Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)( Télécharger le fichier original )par Etienne Doyen Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007 |
3.2.2.2. Le carnaval de BasèclesPrésentation du village et de la fêteBasècles est un village du Hainaut Occidental, situé entre Tournai et Mons. Il appartient à l'entité de Beloeil, qui compte 13 000 habitants. La population du village est de 4 700 habitants. D'emblée, il est frappant de constater la différence qu'il y a entre ce village et celui de Willaupuis. Willaupuis compte 400 habitants, Basècles en recense 4 700. Nous sommes ici en face d'ordres de grandeur radicalement différents. Willaupuis est un village, Basècles est déjà un bourg145(*). À Basècles, il y a possibilité d'identifier un centre, autour de l'église et de la place comportant la salle communale et l'école primaire. Autour de cette aire se concentrent plusieurs rues comportant des maisons relativement petites, mitoyennes, et à front de rue. On est ici loin du cas de Willaupuis où pratiquement toutes les maisons étaient situées au milieu d'un jardin, les clôturant à la fois de la rue et des maisons voisines. La concentration plus importante d'habitants à Basècles va de pair avec l'implantation de cafés et de nombreux petits commerces d'alimentation, boulangeries, boucheries, mais également d'autres commerces, comme de l'électroménager, de l'informatique, de l'habillement,... et des services tels que des agences bancaires et une pharmacie ; toute cette activité économique associée à la présence d'un centre assez ramassé confère à Basècles l'aspect d'une petite ville, d'une bourgade, loin de l'image du « petit village perdu au milieu des champs ». Les différents commerces, en tant qu'espaces de consommation, mais également de production (ils constituent une source d'emplois, qui profite majoritairement aux Baséclois), sous-tendent une pratique régulière de l'espace villageois par ses habitants. La rue, parce qu'elle est fréquentée régulièrement, est un espace de rencontre qui constitue le support d'une certaine sociabilité. Les villageois ont une expérience commune par le fait qu'ils partagent le même espace villageois. A partir de là, la perception de soi comme appartenant à un groupe plus large est possible, et affirmer « Je suis Baséclois » fait sens, plus ou moins fortement, pour les villageois. Basècles organise tous les ans son carnaval, dont la réputation dans la région est affirmée depuis plusieurs années. La fête dure trois jours, le vendredi, le samedi et le mercredi. L'observation que nous avons effectuée a eu lieu lors du vendredi, qui consacrait l'ouverture du carnaval. Contrairement au samedi, le vendredi est destiné aux participants du carnaval, et attire peu de spectateurs : ce sont les Baséclois qui effectuent son ouverture, « en interne ». La soirée à laquelle nous avons assisté suivait un programme assez précis. Les carnavaleux, regroupés en « sociétés » (il y en avait vingt cette année), se rassemblent d'abord sur la placette située derrière l'église, pour écouter le discours du curé. Avant de présenter le déroulement de la soirée, il convient d'expliquer plus précisément ce que sont les « sociétés ». Elles regroupent sous un même nom (par exemple, les « Crocheux », les « Bagnards », les « Chiqueux d'caramel »,...) plusieurs carnavaleux qui portent un même costume en lien avec ce nom146(*). Chaque société est généralement centrée autour d'un café du village, à partir duquel ses membres se rencontrent et organisent leurs activités. Être membre d'une société implique le paiement d'une cotisation et n'est accordé qu'aux Baséclois, c'est-à-dire nés de parents baséclois ou habitant à Basècles. Si un « étranger » veut intégrer une société, il doit trouver des parrains baséclois qui se portent garants pour lui. Comme on nous l'a dit, « il n'est pas question qu'un Tournaisien vienne ici faire le malin ! » ; il s'ensuit pratiquement que « si t'es pas de Basècles, t'es pas dans le cortège ». Ce sont les membres des vingt sociétés qui forment le carnaval de Basècles et défilent dans le cortège du samedi après-midi, accompagnés, pour ceux qui en possèdent, de leur(s) géant(s) et de leur « Musique ». Les Musiques sont des groupes de musiciens extérieurs que les sociétés paient pour les faire danser et les accompagner pour la durée du carnaval. Ils se composent généralement de quelques percussions et de cuivres. Rassemblées derrière l'église, les sociétés écoutent le curé leur adresser ses bons souhaits et implorer le ciel en vue d'une météo favorable pour le week-end de festivités. C'est l'occasion de commencer à boire et à danser. L'assemblée se dirige alors vers la salle communale, où va se dérouler l'ouverture du carnaval. Pendant une heure, les carnavaleux vont successivement assister à la présentation des vingt sociétés ; au discours du bourgmestre de l'entité, qui remettra symboliquement les clés du village aux carnavaleux ; à l'intronisation