaluation n'est pas l'objet de ce mémoire, non plus que l'interrogation sur les raisons de la naissance et de la persistance des mythes qui ont été dénoncés. Il s'agit seulement de rappeler que les critères traditionnels de distinction du be-bop et du cool posent problème. L'étape suivante du mémoire consistera donc à mettre en évidence certaines évolutions observées dans le jeu de Konitz.

Chapitre 2

Analyse de deux improvisations sur « All the Things You Are »

« Analyser c'est découvrir la méthode »164 Laurent Cugny

Au cours de la seconde partie je m'emploierai à analyser deux solos de Lee Konitz sur le célèbre standard de Broadway « All the Things You Are ». Chaque improvisation a été choisie au cours de différentes époques de sa carrière et révélera l'évolution de son jeu en tant qu'improvisateur. Nous pourrons constater les éléments de maturation de son style au fur et à mesure de l'étude. La réflexion sera donc chronologique. Les éléments relevés permettront de se faire une idée concrète du jeu de Konitz, mais pourront, une fois connus, aider également à confirmer les influences des musiciens cités précédemment. Nous commencerons avec sa performance au Confucius Restaurant dans le quartette de Lennie Tristano en 1954, ensuite j'analyserai une récente interprétation de ce standard en quartette au Village Vanguard en 2009, issu d'un enregistrement officieux.

Konitz est totalement dévoué à improviser de manière pure. Ses improvisations sont supposées ne pas contenir de phrases préparées ou de clichés. Il choisit pour cela de se concentrer sur la mélodie, l'instant présent et, de ne pas travailler des passages qui pourraient s'insérer dans un solo. Son éthique se veut irréprochable. Il dit au cours d'une interview avec

Mike Zwerin : « dès que je m'entends jouer une mélodie familière je retire le saxophone de ma

164 CUGNY, Laurent, Analyser le Jazz, Outre Mesure, 2009, p. 394

bouche. Je laisse passer quelques mesures. Improviser signifie se présenter avec une ardoise complètement nouvelle dès la première note. C'est le procédé auquel je m'intéresse. Vous pouvez transformer le standard le plus familier en quelque chose d'entièrement frais. Le plus important est de s'éloigner des fonctions fixées. »165 En effet, il distingue les improvisateurs réels, spontanés et intuitifs de ceux qui choisissent délibérément de « préparer » leurs solos avant d'entrer sur scène. Il existe également une troisième approche qu'auraient adoptée Charlie Parker et John Coltrane, laquelle joint des éléments préparés a priori à un discours improvisé sur

le moment. Pour Konitz, « ceux qui travaillent en amont leurs solos, beaucoup le font en pensant qu'il est naïf d'improviser devant des auditeurs qui ont payé une entrée. Ils ont la sécurité de savoir ce qu'ils sont en train de jouer et ont juste à se consacrer à le délivrer très bien, ce qui est un emploi à plein temps. Je ne suis pas en train de dire que l'un soit meilleur que l'autre. J'essaie juste de différencier. »166

Ainsi, nous tenterons d'établir au cours de l'analyse de deux versions d'« All the Things You Are » l'évolution du style de Konitz. Comment l'improvisateur procède-il? Quelle est sa méthode d'improvisation? Ces interrogations détermineront la stratégie mise en oeuvre afin de mettre au jour les facettes multiples du jeu de Konitz. Nous tenterons ainsi de cerner pour chaque période la méthode d'improvisation utilisée.

165 «consulté en juillet» http://www.culturekiosque.com/jazz/miles/rhemile21.htm"As soon as I hear myself playing a familiar melody I take the saxophone out of my mouth. I let some measures go by. Improvising means coming in with a completely clean slate from the first note. The process is what I'm interested in. You can turn the most familiar standard into something totally fresh. The most important thing is to get away from fixed functions.»165

166 «consulté en juillet 2010» http://www.sawf.org/newedit/edit09182000/musicarts.asp «The one who work out their solos, many of the people do that thinking that it's naive to improvise in front of paying customers. They have the security of knowing what they're playing and just work on playing it very well which is a full time job also. I'm not saying one way is better than another. Just trying to differentiate»

2.1 Origine de « All the Things You Are »

Entendu pour la première fois à Broadway lors de la première en 1939 de la comédie musicale Very Warm for May, le célèbre morceau est le fruit de la collaboration du compositeur Jerome Kern et du parolier Oscar Hammerstein. Malgré le fiasco du spectacle, l'enregistrement de « All the Things You Are » par l'orchestre de Tommy Dorsey atteint la première place dans les classements de musique pop. Les versions de la formation d'Artie Shaw et de Frankie Masters en 1940 connurent elles aussi un large succès. C'est l'un des standards les plus populaires avec « Body and Soul » parmi les musiciens de jazz. En dépit de sa complexité harmonique et mélodique et, associé à des paroles à la mesure d'une poésie respectable, « All the Things You Are » a rencontré un vif succès public. D'après Alec Wilder, auteur de American Popular Song, « peut-être nous devrions retourner à cette ancienne théorie selon laquelle si les premières mesures d'une chanson sont chantables, la complexité du reste n'a alors plus

d'importance. »167 Cette chanson est bâtie sur une structure non conventionnelle de trente-six

mesures. C'est une forme-song ABAC plus exactement A1-A2 -B1 -B2- A1-C, qui est une variante de la forme en AA'BA''. Le morceau module à plusieurs reprises. Il commence en la bémol majeur aux mesures 1 à 5 puis module en do Majeur, mesures 6 à 8, en mi bémol Majeur des mesures 9 à 13, ensuite il passe en sol Majeur au cours de la section B aux mesures 14 à 20. Il continu en mi Majeur, mesures 21 à 23. Il retourne à la tonalité fa mineure au retour de la partie A1, module au relatif majeur, mesures 26 à 29. Ensuite, l'harmonie descend chromatiquement aux mesures 30 à 33. La chanson résout en La bémol majeur. La mélodie

167 WILDER, Alec, American Popular Song, The Great Innovators, 1900-1950, New York, Oxford Press,

1972.P79 «I am surprised as Kern is alleged to have been that it became a hit. Perhaps one should hark back to that old theory that if the opening measures of a song are singable, it doesn't matter how complex the rest of it is.»

entière de la section se compose d'intervalles ascendants de quartes et de quintes descendantes. Dans la section C de nouveaux intervalles plus grands apparaissent comme la sixte.

« All the Things You Are » est un des standards favori de Konitz qui le joue presque à chaque concert. Il figure en outre dans de multiples enregistrements réalisés aussi bien en tant que sidemen et leader. Au milieu des années 1990, il écrivit une démarcation de la mélodie originelle qu'il intitula « Thingin » dans laquelle il conserva les sections AB et modifia la grille harmonique des sections B et A''. C'est un thème qu'il avait l'habitude de jouer au côté de Tristano et de Warne Marsh. D'ailleurs, Marsh composa lui aussi une démarcation intitulée

« Dixies Dilemna », fruit d'un assignement au cours des leçons hebdomadaire avec Tristano. La première version fut enregistrée sur l'album Tale of the Two Cities. On la retrouve plus tard sur l'album Dig it de Lee Konitz en quintette cette fois, avec le saxophoniste ténor Ted Brown.

2.2 Analyse de la première version d' « All the Things You Are »

La version de « All the Things You Are » que nous tenterons d'analyser provient d'un enregistrement réalisé au Restaurant Confucius le 11 juin 1955. L'album intitulé tout simplement Lennie Tristano fut publié en 1956 par le label Atlantic, dans lequel on retrouve également des titres enregistrés en studio par le trio de Tristano. Le groupe était constitué de Tristano au piano, Lee Konitz au saxophone alto, Gene Ramey contrebasse et Art Taylor à la batterie. À cette époque, Konitz vient juste de quitter l'orchestre de Stan Kenton. La transcription fournit une image figée d'un moment dans le temps. Son analyse nous révélera des informations sur les goûts de Konitz à cet instant. De quels procédés musicaux aimait-il se servir? Était-il plus proche du style de Charlie Parker ou de celui de Tristano? Ou avait-il déjà formulé un jeu personnel?

