CONCLUSION
Parler des fêtes pour parler du rural, telle
était notre démarche. Parce que la fête est une formidable
vitrine sur une société, révélant tant
d'informations. Ses formes renvoient, en filigrane, aux formes du rural, car
leurs destins sont intimement liés : comme le rural, la fête
s'est laïcisée, dépaysannée et ouverte.
La fête témoigne donc pour le rural, et dit
beaucoup de choses. Elle nous montre, à travers ses différentes
formes, les diverses faces de la ruralité contemporaine : les
fêtes chapiteaux de jeunes agriculteurs, d'un côté, les
fêtes thématiques, de l'autre, mettent en scène deux mondes
distincts qui cohabitent dans l'espace rural, et qui renvoient à la
complexité de ce dernier. La fête laisse également voir la
fonction symbolique toujours remplie par le rural, de plus en plus disponible
pour remplir son statut de mythe. Elle témoigne aussi de la
pluralité des rapports que les ruraux entretiennent à leur
espace : mode de vie ou cadre de vie, lieu de production ou lieu de
villégiature. Elle montre, enfin, les formes prises par l'appartenance
dans ce rural métamorphosé.
Fêtes de village et nouvelles appartenances, qu'en
est-il donc ? Rechercher une appartenance classique dans une fête
actuelle serait une quête insensée et sans intérêt.
Prenons plutôt acte des transformations du rural, et essayons de tracer
les contours de ce que serait une nouvelle appartenance. Celle-ci est
liée, aujourd'hui plus qu'hier, à la fête, parce que cette
dernière est désormais, à peu de choses près,
l'unique moment pendant lequel le village redevient un centre qui fait sens.
Fonction sociale cruciale donc, de rassembler et de fédérer un
groupe. Mais ce rassemblement ne présente plus la même
forme : hier, le village abritait une véritable communauté,
qui correspondait à l'ensemble de sa population. Au sein de ce groupe,
une cohésion forte et une appartenance totale. La fête,
évidente, incontournable, lui permet de se ressourcer
périodiquement. Aujourd'hui, la fête ne va plus de soi. Elle est
fragile, incertaine, parce que le groupe villageois n'est plus une
évidence. Dans le contexte de rural ouvert, le village est en effet de
moins en moins une entité qui fait sens pour ses habitants. La
fête, quand elle existe, n'a pas alors pour fonction de
régénérer une communauté préalable, mais
elle permet de créer un groupe qui peut difficilement s'éprouver
comme tel. Le travail en commun autour d'un évènement qui voit le
village validé par le monde extérieur permet aux organisateurs de
développer une conscience fière et ainsi de se sentir partager un
espace en commun.
L'appartenance qui peut émerger d'une telle dynamique
se démarque d'une appartenance classique. D'une part, le groupe ainsi
créé à travers la fête ne correspond plus à
l'ensemble de la population du village. En font partie les villageois qui,
librement, adhèrent à un projet ; le lien social au sein du
village n'est alors plus une norme, mais un choix. D'autre part, le lien ainsi
créé relève moins du rapport total à un groupe
qu'à un rapport plus distancié d'interconnaissance, engageant
moins. Dans ce contexte, le ressourcement du groupe ne donne pas
nécessairement lieu à de grands éclats et
excès : ce n'est pas tant en faisant la fête qu'en
l'organisant que l'on se retrouve. Parmi les nouvelles formes d'appartenance
que la fête contemporaine véhicule, la mobilisation voit le
jour : autour d'un projet de village, un groupe villageois en puissance
est créé, groupe qui peut alors être mobilisé lors
d'occasions ponctuelles concernant ce projet. À la communauté
villageoise totale du passé succède alors un groupe qui prend
forme ponctuellement.
