Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)( Télécharger le fichier original )par Etienne Doyen Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007 |
2.2. ProblématiquePour exposer notre problématique, nous allons repartir du cheminement personnel qui est à l'origine de ce travail. Des fêtes vivaces... dans un espace mort ?Ce mémoire est parti, initialement, d'un constat personnel portant sur la vivacité des fêtes de village dans notre région. Cette observation se base sur les fêtes d'été, que l'on appelle « les chapiteaux » (cf. infra). On peut parler à leur sujet d'une véritable saison, comme on parle d'une saison de Formule 1 ou de football : pendant une période définie de l'année (d'avril à octobre), la même forme de festivités se produit chaque week-end, chaque village ou presque de la région organisant ainsi sa fête. Chaque année, la saison se réitère et les organisateurs comme le public sont présents avec une régularité impressionnante. Ce caractère répétitif est ainsi d'application à la fois à l'intérieur de la saison, d'un week-end à l'autre, et entre les saisons elles-mêmes. Chaque village conserve en effet la même date de festivités d'une année à l'autre (par exemple, « le troisième week-end de juillet ») pour fidéliser un public. Dans ce qui constitue véritablement un marché, nous le verrons, l'enjeu, pour les organisateurs de ces festivités, est d'introduire de la différence tout en restant dans le même. Autrement dit, il s'agit de se différencier, de proposer les nouveautés qui sont susceptibles de faire la différence par rapport aux voisins, tout en restant dans un même registre, dans une même forme de fête, afin que la comparaison soit toujours possible - il ne s'agit pas de se trouver « hors jeu ». Chaque année, c'est la même pièce qui se rejoue : la valse des chapiteaux reprend ses droits. On ressort les panneaux publicitaires de l'année précédente, on modifie la date (« 15-16-17 août » devient ainsi « 14-15-16 août ») et on les plante le long des nationales et près des carrefours. Chaque week-end, ce sont parfois jusqu'à cinq villages de la région qui organisent simultanément leur chapiteau. Chaque jeudi et vendredi, la presse locale annonce les festivités ; chaque lundi, un compte-rendu du week-end est publié. L'affluence lors de ces fêtes est considérable, les villages accueillant ainsi plusieurs milliers de personnes sur un week-end. Au final, ces fêtes rythment l'été de la région, à tout le moins l'été « rural », et constituent un véritable fait social95(*). Cette observation, si elle semble anodine, est en réalité frappante. Elle entre en contradiction avec une représentation ambiante du rural comme un espace en perte de vitesse. C'est ce paradoxe apparent qui nous a poussés à entreprendre un mémoire sur ces fêtes. En effet, si l'on consulte certains écrits, si l'on écoute certains acteurs du monde rural, force est de constater qu'une certaine image de ce monde circule - une représentation de la ruralité comme essoufflée, comme un mode de vie autrefois glorieux qui n'est plus ce qu'il était. L'agriculture est en profonde restructuration depuis plusieurs décennies. Le formidable mouvement de concentration des exploitations qu'elle connaît est corollaire d'une diminution structurelle et constante du nombre d'agriculteurs. Parallèlement à cette mutation structurelle difficile à vivre, les agriculteurs ont récemment dû faire face à un certain nombre de crises du secteur alimentaire (dioxine, vache folle, grippe aviaire), qui ont terni leur image sociale. Ces facteurs conjugués expliquent pourquoi ce corps professionnel traverse une véritable crise identitaire96(*). Lorsqu'ils s'expriment, ces acteurs dépeignent leur espace comme morose et vide. Selon leur discours, les campagnes sont désenchantées, le rural est mort et les villages sont devenus des « dortoirs ». Ce discours désabusé ne peut être pensé indépendamment de la crise identitaire ci-dessus évoquée. Le rural d'antan, les agriculteurs l'associent à la prospérité passée, éventuellement mythifiée. Fâchés avec leur temps, ils considèrent la ruralité contemporaine de façon péjorative, en l'identifiant comme responsable des maux qui les affectent. Il en est ainsi parce que l'ouverture des villages à des populations nouvelles a remis en question la place centrale qu'y occupaient les agriculteurs, qui sont désormais obligés de composer avec des utilisateurs qui entretiennent un rapport différent à l'espace rural. L'émergence du rural comme un cadre de vie, chez ces nouveaux habitants, est en réalité synonyme de conflits et de concessions en perspective pour les agriculteurs, dans un contexte de cohabitation difficile. Il est fort probable d'ailleurs que ces derniers soient les colporteurs les plus dévoués d'une idéalisation du rural passé, telle que nous l'avons décrite supra. Une représentation des villages comme vides et désenchantés peut donc être portée par certains agriculteurs. Cependant, cette position ne constitue pas un diagnostic complet et correct de la ruralité actuelle : aux individus qui tiennent ce discours, il faudrait spécifier que ce n'est pas parce que leur rural est mort que, pour autant, le rural serait mort. Il est essentiel de garder cette idée à l'esprit et de se départir d'une vision du rural comme étant un monde exclusivement agricole. Le rural n'est plus que cela, il est plus que cela. Les campagnes constituent désormais le cadre de vie de nouvelles populations qui ne sont pas en lien avec l'agriculture, et pour qui la ruralité est l'objet d'un choix de vie positif. Si l'on interroge ces personnes, ces dernières vont soutenir, au contraire, qu'il y a de la vie dans les villages, et vont se situer bien loin du discours analysé ci-dessus. Tout comme l'ouverture des villages à des populations nouvelles n'entraîne pas nécessairement que ces derniers deviennent des dortoirs97(*), dans le cadre des fêtes de village, il ne faudrait pas considérer que le déclin de la fête rurale classique présentant une dimension agricole forte signifie qu'il n'y a plus, pour autant, de fêtes rurales. Une des visées de ce mémoire sera de sortir de ce paradoxe trompeur : montrer, via une description des fêtes de village, que le rural n'est pas un espace vide et mort, en allant à contre-courant d'une certaine représentation fréquente de ce monde. Cela ne sera possible qu'en adoptant un point de vue adapté, c'est-à-dire qui prend acte des transformations récentes de cet espace pour le décrire comme un monde qui n'est plus exclusivement agricole. * 95 Ces deux paragraphes traduisent le constat personnel qui est à la base de ce travail. Il s'agit de la perception que nous avions de cette réalité, une perception centrée sur les fêtes d'été de type « chapiteau ». Cela ne veut pas dire que ces chapiteaux constituent l'ensemble des fêtes rurales de la région : pensons aux carnavals notamment, qui se déroulent hors de la saison d'été, et aux fêtes présentant une forme différente, sous-tendant plutôt un rapport à l'espace rural comme cadre de vie. Ces deux types de fêtes vont précisément être abordés dans la suite de ce travail, montrant ainsi que les chapiteaux sont loin de recouvrir l'ensemble du champ des fêtes rurales en Hainaut occidental. * 96 Bodson, op. cit., 2001. * 97 Bodson, op. cit., 1999, p. 122. |
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