2.2.1 Diagramme structurel de la performance168

Nb mesures

36

148

72

32

25

11

Structure 2

AA'BA''

AA'BA''

AA'BA''

AA'BA''

AA'

BA»

Structure 1

as

as

p

cb

as

as/p

Evénements

Thème

Exposition

Solo as

Solo p

Solo cb

Solo as

Solo as/p

Cugny.

168 La méthode employée ici utilise le diagramme structurel presenté dans Analyser le Jazz de Laurent

2.2.2 Le vocabulaire harmonique et mélodique

Lee Konitz improvise de façon extrêmement claire. Il fait ressortir les harmonies du morceau dont l'enchainement ici est relativement rapide. Son improvisation contient des audaces harmoniques qui sont celles employées à la même époque par Charlie Parker, Tristano ou Dizzy Gillespie. Konitz utilisait parfois des enrichissements harmoniques que le be-bop tendit à généraliser, l'utilisation abondante de la septième majeure, de la sixte, de la quinte augmentée que l'on retrouve par exemple à la mesure 18, l'utilisation de notes dissonantes telle que fa diese sur l'accord de la mesure aussi comme sur un accord de septième à la mesure 63. Cependant, à la différence de Parker, Konitz n'emploie pas de substitution diatonique ou tritonique. Ses phrases commencent le plus souvent sur une note de l'accord et rarement sur une note appartenant à sa superstructure. On remarque l'omniprésence de petits intervalles compris entre la seconde mineure et la tierce, de de notes de passages notamment aux mesures 30 à 31. L'improvisation se développe à l'intérieur d'un ambitus restreint de deux octaves et demie. Konitz se sert majoritairement du registre medium de l'instrument. On observe des motifs appartenant à l'idiome bop qui apparaissent transposés à plusieurs endroits notamment aux mesures 43. En conséquence, son jeu ne possède pas encore cette imprévisibilité qu'il gagnera des années plus tard mais l'énergie et l'esprit qu'il l'animait masquait ces défauts de jeunesse.

Exemple musical 9 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesure 63. Utilisation de la seconde mineure mi sur l'accord de Eb7.

Exemple musical 10: « All the Things You Are », Lee Konitz, mesure 43. Konitz emploie

un motif généralisé par les boppers sur l'accord de do Majeur.

2.2.3 L'aspect rythmique

La fluidité est un aspect de son jeu qui s'observe dans la technique instrumentale, les idées harmoniques et mélodiques et enfin au travers des jeux rythmiques. En effet, son improvisation ne laisse pas transparaitre l'effort ou le travail. L'articulation se fait de manière souple. Comme pour les musiques de Charlie Parker ou de Tristano, celle de Konitz semble facile, presque évidente. Si à l'écoute le sentiment de fluidité transparaît dans ses solos, cela ne dissimule pas en revanche un certain ennui, dû à l'absence de variation rythmique. Celle-ci tendra à se diversifier par la suite. On remarque l'emploi prédominant de croches s'étendant parfois sur quatre mesures. Konitz privilégiait alors la ligne mélodique sur la recherche rythmique. Le style dominant était legato, avec des accents présents. On note que la section rythmique est consistante et joue avec une intensité qui tranche avec des enregistrements précédents où le batteur avait davantage une fonction métronomique. Le batteur Art Taylor, qui joua entre autres avec Miles Davis et Bud Powell, apporte une énergie créatrice sans pareille au groupe

2.2.4 Les éléments propres au style de Lee Konitz

Ce paragraphe est consacré aux éléments qui semblent caractériser de façon claire le jeu de Konitz durant sa période avec Tristano. Son style est caractérisé par l'ensemble des procédé relevés dans cette improvisation, lesquels permettront de l'identifier de façon presque exclusive. Cette démarche se propose donc de déterminer le style de Konitz en tentant d'isoler son jeu de l'esthétique be-bop de manière à ne garder que les éléments qui ne se rattachent à aucun genre.

2.2.4.1 Les notes répétées

Du point de vue de l'improvisateur, de tels passages en notes répétée permettent de construire des contrastes et, représentent une certaine économie sur le plan des idées mélodiques. Cette technique renforce l'aspect dramatique de l'improvisation et dans ce cas fait référence à la

mélodie originelle. Elle laisse d'ailleurs le temps au soliste de renouveler ses idées. Konitz emploie cette technique aux mesures 6, 56, 57 58 et 126. Enfin, cet aspect est une caractéristique dominante de son style que l'on retrouve dans de nombreuses improvisations.

Exemple musical 11 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesure 8. La sixte de

l'accord de CM7 est répétée à trois reprises.

2.2.4.2 Des motifs caractéristiques

On note au cours de son improvisation la présence de motifs récurrents. Sur un accord majeur, par exemple, il a coutume de jouer un arpège plus ou moins développé de l'accord. Une autre perspective est possible en analysant cet exemple comme un motif construit sur la pentatonique de mi bémol Majeur aux mesures 47 et 48. Cette formule est énoncée avec des variantes à la mesure 12. La fréquence de ces retours incite à les comprendre comme un aspect à part entire de son style. Un autre motif très révélateur de la conception mélodique de Konitz surgit aux mesures 112 à 116. Ce tricotage mélodico- rythmique évoque pendant quelques mesures le style de Lennie Tristano.

Exemple musical 12 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesures 46-47. Motif construit sur la pentatonique majeur de mi bémol.

Exemple musical 13 : « All the Things You Are », mesures 112 à 116. Déplacement

chromatique et rythmique d'un motif en tierces.

2.2.4.3 La broderie

De courtes formules mélodico-rythmiques peuvent enfin être relevées qui reviennent de façon systématique sur certaines notes. Notamment les broderies supérieures que l'on peut observer sur l'accord de Bm7(b5) à la mesure 104.

Exemple musical 14 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesure 104. Exemple de jeu rythmique en triolet de broderies supérieures descendantes sur l'accord de Bm7 (b5).

2.3 Analyse de la deuxième version d' « All the Things You Are »

Konitz est connu pour ses prestations avec des musiciens avec qui il n'avait jamais joué auparavant. Plutôt que de diriger sa propre formation, Konitz préfère endosser le costume du sideman. Il est ainsi connu pour ses prestations à travers le monde aux cotés des sections rythmiques locales qui l'invitent à jouer pour quelques concerts. Ces rencontres peuvent se dérouler avec plus ou moins de réussite: « c'est plus difficile de voyager aujourd'hui à cause de la sécurité et de mes quelques années en plus, mais, je le fais avec plaisir avec l'idée que je vais arriver quelque part- habituellement un bel endroit - et rencontrer des gens sympas, jouer et

même gagner de l'argent pour ça. C'est comme un miracle pour moi. »169 Mais son habilité à jouer spontanément avec d'autres musiciens qu'il vient de rencontrer reste un défi qu'il relève à chaque occasion. Bien sûr, en changeant le contexte et les musiciens autour de lui, il favorise des moments propices à la création et au brassage d'idées.