des « Crocheux d'honneur », titre référant à la société qui a fondé le carnaval et qui sera attribué cette année au bourgmestre ainsi qu'à un député provincial147(*). Le point d'orgue de cette cérémonie d'ouverture est sans conteste le rituel qui la clôture : il s'agit de l'hymne baséclois, chanté à pleins poumons par quasi toute l'assemblée, qui se tient alors par les coudes et se balance. La suite de la soirée est moins formalisée : les membres de certaines sociétés restent dans la salle communale à parler et à boire tandis que d'autres défilent dans quelques rues avec leur géant et leur Musique afin de se préparer une dernière fois pour le grand cortège du lendemain. Plusieurs sociétés se retrouvent finalement dans leur café d'attache. La soirée se termine plus ou moins tôt selon les envies et obligations de chacun. Certains carnavaleux partent dès 23h00, d'autres prolongent la soirée jusqu'à une heure du matin. Il ne faut pas perdre de vue que l'essentiel des festivités se déroule le lendemain, et que les carnavaleux se réservent pour la soirée du samedi, qui sera plus longue. Basècles. Sur les murs du village, l'évènement de l'année est annoncé. Rassemblées derrière l'église, les sociétés écoutent le curé leur adresser ses bons souhaits et implorer le ciel en vue d'une météo favorable pour le week-end de festivités. C'est l'occasion de faire danser une première fois les géants et de commencer à boire. * 145 Ce qui est ici intéressant, c'est la différence radicale entre deux villages, Willaupuis et Basècles, qui ne sont pourtant distants que de six kilomètres. On peut tenter d'identifier des facteurs qui joueraient un rôle plus ou moins important dans l'existence de ces différences. Ainsi, si l'on s'intéresse brièvement à l'histoire et à l'économie de Basècles, il n'est pas anodin de souligner qu'il s'agit d'un ancien village industriel, connu également sous le nom de « la Cité des Marbriers ». Le village recelait en effet de nombreuses carrières d'où était extraite une pierre qui, après traitement, donnait un marbre noir qui était fort apprécié en Belgique comme à l'étranger. Le village était donc à l'époque un grand centre de production. Si cette activité est maintenant révolue, elle a néanmoins contribué à enrichir le village et à en faire augmenter le nombre d'habitants. Un autre facteur important est la localisation du village : celui-ci est situé exactement entre Tournai et Mons, et est traversé par la Nationale 50 qui relie ces deux villes. Même si l'autoroute E42 permet maintenant de faire ce trajet, la N50 était jusque dans les années 1970 la seule route rapide qui reliait ces deux villes et reste toujours actuellement une voie très fréquentée. Cette dernière traverse véritablement le village de Basècles, ce qui a soutenu le développement d'établissements de petite restauration notamment. À l'inverse, Willaupuis apparaît comme un village historiquement agricole et sans carrière. A cela, il faut ajouter que le village est excentré par rapport aux grands axes du Hainaut Occidental ; au contraire de Basècles, il n'est pas un point de passage. Ces deux facteurs, l'histoire et la localisation du village, ont un rôle à jouer dans la forme différente des deux villages et la différence de population qui en découle, qui varie du simple au décuple. Avec une population de 4 700 habitants, Basècles constitue une aire viable pour des petits commerces, ce qui n'est pas le cas de Willaupuis. Partant, la sociabilité qui se développe dans ces espaces ainsi structurés se différencie. Nous sommes ici renvoyés une fois de plus à l'hétérogénéité du rural. Si Basècles et Willaupuis sont regroupés sous le même vocable de « village », ils présentent pourtant des formes spatiales et sociales radicalement distinctes, bien qu'ils ne soient distants que de quelques kilomètres. Pour approfondir cette réflexion, voyons Champagne, op. cit., 1975. * 146 Les « sociétés » ne sont pas propres à Basècles. Ces groupements de carnavaleux sous un même costume et un même nom se retrouvent dans divers carnavals hennuyers et wallons ; ils prennent également parfois le nom de « confréries ». * 147 Ces intronisations se retrouvent fréquemment dans les fêtes qui, comme le carnaval de Basècles, présentent une référence à la « tradition » que l'on perpétue d'une manière assez formalisée, se rapprochant par là des fêtes de confréries décrites par Fournier. Dans le Hainaut occidental, on retrouve ainsi, entre autres, l'intronisation des nouveaux chevaliers à « l'ordre du Ramon », à Ellezelles, l'adoubement à la société des « Hussards », à Harchies, ou encore l'intronisation des nouveaux compagnons à « la confrérie de Toubac », à Herseaux. Les personnes sujettes à ces intronisations sont généralement des célébrités locales (hommes politiques, journalistes, etc.), des personnes actives dans la vie associative locale ou impliquées dans les festivités en question. |
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