La fête contemporaine n'est donc pas une
évidence. Pour exister, elle nécessite un soutien important. Ici
interviennent les facteurs associatifs : pas de fête sans un groupe
pour la porter. Les fêtes actuelles sont ainsi tributaires de groupements
engagés et dynamiques, sans lesquels elles ne pourraient exister. Mais
pour autant, on ne peut considérer qu'entre la fête et le groupe
existe une relation causale unilatérale. Une dynamique complexe
s'installe, parce que la fête est cet account : elle
nécessite un groupe pour exister, mais elle construit en retour le
groupe qui l'épaule. Selon le contexte, un cercle vertueux ou vicieux
peut ainsi s'installer, dans la mesure où un groupe fort est susceptible
de bénéficier d'une fête forte, qui le renforce,
mécanisme inverse pour un groupe faible. Mais ne versons pas dans une
logique de causalité : ces dynamiques sont bien plus complexes, car
la fête et le groupe n'existent qu'ensemble, et ne peuvent être
pensés indépendamment.
Quand la fête ne va plus de soi, elle devient un objet
à construire. Elle est une oeuvre, un produit créé de
toutes pièces, parce qu'un moment de fête est une décision
sociale, donc arbitraire. Les fêtes thématiques illustrent bien
cette construction, à travers l'objectivation qu'elles
nécessitent de la part de leurs organisateurs : c'est en prenant
distance par rapport à soi et à sa culture que l'on construit,
consciemment, la fête. Réaliser une recherche sur un tel objet
contribue finalement à le démystifier. À travers ce
travail, il a été possible de prendre conscience de plusieurs
façons que la fête ne va pas de soi : en
révélant que la fête est construite et calculée, au
terme d'un long processus de préparation, en montrant également
que dans le paysage festif, il y a les fêtes qui durent et les nouvelles
qui tentent de se faire une place, en montrant enfin que toutes les fêtes
ne sont pas des succès, mais que certaines échouent, cette
recherche a contribué à dés-idéaliser la
fête.
Comment se dessine l'avenir des fêtes rurales ?
Tout d'abord, il faudra probablement continuer de parler de ces fêtes au
pluriel. Comme actuellement, voire peut-être même plus, le paysage
festif sera marqué par sa diversité, fonction de
l'hétérogénéité du rural, l'espace dans
lequel il s'inscrit. Dans ces fêtes plurielles néanmoins, les
fêtes thématiques et nouvelles fêtes de village, qui n'en
sont actuellement qu'à leurs débuts, pourraient bien devenir
incontournables et voir leur forme se répandre. Par ailleurs, les
fêtes devront être épaulées par des logiques
associatives, condition sine qua non de leur pérennité.
Enfin, s'il fallait déceler une clé de leur réussite, ce
serait de prendre conscience du marché sur lequel elles se positionnent.
Depuis qu'elles se sont ouvertes à un public extérieur, les
fêtes dépendent de celui-ci et doivent en prendre acte. Dans ce
contexte survivront celles qui procèderont à une lecture juste de
ce marché et des opportunités résultant de l'interaction
entre l'offre et la demande. La fête qui effectuera une proposition de
ruralité en phase avec son temps aura toutes les chances de
réussir. Les fêtes qui, à l'inverse, ne pourront pas
s'adapter à la demande, mourront. Une dure loi de l'évolution des
espèces, en quelque sorte, où seuls les organismes adaptés
survivent. Ce phénomène est la conséquence directe de
l'ouverture des fêtes : s'ouvrir à un public (et conditionner
sa réussite à la présence de ce public), c'est
également devenir dépendant de ses desiderata.
Le rural n'est pas un espace vide et mort. Les fêtes y
sont nombreuses et vivaces, et elles ne sont pas que conviviales. Elles
conservent une fonction sociale, même si l'exercice de cette fonction est
de plus en plus épineux et incertain. La fête est fragile, et
nécessite le soutien de dynamiques associatives. Pour se consolider, une
solution : se positionner sur un marché. Le propos peut sembler
paradoxal, mais ce sont bien souvent les fêtes qui répondent
à une demande qui parviennent le mieux à réunir un groupe.
L'extérieur devient alors un levier puissant pour fédérer
l'intérieur. Raisonner ainsi en termes de marché n'a rien de
désenchanteur, parce que la fête, tout comme le social, n'est pas
écrite. Ni donnée, ni naturelle, elle est un objet à
construire.
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