En revanche, la version d'« All the Things You Are »170 qui sera ici analysée est le fruit d'une rencontre exceptionnelle de musiciens au sommet de leurs carrières respectives. Durant une semaine, Konitz aoccupé la scène du célèbre club de Manhattan, le Birdland au côté de Brad Mehldau au piano, Charlie Haden à la contrebasse, Paul Motian à la batterie. Mehldau et Haden étaient apparus sur deux albums de Konitz particulièrement réussies, Alone Together171 suivi de Another Shade of Blue172. Présent lors de l'enregistrement en public de cette version

d'« All the Things You Are », j'ai pu assister au processus d'improvisation avec tout ce que la présence physique apporte à l'expérience auditive. Le set fut composé de standards bien connus des amateurs tels que « Lover » « All of Me », « You and the Night and the Music », « It Could Happen to You », « Darn That Dream » et « All the Things You Are ». L'album Live at Birdland

173 paru sur le label ECM est, le produit de ce fameux quartette.

169 «consulté en avril 2010» http://www.allaboutjazz.com/php/article.php?id=1087

Well, I'm enjoying it more in real life. Just the fact that I've been doing this kind of playing for all of 66 years now, from the first time; I've been pretty fortunate. There were years where there wasn't that much activity, but for the most part I'm working more now than ever. It's a little more difficult to travel now with the security and

with my extra years, but I do it with pleasure with the idea that I'm going to arrive someplace - usually a nice place

- and meet some nice people and play and even get money for it. It's like a miracle to me,»

170 KONITZ Lee, enregistrement privée, New York décembre 2009

171 KONITZ Lee, Alone Together, EMI, Los Angeles, 1997

172 KONITZ Lee, Another Shade of Blue, EMI, Los Angeles,1999

173 KONITZ Lee, Live at Birdland, New York, ECM, 2011.

2.3.1 Diagramme structurel de la performance

Nb mesures

23

180

108

72

72

36

8

Structure 2

BA''

AA'BA''

AA'BA''

AA'BA''

AA'BA''

AA'BA''

AMP

Structure 1

as

as

p

cb

as-cb

as

as

Instrumentation

as

Quartette

Quartette

cb

Quartette

Quartette

Quartette

Evénements

Solo

as

Solo as

Solo p

Solo cb

Solo

as/p/cb

8/8

Solo as/p

Solo as

2.3.2 Le solo de saxophone

Sans dire un mot à ses collègues, Konitz commença à improviser un solo de saxophone a cappella. Il fit l'expérience de cette pratique la première fois en 1965, au cours d'un concert en hommage à Charlie Parker : « j'avais le choix entre une bonne section rythmique avec laquelle j'aurais probablement passé cinq minutes à m'ajuster. Donc, je pensai simplement à me faire

plaisir et jouer en solo au Carnegie Hall. »174 Quelques années plus tard, il franchit le pas et enregistre un album complet en solo. Au cours de la performance, chaque musicien avait la tâche à son tour de débuter un morceau. Konitz explique: « Brad et moi aimons d'habitude débuter un morceau chacun à notre tour quand nous jouons ensemble, mais Charlie ne voulait pas jouer le jeu. »175 Il est nécessaire de signaler qu'il n'y a pas eu de concertation entre les musiciens avant la performance à propos de l'ordre des entrées, des tonalités, des tempos et des métriques. En ce qui concerne le soliste, sa responsabilité est de délivrer une improvisation la plus claire possible en ce qui concerne le tempo, le rythme, l'harmonie et la carrure. L'enjeu pour la section

rythmique est alors d'écouter attentivement le soliste qui sème au cours de son improvisation des indices qui pourront servir à reconnaitre les paramètres musicaux cités. L'intérêt pour le public et les musiciens s'en trouve accru. Mais c'est une discipline risquée car il est probable que le musicien ne reconnaisse pas le morceau entrepris. « À vrai dire c'est arrivé une fois jadis: Brad et moi jouions avec Charlie Haden au festival de jazz de Montreux, et nous avions joué en guise de rappel « Stella by Starlight » et personne ne me suivit. Finalement Charlie commença à jouer, mais je ne sais pas si il entra à l'endroit où je me trouvais. Je le joignis mais pas Brad. Je regardai Brad et je pouvais observer ses lèvres former les mots : qu'est que l'on est en train de

jouer ? »176

Konitz débute « All the Things You Are » au pont et survole les sections B et A». Il est rejoint par la section rythmique à la mesure 23, d'abord par la batterie puis par la contrebasse à la mesure 26, enfin par le piano mesure 33. Afin que tout le monde sache où est le premier temps,

174 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003 page 130 «I had the choice of a good rhythm section, which I would probably spend five minutes adjusting to , so I thought I'd just enjoy playing at Carnegie Hall all by myself. It was a very exciting experience»

175 «consulté en juin 2010» http://jazztimes.com/articles/27721-lee-konitz-a-q-a-by-ethan-iverson «Brad

and I usually like to take turns starting tunes when we play together, but Charlie didn't want to play that game.»

176 «consulté en juin 2010» http://www.washingtoncitypaper.com/blogs/artsdesk/music/2009/11/21/tonight-lee-konitz-kencen-terrace- theater/»Actually that happened once before: Brad and I played with Charlie Haden at the Montreal Jazz Festival,and as an encore I started «Stella by Starlight» and nobody came in. Finally Charlie came in, and I don't know if he came in where I was but I joined him--and no Brad. I looked over and I could see his lips forming the words `What are we playing?»

Konitz cite de manière évidente la dernière phrase de la mélodie aux mesures 21 à 23 qui ne laissent aucun doute sur la carrure du morceau et la tonalité. Cette phrase arpège distinctement un II V I en la bémol. Konitz résume cette discipline en ces termes: « je ne fais pas trop de concerts en solo, mais fréquemment j'aime bien commencer un concert avec une pièce tout seul. Avec un type d'instrument ne pouvant jouer qu'une seule note à la fois, nous sommes supposés tout faire nous-mêmes avant d'être rejoints par quelqu'un d'autre. Je suis habitué à cette indépendance ... si j'avais été pianiste je pense que j'aurais aimé les récitals en solo. C'est de

cette façon que je joue la plupart du temps chez moi. »177

Exemple musical 15 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesures 21 à 23. Dernière phrase du thème joué par Konitz.

2.3.3 La méthode d'improvisation

« Tu ne peux pas descendre deux fois dans les mêmes fleuves, car de nouvelles eaux coulent. » Héraclite

Un regard d'ensemble sur la partition nous suffit pour observer la variété rythmique et l'ambitus plus important utilisé tout au long du solo. La vue macroscopique dévoile des phrases

morcelées qui contrastent avec la version précédente d'« All the Things You Are ». Konitz crée

177 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003, page 129 «I don't do solo concerts too much, but frequently start a set at a concert with a solo piece. With single-note instruments, we're supposed to do the whole thing by ourselves before get together with somebody else. So I am used to that independence... If I were a pianist I think I'd enjoy solo recitals. That's the way I play most of the time when at home.»

une improvisation qui aurait pu être une composition écrite à la table. Il se soucie de l'équilibre de la musique et instinctivement emploi le concept de tension-détente à travers le rythme, la mélodie, et l'aspect sonore. D'un point de vue mélodique il utilise des cellules qu'il reproduit et développe en l'espace de quelques mesures comme aux mesures 23-24, 26 et 27, 31-36.

