REMERCIEMENTS
Je tiens tout d?abord à remercier Janette Habel pour
m?avoir suivi au cours de mes recherches et m?avoir apporté les
nombreuses connaissances qu?elle a de Cuba. Carlos Quenan m?a également
beaucoup aidé tant sur le fond du mémoire que sur les conditions
de ma recherche, en particulier pour mon séjour à Cuba.
J?adresse une pensée à tous les cubains que j?ai
rencontré lors de ce séjour. Qu?ils soient économistes ou
non, ils m?ont éclairé sur Cuba et ses
spécificités. Je tiens à remercier également
Joviale et Géraldine Babangui pour la relecture du texte et les
améliorations orthographiques et syntaxiques qu?elles m?ont
proposé.
INTRODUCTION
La motivation des travailleurs a toujours été un
enjeu important dans les économies planifiées. Cette motivation
est liée à l?efficience des entreprises et donc à la
croissance des forces productives du pays en question. Les économies que
l?on nomme planifiées se déclarent en transition du capitalisme
au socialisme ou parfois comme des pays où le socialisme serait
déjà atteint. L?exploitation de l?Homme par l?Homme dont le
capitalisme forme de nos jours le système de relations sociales, serait
ou était en voie de déconstruction dans ces pays qui doivent ou
devait construire de nouveau type de rapports sociaux donc de rapport de
production qui émergeraient au sein de la société
communiste.
La société communiste selon Marx devait
émerger suite à une période de transition, le socialisme.
La société capitaliste rentrerait dans une phase de contradiction
au niveau de ses rapports de production, et le prolétariat, seule classe
révolutionnaire de la société, prendrait le pouvoir pour
fonder la nouvelle société et se débarrasser des rapports
d?exploitation. Durant l?étape de transition, le prolétariat
s?érigera donc en classe dominante (étape de la dictature du
prolétariat) jusqu?à ce que l?abolition des classes sociales soit
réellement effective. L?Etat deviendrait inutile. La
société communiste où régnerait l?abondance verrait
enfin le jour1.
Pour atteindre ce règne de l?abondance, un
développement économique important est nécessaire. Le
capitalisme a permis à l?humanité de faire des progrès
exceptionnels et d?accroître les forces productives à une vitesse
jamais vu auparavant. Ce que nous pouvons percevoir depuis la fin du XVIIIe et
le début du XIXe siècle jusqu?à aujourd?hui. Pour Marx les
contradictions du capitalisme et la prise du pouvoir du prolétariat ne
pouvaient se produire que dans des sociétés capitalistes
développées c'est-à-dire avec une capacité
industrielle forte et des secteurs de l?économie fortement
interdépendants entre eux. La phase inférieure du communisme, le
socialisme, se caractériserait par la prise du pouvoir par le
prolétariat et par la socialisation des moyens de production. La
production serait alors guidée de manière consciente par la
société afin de répondre au besoin de la
société.
1 Cf. MARX, Karl, Manifeste du parti
communiste, Librio, Paris, 1998.
La première révolution prolétarienne se
produisit en Russie en 1917. Sans revenir sur les conditions de la
révolution, celle-ci eut lieu dans un pays faiblement
industrialisé, arriéré économiquement dont 80% de
la population vivait en zone rurale. Le prolétariat était fort
peu développé. Aussi la dictature du prolétariat qui
allait se mettre en place avait pour tâche de réaliser ce que le
capitalisme n?avait pas encore effectué c'est-à-dire
développer économiquement le pays tant au niveau industriel
qu?agricole. Le faible développement des forces productives et donc la
faible interdépendance des différents pans de l?économie
ne permettaient pas une planification orientée directement vers les
besoins de la société calculée à partir du temps de
travail socialement nécessaire comme le préconisait F. Engels.
Le socialisme n?était donc pas directement atteint
suite à la révolution et une phase de transition du capitalisme
au socialisme s?avérait nécessaire. Déjà Marx
insistait sur le fait que certaines tares du capitalisme subsisteraient durant
le socialisme2. On peut donc en convenir que durant la phase de transition vers
le socialisme, il en sera de même. Dans les faits nous voyons que dans
tous les pays qui se sont proclamés en transition vers le socialisme,
l?existence de mécanismes économiques propres au capitalisme a
toujours, selon les cas, perduré.
C?est le cas par exemple du salaire et plus flagrant encore du
salaire aux pièces et de ce qui a été appelé dans
la littérature traitant de l?économie de transition, des
stimulants matériels. Au sein des stimulants matériels, nous
pouvons regrouper essentiellement tout ce qui a un caractère de prime
ainsi que les paiements à la tâche qui visent à
accroître l?effort du travailleur dans le but d?une augmentation de la
productivité du travail, source d?une augmentation de la production et
de ce fait, des forces productives.
La révolution cubaine de 1959, affirmera son
caractère socialiste à partir de 1961. Il s?ensuivra au cours des
années 1960 de nombreux débats sur l?étape de transition
du capitalisme au socialisme. Il y était question du degré de
planification de l?économie, de l?utilisation de la loi de la valeur et
des catégories marchandes ainsi que de l?importance des stimulants
matériels pour accroître l?effort de travail. Comme la
révolution russe et la révolution chinoise par exemple, la
révolution cubaine se produisit dans un pays relativement
2 MARX, Karl, Critique du programme de Gotha,
Spartacus, Paris, 1968.
arriéré économiquement, soumis au
colonialisme espagnol jusqu?en 1898 et à l?impérialisme des
Etats-Unis juste par la suite.
Si nous pouvons réellement analyser Cuba comme un pays
en transition vers le socialisme, le caractère de ces forces productives
au moment de la révolution, nécessite forcément une
transition relativement longue dans le temps. Cuba, depuis la révolution
jusqu?à aujourd?hui, n?a jamais trouvé la solution
adéquate quant à la rémunération des travailleurs.
Nous pouvons distinguer différentes périodes. Certaines,
où les stimulants matériels sont jugés nécessaires
ainsi qu?une rémunération basée sur le principe «
à chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail
», c'est-à-dire basée sur le travail effectivement
réalisé énoncé par Marx dans La critique du
programme de Gotha. D?autres, où au contraire les stimulants
matériels sont jugés néfastes pour la conscience des
travailleurs car ils font naître l?égoïsme, l?individualisme
et favoriseraient le retour du capitalisme.
Plusieurs analyses, sous formes d?articles ont traité
de la question des stimulants matériels à Cuba. Ils reprenaient
souvent le débat sur la question qui eut lieu à Cuba dans les
années 1963-1965, entre les partisans des stimulants moraux comme
Ernesto Guevara et ceux d?une plus grande importance des stimulants
matériels tel Carlos Rafael Rodriguez et Alberto Mora. Les
premières études détaillées furent celle de Carmelo
Mesa Lago en 19713 et de Terry Karl en 19754. De nombreux
articles furent écris à Cuba également durant les
années 1980 principalement dans la revue « economía y
desarrollo ». La dernière étude détaillée sur
l?utilisation des stimulants matériels ft celle d?Andrew Zimbalist en
19895.
Ces trois études principales nous donnent beaucoup de
renseignements sur l?application et les tâtonnements au niveau de la
politique des stimulants matériels à Cuba pendant les trente
première années du processus révolutionnaire. En revanche,
elles ne s?inscrivent pas dans une analyse marxiste de la période de
transition à Cuba et ne questionnent point l?utilisation des stimulants
matériels durant la phase de transition vers le socialisme. Bien
3 MESA LAGO, Carmelo, «ideological, political and
economic factors in the Cuban controversy on material versus moral
incentives», Journal of interramerican Studies and World affairs,
Vol. 14, N°1, 1972, pp 49-111.
4 KARL, Terry, « Work incentives en Cuba »,
Latin American Perspectives, Vol. 2, No.4, pp. 21-41.
5 ZIMBALIST, Andrew « Incentives and planning en
Cuba », Latin American Research Review, Vol. 24, No.1 (1989), pp.
65-93.
qu?elles puissent nous aider à comprendre les tendances
prisent par les dirigeants cubains, elles ne nous orientent pas sur ce qui
serait possible d?être ou devrait être en rapport avec le
développement économique et politique de Cuba depuis la
révolution.
Bien sûr, il existe des analyses sur le rôle de la
loi de la valeur dans la transition du capitalisme au socialisme. Nous pouvons
nous référer à Marx et Engels en premier lieu, bien qu?ils
n?aient pas voulu faire de projection précise sur ce que pourrait
être réellement une société socialiste et
communiste. Les analyses plus approfondies sur la transition du capitalisme au
socialisme ont émergé suite aux diverses révolutions qui
éclatèrent durant le XXe siècle. Lénine
écrivit des choses sur cette question avant sa mort. Egalement,
Eugène Préobajensky, dans « La nouvelle économique
»6 analyse le rôle de la loi de la valeur en URSS au
cours d?une période spécifique, celle de la NEP. La
littérature relative à l?efficacité des entreprises et les
stimulants matériels fleurit à partir des années 1950-1960
en Union soviétique et dans les pays d?Europe de l?Est à un
moment où de nombreuses réformes seront engagées donnant
plus de place au profit, comme stimulant des entreprises.
D?autres auteurs, c?est le cas par exemple de Charles
Bettelheim et Ernest Mandel qui ont participé au débat cubain des
années 1960, ont travaillé sur l?étape de transition du
capitalisme au socialisme et se sont particulièrement interrogés
sur la fonction de la loi de la valeur et les stimulants matériels. Bien
sûr, Ernesto Guevara, par ses écrits du début de la
révolution cubaine a fondé sa pensée sur ce cas
également, bien qu?elle ne soit pas aboutie du fait de sa mort
prématurée en Bolivie en 1967.
Cette étude a débuté il y a plus d?un an.
Les recherches ont été effectuées à travers une
analyse théorique et pratique par l?entremise d?ouvrages et d?articles,
d?auteurs cubains, américains et français notamment. Un
séjour à Cuba m?a permis également de recueillir des
informations difficilement trouvables en France, de m?entretenir avec quelques
travailleurs ainsi qu?avec des économistes et d?être
confronté partiellement à la réalité cubaine.
6 PREOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle
économique, EDI, Paris, 1966.
L?intérêt aujourd?hui d?analyser les stimulants
matériels à Cuba est double. Tout d?abord aucune étude
conséquente sur ce sujet n?a vu le jour depuis la crise
économique qu?à connu Cuba au début des années 1990
suite à la désintégration de l?URSS et le passage à
l?économie de marché de celle-ci et des pays d?Europe de l?Est,
ce qui à ruiner le commerce extérieur de l?île. Cette crise
a entraîné de profondes réformes nécessaires
à Cuba et a modifiée dans une certaine mesure le rôle des
catégories marchandes. A côté de ceci, la
problématique des stimulants matériels et d?une « bonne
» rémunération du travail est toujours au centre des
discours politiques et des préoccupations, et ceux-ci ont connu quelques
modifications depuis les années 1990. Il est donc intéressant de
faire ressortir ces changements en les mettant en relation avec la politique
appliquée à cet égard depuis la révolution.
Deuxièmement, Les stimulants matériels ne
peuvent être analysés de façon isolés sans mettre en
perspective l?importance et le rôle de la loi de la valeur dans une
économie en transition vers le socialisme. En effet, la forme et
l?existence méme des stimulants matériels sont liées par
la forme d?organisation des entreprises, le rôle du profit dans
l?économie... Par ceci, nous pensons qu?il est important de s?interroger
sur les périodes qui caractérisent les différentes
applications des stimulants matériels à Cuba. Quels sont les
raisons théoriques, économiques et politiques qui ont conduit
à ces changements d?attitudes et ces retournements. Comment pouvons-nous
les interpréter dans le cadre de la théorie de la transition ?
Nous en analyserons bien sûr les conséquences et il sera important
d?essayer de prendre en considération ces aspects en rapport avec la
théorie marxiste de l?étape de transition du capitalisme au
socialisme. Il faudra également comprendre le problème de
l?incitation matérielle et de la rémunération en
générale et les raisons de sa non résolution.
La première partie de ce mémoire se voudra en
premier chef théorique. A la question suivante nous essayerons de
répondre : Quelles sont les causes qui rendent nécessaire voir
inévitables l?utilisation des stimulants matériels et des
catégories marchandes durant la phase de transition vers le socialisme ?
Un retour vers Marx s?avèrera judicieux en ce qui concerne la
rémunération du travail sous le capitalisme et sous le
socialisme. Ensuite nous nous interrogerons sur le maintien de la loi de la
valeur et des catégories marchandes pendant la transition et sur leur
éventuel nécessité en les mettant en lien avec la
stimulation matérielle. Une analyse de la praxis dans deux pays, L?URSS
et la Chine permettra d?aborder la
compréhension du sujet et de donner des
éléments de comparaison avec le cas cubain qui sera
étudié par la suite. À la fin de cette partie nous
commencerons à analyser le cas cubain au niveau théorique. En
premier lieu, nous justifierons le fait d?analyser Cuba à travers une
théorie de la transition au socialisme. Enfin, il est important de
revenir sur le Grand Débat Economique, comme le nommait Mandel, qui eut
lieu à Cuba dans les années 1960.
La deuxième partie de l?étude sera
consacrée à l?analyse de l?utilisation des stimulants
matériels à Cuba depuis la révolution de 1959. Elle mettra
en lumière également le rôle de la loi de la valeur et des
catégories marchandes ainsi que le degré de planification et
d?autonomie des entreprises. Nous verrons que l?on peut découper en 5
périodes, l?attitude prise à Cuba vis-à-vis de
l?incitation matérielle. Nous tenterons par là de répondre
à la problématique posée en faisant ressortir les
différentes formes de stimulation matérielle appliquée
à Cuba depuis plus de 50 ans et de comprendre les causes internes et
externes aux changements survenus au cours de l?histoire du Cuba
révolutionnaire, ainsi que d?analyser les raisons qui font que les
stimulants matériels et une juste rémunération du travail
reste des problèmes non résolus aujourd?hui.
I) La rémunération du travail et sa
stimulation dans l'étape de
transition du capitalisme au socialisme
Afin de mieux aborder et de mieux comprendre le
problème de la stimulation au travail au cours de l?étape de
transition, il est important de reprendre l?analyse de Marx en ce qui concerne
la rémunération du travail sous le capitalisme et de ses
conjectures quant à ce quelle serait durant l?étape de
transition.
Il est primordial de préciser que pour Marx,
l?étape de transition vers le communisme, qu?il appelle « stade
inférieur du communisme » est un État socialiste
déjà réalisé. Or, dans la praxis suite aux
révolutions prolétariennes ou prétendu comme telles, une
autre phase de transition s?est avérée nécessaire, celle
justement qui doit mener au socialisme, à savoir au moment où les
rapports socialistes de production sont effectifs, c'est-à-dire que les
moyens de production sont entièrement socialisés.
Cette étape de transition du capitalisme au socialisme,
Marx ne l?avait peut être pas pressenti ou la voyait-il réduite
dans le temps car il prévoyait l?essor de la révolution
prolétarienne dans des pays très industrialisées
(l?Angleterre à son époque) où justement une socialisation
s?opère déjà à travers les sociétés
par actions. Or, au sein de sociétés arriérées
économiquement que des révolutions se sont produites. Un
État prolétarien surgit et doit construire avant tout le
socialisme. Des contradictions vont avoir lieu au sein de cette
société étant donné que le marché n?a pas
fini son travail alors même que la planification économique
s?impose.
Au niveau de la praxis, notamment à travers l?exemple
de l?URSS, puis des pays d?Europe de l?Est, de la Chine et de Cuba, de nombreux
débats théoriques prendront forme afin d?essayer de construire
une théorie de l?étape de transition. Ils feront
référence à l?existence du marché et des
catégories marchandes au cours de celle-ci. Qui dit catégories
marchandes dit stimulants matériels également. Par suite de ses
esquisses théoriques s?inspirant de la pensée marxiste sont
apparus des matériaux. Ceux-ci s?avèrent essentiels dans
l?analyse des phénomènes pratiques.
A titre de comparaison et également pour étayer
la théorie, il nous est nécessaire d?analyser les tendances
prisent dans certaines économies planifiées. En effet, cela
permettra de mieux appréhender le cas cubain. Nous prendrons pour
l?étude, l?expérience de l?URSS (dont on ne pourra être
totalement exhaustif) et celui de la Chine avant le grand tournant
économique de 1978.
Ensuite, la révolution cubaine devra être reprise
et analysée dans ces racines fondamentales. Il s?agira d?en expliquer
les raisons sociales. Nous essaierons par là de comprendre les
motivations de l?engagement de Cuba dans la voie du socialisme. L?enjeu est de
révéler la pertinence ou non d?une analyse de Cuba comme
société en transition et/ou en tant qu?économie
planifiées.
Avant d?enchaîner sur la deuxième partie et afin
de prolonger le raisonnement précédent, ce qui servira de «
transition » entre les deux parties, un retour sur le grand débat
économique
du début des années 1960 à Cuba sera repris
et expliqué à travers les idées de Guevara et d?autres
protagonistes et mis en relation avec les points théoriques
développés plus haut.
A/ L'approche de Marx
Karl Marx a essentiellement étudié le
capitalisme sous. Et si son raisonnement l?amenait à conclure qu?une
révolution prolétarienne était nécessaire mais
surtout inévitable, il n?a pas, tout comme son compagnon de route
Friedrich Engels, tenter de définir la société socialiste
et communiste c'est-à-dire de l?idéaliser. Mais, nous pouvons
trouver certaines pistes chez ces deux auteurs et particulièrement en ce
qui concerne la rémunération du travail, par exemple dans «
la critique du programme de Gotha » de Marx.
1) Rém
Avant de rentrer spécifiquement dans l?analyse sur la
rémunération du travail sous le capitalisme, il faut revenir sur
des notions de base de Marx qui permettent de mieux comprendre et de resituer
la notion même de travail.
a) Valeur du travail et plus value
Dans le salariat, forme d?exploitation de l?homme par l?homme
du système capitaliste, l?ouvrier ne vend pas directement son travail
mais sa force de travail dont il cède au capitaliste la disposition
momentanée. Si l?ouvrier pouvait la vendre pour un temps
indéfini, on pourrait dire que l?esclavage serait rétabli.
Le travailleur salarié croit qu?il est payé
(valeur de la force de travail) pour le travail réalisé. En
apparence, le prix de la force de travail (salaire) est égal au prix du
travail. Selon Marx, cette fausse apparence distingue le travail salarié
des autres formes historiques du travail. Pour l?esclavage, l?apparence est que
le travail est totalement non payé alors qu?une
partie l?est pour l?entretien de l?esclave. Au niveau du servage,
le travail payé et non payé est volontairement
séparé dans le temps et l?espace.
La force de travail est définie par Marx comme :
« L'ensemble des facultés physiques et
intellectuelles qui existent dans le corps d'un homme, dans sa
personnalité vivante, et qu'il doit mettre en mouvement pour produire
des choses utiles »7.
Dans le salariat, la force de travail est
considérée comme une marchandise comme les autres, le
propriétaire de celle-ci étant libre de la mettre à
disposition du capitaliste, l?ouvrier n?ayant que cette marchandise à
vendre. En achetant la force de travail, le capitaliste a acquis le droit de la
consommer comme marchandise.
La valeur de la force de travail va être en partie
déterminée par la valeur des objets de première
nécessité, indispensables pour produire, développer,
conserver et perpétuer la force de travail. C?est ce que Marx appelle
« les frais de production de la force de travail ellemême »,
c'est-à-dire ceux qui vont permettre l?existence de la classe
ouvrière et sa reproduction.
On a vu que le capitaliste va acheter le droit de consommer la
force de travail de l?ouvrier. C?est là que Marx va démontrer que
le capitaliste va tirer son profit en faisant travailler la force de travail
plus longtemps que ce qui lui faut pour reproduire sa valeur. Une partie de la
durée du temps de travail ou du travail réalisé va etre
payé au salarié, c?est ce qu?on appelle le travail
nécessaire, mais une partie sera non payé, c?est le surtravail.
C?est sur cette partie non payée que le capitaliste va tirer la
plus-value ou surproduit, c'est-à-dire son profit.
L?employeur capitaliste extrait directement de l?ouvrier cette
plus-value :
7 MARX, Karl. (2008), Le Capital livre I, Paris,
Folio, 2008.
« C'est par conséquent de ce rapport entre
l'employeur capitaliste et l'ouvrier salarié que dépend tout le
système du salariat et tout le système de production actuel
»8.
De cette démonstration, Marx élabore le taux de
profit. Celui-ci peut être calculé de différentes
manières (en incluant les frais de matières premières...)
mais le capitaliste réalisant son profit seulement sur la force de
travail, le taux de profit qui montre le degré véritable de
l?exploitation est :
a) Capital déboursé en salaires x
100. Plus-value produite
Si les salaires augmentent le taux de profit va diminuer et vice
versa.
Outre le salaire nominal et le salaire réel, Marx fait
ressortir le salaire relatif. Celui-ci va montrer la différence sociale
qui sépare l?ouvrier du capitaliste. Par exemple, si le salaire
réel augmente de 5%, mais si par contre le profit du capitaliste
augmente dans le même temps de 10%, le salaire relatif va diminuer car le
capitaliste va améliorer sa situation par rapport à l?ouvrier.
Lorsque le capital s?accroît rapidement, le salaire peut augmenter mais
le profit s?accentuera plus vite. La situation matérielle de l?ouvrier
s?est améliorée, mais au dépens de sa situation sociale
(par rapport au capitaliste).
8 MARX, Karl, Salaire, Prix, Profit,
Pékin, Editions en langues étrangères, 1996.
b) Salaire au temps et salaire aux pièces
Le salaire au temps
Le prix du travail dans cette forme de salaire est égal
selon Marx à :
b) Valeur journalière de la force de travail
Horaire journalier
L?ouvrier est donc ici payé selon le temps du travail
effectué et non sur la quantité de travail fourni. La
répartition entre travail payé et non payé se joue ici en
heures payées pour la reproduction de la force de travail (suivant le
prix des moyens de subsistance nécessaire à la reproduction de la
classe ouvrière) et heures non payées, de surtravail desquelles
le capitaliste va tirer la plus-value.
Le salaire aux pièces
« Le salaire aux pièces n'est qu'une
transformation du salaire au temps, de même que celui-ci n'est qu'une
transformation de la valeur ou du prix de la force de travail
»9.
En ce qui concerne le salaire aux pièces, on paye en
apparence à l?ouvrier non pas la valeur de sa force mais la valeur
travail déjà réalisé dans le produit. Le prix du
travail ici ne va pas correspondre au nombre d?heures de travail données
comme pour le salaire au temps mais il va provenir de la capacité
d?exécution de la production, bien sûr en apparence.
Mais les différentes formes de paiement ne modifient
pas la nature du salaire, même si l?une ou l?autre peuvent être
plus favorable au développement de la production capitaliste. Avec le
salaire aux pièces, le capitaliste va tout de même tirer la plus
value de la force de
9 MARX, Karl, Le capital : livre 1,
Op.cit.
travail de l?ouvrier. La moitié des pièces sera
payée et l?autre non, ou chacune sera payée en dessous de sa
valeur. Le prix du temps de travail reste déterminé par
l?équation a), le salaire aux pièces n?étant qu?une forme
modifiée du salaire au temps.
Ce type de salaire permet au capitaliste de passer un contrat
de tant par pièces avec l?ouvrier principal, celui-ci se chargeant pour
le prix établit d?embaucher lui-même ses aides et de les payer. Et
à Marx d?ajouter :
« L'exploitation des travailleurs par le capital se
réalise ici au moyen de l'exploitation du travailleur par le travailleur
»1°.
Donc l?ouvrier va tendre au maximum sa force physique (par la
prolongation du temps de travail surtout) afin d?élever son gain, le
capitaliste quant à lui, pourra élever facilement le degré
d?intensité du travail. Le salaire aux pièces va
générer des retenues fréquentes sur les gains des ouvriers
et leur faire perdre du temps par des exigences de qualité...
« Le salaire aux pièces est la forme du
salaire la plus appropriée au mode de production
capitaliste»11.
Le salaire aux pièces et de surcroît
également, les primes au rendement (une forme de stimulants
matériels) qui font qu?une partie du revenu du travailleur est
payée en fonction du travail accompli sont caractéristiques du
mode de distribution capitaliste. On comprend ici le fort intérét
qu?il leur est donné lors de l?étape de transition du capitalisme
au socialisme.
10 Idem
11 Idem
2) Les suggestions de Marx pour la
rémunération dans l'étape de transition au
communism
a) La persistance de rapports de distribution inégaux
Dans l?étape de transition du capitalisme au
socialisme, la répartition des revenus se fera d?après Marx selon
le principe « a chacun selon ses capacités, à chacun selon
son travail »12, car la société qui est en
construction (communiste) ne se développe pas sur une base qui lui soit
propre, mais au contraire elle émerge sur les racines du capitalisme,
elle en porte encore les stigmates, moraux, économiques, intellectuels.
De cette base Marx conclut :
« Le producteur (salarié) reçoit donc
individuellement - les défalcations une fois faites13 -
l'équivalent exact de ce qu'il a donné à la
société Ce qu'il lui a donné c'est son quantum individuel
de travail14 ».
Par conséquent, le droit, qui reste donc un droit, est
forcément inégal.
« Il ne reconnait pas de distinctions de classes,
parce que tout homme n'est qu'un travailleur comme un autre ; mais il reconnait
tacitement l'inégalité des dons individuels et, par suite, des
capacités productives comme des privilèges naturelles
».
Le droit ne peut jamais etre à un niveau plus
élevé que l?état des forces productives et du degré
de civilisation sociale qui y correspond.
Marx, comme l?a souligné Charles Bettelheim15
n?avait pas perçu la transition vers le socialisme comme un processus
long, peut être car il pensait que la révolution
prolétarienne
12 MARX, Karl, Critique du programme de
Gotha, Op.cit.
13 Par défalcations, Marx entend la partie du
surproduit qui servira à accroître le développement de la
production, la réparation des machines usagées, les frais
administratifs, la construction et entretien des services sociaux.
14 Idem.
15 BETTELHEIM, Charles, La transition vers
l'économie socialiste, Maspero, Paris, 1968.
devrait se produire dans des pays très
industrialisés avec un degré important de socialisation de la
production. En effet, celui-ci préconisait que sous le socialisme
(période de transition vers le communisme) les travailleurs seraient
payés en bons de travail, selon le quantum de travail individuel
réalisé. La monnaie ou le salaire à proprement parler
aurait disparu.
Nous comprenons bien ici ce que Marx a voulu dire, méme
s?il peut être interprété différemment. Dans la
société en transition vers le socialisme, il faut payer le
travailleur selon son quantum de travail réalisé,
c'est-à-dire qu?il faut le payer aux pièces, là ou cela
est possible bien sûr. Si un ouvrier peut produire dix pneus dans la
journée et un autre quinze, le travail est le méme (simple ou
complexe) mais l?un à la capacité de produire plus que l?autre.
Voila peut être l?interprétation la plus extreme. Une autre
approche que l?on peut faire est simplement qu?il faut rémunérer
différemment les travailleurs selon la complexité de leur
travail. Un travail complexe apporte plus à la société
qu?un travail simple. Cette transcription verra par exemple la formation
d?échelles de salaires basées sur la qualification du travailleur
au sein des économies en transition.
b) Le salaire aux pièces sous le socialisme
Une donnée importante, et qui ne fait pas de doute,
c?est que Marx ne conçoit pas de la méme façon le salaire
aux pièces tel qu?il est dans la société capitaliste, et
la forme qu?il aura dans la société de transition, le stade
inférieur du communisme, le socialisme. Pour Marx, le salaire aux
pièces est la forme de rémunération la plus
appropriée du système capitaliste, il permet de mettre beaucoup
plus de pression sur les travailleurs, d?allonger la durée du travail,
et à pour conséquence une consommation plus intensive de la force
de travail par le capitaliste, et de plus, il accentue la concurrence entre les
travailleurs eux-mêmes (ouvriers contre ouvriers, ouvriers et
contremaitre...).
Dans la société socialiste, ces
différents éléments d?exploitation disparaissent-ils
lorsque le salaire aux pièces ou des incitations matérielles
(primes...) sont appliquées ? On peut penser que oui, tout d?abord si
les ouvriers ont quelques pouvoirs de décision dans l?entreprise,
ensuite car le socialisme n?est pas instauré pour maintenir ou aggraver
la
condition ouvrière. De plus, et c?est le plus
important, la plus value (retirée) de l?emploi de la force de travail,
ou surproduit, n?ira pas dans la société en transition, dans les
poches d?un capitaliste privé ou d?un groupe restreint d?actionnaire,
mais sera, théoriquement, employée par l?Etat ouvrier, au
développement des forces productives (accumulation) et à
l?amélioration sociale de la société (les dites
défalcations) en vue de l?édification du communisme.
Mais le salaire aux pièces et les stimulants
matériels, vont être appliqués dans la
société en transition pour répondre à un
impératif de production et de productivité. Dans la
société en transition et on en revient à Marx, la classe
ouvrière n?a pas encore la conscience moral qui lui permettrait de
produire suffisamment et sérieusement étant entrainée par
l?émulation socialiste. Les tares du capitalisme sont toujours
présentes et le gain matériel va fournir encore pendant un
certain temps la stimulation au travail la plus efficiente.
Bien sûr, au fur et à mesure que les forces
productives se développent en même temps que la conscience
socialiste, les stimulants matériels devront tendre à
disparaître ainsi que tous les rapports marchands issus du capitalisme.