Son jeu se construit autour d'intervalles qu'il fait se répondre logiquement. L'idée est de changer le rythme et les licks dans tous les sens possibles dans le but de raconter une histoire originale. Arrivé à la fin de sa vie, Konitz pose un regard très modeste sur lui-même: « j'essaie de réviser toute les choses que j'ai faites ou apprises. Je dois me déshabiller jusqu'à ne garder que l'essentiel et essayer de redéfinir ce qu'improviser signifie pour moi. Je me dirige de plus en

plus près de ça. » 178 Son approche consiste ainsi à commencer un solo en espérant qu'il

empruntera une nouvelle direction. Selon lui, « la surprise est aussi très importante. De temps en temps, vous été en train de jouer une admirable mélodie dans le registre medium sur votre saxophone et, ensuite, vous produisez quelques notes aiguës qui éclatent à travers la texture. Elles sont presque dissonantes mais elles restent très mélodiques et excitantes. »179

Il s'efforce de donner du sens à chaque note qu'il forme. On remarque qu'il n'interprète plus une mélodie sans embellissement: « à présent je n'aime pas réellement jouer la mélodie de «All the Things» je dois trouver une nouvelle façon de l'exprimer. À chaque fois que je joue une de ces mélodies, j'essaie de m'accorder à toutes les notes, ce qu'elle signifie en soi et comment elle connecte avec la note d'après, soit en me servant des techniques du tonguing, du legato ou

en les vibrant. C'est un défi incessant et, plus c'est joué de manière sincère plus les

178 «Consulté en juin 2010» http://www.allaboutjazz.com/php/article.php?id=15943 «Trying to review all the things that I do or was learning. Having to strip down to the bare essentials and trying to redefine what improvising means for me and I'm coming closer and closer to it."

179 «Consulté en juin 2010» http://jazztimes.com/articles/27721-lee-konitz-a-q-a-by-ethan-iverson

`'Perhaps surprise is very important too. Sometimes you'll be playing a beautiful mid-register melody on your saxophone and then you'll play some high notes that burst through the texture. They're almost jarring, but they're still very melodic and very exciting.»

embellissements lors du second chorus le seront aussi. »180 En somme, Konitz livre la substance même du morceau, c'est-à-dire la somme des impressions du moment. Sa musique aujourd'hui n'appartient plus à un style identifiable. Elle est un pont véritable entre le passé, la tradition du

jazz et ce qui demeure intrinsèque à l'artiste.

Exemple musical 16 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesures 93 à 95. Fragment

thématique apparaissant aux mesures 93 à 95.

2.3.4 L'aspect rythmique

Konitz maintient l'auditeur en état de suspens grâce à un jeu rythmique varié et toujours imprévisible. De ce point de vue, il crée un effet de discontinuité en se servant de silences et de notes longues qui viennent rompre le flux de croches entrecoupé de syncopes. Cela permet de générer une tension sur le plan rythmique, complémentaire des tensions recherchées sur le plan mélodique. Ce type de tension dramatise l'improvisation et renforce sa nature vulnérable. L'auditeur Konitz reconnait la difficulté de créer spontanément en tenant compte de tous les paramètres en jeu au moment de l'improvisation. « En général je suis en train d'assembler des

notes de la façon la plus spontanée possible, et c'est très due de faire ça en synchronisation avec

180 HAMILTON Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003, page 116

« By now I don't really love to play the melody» I have to find a new way to make it real.» Every time I play one of these melodies, I'm trying to tune in to every note -how it feels in itself, and how it connects with the next note, weather I'm tonguing it or legato-ing it or vibrating it. It's a constant challenge, and the more meaningfully it's played, the more meaningful the second chorus of embellishment is»

le tempo. Quand je joue des phrases plus longues et descend vers le registre grave, cela va me ralentir un peu. Mon intention est de jouer vers le milieu du temps. »181

2.3.5 Un jeu construit collectivement

Toutefois son improvisation ne procède pas indépendamment de la section rythmique. Le pianiste Brad Mehldau, l'un des plus novateurs de la scène actuelle nourrit constamment Konitz à travers ses accords complexes et traits mélodiques inouïs. Comparé à Tristano, son accompagnement est plus léger car il joue souvent en contrepoint. Bien que dense harmoniquement, il sait se retirer à des moments propices pour mieux écouter et s'ajuster à l'environnement musical du moment. « Je pense qu'il y a de très bon morceaux pour tout le monde sur ce disque, en particulier avec Brad. Son jeu est vraiment brillant. Il a répondu avec beaucoup de feeling à mon invitation à jouer en contrepoint avec moi. Il habille ce que je joue à

merveille. » 182 Konitz attend des musiciens avec qui il joue de prendre des risques et de

s'évertuer à sortir des chemins balisés.

Haden à la contrebasse reste discret et minimaliste dans son accompagnement comme dans son solo. Le style personnel de Motian, orienté vers l'improvisation, en fait un musicien adéquat pour cette situation car il s'efforce pour chaque pièce d'instaurer un climat particulier. Konitz souligne les qualités de Motian: « [...] substituant au rôle de gardien du temps celui du percussionniste, Il ouvre certainement toutes ces possibilitiés. Je vous rappelle que Paul avait

jouait de temps en temps avec Tristano, c'est donc une vieille histoire avec lui. »183 Au final,

181 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003 page

124«For the most part I'm putting the notes together in as spontaneous way as possible, and it's very hard to do that in sync with the beat. When I play longer phrase, and get down to the bottom, it'll slow down a little bit. My intention is to play around the middle of the beat.»

182 Consulté en juin 2010» http://jazztimes.com/articles/27721-lee-konitz-a-q-a-by-ethan-iverson «I think there are some very nice pieces on this record for everybody, especially Brad. I think he really played brilliantly on it. He has a great feeling at my invitation to play along contrapuntally with me, which dresses up what I'm playing beautifully.

183 «Consulté en juin 2010» http://jazztimes.com/articles/27721-lee-konitz-a-q-a-by-ethan-iverson «[...]

changing into more of a percussionist than a timekeeper, he certainly opens up all those possibilities. I should remind you that Paul used to play sometimes with Tristano, so there's a long history with him

l'oeuvre produite résulte d'un effort collectif. Le souci premier de Konitz est de réagir au drame qui se déroule autour de lui. Il interagit en conséquence aux événements sonores à la fois en réagissant et en anticipant ce qui va se produire. Le processus se développe ainsi selon ses propres termes. « Alors, j'entends les notes de la basse, ensuite le pianiste joue un accord et je me dis quelque part en moi, wow qu'est-ce que c'était ça? Pas vraiment assez de temps pour mettre un nom dessus. Je fais de mon mieux pour correspondre à ce son. Qu'est-ce que le pianiste est en train de faire maintenant? Intéressant, mais qu'est-ce que je peux faire pour correspondre à cette jolie progression... Comment puis-je ... ce son? Et cela continue de cette manière fascinante, parfois en n'ajoutant pas grand-chose qui puisse conduire à une composition complète et bien structurée mais le sentiment spécial que procure le fait de

travailler ensemble, devant des auditeurs, en fait une tâche extraordinaire à mon sens. »184 En

conséquence, Konitz apparaît de temps à autre hésitant et perplexe. Il lui arrive d'ôter le saxophone de ses lèvres pendant un moment, laissant passer quelques mesures. Il en profite pour respirer et écouter les musiciens autour de lui. C'est précisément cette conception naturelle de l'improvisation qui le rend si unique. Konitz monte sur scène sans artifices et demeure fragile, profondément vulnérable au moment présent.

2.3.6 Une sonorité de saxophone nouvelle

Pour Konitz, le son est un élément primordial chez n'importe quel musicien: « que mon son soit toujours identifiable est intéressant pour moi. Je ne me souciais pas évidement de continuer avec un style familier. Je devais poursuivre comme je le sentais, et ensuite je me réjouissais que les gens reconnaissent cela. Je joue l'instrument le plus flexible de tous les instruments et, j'essaie de le fléchir autant que je le peux. Ce fut un effort conscient. J'ai juste essayé d'ouvrir autant que je le pouvais, de toutes les façons possibles, pour rendre la musique

184 HAMILTON, Andy, Conversations on the Improviser's Art, the University of Michigan, 2003 page

125«So, I hear the bass notes, then the piano plays a chord, and I say-in some part of me-«Wow, what was that? «Not enough time to really put a label on it, so I do the best I can to match that sound. What's the pianist doing now? Interesting, but what can I do to correspond to that nice progression...How can I fit to that sound? And it continues

in a most fascinating way , sometimes not really adding up to a complete, well-structured composition''- but the

special feeling of doing it as an ensemble , in front of listeners, makes it an extraordinary undertaking, I think.

plus expressive. »185 Après plus de cinquante ans de pratique, le son de Konitz a acquis une souplesse et une densité remarquable. À travers le medium du saxophone, devenu l'extension de sa voix, on entend filtrer un chant plaintif d'une pureté saisissante. Pour lui, le chant est naturel pour le musicien improvisateur: « eh bien, vous êtes en connexion avec votre chant. Votre chant et votre jeu sont assez indissociables. »186 Il s'attache ainsi à faire ressortir les inflexions les plus subtiles de chaque note et s'efforce d'en changer la sonorité. En contrepartie, son intonation est plus prompte à se mouvoir. Il existe une autre explication d'ordre technique. Depuis quelques années, Konitz a l'habitude de jouer aussi bien en public que chez lui, avec un chiffon dans l'embouchure du saxophone. J'avais déjà remarqué cela au cours de mes leçons dans son

appartement de Manhattan. Le son produit est plus étouffé et moins fort à la fois mais, le timbre de l'instrument demeure puissant. En outre, il utilisa deux saxophones alto lors du concert au Birdland de manière à varier les sonorités, je suppose. L'un se trouvait être le premier saxophone qui fut acheté par ses parents lorsqu'il était adolescent. Ainsi, l'expressivité et la flexibilité sonore sont des éléments de son jeu aussi importants que la mélodie, le rythme et l'harmonie. D'ailleurs, le rôle du son chez Konitz va croître jusqu' à devenir de nos jours un des paramètres

stylistiques les plus saillants de son style tardif.

185 ROBINSON Greg, Lee Konitz On its Own Terms, Jazz Times, juin 1997 «That it's still identifiable is interesting to me. I obviously didn't care to continue a familiar style. I had to go as I felt, and then I was very gratified that people still acknowledged me. I'm playing the most flexible instrument of all the instruments, and I'm trying to flex on it as much as possible. It's been a conscious effort. I've just tried to open up as much as possible, in all ways, to make the music more expressive.»

186 «Consulté en juin 2010» http://jazztimes.com/articles/27721-lee-konitz-a-q-a-by-ethan-iverson «Well,

you are so connected to your singing. Your singing and your playing are quite indistinguishable.''

CONCLUSION

La réflexion a pu montrer que l'analyse des influences et des caractéristiques du jeu de Lee Konitz permet de tirer plusieurs conclusions. Tout d'abord, ses improvisations montrent qu'à partir de 1949, il a intégré les procédés caractéristiques des musiques de Tristano et qu'il avait déjà à l'époque formulé un style personnel différent de celui de Parker et des autres saxophonistes contemporains. Son jeu, portées par l'energie de sa jeunesse, était caracterisé surtout par un vibrato court, un son droit et acide ainsi que par de longues lignes melodiques,

Depuis les annees 1990, l'originalité du jeu de Lee Konitz réside d'une part dans sa faculté d'intégrer des éléments exterieurs au sein de son discours, aussi bien ryhtmiques que melodiques. Son improvisation est donc à la fois le produit d'une écoute attentive des musiciens avec qui il se trouve, d'une grande familiarité du materiel, en l'occurrence les standards de Broadway et, d'une connaissance intime du vocabulaire jazzistique. L'étude quasi quotidienne des musiques de Tristano, Young, Armstrong et Parker n'y est pas étrangère. Ses lignes, devenues brèves et imprevisibles, sont la source d'un plus grand sens de la damaturgie. Elles génèrent un suspens notable dans son jeu. Sur scène, on remarque souvent Konitz s'arrèter quelques mesures afin de laisser du temps aux idées pour germer. D'autre part, à travers l'importance accordé au son, qui devient un élèment primordial au même plan que la melodie et l'harmonie, le saxophoniste s'evertue ainsi à travailler la substance de chaque note en modifiant sa texture. Cependant, sa sonorité plutot douce et cotonneuse, identifiable dès les premières mesures, ne demeure jamais pour autant uniforme. À tout moment, Konitz peut jaillir une phrase avec des son rugueux, habillant chaque note d'une surface âpre, ou bien emettre un son moelleux et plaintif. Certes, son jeu s'est simplifié aujourd'hui, mais il ne faudrait pas croire qu'il est incapable de complexifier ses improvisations. Si elles sont moins spectaculaires et moins brillantes que celles d'un Charlie Parker, elles n'en sont pas pour autant simplistes. La complexité, certes moins visible, réside dans la manière avec laquelle il parvient à produire presque instantanément une musique équilibrée dans ses carrures, une improvisation construite avec une logique presque implacable. Son dessein est clair: « c'est en quelque sorte mon but: ne pas répéter ce qui m'a plu le soir précédent ou n'importe quand... J'essaie juste de construire un nouvel assemblage de note qui a du sens. »187 La musique de Lee Konitz témoigne donc à la fois d'une science réelle de la construction et des proportions. Néanmoins cette méthode d'improvisation à ses limites. Depuis quelques années, le jeu de Lee Konitz a ralenti. Les tempos qu'il emploie sont généralement lents, medium voir medium rapides mais rarement très rapides, contrairement au début de sa carrière avec Lennie Tristano et jusque dans les années 1970 environ. Il est ardu d'improviser réellement sur un tempo élevé. Le musicien est requi de posséder un bagage de licks prêt à l'emploi quand l'esprit créateur se trouve tout occupé à maitriser ce genre de tempo. Cela demande aussi un effort physique d'exécution qui pourrait être difficile à gérer pour Konitz.

Finalement, son jeu à évolué encore plus vers la modernité, en se focalisant sur une pratique exigeante de l'improvisation sur ses standards favoris. Entre le be-bop incarné par la figure de Charlie Parker, et le cool, représenté par Lester Young et Lennie Tristano, c'est une « troisième voie », pour ainsi dire, qu'emprunte Lee Konitz. Celui-ci intègre des éléments du be-bop, mais reste attaché à l'esprit de Lester Young en y mêlant des éléments modernes. Sur une radio cassette obsolète qu'il utilise pour ses cours et sa pratique personnelle, il garde des solos coupés de Lester Young, Warne Marsh, de Wayne Shorter (né en 1933) provenant du Live at the Plugged Nickel. 188 Ce respect de la tradition mêlé à l'intérêt porté à la modernité aide à comprendre ce qui fait sa spécificité et ne permet pas de parler de Konitz uniquement comme d'un musicien cool. S'il reste en effet à l'écart du free jazz qui apparut vers la fin des années 50 puis la fusion du jazz et du rock pendant les années 70, il s'intéresse toutefois à certaines nouveautés qui apparaissaient dans le champ du jazz, comme la musique brésilienne. Il

187 «consulté en avril 2010» http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=128953406

"That's kind of my goal: to not repeat what I did that felt nice the night before or whatever, «Just to try to

build a new row of meaningful tones."

188 DAVIS Miles, Live at the Plugged Nickel, Sony, Chicago, 1965

189 KONITZ Lee, Brazilian Serenade, Pony Canyon, New York, 1996

190 KONITZ Lee, Brazilian Rhapsody, Pony Canyon, New York, 1999

participa à deux albums Brazilian Serenade189 et Brazilian Rhapsody190, le premier consacré à la musique de Jobim (1927-1994), le second enregistré en sextette reprenant des morceaux fameux de la musique brésilienne. Proches des standards de par leurs structures harmoniques et leurs

melodies simples, les chansons de la Bossa Nova possédent une certaine sensibilité cool qu'affectionnait Konitz. Ainsi, il ne semblait pas chercher à sortir du cadre harmonique défini lors de la composition du morceau qu'il joue ou bien d'essayer de surimposer un système harmonique. Il se tient à distance de la modalité et du free jazz dont les saxophonistes les plus emblématiques sont John Coltrane, (1926-1967) et Ornette Coleman (né en 1930).