C?est ainsi que la problématique des stimulants matériels est
liée au problème d?ensemble de la plus ou moins grande
persistance des éléments marchands au sein de la
société en transition (quelle place pour la
propriété privé ?) et de l?utilisation de la loi de la
valeur au sein du secteur socialiste (c'est-à-dire du secteur
nationalisé).
B/ Problème fondamental : utilisation de la loi de la
valeur durant la période de transition, contradiction
plan-marché, degré de centralisation, incitation
matérielle. Analyse théorique.
Aucune révolution prolétarienne ne s?est
produite pour le moment dans un pays développé. Donc, nous ne
pouvons pas dire grand-chose en ce qui concerne le passage du capitalisme au
socialisme dans ce type de société, et cela n?aurait pas
réellement d?importance ici. Il est clair que la période de
transition aurait de fortes chances d?être réduite au vu de
l?importance du développement de l?industrie et des forces productives
en général.
Dans une économie arriérée, où les
forces sociales entrent en conflit pour déboucher sur une
révolution prolétarienne, la nationalisation d?une partie des
moyens de production va s?avérer nécessaire sous l?égide
de l?Etat ouvrier, mais celle-ci ne pourra être complète
étant donné divers facteurs comme l?état des forces
productives (majorité de petites exploitations paysannes dans
l?agriculture...), la conscience des masses, mais ce sera le rôle de la
planification d?activer le processus qui permettra le développement
optimal de ces deux variables.
Cette question, l?existence des catégories marchandes
et de la loi de la valeur capitaliste durant la période de transition
vers le socialisme suscita de nombreux débats et d?approches
théoriques pendant le vingtième siècle au gré des
expériences de certains pays dans ce domaine.
1) Rapports de production et forces productives
a) La loi de correspondance entre les rapports de production
et le caractère des forces productives
Toutes les révolutions prolétariennes ou qui se
sont proclamées comme telles, ont eu lieu dans des pays
arriérés au niveau économique avec un niveau des forces
productives faibles et dès lors une faible socialisation de son
industrie. Sans rentrer dans les détails des exemples qui seront
analysés par la suite, les pays en question ont souvent
été trop vite au début de la prise de pouvoir, au niveau
des nationalisations par exemple, mais ils y ont été
partiellement contraints.
« (...) D'une façon générale, il se
peut que le degré de développement social des forces productives
de telle ou telle industrie, ou de telle ou telle entreprise industrielle, ne
« justifie » pas, du point de vue de l'efficience économique
immédiate, sa nationalisation, mais que celle-
ci soit parfaitement justifiée du point de vue du
renforcement de la dictature du prolétariat, lorsque celle-ci exige que
soit brisée la base économique du pouvoir des classes
hostiles16 ».
La loi de correspondance entre les rapports de production et
le caractère des forces productives auraient été
exprimée par Staline quand il analysait l?économie de
l?URSS17. Celle-ci fut reprise par Bettelheim dans son livre
déjà cité.
La loi de la valeur a continué et continue de
régir en partie la vie économique des économies
planifiées, peut être car Marx et Engels prévoyaient la
révolution prolétarienne dans une économie fortement
industrialisée et donc où les forces productives ont atteint un
niveau élevé. Elle va la régir même sur plusieurs
aspects car au sein des économies planifiées il a toujours
existé plusieurs formes de propriété, les moyens de
production n?ayant jamais été entièrement
nationalisés, du fait justement du faible développement des
forces productives sur certaines exploitations agricoles par exemple. On peut
donc trouver au sein de ces économies (en plus ou moins grande
importance), des propriétaires privés de petites exploitations,
des coopératives et ensuite le secteur complètement
nationalisé.
Et la première question est de savoir qu?elle place
laisser à la production privée et par là à une
certaine frange de la bourgeoisie et à la petite production paysanne.
L?important étant en prime abord d?allier le pouvoir prolétarien
à la paysannerie et si nationalisation ou collectivisation il y a, de ne
pas entraver la bonne marche du développement des forces productives.
Celui-ci constituant un préalable à la construction du
socialisme.
Mais même au sein du secteur nationalisé, la loi
de la valeur va continuer à déterminer certains
mécanismes. Nationalisation et socialisation sont deux choses
différentes. Comme le notait Lénine, la socialisation implique la
capacité effective de la société à comptabiliser et
à répartir la production au sein de la population (donc de
pouvoir calculer en temps de travail socialement nécessaire). La
socialisation complète des moyens de production implique donc un certain
niveau de développement des forces productives, niveau bien sûr
relativement
16 BETTELHEIM, Charles, La transition vers
l'économie socialiste, Op.cit.
17 STALINE, Joseph, Les problèmes
économiques du socialisme en URSS, Editions en langues
étrangères, Pékin, 1974.
élevé. Afin d?expliquer les raisons de
l?utilisation de la loi de la valeur et l?existence de catégories
marchandes au sein du secteur nationalisé Bettelheim critiquait par
exemple l?analyse de Staline dans « les problèmes
économiques du socialisme en URSS ». Ce dernier expliquait
l?existence du calcul économique selon la loi de la valeur au sein du
secteur socialisé en URSS, simplement en disant que « cela est
nécessaire pour le calcul » et pour le commerce extérieur.
Bettelheim répond comme ceci :
« En réalité, la méthode du
matérialisme dialectique exige que l'on parte des relations sociales qui
constituent l'envers du processus d'appropriation de la nature par l'homme
(c'est-à-dire des rapports de production et des modes effectifs
d'appropriation) Si l'on suit cette démarche et que l'on constate qu'au
niveau actuel des forces productives mrme de la société
socialiste la plus avancée, ce processus d'appropriation n'est pas
encore un processus unique entièrement dominé par la
société(...) on comprend la nécessité des
échanges entre ces formes d'activités et le contenu social et
économique réel des différentes formes de la
propriété socialiste, de l'échange marchand socialiste, le
rôle de la monnaie à l'intérieur du
système socialiste »18.
Lorsque Bettelheim évoque les sociétés
socialistes les plus avancées de son époque, il se
réfère à la République Démocratique
Allemande et à La Tchécoslovaquie. Ce qui détermine un
relativement faible développement des forces productives, c?est que les
centres d?activités, les unités économiques, de branches
différentes et même au sein d?une même branche
économique ne peuvent être et ne sont pas dépendant les uns
des autres de façon globale. Cette coordination à
l?échelle globale est en processus au sein des économies
socialistes planifiées et tant que ce processus n?est pas arrivée
à terme (et donc que le socialisme à l?échelle du
territoire donné n?est pas effectif), l?existence des catégories
marchandes s?avère nécessaire.
« -- partir d'une telle analyse, les différentes
formes de la propriété socialiste n'apparaissent plus comme la
raison « d'expliquer » l'existence de rapports marchands dans le
secteur socialiste (ce qui reviendrait à expliquer des catégories
économiques par une
18 BETTELHEIM, Charles, La transition vers
l'économie socialiste, Op.cit.
superstructure juridique). C'est au contraire l'existence de
certains rapports de production qui explique les rapports marchands et la forme
juridique qu'ils doivent revetir ».
Mais à la vérité, qu?elles sont les liens
entre la loi de correspondance et notre objet, à savoir le salaire aux
pièces et les stimulants matériels ? Ces types de
rémunération sont associés au droit bourgeois et de
là à l?état des forces productives du capitalisme. Ce qui
veut dire que l?élimination de ces résidus capitalistes ne sera
effectif qu?au moment où les forces productives atteindront un stade
plus élevé que sous le capitalisme, c'est-à-dire qu?il y
aura possibilité et même nécessité d?une
socialisation des moyens de production.
Tout ceci peut donc clairement éclaircir notre sujet.
Le salaire, plus particulièrement le salaire aux pièces et les
différentes formes de rémunération font partie de la
distribution et plus précisément des rapports de distribution.
L?analyse marxiste reconnaît « naturellement » que les rapports
et les modes de distribution sont déterminés par l?organisation
même de la production. Si à l?intérieur du secteur
socialiste, des rapports marchands subsistent, à un niveau donné
des forces productives, alors ces rapports marchands vont continuer à
pénétrer les rapports de distribution19.Ainsi, la
distribution va donc continuer à s?effectuer par des catégories
marchandes telle la monnaie et le salaire.
Au niveau de la rémunération en secteur
socialiste et cela nous intéressera pour la partie suivante, Bettelheim
revient sur le fait que le maintien des catégories marchandes au sein du
secteur socialiste, nécessite de lier la rémunération de
chacun à la quantité et à la qualité de son travail
(stimulants matériels). Le processus en cours qui tend à la
disparition des catégories marchandes au sein des économies
planifiées20 « les modifications corrélatives
dans les superstructures » permettra à des comportements non
économiquement intéressés d?émerger
progressivement.
«La place respective des différents
catégories de stimulants ne peut donc être
déterminé
arbitrairement au nom de telle ou telle vision m
19 Idem.
20 On verra par la suite avec le cas de Cuba que ce
processus peut ne pas être très linéaire et des
périodes de régression peuvent transparaître.
socialiste, mais elle doit être liée au
niveau de développement des forces productives, dont font partie les
hommes eux-mêmes avec leurs connaissances, leur éducation et, plus
généralement, leur culture21. »
L?analyse de Bettelheim sur laquelle s?appuie cette partie est
intéressante pour la suite du sujet, cependant elle comporte de fortes
limites, voire des erreurs théoriques qui seront montrées
même par l?auteur dans des ouvrages ultérieurs.
b) Limite de la loi : non correspondance des rapports de
production et du développement des forces productives
Continuons en premier lieu ici l?analyse de Bettelheim. Pour
lui s?il n?y a pas correspondance entre les rapports de production et le
développement des forces productives, s?il y a contradictions entre les
deux, le développement se fera de façon irrégulier, avec
des augmentations parfois lentes, parfois rapides voire des périodes de
stagnation.
Cette loi fut régulièrement mise en avant par
Bettelheim jusqu?au milieu des années 1960, et permettait de justifier
le calcul économique, l?utilisation de la loi de la valeur durant la
période de transition du capitalisme au socialisme. Il utilisera cette
argument théorique durant le Grand débat Economique à Cuba
de 1963-196522. Au sein de ce débat que nous relaterons plus
tard, parmi les détracteurs de Bettelheim nous retrouvions, Ernesto
Guevara et Ernest Mandel par exemple. Une analyse plus complète de la
pensée de Guevara sur ce point mais surtout sur les stimulants
matériels sera vue lorsque que nous évoquerons le Grand
débat économique. Guevara considérait que dans le cas
cubain, bien qu?il ft nécessaire d?utiliser certaines méthodes et
techniques du capitalisme, la loi de la valeur ne devait pas régler les
échanges au sein du secteur socialiste, c?est pour cela qu?il proposait
une forte centralisation afin de faire fonctionner toutes les entreprises comme
une seule.
21BETTELHEIM, Charles, La transition vers
l'économie socialiste, Op.cit.
22 Notamment dans un article publié dans le
numéro 32 de Cuba Socialista (1964). Cf. BETTELHEIM, Charles
« Formes et méthodes de la planification socialiste et niveau de
développement des forces productives », dans LOWY, Michael
? Che Guevara, écrit d'un révolutionnaire, La
Brèche, Paris, 1987. On retrouve cet article également dans
BETTELHEIM, Charles La transition vers l'économie socialiste,
op.cit.
La réponse de Mandel est intéressante à
analyser du point de vue théorique23. Celui-ci met en
évidence que ce n?est pas l?état des forces productives (ici
à Cuba) qui ne permet pas au plan de comptabiliser et de distribuer
effectivement les moyens de productions et les produits mais que c?est le
manque d?expérience, les défauts d?organisation, le manque de
personnel24. C?est donc l?expérience de la pratique, la
formation des cadres et grâce au contrôle et à l?initiative
créatrice des masses que cela sera possible. De plus, Mandel est
très sceptique sur la capacité future de la société
de pouvoir disposer de manière intégrale (comptabilité,
distribution, selon un calcul en temps de travail nécessaire selon
Bettelheim) de tous les moyens de production socialisés. Le
développement des forces productives provoquerait des résultats
contradictoires comparés à ceux de Bettelheim car il entrainerait
une intégration croissante mêlée à une plus grande
diversification. A un développement optimal des forces productives une
centralisation rigide se révélerait au contraire moins efficace.
(Il prend l?exemple de l?URSS dont nous parlerons plus tard).
Si l?on considère les ouvrages publiés
après 1965 par Bettelheim, travaux consacrés à la Chine
révolutionnaire, l?on perçoit un discours moins mécanique
quant à l?articulation entre les rapports de production et le
caractère des forces productives. Bien qu?il admette qu?il reste une
« base objective » du comportement des sociétés
antérieures dans la société de transition tant que le
niveau de développement des forces productives n?est pas suffisamment
élevé. Il donne un rôle beaucoup plus important à
l?éducation, à l?idéologie et à la
pénétration du marxisme- léninisme au sein des masses :
« ,Il semble indispensable de reconnaître que
ce rôle de l'éducation et de l'idéologie est d'autant plus
nécessaire que les rapports de production et de propriété
qui ont été mis en place par un processus révolutionnaire
sont plus en avance sur le niveau de développement des forces
productives à l'intérieur d'un pays donné
»25
23 Cf. LOWY, Michael ? Che Guevara : écrits
d?un révolutionnaire, Op.cit. L?article de Mandel fut publié dans
la revue Nueva Industria de juin 1964.
24 Ont pourrait penser que l?expérience,
l?organisation et le personnel qualifié font partie des forces
productives. 25 BETTELHEIM, Charles, MARCHISIO,
Hélène, CHARRIERRE, Jacques, La construction du socialisme en
Chine, petite collection Maspero, Paris, 1968.
Il ne faudrait pas considérer que Bettelheim reprend
les idées de Guevara ici. Il nous alerte sur le fait qu?il ne faut pas
voir dans cette formulation que le développement de la conscience
assurerait un développement des forces productives mais que c?est la
conscience des contradictions réelles (entre rapports de production et
forces productives) ainsi que la capacité à les dominer qui
seront nécessaires aux progrès des forces productives.
Bettelheim, que l?on aurait pu auparavant qualifier d? «
économiciste », accentua son discours en mettant en avant le
facteur politique, en l?occurrence la lutte des classes comme conditions de la
construction du socialisme c'est-à-dire l?émergence de nouveaux
rapports sociaux.
« La transformation socialiste des rapports de
production résulte toujours de la lutte de classe et avant tout de la
lutte idéologique et politique de classes menée à
l'échelle de la formation sociale26 ».
Dans la combinaison forces productives - rapports de
production ce sont ces derniers qui auront le rôle dominant en imposant
aux forces productives les conditions de leur reproduction.
De ce fait, le développement des forces productives ne
détermine pas directement la modification des rapports de production.
Cette transformation passera par la lutte des classes. Le lien mécanique
entre rapports de production et forces productives est à rejeter. La
lutte politique permettra aux nouveaux rapports de production d?imposer la
façon dont les forces productives doivent croître, sans oublier
que la croissance des ces dernières est indispensable afin de rendre
pérenne les rapports de production et de leur permettre de se
développer jusqu?au communisme.
26 BETTELHEIM, Charles, Révolution
culturelle et organisation industrielle en Chine, Maspero, Paris, 1975
2) Le rôle de la loi de la valeur et des
catégories marchande durant la période de transition
Intéressons nous maintenant à la loi de la
valeur et aux catégories marchandes durant la phase de transition vers
le socialisme. Des rapports de production socialistes ne peuvent être
complètement effectifs suite à une révolution
prolétarienne qui s?est produite dans un pays où le niveau des
forces productives est relativement bas. Il est important de voir par quel
biais peut jouer (en plus ou moins grande importance) la loi de la valeur et le
rôle plus ou moins prédominant qu?elle peut avoir. Bien sür,
la tendance doit être à la disparition des catégories
marchandes, qui doit se produire selon le développement de divers
variables.
a) Quel rôle pour la loi de la valeur ?
Comme nous le verrons par la suite dans l?analyse des
pratiques des économies planifiées, la loi de la valeur reste
présente dans la première phase de construction du socialisme.
L?arriération économique des pays qui se sont engagés dans
cette voie la rendue nécessaire. La nationalisation (et encore moins la
socialisation) de tous les moyens de production sans exception était
impossible dans le cas d?une agriculture très parcellée et
à faible degré technique. La loi de la valeur continue donc de
régir le secteur privé (qui a une plus ou moins grande
importance). Celui-ci peut par exemple distribuer sa production aux
consommateurs. Le prix sera l?expression de l?offre et la demande. Il peut
également y avoir des échanges entre différents agents
privés. Par exemple, il existait beaucoup d?intermédiaires dans
les échanges que ce soit entre deux agents privés ou un agent
privé et une entreprise d?Etat au moment de la NEP27 en URSS.
La monnaie, le prix et donc la marchandise, non transformée encore en
simple produit, jouent un rôle et cela même au sein du secteur
« socialiste » car il n?existe pas encore d?instance ultime et unique
capable d?utiliser tous les moyens de production, de décider de leur
utilisation et de leur distribution.
La loi de la valeur au sein du secteur privé va
permettre une accumulation privée, capitaliste. La finalité de
l?État prolétarien sera donc de ponctionner cette accumulation
pour
27 La Nouvelle Politique Economique,
caractérise un changement de politique économique en URSS
à partir de 1921. Cf. infra.
permettre une accumulation socialiste (ou accumulation
socialiste primitive). Eugène Préobajensky a
caractérisé la période de la NEP en union
soviétique comme une période où il existe une lutte, une
contradiction fondamentale, entre deux lois, la loi de la valeur et la loi de
l?accumulation socialiste primitive28.
La loi de la valeur durant la période de transition du
capitalisme au socialisme ne peut pas être la loi qui régule la
production, c?est l?accumulation socialiste par le biais de l?État
prolétarien qui doit diriger. Mais c?est par l?application de la loi de
la valeur que se réalisera l?accumulation socialiste primitive. Il ne
faut donc pas trop contraindre les agents privés existants de
manière à ne pas bloquer le déploiement des forces
productives de ce secteur. En effet, c?est au moyen d?une introduction de plus
en plus forte de technique au sein des enclaves privées (petite
exploitation paysanne par exemple), que la socialisation future pourra se
mettre en place. Selon la loi de l?accumulation socialiste primitive
émise par Préobajensky, plus un pays est économiquement
arriéré au moment de son passage à l?organisation
socialiste plus il sera obligé de s?appuyer sur l?aliénation
d?une partie du surproduit des formes présocialistes d?économie
et moins il pourra accumuler sur sa propre base de production
c'està-dire sur le surproduit29 des travailleurs du secteur
d?Etat.
La loi de la valeur durant la période de transition va
régir divers pans de l?économie suivant le degré des
forces productives atteint par le pays au moment de la révolution
prolétarienne. Mais de fait, l?économie bien que n?étant
pas encore socialiste, n?est plus purement marchande.
« La loi de la valeur, comme régulateur a
postériori de la dépense de travail social et des forces
productives, procède des catégories marchandes qui naissent de la
double séparation des hommes d'avec leurs moyens de travail et d'avec
leur produit de travail. Cette loi subsiste donc tant que cette double
séparation survit après la prise de pouvoir donc tant que les
forces productives ne sont pas socialement organisées. »30
28 PREOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle
économique, Op.cit.
29 Le surproduit est à l?économie d?Etat
prolétarienne ce que la plus -value est à l?entreprise
capitaliste.
30 TROTSKY, Léon, BOUKHARINE, Nicolas,
Préobajensky, Eugène, Le débat soviétique sur
la loi de la valeur, Maspero, Paris, 1972.
b) Le dépérissement des catégories
marchandes
Les catégories marchandes et la loi de la valeur,
même si elles sont plus ou moins nécessaires durant la
période de transition pour les raisons émises ci-dessus sont
amenées à dépérir progressivement. Même si,
nous l?avons vu, il n?existe pas de lien mécanique entre le
développement des rapports de production et le développement des
forces productives, il ne faut pas pour autant qu?il y ait de volonté
précipitée de supprimer les rapports marchands. Cela peut
conduire à une stagnation des forces productives voire à leur
régression.
Dans des lettres échangées entre Paul Sweezy et
Charles Bettelheim31, ce premier insistait sur le fait (en parlant
de la Tchécoslovaquie) que la coordination avec le marché,
l?appel aux stimulants matériels et une large autonomie donnés
aux décisions microéconomiques rendaient inévitable une
tendance à un retour du capitalisme. La réponse de Bettelheim
était de dire que ce qui caractérise le socialisme (il faudrait
mieux dire la transition du capitalisme au socialisme32) par rapport
au capitalisme, ce n?est pas l?existence ou non des rapports marchands mais
l?existence (réelle et non seulement juridique) de la dictature du
prolétariat.
Le fait de vouloir supprimer immédiatement les rapports
marchands serait une entreprise utopique et dangereuse au méme titre que
de vouloir une abolition immédiate de l?Etat. Pour Bettelheim, la
contradiction plan-marché33 ne pousse vers rien, cela
dépend de la façon dont elle est traitée, et donc des
rapports de classe existant.
Le dépérissement des catégories
marchandes et de la loi de la valeur dont elles sont issues ne peut donc venir
que d?une lutte (autant économique que politique) entre la loi de
l?accumulation socialiste primitive et la loi de la valeur, pour reprendre
Préobajensky. Au départ, (pendant la phase d?accumulation
socialiste préalable) le secteur d?État se trouve dans
l?impossibilité de se battre à armes égales contre le
secteur capitaliste (national et
31 SWEEZY, Paul, BETTELHEIM, Charles, Lettres sur
quelques problèmes actuels du socialisme, Petite collection
Maspero, Paris, 1971.
32 Il convient de bien délimiter les deux
étapes et donc de ne pas se tromper de vocabulaire.
33 La contradiction plan-marché dont parle
Bettelheim peut se rapprocher de la lutte entre les deux lois (loi de
l?accumulation socialiste primitive et loi de la valeur) de
Préobajensky.
international) du fait de son faible niveau technique, de son
manque de capitaux (caractérisé par des produits plus cher et de
moins bonne qualité). Les entreprises d?État ne disposent pas de
la supériorité économique et technique au niveau
individuel sur les entreprises des formes historiques inférieures,
contrairement à la lutte de l?industrie capitaliste dans sa lutte contre
l?artisanat au moment de sa phase d?accumulation primitive34.
Pour ce faire, le secteur d?État devra lutter comme un
tout unique avec l?avantage de la fusion du pouvoir d?État et de
l?économie d?État. Le monopole du commerce extérieur
formera une barrière défensive de droits de douane contre
laquelle se brisent les vagues de la loi de la valeur de l?économie
mondiale. Le but est bien sür que l?efficacité du secteur
d?état dépasse celle du secteur capitaliste (au niveau national
et mondial) et que celui-ci puisse s?accaparer les derniers vestiges du
capitalisme dès qu?il en a les moyens (techniques et
organisationnels).
« Plus l'économie est organisée, plus
ses chaînons isolés sont étroitement liés par le
plan économique opérationnel, plus elle constitue un tout
économique compact et plus son opposition à la loi de la valeur
est puissante.35»
La lutte ne peut être simplement économique, une
lutte idéologique et politique doit être enclenchée pour le
développement d?une conscience socialiste. Outre que les rapports de
production ne peuvent changer mécaniquement en fonction du
développement des forces productives, l?ensemble des rapports sociaux de
même. L?émergence de nouveaux rapports de production transformera
les rapports sociaux en général, mais ceci est conditionné
par le fait que les rapports de production socialiste doivent dépasser
ceux du capitalisme. Ces derniers doivent donc gagner en efficience
jusqu?à la socialisation complète des moyens de production. Cette
étape allant de la nationalisation à la socialisation changera
fondamentalement les rapports sociaux mais la conscience de ce cheminement doit
être imprégnée dans l?esprit des travailleurs. Ceux ci ne
doivent pas rester apathique et passif à
34 Préobajensky réalisa son
étude sur l?expérience et les faits de l?Union soviétique
au moment de la NEP, mais elle reste intéressante et peut servir de base
théorique pour les pays commençant la transition vers le
socialisme dans un Etat d?arriération économique.
35 PREOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle
économique, Op.cit.
cette construction. Une première conclusion
théorique sera effectuée à la fin de la première
partie.
C/ La stimulation au travail dans les économies en
transition au regard de la praxis : Exemples de l'URSS et de la Chine
populaire.
Dès à présent, nous nous attacherons
à l?étude de deux exemples avant de nous engager sur le cas
cubain. Nous prendrons celui de l?URSS dont nous analyserons brièvement
les différentes phases et celui de la Chine avant le grand tournant
économique de 1978. Il est évident que d?autres exemples auraient
été intéressants à observer comme celui de la
Yougoslavie où après la prise de pouvoir par Tito en 1945, un
système très décentralisé économiquement
fût mis en place et dans lequel la loi de la valeur et les stimulants
matériels avaient une place relativement importante.
1) L'incitation matérielle en URSS : quelques
remarques
La révolution prolétarienne en URSS fût la
première du genre dans le monde et pour certains la seule qui se soit
réellement produite, les autres (Chine Cuba...) n?aurait
été que des prises de pouvoir par une frange de la bourgeoisie ou
de la petite bourgeoisie du pays considéré même s?il y eut
un soutien élevé des masses36. Le problème
d?augmentation de la productivité et de la production était
récurrent en URSS et une part importante de stimulants matériels
fût utilisée tout au long de son histoire.
a) Communisme de guerre, NEP et Stakhanovisme
Dès le début du régime soviétique
la prime fut recommandée par Lénine, qui l?envisageait comme une
récompense pour l?exécution des plans de façon efficace.
La prime devait, là où le salaire au rendement ne pouvait titre
appliqué, stimuler les performances
36
Voir certaines analyses d?organisations trotskystes par
exemple
individuelles au-delà des normes moyennes. Le principe
du salaire au rendement fut consacréau IIème congrès des
unions professionnelles en janvier 1919. Le règlement
général sur le tarif du 17 juin 1920 stipule que des primes
peuvent être payées en plus du tarif de base
(payépour exécution des normes) pour économie
(matière première, temps...) ainsi que pour
l?amélioration des méthodes de production ou de
l?organisation du travail37. Pour le quatrième anniversaire
de la révolution d?octobre, Lénine prononça ces paroles
significatives :
« Oui! Il faut compter avec cette ferveur qu'engendre
une grande révolution, mais unie à l'intérêt
personnel, au stimulant matériel, à la rentabilité
commerciale, pour commencer à construire les solides ponts qui nous
amènerons... au socialisme. Autrement ce n'est pas possible d'avancer
vers le communisme, d'accrocher à lui des dizaines et dizaines de
milliers d'Hommes.»
Lénine tint ces propos, non en tant qu?observateur
externe, mais en tant que dirigeant de la première révolution
prolétarienne. La révolution russe émergea sur son
contexte propre, qui est celle d?une économie arriérée
d?une part, et qui fût détruite partiellement par plus de trois
années de guerre contre l?Allemagne, et ensuite par trois années
de guerre civile contre les armées blanches soutenues par les
impérialismes français et anglais en autres. Lénine
écrit ces paroles pendant cette guerre civile (1918-1921),
période que l?on nommera communisme de guerre. La survie même de
la révolution russe passait par un accroissement rapide de la production
afin de rattraper et dépasser la production d?avant guerre.
L?utilisation de stimulants matériels était donc un moyen
d?accroitre la productivité dans un moment historique plus que
particulier. Elle se justifiait d?elle -même.
Mais durant cette période de communisme de guerre,
outre le fait que des primes étaient accordées, l?effort de
guerre nécessita une centralisation très forte des
décisions et des réquisitions agricoles pour ravitailler le
front. De ce fait, la loi de la valeur pendant cette période n?eut qu?un
rôle très mineur dans les échanges.
37 LAVIGNE, Marie (Dir), Travail et monnaie en
économie socialiste, Economica, Paris, 1981.
La période 1923-1928 sera celle de la NEP, (Nouvelle
Politique Economique) qui laissa plus de place au marché tant au niveau
urbain que rural. Le but est de laisser à la petite exploitation
paysanne le temps de se développer afin dans tirer le surproduit pour
permettre l?industrialisation du pays. La loi de la valeur et les
catégories marchandes auront donc un rôle plus important durant
cette période et aussi, bien entendu, les formes de
rémunération liées au capitalisme.
Il est intéressant également de rendre compte de
l?analyse de Trotsky sur le thème de la rémunération du
travail en économie de transition. Celui-ci ce base sur
l?expérience soviétique, principalement du début des
années 1930.
Pour lui, le socialisme ne se justifie pas uniquement par
l?abolition de l?exploitation (de
l?homme par l?homme), il doit permettre, en effet, une plus
grande économie de temps que le capitalisme, autrement dit, la
productivité du travail, le développement des forces productives
doivent y progresser plus rapidement, sinon « l?abolition de
l?exploitation ne serait qu?un épisode dramatique dépourvu
d?avenir »38.
L?URSS, à cette époque, n?avait pas vaincu sur
ce terrain de l?économie de temps, les rendements soviétiques
étant très inférieurs à ceux des Etats-Unis et des
pays d?Europe de l?Ouest, et c?est seulement en 1931, que le salaire aux
pièces est proclamé rémunération de
référence, et le principe « à chacun selon ses
capacités, à chacun selon sont travail » est mis en
avant.
« Seuls la suppression des cartes de ravitaillement, le
début de la stabilisation du rouble et de l'unification des prix
permirent le travail aux pièces ou à la tche
»39.