Âgé de 83 ans Konitz s'est installé dans une carrière tardive synonyme de renaissance. Poursuivant la même ligne de questionnement qu'il a toujours embrassée, l'altiste s'émerveille toujours du défi que représente l'improvisation. Il y a une liberté dans son jeu, qui a pour origine une impatience à souffler ses dernières notes à l'approche de l'ultime solo. Sa musique est un temoignage du jazz, au-delà des époques et des différences stylistiques, comme une récapitulation des mélodies qu'il porta en lui. Konitz a purgé son art en faveur de l'essentiel et atteint une nouvelle intensité. Cette citation d'Hokusai (1760-1849) dans la préface de Hundred Views of Fuji reflète la poursuite insatiable de l'artiste jamais satisfait, laquelle s'applique parfaitement à Konitz. « Je suis mécontent de ce que j'ai produit avant l'âge de 70 ans. Â 73, j'ai appris un peu à propos de la structure de la nature, des animaux, des plantes, oiseaux, arbres, et insectes. Par conséquent quand j'aurai 80 ans, je devrai avoir fait plus de progrès. Â 90 j'aurai pénétré le mystère des choses. Â 100, je serai parvenu à un état supérieur. Enfin, à l'âge de 110 ans, un point, une ligne, tout sera vivant. Je défie les gens qui vivront aussi longtemps de voir si je ne tiens pas ma parole. » 191

191 HOKUSAI, Hundred Views of Fuji, falcon feather edition, Japon, 1934 «All I have produced before the age of seventyis not worth taking into account.At seventy-three I learned a little aboutthe real structure of nature, of animals,plants, trees, birds, ½shes and insects. In consequence when I am eighty, I shall have made still more progress. At ninetyI shall penetrate the mystery of things; ata hundred I shall certainly have reacheda marvellous stage; and when I am a hundredand ten, everything I do, be it a dotor a line, will be alive. I beg those who live as long as I to see if I do not keep my word»

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Table des exemples musicaux

Exemple musical 1 : « When You're Smiling », Teddy Wilson & His Orchestra featuring

Billie Holiday, 1938. Dix mesures d'improvisation de Lester Young. page 22

Exemple musical 2 : « Lady Be Good », Count Basie, Chicago, 1936. Cinq mesures de

l'improvisation de Lester Young. 24

Exemple musical 3 : «Shoe Shine Boy», Count Basie, 9 novembre 1936, Mosaic Records. Improvisation de Lester Young sur Shoe Shine Boy (A7; Dm7; G7 ; Gm7 ; C7) P25

Exemple musical 4 : « Jive at Five », Count Basie, 4 février 1939. Seize mesures de

l'improvisation de Lester Young. 26

Exemple musical 5 : « Foolin' Myself », Billie Holiday, « Lady Day & Pres 1937-1941,

1937 ». Seize mesures d'improvisation de Lester Young. 28

Exemple musical 6 : « Koko », Savoy, 1945, quatre mesures d'improvisation de Charlie

Parker (Dbmin; Gb7 ; B sur deux mesures). 39

Exemple musical 7 : « Parker's Mood », Savoy. Deux mesures du solo de Charlie Parker

(Eb7). 40

Exemple musical 8 : « Line Up », septembre 1955. Douze mesures d'improvisation de

Lennie Tristano (AbM7; C7; F7; Bbm7; C7; Fm7)

Exemple musical 9 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesure 63. Utilisation de la seconde mineure mi sur l'accord de Eb7. 94

Exemple musical 10 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesure 43. Konitz emploie un motif généralisé par les boppers sur l'accord de do Majeur.

Exemple musical 11 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesure 8. La sixte de

l'accord de CM7 est répétée à trois reprises.

Exemple musical 12 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesures 46-47. Motif construit sur la pentatonique majeur de mi bémol.

Exemple musical 13 : « All the Things You Are », mesures 112 à 116. Déplacement

chromatique et rythmique d'un motif en tierces.

Exemple musical 14 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesure 104. Exemple de jeu rythmique en triolet de broderies supérieures descendantes sur l'accord de Bm7 (b5).

Exemple musical 15 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesures 21 à 23. Dernière phrase du thème joué par Konitz.

Exemple musical 16 : « All the Things You Are », Lee Konitz, mesures 93 à 95. Fragment thématique apparaissant aux mesures 93 à 95.

Listes des enregistrements joints

TRISTANO, Lennie, Sing Sing Room, Confucius Restaurent, New York, Atlantic, 1955

KONITZ, Lee, Enregistrements privés, New York, décembre 2009

Discographie sélective de Lee Konitz

Enregistrements réalisés au cours des années 2000

Konitz, Lee, Live at The Village Vanguard, Enja, 2010

Konitz, Lee, Tepfer, Dan, Duo with Lee, Sunny Side Records, 2009

Konitz, Lee, Talmor Ohad, Portology, OmniTone, 2006

Konitz, Lee, Broadbent, Alain, More Live-Lee, Fantasy Records, 2006

Konitz, Lee, Live-Lee, Milestone, 2003

Konitz Lee, Werner Kenny, Unleemited, Owl, 2003

Konitz, Lee Quintet: Parallels, Chesky, 2001

Konitz Lee Trio, Some New Stuff , DIW, 2001

Konitz Lee : Pride, SteepleChase, 2000

Konitz Lee Quartet: Sound of Surprise, RCA Victor, 2000

Konitz Lee, Perry Rich, RichLee!, SteepleChase, 2000

Konitz, Lee The Axis Quartet: Play French Impressionist Music from the Turn of the Twentieth

Century, Palmetto, 2000

Enregistrements réalisés au cours des années 1990

Konitz, Lee Trio, Another Shade of Blue, Blue Note, 1999

Konitz, Lee Swallow, Steve, Motian, Paul , Three Guys, Enja, 1999

Konitz, Lee Brown, Ted , Dig-It, SteepleChase, 1999

Konitz, Lee , Dearly Beloved ,SteepleChase, 1997

Konitz, Lee , Bley Paul, Out of Nowhere, SteepleChase, 1997

Konitz, Lee , It's You, SteepleChase, 1996

Konitz, Lee , Strings for Holiday: A Tribute To Billie Holiday, Enja, 1996

Konitz, Lee Trio, Alone Together ,Blue Note, 1996

Konitz, Lee , Free with Lee ,Philology,1995

Konitz, Lee, Brazilian Rhapsody, BMG/Music Masters, 1993

Konitz, Lee, Rhapsody ,Evidence, 1993

Konitz, Lee, Rhapsody II ,Evidence, 1993

Konitz, Lee, Once Upon a Line, Musidisc, 1990

Konitz, Lee, Zounds, Soul Note, 1990

Enregistrements réalisés au cours des années 1980

Konitz Lee, Round and Round, Music Masters, 1989

Konitz, Lee Quartet, The New York Album ,Soul Note, 1987

Konitz, Lee Quartet, Ideal Scene ,Soul Note, 1986

Konitz, Lee, Dovetail, Sunnyside, 1983

Konitz, Lee , Solal, Martial, Star Eyes, Hamburg, HatOLOGY, 1983

Konitz, Lee , Evans, Gil , Heroes ,Verve, 1980

Konitz, Lee , Solal, Martial, Live at the Berlin Jazz Days, MPS,1980

Enregistrements réalisés au cours des années 1970

Konitz, Lee Yes, Yes Nonet, Steeple Chase, 1979

Konitz, Lee Nonet, Live at Laren, Soul Note, 1979

Konitz, Lee , Tenorlee, Candid, 1977

Konitz, Lee , The Lee Konitz Nonet, Chiaroscuro, 1977

Marsh, Warne, Konitz, Lee , Lee Konitz Meets Warne Marsh Again, PAUSA, 1976

Konitz, Lee, Galper, Hal, Windows, SteepleChase,1975

Marsh, Warne Quintet, Jazz Exchange, Storyville, 1975

Konitz, Lee , I Concentrate on You, A Tribute to Cole Porter, SteepleChase, 1974

Konitz, Lee , Jazz Juan, SteepleChase, 1974

Konitz, Lee , Lone-Lee, SteepleChase, 1974

Konitz, Lee , Satori ,Milestone/OJC,1974

Mingus, Charles , Charles Mingus and Friends in Concert ,Columbia, 1972

Konitz, Lee , Spirits Milestone, OJC,1971

Konitz, Lee , Lee Konitz Sax Duets, Music Minus One, 1970

Enregistrements réalisés au cours des années 1960

Konitz, Lee, The Lee Konitz Duets, Milestone/OJC, 1967

Konitz, Lee, Motion,Verve, 1961

Enregistrements réalisés au cours des années 1950

Konitz, Lee , Lee Konitz Meets Jimmy Giuffre, Verve,1959

Konitz, Lee ,Live at the Half Note, Verve, 1959

Konitz, Lee , Inside Hi-Fi, Atlantic, 1956

Konitz, Lee Lee Konitz Featuring Hans Koller, Lars Gullin, Roland Kovac, Swingtime, 1956

Konitz, Lee, Marsh Warne, Lee Konitz/Warne Marsh, Atlantic, 1955

Konitz, Lee, In Harvard Square, Black Lion, 1954

Konitz, Lee, Jazz at Storyville, Black Lion, 1954

Konitz, Lee, Konitz Meets Mulligan, Pacific Jazz, 1953

Konitz, Lee, Lee Konitz/Bob Brookmeyer in Paris,Vogue, 1953

Kenton, Stan, City of Glass: Stan Kenton Plays Bob Graettinger, Capitol, 1952

Konitz, Lee, Sax of a Kind, Dragon, 1951

Enregistrements réalisés au cours des années 1940

Konitz, Lee, Subconscious-Lee, Prestige/OJ, 1949

Konitz, Lee Quintet, Lee Konitz, Prestige, 1949

Tristano, Lennie, Marsh Warne : Intuition, Capitol, 1949

Davis, Miles, Birth of the Cool, Capitol, 1949

Thornhill, Claude, The Uncollected Claude Thornhill and His Orchestra, Hindsight, 1947

Kenton Stan,Retrospective, Capitol, 1943

Index des noms propres

ADERLEY Cannonball, 27

AMMONS Gene, 16

ANDERSON Lynn, 41

ANDRESON Lynn, 41

ARMSTRONG Louis, 7, 24, 26, 28,

46, 50, 53

BACH Johann Sebastian, 10, 27, 44

Back, 27, 110

BASIE Count, 11, 16, 18, 19, 20, 21,

25, 26, 34, 57, 67

BAUER Billy, 39, 40, 52, 67

Be-bop, 29, 54, 107, 108

BEIDERBEKE Bix, 23, 48

BENNET Tony, 18

BERNSTEIN Peter, 11, 12

Big band, 57, 61, 63, 64, 65

BIMBAUM Larry, 30

Bird, 25, 27, 29, 31, 32, 33, 35, 46,

47, 61

BLAKEY Art, 48, 52

BROWN Ted, 82, 116

BYAS Don, 17, 26, 32

BYAS Louis, 17, 26, 32

CANDOLI Conte, 69

CARISI John, 61, 63

CARISIS JOHN, 63

CARTER Benny, 26, 31, 34, 61

CHINEN Nat, 53, 109

COHN Al, 16, 24, 25

COLEMAN Ornette, 6, 9, 39

COLTRANE John, 6, 49, 54, 56, 74,

61, 62, 63, 64, 66, 69, 70, 108,

109, 118, 121

CROTHERS Connie, 11, 12, 39

CUBER Ronnie, 64

CUGNY Laurent, 1, 37, 74

DAVIS Miles, 7, 11, 26, 33, 39, 43,

48, 49, 51, 54, 57, 58, 60, 61, 62,

63, 66, 84, 108, 118, 121

Debussy, 57

DESMOND Paul, 24, 25

DEVAUX Scott, 43

DORSEY Jimmy, 23, 81

ECKERT JOHN, 64

ELLINGTON Duke, 57, 66

ELLIS Don, 66

EVANS Gil, 57, 58, 59, 60, 61, 63,

64, 116

EXNER Billy, 60

FEATHER Leonard, 23

FREEMAN Bud, 39

GALBRAITH Joseph Barry, 60

GIDDINS Gary, 43, 65

GLASSER Dave, 11, 12

GORDON Jack, 108

GRAETTINGER Bob, 66, 118

HADEN Charlie, 87, 94, 98

HAIG Al, 51

HAMILTON Andy, 9, 10, 29, 38,

44, 46, 49, 52, 61, 63, 64, 67, 68,

69, 95, 97

HAMMERSTEIN II Oscar, 6

HAYES Kevin, 12

HEATH Jimmy, 27

HENTOFF Nat, 22

HERMAN Woody, 58, 66

HINES Earl, 40

HODGES Johnny, 24, 26, 28, 31,

34

HOKUSAI, 104

HOLIDAY Billie, 16, 17, 18, 21, 22,

23, 46, 116

HOLMAN Bill, 66, 68

Hot, 11, 20, 21, 25, 29, 31, 48, 50,

60, 109, 121

HUBBARD Freddie, 46

Improvisatiom, 5, 6, 7, 8, 11, 17, 18,

19, 21, 22, 23, 25, 27, 32, 33, 36,

37, 40, 41, 44, 47, 52, 53, 54, 57,

69, 74, 75, 83, 84, 85, 87, 94, 95,

96, 97, 98, 103, 104, 113, 121

Improvisation, 11, 20, 37, 41, 109

IND Peter, 10

IRA BLOOM Jane, 12

JONES Jo, 17

KAMUCA Richie, 25

KELLY Ted, 61

KENTON Stan, 7, 56, 57, 58, 64, 65,

67, 68, 82, 111, 118, 121

KERN Jerome, 6, 81

KIRBY John, 32

KIRCHNER Bill, 10, 51, 107

KLOPOTOWSKI John, 11, 12

104

HANCOCK Herbie, 43

, 3, 5, 6, 7, 9, 10, 12, 15, 16, 19, 20,

Cool, 5, 6, 7, 8, 10, 15, 20, 24, 32,

HARRELL Tom, 64

21, 22, 23, 24, 25, 26, 28, 29, 30,

39, 48, 49, 50, 51, 53, 54, 57, 60,

HAWKINS Coleman, 15, 17, 20, 22,

31, 34, 35, 36, 37, 38, 40, 44, 45,

 