Le retour du salaire aux pièces en URSS correspond
à la période du stakhanovisme, qui selon Trotsky n?a pas
été accueilli avec sympathie dans les rangs de la classe
ouvrière soviétique, sans sous-estimé la participation de
socialistes enthousiastes au mouvement
38 TROTSKY, Léon, La révolution
trahie, éditions de minuit, Paris, 1973
39 Idem
Stakhanov. Ce que souligne Trotsky, c?est le fait que le
retour du salaire aux pièces se soit fait à un moment où
les autorités soviétiques proclamaient « la victoire
définitive et sans retour du socialisme ». Or, comme il le
souligne, la transition du socialisme au communisme (donc le socialisme
étant atteint), commence exactement à l?opposée,
c'est-à-dire non pas par l?introduction du travail aux pièces,
mais par l?abolition de ce travail, considéré comme un «
legs de la barbarie »40.
Trotsky nous dit bien ici que tant que le salaire aux
pièces est en vigueur ou plutôt commence à s?installer
ainsi qu?un système de stimulants matériels, nous ne pouvons pas
parler de socialisme mais de transition du capitalisme au socialisme.
Selon Bernard Chavance en 1956, les trois quarts des ouvriers
soviétiques étaient payés aux pièces. C?est dire
l?importance des stimulants matériels, mais qui plus est l?importance de
la stimulation matérielle la plus « totale », le salaire aux
pièces.
b) Les réformes économiques de 1965
A partir du milieu des années 1950, des débats
commencèrent à émerger sur le manque d?efficacité
des entreprises. Ces débats conduiront à des réformes dont
une réforme de lentreprise en 1965. Plusieurs
économistes proposaient une plus grande décentralisation des
décisions pour les entreprises, une augmentation de la stimulation de la
production en rapport avec le profit et avec les stimulants matériels.
Parmi ces économistes l?on trouve par exemple, Liberman, Trapeznikov et
Nemtchinov.
La direction autoritaire pour encadrer le plan
économique enserrerait les intérêts généraux
du développement économique. Peu à peu va s?imposer en
URSS une conception nouvelle. Si les contraintes sur les entreprises sont
allégées et si celles-ci sont intéressées par un
jeu convenable de stimulants matériels, à choisir
spontanément dans le cadre du plan les
40 Idem
combinaisons de production les plus efficaces,
l?intérêt des entreprises coïncidera lui-même avec
celui de la collectivité41.
Les propositions de Liberman peuvent se résumer comme
suit. Il faut inciter les entreprises à exécuter le plus
correctement le plan sans contrôle inutile et laisser les entreprises
libres du choix des moyens en ne lui imposant que deux indices
impératifs, la valeur de la production vendue par type principaux de
fabrication (en remplaçant la production brute) et le rapport du profit
aux fonds productifs (indice de rentabilité). La réforme de
l?entreprise sera adoptée à la suite d?une décision prise
par le plénum du Comité Central du PCUS42 le 29
septembre 1965 et sera introduite progressivement à partir de 1966. Les
indices obligatoires (impératifs) seront réduits laissant plus
d?autonomie aux entreprises mais ils resteront supérieurs à ceux
proposés par Liberman.
Le moteur d?activité de l?entreprise devient le profit,
par l?indice de rentabilité. L?esprit de l?entreprise tend à ce
que tous les travailleurs d?une entreprise soient collectivement et
solidairement intéressés à améliorer la performance
de leur unité, car les résultats obtenus retentiront directement
sur leurs gains personnels, par le jeu des primes qui représenteront une
proportion appréciable de leur rémunération. Celles-ci
représentaient 10% en moyenne de leur rémunération selon
les estimations faites avant le lancement de la réforme43.
Cette réforme verra l?application de trois fonds de
stimulation : Un fonds de stimulation matériel pour octroyer des primes
aux travailleurs. Un fonds pour l?amélioration socio culturelle et de
construction de logement et un fonds de développement de la production.
Les résultats de la réforme furent médiocres. Il en est
ressorti que le fonds de stimulation matériel avait peu d?attrait. Le
manque d?offre de biens de consommation ne permettait pas une dépense
effective du revenu. Tout de même en 1975, les primes des ouvriers
représentaient 15,6 % de leurs salaires dont un tiers provenaient du
fonds de stimulation matériel avec des disparités allant de 8
à 35% selon les branches44.
41 LAVIGNE, Marie, Les économies
socialistes soviétiques et européennes, Armand Colin, Paris,
1979. Adam Smith aurait il influencer ces économistes ?
42 Parti Communiste de l?Union Soviétique
43 M. Lavigne, Les économies socialistes
soviétiques et européennes, Op.cit.
44 Idem
Comme le remarquait Marie Lavigne, la stimulation suppose un
niveau de vie amélioré et un accroissement sensible de la
production de biens de consommation. Aussi, aucun mécanisme de
stimulation ne peut fonctionner valablement si les travailleurs n?ont pas la
maîtrise effective du processus de production et de
répartition.
Marie Lavigne distingue deux types de schémas
entièrement différents de la direction des unités
économiques :
- Schéma autoritaire : toutes formes de stimulation
matérielle de l?entreprise en tant que collectif est exclues (seul est
pris en considération l?intérêt individuel des travailleurs
par le jeu des salaires et primes). L?unité économique est un
instrument de l?administration, elle doit obéir à des ordres
transmis par un système hiérarchisé dont elle est le
maillon inférieur. Les fautes des dirigeants de l?entreprise sont punies
par des sanctions personnelles, disciplinaires ; les succès sont
récompensés par des primes individuelles. Les échecs de
gestion sont sanctionnés non par la faillite de l?entreprise mais par la
réorganisation sous les ordres d?un autre directeur.
- Schéma combinant direction centralisée et
autonomie de gestion : Dans l?intérêt méme d?une bonne
exécution du plan, on doit laisser aux unités économiques
plus d?autonomie dans leur gestion. Autonomie et intéressement collectif
vont de pair : si l?entreprise est plus libre, il faut qu?elle ait un but
tangible pour l?ensemble de ses travailleurs et que la réalisation de ce
but coïncide avec la meilleure exécution du plan. Cet objectif sera
la maximisation du profit de l?entreprise. Le profit est ainsi appelé
à jouer un rôle de première importance dans la gestion
économique socialiste.
2) Planification et stimulation matérielle en Chine
durant la première période de la révolution chinoise (1949
- 1978).
a) Orientation générale de la Chine au niveau de la
planification et des stimulants matériels suite à la
révolution de 1949
La période où la Chine souhaitait encore
construire le socialisme apparaît loin maintenant, depuis le tournant
économique de 1978. Pourtant le mode de planification et
d?édification des nouveaux rapports sociaux paraissait original et peut
être plus adapté à une étape de transition.
En effet et nous le verrons plus tard, le débat
économique cubain peut refléter au premier abord une dichotomie
entre d?un côté les partisans d?une centralisation des
décisions forte quirejetterait les stimulants
matériels, et les partisans d?une plus large autonomie des
unités
économiques qui favoriserait des
rémunérations liées au travail fourni afin
d?intéresser le travailleur à la production et donc en
améliorer l?efficience.
Le cas chinois n?est pas homogène sur toute la
période mais va nous permettre de réfléchir et de prendre
un exemple plus concret pour le cas cubain qui sera étudié plus
en profondeur. La grande particularité de la transition au socialisme en
Chine était une volonté de participation massive de la population
aux décisions et en particulier au niveau de l?élaboration du
plan.
Par exemple jusqu?aux années 1960, il y avait trois
étapes dans l?élaboration du plan :
a) rédaction par le centre (comité central du PCC)
d?un projet de plan transmis à la périphérie,
b) élaboration du plan par la périphérie en
fonction du plan du centre,
c) élaboration par le centre du plan définitif.
Nous voyons que la base (à l?échelle de
l?entreprise, du municipe ou de la province) avait déjà une
certaine participation. Au début des années 1960, l?étape
a) fut supprimée et c?est donc de la base que partait directement
l?initiative du plan. Ceci montrait qu?il y avait une :
« Reconnaissance qu'à l'heure actuelle le
centre ne dispose pas d'une connaissance assez rigoureuse de la vie et des
possibilités des unités de production pour pouvoir leur envoyer
des chiffres de contrôle scientifiquement fondés
»45.
Au niveau de la rémunération, le salaire aux
pièces était banni de l?économie chinoise.
L?éventail des salaires était très resserré (de 40
à 250 Yuans) et «il était considéré normal
qu'un ouvrier au huitième échelon gagne plus que le directeur
». Mais il existait tout de même des primes qui variaient entre
3 à 8 Yuans par mois, soit entre 6 à 10 % du salaire sachant
qu?il n?y avait pas de primes pour les cadres et le personnel administratif. 70
à 80 % des travailleurs touchaient des primes qui étaient
basées sur le dépassement du plan mais également sur
l?attitude face au travail qui était discuté en assemblée
d?équipe.
Au sein des communes populaires46 il existait deux
types de rémunération :
- le système des points de base : calculé selon
une grille des salaires. La rémunération se faisait à la
qualification et au temps et était discutée par les collectifs de
travailleurs. La classification était revue fréquemment (tous les
semestres).
- un système de normes de travail : fixées en
assemblée d?équipe selon la quantité et la qualité
du travail.
45 BETTELHEIM, Charles, MARCHISIO,
Hélène, CHARRIÈRE, Jacques, La construction du
socialisme en Chine, Op.cit.
46 La commune populaire présente d'importantes
différences avec les coopératives socialistes. Elles sont d'une
taille beaucoup plus grande et prennent également en charge des
activités non agricoles ; sa direction est considérée
comme un pouvoir d'État ; la distribution de la nourriture doit s'y
faire en fonction des besoins -- principe communiste --, et pas seulement en
fonction du travail et du système des « points » ; enfin, les
lopins privés disparaissent : toute la terre, y compris les arbres, est
collectivisée. Seuls restent propriété privée
quelques animaux.
Ces types de rémunération furent mis en place au vu
de l?échec de la rémunération au temps au moment de la
formation des coopératives au début de la révolution.
La période de transition chinoise restait tout de
même caractérisée par une répartition selon le
travail fourni. Les auteurs affirmaient tout de même que l?avance des
rapports de production sur les forces productives ne serait pas un frein au
développement, mais un facteur objectif de progrès des forces
productives.
Un autre point important est le type de planification
adopté. Nous avons déjà mis en lumière certains
aspects, parlons maintenant du rôle de la rentabilité et du
profit. La participation des masses à l?édification du plan
suggère un certain degré de décentralisation des
décisions. De plus le fonctionnement des entreprises de production et
des entreprises commerciales sur la base de l?autonomie financière et de
la rentabilité est reconnu.
« ,Il s'agit d'assurer que le système des prix
et des salaires du secteur productif soit tel que le fonctionnement de ce
secteur fasse apparaître un surplus économique d'une ampleur
suffisante pour que soit assuré le financement de l'accumulation et des
dépenses improductives fixées par le plan.
»47
Le but est donc d?assurer une rentabilité aux
entreprises et donc de leur créer un surplus économique. Mais le
rôle de stimulant du profit est rejeté. Le fonds de l?entreprise
(partie des bénéfices) ne sert pas à la répartition
des revenus individuels. Le profit ne joue donc pas le rôle de stimulant
matériel tout au moins sur le plan individuel. En effet l?utilisation du
fonds, par exemple pour l?amélioration du bien etre collectif, peut
jouer un certain rôle de stimulation du collectif du travail.
La Chine était caractérisée par la
centralisation quasi complète des bénéfices
réalisés dans le secteur d?état (33% en URSS
étaient laissés à disposition des entreprises), cette
47 BETTELHEIM, Charles, MARCHISIO,
Hélène, CHARRIERE, Jacques, La construction du socialisme en
Chine, Op.cit.
centralisation était elle-même liée à
la faible importance attribuée aux mécanismes de la stimulation
matérielle.
Une large part était accordée aux stimulants non
économiques et collectifs. Il y avait une reconnaissance sociale du
collectif de travail, de son abnégation, de son courage et de son
dévouement. Le principe « à chacun selon son travail »
était appliqué mais celui-ci pouvait se distinguer - chose
importante - des stimulants matériels. Pour Bettelheim et
Charrière, du point de vue de la répartition des revenus, le
stakhanovisme et plus généralement le système des salaires
progressifs aboutissaient à des inégalités plus grandes
que celles découlant du principe « à chacun son travail
».
Il existait donc peu de stimulation matérielle
(primes...) et si elle n?était pas totalement rejetée, son
rôle temporaire était strictement limité aux domaines
où le refus de l?admettre aurait conduit à la baisse ou à
la stagnation de la production.
b) Révolution culturelle et grand tournant
économique
L?orientation générale de donner plus
d?autonomie et d?initiative locale par la décentralisation de la gestion
des entreprises d?État date de 1957 (Grand bond en avant). A partir de
1966, débute la « révolution culturelle » au cours de
laquelle des modifications organisationnelles vont avoir lieu dans les
entreprises afin d?accroître la pouvoir de décisions des
travailleurs. Un plus grand travail idéologique vers les masses sera
effectué afin d?avancer plus vite vers le communisme et de lutter contre
les lignes politiques bourgeoises. Cela passait par exemple par le remplacement
des directeurs d?entreprises, par la volonté de diminuer la
séparation entre travail manuel et travail
intellectuel...48
Le troisième livre de Bettelheim sur la Chine date de
1978, juste avant le Grand tournant économique initié par Ten
Xiaoping et juste après la mort de Mao Tsé Toung49. Il
démontre la
48 Cf. BETTELHEIM, Charles, Révolution
culturelle et organisation industrielle en Chine, Op.cit.
49 BETTELHEIM, Charles, Question sur la Chine
après la mort de Mao Tsé Toung, François Maspero,
Paris, 1978.
remise en cause (dans la pratique mais pas forcément
dans les discours) des avancées ou tentatives d?avancées de la
révolution culturelle. La séparation entre travail intellectuel
et travail manuel est délaissée, le contrôle
hiérarchique est mis en avant tout comme le primat du rôle de la
production et du profit « afin de créer plus de richesses pour le
socialisme ». Ce schéma est vide de sens selon Bettelheim si l?on
usurpe le pouvoir de la classe ouvrière.
On assiste également à nouveau au recours aux
stimulants matériels, en particulier du salaire aux pièces et
à une plus grande importance des primes au nom de
l?accélération de la croissance des forces productives et de
l?augmentation de la productivité du travail, c'est-àdire des
arguments purement économistes et productivistes. C?est donc un retour
du primat du développement des forces productives afin de renforcer la
base matérielle pour la consolidation de la dictature du
prolétariat. Bettelheim dénoncera cette application
mécaniste que les forces productives déterminent les rapports de
production.
« Tout cela aboutit à substituer la lutte pour
la production à la lutte entre le prolétariat et la
bourgeoisie50 et à préconiser que la lutte pour la
production soit dirigée par les experts et les techniciens. En suivant
cette voie, on ne peut que renforcer la division capitaliste du travail et les
rapports de production capitalistes non encore détruits.51
»
Pour l?auteur, le revirement idéologique de 1976-1978
n?est pas dû à des nécessités économiques car
les résultats de la période 1966-1976 sont « plutôt
positifs » mais ses racines proviendraient d?un changement dans les
rapports de classes, dont la ligne révisionniste bourgeoise est sortie
victorieuse. Au vu du développement de la Chine jusqu?à
aujourd?hui on peut penser que Bettelheim ne s?est pas trompé et que la
méme ligne politique est encore au pouvoir. Et malgré l?essor
économique important il est difficile de penser que la Chine est train
de développer ses forces productives pour construire le socialisme.
50 Bettelheim rappelle que les tendances bourgeoise au
sein du PCC était assez importante voire plus importante que la ligne
révolutionnaire.
51 BETTELHEIM, Charles, Question sur la Chine
après la mort de Mao Tsé Toung, Op.cit.
D/ Cuba et la transition du capitalisme au socialisme
Le but qui veut être atteint ici, est de se poser la
question, peut on caractériser Cuba comme étant en phase de
transition vers le socialisme ? Bien sûr, Cuba n?est pas un pays
communiste comme certaines analyses simplistes et cherchant à
discréditer le communisme en tant que doctrine caractérisent
Cuba. Afin d?être sérieux, il faut se demander si Cuba est
réellement en transition du capitalisme au socialisme.
Bien que les discours des dirigeants affirment ce fait, c?est
plutôt dans l?état des rapports sociaux qu?il faut trouver les
réponses. Il est donc important de revenir sur les prémisses de
la révolution et son déclenchement et de chercher des pistes pour
répondre à la question posée et d?en conclure s?il est
justifié de réaliser une analyse de Cuba comme étant un
pays en transition vers le socialisme.
1) La révolution cubaine
a) Les prémisses de la révolution
Cuba, petit île des Caraïbes, ft une colonie
espagnole jusqu?en 1898. Après une âpre lutte, guerre des dix ans
(1968-1978), le pays deviendra indépendant en 1898 suite à trois
années de guerre civile (1895-1898). L?indépendance ft l?oeuvre
en partie des forces indépendantistes de l?époque dont la figure
marquante était José Marti, mais également des Etats-Unis
qui firent la guerre à l?Espagne et qui après leur victoire
obtinrent les dernières colonies espagnoles, les Philippines et Porto
Rico. Cuba devint indépendant mais sous la tutelle des Etats-Unis.
Le premier président cubain fût même un
citoyen des Etats-Unis et par l?ajout dans la constitution cubaine de
l?amendement Platt, du nom d?un sénateur des Etats-Unis, ces derniers
s?octroyèrent le droit à des interventions sur le sol cubain en
cas de troubles ou atteinte à la propriété privée.
De ce fait, les interventions américaines furent fréquentes
principalement jusqu?au années 1920, de nombreux troubles
existant entre les conservateurs et les libéraux, ces derniers exigeant
la fin de la tutelle nord américaine.
Liée à la tutelle politique, les Etats-Unis
firent également leur entrée économique à Cuba, et
cela déjà avant l?indépendance. Un nombre très
élevé de banques, de centrales sucrières, de plantations
appartenaient à des capitalistes américains52.
Après le colonialisme, Cuba fût dominé par
l?impérialisme.
La spécialisation sucrière héritée
de la période coloniale se maintint durant la période
impérialiste, soutenue par la volonté des Etats-Unis de se
fournir en sucre à côté de chez eux tout en
contrôlant une bonne partie du processus de production. La
majorité des exportations cubaines partait en direction des Etats-Unis,
principalement des produits bruts, donnant peu de valeur ajoutée, et les
importations réalisées par Cuba provenaient majoritairement des
Etats-Unis à travers des biens d?équipements et de consommation
manufacturés.
Les gouvernements en place avant la révolution
tentèrent peu de changer cet état de choses, même si
à partir des années 1930, la part des moyens de production dans
les mains Nord Américaines diminuèrent quelques peu, que des
quotas sucriers furent fixés avec les Etats-Unis avec un prix de vente
supérieur au marché mondial. Le premier Parti Communiste Cubain
naquit au début des années 1920, et laissa des personnages
emblématiques. Les révoltes ouvrières des années
1930, suite à la crise économique mondiale montra la place
importante du PCC à Cuba ce qui était assez peu courant en
Amérique latine. Ce dernier participa même au gouvernement de
Batista de 1940.
Malgré un développement important de certaines
infrastructures, tel que les communications et quelques voies de communication,
Cuba restait un pays « sous développé » ou pour mieux
dire un pays dominé, étranglé par l?impérialisme,
d?où un développement économique réel sur ces bases
était impossible. L?économie restait principalement agricole, un
prolétariat urbain existait mais était peu
développé. Le monde
52 Voir à cet effet, HERRERA, Rémy,
« De Morgan à Rockefeller. Le pouvoir de la grande finance
états-unienne dans la Cuba prérévolutionnaire »,
Economies et sociétés, Presses de l'ISMEA, Paris, vol.
37, no7-8, 2003,
pp. 1279-1304
rural était très touché par le
latifundium, qui laissait de grands pans de la population sans terre,
obligés de travailler selon les cycles saisonniers et donc
caractériser par un sous emploi chronique.
Le taux d?analphabétisme était également
élevé. En 1953, il était de 23,6% pour la population de 10
ans et plus et il atteignait 41,7% en zone rural.53 Peu
d?investissement était réalisé dans ce sens, et ce chiffre
était « normal » au vu de ceux que l?on trouvait en
Amérique latine à cette époque. Au niveau de la
santé, les infrastructures sanitaires étaient inexistantes en
zone rural. Les médecins et hôpitaux étaient circonscrit
à la capitale, La Havane, et aux villes d?importances économiques
déterminées.54 D?où la prolifération de
maladies et les épidémies fréquentes, accentuées
par le manque de produits d?hygiène, les conditions et
l?insalubrité des logements...
b) La révolution de 1959
C?est donc sur ces bases que la révolution se produisit
avec la prise du pouvoir par les forces révolutionnaires le
1er janvier 1959. Depuis 1952, Batista était au pouvoir suite
à un coup d?État, laissant la place à un régime
dictatorial, et une allégeance toujours vivante avec les Etats-Unis.
En 1953, un groupe de révolutionnaire attaqua la
caserne Moncada, avec à leur tête Fidel Castro. L?attaque fCit un
échec, la plupart des protagonistes furent mis en prison. Ils seront
relâchés peu de temps après. De ce groupe naquit le
Mouvement du 26 juillet dirigé par Fidel Castro, qui établira un
programme d?action en cas de prise du pouvoir. Les intentions de ce groupe de
révolutionnaires sont une véritable indépendance de Cuba
contre l?impérialisme, une révolution nationale avec un
caractère fortement progressiste, en vue de l?amélioration du
niveau de vie de la population, l?établissement d?une réforme
agraire pour une meilleure distribution de terres et la fin du latifundium.
53 VALDES GARCIA, Osvaldo, La revolución
Cubana: premisas económicas y sociales, Ciencias sociales, La
Habana, 2007.
54 Idem.
C?est le Mouvement du 26 juillet qui sera le principal
instigateur de la révolution, à travers la lutte par la
guérilla dans les régions rurales et montagneuses. Le directoire
révolutionnaire du 13 mars fût également un soutient de la
révolution ainsi que le Parti Socialiste Populaire, le parti communiste
cubain plutôt lié à l?Union soviétique, qui rentra
plus tard dans la lutte armée55.
La révolution cubaine ressemble donc fort peu à
la révolution russe de 1917. La lutte étant circonscrit à
un petit groupe d?homme qui défia l?état. Bien sür, il ne
faut pas réduire la révolution cubaine à la
guérilla de Fidel Castro et d?Ernesto Guevara, car des protestations
eurent lieu au sein des villes, des grèves par exemple au cours de
l?année 1958, mais sans une réelle volonté de prendre le
pouvoir. Même si la participation des masses a été faible
avant la prise de pouvoir, contrairement à la révolution russe
(par la démocratie des soviets...), le soutient populaire à la
révolution fût très important.
Nous pouvons dire que la révolution cubaine se
produisit sur la base du nationalisme (l?indépendance n?étant pas
pleinement achevée) et de l?anti-impérialisme, essentiellement
contre l?impérialisme des Etats-Unis. Suite à la prise du pouvoir
le 1er janvier 1959, c?est un gouvernement révolutionnaire,
formé par toutes les mouvances de la révolution qui s?installe
avec également des représentants de la bourgeoisie cubaine tel le
premier président Urrutia.
Les premières mesures du gouvernement
révolutionnaire montrèrent le caractère premier que
prenait la révolution. La réforme agraire qui limitait la taille
des exploitations agricoles à 402 hectares et facilitait une
redistribution des terres aux paysans témoignèrent d?une attitude
progressiste qui ne dépassait pas le cadre petit bourgeois et le
programme du Mouvement du 26 juillet. La baisse très forte des loyers,
la campagne d?alphabétisation... allaient dans le sens d?une
volonté d?amélioration du sort de la population cubaine et de son
niveau de vie. Les nationalisations des entreprises ou exploitations agricoles
ayant collaborées avec la puissance Nord Américaines montraient
le caractère anti--impérialiste de la révolution et la
volonté d?une réelle indépendance nationale, politique et
économique.
55 On dit que l?on reconnaissait facilement un
militant du PSP à ce moment là, sa barbe était plus
courte...
Les évènements allant du 1er janvier
1959 jusqu?à l?année 1961, allèrent changer la tournure
que pris la révolution, et l?amener à affirmer une volonté
de construire le socialisme. Ici nous souhaitons montrer en quoi il est
justifié d?analyser l?attitude de Cuba envers la stimulation
matérielle et l?utilisation de la loi de la valeur en appliquant une
théorie qui se veut de transition vers le socialisme, marxiste. Nous
allons donc voir maintenant pourquoi ceci est réalisable.
2) Le projet socialiste à Cuba
a) L?affirmation du caractère socialiste de la
révolution
Comme il a été dit précédemment,
les évènements qui eurent lieu jusqu?en 1961 changèrent
quelque peu le cours de la révolution. En résistance à
l?impérialisme, Les premiers dirigeants cubains avec en tête Fidel
Castro, cherchèrent à diversifier leurs partenaires commerciaux,
tout en rassurant les Etats-Unis sur le caractère non socialiste de la
révolution. Bien sûr Cuba s?est rapidement tourné vers
l?autre grande puissance économique de l?époque, l?URSS.
En pleine Guerre Froide, entre les Etats-Unis et leurs
alliés et le camp « socialiste » emmené par l?URSS, ces
attitudes déplurent aux premiers, et les raffineries étasuniennes
encore présente à Cuba refusèrent de raffiner le
pétrole en provenance d?Union Soviétique. Les quotas sucriers
furent supprimés entre les deux pays. La direction
révolutionnaire pris donc la décision de nationaliser les
entreprises étasunienne encore présente dans l?île. Les
Etats-Unis répondirent par un embargo sur Cuba encore en vigueur
aujourd?hui. Le sabotage, par exemple l?arrêt de la production,
effectué par la bourgeoisie cubaine à ce méme moment
engendra une rupture entre la mouvance révolutionnaire (divisée
en plusieurs courants) et la bourgeoisie au pouvoir. C?est donc en octobre
1961, après ces évènements, que le caractère
socialiste de la révolution fût proclamé.
On a donc une réelle lutte de classe qui s?est
opérée durant ces deux années dont la mouvance
révolutionnaire est sortie gagnante avec un appui populaire
supérieur. Cuba se
tourna donc vers l?URSS et vers les pays « socialistes
» à économies planifiées. Si comme nous l?avons dit,
le mouvement révolutionnaire cubain était
caractérisé par l?existence d?une tendance petite bourgeoise qui
a, qui plus est, fait l?essentiel de la révolution, le mouvement
socialiste était également existant et pas sans importance. Le
PSP était un parti relativement puissant dans les villes, et des
personnalités illustres comme Ernesto Guevara étaient depuis
plusieurs années favorables au marxisme et à la révolution
socialiste même s?il ne pensait pas au préalable qu?elle pourrait
se produire à Cuba.
Cuba se serait donc tourner vers l?URSS et la construction du
socialisme par défaut. La volonté de créer de nouvelles
relations avec les Etats-Unis sur une base plus équitable ayant
échoué, ceux-ci ne souhaitant pas perdre leurs
intérêts économiques, cela n?aurait laissé qu?une
seule autre voie de développement pour Cuba, l?alliance avec l?URSS et
l?instauration de la planification socialiste. Ce jugement est loin
d?être faux, mais il faut le relativiser, et voir dans le soutien de la
population à la révolution et aux différentes
réformes (réforme agraire, nationalisations...) une traduction
d?une lutte des classes qui s?est produites durant ces trois années et
qui a rendu caduc un pouvoir de collaboration de classes.
Cuba s?affirme donc depuis octobre 1961, comme un pays en
transition vers le socialisme. Il a adopté une planification
étatique d?où serait basé le développement du pays
jusqu?à la possibilité du passage au socialisme et ensuite au
communisme. On caractérise un pays ou territoire en transition du
capitalisme au socialisme essentiellement par l?existence effective d?une
dictature du prolétariat, c'est-à-dire que le prolétariat
détient le pouvoir politique qui garantisse une démocratie
socialiste et qu?il soit propriétaire collectif des moyens de production
et donc que des instances juridiques lui permettent de discuter et de prendre
des décisions tant politiques qu?économiques.
Cuba se caractérise juridiquement (la
référence à la dictature du prolétariat est
inscrite dans la constitution de 1975) et par les discours de ses dirigeants
comme étant un pays en transition vers le socialisme. Or, le fait
juridique ne correspond pas forcément aux rapports sociaux effectifs.
S?il est vrai que les masses populaires ont largement soutenues la
révolution et le processus révolutionnaire qui a suivi, nombre
d?analystes, notamment marxistes, ont montré les limites de la
révolution cubaine au niveau de la participation des masses aux
processus de décisions, et donc l?existence méme
dans les faits d?une dictature du prolétariat et donc d?un pays en
transition du capitalisme au socialisme56.
b) Participation des masses et transition vers le
socialisme
Le but ici, n?est pas d?essayer d?analyser la participation
des masses au processus révolutionnaire cubain dans son ensemble, mais
de se poser la question de la pertinence d?analyser Cuba en tant que pays en
transition du capitalisme au socialisme. Le peuple cubain a soutenu fortement
la révolution et le processus révolutionnaire comme nous l?avons
dit. Mais peu de structures juridiques ont été conçue au
préalable pour permettre une réelle démocratie socialiste,
les organisations de masses qui se créèrent au fur et à
mesure des années 196057permettent tout de même une
représentation de la population qui a donc des moyens de se faire
entendre. Egalement les différentes élections pour les postes
dans les assemblées populaires (municipales, provinciales et nationales)
nous montrent l?existence de structures institutionnelles qui se veulent
démocratiques.
L?étude de Cuba en tant que pays en transition vers le
socialisme peut s?avérer justifier au niveau économique par
l?utilisation de la planification. Une économie en transition du
capitalisme au socialisme est forcément une économie
planifiée, c'est-à-dire que le moyen principal de
développement économique est la planification, bien qu?il puisse
exister des enclaves privées, comme des petites propriétés
paysannes. La planification d?une économie en transition se distingue de
ce qui a été nommé planification indicative dans certains
pays
56 « Si cette dernière (la direction cubaine) attache
une telle importance aux problèmes des rapports marchands, au point d?en
faire le centre de sa conception idéologique et de sa pratique
politique, cela ne peut être seulement la conséquence d?une erreur
subjective. Je dirai que c?est là l?effet d?une idéologie et
d?une politique qui concentre tout le pouvoir dans les mains d?un groupe
dirigeant, et qui ne créent donc pas les conditions nécessaires
à l?exercice démocratique du pouvoir prolétarien (...)
»
« D?une part cette pratique politique à une
signification de classe (...) Je dirai seulement qu?elle est liée
à la domination politique d?une fraction radicalisée de la petite
bourgeoisie. D?autre part, elle entraîne des conséquences
nécessaires, c'est-à-dire qui s?imposent nécessairement
à un gouvernement se réclamant du socialisme. »
« Une des conséquences est
précisément un déplacement idéologique :
l?identification du socialisme : non à la dictature du
prolétariat (...) mais à la disparition des rapports marchands.
» SWEEZY, Paul, BETTELHEIM, Charles, Lettres sur quelques
problèmes actuels du socialisme, Op.cit.
57 La Centrale des Travailleurs Cubains, la
Fédération de Femmes Cubaines, les Comités de
Défense de la Révolution....
capitalistes après la seconde guerre mondiale mais qui ne
sortait pas du cadre de l?économie de marché58.
Bien sûr, l?éventuel manque de participation des
masses et l?usurpation du pouvoir par « une frange radicalisée de
la petite bourgeoisie » ou tout simplement par une bureaucratie, dont nous
ne voulons pas faire une analyse approfondie, peut entraîner l?existence
d?un biais dans l?analyse. Mais fondamentalement, une analyse de la stimulation
matériel à Cuba et de l?utilisation de la loi de la valeur dans
un cadre marxiste et en tant qu?économie de transition, peut servir
à expliquer et comprendre la réalité cubaine ainsi
qu?à approfondir la réflexion sur l?économie de transition
au cas où, de nouveaux pays s?engagerait à terme sur cette
voie.
Le biais de la non existence effective d?une dictature du
prolétariat à Cuba ne pourra être totalement occulté
de l?analyse. En effet, la stimulation matérielle concerne la
rémunération des travailleurs et donc du prolétariat
lui-méme, et nous verrons que l?utilisation de stimulants
matériels et de salaire aux pièces, est liée au faible
développement des forces productives ainsi qu?à la faible
conscience socialiste d?une frange de la classe ouvrière. Il est de plus
difficile d?imaginer la démocratie socialiste parfaite, optimale, et
à ce titre il n?existait pas de réelle dictature du
prolétariat ni en Union Soviétique ni en Chine.
E/ Le grand débat économique à Cuba
Il a été notable pour caractériser cette
période, de diviser les différents protagonistes du débat
en deux camps opposés. D?un côté, les idées
portées par Guevara et de l?autre celles défendues par exemple
par Carlos Rafael Rodriguez, en ce qui concerne la politique à adopter
au niveau de la gestion planifiée de l?économie, et donc des
systèmes de stimulation au travail qui en découlent. Même
si nous aborderons la même approche en ce qui concerne la
séparation en deux camps, nous essayerons de contrer certaines analyses
simplistes qui ont été faite à cette époque.
58 A cet égard voir la différence que
fait Charles Bettelheim entre les deux types de planification. Cf. .BETTELHEIM,
Charles, Planification et croissance accélérée,
Petite collection Maspero, Paris, 1968.
Certains parlent de courants antagonistes59.
Carmelo Mesa Lago, appelle la « tendance » portée par Ernesto
Guevara, Sino-Guevariste, car celui-ci tout en apportant son « grain de
sel » au niveau théorique (ou plutôt idéologique)
prend en compte l?exemple chinois de l?époque, qui rejette les
stimulants matériels comme base de rémunération des
travailleurs. Nous verrons en analysant la pensée de Guevara que cette
caractérisation n?est pas tout à fait opportune si l?on se
reporte à l?analyse du cas chinois ci-dessus.
Un fait manifeste à Cuba au début de la
révolution, était le manque d?expérience des nouveaux
dirigeants cubains concernant la politique économique socialiste,
d?où l?appel à contribution de nombreux experts étrangers
pour conseiller les premières perspectives de plans
économiques60. C?est à partir de 1963, que deux
courants opposés vont voir le jour publiquement et commencer un
débat d?opinion important par l?intermédiaire essentiellement de
revues théoriques61. Ce débat portait sur le type ou
plutôt le degré de planification économique à
adopter et plus spécifiquement sur l?utilisation de la loi de la valeur
au sein du secteur nationalisé et donc sur l?utilisation de stimulants
matériels pour les travailleurs dans la période de transition.
1) La pensée de Guevara
a) Stimulants matériels et stimulants moraux
Guevara proposait que les stimulants matériels aient la
plus petite place possible dans l?économie, et qu?il fallait une
prédominance des stimulants moraux au sein des entreprises. Car pour
lui, les stimulants matériels, hérités du capitalisme ne
pouvaient pas être appliqués et avoir force de loi si l?on voulait
construire le socialisme, car au contraire cela conduira à reproduire la
conscience capitaliste (de l?appât du gain) et serait une entrave
à la construction du socialisme. L?éducation des masses dans le
sens du désintérét matériel devait avoir une grande
importance.
59 MESA LAGO, Carmelo «ideological, political and
economics factors in the Cuban controversy on material versus moral
incentives», Op.cit.
60 On peut citer Charles Bettelheim, Paul M. Sweezy,
Ernest Mandel, Jacques Chonchol....
61 Cuba Socialista, Nueva Industria...
« Les tares de l'ancienne société se
perpétuent dans la conscience individuelle et il faut faire un travail
incessant pour les faire disparaître62 »
Ce travail incessant d?éducation des masses doit selon
lui être l?oeuvre de l?Etat63. Il faut préciser tout de
même que Guevara ne rejette pas complètement les stimulants
matériels, mais ceux-ci doivent être relégués au
second plan devant les stimulants moraux et appliqués pour des
collectifs de travailleurs et non individuellement. Les stimulants moraux
seraient la principale manière de développer la production autant
quantitativement que qualitativement, les stimulants matériels doivent
venir simplement les compléter. Le but est de créer dans le
méme temps que la société communiste, un homme nouveau
doué d?une conscience nouvelle, car l?Homme de la société
capitaliste, et de la période de transition « est un être
incomplet, un produit inachevé64 ».
Nous voyons que sur la moindre place a accordé aux
stimulants matériels, Guevara se rapproche de la position chinoise des
années 1960. Il s?en rapproche également sur le rôle du
profit comme stimulant. Nous avons expliqué plus haut la position
chinoise sur ce sujet. La rentabilité financière des entreprises
est reconnue, mais le profit n?est pas le stimulant principal et quasiment tous
les bénéfices étaient centralisés. Cette
centralisation des bénéfices étaient également
porté par Guevara avec le Système Budgétaire de
Financement qu?il proposait, mais l?on peut remarquer qu?il approfondissait
moins sur le rôle tout de méme bénéfique d?une
certaine rentabilité des entreprises afin de créer un surplus
économique dans le but de servir l?accumulation socialiste. De plus, la
décentralisation des décisions au niveau de la discussion du plan
laissant beaucoup d?initiative aux masses, promue à cette époque
en Chine, est également absente de la pensée de Guevara. La
qualification de sino-guévariste
62 GUEVARA, Ernesto, « Le socialisme et l?Homme
à Cuba », dans LOWY, Michael, Ernesto Guevara: écrits
d'un révolutionnaire, La brèche, Paris, 1987.
63 Il est intéressant de remarquer ce que
pensait Marx au niveau de l?éducation du peuple par l?Etat, auquel on ne
fait rarement allusion. Ainsi Dans la Critique du programme de Gotha, critique
du point B 1° du programme qui stipulait « éducation pour
tous, la même pour tous, du peuple par l?Etat. Obligation scolaire pour
tous, inscription gratuite » Marx réponds en parti ceci : « Ce
qui est absolument à rejeter, c?est une éducation du peuple par
l?Etat. Déterminer par une loi générale les ressources des
écoles populaires, les aptitudes exigées du personnel enseignant,
les branches d?enseignements... et comme aux Etats-Unis, surveiller, à
l?aide
d?inspecteurs d?Etat, l?exécution de ces prescriptions
légales, c?est tout autre chose que de faire de l?Etat
l?éducateur du peuple ! Bien plus il faut au même
titre proscrire de l?école toute influence gouvernementale et
religieuse(...) ».
64 GUEVARA, Ernesto, Le socialisme et l?Homme à
Cuba, Op.cit
pour caractériser la pensée de Guevara
appliquée par Mesa-Lago est donc un peu simplificatrice.
b) Rapports de production, forces productives et
planification
Cette vision de Guevara fait partie d?une
représentation plus générale sur la planification et sur
la transition vers le socialisme. Il faut voir que celui-ci souhaite se
débarrasser le plus vite possible des tares du capitalisme et rejette la
loi de la valeur comme loi économique de la période de
transition. Comme nous l'avons vu, pour lui, les stimulants moraux sont
capables d'accroître les forces productives, c'est à dire que le
développement de la conscience socialiste permettrait en partie
l'accroissement de la productivité du travail. Evidemment, Guevara
rejette le lien mécanique entre rapport de production et
caractère des forces productives :
« A quels moment les rapports de production peuvent
ils ne pas être le fidèle reflet du développement des
forces productives? Aux moments d'ascension d'une société qui se
prépare à détruire une société
antérieure et dans les moments de rupture de l'ancienne
société, quand la nouvelle qui doit implanter ses propres
rapports de production, lutte pour se consolider et détruire l'ancienne
superstructure. 65»
Mais l'on perçoit une volonté de supprimer le
plus vite possible les résidus du capitalisme. La perception de la
période de transition vers le socialisme comme un moment long, ou une
lutte politique et économique, a lieu justement pour lutter contre la
loi de la valeur, contre les attitudes héritées des
sociétés présocialistes, qui plus est dans une
économie arriérée n?est pas présente. La
participation des travailleurs aux processus productifs est donc primordiale
pour l'élévation de la conscience socialiste et pour qu'ils aient
conscience des contradictions réelles entre rapports de production et
forces productives. L'octroi de stimulants moraux peut être efficace mais
pas forcément nécessaire en parallèle d'un processus
d'appropriation des unités de production de la part des travailleurs.
65, GUEVARA, Ernesto « La banque, le
crédit et le socialisme » in LOWY, Michael, Ernesto
Guevara: écrits d'un révolutionnaire, Op.cit.
Cela se retranscrit dans le système de planification
qu?il propose (et qui sera mis en pratique peu de temps), le Système
Budgétaire de Financement. Au sein de ce système, toutes les
unités d?activités économiques sont rattachées
à un centre budgétaire, l?Etat, qui leur fournit le budget qui
correspond aux attentes du plan. Les profits des entreprises reviennent au
budget du JUCEPLAN66, et les pertes des autres entreprises sont
couvertes par ce budget.
« Nous proposons ici un système
centralisé de direction de l'économie, avec un contrôle
assez rigoureux des entreprises, mais aussi avec un contrôle conscient
des directeurs d'entreprises ; un système qui considère
l'ensemble de l'économie comme une grande entreprise et qui s'efforce
d'établir une coopération entre tous les participants comme s'ils
étaient des membres d'une grande entreprise - et non pas comme des loups
entre eux - dans la construction du socialisme »67.
Il faut savoir que la théorie de Guevara, était
soutenue par des théoriciens étrangers, tel le belge Ernest
Mandel, ou les Nord Américains, Leo Huberman et Paul Sweezy, qui ont
écrit notamment dans la revue Nueva Industria de
l?époque.
2) / 'autre « camp » et première
conclusion théorique
Les partisans d?une plus grande utilisation des stimulants
matériels pendant l?étape de transition du capitalisme au
socialisme étaient surtout des anciens membres du Parti Socialiste
Populaire lié à l?Union Soviétique. Même si on peut
dans certains cas admettre une tendance à une interprétation
mécaniste des liens entre rapports de production et développement
des forces productives, une vision peut être plus réaliste se
détachait parfois.
66 Junta Central de Planificación.
67 , ,
D apres GUEVARA, Ernesto, Temas económicos,
Editorial Ciencias sociales, La Habana, 1988, in MOLINA
MOLINA, Ernesto, «A propos de la pensé
économique du Che Guevara sur le socialisme» in HERRERA,
Rémy, Cuba révolutionnaire tome 2: économie et
planification, L?Harmattan, Paris, 2006.
a) Le camp de Carlos Rafael Rodríguez
Ce « camp » fût emmené
théoriquement à Cuba par Carlos Rafael Rodriguez, membre du Parti
Socialiste Populaire et d?autres membres de ce méme parti (qui
étaient issus du premier parti communiste cubain né dans les
années 1920) dont Blas Roca président du parti. Le PSP
contrôlait jusqu?en 1965 la revue Cuba Socialista et c?est
surtout à travers celle-ci qu?ils faisaient passer leur point de vue,
avec de temps à autres des articles d?économistes
soviétiques pour les appuyer. Le débat entre les deux tendances
avait lieu surtout dans les revues que l?une ou l?autre contrôlaient. La
tendance « pragmatique »68 comme l?appelait Terry Karl, se
rapprochait et était même soutenue par Charles Bettelheim dans le
sens ou elle mettait en valeur la loi de correspondance entre les rapports de
production et le développement des forces productives pour contredire
les positions des «idéalistes ».
Le débat commença réellement en 1963,
suite à la parution d?un article d?Alberto Mora, ministre du commerce
extérieur, dans lequel il précisait qu?il était peu
réaliste de supprimer les lois de l?offre et de la demande ainsi que les
mécanismes de marché durant la période de
transition69. Les idées de cette tendance sont effectivement
un contrepoint à la vision de Guevara. D?une part, ils
considèrent comme nécessaire de laisser subsister des formes de
propriétés individuelles au sein de la société.
D?autre part, à l?intérieur du secteur socialiste, les
entreprises devraient avoir une plus large autonomie dans leur
décisions, à travers l?autofinancement, qui permettrait aux
entreprises publiques de réinvestir et de distribuer une partie des
profits aux dirigeants et travailleurs afin de les intéresser aux
résultats de leurs entreprises, ce qui serait bénéfique
pour le rendement et la productivité, donc globalement pour le
développement des forces productives.
La loi de la valeur doit donc continuer de gérer les
relations à l?intérieur du système nationalisé tant
que l?intégration économique des entreprises et des secteurs
d?activités n?est pas complète. Ce qui signifie en partie que
l?idée de stimulant matériel et de salaire au
68 La désignation des deux courants comme
idéaliste/ pragmatique peut également paraître
simplificatrice. Deux vues théoriques s?opposent et si l?on voit
où à mener la politique soviétique la tendance pragmatique
peut paraître comme une tendance bourgeoise au sens de Bettelheim.
69 MESA LAGO, Carmelo «ideological, political and
economics factors in the Cuban controversy on material versus moral
incentives», Op.cit.
rendement est compatible selon cette vision avec l?étape
de transition entre le capitalisme et le socialisme.
Car le problème ici est d?avoir une productivité
suffisante pour permettre un accroissement rapide des forces productives,
sachant que l?on se trouve dans un pays arriéré
économiquement. Et malgré que la majorité de la population
se soit jointe à la victoire de la révolution, la conscience de
celle-ci, au stade de développement capitaliste de Cuba ne pouvait
être aussi avancée, pour qu?une émulation socialiste
effective puisse avoir lieu. Le développement de la conscience ne peut
pas être plus poussé que l?évolution du système de
production70.
Les partisans de ce point de vue prenaient exemple sur le cas
de l'Union soviétique, qui pratiquait un système de calcul
économique développé (par exemple 33% des
bénéfices des entreprises était laissé à
leur disposition) et où un processus de réformes était en
cours dans le sens de plus d'autonomie pour les entreprises et qui fût
effectif en 1965. On peut dire que sous cet angle de pensée, l'accent
est mis sur l'effort de production plus que sur celui de la lutte des classes
bien que se soit la construction du socialisme qui reste en point de mire.
« Il ne me semble pas qu'on puisse conclure avec
certitude que l'emploi (...) de méthodes indirectes dans la direction
économique surtout si on le joint à un travail adéquat au
niveau de la superstructure, doive nécessairement conduire à
dévier de l'objectif final, qui est la construction du socialisme.
71»
b) Conclusion théorique
Avant d?analyser l?utilisation des stimulants matériels
à Cuba durant toute la période révolutionnaire et leur
signification économique et politique, il est important de conclure sur
tout ce qui vient d?être dit et expliqué.
70 BETTELHEIM, Charles La transition vers
l'économie socialiste, Op.cit.
71A. Mora cité dans LOWY, Michael, Che
Guevara : écrits d'un révolutionnaire, Op.cit.
Il ressort de cette première partie de l?étude
que l?utilisation de stimulants matériels c'està-dire de rapports
de distribution issus du capitalisme ainsi que la conservation de la loi de la
valeur durant la période de transition du capitalisme au socialisme est
nécessaire et inévitable dans des économies à
faible développement des forces productives. Il est clair que pour un
pays fortement industrialisé, où les différentes branches
de l?économie auront un degré d?indépendance fort entre
elles et où existe une agriculture quasi complètement
capitaliste, il en serait peut-être différemment, car la
planification socialiste pourrait être réellement effective
très rapidement. Réellement effective signifie que la
socialisation des moyens de production est réalisée,
c'est-à-dire que le calcul en temps de travail nécessaire est
rendu possible par la dépendance de tous les secteurs économiques
entre eux. La propriété des moyens de production est alors entre
les mains de la société, qui a le contrôle de la
production. Le socialisme sera alors réellement atteint, et
l?édification du communisme se rapprochera.
Les rapports de distribution étant le reflet des
rapports de production, vu que ces derniers ne peuvent être effectivement
très en avance au début de la transition, des formes de
rémunérations bourgeoises resteront en vigueur (salaires aux
pièces, primes...) dans le secteur capitaliste, et également dans
le secteur socialiste. Une envie trop pressante de modifier les rapports de
production pourrait avoir au contraire des effets néfastes sur le
développement qualitatif et quantitatif de la production en raison d?un
manque d?expérience dans la gestion planifiée au début de
la révolution et d?un manque de conscience des masses au méme
moment.
Mais bien sûr, il ne faut pas y voir un lien
mécanique entre les rapports de production et le caractère des
forces productives comme il a déjà été dit plus
haut. Les rapports de production doivent évoluer avec l?appui technique
et décisionnel de la classe ouvrière qui par cela prendra
conscience de l?oeuvre qu?elle est en train de réaliser. Les rapports de
production ne pourront pas s?élever plus loin qu?ils freinent le
développement des forces productives et la population doit avoir
conscience de la contradiction entre le plan et le marché pour
éviter les erreurs de précipitation. Cela induit sa participation
et la plus grande transparence des décisions et des résultats
économiques.
L?importance que Guevara a donné au rôle de la
conscience socialiste est cruciale mais elle ne peut venir d? « en haut
». Les récompenses honorifiques ne sont rien s?il n?y a pas cette
participation active de toute la société au processus en cours.
Les changements graduels dans l?organisation du travail et du secteur productif
vont aller dans le sens du développement de la conscience comme toutes
les avancées que l?Etat socialiste fera dans d?autres domaines
(santé, éducation...).
Dans tous les Pays dont nous avons parlé, il exista
très vite après la révolution un octroi de services et de
biens gratuits ou à prix très bas, administrés, pour la
population qui correspond déjà en partie à une
rémunération selon les besoins72. Ce type de
distribution devra progresser au fur et à mesure du développement
de la société socialiste, sans en faire une obsession, une
attitude pressée. Car ce qui caractérise une
société en transition vers le socialisme est l?existence de la
dictature du prolétariat (existence réelle et non seulement
juridique) plus que la disparition des catégories marchandes à
tout prix.
Nous pouvons conclure que la persistance relative des
stimulants matériels au cours de la phase de transition dans le but d?un
développement effectif des forces productives va dépendre de
plusieurs éléments. Tout d?abord comme il été
répété maintes fois, le caractère des forces
productives va être un élément important. Mais celui-ci
n?est pas l?unique déterminant. La mainmise d?une bureaucratie sur le
pouvoir, et donc le degré de démocratie socialiste va influer sur
le rôle de la loi de la valeur. Plus le pouvoir bureaucratique est
important, plus elle va devoir utiliser plus fortement de catégories
marchandes pour inciter à l?effort de travail car la conscience des
travailleurs des contradictions et des buts de la transition n?est pas dans son
intérét. Un troisième élément va
apparaître important, il sera développé dans la conclusion
finale, il concerne la situation internationale et plus
précisément le degré d?isolement du pays en transition
vers le socialisme.
72 «A chacun selon son travail, à Chacun
selon ses besoins» doit être selon Marx le rapport de distribution
qui caractérisera la société communiste, Cf. MARX, Karl,
Critique du programme de Gotha, op.cit.
II) Les stimulants matériels à Cuba depuis
1959 : rejet et nécessité
Comme il a été dit précédemment,
la révolution cubaine s?est donc produit dans un pays
arriéré, avec un faible développement des forces
productives, et donc des formes capitalistes de propriété (faible
développement industriel, économie essentiellement agraire).
C?est dans ces conditions que Cuba s?est engagé sur la voie de la
construction du socialisme et du communisme, et la politique économique
qui va justement consister à poser les bases de cette construction va
s?avérer importante, tant sur les rapports de production (types de
propriété...) que sur les choix stratégiques et le
développement social du pays (santé, éducation,
bien-être). La politique des stimulants matériels et des modes de
rémunération va bien sûr rentrer dans ce cadre, car comme
on l?a vu dans une première partie, le type de
rémunération va être lié au rapport de production et
donc de distribution en place.
Comme le fait remarquer un éminent économiste
cubain, en 1959, le développement des forces productives à Cuba
était telle qu?il ne nécessitait pas un haut degré (de
socialisation) de rapports de production, mais que les contradictions de
classes qui se sont produites durant les deux premières années de
la révolution, entre le pouvoir révolutionnaire et la bourgeoisie
cubaine et des Etats-Unis, suite aux différents réformes
entreprises par le pouvoir (réformes agraires, nationalisations de
certaines entreprises...), a rendu les nationalisations plus poussées
des années 1960-61 nécessaires à fin de conservation du
pouvoir politique.73
Après un laps de temps qui suivit la révolution
au moment duquel des débats eurent lieu sur l?étape de transition
du capitalisme au socialisme (voir supra) l?attitude vis-à-vis des
stimulants matériels et de la loi de la valeur dans l?étape de
transition de 1959 à aujourd?hui, peut-être
caractérisée en plusieurs périodes. Certaines au cours
desquelles les stimulants matériels ont été mis de
côté au profit des stimulants moraux et d?autres où ils
furent jugés nécessaires pour un développement accru des
forces productives. Ces changements d?attitudes ont plusieurs raisons qui
peuvent parfois revêtir une forme idéologique mais qui ont aussi
des
73 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del
desarrollo económico en Cuba, Editorial de ciencias sociales, La
Habana, 1990.
causes tant politiques qu?économiques. Nous allons donc
analyser ces différentes périodes et essayer d?en comprendre les
causes et les effets et voir les problèmes qui se sont posés et
qui se posent encore sur cette question depuis le commencement du processus
révolutionnaire cubain.
A/ Les contradictions de la première période
de la révolution cubaine
Le début de la révolution cubaine fût
sujet à des tâtonnements au niveau de la politique
économique et du système de planification à mettre en
place. De 1961 à 1963, coexistaient même trois systèmes de
gestion économique74. Il existait des petites et moyennes
propriétés privées dans l?agriculture, encore très
importante avant la deuxième réforme agraire de 1963. Dans
l?agriculture et le commerce extérieur, l?on avait affaire à un
système de gestion budgétaire étatique modifié
(avec une part plus grande de l?utilisation de la valeur), et le Système
Budgétaire de Financement (SBF) appliqué par Guevara
gérait l?industrie.
Cette période est aussi marquée par
l?émergence du débat sur la transition cubaine et la transition
du capitalisme au socialisme en général. Le fait que deux
secteurs de l?économie soient gérés de façon
différente vient du fait que les dirigeants de ces dits secteurs aient
des visions différentes au niveau de la planification socialiste. Pour
ce qui est des incitations matérielles, l?existence de deux
systèmes de direction économique va également
répondre à deux visions différentes en ce qui concerne la
stimulation au travail.
74 Idem.
1) La coexistence simultanée de deux
systèmes.
a) Le Système Budgétaire de Financement
Le SBF se fondait sur un contrôle centralisé de
l?activité de l?entreprise. La loi de la valeur n?y jouait quasiment
aucun rôle. Par exemple, le transfert d?un produit entre deux
unités économiques (entreprises ou ministères)
n?entraînait pas d?opération de paiement mais d?encaissement, car
ce secteur de l?économie fonctionnait comme s?il ne formait qu?une seule
entreprise. Ces transactions impliquaient simplement des bons de commande et
des contrats de livraisons, dont la valeur provenait des coûts
planifiés75.
Ces grandes unités économiques
(Consolidos) n?utilisaient pas non plus le crédit bancaire, ni
avaient de compte bancaire propre. Les revenus de l?entreprise
consolidée, dès leur réception, partaient dans le budget
de l?État, qui lui versait une allocation afin de couvrir ses coüts
(investissement, salaires...). Au sein de ce système, l?argent se
limitait à sa fonction de numéraire, expression sous formes de
prix de la gestion des entreprises pour refléter les coüts
planifiés. Dans ce cas, l?entreprise n?était pas en mesure de
connaître ses résultats économiques, c?est à dire
son efficience, sa rentabilité, que ce soit en termes absolus et
relatifs, ceci ne se faisait qu?au niveau global, sociétal.
b) La planification dans l?agriculture
Au niveau de l?agriculture, le système restait
fortement centralisé, et l?état ne contrôlait que 37% de la
valeur productive dans l?agriculture avant la deuxième réforme
agraire, ce qui le mettait en situation désavantageuse pour mobiliser
les ressources productives de cette branche. A partir précisément
d?aoüt 1963, après que 70% des terres agricoles fussent sous le
contrôle de l?état sous forme de fermes d?État (Granjas
estatales), un processus de régionalisation et de
décentralisation fût installé sous l?impulsion du directeur
de l?INRA (Institut National de Reforme Agraire) Carlos Rafael Rodriguez. Ce
système reprenait le
75 MOLINA MOLINA, Ernesto., «A propos de la
pensé économique de Che Guevara sur le socialisme»,
Op.cit.
modèle du calcul économique, avec utilisation de
la loi de la valeur. Au cours de la Zafra de 1963 (récolte de la canne
à sucre), un système de salaire progressif fût mis en
place, proportionnel à l?augmentation de la production des travailleurs.
Pour les récoltes de 1965 et 1966, des récompenses
matérielles furent ajoutées telles que des voyages touristiques
à Cuba ou dans d?autres pays en transition vers le socialisme, des
maisons, réfrigérateurs, automobiles... Seulement 20% des
travailleurs participaient à ce programme et 1 à 1,7% seulement
de ceux-ci bénéficièrent des
récompenses76.
Ce système de planification laissant une place à
l?autonomie des unités économiques était également
en vigueur au sein du ministère du commerce extérieur qu?Alberto
Mora dirigeait. En face de ceci, un autre système de planification
était en place dans l?industrie, dont Guevara était le ministre,
à savoir le Système Budgétaire de Financement, dont le
modèle a été expliqué ci-dessus. Cela peut bien
sûr soulever des contradictions, en tout cas suivant le
développement de chaque secteur respectif.
2) Stimulation matérielle et importance de la loi de
la valeur au début de la révolution cubaine
a) La stimulation matérielle au sein des deux
systèmes de planification
Au niveau de l?incitation au travail, les deux systèmes
ont appuyé leurs revendications. Nous voyons que dans l?agriculture, des
systèmes de salaire aux pièces et de récompenses
matérielles ont été mis en place, bien que dans une mesure
faible. Dans le secteur industriel, l?accent a été mis sur les
stimulants moraux à travers des récompenses honorifiques
(médailles, drapeaux..) distribuées par la CTC (Centrale des
Travailleurs Cubains) ainsi que par les discours des leaders qui sont là
pour encourager le peuple à l?effort de création de la
société socialiste. Il existait également des incitations
monétaires au sein du secteur industriel, des bonus pour le
dépassement des normes, mais aussi des malus pour le non accomplissement
de celles-ci. Si un travailleur n?accomplissait que 90% de la norme de
production, il perdait 10% sur son salaire, mais s?il dépassait de 10%
la norme,
76 MESA LAGO, Carmelo, «ideological, political
and economics factors in the Cuban controversy on material versus moral
incentives», Op.cit.
l?augmentation de son revenu ne correspondait qu?à la
moitié du dépassement (ici 5%), mais sans dépasser le
niveau du degré supérieur de l?échelle salariale. Ce type
de stimulant matériel correspondait à la vision de Guevara en ce
qui concerne la formation professionnelle.
Cette période fût donc une période de
tâtonnement (ce qui peut caractériser toute l?histoire de la
révolution cubaine), tant sur le plan de la politique économique
(planification) que sur celui plus particulier de la stimulation. Mais
n?oublions pas de souligner que beaucoup d?autres choses ont été
faîtes à ce moment là et qui ont une importance pour notre
raisonnement, telles que l?augmentation significative des salaires,
l?abaissement du prix des loyers et l?instauration du système de
rationnement entre autres.
b) Recherche d?explication sur l?entrée de Cuba dans
la période de transition
La priorité du nouveau pouvoir cubain dès son
introduction, fût donc la mise en place de la réforme agraire (la
1ère de 1959 était seulement une distribution des
terres aux paysans, avec peu de remise en cause de la propriété
privée, presque 70% des terres restant aux mains de producteurs
individuels), l?amélioration du sort de la population (à travers
l?augmentation des salaires et les mesures déjà décrites),
ainsi que l?industrialisation rapide du pays afin de développer les
forces productives. Les rapports de production avancés mis en place en
1961 avec les nationalisations et en 1963 avec la deuxième
réforme agraire allaient faire de Cuba, le pays à économie
planifiée dont l?Etat disposait le plus des moyens de production.
La volonté d?une industrialisation poussée,
malgré que le pays fut arriéré économiquement est
expliqué dans ces termes par José Luis Rodriguez :
« Dans les pays ou triomphe la révolution
socialiste, qui ont un niveau de développement des forces productives
élevé, le processus de création de la base
technico-matérielle du socialisme consiste dans la socialisation, la
reconstruction et la réorganisation socialiste des moyens de production,
à travers le perfectionnement de l'appareil productif
hérité, l'application intensive de la technique(...) Or dans un
pays à faible niveau de développement des forces productives, le
processus de création de la base technico-matérielle
signifie
l'industrialisation socialiste laquelle consiste en essence
à la croissance accélérée de
l'économie nationale, à partir du
développement de la grande industrie socialiste et de l'application
massive de la technique dans toute les branches de
l'économie77 ».
Durant cette période, on assiste donc à la
nationalisation de toute la grande industrie au cours de ce que l?on peut
appeler une réelle lutte de classe entre le pouvoir
révolutionnaire soutenu par le peuple et la bourgeoisie cubaine et
impérialiste (nord américaine notamment). Au niveau de
l?agriculture, après la deuxième réforme agraire, l?Etat
contrôlait 60,1% des terres c'est-à-dire une relative forte
proportion. L?état agricole du pays a facilité la mise en place
de la collectivisation, plus « facile » à entreprendre qu?en
URSS par exemple, du fait de la structure du prolétariat rural avant la
révolution78.
Quasiment 50% de ce prolétariat travaillait dans le
secteur sucrier, cumulaient de longues périodes de chômage
forcé du fait d?un nombre élevé de travaux saisonnier. Il
était donc assez détaché de la terre, de la
propriété et la situation des petits paysans propriétaires
était peu enviable. Leurs revendications allaient plutôt dans le
sens d?obtenir un revenu décent et une amélioration des
conditions de vie.
D?un autre côté, les petits commerçants
restaient autorisés. On peut donc dire que l?économie cubaine
à ce stade essayait de transiter progressivement en laissant une part
relativement importante aux éléments marchands,
c'est-à-dire à la petite production agricole, à
l?artisanat, et à l?influence relative de la loi de la valeur dans le
secteur dirigé par l?INRA.
77 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del
desarrollo económico en Cuba, Op.cit.
78Cf. GUTELMAN, Michel, L'agriculture
socialisée à Cuba : enseignements et perspectives, Maspero,
Paris, 1967.
B/ L'offensive révolutionnaire et la premiere
rectification des erreurs (1966-1975)
1) L'offensive révolutionnaire, causes et
conséquences
a) Changement de cap au niveau de la politique des stimulants
matériels et de la planification en général.
Le début de la période nommée «
offensive révolutionnaire », peut se dater en 1966, lors d?un
discours de Fidel Castro, le 26 juillet. Celui-ci, depuis le début de la
révolution, n?avait pas réellement pris parti pour l?une ou
l?autre des deux « tendances ». L?on sait que Guevara à
quitté Cuba en 1965, pour aider au développement de
guérillas dans d?autres parties du monde (Congo, Bolivie). Certains
analystes affirmaient que les mesures de l?offensive révolutionnaire
correspondaient à la vision de Guevara sur la planification, en
réalité cela peut se contredire facilement.
En effet, à la suite du discours de Fidel Castro,
très critique vis-à-vis des stimulants matériels et de
l?existence des relations marchandes sous le socialisme, la centralisation des
ressources va s?effectuer dans l?agriculture, les tenants du calcul
économique vont être relégués à des postes de
second plan, et les stimulants matériels mis en place depuis la
révolution, vont être progressivement supprimés ainsi que
les normes de travail. Un système de plans spéciaux va
gérer toutes les relations du secteur économique socialiste. Il
faut rappeler que Cuba, à ce moment, est le pays où le taux de
moyens de production détenus par l?État est le plus
élevé au sein des économies socialistes planifiées.
En hiver de l?année 1968, 56 638 petits commerçants se virent
confisqués leurs biens79. A cette date, 30% des terres
agricoles restaient de petites exploitations privées, tous les autres
moyens de productions (agricoles, industriels...) étaient
nationalisés80.
79 KARL, Terry, « Work incentives in Cuba »,
Op.cit.
80 Hormis quelques exceptions, très
contrôlées et insignifiantes au niveau statistique comme certain
transport de marchandises. Cf. RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del
desarrollo económico en Cuba, Op.cit.
La planification centralisée, sans utilisation de la
loi de la valeur, le rejet et la suppression des stimulants matériels
(ceux-ci le furent progressivement et leur suppression effective peut titre
datée de 1968) montre que les dirigeants cubains, souhaitaient
construire le socialisme et le communisme, le plus rapidement possible, sans se
soucier du degré de développement des forces productives. Mais
ces mesures traduisent également une prise en compte de la situation
économique du pays en ce qui concerne l?offre de biens de consommation.
En effet, la suppression des stimulants matériels a également
été appliquée afin de ne pas augmenter trop fortement les
revenus de la population sachant que celle-ci ne pourrait pas les
dépenser et d?éviter ainsi une hausse trop importante des
liquidités en circulation.
Cuba avait à cette époque, construit des
rapports de production plus sociaux (mais pas plus efficaces) que les
économies d?Europe de l?Est et de l?URSS alors que l?état de ses
forces productives se trouvait à un niveau nettement inférieur.
Nous reviendrons sur ce point dans la partie suivante. Pour adoucir ce jugement
nous pouvons citer Rodriguez :
« Pourtant, d'un point de vue historique, ces
erreurs, justement qualifiées « d'idéalistes » dans le
bon sens du terme, furent des erreurs qui nous amenèrent à
essayer en général d'appliquer avec anticipation des
mécanismes correspondants à un développement
supérieur mais toujours à l'intérieur de la ligne
politique stratégique du socialisme comme
système81».
Certains analystes ont affirmé que les mesures
appliquées au cours de l?offensive révolutionnaire
correspondaient aux thèses de Guevara. En réalité,
l?égalitarisme poussé mis en place durant cette période ne
fût pas préconisé par lui. Au contraire celui-ci comptait
stimuler la formation professionnelle par un certain degré de
hiérarchie salariale82. Guevara n?aurait également pas
toléré la nationalisation des petits commerces et kiosques
à café par exemple, car leur gestion entraînerait de graves
problèmes administratifs. Au cours de son séjour au
ministère de l?industrie, il avait mis en place un système de
normes de travail, qui fût abandonné au cours de l?offensive
révolutionnaire.
81 Idem
82 HABEL, Janette, Rupture à Cuba, le
Castrisme en crise, La Brèche, Paris, 1989.
L?état des forces productives, n?est pas le seul
élément qui empéchait une augmentation de la
productivité avec une si faible influence de la loi de la valeur et des
rapports de production issus du capitalisme. En premier lieu, nous pouvons
noter l?affaiblissement de l?effervescence révolutionnaire au sein de la
population et la mainmise plus prégnante de la bureaucratie sur le
pouvoir. Cet effet aurait nécessité plus de stimulants
matériels afin de motiver les travailleurs. Deuxièmement, la
situation internationale était encore caractérisée par un
relatif isolement de Cuba en tant qu?économie en transition (ou se
proclamant comme tel), méme si des rapports commençaient à
s?affirmer avec l?URSS et le «bloc» de l?Est. Ce contexte, où
les trois éléments déterminants étaient dans une
position que l?on peut caractériser de «faible» aurait
dû être une alerte pour une amplification du rôle de la loi
de la valeur au sein du secteur d?Etat ainsi que pour une augmentation de la
sphère privée.
b) Les difficultés encourues au cours de la
période de l?Offensive Révolutionnaire
Tout d?abord, les investissements dans l?industrie ainsi que
dans l?agriculture, ont été relativement élevés au
cours des années 1960. Il ne faut pas oublier de dire que la
priorité au vu du niveau de développement économique au
début de la révolution, ft l?industrialisation rapide du pays,
afin d?accroître les forces productives dans un laps de temps
réduit, tout en diversifiant l?agriculture pour ne plus être
dépendant des exportations de sucre et pouvoir substituer des
importations. Très rapidement, cette politique s?est
avérée difficile à mettre en place, tant au niveau de
l?industrialisation que de la diversification de l?agriculture.
Cuba est donc revenu à la spécialisation
sucrière, aidé par les accords cubano-soviétiques de 1964,
à travers lesquels l?URSS s?engageait à acheter du sucre cubain
jusqu?en 1970 à un prix fixé à l?avance. Le
développement du secteur sucrier devait être la base du
développement de l?industrie.
Comme il a été exprimé
antérieurement dans cette exposition, malgré l?existence de deux
systèmes de planification au cours des premières années de
la révolution, du manque de personnels qualifiés au niveau
techniques et scientifiques, et des résultats économiques peu
encourageant, les politiques sociales ont permis une amélioration
notable du bien-être de la
population, et la productivité du travail a
augmenté, bien que faiblement. La meilleure augmentation de la
productivité a eu lieu en 1964, avec une hausse de 5 à
6%83. Mais à partir de 1965 jusqu?à 1970, celle-ci va
décliner, et le taux d?augmentation de la période 1960-1970 sera
seulement de 0,4%.
Ce déclin de la productivité du travail peut
facilement être imputé à la moindre place des stimulants
matériels à partir de 1966, à leur élimination en
1968, à une direction économique trop centralisée,
à la suppression des normes de travail et à toutes les mesures
qui ont réduits considérablement le rôle de la loi de la
valeur. Ces premiers ont peut être été sous estimés
en raison d?un idéalisme et d?un dogmatisme idéologique mais
comme nous l?avons remarqué, aussi pour ne pas accroître les
liquidités monétaires dans les mains de la population. De plus,
nous pouvons penser qu?au bout de quelques années l?enthousiasme
révolutionnaire allait en s?affaiblissant, en raison d?un non
développement de stimulants moraux adéquats ainsi qu?à
cause d?une offre réduite de biens de consommation en direction de la
population, ce qui entraîna un fort taux d?absentéisme au travail.
Les travailleurs n?ayant pas besoin de plus d?argent, ils ne venaient plus
travailler à partir d?un certain moment dans le mois. En effet, depuis
la révolution les salaires ont été augmentés
sensiblement, mais ceux-ci ne pouvaient pas être dépensés
de façon efficiente.
En raison du déclin de la productivité mais pas
seulement, les résultats économiques à partir de 1965, se
sont détériorés. Par exemple, le plan sucrier signé
avec l?URSS, n?a été accompli qu?une seule fois, en 1965. Les
fois suivantes, les exportations de sucre ont été
inférieures à ceux fixés dans le plan. Un objectif majeur
que s?était fixé les autorités cubaines au milieu des
années 1960, était de produire 10 millions de tonnes de sucre
pour l?année 1970. Mais pour diverses raisons, entre autres la politique
de stimulation des années 1966-1970 et la trop faible
mécanisation de la coupe de la canne à sucre, et malgré un
nombre très élevé de travailleurs mobilisés (1
million), l?objectif ne fût pas atteint. Cela a été
ressenti comme un échec, bien que ce ft l?année où la
production de sucre fût la plus élevée de toute l?histoire
de Cuba. La récolte fût de 8,5 millions de tonnes. La forte
concentration de ressources sur cette Zafra a également
entraîné une moindre attention sur les autres secteurs de
l?économie, et a donc accru les difficultés économiques du
pays.
83 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del
desarrollo económico en Cuba, Op.cit.
René Dumont, agronome Français, fît
plusieurs visites à Cuba et fût sollicité par Fidel Castro
pour lui fournir ses observations. Celui-ci préconisait dès le
début de la révolution la création de coopératives
de production agricoles de taille assez modeste et autonomes84 et
s?affichait clairement en faveur de l?autonomie financière des
entreprises tout du moins dans l?agriculture.
« L'autonomie financière eût permis de
sanctionner l'efficience du groupe de travailleurs dont la
rémunération auraient été directement liée
à leur productivité »85.
Pour lui, il était prouvé que la conscience
révolutionnaire moyenne n?atteignait pas le niveau requit pour une
structure aussi étatisée, car il voyait dans le manque
d?efficience et l?absentéisme de certains travailleurs le fait que des
structures sans stimulants matériels aient été
établies.
La voie prise par Cuba au moment de l?offensive
révolutionnaire ft réellement précipitée. Des
rapports de production trop élevés et socialisés ont voulu
être mis en place alors que la structure des forces productives et la
conscience des masses n?était pas assez développée pour
que ceux-ci puissent pousser de l?avant ces derniers. Une volonté trop
affichée, trop pressée de vouloir supprimer au plus vite les
catégories marchandes au sein de l?économie était
caractéristique de cette période. Bien qu?il faille rejeter le
lien mécanique entre rapports de production et forces productives, les
rapports de production établis lors de l?offensive
révolutionnaire étaient un frein au développement des
forces productives, bien qu?une plus forte participation des travailleurs au
processus de décision (plan, organisation du travail) aurait pu limiter
la dégradation économique. Une amélioration de
l?environnement international de Cuba aurait permis également une
croissance plus soutenue.
On pourrait également reprendre Préobajensky et
dire que le secteur socialiste n?était pas passé par une phase
d?accumulation primitive, qui pour lui pouvait durer un temps relativement long
surtout dans un pays arriéré au niveau économique.
84 DUMONT, René, Cuba est-il
socialiste, Seuil, Paris, 1970. 85Idem.
2) Echec de la Zafra de 1970 et première «
rectification des erreurs »
a) Remise en cause de la politique appliquée depuis
l'offensive révolutionnaire
L?échec de la zafra de 1970 dont nous venons de parler,
a été le révélateur des dysfonctionnements de
l?économie cubaine et a entraîné la remise en cause des
positions prises depuis 1966 (l?offensive révolutionnaire), en ce qui
concerne la planification en général et la politique de
stimulation à l?égard des travailleurs, et donc du système
de direction économique. Jusqu?en 1975, un travail de réflexion
intense va se mettre en place afin de rendre l?économie plus
efficiente.
Dès 1971, le principe émit par Marx dans le
programme de Gotha « à chacun selon ses capacités, à
chacun selon son travail », principe correspondant à la phase
inférieur du communisme, le socialisme, est réaffirmé
comme principe de base de la rémunération du travail. Il
s?ensuit, et cela dès 1970, une reprise de l?application de normes de
travail et d?une organisation du travail mieux contrôlée dans tous
le pays. En 1972, 3 000 unités économiques étaient
normées, en 1973, 53 000 et en 1975, 69 09186. Les normes de
travail ont pour but, bien sûr, de régler le niveau de salaire des
travailleurs au niveau de la production atteint et à l?augmentation de
la productivité. En 1975, 48% des travailleurs travaillaient en accord
avec des normes de production et 20% avaient leurs salaires liés
à l?accomplissement et au dépassement de ces normes.
Des biens de consommations durables pouvaient être
accordés par les centres de travail (work centers) comme des
biens électroménagers, des biens électroniques ainsi que
des matériaux de construction pour la maison. Ces récompenses
attribuées par un comité élu par les travailleurs par
l?intermédiaire de la CTC étaient basées sur le
mérite (accomplissement ou dépassement du plan, bonne attitude et
discipline au travail...) ainsi que sur les nécessités (taille de
la famille et conditions d?habitation).
Dans le même temps, un nouveau système de
registre économique est mis en place qui réimplante le calcul des
dépenses des unités économiques en termes de valeur. La
86 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del
desarrollo económico en Cuba, Op.cit.
participation des travailleurs est également remise
à l?ordre du jour à travers une réorganisation des
processus de décisions (conseils techniques dans les entreprises) tout
comme le développement de l?émulation socialiste dans la gestion
économique du pays, à partir des accords adoptés par le
XIII congrès de la GTG de 1973. Le but affiché était ici
de lutter contre la bureaucratie et l?inefficience à travers une plus
grande participation populaire.
Les autorités cubaines se sont donc rendu compte (tout
du moins dans le discours) qu?une étape de transition afin de construire
le socialisme puis le communisme était plus que nécessaire, et
que les mesures de l?offensive révolutionnaire n?étaient pas
adéquates pour un développement soutenu de forces productives.
Egalement, la volonté d?une plus grande participation populaire aux
décisions économiques et organisationnelles et la lutte contre la
bureaucratie allaient de pair avec le développement de la conscience des
masses, et que ceci était important pour l?internationalisation des
objectifs productifs de la part du travailleur individuel afin de
développer le socialisme et donc le bien-être collectif de la
population.
b) Amélioration économique et insertion dans
le GAEM
La période 1970-1975 est marquée par une reprise
de la productivité du travail. Gelle-ci augmenta de 6% dans l?industrie
sur cette période. Dans le méme temps, la productivité
globale du travail entre 1970 et 1974 s?éleva de 41%. La hausse de la
productivité globale fût entraînée par l?augmentation
de la productivité du travail dans l?agriculture où des
améliorations au niveau de la mécanisation furent
effectuées. Le salaire moyen augmenta de 21% (70-74). Sur la
période 1965-1975, l?augmentation de la productivité moyenne
annuelle fût de 2,3%, chiffre faible dû aux mauvais
résultats de la période 1965-197087.
C?est en 1972, que Cuba va intégrer le CAEM (Conseil
d?Assistance Economique Mutuel), conseil qui gérait les relations
commerciales entre quasiment tous les pays à économies
planifiées. Depuis la révolution, et surtout depuis le blocus des
États-Unis et la proclamation du caractère socialiste de la
révolution, Cuba s?était tourné vers l?URSS et les pays
d?Europe de l?Est, avec lesquelles elle réalisait la majorité de
ses échanges. Cette
87 Idem.
intégration au sein du CAEM, s?est
réalisée afin de mettre en corrélation les plans
quinquennaux de Cuba avec les pays membres, dans le but d?amplifier et de
réaliser des échanges de façon mieux planifiés et
organisés avec ces pays.
Cette intégration va être bénéfique
pour le développement des forces productives à Cuba et pour
l?amélioration continue du niveau de vie de la population. Les relations
que l?île aura avec l?URSS et les pays d?Europe de l?Est jusqu?en 1989
seront très avantageuses. Pour exemple, qui est le plus souvent repris,
Cuba vendait du sucre à l?URSS à un prix supérieur au prix
de marché, et achetait le pétrole soviétique à un
prix inférieur à celui-ci, tout en revendant l?excédent
non consommé sur le marché mondial. L?aide financière et
technique joua également un rôle important.
Ce rapprochement va également jouer un rôle sur
le mode de direction économique que Cuba prit à partir de cette
période, en ce qui concerne la planification et la politique des
stimulants matériels. En effet, L?URSS utilisait le système de
balance matérielle pour les relations entre les entreprises
d?États, mélé à l?utilisation du calcul
économique de la loi de la valeur et à une forte dose de
stimulants matériels. Par exemple en 1956, 75% des ouvriers de l?Union
Soviétique étaient payés aux pièces, dans les
années 1980 cette proportion était ramenée à
50%.88
Des analyses simplistes jugent que le passage de Cuba à
un système de calcul économique dans les années 1970, est
dû, comme le système politique mis en place, à un «
copiage » du modèle soviétique, qui aurait bien sûr
été imposé par elle. Même si ce point de vue ne peut
être négligé, il ne peut pas répondre
entièrement à la question. Tout d?abord, Cuba n?aurait pas pu
survivre en tant que pays en transition vers le socialisme sans l? «aide
» soviétique, du fait de la petite taille de son économie et
de son voisinage avec les États-Unis. Deuxièmement et c?est ce
qui nous intéresse ici, c?est que l?expérience de
l?éviction de la loi de la valeur au sein du système socialiste
et donc des rémunérations liées au rendement, a
été
un échec, et que les dirigeants de la révolution
cubaine s?en sont rendu compte et ont düchanger de
système.
88 CHAVANCE, Bernard, Le système économique
soviétique de Brejnev à Gorbatchev, Nathan, Paris, 1989.
Bien sûr, le facteur URSS a joué un rôle.
Nous connaissons la réticence de beaucoup de cubain envers le
système yougoslave grandement décentralisé (en particulier
Guevara), et au niveau de la praxis, il ne restait plus que le modèle
soviétique. Une nouvelle expérience totalement différente
ne pouvait pas titre tentée, en raison bien sûr de l?insertion
dans le CAEM. Cuba ne sera pas un « copié collé » de
l?URSS, car il faut noter que les idées de Guevara auront et ont encore
un grand impact aujourd?hui et que l?amélioration du sort de la
population resta un objectif très important, même s?il peut
conduire certain à l?idéalisme.
C/ 1976-1986 : la mise en place du Système de
Direction et de 3 l14111}1tiW4XI lt }W4WmH
La remise en cause de la politique appliquée depuis
l?offensive révolutionnaire intervint en 1970 et conduira à
l?élaboration progressive d?un nouveau système de direction
économique. Les premières mesures décrites plus haut
formaient les prémisses de l?entrée dans le CAEM et du futur
système de direction économique, nommé Système de
Direction et de Planification de l?économie (SDPE) qui rentrera en
application en 1976.
Nous allons analyser ici la manière dont a
été mis en place le SDPE et son impact sur l?économie
cubaine ainsi que les changements qu?il a entraîné en ce qui
concerne la stimulation matérielle des travailleurs. Nous verrons par
exemple que ce système a beaucoup de similitude avec celui mis en place
en URSS suite à la réforme de l?entreprise de 1965. La prise en
compte des trois éléments (forces productives, bureaucratie, et
situation internationale) et du degré d?utilisation de la loi de la
valeur et des stimulants matériels nous permettra partiellement
d?expliquer l?évolution économique du pays durant cette
période.
1) Les implications du SDPE
a) Les raisons de son application
Le Système de Direction et de Planification de
l?Économie, fût lancé en 1976, suite aux discussions qui
ont eu lieu lors du Ier congrès du Parti Communiste Cubain de 1975. Les
objectifs affirmés du nouveau système étaient ceux-ci :
- Conjuguer l?intérêt social général
avec le particulier des organismes, provinces, entreprises et travailleurs
- Arriver à l?efficience maximale au niveau
économique à travers l?utilisation plus rationnel de ressources
matérielles et humaines et produire le maximum de résultats avec
le minimum de dépenses
- Établir des mécanismes qui assurent la
discipline nécessaire au travail et qui contribuent à
l?augmentation constante de la productivité et stimulent à
élever la qualité de la production de biens et services.
- Établir la corrélation adéquate entre
stimulants matériels et moraux de manière que les deux formes de
stimulants contribuent à la fois à l?augmentation de l?efficience
économique et d?être un instrument pour le développement de
la morale socialiste et communiste89.
Certains, à juste titre comme nous l?avons vu plus
haut, pensent que cette réforme pris comme modèle la
réforme de 1965 en Union soviétique90. Comme nous le
concevons bien, le SDPE a pour but de changer le système de direction
économique afin de ranimer la loi de la valeur au sein du secteur
socialiste (sans changer les formes de propriété) à
travers le calcul
89 PEREZ, Justo, «Le système de stimulants
dans la gestion de l?économie socialiste», Economía y
desarrollo, No 89, novembre-décembre 1985, pp. 113-119.
90ZIMBALIST, Andrew, «Incentives and planning in
Cuba», Op.cit
économique. L?instauration du SDPE est également
l?aboutissement des réflexions et des changements opérés
depuis 1970-71.
« Au cours de l'étape qui s'initia à
partir de 1976, la politique économique essaya une interprétation
plus adéquate de l'action de la loi de la valeur et de son interrelation
avec la loi du développement planifié, laquelle aurait son
expression dans les caractéristiques spécifiques du nouveau
système de direction économique qui commence à s'implanter
à partir de ce moment et dont les bases naissaient déjà
depuis 1970 »91.
Le but essentiel du nouveau système est l?augmentation
de l?efficience économique et donc de la productivité du travail,
du contrôle des ressources pour permettre un développement plus
accéléré des forces productives. Le fait d?être
intégré au sein du CAEM exige également une plus grande
discipline dans l?exécution des plans, ceci étant
coordonné entre les pays membres92. Le SDPE à pour
objectif pratique de laisser plus d?autonomie aux unités
économiques au niveau financier, de leur octroyer plus de choix
décisionnels, ainsi que d?intéresser les différents
acteurs locaux aux résultats, afin d?accomplir le plan
économique.
Une part importante des discours sur le nouveau système
de direction économique faisait référence aux incitations
au travail. Un système plus décentralisé permettrait une
meilleure coordination, une meilleure cohérence, et une plus grande
facilité à distribuer des primes ou changer de mode de
rémunération. Le SDPE était censé accroître
la place des stimulants matériels dans l?économie. Mais, comme on
peut le voir dans les discours et la littérature de la période
1976-1986, la place accordée aux stimulants moraux et au
développement de l?Homme nouveau est également très
présent, ce qui montre que la pensée de Guevara restait
très présente, mêlée à la loi de
correspondance entre les rapports de production et le développement des
forces productives, même si elle n?était pas exprimée
clairement à toutes les occasions.
91 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del
desarrollo económico en Cuba, Op.cit
92 Pour plus de détail sur la coordination
des plans de Cuba au sein du CAEM Cf. Alvarez Gonzalez, Elena, «la
planification à moyen et long terme à Cuba: notes pour un
débat, in Herrera, R, Cuba révolutionnaire Tome 2:
économie et planification, Paris, l?Harmattan, 2006.
La grande partie des auteurs mettait donc ces deux points en
avant c'est-à-dire parvenir à une combinaison adéquate
entre les stimulants matériels et moraux dans chacune des étapes
de la construction du socialisme. Donc pour cela l?on devrait prendre en compte
:
- Le niveau de développement des forces productives et
des rapports de production
- La stratégie de formation de la base
technico-matérielle du socialisme et la formation de l?Homme
nouveau93.
Ici, chez cet auteur, les deux idées sont
exposées clairement. Nous pouvons le voir aussi dans un discours de
Fidel Castro du 26 juillet 1973, phase préliminaire de l?application du
SDPE.
« Joint au stimulant moral, il faut toujours utiliser
le stimulant matériel sans abuser de
CKFRAIdMITAIII,
ISEUTE1NECDESEFP11LEnRXFSRUITHRIVILLIl'idpDIffPKFIVOIsePRQ5U1
dpvHRSSIPIgH1-l'pgRviPHITING(131s1111 1NRMWERg1a1111d1-1EbROqXIIlW ICHIEFIRCI
pFRnRPITN1/n1-sIThROMIPTIgKEZEPRUDTARal[RITHIRTM-F RPPH ili que les incitations
morales soient le prétexte pour que certains vivent du travail des
autres »94.
b) Les implications théoriques du SDPE sur la politique
des stimulants matériels
Le nouveau système de direction économique de
l?époque remettait au gout du jour la nécessité des
stimulants matériels pour les travailleurs (individuel et collectif)
durant la période de transition. Le SDPE devait théoriquement
donner une base générale et organisationnelle pour l?application
de systèmes de stimulation au sein des entreprises. La base de
raisonnement des dirigeants et intellectuels cubains de l?époque est que
les stimulants matériels, comme on vient de le dire, sont
nécessaires et doivent apporter plusieurs avantages.
93 PEREZ, Justo «Le système de stimulants
dans la gestion de l?économie socialiste», Op.cit.
94 CASTRO, Fidel, Periódico Granma, 17 juillet
1973, p.4.
Principe du système de stimulants
matériels
|
Du point de vue économique
|
Du point de vue politique
|
Active le travail de l?ouvrier
|
Est source de croissance du bien être du
peuple
|
Contribue à élever la productivité
|
Aide au développement
multidimensionnel de la personnalité
|
Contribue à la croissance de la richesse
sociale
|
|
Source : d'après Perez (1985)
Les avantages que doivent apporter le système de
stimulant serait donc ceux-là. Nous voyons que les buts sont d?une part
le développement des forces productives (productivité, croissance
de la richesse sociale) et de l?Homme dit nouveau (développement
multidimensionnel de la personnalité). Le schéma donné ici
par Perez ne nous donne pas une vision claire du processus théorique qui
devrait s?enclencher suite à la mise en application du système de
stimulants.
Mais on pourrait décrire le processus comme ceci :
application du système de stimulant ? activation du travail de l?ouvrier
? élévation de la productivité ? contribue à la
croissance de la richesse sociale ? croissance du bien-être du peuple ?
développement multidimensionnel de la personnalité.
Bien sûr, cet enchaînement reflète une
simplicité de l?analyse, mais il montre également que le
développement de la conscience, l?homme nouveau qui acquiert une
nouvelle morale (communiste), ne peut se faire sans un développement
conséquent préalable des forces productives, qui permettent
à la population de jouir de toutes les nécessités
essentielles. Même plus, on pourrait dire que celle-ci (la morale
communiste) se développe au fur et à mesure que s?accroissent les
forces productives et donc le bien-être de la population, ce dernier
étant un objectif de l?État prolétarien, contrairement
à l?État bourgeois. C?est pour
cela qu?il est important dans ce cas que le prolétariat
en tant que classe dispose d?un réel pouvoir décisionnel.
L?élévation des forces productives n?améliorera pas de
manière mécanique la morale humaine, mais joint au travail
idéologique et à la participation des travailleurs au processus
décisionnel le phénomène aurait plus de probabilité
de se réaliser.
Le SDPE va permettre aux entreprises de constituer un fonds de
stimulation économique qui sera élaboré à partir
des bénéfices de celles-ci. Les fonds de stimulation
économique devaient être destinés aux fins suivantes :
- Amélioration des conditions socioculturelles des
travailleurs de l?entreprise
- Récompenses matérielles individuelles aux
travailleurs en accord avec les résultats de la gestion de l?entreprise,
en incluant le personnel dirigeant et administratif
- Développement et amélioration des conditions
technico-productives des entreprises95
Nous voyons clairement que ce fonds est exactement le
même que celui créer en Union soviétique à partir de
la réforme de l?entreprise de 1965 (Cf. supra). De là, les
entreprises vont donc disposer et doivent disposer de trois fonds de
stimulation : le fonds de développement de la production, le fonds de
stimulation matériel (premio), et le fonds de moyens
socioculturels et de construction de logement. Ce dernier est un fonds
destiné à améliorer et à stimuler collectivement
les travailleurs par l?organisation de rencontres culturelles et sportives,
à améliorer le cadre de vie de l?entreprise et de créer
des logements pour les travailleurs. Il est à souligner que pour les
entreprises qui ne seraient pas profitables, un fonds de stimulation devait
être créé au niveau des unions et organismes de branches au
moyen des bénéfices de leurs entreprises, afin qu?une partie de
ce fonds puisse servir à stimuler quand méme les travailleurs.
Donc dans les entreprises non rentables, seul le fonds de développement
de la production disparaissait.
Nous pouvons s?étonner de cette mesure, que les
entreprises non rentables puissent tout de méme donner des primes et des
encouragements matériels à leurs salariés, mais
qu?elles
95 Sobre el sistema de dirección
et planificación de la economía, Departamento de
Orientación Revolucionaria del Comité Central del partido
Comunista de Cuba, La Habana, 1976.
n?aient pas de fonds pour développer la production par
l?investissement en outillage, ce qui pourrait de fait améliorer la
productivité du travail et la situation de l?entreprise, comme si toute
amélioration de la productivité pouvait venir des
travailleurs.
Avant de regarder de plus près les conditions
d?attribution ou de non attribution des primes, penchons-nous sur ce graphique
qui nous montre le circuit du revenu net social dans le cadre du nouveau
système.
Revenu net social
Bénéfice du bilan impôt de circulation
Bénéfice du calcul bénéfice
centralisé
Contribution au budget de l?Etat intérét
bancaire
Fonds de stimulation économique solde des
bénéfices
Fonds de développement de la production revenu
net
centralisé
Fonds de stimulation matériel
Fonds de moyens socioculturels et de construction de logement
Source : Gomez (1986)
Venons en maintenant aux critères de calcul du fonds de
stimulation matériel (premio) et aux critères
d?obtention. Le fonds de premio pour les entreprises rentables se
formait à partir de quatre indicateurs :
- Augmentation de la productivité du travail,
calculée pour la productivité nette - Diminution du coût
pour poids de la production marchande
- Croissance du bénéfice du calcul
- Augmentation de la production marchande ou de la production
pour l?exportation en unités physiques ou en valeur
Dans le cas des entreprises non rentables, seul le premier et
quatrième critère sont pris en compte96.
A côté de ces fonds de stimulation
économiques crées à partir du nouveau système de
direction économique (SDPE), un nouveau décret visant à
mieux gérer le système des primes fût énoncé.
Le décret numéro 50 du comité exécutif du conseil
des ministres, « règlements général des primes
». Il faut noter que les primes proviennent du fonds de salaire
planifié par les organismes centraux et donc diffèrent bien du
fonds de stimulation économique.
Les indicateurs à prendre en compte par les entreprises
pour le paiement des primes émis par le décret numéro 50
étaient les suivants :
- Accomplissement ou dépassement des volumes de production
et d?augmentation de la productivité du travail ainsi que des normes de
travail
- Raccourcissement du terme d?exécution d?une oeuvre ou
d?installation d?équipements, de ligne de production ou remise d?une
production
- Élévation de la qualité de la
production
- Économie de matière première,
combustibles...
- Accomplissement ou diminution des termes programmés pour
réaliser la réparation et la maintenance d?équipements et
dinstallations
- Autres indices augmentant l?efficience
technico-économiques
96 GOMEZ, Félix « Les fonds de stimulation
économique dans les entreprises de l?économie cubaine »,
Economía y desarrollo, No 90, janvier-février 1986,
pp.77-89.
Ce sont donc les indicateurs, mais ceux-ci sont soumis
à des conditions principales et non principales. Par exemple, la
production peut avoir augmenté tout en entraînant un accroissement
conséquent de l?utilisation de matières premières, dans ce
cas la condition principale n?est pas accomplie et la prime n?est pas
accordée. Le décret portait des réquisitions à
prendre en compte avant d?appliquer le système de primes :
- Paiement des primes selon la participation du travailleur. Les
primes calculées en fonction du salaire de base
- Les primes ne peuvent pas excéder 10 à 30% du
salaire de base, selon les secteurs
- Paiement mensuel, trimestriel ou annuel, le mieux étant
mensuel, ce qui permet une meilleure régularité dans le
travail
- Paiement de la prime financé par le fonds de salaire
planifié pour chaque entreprise Le droit à la prime pouvait
être retiré si :
- Violation du régime technologique
- Négligence dans l?utilisation des installations,
équipements...
- Violation des normes de protection et d?hygiène du
travail
- Autre violation de la discipline du travail97
Nous voyons donc que l?introduction du SDPE en 1976, donnait
plus d?autonomie aux entreprises afin de leur donner plus de pouvoirs de
décisions que ce soit au niveau directorial qu?au niveau des
travailleurs productifs D?autre part, cela permettrait également
d?accroître la stimulation au sein des unités économiques
ainsi que l?internalisation des buts de l?entreprise par les travailleurs De
plus, les dirigeants cubains ont également mis en place
théoriquement une plus grande discipline quant au paiement de la prime
issu du fonds de salaire, afin d?éviter le gaspillage et de payer
réellement celle-ci selon le travail fourni par le travailleur ou le
collectif de travailleurs.
97 P, Romero, « La prime comme forme de stimulant
matériel », Economía y desarrollo, No.80, mai-juin
1984, pp. 153-159.
Nous allons voir maintenant les résultats du SDPE et de
l?économie cubaine suite à son introduction jusqu?à 1986
où un nouveau tournant politique dans l?appréciation des
stimulants matériels eut lieu.
2) Les résultats de l'application du Syst~me de
Direction et de Planification de l'Economie et de l'économie cubaine
jusqu'en 1986
a) Des résultats peu satisfaisants du nouveau
système de direction économique
Certains commentateurs pensent que Cuba, à partir de
cette période à calquer son modèle sur celui de l?URSS. Si
cela est partiellement vrai, Cuba a aussi tenté de régler la
question plus pratique des rapports de production. Les intentions
étaient de donner plus d?autonomie aux entreprises donc laisser plus de
pouvoir de décision aux acteurs locaux des unités
économiques, ainsi que d?accroître la participation des
travailleurs (internalisation), rendre une importance plus élevée
au stimulants matériels, tout cela afin d?essayer d?adapter les rapports
de production au développement des forces productives.
Au commencement du SDPE, 3500 entreprises de calcul
économique furent créées. En 1978 312 entreprises
expérimentales passèrent à l?application du nouveau
système de direction économique. Ce chiffre grimpa à 2420
entreprises en 1980, dont 95% appliquèrent les principes basiques du
calcul économique98.
Au niveau de la création des fonds de stimulation, en
1979, 191 entreprises étaient inclues dans le plan de formation, et 79
d?entre elles ont eu le droit de former un fonds de stimulation. Mais 40 n?ont
pas pu distribuer le « premio », car l?augmentation du
salaire était supérieur à l?augmentation de la
productivité. 99150 travailleurs ont touché un premio
cette année là, pour une moyenne de 61 pesos chacun. (Cf.
tableau)
98 RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del
desarrollo económico en Cuba, Op.cit.
Nous voyons que les premières années, le
système de stimulation peine à se mettre en place. En fait, c?est
tout le système de direction économique qui est dans cette
situation. Cela est du au manque d?organismes et d?institutions adaptés
et qu?il faut donc créer de surcroît : logiciels statistiques,
systèmes de contrat, programmes de management...
La mise en place du SDPE correspond au premier plan
quinquennal cubain de 1976- 1980, et est donc la première
expérience dans ce domaine. Ce plan quinquennal correspond
également à l?entrée de Cuba au sein du CAEM et permet de
coordonner les plans de chaque pays.
Ce système de stimulation comme on le voit, augmenta
très rapidement à partir de 1981 et en 1985 plus d?un million de
travailleurs en profitait. En parallèle, il continuait d?exister les
primes pour accomplissement ou dépassement des normes. 1,23 millions de
travailleurs cubains avaient leur paye lié à la production, ce
chiffre resta approximativement le même jusqu?en 1985. Cela
représentait 37,2% de la force de travail. Le paiement lié au
rendement augmenta de 150% entre 1980 et 1985, mais il ne représentait
que 6% du revenu de base du travailleur en 198599.
Malgré une augmentation des stimulants matériels
employés et des rémunérations liées à la
productivité, de nombreux problèmes ont empêché un
fonctionnement plus efficace du système. Tout d?abord, la lourdeur
bureaucratique à souvent été montré du doigt, ce
qui a pu ralentir la mise en place du système et entraver
également une véritable décentralisation des
décisions au sein même des unités économiques. Pour
Gomez, il faut prendre en compte la situation internationale et les bas prix du
sucre de cette période qui ont entraîné le fait que
beaucoup d?entreprises n?ont pas accompli le plan et donc que certains
collectifs de travailleurs n?ont pas obtenu de premio. De plus,
certaines entreprises n?ont pas pu vendre leur production. Également, il
pointe la méconnaissance des fonds de stimulation dans les entreprises,
peu d?attention ayant été faite à celui-ci par
l?administration et le syndicat.
99 ZIMBALIST, Andrew, « Incentives and planning
in Cuba », Op.cit.
« Si les travailleurs ne connaissent pas les
règles du jeu, ils ne peuvent pas lutter pour élever l'efficience
des entreprises »100.
D?autres auteurs comme Zimbalist pointent au contraire une
utilisation non efficiente des primes pour accomplissement ou
dépassement des normes ou du plan. En effet ces normes seraient beaucoup
trop faibles, mal révisées, car comme on peut le voir, il
était très facile de les dépasser. Elles auraient pu
être plus élevées et auraient sûrement permis une
plus grande productivité du travail au cours de la période. Dans
leur grande majorité, ces normes étaient
élémentaires plus que techniques ou semi-techniques (75,5% contre
0,3% et 24,2% en 1987). Par exemple en 1979, 95,5% des travailleurs
opérant avec des normes excédaient leurs quotas. Il arrivait
parfois qu?au sein de certaines entreprises, il n?y ait pas eu de
révision de normes durant plusieurs années.
De plus, le pouvoir de décision a été
accru en faveur des administrateurs d?entreprises aux dépens des
conseils de travailleurs101 qui avaient pris de l?importance au
début de la décennie 1970. Ces conseils étaient
élus à bulletin secret par les travailleurs et leurs
prérogatives concernaient la discipline au travail et
éventuellement la mauvaise attitude du « chef » entre autre.
Par exemple, lorsqu?en 1972, la production nationale par tête augmenta de
21% certains économistes attribuèrent cette augmentation à
l?utilisation des stimulants matériels. Or, cette version est
contestable selon Janette Habel qui reprend les analyses de Zimbalist et
Ekstein.
« Outre que ce n'est qu'en 1974 que les salaires
furent liés a la productivité, Zimbalist et Ekstein
considèrent que les travailleurs partagèrent plus volontiers les
responsabilités des politiques auxquelles ils donnaient leurs accords.
L'évolution des relations sociales dans l'entreprise permis une
meilleure motivation des travailleurs et des propositions utiles a
l'amélioration de l'efficacité du système de production,
ce qui entraîna un accroissement de la productivité
»102.
100 GOMEZ, Félix, « Les fonds de stimulation
économique dans les entreprises de l?économie cubaine »,
Op.cit.
101 Cf. HABEL, Janette, Rupture à Cuba : le castrisme
en crise, Op.cit.
102 Idem.
En ce qui concerne les primes, il en existait de diverses
sortes, celles pour dépassement du plan en quantité ou en
qualité, économie de matières premières ou pour
l?augmentation des exportations. En 1980, elles représentaient 14
millions de pesos. En même temps que la mise en place du nouveau
système, ces primes allaient se généraliser. Leur valeur
atteignit 43,4 millions de pesos en 1981, 54,4 millions en 1982, 58.3 en 1983,
81.4 en 1984 et 90.7 millions de pesos en 1985. Cette dernière
année les primes furent payées à 1 millions de
travailleurs mais malgré leur rapide croissance, elles ne
représentaient seulement que 1,9% du revenu de base103.
|
1979
|
1980
|
|
1981
|
|
1982
|
|
1983
|
Nombre d?entreprises
inséré dans le plan de formation
|
191
|
203
|
|
?
|
|
?
|
|
?
|
Nombre
d?entreprises qui
ont le droit de former un fonds de stimulation
|
79 (seulement 40 ont pu distribuer
des
|
102
|
|
430
|
|
?
|
|
977
|
|
« premios »)
|
|
|
|
|
|
|
|
Nombre de
travailleurs ayant reçu un prix
|
99150
|
124000
|
|
447000
|
|
417200
|
|
859000
|
Montant du
|
604815
|
9600000
|
|
4335900
|
|
4040000
|
|
6760000
|
fonds de
|
0
|
|
0
|
|
0
|
|
0
|
|
« premio » en
pesos
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Tableau effectué d?après les données de
Gomez (1986) et Rodriguez (1990)
103ZIMBALIST, Andrew, « Incentives and planning
in Cuba », Op.cit.
b) Réflexions sur la stratégie cubaine du
SDPE
Il ne fait pas de doute qu?en raison des échecs
économiques de la période de l?offensive révolutionnaire,
une plus grande décentralisation des décisions, le recours plus
important aux stimulants matériels et à l?utilisation de la loi
de la valeur furent nécessaires. Mais le retour à des rapports de
production capitalistes dans certains domaines ne fût pas
appliqué. Par exemple, redonner plus d?initiative privée pour les
activités artisanales et agricoles aurait pu, tout en exerçant un
contrôle adéquate pour l?accumulation du secteur planifiée,
accroître l?offre au sein du marché interne et peut être
limiter les importations.
Nous avons vu que le SDPE n?a pas été
appliqué d?une manière efficiente en raison de divers
problèmes internes et externes : Bureaucratie, ralentissement
économique, manque d?information et de contrôle des travailleurs
eux-mêmes. Les résultats en terme de productivité et de
développement des forces productives n?a donc pas été
satisfaisant. Nous avons mentionné que méme la direction pouvait
recevoir des primes. On se rappelle qu?en Chine, à un moment
donné, les primes étaient accordées seulement aux
travailleurs manuels, la direction devant servir d?avant-garde.
A travers les discours et les différents textes
écrits durant cette période, nous voyons qu?il est redonné
une importance forte au développement de la production. Mais
contrairement à ce qu?avait observé Charles Bettelheim en Chine
peu avant le grand tournant économique, nous ne pouvons pas dire que
seulement le discours sur le primat des forces productives existait. La
volonté de transformation de la conscience restait présente
à travers la pensée de Guevara. Ceci explique peut être
pourquoi Cuba n?a pas dérivé vers le type de développement
chinois jusqu?à cette heure.
Evidemment, la nécessaire réimplantation de la
loi de la valeur et des catégories marchandes à Cuba durant cette
période rendait également nécessaire une plus forte
utilisation de stimulants matériels. Mis à part le fonds de
stimulation et les primes, peu de cas a été fait du salaire aux
pièces qui aurait pu et aurait dû être appliqué
là où cela aurait été possible. L?on peut bien
sür voir ce refus dans la réticence des autorités et de la
population vis-à-vis de
ce type de rémunération. Il faut
également mettre en avant le fait qu?un écart s?était
formé entre les élites et les masses, la conscience des
contradictions de la période de transition n?était pas
forcément assez importante et empéchait l?application de mesures
adéquates.
Cela se voit dans le fait que la décentralisation des
décisions au niveau des entreprises qui devait s?opérer ne se fit
que partiellement, et les décisions revenaient surtout aux
gérants de l?entreprise comme en URSS. Mais la période reste
caractérisée par une forte centralisation comme le fait remarquer
Dario Machado Rodriguez104.
Les erreurs dans l?application de la planification et les
effets sociaux des limites du système étaient amortis durant
cette période (1972-1989), par le schéma des relations
économiques avec l?Europe de l?Est et l?URSS. Il y avait une assurance
pour les marchés des produits cubains, et Cuba recevait à moindre
coût de la technologie, des matières premières et du
combustible105.
Les difficultés économiques ont joué un
rôle il est vrai dans la mauvaise application du nouveau système
de direction économique. En effet, durant le premier plan quinquennal
(1976-1980), la productivité (valeur ajouté divisée par le
nombre d?employé) diminua dans l?industrie, - 2,9%, tandis qu?elle
augmentait dans l?agriculture de 6,3%106. De plus, la baisse du prix
du sucre au cours du premier plan quinquennal fût importante. Cuba
vendait, certes, une bonne partie de son sucre à l?URSS et aux pays du
CAEM à un prix supérieur au marché mondial, prix qui
augmenta durant cette période (30,40 cents la livre anglaise en 1975, 44
cents en 1980), mais la chute des prix sur le marché mondial ( 20,37
cents en 1975, 9,65 en 1979)107, diminua considérablement la
rentrée de Monnaie Librement Convertible (MLC), ce qui limita les
capacités d?importation du pays pour les produits que les pays du CAEM
ne produisaient pas pour l?exportation. Ceci montre également les
difficultés que peut entraîner la spécialisation dans un
produit primaire. Des maladies frappèrent l?agriculture, comme les
exploitations de tabac, et la grippe porcine sévit dans
l?élevage.
104 MACHADO RODRIGUEZ, Darío, Es posible construir el
socialismo en Cuba, Editora Política, La Habana, 2004.
105 Idem.
106 BRUNDENIUS, Claes, Revolutionary Cuba; the challenge of
economic growth with equity, Westview press,
Boulder, 1984.
107 Idem.
Pour conclure sur la période du SDPE, nous pouvons dire
que l?utilisation de la loi de la valeur et des stimulants matériels
augmenta dans le cadre du calcul économique, bien que ce ne fût
que dans une proportion limitée. Malgré des difficultés
économiques et la non application complète du nouveau
système de direction économique qui devait augmenter le
rôle des catégories marchandes, le niveau des forces productives
augmenta durant cette période à un rythme plus ou moins soutenu.
Ce développement a été possible grâce à
l?insertion de Cuba dans le CAEM qui a limité la mauvaise gestion du
SDPE et l?insatisfaisante proportion de catégories marchandes. Car, en
ce qui concerne les deux autres éléments déterminants, le
caractère des forces productives resta faible (malgré son
amélioration) et le pouvoir bureaucratique s?est consolidé
(malgré la création des organes de pouvoir populaire). C?est donc
l?amélioration de l?environnement internationale (élément
positif) de Cuba qui lui a permis une croissance soutenue.
Malgré une amélioration au cours du
deuxième plan quinquennal (1981-1985), de nouvelles difficultés
frapperont Cuba au milieu de la décennie et entraineront la fin du SDPE,
décidée par Fidel Castro. Le processus de la Perestroïka et
de la Glasnost en URSS entraînera la désintégration du bloc
de l?Est à partir de 1989 et une grave crise économique touchera
Cuba. Nous allons analyser ces deux aspects maintenant avant de nous
intéresser aux processus de transformation de l?économie cubaine
suite à la crise économique et son implication au niveau de la
politique des stimulants matériels et des catégories
marchandes.
D/ Rectification des erreurs et des tendances
négatives et désintégration de l'URSS
En 1986, Fidel Castro annonça le déclenchement
d?un processus nommé « rectification des erreurs et tendances
négatives » visant à répondre aux erreurs et aux
disfonctionnements survenus depuis la mise en place du SDPE. Par certains
aspects ce processus ressemble à celui de l?offensive
révolutionnaire, méme s?il a des racines différentes que
nous allons analyser ici. Ce processus de rectification eu des
répercussions sur le système de stimulants matériels. Mais
il n?eut que peu le temps de se mettre en place.
En 1989, le mur de Berlin tombe, et sonne le glas des
économies planifiées d?Europe de l?Est et de l?URSS. Avec la fin
des échanges au sein du CAEM, Cuba devient isolé et s?enfonce
dans une crise économique profonde. Nous reviendrons sur les
conséquences macroéconomiques et sociales de celle-ci.
1) La rectification des erreurs et tendances
négatives, un nouveau retournement au niveau de la stimulation
matériel et de l'utilisation de la loi de la valeur
a) Les causes de ce retournement
C?est lors d?un discours en 1986 lors du IIIème
congrès du Parti Communiste Cubain et au commencement du
troisième plan quinquennal que Fidel Castro annonça la mise en
place du processus de « rectification des erreurs et des tendances
négatives ». La raison fondamentale de ce retournement,
invoquée par celui-ci, est l?utilisation trop systématique de
stimulants économiques matériels pour les travailleurs
basée sur le profit pour les unités économiques, qui
dégrade la conscience socialiste, favorise les comportements
égoïstes et individualistes, corrompt les travailleurs et les
directeurs et dilue la ferveur révolutionnaire. La pensée de
Guevara est remise en haut de l?affiche, celui-ci serait éhonté
s?il verrait comment Cuba avait évolué au niveau de l?utilisation
des stimulants matériels.
« Le Che s'opposait radicalement à utiliser et
développer les lois et catégories marchandes capitalistes au
cours de la transition du socialisme. A un moment donné, quelques unes
des idées du Che furent interprétées et appliquées
incorrectement. Certainement, il ne se réalisa aucun essai
sérieux de les mettre en pratique et nous passâmes dans une
période dans laquelle des idées complètement
opposées à la pensées économique du Che
commencèrent à se faire dominante (...) Beaucoup des idées
du Che sont absolument d'actualité aujourd'hui. »108
108 F. Castro, « discurso en la ceremonia del 20 aniversario
de la muerte del Che Guevara » Granma revista Semanal, 18 de octubre 1987,
pp. 4-5. In C. Mesa Lago, « el proceso de rectificación en
Cuba: causas políticas y efectos económicos », revista
de estudios políticos, Madrid, N°74, octobre-décembre
1991, pp. 497-530.
Mais il n?y avait pas de réelle volonté de
supprimer les stimulants matériels mais tout au moins de limiter leur
application car leur nécessité paraissait tout de même
évidente. Fidel Castro citait les salaires excessifs en comparaison avec
le travail réellement effectué, les normes de travail trop facile
à remplir, ainsi que les primes pour dépassement du plan et les
« premios » très simple à obtenir. Ceci peut
être résumé par les paroles de Fidel Castro lors du
discours de clôture de la session différée du
troisième congrès du parti, le 2 décembre 1986 :
«Nous ne devons pas renoncer à l'idée
de rentabilité de l'entreprise ni à lJidée de calcul
économique? Je ne suis contre aucun de ses mécanismes ou
catégories, toujours, entendons nous bien, que c'est le travail
politique, le travail révolutionnaire, le sentiment des
responsabilité des cadres (...)qui peuvent rendre possible l'efficience
(...) Nous devons être (~]XPJ4es, I[IJest dans la sphère de la
production matérielle que nous devons utiliser ces mécanismes
économiques, mais comme moyens auxiliaires, comme instruments
auxiliaires du travail politique et révolutionnaire ».
On retrouve donc un discours, qui sans négligé
un réel calcul économique, privilégie le travail
politique, idéologique envers la population. Le but est de trouver une
sortie intermédiaire entre les erreurs «idéalistes» de
la période 1966-1970 et les «matérialistes» du SDPE.
Mais nous ne pouvons pas seulement nous concentrer sur un discours pour
expliquer ce phénomène.
Car outre ces facteurs purement idéologiques, d?autres
causes de nature économiques et politiques peuvent nous faire comprendre
ce changement de cap. D?une part, 1985 marque le début en Union
Soviétique de la Glasnost et de la Perestroïka, qui visent à
des réformes libérales tant au niveau politique
qu?économique et qui conduiront à la chute du régime
soviétique. Au Viêt-Nam également, des réformes
laissant plus de place au marché commencèrent à se mettre
en place. Dans les autres économies planifiées d?Europe de l?Est,
des réformes du même genre s?appliquèrent progressivement.
Cuba, dans ce courant, alla à contre sens et affirma (dans le discours)
son engagement dans la construction du socialisme.
D?autre part, et ceci est un facteur économique
déterminant pour expliquer le processus de rectification des erreurs,
Cuba avait depuis les années 1980 des problèmes au niveau du
paiement de sa dette externe, et dû suspendre son paiement en 1985. Suite
à cela, il fût interdit à Cuba d?emprunter sur les
marchés internationaux. Or, ces emprunts en devises permettaient
à Cuba de financer une grande partie de ses importations de biens
d?équipements et de consommation surtout qui étaient moins
fournis au sein du CAEM. Il aurait pu se produire le méme
phénomène qu?avant l?offensive révolutionnaire. Si l?on
continuait de donner des stimulants matériels, et qu?une pénurie
de biens de consommation commençait à se produire, il y aurait eu
une augmentation des liquidités dans les mains de la population ce qui
aurait augmenté le marché noir et les tendances inflationnistes
sur celui-ci. Déjà, dès 1984, le déficit commercial
augmenta à 155 % et les réserves internationales à
disposition diminuèrent de 21%109.
b) Les implications réelles du processus de
rectification
Mais quelles ont été les conséquences de
ce processus. Cela entraîna le retour à la centralisation et donc
la fin du SDPE, l?élimination progressive des stimulants
matériels. Ceux-ci sont de nouveau condamnés, ils auraient
été trop largement utilisés et auraient renforcé
les comportements égoïstes, individualistes.
A ce moment là, seront également
supprimés les marchés libres paysans qui avaient
été autorisés au début des années 1980. Les
paysans privés se devaient de vendre leurs excédents à
l?Etat (Acopio). La raison est due à l?enrichissement excessif
de certains paysans privés et de leurs intermédiaires. Les
revenus annuels pouvaient atteindre parfois 50 000 pesos. Pourtant, avant le
processus de rectification, certains économistes cubains vantaient les
mérites des fermes privées et des marchés libres car ils
alimentaient l?augmentation de la production, ainsi qu?une meilleure
stabilité, variété et qualité des produits et par
là une meilleure satisfaction des consommateurs en raison du faible
rendement des fermes d?Etat. Mais le danger était dans la formation
d?une nouvelle classe bourgeoise ou petite bourgeoise.
109MESA LAGO, Carmelo, « el proceso de
rectificación en Cuba », Op.cit.
Le processus de rectification des erreurs et tendances
négatives va aussi accélérer le mouvement des conversions
des fermes privées en coopératives commencé au cours des
années 1970. Nous assistâmes à partir de 1986, à
l?élimination de la construction privée de logement qui avait
été revigorée au début des années 1980,
là aussi afin de stopper l?enrichissement de quelques individus. Dans le
but de suppléer à cette interdiction - le logement étant
un problème récurrent depuis le début de la
révolution - les micros brigades basées sur le travail volontaire
furent revitalisées, ce qui permit de surcroît de lutter
partiellement contre le suremploi.
Dès 1986, 28 mesures furent approuvées. Celles
ci s?appliquèrent au début de 1987110 dont celles
évoquées précédemment. Celles-ci concernaient par
exemple, une augmentation des prix afin de réduire la consommation, de
limiter les importations et d?économiser des ressources pour
l?exportation. Les années 1986-1990 furent caractérisées
par un ralentissement économique important. Le Produit Social Global
(PSG) n?augmenta que de 0,4% tandis que la productivité baissa de 2,6%.
L?absentéisme au travail reconnu une forte augmentation. Ce
ralentissement économique ne vint pas des politiques du processus de
rectification selon Mesa-Lago, il serait du à la sécheresse,
à la pluie, à la dépréciation du dollar, à
la baisse du prix du sucre, du pétrole, ainsi qu?à la carence
d?aide extérieur en monnaie convertible.
Les mesures du processus de rectification, tiennent donc aux
changements d?ordre externes et internes. D?une part, Cuba commença
à être progressivement isolé, ne pouvant plus emprunter sur
les marchés internationaux, et les termes de l?échange avec
l?URSS et les pays d?Europe de l?Est se détériorant. D?autre
part, la constitution d?une classe aisée et de profiteurs au sein
même du pays, fruit de la politique appliquée depuis le SDPE
aurait pu aller à l?encontre de la construction du socialisme et du
pouvoir des dirigeants. Les mesures visèrent donc à restreindre
la part des activités marchandes et le recours aux stimulants
matériels, et renforcèrent la centralisation des
décisions. Mais aucun projet clair n?aboutit, et les
évènements de 1989-1991 dans le camp « socialiste » en
Europe, allèrent plonger Cuba dans une crise économique sans
précédent depuis la révolution.
110 Idem.
2) La chute de l'URSS et les implications pour Cuba
a) Une crise économique très grave pour Cuba
La désintégration de l?URSS et des pays du CAEM,
a signifié la fin des échanges commerciaux
privilégiés avec ces pays. Le démantèlement du CAEM
eût lieu en 1989. Comme nous en avons parlé
précédemment, les échanges au sein du CAEM permirent
à Cuba d?augmenter ses forces productives, d?élever le niveau de
vie de sa population et de maintenir sa spécialisation sucrière,
tout en atténuant les erreurs et dysfonctionnements de son
système de planification. Cuba a donc du réorienter son commerce
extérieur, devait importer tous ses biens en MLC (monnaie librement
convertible) et donc à des prix supérieurs (pétrole) et
exporter ses produits à des prix inférieurs (sucre).
L?année 1993 est le point de chute de la crise cubaine. Entre 1989 et
1993, les exportations et les importations se contractent de 79% pour les
premières et de 73% pour les secondes111. La chute du PIB
fût de 35% entre ces deux dates. La capacité productive du pays
diminua donc fortement. L?approvisionnement en combustibles faisait
défaut ainsi qu?en pièces de rechange pour les machines agricoles
par exemple. Un secteur très touché par la crise fût celui
des transports.
La pénurie de biens entraîna un
développement fulgurant du marché noir où les prix
atteignirent des sommets. L?Etat assura tout de méme la conservation des
acquis sociaux de la révolution au niveau de l?éducation et de la
santé, et maintint la carte de distribution
(libreta112) même si certains produits, dont la
viande, ni figurèrent plus, ou seulement de façon
aléatoire. Nous avons donc assisté à une
dégradation des conditions de vie de la population. Méme s?il n?y
eu pas de famine (comme en Corée du nord), des cas de disette
entraînant sous nutrition et malnutrition ont pu être
constatés.
111 HERRERA, Rémy(Dir), Cuba révolutionnaire
tome 2 : économie et planification, Op.cit.
112 La libreta donne le droit à tout cubain de
se procurer certains biens de première nécessité à
des prix administrés très bas. Les quantités et les
produits sont différents selon les endroits, entre la Havane et la
campagne par exemple. Tous les enfants de moins de 7 ans disposent ainsi d?un
litre de lait par jour. A la Havane, à la fin de l?année 2009,
la libreta donnait droit à une livre de riz, une once de
haricot noir, un demi litre d?huile, 10 oeufs par personne et par mois. On
trouve également du café, des cigarettes. Les produits
d?hygiène (pâte dentaire, savon corporel et pour nettoyer le
linge) ainsi que la viande (essentiellement poisson, poulet et picadillo) sont
disponibles de façon aléatoire.
Le salaire réel diminua également fortement en
raison des hausses de prix, de 188 pesos en 1989 à 19 pesos en 1993 en
pesos de 1989113, ce qui fit surgir des cas de pauvreté plus
ou moins important malgré la volonté de l?Etat de continuer
d?assurer le bien être de la population. Le salaire réel en 2009
n?a toujours pas atteint son niveau de 1989 et de loin, malgré que le
salaire nominal soit passé de 188 pesos en 1989 à 414 en
2008114.
Le PIB, lui, a retrouvé son niveau de 1989 seulement en
1999. Les réformes économiques ont permis à Cuba de
refaire partir son économie, la croissance redevient positive en 1994,
méme si le rattrapage par rapport à 1989 n?est pas
opéré dans tous les domaines. Cuba a également du trouver
de nouveaux partenaires économiques fiables qu?elle a trouvé
essentiellement avec la Chine et certains pays d?Amérique latine qui ont
des gouvernements de gauche hostiles aux Etats-Unis depuis les fin des
années 1990 comme le Venezuela et la Bolivie115. Mais ces
échanges sont sans commune mesure comparable avec ceux existant à
l?époque du CAEM.
Bien sûr, durant ces quatre années de vache
maigre, l?attention portée au niveau des stimulants matériels se
réduisit, voire méme disparut. L?essentiel étant de faire
fonctionner les entreprises, dont beaucoup fermaient du fait, par exemple, d?un
manque flagrant de combustibles et de pièces de rechange pour le
matériel productif.
b) Réformes et ouverture partielle au marché
C?est à partir de 1993 que des mesures
économiques vont être mises en place afin de relancer
l?économie. En premier lieu, le tourisme va être promu en tant que
dynamiseur de l?économie En 2000, il rapporta 40% des devises de
l?Etat116. Au sein du marché noir et du
113VIDAL, Pavel « La Inflación y el
Salario Real », Economics Press Service no. 6, IPS,
febrero de 2007, La Habana.
114 Idem.
115 En 2004, füt crée l?ALBA (Alternative
Bolivarienne pour les Amériques) sous l?impulsion du Venezuela. Cuba
füt un des premiers signataires. Elle vise à des échanges
solidaires entre les pays d?Amérique latine à fin de
développement social et structurel. Aujourd?hui 7 pays en font partie.
Par exemple Cuba envoi des médecins et des maîtres dans les
quartiers défavorisés du Venezuela, et ce dernier vend du
pétrole à Cuba à des tarifs
préférentiels.
116 EVERLENY PEREZ VILLANUEVA, Omar (compilador), Reflexiones
sobre la economía Cubana, Editorial de ciencias sociales, La
habana, 2006.
fait de la forte inflation, la confiance dans le Peso s?est
effritée, et une masse importante de dollars circulait dans la
population. En réponse à cette dollarisation de facto, les
autorités cubaines vont choisir de légaliser le dollar pour la
population mais également pour les entreprises, notamment pour celles
basées sur l?exportation, car le monopole du commerce extérieur
de l?Etat fut également supprimé.
Il est important de revenir sur la suppression du monopole du
commerce extérieur sur l?Etat. Evidemment Cuba a besoin d?exporter pour
pouvoir importer, du fait d?un faible développement du marché
interne, la crise ayant de plus entraînée une grave
pénurie. Mais comme l?avait souligné
Préobajensky117, durant la NEP en URSS, une des forces de
l?accumulation socialiste primitive contre l?influence de la loi de la valeur
était le monopole du commerce extérieur contre les vagues du
marché mondial. Cuba sans ce monopole serait donc plus sujet aux
attaques de la loi de la valeur. Ceci serait un thème plus
spécifique à traiter à travers les échanges
extérieurs cubains, mais qui pourrait nous en dire beaucoup sur la
supposée transition au socialisme à Cuba.
En 1994, les marchés libres paysans seront
également autorisés. Ils n?entraîneront pas la fin du
marché noir, mais permettront de faire diminuer les prix sur ce dernier.
Le travail à compte propre sera autorisé pour des
activités comme chauffeur de taxi, chambre d?hôtes... Les
Investissements Directs à l?Etrangers (IDE) seront également
autorisés, dans la limite d?une participation de 50% dans une
entreprise, l?autre partie étant conservée par l?Etat Cubain.
Dans l?agriculture aussi, des changements important ont eu
lieu, de nombreuses Fermes d?Etats ont été transformées en
Unité Basique de Production Coopérative (UBPC), et au
début des années 2000, une restructuration a eu lieu dans le
secteur sucrier, celui-ci n?étant plus le secteur le plus important de
l?économie cubaine. Les centrales les moins rentables ont
été utilisées à d?autres fins (diversification
agricole, reforestation).
117 PRÉOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle
économique, Op.cit.
En ce qui concerne les UBPC, celles-ci, se forment donc sur
une base coopérative, différente tout de même des CPA
(coopérative de production agricole) existant à Cuba depuis les
années 1970. Au sein d?une UBPC, la terre reste propriété
de l?Etat, mais les moyens de production sont la propriété des
groupes de travailleurs, et elles sont basées sur l?autonomie
financière. La rémunération doit portée sur la
qualité et la quantité de travail. Il y a donc plus de souplesse
de décisions.
Une conséquence importante due à la crise et aux
réformes appliquées pour la résorber, est l?augmentation
des inégalités. En effet, Cuba avant 1989 était
considérer comme un des pays les plus égalitaires du monde. Les
différences entre les plus hauts revenus et les plus bas allaient de 1
à 4 voir moins selon certaines estimations. Au cours des années
1990 et en 2000 la différence est largement plus élevée,
de 825 à 1 en 1998 et de 12 500 à 1 en 2002118. Cette
augmentation provient surtout de la légalisation du travail à
compte propre qui permet à une certaines franges de la population
d?obtenir des revenus élevés, parfois en monnaie convertible
(voir infra), et également par la légalisation de l?envoi de
devises de l?étranger qui profitera à une certaine partie de la
population.
Nous avons assisté à des changements structurels
importants depuis le début des années 1990 à Cuba. Les
rapports marchands ont donc été largement augmentés dans
le système économique du pays. Mais la construction du socialisme
est toujours le but proclamé du pays, comme Raul Castro l?a
rappelé lors de son discours du 1er aout 2009. Ces rapports marchands,
l?utilisation plus ample de la loi de la valeur ont donc été une
nécessité pour la relance de l?économie, et pour le
moment, leur disparition et méme leur atténuation n?est pas
à l?ordre du jour, du fait que le rattrapage économique de la
période d?avant crise n?est pas tout à fait résolu et du
relatif isolement de Cuba au niveau international en tant que pays en
transition vers le socialisme.
Mais si l?on regarde l?ouverture au marché et à
la loi de la valeur, elle s?est plutôt réalisée sur
l?extérieur, l?étranger (fin du monopole du commerce
extérieur, IDE, tourisme) mais peu sur le plan intérieur. Bien
qu?il y ait l?ouverture des marchés agricole paysans, la
légalisation
118 MESA LAGO, Carmelo, Economía y bienestar social en
Cuba a comienzos del siglo XXI, Colibrí, Madrid, 2003.
du travail à compte propre, la création des
UBPC, ces mesures relèvent de la stricte nécessité, et la
reprise économique a surtout voulu être réalisé par
l?extérieur peut être au détriment de la revitalisation
interne de l?économie (laisser plus de place à la petite
exploitation paysanne privée, ainsi qu?à l?artisanat
privé).
E/ Cuba depuis les années 1990, Changements
structurels et attitude vis-à-vis de la stimulation matérielle
toujours non résolue
La crise économique a rendu nécessaire la mise
en place de réformes importantes dans le secteur planifié et dans
l?économie cubaine dans son ensemble. Son isolement, en méme
temps que son faible niveau de forces productives vont amener les dirigeants
à ouvrir le pays un peu plus au marché et à donner plus de
place aux catégories marchandes pour les échanges et la
production au sein de l?économie.
La plus grande place de la loi de la valeur et des
catégories marchandes ferait penser qu?une plus large place serait
donnée aux stimulants matériels. Si cela s?est produit dans une
certaine mesure par l?application de certaines mesures et processus, tel le
processus de perfectionnement des entreprises, des résistances se font
jour, et la problématique des stimulants matériels reste non
résolue dans sa totalité pour les raisons que nous allons rendre
compte ici.
1) Le problème toujours non résolu de la
stimulation matérielle
a) Dualité monétaire et stimulation
matérielle
La légalisation de la circulation du dollar tant dans
les échanges entre particulier qu?entre les entreprises est intervenue
en 1994. La crise économique a ruiné la confiance dans la monnaie
nationale, le Peso Cubain (CUP) pendant la période 1989-1993. Les prix
au marché noir, ce dernier s?étant considérablement
développé en raison de la pénurie sur le marché
étatique, ont augmenté très fortement, et des
échanges en dollar ont commencé à se réaliser de
plus en plus. On a donc eu en premier lieu, une dollarisation
de facto qui a obligé les dirigeants cubains à
légaliser la possession de devises.
En même temps que la dollarisation, une monnaie est
créée, le peso convertible (CUC). Celui-ci a remplacé
définitivement le dollar en 2004, année de la fin du processus de
dédollarisation. Trois monnaies circulèrent donc durant presque
dix ans. Or, aujourd?hui, la dualité monétaire continue
d?exister. La dédollarisation a permis à Cuba de rétablir
une certaine souveraineté monétaire mais l?existence de deux
monnaies entraîne encore des distorsions en particulier sur
l?inégalité de revenu119.
Dès lors, les entreprises travaillant pour
l?exportation (nickel...) et les entreprises mixtes pouvaient avoir des comptes
en devises120. Des systèmes de stimulants en devise se sont
mis en place. Ils sont généralement mensuels et vont de 10
à 30 CUC par mois. Il arrive parfois que l?attribution de la prime soit
automatique. Parfois son obtention est fonction de l?assiduité du
travailleur, ou de la production réalisée. Il faut voir que 10
CUC correspondent à environ 240 CUP ce qui est proche du salaire minimum
mensuel cubain. Là où par exemple dans les années 1980 les
primes (du fonds de salaire ou du fonds de stimulation de l?entreprise)
dépassaient rarement 10% du salaire de base, une stimulation de 10 CUC
peut doubler un salaire, donc représenter 100% de celui-ci. Pour un
salaire moyen (414 CUP en 2008), la stimulation en CUC va représenter 60
à 70% du salaire.
Une autre sphère de l?économie qui permet
d?obtenir des CUC est le secteur touristique, où il existe nombre
d?entreprises mixtes. Des primes peuvent également être
octroyées. Les pourboires des touristes en monnaie convertible peuvent
aussi être source d?un revenu important. Parfois, les pourboires doivent
être mis dans une caisse commune, et redistribués aux
salariés ultérieurement. Ceux-ci dépassent facilement,
suivant la période et l?affluence touristique, un salaire moyen. Ils
correspondent donc à une première source de revenu que nous
pouvons considérer comme non liée à l?effort de travail et
à la productivité. Ces deux
119 Aujourd?hui le taux de change entre les deux monnaies est
d?environ 24CUP pour 1 CUC. Un économiste cubain me disait à
juste titre que l?emploi de « devise » pour parler du Peso
convertible n?est pas justifié car il est une monnaie nationale,
créé par la Banque Centrale de Cuba.
120 Le fonctionnement de ces entreprises est assez complexe, et
nous ne nous engagerons pas dans une étude détaillée. Cela
sera l?objet d?une recherche ultérieure.
secteurs, le tourisme et les entreprises dans lesquels il
existe une stimulation en CUC, sont un pôle d?attraction pour les
travailleurs cubains, qui pourront se procurer plus de biens ou des biens non
accessibles en monnaie nationale.
Les remesas, transfert d?argent des cubains vivant
à l?étranger, sont une source de revenu considérable pour
certains cubains. Les remesas sont bien sûr de la monnaie
convertible, et sont complètement déconnectés de la
sphère productive. Tous les cubains n?en reçoivent pas et ils
sont concentrés seulement chez une certaine partie de la population, ce
qui a fortement accrus les inégalités de revenu et de niveau de
vie.
Il faut souligner, pour bien comprendre l?enjeu de la
dualité monétaire, que l?offre de biens sur le marché
étatique s?est considérablement réduite suite à la
crise. Bien sür la légalisation des marchés agricoles et
artisanaux a permis de combler un peu la pénurie, mais seulement sur les
biens de première nécessité (fruits et légumes,
viandes, vétements...) et à des prix très supérieur
que ceux du marché étatique subventionné. Or, l?on peut
trouver des biens dans les magasins en CUC introuvable en Monnaie nationale.
C?est le cas par exemple, des réfrigérateurs, micro ondes... qui
ne sont plus fournis sur le marché étatique, mais les prix sont
très élevés en CUC. Seule une partie des cubains, qui
reçoivent des remesas, qui touche des stimulants
matériels en devises ou qui travaille dans le tourisme et les
entreprises du secteur émergent, peut se fournir sur ces
marchés.
b) Regard sur l?évolution de la stimulation
matérielle et les différents problèmes de mise en
application
Outre la stimulation en « devises » qui s?est
créée suite à la légalisation de leur circulation,
d?autres formes de stimulation continue d?exister. Tout d?abord, la stimulation
en « monnaie nationale » est encore à l?ordre du jour dans les
entreprises du secteur d?Etat notamment hors du secteur émergent et du
secteur d?exportation. L?accomplissement ou le dépassement du plan est
le critère principal, ensuite, des critères d?assiduité et
d?économie de matières premières peuvent jouer.
L?octroi d?un panier de biens en nature existe dans nombre
d?entreprises, du secteur émergent ou non, par exemple les professeurs
d?université en reçoivent. Ce panier comporte
généralement, des produits de toilette (parfois juste un savon),
d?autres fois des produits alimentaires, dans certain cas cela peut être
un peu d?essence. Il est de nature le plus souvent automatique et à un
caractère mensuel ou trimestriel. Les départs en vacances pour
les travailleurs méritant qui existaient depuis les années 1960,
ont quasiment disparus121.
En 2000, 1 158 000 travailleurs avaient reçu des
stimulants en devises, 1 990 000 des stimulations en vêtements et
chaussures, 700 000 en produits de toilettes et autres et 1 461 000 en
alimentation122. Au total, 2 millions de travailleurs auraient
bénéficié de ces systèmes de stimulation
jusqu?à l?année 2000, ce qui représente moins de 50% de la
population active (chiffrée à plus de 4,5 millions en 2000). Ces
formes spéciales d?incitations matérielles équivalaient
à entre 30 et 50 millions de dollars en 1994, et à entre 80 et
110 millions en 1998 et 2000123. Voici ce que représentait en
valeur et en volume la stimulation matérielle au cours des années
1990 :
121 Informations obtenues sur la base d?entretiens, elles sont
donc imparfaites mais permettent de décrire principalement des
tendances.
122MENENDEZ DIAZ, Manuel, « Algunas
consideraciones sobre el tema de la estructura socio clasista en Cuba »,
Cuba Socialista, No 21, La Habana, 2001. Pour la CEPAL, en 1999, 1,4 Millions
de travailleurs recevaient une stimulation en devise. Cf. CEPAL, La
economía Cubana: reformas estructurales y desempeño en los
noventa, Fondo de cultura economica, México, 2001.
123DOMINGUEZ, Jorge Luis, La economía
cubana a principio del siglo XXI, Colegio de México, México,
2007.
Salaire et stimulation matérielle moyenne des
salariés
Années
|
Salaire moyen nominal (pesos)
|
Salaire + stimulation moyenne nominale
(pesos)
|
Salaire + stimulation moyenne réelle
(pesos)
|
Variation
annuelle (pourcentage)
|
1994
|
185
|
194
|
194
|
|
1995
|
194
|
205
|
232
|
19,7
|
1996
|
202
|
219
|
260
|
12,0
|
1997
|
206
|
224
|
261
|
0.2
|
1998
|
207
|
228
|
258
|
-1,1
|
1999
|
222
|
246
|
287
|
11,4
|
2000
|
238
|
268
|
320
|
11,5
|
2001
|
252
|
290
|
351
|
9,6
|
2002
|
261
|
309
|
348
|
-0,8
|
2003
|
273
|
332
|
389
|
11,8
|
2004
|
284
|
350
|
399
|
2,6
|
2005
|
330
|
389
|
427
|
6,9
|
2006
|
386
|
448
|
465
|
9,0
|
Source. Ferriol (2007) d?après ONE et CEPAL
(2000)
Aujourd?hui les mémes types de stimulation existent,
mais l?intérêt est de savoir s?ils permettent réellement
d?augmenter la productivité des travailleurs. D?après les
chiffres ici donnés, on voit que la stimulation n?a pas
réellement augmenté si l?on regarde le nombre de travailleurs
concernés, (entre 1985 et 2000) par contre, les formes de la stimulation
ont quant à eux changé du fait des changements structurels de
l?économie. Par exemple, la stimulation va être effective dans les
entreprises du perfeccionamiento empresarial, dans les secteurs
émergents, dans les UBPC également, mais elle sera difficile
à mettre en place dans les entreprises étatiques fonctionnant
pour le commerce intérieur et qui restent soumises à des
difficultés depuis la crise des années 1990.
Un problème important concernant l?efficacité de
la stimulation est son automaticité. Ce que l?on appelle stimulation, ne
l?est pas vraiment. Parfois, la prime est automatique au sens propre du mot, il
n?y a pas de contrainte. D?autre fois, elle est peu contraignante. Il faut
être absent moins de trois fois sans justification au cours du mois pour
l?obtenir124. Enfin, il arrive souvent que les personnes distribuant
les primes ne rechignent pas à les donner (syndicats...) connaissant les
difficultés et les nécessités de certains travailleurs. De
plus, le problème du transport peut affecter l?octroi des primes en
fonction de l?assiduité et des retards. En effet, si un travailleur doit
effectuer un trajet relativement long pour aller à son lieu de travail,
et qu?il y a un problème de bus (ceux-ci sont souvent pleins), les
primes ne seront pas octroyées pour une cause qui ne relève pas
de la mauvaise volonté du travailleur.
Il est certain, vu les chiffres, que les différents
types de stimulation représentent une certaine somme d?argent en
globalité. La stimulation par travailleur, si l?on prend les chiffres
cités ci-dessus représenterait, entre 40 et 55 dollars par
travailleur par an, ce équivaut à une somme importante en
moneda nacional (environ 1000 Pesos Cubains). Mais l?on voit
que ces sommes ne permettent pas une réelle efficacité au niveau
de l?effort de travail. Une solution possible serait de supprimer au maximum
les systèmes de stimulation sous forme de primes, bonus... automatiques
ou non, tout en augmentant les salaires. Ces derniers devraient être
liés, là où cela est possible, aux résultats, par
le biais d?un salaire aux pièces. Le tout en privilégiant les
124 Cas de l?entreprise de rénovation du centre historique
de la Havane.
primes restantes en Peso cubain, dans l?optique d?une
élimination de la dualité monétaire à moyen
terme125.
2) Quelle voie pour l'avenir ?
a) Le processus de perfectionnement des entreprises
Le processus de perfectionnement des entreprises
(perfeccionamiento empresarial) fut crée en 1987 dans 200
entreprises du ministère des armées (MINFAR) et visait à
une plus grande rationalisation de la production sur la base d?une plus grande
autonomie laissée aux unités économiques afin de
répondre aux problèmes du SDPE. Au vu des bons résultats
de ses entreprises et des difficultés de la décennie 1990 au
cours de laquelle des changements de méthodes de planification se sont
opérés (le calcul en balances financières a
remplacé le calcul en balances matérielles), ce système
cherchera à se généraliser à partir de 1997. C?est
la loi 187 d?aoüt 1998 qui mettra en vigueur les bases
générales du processus de perfectionnement des entreprises.
Les entreprises souhaitant intégrer le processus de
perfectionnement des entreprises doivent remplir plusieurs critères et
étapes afin de rentrer dans le processus126. Tout d?abord,
elles doivent avoir une comptabilité qui reflète les faits
économiques. La seconde étape est l?existence d?un marché
qui assure la réalisation de leurs productions et de leurs services.
Enfin, les assurances nécessaires pour la production de leurs biens et
services doivent être garanties.
Dans la recherche d?un système de gestion entrepreneurial
plus efficient, le nouveau Système de Direction et Gestion (SDG) repose
sur plusieurs composants :
125 Cette suggestion m?a été faîte par un
économiste cubain. Elle est envisageable et permettrait sûrement
une amélioration de la productivité (toutes choses égales
par ailleurs) dans le cas où les trois éléments
déterminants restent dans la même configuration.
126 Cf. TRISTA ARESU, Grisel, « El perfeccionamiento
empresarial en la empresa estatal cubana y socialista », Momentos
actuales, No18, 2000, pp. 28-35.
Exemple de rémunération dans une entreprise
cubaine
Cas de Transtur, entreprise étatique
spécialisé dans le transport en bus et la location de voiture
(Cubacar) pour les touristes. Elle fait partie du secteur dit
émergent et fonctionne selon les principes du nouveau Système de
Direction et de Gestion (Perfeccionamiento Empresarial).
Il existe deux types de travailleurs, les administrateurs et
les travailleurs productifs. Le revenu des travailleurs va se décomposer
comme suit :
- Le salaire de base (par exemple 400CUP pour un
informaticien, comme la personne qui m?a fournit les informations)
- Une stimulation en monnaie nationale - Une stimulation en
Peso convertible
- Des pourboires
Le salaire de base est lié à l?échelle
salariale en vigueur. Il n?est donc pas à la pièce pour les
travailleurs productifs car un manque de voiture ou une diminution de touristes
pourrait procurer des salaires très bas. Cependant une autre UEB
(Unité Basique d?Entreprise) de Transtur aurait mis en place un
type de salaire aux pièces. La stimulation en Peso Cubain fonctionne
suivant des critères différents selon que l?on soit travailleur
productif (ici les personnes qui loue les voitures par exemple) ou non
productif. Pour les travailleurs productifs, elle est fonction de
l?accomplissement du plan. Pour les administrateurs, le critère est
l?utilité apportée à la société
(utilidades) en fonction du profit brut (recette -- dépenses)
qui doit excéder 10%. En revanche il n?y a pas de diminution de salaire
pour non accomplissement du plan.
La stimulation en CUC est automatique. Les pourboires sont
placés dans le fond commun de l?entreprise et répartis ensuite
entre les travailleurs. Une partie est également réservée
au MINSAP (Ministère de la Santé Publique). Les autres UEB de
l?entreprise peuvent avoir des politiques de stimulation différentes.
Ces sont les Directeurs des Ressources Humaines qui vont décider du
système de stimulation en discussion avec le syndicat.
- Techniques modernes de direction
- Restructuration entrepreneurial avec l?accent mis sur la
spécialisation et l?autonomie des unités de bases
- Organisations des processus productifs
- Flexibilisation de la politique du travail et salarial
- Introduction de nouveaux systèmes de coûts
modernes
- Plus grande flexibilité des indices de planification
en réduisant ceux de caractère directif et en élevant le
rôle des indicateurs d?ordre financier et les systèmes des
garanties de la qualité qui incluent les circuits de
qualité127.
Le processus de perfectionnement des entreprises insiste sur
une plus grande participation des travailleurs, sur la
rémunération selon le travail fourni ainsi que sur une plus
grande décentralisation des décisions. Le fonds de salaire et la
moyenne des travailleurs ne sont plus des indices directifs, ils sont
modulables par les différentes directions d?entreprises ou des
Unités Basiques de Production (UEB) auxquelles elles sont
rattachées. De plus, le salaire maximum de l?échelle salariale a
été augmenté, ce qui a permit une plus grande
différenciation salariale entre les travailleurs simples et les
travailleurs complexes. L?utilisation des catégories marchandes et de la
loi de la valeur joue donc un rôle plus important au sein des entreprises
rentrant dans le nouveau système. De ce point de vue, même si cela
parait comparable au SDPE, le SDG va plus loin. Déjà en affirmant
plus fortement l?utilisation des catégories marchandes, mais
également car de réelles méthodes de gestion
managériale sont employées.
En 2000, en plus des entreprises du MINFAR, 50% des
entreprises du secteur d?Etat transitaient par les différentes
étapes du processus de perfectionnement des entreprises. Mais seulement
vingt avaient réellement intégrées le système. Ces
vingt entreprises salariaient 25 853 travailleurs, avaient un système de
rémunération selon les résultats et elles étaient
toutes rentables et apportaient au pays plus de 19 millions de
dollars128. Aujourd?hui le
127 CARRANZA, Julio, GUTTIEREZ, Luis, MONREAL, Pedro: La
reestructuración de la economía cubana.
Una propuesta para el debate. La Habana: Editorial
Ciencias Sociales 1995.
128 Cf. TRISTA ARBESU, Grisel, « El perfeccionamiento
empresarial en la empresa estatal cubana y socialista », Op.cit
nombre d?entreprises fonctionnant avec le nouveau
Système de Direction et de Gestion a augmenté, mais l?on voit que
les entreprises cubaines ont des difficultés à rentrer dans le
processus. Cela nécessite des aménagements, de nouvelles
méthodes de travail, l?accord et le soutien des travailleurs... Neuf ans
après l?initiation de ce processus en 1988, le nombre d?entreprises
approuvées pour initier le programme de perfectionnement a
été multiplié par sept (797 entreprises en 2007), mais
représentent seulement 29% de l?ensemble des entreprises et 25,5% de la
force de travail dans le pays.
Le nouveau système de direction économique
implanté encore partiellement à Cuba a été mis en
place en raison de la crise économique qui a suivi la
désintégration de l?URSS et qui à réduit
l?état des forces productives du pays (Fermeture ou mis à
l?arrêt d?usine, baisse des moyens techniques, baisse de la conscience
des travailleurs). Après la période de rectification des erreurs,
l?accent mis sur les stimulants matériels est revenu sur le devant de la
scène. Mais il faudrait nuancer. Plus que les stimulants
matériels, c?est un juste revenu correspondant à l?apport pour la
société qui est mis en avant selon le principe socialiste «
à chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail
». Un changement important également est l?augmentation des
inégalités. Ceux-ci proviennent des changements structurels
liés à la plus grande place des activités privées
marchandes et des transferts d?argent depuis l?étranger, mais c?est
également une volonté délibérée de l?Etat
qui accepte une plus grande différenciation salariale au sein du SDG, et
qui sera mise en oeuvre par la loi de 2008 sur les salaires.
L?égalitarisme, qui existait avant 1989 y est vu comme
non efficace, non efficient économiquement. Les discours sont donc
réellement portés vers le productivisme, même si l?on ne
s?attend pas pour le moment à des changements comme ils se sont produits
en Chine. Cet accent mis sur l?augmentation de la production ressort d?une
situation catastrophique pour l?économie.
b) Nouvelle orientation sur les salaires et la
rémunération en général
En 2008, une nouvelle loi sur les salaires a été
mise en vigueur. Elle vise à individualiser les primes. Auparavant,
celles-ci étaient liées aux résultats de l?entreprise et
donc aux résultats du collectif de travailleur. Maintenant, elles
doivent être le reflet de l?apport individuel du travailleur. Elles
doivent donc se rapprocher plus du principe socialiste de
rémunération « à chacun selon ses capacités,
à chacun selon son travail ». Mais ici, toute la
rémunération n?est pas fonction de l?apport individuel mais
seulement les primes. Il n?y a donc pas une généralisation du
salaire aux pièces.
Pour le moment, au bout de deux ans, la réforme a du mal
à se mettre en place, dans toutes les entreprises du secteur d?Etat.
Après la chute de l?Union soviétique, la
planification a commencé à se réaliser selon un calcul en
balance financière pour remplacer le calcul en balance
matérielle, qui n?était plus viable en raison de la grave crise
économique qui touchait Cuba. Des effort vers une plus grande
décentralisation se sont opérés, mêlés
à la suppression du monopole du commerce extérieur et au
lancement du processus de perfectionnement des entreprises. C?est pour cela
qu?il y a eu une augmentation de la stimulation matérielle pour les
travailleurs, à travers le fonds de stimulation. A partir de 2001,
cependant, une recentralisation des ressources s?est fait jour à travers
le système de compte unique et nous avons assisté donc à
une diminution de la stimulation.
Différents problèmes, comme nous l?avons vu,
empêchent un réel système de stimulation de fonctionner,
nous pouvons en citer quelques uns.
- Automaticité de certaines primes. Parfois elles sont
purement automatiques, d?autres fois, leur octroi est automatique en raison de
la connaissance des nécessités des travailleurs. Peut on alors
parler réellement de primes, ou sinon simplement de supplément de
salaires.
- Faible offre de biens de consommation du secteur d?Etat. Les
travailleurs ne vont pas être incités à accroître
leur effort de travail pour obtenir un revenu supplémentaire en Peso
Cubain s?ils ne peuvent pas le dépenser. Ce
problème se pose depuis la révolution, et est fréquent au
sein des pays en transition.
- Les critères des primes sur l?assiduité ou les
retards peuvent être biaisés car les problèmes de transport
existent toujours depuis le début des années 1990, ainsi que par
le manque de matériel de rechange pour l?outillage en
général qui peut à certains moments ralentir la
production.
- Une réelle participation des travailleurs aux
processus de décisions productifs et de répartition est
nécessaire pour les intéresser au développement de leur
lieu de travail et à fortiori du socialisme. La stimulation doit
méme s?avérer décroissante en fonction de la participation
et de la démocratie socialiste. Bien sûr des conditions de niveau
de vie doivent être atteintes.
Des transformations sociales et économiques vont encore
avoir lieu à Cuba dans un futur relativement proche. Tout peut nous
faire penser qu?un accroissement des catégories marchandes et de
l?utilisation de la loi de la valeur va se produire car à court terme
les éléments déterminants (forces productives,
bureaucratie, et situation internationale) ne devraient pas évoluer
fortement. Il faudra surement attendre le prochain congrès du PCC, qui
devrait se réunir cette année ou l?année prochaine, s?il
n?est pas une fois de plus reporté. Déjà, une nouvelle
mesure est en expérience depuis le mois d?octobre 2009 dans les
entreprises de trois ministères. Elle vise à supprimer les
restaurants ouvriers dont les prix très faibles pour les travailleurs
étaient subventionnés par l?Etat. En retour celui-ci
perçoit 15 CUP par jour qui doivent leur permettre de manger. 15 CUP sur
vingt jour sont égaux à 300 CUP c?est donc quasiment plus du
double du salaire pour un travailleur au salaire minimum. La libreta
pourrait également être supprimée dans un avenir
proche.
CONCLUSION
Méme si le nombre et l?importance des économies
planifiées en transition vers le socialisme est très largement
réduit depuis la décennie 1990, la problématique des
stimulants matériels dans ce type d?économies reste importante
tant pour Cuba que pour les pays qui rentreront dans cette voie dans un avenir
plus ou moins lointain. Nous avons vu au cours de cette étude, la
manière de poser le problème des stimulants matériels au
sein d?une économie en transition vers le socialisme au niveau
théorique et plus spécifiquement comment il tente de se
régler à Cuba dans la pratique.
Les stimulants matériels pour les travailleurs font
référence aux formes de rémunération, aux rapports
de distribution légués du capitalisme suite à la
révolution prolétarienne. Car certaines tares du capitalisme se
maintiennent durant la phase de transition, que Marx appelait l?étape
inférieure du communisme, le socialisme. Or les différentes
révolutions se sont produites au cours du XXe siècle dans des
pays arriérés économiquement et le socialisme,
c'est-à-dire le moment où les moyens de production seront
entièrement socialisés selon un calcul en temps de travail
nécessaire, ne peut être atteint dans un laps de temps très
court, en raison du faible développement industriel du pays et de la non
interdépendance de l?ensemble des branches de la production. La
transition vers le communisme est donc rallongée (bien que celle-ci ne
soit pas linéaire et non défini à priori) et une phase de
transition du capitalisme au socialisme s?ajoute à celle du socialisme
au communisme.
L?utilisation de la loi de la valeur et des catégories
marchandes au sein méme du secteur d?Etat (non encore socialisé)
s?avère nécessaire ainsi qu?un certain nombre d?enclave
privée au niveau artisanal et agricole (en fonction de leur degré
de développement). De ce fait, le maintient de formes de
rémunération propres au capitalisme est nécessaire. Tout
d?abord le salaire, qui ne peut être remplacé stricto sensu par
des bons de travail. Ensuite, les formes de rémunération les plus
appropriées du système capitaliste, c'est-à-dire le
salaire aux pièces et les stimulants dits matériels (primes,
avantages monétaires...).
Mais la persistance de ces divers éléments au
sein de la société en transition peut être d?une plus ou
moins grande ampleur. Nous pouvons dire que plus les forces productives sont
peu développées, plus la persistance des éléments
marchands dans la société en transition va être important
pour une augmentation soutenable de la productivité. Mais les forces
productives ne sont pas le seul régulateur des rapports de production,
ces derniers pouvant même être le régulateur des forces
productives. Cela va dépendre du degré de participation des
travailleurs au processus décisionnel tant politique
qu?économique et donc à l?existence effective d?une dictature du
prolétariat. En effet, l?élément le plus important serait
plutôt le phénomène bureaucratique. Plus une bureaucratie
(Bettelheim parlait de bourgeoisie d?Etat pour l?URSS) usurpe le pouvoir de la
classe ouvrière, plus l?utilisation de stimulants matériels pour
le développement de la production sera importante.
La nationalisation de certains moyens de production et
l?utilisation de stimulants matériels dans ces secteurs doit se faire si
cela ne bloque pas le développement des forces productives même si
la nationalisation de certaines branches de l?économie peut se faire
pour contrecarrer le pouvoir de la bourgeoisie dans le cadre de la lutte de
classe. Car le but d?une économie en transition vers le socialisme
reste, outre la suppression de l?exploitation de l?homme par l?homme et le
développement d?une conscience supérieur, le rattrapage
économique sur les pays capitalistes. Plus le pays est
arriéré économiquement, donc ayant une productivité
faible, plus l?accumulation socialiste primitive se réalisera sur
l?usurpation par le secteur d?état du surproduit du secteur privé
et moins sur le surproduit des travailleurs d?Etat129.
La situation internationale est un autre facteur important
pour le développement d?une économie en transition bien que nous
n?en ayons pas fait grandement état au cours de cette étude. Plus
un pays est isolé en tant qu?économie en transition, moins les
échanges solidaires, préférentiels, intégrés
dans une « division internationale socialiste du travail » sont
élevés. Le pays, surtout s?il a un faible développement
initial de ses forces productives, devra essentiellement compter sur ses
propres forces et l?utilisation de catégories marchandes devrait
être plus élevée. Bien sûr, le degré de
participation des travailleurs, intéressés pleinement au
développement socialiste, conscient des contradictions de la
période de
129 PRÉOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle
économique, Op.cit.
transition, atténuera l?utilisation de la loi de la valeur
et des stimulants matériels bien que le développement des forces
productives soit faible et que le pays soit relativement isolé.
Nous pouvons distinguer plusieurs périodes en ce qui
concerne Cuba depuis la révolution et son approche vis-à-vis des
stimulants matériels et de l?utilisation des catégories
marchandes. Tout d?abord, le début du processus révolutionnaire
fût caractérisé par un tâtonnement pratique et
idéologique qui s?est discuté à travers un débat
important dans le pays. Deux tendances se firent face entre d?une part les
partisans de Guevara qui souhaitaient laisser peu de place aux stimulants
matériels et encore moins à la loi de la valeur, et les partisans
des thèses insistant sur la nécessité de l?encouragement
matériel pendant la phase de transition du capitalisme au socialisme.
Bien qu?il ne faille pas rentrer dans une logique productiviste (le primat des
forces productives), le fait que Guevara ne parle quasiment pas de
démocratie socialiste, de participation de la classe ouvrière
peut nous faire penser que les stimulants moraux dont il parle ne ressorte que
d?un système paternaliste.
Certains ont vu dans l?échec économique de la
période de l?offensive révolutionnaire les erreurs des
thèses du Che. Or, la politique appliquée à ce moment
(caractérisée à posteriori à Cuba comme
idéaliste), ne correspondait pas réellement à ce que
Guevara proposait en particulier sur la nationalisation des petits commerces et
des activités artisanales. Cette période au cours de laquelle les
stimulants matériels ont été supprimés et où
les dirigeants croyaient être proche de la société
communiste fit un fiasco économique. N?oublions pas non plus que Guevara
pensait qu?une certaine dose de stimulants matériels était
nécessaire.
Suite à cet échec, nous assistâmes
à Cuba à une remise en cause de l?offensive
révolutionnaire, à partir de 1970, année de l?échec
de la zafra des 10 millions de tonnes. Les normes de travail furent remises en
vigueur, les rémunérations selon le travail fournit
également, et un système de direction économique
était en préparation. L?année 1972 marqua l?entré
de Cuba au sein du CAEM et donc d?une certaine division internationale entre
les économies planifiées mondiales. Le SDPE fût mis en
application en 1976, et à bien des égards il ressemblait aux
modes de fonctionnement des entreprises en URSS depuis la réforme de
1965. Les échanges préférentiels entre les pays en
transition vers le socialisme (ou s?en proclamant) qui visaient à un
rattrapage des pays les moins développés (dont Cuba et le
Viêt-
Nam) sur les plus développés permirent à
Cuba jusqu?en 1989 de rehausser le niveau de ses forces productives et le
niveau de vie de la population alors même que le niveau de ses forces
productives et l?installation d?une bureaucratie au pouvoir auraient
nécessité des rapports de production moins
développés.
Malgré des résultats économiques
relativement bons jusqu?en 1985, le SDPE ft tout de même un échec
au niveau de son implantation effective. Les stimulants matériels furent
tout de même distribués à près de deux millions de
travailleurs, bien que des problèmes d?ordre bureaucratique, de non
révision des normes de travail ou des problèmes exogènes
(climatiques, d?ordre internationaux) firent que le système ne ft pas
appliqué avec efficience.
Les difficultés économiques dont fût
confronté Cuba à partir de la moitié des années
1980 vinrent remettre en cause le SDPE. Des arguments idéologiques
furent mis en avant pour la suppression des éléments marchands de
l?économie (marchés « libres » agricoles,
activités privés dans la construction...), mais la suspension du
paiement de la dette qui empêchèrent Cuba d?emprunter sur les
marchés internationaux et qui diminua l?affluence de Monnaie Librement
Convertible pour importer, légitimait d?un point de vue
économique la réduction des stimulants matériels du fait
de la moindre importance de l?offre de biens de consommation. Aucun nouveau
système ne sera vraiment mis en application et la
désintégration de l?URSS et le passage à l?économie
de marché des pays d?Europe de l?Est à partir de 1989 vont
plonger Cuba dans une grave crise économique.
La crise économique cubaine entraina une forte
dégradation des agrégats économique, le PIB chuta de 35%
entre les années 1989 et 1993, les importations et les exportations
furent réduites considérablement. De nombreuses entreprises ne
purent continuer à fonctionner faute de matériels de rechange, de
combustibles... et la pénurie s?aggrava. Des mesures économiques
furent mises en place qui visèrent à accroître le
rôle de la loi de la valeur et des catégories marchandes dans
certains secteurs afin de résoudre les problèmes
économiques. La problématique de l?incitation matérielle
ft de moins en moins évoquée au vu des urgences du moment.
L?utilisation de la loi de la valeur et des catégories
marchandes s?accentua par les différentes mesures engagées, telle
la transformation de nombreuses fermes d?Etat en coopératives (UBPC),
par la légalisation du travail à compte propre pour certaines
activités, la réouverture des marchés dit « libres
» où les paysans privés vendent leurs excédents
à des prix qui se fixent selon la loi de l?offre et la demande ainsi que
par la suppression du monopole du commerce extérieur de l?Etat et la
légalisation des IDE dans le cadre d?entreprise mixte. La loi de la
valeur accentue donc son rôle aussi bien dans la sphère
privée par l?entremise de certains commerces (taxi,
paladares...) que dans le secteur d?Etat au sein duquel les
entreprises opérant pour l?exportation vendent et achètent des
marchandises avec le « reste du monde ». De plus, dans le cadre de la
crise et de l?isolement de Cuba au niveau des échanges internationaux
« socialistes », l?utilisation de plans quinquennaux n?est plus
possible, et les balances financières gèrent les
différents plans restreints.
L?économie se reprit à partir de 1994, bien
qu?aujourd?hui tous les indicateurs n?aient pas retrouvé leur niveau de
1989. Dans ce nouveau contexte, les stimulants matériels ainsi que la
loi de la valeur et les catégories marchandes auxquelles ils sont
liés sont nécessaires car nous avons assisté à une
stagnation voir même à une diminution des forces productives
à Cuba en raison de la crise économique, et les forces
productives potentielles ont également été réduit
en raison de l?isolement de Cuba en tant que pays en transition ou se
proclamant en transition du capitalisme au socialisme. De même la
bureaucratie se maintient, même si des espaces de positions pour les
travailleurs existent encore dans les syndicats et les organisations de masses
par exemple. Les trois déterminants qui contribue à l?existence
à plus ou moins forte dose ou à la non existence des
catégories marchandes au sein du pays en transition sont au niveau ou
l?utilisation des stimulants matériels est nécessaire pour
l?élévation de la productivité, des forces productives, du
niveau de vie de la population et de l?éventuel construction du
socialisme.
Comme nous l?avons dit au cours de ce développement,
les stimulants matériels se sont développés dans les
secteurs émergents, essentiellement destinés à
l?exportation et dans le tourisme par exemple, le tout complexifier par la
dualité monétaire qui entraîne des distorsions du fait de
l?existence de deux marchés de biens séparés (en Monnaie
convertible et en Monnaie Nationale). La stimulation en monnaie convertible
s?est largement développée et
elle permet parfois de doubler le salaire si l?on convertit
cette stimulation en monnaie nationale. Elle est notamment présente au
sein des entreprises qui ont enclenché le processus de perfectionnement
des entreprises. Le but est de généraliser ce type de direction
économique où l?autonomie des entreprises est plus
élevée, (ou la participation des travailleurs au processus
décisionnel doit également augmenter) mais depuis le début
du processus en 1998, on est loin d?avoir toutes les entreprises
intégrées car il faut qu?elles aient un minimum de finances
saines avant de pouvoir y rentrer.
Le nouveau contexte cubain depuis les années 1990,
c'est-à-dire son isolement en tant que pays en transition vers le
socialisme ou se proclamant comme tel, mêlé à la
persistance de la bureaucratie et à un bas niveau des forces productives
nécessite une forte utilisation de la loi de la valeur et des stimulants
matériels pour un accroissement plus sensible de la productivité.
Même si les catégories marchandes tiennent plus de place, des
espaces marchands peuvent encore être ouvert, par exemple, augmenter le
nombre des exploitations paysannes et les activités artisanales
privés. De plus, une mise en place plus efficace de stimulants
matériels et de salaires aux pièces a du mal à se mettre
en oeuvre. Ceci du fait, comme nous l?avons vu, à divers
problèmes comme les transports ou l?automaticité de certaines
primes.
L?isolement de Cuba au niveau international est moins
marqué aujourd?hui qu?au début des années 1990. De
nouveaux rapports commerciaux se sont mis en place comme avec la Chine ou
certains pays d?Amérique latine. Les échanges au sein de l?ALBA,
ressemble en partie aux échanges qui existaient au sein du CAEM,
c'est-à-dire des échanges relativement solidaires et qui visent
à un développement mutuel entre les pays membres. Mais ils n?ont
pas pour le moment, et de loin, l?importance des échanges que Cuba
entretenaient avec l?URSS et les pays d?Europe de l?Est.
Nous pensons que la prise en compte des trois
éléments (forces productives, bureaucratie et situation
internationale) pour identifier à peu près ce qui devrait
persister comme dose de catégories marchandes dans une économie
de transition pour un développement efficient des forces productives
peut servir de base pour une analyse des pays qui sont ou qui étaient
(qui se proclament ou se proclamaient) en transition du capitalisme au
socialisme. L?analyse de
Cuba à ici été faite sommairement, les
prémisses de résultats m?étant apparus tardivement, mais
celle-ci, devra être étendue et approfondie dans une étude
ultérieur.
BIBLIOGRAPHIE
BETTELHEIM, Charles, Question sur la Chine après la
mort de Mao Tsé Toung, Maspero, Paris, 1978.
BETTELHEIM, Charles, Planification et croissance
accélérée, Petite collection Maspero, Paris, 1968.
BETTELHEIM, Charles, Révolution culturelle et
organisation industrielle en Chine, Maspero, Paris, 1975.
BETTELHEIM, Charles, MARCHISIO, Hélène, CHARRIERRE,
Jacques, La construction du socialisme en Chine, petite collection
Maspero, Paris, 1968.
BRUNDENIUS, Claes, Revolutionary Cuba; the challenge of
economic growth with equity, Westview press, Boulder, 1984.
CARRANZA, Julio, GUTTIEREZ, Luis, MONREAL, Pedro, La
reestructuración de la economía cubana. Una propuesta para el
debate. La Habana: Editorial Ciencias Sociales 1995.
CEPAL, La economía Cubana: reformas estructurales y
desempeño en los noventa, Fondo de cultura economica,
México, 2001.
CHAVANCE, Bernard, Le système économique
soviétique de Brejnev à Gorbatchev, Nathan, Paris, 1989.
DOMINGUEZ, Jorge Luis, La economía cubana a principio
del siglo XXI, Colegio de México, México, 2007.
DUMONT, René, Cuba est-il socialiste, Seuil,
Paris, 1970.
EVERLENY PEREZ VILLANUEVA, Omar (compilador), Reflexiones
sobre la economía Cubana, Editorial de ciencias sociales, La
habana, 2006.
FERRIOL, Angela, «La inflación y el salario real:
otro punto de vista», Economic Press Service, avril
2007.
GOMEZ, Félix, « Les fonds de stimulation
économique dans les entreprises de
l?économie cubaine », Economía y desarrollo,
No 90, janvier-février 1986, pp.77-89.
GUEVARA, Ernesto, Le socialisme et l'homme à
Cuba, La havane : Institut du livre, La Havane, 1967.
GUTELMAN, Michel, L'agriculture socialisée à
Cuba : enseignements et perspectives, Paris, Maspero, 1967.
HABEL, Janette, Rupture à Cuba, le Castrisme en
crise, Paris, La Brèche, 1989.
HERRERA, Rémy (directeur), Cuba révolutionnaire
Tome 2 : économie et planification, L?harmattan, Paris, 2006.
HERRERA, Rémy, « De Morgan à Rockefeller. Le
pouvoir de la grande finance étatsunienne dans la Cuba
prérévolutionnaire », Economies et
sociétés, Presses de l'ISMEA, Paris, 2003, vol. 37,
no7-8, pp. 1279-1304
KARL, Terry, « Work incentives in Cuba », Latin
American Perspectives, Vol. 2, No.4, 1975, pp. 21-41.
KERBLAY, Basile, « Les propositions de Liberman pour un
projet de réforme de l'entreprise en U.R.S.S » Cahiers du monde
russe et soviétique, Vol. 4, No 3, 1963, pp. 301 -- 311.
LAVIGNE, Marie, Les économies socialistes
soviétiques et européennes, Armand Colin, Paris, 1979.
LAVIGNE, Marie (Dir), Travail et monnaie en économie
socialiste, Economica, Paris, 1981.
LOWY, Michael, Che Guevara, écrit d'un
révolutionnaire, Paris, La Brèche, 1987.
MACHADO RODRIGUEZ, Darío, Es posible construir el
socialismo en Cuba, Editora Política, La Habana, 2004.
MARX, Karl, Salaire, Prix, Profit, Pékin,
Editions en langues étrangères, 1996. MARX, Karl, Manifeste
du parti communiste, Librio, Paris, 1998
MARX, Karl, Le Capital, Folio, Paris, 2008.
MARX, Karl, Critique du programme de Gotha, Spartacus,
Paris, 1973.
MENEDEZ DIAZ, Manuel, « Algunas consideraciones sobre el
tema de la estructura socio clasista en Cuba », Cuba Socialista, No 21, La
Habana, 2001.
MESA LAGO, Carmelo, « Ideological, political and economic
factors in the Cuba controversy on material versus moral Incentives »,
Journal of interamerican studies on world affairs, vol. 14, No 1(Feb,
1972), pp. 49-111.
MESA LAGO, Carmelo, Economía y bienestar social en
Cuba a comienzos del siglo XXI, Madrid, Colibrí, 2003.
MESA LAGO, Carmelo, « el proceso de rectificación en
Cuba: causas políticas y efectos económicos ", revista de
estudios políticos, Madrid, N°74, octobre-décembre
1991, pp. 497-530.
PEREZ, Justo, « Le système de stimulants dans la
gestion de l?économie socialiste », Economia y dessarollo,
No 89, novembre-décembre 1985, pp. 113-119.
PREOBAJENSKY, Eugène, La nouvelle
économique, EDI, Paris, 1966.
RODRIGUEZ, José Luis, Estrategia del desarrollo
económico en Cuba, editorial de ciencias sociales, La Habana,
1990.
ROMERO, P... « La prime comme forme de stimulant
matériel ", Economía y desarrollo, La Havane, No.80,
mai-juin 1984, pp. 153-159.
SWEEZY, Paul, BETTELHEIM, Charles, Lettres sur quelques
problèmes actuels du socialisme, Petite collection Maspero, Paris,
1971.
TRISTA ARBESU, Grisel, « El perfeccionamiento empresarial en
la empresa estatal cubana y socialista ", Momentos actuales, No18,
2000, pp. 28-35.
TROTSKY, Léon, La révolution trahie,
Paris, Editions de minuit, 1973.
TROTSKY, BOUKHARINE, PREOBAJENSKY, Le débat
soviétique sur la loi de la valeur, Maspero, Paris, 1972.
VALDES GARCIA, Osvaldo, La revolución Cubana: premisas
económicas y sociales, Ciencias sociales, La Habana, 2007.
VIDAL, Pavel, « La Inflación y el Salario Real ",
Economics Press Service no. 6, IPS, febrero de 2007, La
Habana.
Sobre el sistema de dirección et planificación
de la economía, Departamento de Orientación Revolucionaria
del Comité Central del partido Comunista de Cuba, La Habana, 1976.
ZIMBALIST, Andrew, « Incentives and planning in Cuba ",
Latin American research review, No 1, 1989, pp. 65-93.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION p.2
I) La rémunération du travail et sa
stimulation dans l'étape de transition du capitalisme au
socialisme .p.7
A/ L'approche de Marx p.9
1) Rémunération du travail sous le
capitalisme p.9
a) Valeur du travail et plus value p.9
b) Salaire au temps et salaire aux pièces .p.12
2) Les suggestions de Marx pour la
rémunération dans l'étape de transition au
communisme.p.14
a) La persistance de rapports de distribution inégaux
p.14
b) Le salaire aux pièces sous le socialisme
p.15
B/ Problème fondamental : utilisation de la
loi de la valeur durant la période de transition, contradiction
plan-marché, degré de centralisation, incitation
matérielle.
Analyse théorique
|
p.16
|
1) Rapports de production et forces productives
|
p.17
|
a) La loi de correspondance entre les rapports de production
et le caractère des forces productives
|
p.17
|
|
b) Limite de la loi : non correspondance des rapports de
production et du développement des forces productives p.21
2) Le rôle de la loi de la valeur et des
catégories marchande durant la période de transition
p.24
a) Quel rôle pour la loi de la valeur ? p.24
b) Le dépérissement des catégories
marchandes p.26
C/ La stimulation au travail dans les économies
en transition au regard de la praxis : Exemples de l'URSS et de la Chine
populaire p.28
1) L'incitation matérielle en URSS : quelques
remarques
|
p.28
|
a) Communisme de guerre, NEP et Stakhanovisme
|
p.28
|
b) Les réformes économiques de 1965
|
p.31
|
|
2) Planification et stimulation matérielle en
Chine durant la première période de la révolution chinoise
(1949 - 1978) p.34
a) Orientation générale de la Chine au niveau de
la planification et des stimulants matériels suite à la
révolution de 1949 p.34
b) Révolution culturelle et grand tournant
économique p.37
D/ Cuba et la transition du capitalisme au
socialisme p.39
1) La révolution cubaine p.39
a) Les prémisses de la révolution p.39
b) La révolution de 1959 p.41
2) Le projet socialiste à Cuba
p.43
a) L?affirmation du caractère socialiste de la
révolution p.43
b) Participation des masses et transition vers le socialisme
p.45
E/ Le grand débat économique à
Cuba p.46
1) La pensée de Guevara p.47
a) Stimulants matériels et stimulants moraux
p.47
b) Rapports de production, forces productives et
planification p.49
2) L'autre « camp » et première
conclusion théorique p.50
a) Le camp de Carlos Rafael Rodríguez p.51
b) Conclusion théorique p.52
II) Les stimulants matériels à Cuba depuis
1959 : rejet et nécessité p.55
A/ Les contradictions de la première
période de la révolution cubaine p.56
1) La coexistence simultanée de deux
systèmes p.57
a) Le Système Budgétaire de Financement p.57
b) La planification dans l?agriculture p.57
2) Stimulation matérielle et loi de la valeur au
début de la révolution cubaine p.58
a) La stimulation matérielle au sein des deux
systèmes de planification p.58
b) Recherche d?explication sur l?entrée de Cuba dans la
période de transition p.59
B/ L'offensive révolutionnaire et la premi~re
rectification des erreurs (1966-1975) p.61
1) L'offensive révolutionnaire, causes et
conséquences p.61
a) Changement de cap au niveau de la politique des stimulants
matériels et de la planification en général p.61
b) Les difficultés encourues au cours de la
période de l?Offensive Révolutionnaire p.63
2) Echec de la Zafra de 1970 et première «
rectification des erreurs » p.66
a) Remise en cause de la politique appliquée depuis
l?offensive révolutionnaire p.66
b) Amélioration économique et insertion dans le
CAEM p.67
C/ 1976-1986 : la mise en place du Système de
Direction et de Planification de
l'Économie
|
.p.69
|
1) Les implications du SDPE
|
p.70
|
a) Les raisons de son application
|
p.70
|
b) Les implications théoriques du SDPE sur la politique
des stimulants matériels
|
p.72
|
|
2) Les résultats de l'application du Syst~me de
Direction et de Planification de l'Economie et de l'économie cubaine
jusqu'en 1986 p.79
a) Des résultats peu satisfaisants du nouveau
système de direction économique p.79
b) Réflexions sur la stratégie cubaine du SDPE
p.83
D/ R ectification des erreurs et des tendances
négatives et désintégration de
l'URSS....p.85
1) La rectification des erreurs et tendances
négatives, un nouveau retournement au niveau de la stimulation
matériel et de l'utilisation de la loi de la valeur
p.86
a) Les causes de ce retournement p.86
b) Les implications réelles du processus de
rectification p.88
2) La chute de l'URSS et les implications pour Cuba
p.90
a) Une crise économique très grave pour Cuba
p.90
b) Réformes et ouverture partielle au marché
p.91
E/ Cuba depuis les années 1990, Changements
structurels et attitude vis-à-vis de la stimulation matériel
toujours non résolue p.94
1) Le problème toujours non résolu de la
stimulation matérielle p.94
a) Dualité monétaire et stimulation
matérielle p.94
b) Regard sur l?évolution de la stimulation
matérielle et les différents problèmes de mise en
application p.96
2) Quelle voie pour l'avenir ? p 100
a) Le processus de perfectionnement des entreprises p.100
b) Nouvelle orientation sur les salaires et la
rémunération en général p.104
CONCLUSION p.106
BIBLIOGRAPHIE p.113
|