23, 26, 32, 36

46, 47, 49, 51, 53, 54, 55, 56, 59,

60, 61, 62, 63, 64, 66, 67, 68, 70,

33, 34, 35, 36, 37, 39, 40, 49, 50,

SHAW Artie, 66, 81

74, 75, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 93,

52, 53, 54, 58, 59, 60, 61, 63, 69,

SHIM Eummi, 10, 45

95, 96, 97, 98, 99, 100, 103, 104,

74, 82, 83, 84, 93, 103, 104, 108,

SINATRA Franck, 18, 22

108, 109, 110, 111, 115, 116,

109, 111, 121

STITT Sonny, 27

117, 118, 121

LEVEY Stan, 51, 69

LEVY Lou, 45

LEWIS John, 61, 66

LEWIS Mel, 66

LOU WILLIAMS Marie, 39

LOVANO Joe, 9

LUNCEFORD Jimmy, 64

MARSH Warne, 5, 10, 12, 16, 24,

36, 38, 39, 40, 44, 46, 47, 51, 52,

54, 82, 104, 108, 109, 117, 118

MCKIBBON Al, 61

MCKUSICK Hal, 61

MCLEAN Jackie, 30, 52, 109

MEADOES Eddie, 10

MEHLDAU Brad, 87, 98

MERLIN Arnaud, 24, 107

MILHAUD Darius, 65

MINGUS Charles, 67, 117

MONK Thelonious, 34, 54, 56

MOTIAN Paul, 87, 98, 115

MULLIGAN Gerry, 51, 57, 61, 62,

63, 66, 110, 118

NAVARRO Fats, 33, 46

NAVARRO Fatz, 46

NIEHAUS Lennie, 66

Orchestre, 24

PARKER Charlie, 6, 7, 11, 15, 16,

19, 21, 25, 26, 27, 29, 30, 31, 32,

PATITUCCI John, 12

PEPPER Art, 39, 48, 52, 66

PERKINS Bill, 66

PERSIP Charles, 12

PETERSON Oscar, 18, 21, 23

PFEFFER Bruno, 28, 110

POWELL Bud, 33, 37, 40, 46, 53,

84

Prez, 15, 16, 17, 21, 24, 27, 46

QUIEVREUX Jean -Francois, 29,

31

QUIEVREUX Jean-Francois, 29, 31,

60, 109

QUILL Gene, 27

RAMEY Gene, 82

RICHARDS Johnny, 66

ROACH Max, 33, 61

ROBERT Aubert, 29, 31, 54, 60,

109

RODGERS Shorty, 48, 66

RODNEY Red, 51, 60, 64

ROSOLINO Franck, 66, 69

RUGOLO Pete, 61, 65

RUSSO Bill, 67, 69

SABBAGH Jerome, 11

SABBAGH Jérôme, 11

SAID Edward, 10

SCHILDKRAUT Dave, 69

SCHULLER Gunter, 65, 66

STRAVINSKY Igor, 26, 65

STREET Ben, 11, 12

TATUM Art, 26, 32, 33, 40

TAYLOR Art, 82, 84

TAYLOR Cecil, 39

TERCINET Alain, 107

THORNHILL Claude, 7, 57, 58, 59,

60, 62, 111, 118

TRISTANO Lennie, 5, 6, 7, 9, 10,

12, 15, 26, 27, 33, 34, 36, 38, 39,

40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 49,

50, 51, 52, 53, 55, 56, 59, 61, 65,

67, 69, 70, 74, 82, 83, 84, 85, 86,

98, 103, 104, 107, 108, 118, 121

TRUMBAUER Franck, 21, 23, 48,

61

ULANOV Barry, 39

WATROUS Peter, 52, 109

WILDER Alec, 81

WILLIAMS Gene, 60

WILSON Teddy, 16, 17, 18

WINDING Kay, 61

WOODS Phil, 9, 27, 39, 51, 52

YOUNG Lester, 5, 7, 11, 15, 16, 18,

19, 20, 21, 23, 24, 25, 26, 28, 30,

34, 36, 37, 41, 46, 48, 50, 53, 57,

61, 67, 69, 104, 107, 111, 113,

121

ZERWIN Mike, 74

Table des matières

Sommaire .............................................................................................................................................. ....3

Introduction ............................................................................................................................... 5

Chapitre 1.................................................................................................................................. 15

Le parcours musical de Lee Konitz : réinterrogation de quelques mythes ........ 15

1.1 Lester Young .............................................................................................................................. .15

1.1.1 Un swing contagieux ....................................................................................................................... .17

1.1.2 Le langage mélodique ..................................................................................................................... 21

1.1.3 Le chant ................................................................................................................................................ 23

.

1.1.4 Le son .................................................................................................................................................... 24

1.1.5 Lester Young : un père du jazz moderne ................................................................................ .25

1.2 Charlie Parker ........................................................................................................................... .26

1.2.1 Charlie Parker, une révolution musicale ................................................................................ .26

1.2.2 Une influence dissimulée ? ........................................................................................................... .27

1.2.3 Les caractéristiques principales du jeu de Charlie Parker .............................................. .32

1.2.4 Un répertoire commun .................................................................................................................. .36

1.2.5 Deux conceptions de l'improvisation...................................................................................... .37

1.3 Lennie Tristano ......................................................................................................................... 39

1.3.1 Une approche différente des boppers ..................................................................................... 41

1.3.2 Un répertoire construit sur le démarquage des standards............................................. 44

1.3.3 Le professeur de Konitz................................................................................................................. 45

1.3.4 Un enseignement du jazz sans précédent .............................................................................. 46

1.3.5 Une musique cool ? .......................................................................................................................... 49

1.3.6 Le départ de Lee Konitz, des relations difficiles avec le clan Tristano....................... 56

1.4 Les débuts dans les grandes formations de jazz ........................................................... 57

1.4.1 Claude Thornhill ............................................................................................................................... 58

1.4.2 Le nonette de Miles Davis ............................................................................................................. 62

1.4.3 Stan Kenton ........................................................................................................................................ 65

1.5 Bilan et perspectives ............................................................................................................... 70

Chapitre 2.................................................................................................................................. 73

Analyse de deux improvisations sur « All the Things You Are » ........................... 73

2.1 Origine de « All the Things You Are » ................................................................................. 75

2.2 Analyse de la première version d'« All the Things You Are » .................................... 77

2.2.1 Diagramme sructurel de la performance ................................................................................ 77

2.2.2 Le vocabulaire harmonique et mélodique .............................................................................. 78

2.2.3 L'aspect rythmique ......................................................................................................................... 84

2.2.4 Les éléments propres au style de Lee Konitz ............................................................................ 84

2.3 Analyse de la deuxième version d'« All the Things You Are » ................................... 86

2.3.1 Diagramme structurel de la performance.............................................................................. 92

2.3.2 Le solo de saxophone...................................................................................................................... 92

2.3.3 La méthode d'improvisation........................................................................................................ 94

2.3.4 L'aspect rythmique .......................................................................................................................... 96

2.3.5 Un jeu construit collectivement ................................................................................................. 97

2.3.6 Une sonorité de saxophone nouvelle ....................................................................................... 98

CONCLUSION ......................................................................................................................... 101

Bibliographie .................................................................................................................................... 107

Ouvrages ...................................................................................................................................................... 107

Articles .......................................................................................................................................................... 109

Travaux universitaires ........................................................................................................................... 109

Ressources électroniques ..................................................................................................................... 110

Table des exemples musicaux .................................................................................................. 113

Discographie sélective de Lee Konitz ..................................................................................... 115

Enregistrements réalisés au cours des années 2000 ................................................................ 115

Enregistrements réalisés au cours des années 1990 ................................................................ 116

Enregistrements réalisés au cours des années 1980 ................................................................ 116

Enregistrements réalisés au cours des années 1970 ................................................................ 117

Enregistrements réalisés au cours des années 1960 ................................................................ 118

Enregistrements réalisés au cours des années 1950 ................................................................ 118

Enregistrements réalisés au cours des années 1940 ................................................................ 118

Index des noms propres.............................................................................................................. 120

Table des matières ........................................................................................................................ 123






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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand