Université Catholique de Louvain
DEPARTEMENT DES SCIENCES POLITIQUES ET SOCIALES
Fêtes de village et nouvelles
appartenances
Les fêtes rurales en Hainaut occidental
par Etienne Doyen
Directeur : Prof. Daniel Bodson Mémoire
présenté en vue de
Rapporteur : Prof. Jean-Pierre Hiernaux l'obtention du grade
de Licencié en Sociologie
Session de septembre 2007
Mots-clés : fête - village - rural -
appartenance - Hainaut occidental
À Bon-Papa, qui affectionnait tant ce monde
rural.
Nous tenons à remercier notre promoteur, Daniel Bodson,
pour son suivi et ses conseils avisés tout au long de ce travail. Si ce
dernier a pu devenir ce qu'il est, c'est grâce aux échanges que
nous avons eus au cours d'un véritable processus de formation. Merci de
nous avoir initié, avec brio, à la sociologie rurale, dont nous
ne soupçonnions pas l'existence il y a encore peu. Après avoir
suivi votre enseignement, notre choix de thématique et de promoteur
s'est imposé comme une évidence.
Nous remercions également Sten Hagberg, du
Département d'Anthropologie Culturelle de l'Université d'Uppsala,
et Mathieu Hilgers, de l'Unité d'Anthropologie et de Sociologie de
l'UCL, pour leur accueil et les remarques précieuses qu'ils ont
formulées à l'égard de notre réflexion. Merci
à Daniel Rochat pour les démarches entreprises pour nous
permettre d'accéder à un article de Laurent-Sébastien
Fournier à paraître dans Recherches Sociologiques et
Anthropologiques. Merci à ce dernier de nous avoir autorisé
à consulter son article, qui s'est révélé
être une contribution essentielle pour notre travail.
Merci à nos parents, pour leur présence et leur
soutien durant ces quatre ans d'études.
Merci à tous ceux qui, de près ou de loin, ont
contribué à ce mémoire. Merci particulièrement
à ceux que nous sommes parvenus à mettre à contribution,
pour des retranscriptions ou pour la relecture de notre document. Ils se
reconnaîtront ; qu'ils sachent que leur aide nous a
été précieuse.
Merci, enfin, à tous ceux qui, sur le terrain, nous
ont raconté leurs fêtes, parfois spontanément, ainsi
qu'à tous ceux qui nous ont fourni gracieusement des contacts et des
informations. Merci à tous les villageois qui ont accepté de nous
livrer leur parole au travers d'un entretien. Un merci tout particulier
à l'ASBL « Moulin à Vent » de Thimougies,
pour nous avoir ouvert ses portes et nous permettre ainsi d'observer la
fête « en train de se faire » ; merci à
son président, Eric Braquenier, pour son accueil et sa grande
disponibilité.
Table des matières
INTRODUCTION
7
I. LE VILLAGE
10
1.1. LE RURAL, UN OBJET ?
10
1.2. ÉTAT DES LIEUX DE NOTRE OBJET
15
1.2.1. Le rural wallon en 2007
15
La fin de la paysannerie, le règne de
l'agriculture
15
Le phénomène de
résidentialisation
16
Le village, délié des enjeux de la
production
17
Le village, lieu de différentes
sociabilités
18
L'ouverture des villages
20
Contre une idéalisation des villages
d'antan
22
1.2.2. Le Hainaut occidental
26
Présentation de la région
27
La croissance démographique des villages
30
L'existence d'un sentiment d'appartenance à
la région
32
II. LA FÊTE AU VILLAGE
35
2.1. LES DIFFÉRENTES THÉORIES DES
FÊTES RURALES
35
La fête sous l'oeil de la science
35
La fête rurale classique : la
ducasse
37
L'analyse de Champagne : les nouvelles
fêtes de village comme lieu de domination de l'urbain sur un rural
ouvert
38
Réflexion intermédiaire : la
fête et le rural, aux destins liés
41
Les nouvelles fêtes de village dans un
contexte de rurbanité : l'apport de Bodson et Dibie
42
Fournier et les fêtes thématiques
42
2.2. PROBLÉMATIQUE
47
Des fêtes vivaces... dans un espace
mort ?
47
Notre problématique : dégager
les dynamiques d'appartenance au travers des fêtes
49
III. LES FÊTES RURALES EN HAINAUT
OCCIDENTAL
55
3.1. MÉTHODOLOGIE
55
Une démarche ethnographique et
ethnologique
55
Recueil du matériau
56
Rapport à notre objet
59
3.2. ANALYSE
63
3.2.1. Du général... :
Typologie des fêtes rurales dans le Hainaut occidental
63
3.2.1.1. Les chapiteaux, extension des
fêtes votives
64
Le vendredi, premier jour de fête et
première soirée
64
Le samedi, la grande soirée du week-end
65
Le dimanche, gros véhicules et autres
animations pour un public familial
66
La forme des fêtes chapiteaux
66
Le marché des fêtes
70
3.2.1.2. Les fêtes à
l'ancienne
75
3.2.1.3. Les fêtes thématiques
et nouvelles fêtes rurales
77
La forme des fêtes thématiques :
la fête, ce loisir, le rural, ce produit
80
3.2.1.4. La fonction interne et externe des
fêtes
83
3.2.2. ... au particulier : Trois
fêtes, trois villages, trois histoires
85
3.2.2.1. Le carnaval de Willaupuis
86
Présentation du village et de la
fête
86
Analyse : un carnaval raté ?
89
3.2.2.2. Le carnaval de Basècles
94
Présentation du village et de la
fête
94
Analyse : un carnaval réussi dans un
village qui fait sens
98
3.2.2.3. La fête d'« Art's
Thimougies »
104
Présentation du village et de la
fête
104
La ducasse du mois de juin, fête
thématique par excellence : programme
hétéroclite, public diversifié, rapport de
consommation à l'espace
107
Une fonction sociale toujours exercée
113
Analyse : une fête-loisir
préfigurant une nouvelle forme d'appartenance
115
Un évènement qui mobilise
115
3.2.2.4. Trois fêtes, trois
stratégies
119
CONCLUSION
123
BIBLIOGRAPHIE
126
ANNEXES
130
ANNEXE I
130
ANNEXE II
132
INTRODUCTION
« Sur les fêtes de village ? Ton
mémoire ? Non, vraiment ? Eh bien, c'est... c'est
original ! C'est marrant, pour un mémoire... c'est un sujet...
drôle ! »
Voilà la réaction type à laquelle nous
avons eu régulièrement droit suite à l'annonce de notre
sujet de recherche. Le dédain ou l'étonnement étaient
parfois masqués avec moins de tact... À croire que pour tout un
chacun, une fête, rurale de surcroît, est l'objet de tout et de
tous, sauf de la science. Les fêtes de village représenteraient
ainsi des moments anodins et a-problématiques, hors de tout enjeu.
À écouter nos pairs, il semblerait que « fête de
village » et « mémoire » soient des termes
résolument antinomiques et que leur association soit incohérente.
À l'origine de cette représentation se trouve en
réalité une conception du familier comme anodin. Ces villages que
l'on connaît, notre rural, notre quotidien, tout cela ne mérite
pas grande attention ni grand discours.
L'ailleurs, au contraire, est comme par magie investi d'une
aura, qui le rend digne d'intérêt. C'est en voyage que l'on prend
des photos, que l'on s'intéresse à l'histoire et aux
manières de vivre. Mais une fois de retour, la curiosité se
rendort et l'on range l'appareil photo. On ne photographie pas sa rue, ses
voisins, ses collines, sa nourriture, parce que ces éléments
connus nous semblent évidents.
Pourtant, le familier n'a rien de banal. Il est tout aussi
exotique que l'ailleurs. C'est la démarche que nous entendons adopter au
long de ce travail. Les fêtes de village, nos fêtes de village,
toutes aussi familières qu'elles puissent paraître, sont dignes
d'intérêt. Elles constituent un objet de science aussi valable
qu'un autre. En les considérant de la sorte, nous voulons redonner de la
noblesse à l'observation de l'apparemment trivial.
« Apparemment », car il faut considérer que les
carnavals de nos villages sont tout aussi exotiques que celui de Bahia.
Le familier n'est pas anodin, de même en est-il pour la
fête. Est-ce à cause de la licence qu'elle constitue, parce
qu'elle est ce temps permissif où l'on joue avec les codes sociaux,
qu'elle est considérée comme un moment hors jeu, aux antipodes de
toute dynamique intéressante pour la science ? Quelle que soit
l'origine de cette représentation, celle-ci est erronée. La
fête est un moment-clé pour comprendre une
société1(*).
Parce qu'elle est cette parenthèse pendant laquelle le groupe se donne
à voir différemment, elle agit comme un révélateur,
portant à nos yeux des dynamiques invisibles.
La fête et notre rural sont tous deux,
assurément, dignes de science. Pourtant, il y a fort à parier que
l'individu lambda aurait réagi avec moins d'étonnement si nous
avions annoncé que notre sujet de mémoire était :
« Cuisson du pain et rapports sociaux de sexe chez les indiens
Kwakiutl ». Loin de renier l'intérêt d'une telle
problématique, nous avons préféré, comme
Dibie2(*), rester en terrain
connu et travailler sur ce que nous maîtrisons le mieux. Par ailleurs, le
rapport que nous entretenons à notre objet, les fêtes, n'est pas
celui d'une forte familiarité, comme nous l'expliquerons dans notre
partie méthodologique. Elles revêtent déjà, pour
nous, un caractère exotique, car nous ne sommes pas initié
à tous leurs « secrets », comme le formule Dibie.
C'est cette distance relative qui nous aide à poser un regard neuf sur
le familier.
*
* *
Ce travail comportera trois grandes parties. La
première d'entre elles aura pour titre « Le
village ». Nous y développerons successivement une
réflexion autour de la notion de rural, un état des lieux du
rural wallon, et enfin, une présentation de la région sur
laquelle nous avons travaillé, le Hainaut occidental. Au terme de cette
première partie, nous disposerons d'une bonne connaissance des villages
sur lesquels nous allons travailler. Cette mise en contexte sera poursuivie
dans la deuxième partie, intitulée « La fête au
village ». Nous y effectuerons une synthèse des productions
liées aux fêtes rurales, ce qui nous permettra, dans un
deuxième temps, de formuler notre problématique. Après
avoir présenté « Le village » et
« La fête au village » d'une manière
théorique, nous aborderons notre partie empirique, « Les
fêtes rurales en Hainaut occidental ». Dans cette
dernière, après avoir détaillé notre
méthodologie, nous procéderons à l'analyse du
matériau récolté sur notre terrain. Cette analyse
s'effectuera en deux temps : nous proposerons d'abord une typologie des
fêtes rurales en Hainaut occidental, pour ensuite présenter trois
festivités précises. Nous terminerons avec une conclusion
générale, dans laquelle nous examinerons, au terme de notre volet
empirique, les hypothèses posées en problématique.
I. LE VILLAGE
1.1. Le rural, un
objet ?
Étudier les fêtes de village constitue une porte
d'entrée pour parler « des villages ». En adoptant
ce point de vue, nous voulons accentuer le fait que le moment de la fête
est porteur d'enjeux qui le dépassent, enjeux qui vont nous permettre de
parler de la ruralité à travers ses fêtes. Ainsi, nous
allons montrer comment un temps de festivités peut être un lieu de
création d'une identité collective ou encore un moyen permettant
d'avoir un contrôle sur un espace.
Puisque que parler des fêtes, c'est aussi parler des
villages, nous allons commencer notre travail par une réflexion portant
sur le rural. Directement, nous sommes confrontés à la
problématique des termes : faut-il parler de rural, de monde rural,
de ruralité, d'espace rural ? On pourrait faire de longues
recherches portant sur l'utilisation de ces différentes appellations par
les individus qui peuplent l'espace considéré comme
« rural », par ceux qui se posent en acteurs de ce
même espace, par les individus qui n'habitent pas cet espace, par les
hommes politiques, par les géographes, par les aménageurs de
territoire et les architectes, ou encore par les sociologues, les
anthropologues et les ethnologues. On pourrait prendre ces différentes
catégories, et discerner comment elles peuvent fonctionner comme des
catégories opératoires, des catégories de perception du
monde social, ou des catégories analytiques3(*). On
pourrait se poser la question du statut d'une
« sociologie rurale », et dans quelle mesure celle-ci
a pu construire son objet, le rural, à des fins précises4(*). On pourrait, comme l'ont fait
Mormont et Mougenot5(*),
décrire l'émergence de la notion de « rural »
en Wallonie et montrer, d'une part, quel contenu y est associé, d'autre
part, comment cette catégorie a pu être mobilisée dans une
action collective.
De nombreux auteurs se sont déjà penchés
sur ces questions. Il nous semble intéressant, sans faire ici une
synthèse exhaustive des conclusions de leurs recherches, de reprendre
une réflexion que Mormont6(*) avance dans plusieurs de ses travaux : l'espace
rural « prend des significations différentes selon le type
d'acteurs sociaux, c'est-à-dire selon qu'il est utilisé par des
agriculteurs, des touristes, des ruraux ou des urbains »7(*). Ces significations sont
différentes parce que l'usage du rural fait par ces acteurs est
différent. Il en est de même pour les différentes
disciplines qui s'intéressent à cet espace :
l'économie, l'aménagement du territoire ou la sociologie
produisent autant de découpages distincts du rural. La catégorie
prend de cette manière un contenu et des attributs spécifiques
selon le discours que l'on désire tenir à son sujet. Il existe
donc une diversité des définitions et des usages de l'espace
rural, ce qui permet de l'appréhender comme un enjeu social8(*), dans la mesure où cet
espace est le lieu de cohabitation d'acteurs aux usages distincts, voire
conflictuels. Mormont va plus loin, en se demandant si « le rural
n'est pas que la projection des rêves de chacun »9(*). Surgit alors une
interrogation : si chacun a sa propre image du rural, pourquoi ne pas
parler d'une sociologie « des espaces ruraux »,
étant acquis qu'il y a autant de définitions de l'espace rural
qu'il y a d'individus qui perçoivent cet espace ? L'espace rural,
au singulier, ne serait-il qu'une construction du sociologue, du militant, de
l'économiste, pour les besoins de leur action ?
Pour avancer dans ce questionnement, qui renvoie finalement,
au-delà de la sociologie rurale, à la possibilité
d'existence d'une sociologie de l'espace, il convient de souligner
l'idée suivante : s'il y a autant de perceptions de l'espace qu'il
y a d'individus, il n'en reste pas moins que ces perceptions ne sont pas
construites individuellement, mais socialement. La dimension sociale
de cette perception ne porte pas uniquement sur le contenu que nous donnons
à l'espace qui nous entoure, mais également sur le fait que
nous percevons cet espace comme un espace. Nous utilisons en effet des
catégories opératoires, que nous partageons, dans une mesure plus
ou moins importante, avec nos pairs. Ces catégories opératoires,
comme l'explique Bodson, « servent aussi bien à
désigner qu'à qualifier, classer, se repérer. (...) [Ce
sont des] notions ou modes de classement qui construisent - et
simultanément, donnent sens à - l'univers spatial (mais pas
seulement spatial) dans lequel nous nous mouvons tous les
jours »10(*).
Ainsi, à l'heure actuelle, « ville »
et « campagne » apparaissent être deux
catégories opératoires, en tant qu'elles sont mobilisées
par nos contemporains pour ordonner l'espace qui les entoure. Ces
catégories, quel que soit leur contenu, permettent à tout un
chacun de nommer l'espace, et partant, de lui donner un sens. Mettre
un nom sur les choses, c'est instantanément les faire exister, et c'est
finalement la possibilité de passer du chaos, le tout
indifférencié, au cosmos, l'univers ordonné. Le terme de
cosmos renvoie bien ici à un monde où les choses ont un nom, ce
qui permet de les classer et de les distinguer. Qualifier un espace de
« ville », c'est signifier en même temps qu'il n'est
pas assimilable à un autre espace, nommé
« village ».
Pour illustrer cette notion de catégorie
opératoire, nous pouvons reprendre un propos entendu sur notre terrain
de recherche : « ici, c'est un village mort »11(*). La personne qui nous a
livré ce sentiment était l'organisateur d'un carnaval de village.
Ce qu'il faut ici retenir, c'est que ce diagnostic, quel que soit son lien avec
une réalité objective, est le ressort d'une action, qui entend
« faire revivre le village ». Dire que le village
est « mort », c'est proposer une grille de lecture, un
pattern, qui permet de nommer le réel et de lui donner un sens.
L'enjeu, dans cette situation, est notamment de tenter d'imposer cette lecture
à un plus grand nombre, pour pouvoir fédérer un groupe et
mener une action collective.
En 1993, Bodson écrivait que le rural n'était
« pas seulement un objet scientifique mais un objet social qui
organise notre façon de penser le monde »12(*). Aujourd'hui, près de
quinze ans plus tard, nous confirmons, au terme de notre recherche, que le
rural fonctionne encore et toujours comme une catégorie
opératoire, à travers laquelle nous percevons l'espace qui nous
entoure.
Poser aujourd'hui le rural comme un objet spécifique ne
va pas de soi. L'idée est loin de faire consensus, notamment dans le
chef des experts en sciences humaines qui se sont penchés sur le sort du
monde rural. Nombreux sont ceux, en effet, qui soutiennent que le rural
n'existe plus. Nous pourrions ainsi agiter la théorie de
l'urbanisation, qui soutient que nos campagnes sont depuis plusieurs
décennies colonisées par un « mode de vie »
urbain. Un tel discours pourrait s'appuyer sur des statistiques, en montrant
qu'au niveau des chiffres, campagne et ville ne diffèrent plus
guère en matière de modes de consommation, de niveau de revenus,
ou encore dans la répartition de leurs habitants dans les secteurs
économiques primaires, secondaires et tertiaires13(*). Nous pourrions
également, d'une manière très similaire, affirmer à
la manière de Dibie14(*) qu'aujourd'hui, nous sommes tous des
rurbains. Ce dernier, dans Le Village
métamorphosé, décrit le passage de « la
balayeuse » qui vient régulièrement nettoyer les rues
de son village, Chichery. Ce qui pourrait ne sembler être qu'une machine
anodine constitue pour lui tout un symbole, qui « pose (...) ville et
campagne non plus comme deux réalités, mais comme la contraction
de deux systèmes qui n'en font plus qu'un : le monde
rurbain »15(*).
Encore une fois, dans la pensée de Dibie, le concept de rurbanité
renvoie à une uniformisation des modes de vie. Ce processus,
engagé depuis de nombreuses années, est loin d'être abouti,
si bien que les campagnes sont en pleine phase de transition,
c'est-à-dire plus ce qu'elles étaient, et pas encore ce qu'elles
vont devenir.
Pourtant, sur notre « terrain », nous
avons observé que l'opposition ville-campagne faisait encore sens
auprès des ruraux interrogés. Autrement dit,
« ville » et « campagne » semblent
toujours fonctionner comme deux catégories opératoires, qui
permettent d'organiser notre perception de l'espace. Cette distinction nous a
semblé être opérante, chez les villageois
interrogés, aussi bien dans le chef de l'agriculteur proche de la
retraite qui exploite des terres appartenant à sa famille depuis
plusieurs générations, que chez le couple
« néo-rural » installé depuis quelques mois
seulement au village16(*).
Parallèlement à cette mobilisation des
catégories « ville » et
« campagne » par les villageois, la catégorie
« rural » est utilisée par des instances
décisionnelles. Citons ainsi la Fondation Rurale de Wallonie17(*), une fondation
d'utilité publique liée à la Région Wallonne qui,
depuis 1979, entend permettre au monde rural de prendre en main son
développement, notamment autour des questions d'aménagement du
territoire. Depuis 1991 existe un décret de développement rural,
permettant à la Fondation de coordonner des
« opérations de développement rural », qui se
traduisent au niveau local par un « Plan communal de
développement rural », le PCDR. Force est de constater que
prennent place des actions qui disent avoir le rural pour objet - et peu
importe s'il existe ou non un consensus politique ou administratif concernant
la définition de cette catégorie.
Nous pouvons maintenant poser un objet pour notre
travail : puisque d'une part, le rural est une catégorie
opératoire qui fait sens pour nos contemporains, et que d'autre part, le
rural est également une catégorie utilisée par des
instances décisionnelles, il semble pertinent de faire une recherche qui
prendrait le rural pour objet, en prenant la porte d'entrée
spécifique des fêtes de village. Ces deux manières
d'utiliser la catégorie ne doivent pas, du reste, être
pensées distinctement, car l'utilisation du vocable
« rural » par les ruraux peut inciter les responsables
politiques à la récupérer, tout comme l'utilisation de la
notion par les politiques peut amener les habitants à se la
réapproprier pour se penser. Ces deux dynamiques peuvent se renforcer
réciproquement. Nous prenons donc le rural pour objet, puisqu'il s'agit
d'une catégorie qui fait sens pour un certain nombre d'individus - nous
ne sommes pas ici dans le cadre d'un objet analytique qui ne ferait sens que
pour le sociologue.
1.2. État des lieux
de notre objet
Si nous voulons prendre le rural comme objet, nous ne pouvons
faire l'économie d'un état des lieux du rural. L'enjeu consistera
ici à aborder les principaux traits du monde rural wallon, et plus
précisément en Hainaut occidental, sans pour autant verser dans
une analyse exhaustive : celle-ci n'est pas l'objet de notre travail, et
du reste, elle a déjà été effectuée18(*). Nous effectuerons dans un
premier temps une présentation globale du rural wallon, pour ensuite
procéder à une rapide description des traits majeurs du Hainaut
occidental ; l'ensemble aura pour but de contextualiser notre propos et de
dégager les principales caractéristiques de notre objet, le rural
en Hainaut occidental, caractéristiques que nous pourrons mobiliser par
la suite pour appréhender les fêtes.
1.2.1. Le rural wallon en
2007
Les villages wallons ont subi d'importantes mutations durant
ces dernières décennies. De l'industrialisation de l'agriculture
à l'installation de néo-ruraux porteurs d'un nouveau rapport
à l'espace rural, nous allons présenter successivement ces
différents changements.
La fin de la paysannerie, le
règne de l'agriculture
L'agriculture wallonne est en pleine transformation : la
même surface agricole utile est travaillée par un nombre de plus
en plus réduit d'exploitants. Pour être rentable aujourd'hui, un
agriculteur ne peut plus se contenter de quelques hectares, mais bien de
dizaines d'hectares. Plusieurs auteurs ont diagnostiqué ce
changement19(*), en
montrant qu'au paysan a succédé l'agriculteur. Être paysan
était un état, qui débordait du simple exercice du
« travail » pour conditionner véritablement toutes
les dimensions de l'existence. À l'inverse, être agriculteur est
avant tout un métier, comme on peut être maçon ou
fonctionnaire. Les termes pour qualifier cette activité ont
également changé : le paysan qui élevait des
vaches dans une ferme est maintenant un agriculteur
qui gère des Unités Gros Bétail dans une
exploitation agricole. Si on ne peut placer tous ces termes dans deux
groupes exclusifs « passé » et
« présent »20(*), il faut néanmoins y voir un glissement
sémantique qui n'est pas anodin.
Une différence majeure entre le paysan et l'agriculteur
est le marché concurrentiel dans lequel ils s'inscrivent et les
contraintes auxquelles ils doivent faire face : quand le premier
était relativement autonome et dépendait d'un marché
très local pour obtenir ses terres et vendre ses produits, le second
doit désormais s'adapter à un marché mondialisé et
composer avec une marge de manoeuvre relativement étroite, entre les
contrats pour obtenir graines et machines, les subsides et les primes, les
quotas de production, et les normes d'hygiène et de bien-être
animal. À cela doivent être ajoutés les permis de
bâtir, plus ou moins difficiles à obtenir selon le voisinage...
Ceci renvoie à une caractéristique nouvelle de
l'agriculture : elle n'est plus en position de force dans les villages. La
mécanisation, et plus globalement, l'amélioration des techniques
de production ont décuplé sa productivité, amenant ainsi
à une diminution constante du nombre d'agriculteurs nécessaires
pour nourrir une population donnée21(*).
En Belgique, le recensement agricole et horticole
effectué au mois de mai confirme chaque année une concentration
croissante de la production, qui se traduit par une diminution du nombre
d'exploitations et du nombre de personnes qui y sont employées. Ainsi,
en 2006, la Belgique comptait 49 850 exploitations, soit une perte de 1 690
exploitations par rapport à 2005. La Wallonie suit ce mouvement dans les
mêmes proportions, passant sur la même période de 17 109
exploitations à 16 55722(*). On assiste donc à une diminution
conséquente des agriculteurs dans les campagnes ; pour autant, les
villages ne se vident pas, puisqu'ils attirent de nouveaux habitants, comme
nous allons le voir dans le point suivant.
Le phénomène
de résidentialisation
Le temps de l'exode rural, où une partie importante de
la population quittait les villages pour les villes prometteuses, est bien
révolu. Aujourd'hui, ce mouvement s'est renversé, et de
nombreuses personnes viennent s'installer à la campagne. Cela n'est pas
dû au fait que les villages seraient (re)devenus des pôles
d'attraction économique procurant des emplois ; mais, moyennant une
mobilité importante, de nouveaux habitants s'installent dans un village
tout en travaillant en dehors de celui-ci. Cette population nouvelle, qui n'a
pas nécessairement de lien particulier avec le village dans lequel elle
s'installe (n'ayant pas de famille ni d'amis y habitant), développe un
rapport à l'espace rural en tant que cadre23(*). Habiter dans un village
signifie pour eux pouvoir bénéficier d'un environnement naturel
et calme. Ils opposent ce choix de résidence à la ville bruyante,
sale, polluée, stressante. Ces néo-ruraux ont choisi d'habiter
dans un village, sans pour autant développer un fort sentiment
d'appartenance à ce dernier : ils ont choisi un village particulier
en raisons de critères pratiques comme la distance par rapport au lieu
de travail et l'offre immobilière, et considèrent ce village
comme un village, et non pas le village24(*).
Le village,
délié des enjeux de la production
Parallèlement à la diminution du nombre
d'agriculteurs, l'implantation d'un certain nombre de néo-ruraux dans
les villages remet en question la conception du rural comme un espace de
production. Dans un passé encore récent, les agriculteurs
constituaient un groupe dominant dans les villages. Il était acquis que
le rural était un espace où l'on travaillait et l'agriculture
rythmait fortement la vie des villages. Aujourd'hui, les ruraux travaillent
majoritairement en dehors de leur village. De nombreux auteurs ont
souligné cette mutation25(*) qui voit l'espace rural se délier
progressivement des contraintes du travail, pour devenir « un lieu de
résidence, un espace de reproduction, de distraction, de spectacle, et
non plus un espace de production »26(*). Cette mutation n'est pas sans conséquence.
Pour les néo-ruraux qui développent un rapport à l'espace
rural en tant que cadre, le village doit désormais s'apparenter à
un décor de carte postale, beau, silencieux, et épuré de
toute odeur, autant de critères étrangers à une logique de
production. Il y a pourtant encore des agriculteurs qui travaillent dans cet
espace ; la diversité des définitions et des usages de
l'espace rural peut ainsi être à l'origine de conflits autour de
l'utilisation légitime de celui-ci27(*).
Le village, lieu de
différentes sociabilités
Avec l'arrivée importante de populations nouvelles au
village, une nouvelle forme de sociabilité voit le jour. Cette nouvelle
sociabilité va se superposer à une sociabilité
« traditionnelle », qui prend place entre les personnes qui
ont un rapport possessif au village (« mon » village,
versus « un » village). Beaucoup de ces personnes sont
nées au village et y ont vécu toute leur vie ou presque, si bien
qu'habiter le village ne relève pas pour elles d'un choix, mais d'un
fait. Ce rapport particulier à l'espace villageois se traduit en termes
de sociabilité par l'affirmation « tout le monde se
connaît ». Dans le chef de ces personnes pour qui le village
est une entité qui fait sens, la sociabilité prend la forme de
« connaître » ; cette connaissance ne signifie
pas nécessairement de pouvoir aborder des sujets très personnels
ou de « refaire le monde » avec les autres villageois, mais
à tout le moins d'être capable de les
« situer », c'est-à-dire pouvoir dire qui habite
où, avec qui il/elle est marié(e), quelle profession il/elle
exerce, combien d'enfants il/elle a, qui sont ses parents, etc.
Cela ne veut pas dire que la vie villageoise est exempte de
tout conflit, et que tout le monde « s'entend
bien »28(*).
Mais ce qu'il faut voir derrière cette forme de sociabilité,
derrière le « connaître », c'est une
volonté de pouvoir « dire » son village. Le village,
c'est un espace maîtrisé, connu, ce qui signifie qu'on
peut y nommer à la fois les lieux (connaître les noms des rues,
des hameaux, ainsi qu'être capable de dire à qui appartient telle
terre, et qui la cultive) et les gens (identifier qui habite dans telle
maison). Les lieux et les gens que l'on ne sait pas nommer, in fine,
n'existent pas.
Cette connaissance, ces villageois possessifs l'opposent
à la ville, lieu de l'anonymat et de la démaîtrise par
excellence. Tout le village est alors appréhendé à l'aune
du critère « connaissance ». Ainsi, cette
épouse d'agriculteur à la retraite parle des nouveaux habitants
de son village comme ceux, avant toute chose, que l'on ne connaît
pas :
« Ah ben dans la rue-là, la nouvelle rue,
c'est toutes des nouvelles maisons, avec des nouvelles gens. On ne les
connaît pas hein. »29(*)
Il faut noter que cette sociabilité n'est pas
uniquement le fait des personnes « du village » : elle
peut aussi être le fait de villageois nouveaux, originaires d'un village
voisin ou de la région, et qui sont également sensibles au fait
que le village soit un espace d'interconnaissance. Ainsi, ce jeune homme de 24
ans installé depuis peu avec sa femme dans un village de sa
région nous explique ses premières relations avec ses nouveaux
voisins :
« (...) les gens du voisinage sont sympathiques
aussi, je veux dire, la première fois que je suis venu ici, je me suis
fait accoster par le fermier : « ah ouais, t'es le garçon
de machin qui,... ah ouais. Et ton parrain, c'était
qui ?... ». Tout de suite, c'est agréable, tu viens de 15
kilomètres plus loin et on sait qui t'es, donc il y avait
déjà une reconnaissance avant d'habiter ici quoi, donc...
ça c'est gai aussi quoi. »30(*)
À côté de cette sociabilité
traditionnelle émerge progressivement une nouvelle forme de
sociabilité qui concerne principalement les personnes qui se sont
installées au village sans en être originaires. Alors que dans la
relation traditionnelle entre villageois, la proximité spatiale
entraînait une proximité sociale, cette nouvelle forme de
sociabilité comporte comme prérogative une distance sociale,
malgré la proximité spatiale. Autrement dit, à l'inverse
d'une norme « tout le monde parle avec tout le monde », il
y a ici un basculement qui peut se traduire comme « personne
n'est obligé de socialiser ». Cela ne veut pas dire qu'il n'y
a plus de sociabilité dans les villages, mais celle-ci prend place selon
des modalités différentes31(*) et ne va pas de soi.
L'ouverture des villages
Il n'est pas aisé de synthétiser les
différentes mutations décrites ci-dessus pour les intégrer
dans un schème global de compréhension. Il semble
néanmoins pertinent d'affirmer que ce qui est à l'oeuvre depuis
plusieurs décennies, et qui a été diagnostiqué par
plusieurs auteurs, c'est l'ouverture du monde rural. Aujourd'hui, la
ruralité est avant tout un mode de vie centré sur la
mobilité. Comme le décrivent Bodson et Dibie32(*), les ruraux d'aujourd'hui sont
extrêmement mobiles, et si l'on avait coutume de dire que les villages
étaient peuplés « de vaches et d'habitants »,
il faudrait désormais y ajouter - et ce n'est pas nouveau - le terme
« voitures ». Habiter à la campagne, cela signifie
être capable de sortir de son village pour se rendre à son
travail, pour faire ses courses, pour satisfaire ses loisirs ou encore pour
conduire ses enfants dans leur établissement scolaire. Cela ne veut pas
dire qu'il n'a plus aucune possibilité, dans aucun village de Wallonie,
de trouver travail, commerces, distractions ou scolarité ; mais pour de
nombreux villageois, ruralité implique mobilité, étant
donné que le village n'offre plus, bien souvent, toutes ces
possibilités, à l'inverse des petites et grandes villes. Il en
résulte que pour une part croissante de ses habitants, le village est de
moins en moins une entité qui fait sens, à l'inverse d'une
région plus large dans laquelle on se meut. Comme le formule Dibie,
« la vie villageoise des campagnes, de centrifuge qu'elle
était est devenue centripète »33(*).
Au-delà de la mobilité, le mode de vie des
ruraux, dans son ensemble, témoigne également de cette ouverture
des campagnes. La rurbanité de Dibie, telle qu'évoquée
supra, est l'avènement d'un mode de vie urbain à la
campagne : on mange comme en ville, on se déplace comme en ville,
on consomme comme en ville. Finalement, on a le même rythme de vie qu'en
ville. On pourrait multiplier les rapprochements, comme l'exemple de la
balayeuse, qui illustrent cette phagocytose - pour reprendre le terme de Dibie
- du village par la ville. La thèse est forte, mais même sans y
adhérer complètement, il faut y lire cette ouverture du monde
rural : les modes de vie des ruraux et des urbains présentent de
plus en plus de similitudes et ne sont plus radicalement étrangers,
même s'ils conservent chacun leur spécificité.
Les villages d'aujourd'hui se sont donc ouverts. Dibie livre
une analyse très pertinente à ce sujet, en décrivant
comment « chacun s'est tressé un tissu ajouré de
réseaux indépendants les uns des autres dans lesquels il se
glisse et se définit individuellement »34(*). Ces réseaux
dépassent largement le cadre du village et ne font plus lien,
généralement, avec celui-ci. Les villages sont donc, moins que
jamais, des mondes clos, autonomes et homogènes. S'ils ont jamais
été les lieux de l'unité et de la ressemblance, il faut en
tout cas les considérer désormais comme des espaces
d'hétérogénéité.
Cette hétérogénéité se
marque d'une part par les profils des habitants des villages : entre les
archétypes du fermier proche de la retraite et du néo-rural de
profession libérale qui s'est récemment installé au
village, il y a place pour un continuum d'individus différenciés,
tant du point de vue social (allant des positions inférieures jusqu'aux
plus aisées) que du statut civil (allant du jeune couple aux personnes
retraitées, en passant par les célibataires)35(*). Le village est un lieu de
mixité, assigné donc de définitions distinctes selon la
position occupée ; cette coexistence de rapports différents
à l'espace peut être, comme on l'a dit, à l'origine de
conflits sur l'utilisation légitime de cet espace.
D'autre part, cette
hétérogénéité se laisse également
appréhender dans la matérialité des villages. Ces derniers
présentent un effet un bâti très diversifié,
composé de fermes en activité, certaines étant vieilles de
plusieurs siècles, de maisons datant de l'avant-guerre, d'habitations
des premiers néo-ruraux construites après l'inversement de
l'exode rural des années 1960 et 1970, de maisons construites au cours
des trente dernières années, de bâtiments agricoles
rénovés et transformés en logements, de lotissements en
construction, de maisons très récentes, et encore, dans certains
cas, de lofts et immeubles à appartements. Chacun de ces types de
bâtiments, selon l'époque à laquelle il a été
construit, relève d'un style architectural spécifique. Le village
est ainsi le lieu où les genres architecturaux se mélangent, loin
de présenter une homogénéité dans son
bâti.
Socialement et matériellement, les villages sont donc
des espaces d'hétérogénéité. Cette
affirmation, pour pertinente qu'elle soit, doit être remise dans son
contexte. Nous avons montré comment les villages, depuis plusieurs
décennies, se sont ouverts. Ils sont caractérisés par une
plus grande mixité sociale qu'auparavant. Ne nous méprenons pas
pour autant : en termes d'hétérogénéité
de population, un village wallon ne peut encore, à l'heure actuelle,
être comparé à un quai de métro de Bruxelles
où, ne fût-ce qu'en termes d'origines culturelles, les individus
présentent des différences bien plus larges. Il en va de
même pour l'hétérogénéité
matérielle : celle d'une métropole est sans commune mesure
avec celle d'un village. Ces remarques peuvent paraître triviales, mais
elles sont importantes pour contextualiser notre analyse et en mesurer la
portée.
Contre une
idéalisation des villages d'antan
Pour terminer cet état des lieux du rural wallon, il
nous semble important de revenir quelque peu sur cette idée d'ouverture
des villages contemporains. Nous voudrions ici nous démarquer d'une
vision nostalgique du passé qui consisterait à soutenir que cette
ouverture est une mutation inédite et sans précédent pour
le monde rural. Comme l'explique Hervieu36(*), la sociologie rurale a, dans certains de ses
ouvrages, développé une vision romantique du village d'antan, en
le reconstruisant comme un monde clos, autosuffisant, pur de tout influence
extérieure, et surtout, comme un microcosme homogène,
composé de paysans. En décrivant les mutations qui ont
affecté l'espace villageois pour précipiter la fin de la
paysannerie, la sociologie rurale, toute engagée qu'elle était
dans son objet, a renforcé « le mythe de l'unité
paysanne »37(*).
L'outil méthodologique dont s'est dotée la
discipline à ses débuts, la monographie de village38(*), a ainsi pleinement
participé de ce mouvement. En étudiant en profondeur une
localité, cette approche ethnographique a contribué, d'une part,
à développer une vision des villages comme autonomes et a
entretenu par là l'illusion que ces derniers pourraient être
séparés du contexte plus large dans lequel ils s'inscrivent.
D'autre part, couplée à des préceptes culturalistes, elle
a mené à une essentialisation de la culture paysanne,
considérée comme un bloc monolithique : recherchant les
similitudes plutôt que les différences, elle a construit la figure
du « paysan ». Cette essentialisation a été
rendue possible par le mécanisme de généralisation, qui
opère à deux niveaux : tout d'abord, au sein du village
étudié, où est recherchée la figure du
« paysan-type », ensuite, au monde rural dans son ensemble,
auquel les conclusions tirées sur un village sont appliquées.
Cette dérive culturaliste a pu mener à considérer le
village et les villages comme des ensembles homogènes et semblables,
sans prêter attention aux variations locales.
Un autre travers d'une idéalisation des villages
d'antan est de considérer ces derniers comme des sociétés
sans histoire. Les mutations du monde rural du XXème
siècle sont considérées par certains auteurs comme sans
précédent et sont appréhendées comme traduisant
l'infiltration de la ville dans un monde homogène,
préservé jusque là de toute influence extérieure.
Il est ici frappant de remarquer la ressemblance entre cette position et les
conceptions des premiers anthropologues, qui considéraient
étudier des sociétés primitives
« pures » et cloisonnées39(*).
Cette idéalisation du passé, qu'elle soit le
fait des scientifiques ou des acteurs du monde rural, a existé à
toutes les époques40(*). Il est frappant de constater que selon son contexte,
elle puisse produire des discours distincts voire contraires sur un même
objet. Ainsi, la perception de la présence d'écoles dans les
villages peut être radicalement distincte, si l'on compare les
représentations des années 1970 à celles d'aujourd'hui.
Pour la première période, nous disposons comme matériau
des écrits de Champagne41(*) ainsi que ceux de Gervais, Jollivet et
Tavernier42(*). Ces
derniers évoquent conjointement, d'une manière quelque peu
nostalgique, les temps bénis d'avant la scolarisation. L'institution
scolaire est critiquée pour l'influence néfaste qu'elle exerce
sur les petits ruraux : « l'école communale,
présente dans chaque village, y impose sa dure loi. »43(*). L'école a pour effet
de « détacher les enfants de la terre »44(*), en leur fournissant un
capital culturel qu'ils peuvent faire valoir en dehors du village. Finalement,
l'école communale est considérée comme l'institution qui
concurrence le village comme cadre exclusif de socialisation.
Si l'on s'intéresse maintenant aux
représentations actuelles du rural passé, on peut ironiquement
constater que depuis que les écoles ont - majoritairement - disparu des
villages, elles ne sont plus décriées, mais pleurées.
Ainsi, au cours des entretiens que nous avons eus avec des villageois sur notre
terrain, nous avons pu observer comment la fermeture de l'école
primaire, généralement au cours des années 1960 ou 1970,
était perçue comme un coup décisif porté aux
villages, qui « ne sont aujourd'hui plus ce qu'ils
étaient ». Il est ici intéressant de constater combien
le discours nostalgique, selon l'époque, peut percevoir un même
objet, l'école du village, de manière opposée.
Même si cette tendance à idéaliser le
passé est un fait récurrent au travers des époques, on ne
peut se permettre, d'une part, de considérer les villages comme des
anciens mondes homogènes et clos, encore moins, d'autre part, qu'on ne
peut affirmer qu'il en ait été ainsi depuis des temps
immémoriaux. Chamboredon nous fournit une aide précieuse pour
éviter ces travers. Dans son article Nouvelles formes de
l'opposition ville-campagne45(*), il revient sur la représentation du village
d'antan comme un monde homogène centré sur la culture paysanne.
Cette représentation est le fruit d'une construction sociale, car le
village n'a pas toujours été un tout homogène. Chamboredon
évoque ainsi le mouvement de désindustrialisation ou de
« paysannisation » du village, commencé au milieu du
XIXème siècle, pendant lequel « [le village]
fut progressivement vidé de ses couches petites-bourgeoises
(commerçants, artisans) et prolétaires (ouvriers ruraux,
manoeuvres et salariés agricoles, puis petits paysans) et donc fortement
homogénéisé autour d'une
condition- référence »46(*).
Ce changement de la structure sociale villageoise a permis la
construction de l'utopie du village comme une communauté homogène
et pacifiée, à l'occasion sujette à des conflits
passagers, mais en aucun cas traversée par une lutte de classes, dont la
ville, à l'opposé, est le théâtre. Le sociologue
montre alors le rôle joué dans la construction de cette image
idyllique du village par le roman rural et régionaliste47(*), à la fin du
XIXème et pendant le premier tiers du XXème
siècle ; ces écrits ont alimenté les manuels de
lecture de l'école primaire jusque 1950, et sont également
à la base d'une image simplifiée du monde rural
véhiculée par les feuilletons populaires de la
télévision. Ces romans, manuels et feuilletons, par un effet de
cascade, ont permis la construction d'une représentation du village
comme une scène « unanimiste ou déchirée de
conflits de fantaisie ou purement verbaux »48(*).
Cette contextualisation historique précise, même
si elle concerne le cas français, doit être
considérée avec attention. Elle nous permet de constater que le
changement social n'est pas un phénomène inédit pour le
monde rural, comme une certaine idéalisation pourrait laisser le croire.
Elle nous montre également que le village n'a pas toujours
été un tout homogène, et que s'il a pu un jour se
« dépaysanner », c'est notamment parce qu'il s'est
préalablement « paysanné ». Ces observations
doivent nous inciter à être attentif au processus de mythification
du passé auquel nous allons probablement être confronté sur
notre terrain. Sans être dupe du discours du type
« c'était mieux avant », il convient de replacer
notre interprétation dans un temps long, pour pouvoir en mesurer la
portée.
1.2.2. Le Hainaut
occidental
Il nous faut maintenant présenter notre terrain. La
délimitation de ce dernier n'est pas chose aisée. À
l'origine, nous avons entrepris ce travail suite au constat personnel selon
lequel les fêtes rurales de notre région étaient vivaces.
Mais où poser la limite de ce que nous appelons « notre
région » ? Est-elle confinée au Tournaisis,
à la province du Hainaut, ou à une partie de celle-ci ? Il
est probable qu'il s'agisse d'un peu des trois simultanément. Le
sentiment d'appartenance à un ensemble géographique n'est pas
exclusif : on peut ainsi, à des niveaux différents, se
sentir appartenir à son village, à sa région, à sa
province, à la Wallonie, à la Belgique, voire même à
l'Europe. S'il est intéressant d'analyser ce sentiment d'appartenance et
de tenter de montrer à quelle région les acteurs
rencontrés sur le terrain se réfèrent, ce qui nous importe
prioritairement ici, c'est de localiser les festivités analysées
dans un ensemble géographique pertinent, afin de pouvoir contextualiser
le propos en décrivant les données démographiques et
socio-économiques significatives de cet ensemble.
Au vu de la localisation des différents villages
arpentés dans le cadre de ce travail, pour observer des
festivités ou réaliser des entretiens, nous avons estimé
d'une première manière que nous travaillions sur le Hainaut
occidental. D'emblée, il faut préciser qu'il s'agit d'une
construction analytique ; à aucun moment, nous n'avons
rencontré sur le terrain des acteurs qui nous disaient participer ou
organiser « une fête de village appartenant au
marché plus vaste des festivités rurales du Hainaut
occidental »49(*). Cela ne nous semble pas pour autant être
problématique, dans la mesure où nous n'entendons pas
réaliser un catalogue exhaustif de l'ensemble des fêtes de la
région, pas plus que nous ne voulons tenter de dégager une
essence de ce que serait une « fête rurale typique du Hainaut
Occidental » - cela serait vain, du reste, tant il est vrai que ces
fêtes comportent des formes variées, comme nous le verrons.
Le critère décisif qui nous a finalement
amené à prendre cette région comme espace d'analyse n'est
pas tant la dispersion des villages que nous avons parcourus (et la
nécessité de trouver un ensemble géographique qui les
regroupe tous), mais bien le fait que le Hainaut occidental semble constituer
le marché pertinent dans lequel se meuvent les fêtes.
Nous reviendrons plus en profondeur dans la suite de ce travail sur ce concept
de « marché des fêtes ». Néanmoins, il
est utile d'expliquer ici brièvement ce qu'il faut comprendre par
là.
Les fêtes rurales du Hainaut occidental sont en
concurrence sur un marché plus ou moins étendu auquel correspond
un public. L'analogie du marché permet ici de souligner la
nécessité d'appréhender ces fêtes comme faisant
partie d'un tout, dans lequel elles se positionnent et prennent sens. Ce
marché n'a pas qu'une existence abstraite : s'il est une
catégorie analytique qui permet au chercheur de conceptualiser les
relations qu'entretiennent différentes festivités, il prend aussi
un contenu concret dans la mesure où il est possible d'identifier un
territoire de référence, un marché pertinent dans lequel
les fêtes se positionnent les unes par rapport aux autres dans une
relation de concurrence. Dans notre cas, le Hainaut occidental semble
être l'étendue géographique qui remplit cette fonction.
Ceci vaut pour la production de ces fêtes, mais également pour
leur consommation : cette région est également l'espace dans
lequel se meuvent les consommateurs, qui, par leurs choix, mettent en
comparaison les fêtes de la région et renforcent le marché
en présence. C'est l'existence de cette structure qui nous amène
à prendre le Hainaut occidental comme région de
référence. Nous allons maintenant en faire une brève
présentation afin, comme nous l'avons dit, de contextualiser notre
propos.
Présentation de la
région
Le Hainaut occidental se situe dans la partie ouest de la
province du Hainaut. Il est composé des arrondissements de Tournai, Ath
et Mouscron, et de la commune de Lessines, auxquels sont parfois
ajoutées deux communes de l'arrondissement de Soignies, ce qui porte
à vingt-trois le nombre de communes le constituant50(*). La région a une
superficie de 1 378 km² et sa population est de 325 000
habitants51(*).
La carte ci-dessous montre l'étendue du Hainaut
occidental dans la province du Hainaut.
Figure 1 : le Hainaut occidental52(*).
Les données socio-économiques récentes de
la région sont difficilement accessibles et n'ont pas fait l'objet,
à notre connaissance, de synthèse récente. Nous sommes
cependant en mesure de cerner les spécificités globales du
Hainaut occidental par rapport au Hainaut et à la Région
Wallonne.
Le taux de chômage de la région est proche de
celui de la Région Wallonne : en juin 2005, ce taux, pour les
arrondissements d'Ath, Mouscron et Tournai, était respectivement de
22,3%, 20,1% et 21,8%, quand le taux de chômage de la Région
wallonne était de 21%53(*). Ces trois arrondissements permettent d'obtenir une
bonne appréciation du taux de chômage du Hainaut occidental,
puisqu'ils regroupent 20 communes sur les 23 qui le composent. En
matière de chômage, la région est donc proche de la
Région Wallonne et se distingue de sa province, le Hainaut, qui
connaissait un taux de chômage de 25,1 % en juin 2005. Ce taux est
lié à des pics de chômage dans les arrondissements de
Charleroi (27,7 %) et Mons (28,8 %), durement touchés par les crises du
charbon et de l'acier. Le Hainaut occidental n'a pas développé
son industrie autour de ces deux ressources et connaît donc un destin
différent.
La place importante de l'agriculture dans le paysage
économique du Hainaut occidental est un fait à souligner. S'il
n'est pas possible d'obtenir des chiffres donnant la répartition des
travailleurs entre les secteurs d'activités économiques, il
apparaît que l'agriculture et l'industrie agroalimentaire y ont un poids
économique important, supérieur à la moyenne
hennuyère, l'arrondissement d'Ath étant celui où cette
tendance est la plus prononcée. Les différentes sources que nous
avons consultées pour obtenir des informations sur le Hainaut occidental
mettent toutes en avant, d'une manière ou d'une autre, le
caractère rural de cet ensemble géographique, «
[région] limoneuse et fertile dont la qualité des sols et de
l'environnement a permis le développement d'une longue tradition de
production agricole et horticole »54(*). Contrairement aux régions voisines du Centre
et du Borinage, le Hainaut occidental ne s'est pas industrialisé
à partir d'un sol riche en houille, ce qui peut contribuer à
expliquer sa situation économique moins défavorable à
l'heure actuelle.
Par ailleurs, le Hainaut occidental est
caractérisé par un habitat rural important ; il est
constitué d'un maillage de petites villes de quelques milliers
d'habitants (Ath, Leuze-en-Hainaut, Péruwelz, Antoing) qui sont au
centre de communes étendues rassemblant un nombre important de villages.
Ce maillage de petites villes permet l'existence d'un habitat rural peu
isolé, un village n'étant jamais loin d'un petit centre urbain.
La région ne comporte pas de grande agglomération, comme
Charleroi peut l'être pour le Hainaut oriental : la plus grande
ville est Tournai, avec 35 000 habitants.
La commune de Tournai constitue d'ailleurs la parfaite
illustration du caractère rural du Hainaut occidental. Depuis la fusion
des communes de 1977, c'est la plus grande commune de Belgique en superficie
(21 375 ha) et également celle qui compte le plus d'entités (30
anciennes communes). La commune a estimé à 20 000 le nombre de
personnes habitant dans les villages éligibles pour le Plan Communal de
Développement Rural (en excluant une partie des villages
périurbains)55(*).
La commune au sens large comptabilise par ailleurs 67 476 habitants56(*), ce qui signifie que
près de 30 % de sa population réside en zone rurale. La
ruralité dans le Tournaisis, et d'une façon plus globale dans le
Hainaut occidental, est donc loin d'être un
épiphénomène - elle constitue au contraire une
caractéristique centrale de cette région.
La croissance
démographique des villages
Cette population rurale importante est en augmentation. Le
rural du Hainaut occidental est un chantier permanent : de tous les
villages que nous avons parcourus pour les besoins de ce travail, il n'en est
pas un seul qui ne compte une ou plusieurs maisons récemment construites
ou en cours de construction. Cette tendance n'est pas propre à la
région qui nous intéresse : Bodson57(*) a souligné le
même phénomène pour l'ensemble de Wallonie et
Poncin58(*) l'a
montré, chiffres à l'appui, pour la province du Luxembourg.
L'exode rural est révolu et les campagnes sont désormais en
croissance démographique. Pour illustrer cette réalité,
nous avons réalisé un graphique montrant l'évolution de la
population de l'ensemble des villages d'une commune du Hainaut occidental,
Leuze-en-Hainaut, entre 1890 et 2004.
Figure 2 : Évolution démographique des
villages de la commune de Leuze-en-Hainaut entre 1890 et 200459(*).
Le graphique montre que la majorité des villages de
l'entité suit une même tendance : une baisse de population
sur la période allant du début du siècle aux années
1970, avec un minimum généralement obtenu en 1977, pour
connaître ensuite une augmentation de la population, jusqu'à nos
jours. Le village de Gallaix (dernière courbe du graphique) en est
l'illustration parfaite : en 1900, il comptait 308 habitants, nombre qui
descend à 187 en 1950, pour atteindre son minimum en 1977, avec 138
habitants. Par la suite, la population réaugmente à 233 habitants
en 2004. Il est frappant de constater que cette évolution n'est pas
contingente et peut être généralisée à la
majorité des villages de l'entité. Cette tendance peut être
appliquée à l'ensemble du Hainaut occidental, où les
minima de population ont été atteints dans les années
1970, pour ensuite réaugmenter de façon continue jusqu'à
aujourd'hui. Il s'agit du phénomène de résidentialisation
qui voit des populations nouvelles s'installer à la campagne, devenue
aujourd'hui un cadre de vie prisé.
L'existence d'un sentiment
d'appartenance à la région
Il nous semble important d'aborder un dernier point pour
terminer cette brève présentation du Hainaut occidental. Nous
l'avons dit plus haut, nous n'avons pas observé, dans le chef des
différents acteurs des fêtes sur notre terrain, la
référence à une région plus large que le village ou
la commune, qui serait le Hainaut occidental. Cela ne veut pour autant pas
dire que cette région ne peut pas être une entité qui fait
sens, dans une certaine mesure. Deux faits importants, entre autres, laissent
à penser qu'elle peut précisément être une
catégorie opératoire.
Il y a, d'une part, l'intervention d'autorités
extérieures sur le territoire de la région qui peut amener les
individus à se percevoir comme habitant un même
périmètre et partageant un destin commun. Ceci est d'ailleurs le
cas de l'ensemble du Hainaut, dont la mauvaise santé économique
permet de jouir de subsides extérieurs importants. Ainsi existe, par
exemple, le programme « Objectif 1 Hainaut »,
financé par l'Union Européenne et la Région Wallonne, qui
a pour but de soutenir le développement économique de la
province. Ce genre d'initiative valorise le niveau local comme
un « espace d'action et de gestion qui jouerait un rôle
actif dans le développement, comme espace de mobilisation des ressources
par rapport à un univers délocalisé de marchés
économiques et de décisions politiques »60(*). Mormont montre comment la
délocalisation des décisions peut, paradoxalement, renforcer le
niveau local en le réinstaurant comme une catégorie qui fait
sens. Dans le cas du Hainaut occidental, la région devient un espace
d'action car c'est à ce niveau que les subsides sont disponibles - la
décentralisation des décisions est ici visible dans le sens
où le village ou la commune sont de plus en plus dépendants
d'instances décisionnelles lointaines, comme la Région Wallonne
et l'Europe, pour se gérer. Ceci implique la coordination des actions
à un niveau régional, au-delà des particularismes
locaux.
Pour apprécier complètement cette dynamique, il
faut également prendre en compte le rôle joué par certains
hommes politiques locaux, qui insistent sur « le caractère
dynamique » du Hainaut occidental et les « nombreuses
ressources » qu'il possède, soulignant alors la
nécessité pour la région de « se prendre en main
autour d'un projet collectif ». Finalement, l'intervention
d'instances extérieures permet, d'une première manière, de
donner un sens à la catégorie Hainaut occidental.
D'autre part, il semble possible d'identifier, en milieu
rural, un sentiment d'appartenance à une région plutôt
qu'à un village en particulier. Nous l'avons dit, le
phénomène de résidentialisation est corollaire d'un
nouveau rapport à l'espace rural, qui se vit désormais comme un
cadre de vie. Dans ce contexte, le village dans lequel on habite est de moins
en moins une entité qui fait sens et tend à devenir un village
parmi d'autres. Il semble que dans le Hainaut occidental, cette logique
d'appartenance à une région plutôt qu'à un village
soit fortement présente. La logique d'installation de nombreux couples
dans la région peut se décrire comme suit : les conjoints se
décrivent tous deux comme étant « de la
campagne », ayant habité dans leur jeunesse dans un village
avec leurs parents. Pour eux, l'opposition ville-campagne est une
véritable catégorie opératoire, et ils formulent un choix
positif d'habiter à la campagne, pour une série de raisons qu'ils
sont capables d'expliciter.
Bien souvent, ils n'habitent pas le même village que
leurs parents mais un village de la région, choisi en fonction de
considérations pratiques : la distance avec le lieu de travail et
le lieu de scolarité des enfants, et surtout, l'état du
marché immobilier au moment de la recherche du logement. Dans la
majorité des cas, le couple va s'installer dans le village où il
a repéré la maison ou le terrain à bâtir qui lui
convenait - l'existence d'un lien préalable avec le village en question
ne jouant que peu. Cette dynamique peut se répéter pour les
membres d'une même famille, qui vont habiter non plus dans un même
village, mais dans une même région, comme le montre cet extrait
d'entretien :
« Euh, non, je vais dire, j'ai toute ma famille dans
un rayon de... de 15 kilomètres quoi. Donc... oui, 15 kilomètres,
c'est le plus loin, donc ça, c'est un de mes frères qui habite
à Pipaix, j'ai un autre frère qui habite à Allain, mon
père est au centre-ville et ma mère est à Havinnes. Donc
c'est pas... je veux dire, c'est dans une région très
proche. »61(*)
Les villages se sont ouverts, avec pour conséquence le
passage du village à la région rurale comme entité de sens
pour un nombre important de ruraux, comme le montrent Mormont et
Mougenot62(*). Cela est
d'autant plus vrai en Hainaut occidental où l'espace rural est
ramassé : la densité de population y est sans comparaison
avec certaines régions rurales françaises ou certaines parties de
la province du Luxembourg. Les différents villages de la région
sont très proches les uns des autres et fortement peuplés.
Si les villages de la région ont été un
jour des ensembles fermés et auto-suffisants, ceci est donc loin
d'être le cas à l'heure actuelle. La fusion des communes de 1977 a
achevé de faire sauter les dernières frontières entre les
villages, si bien que le rural du Hainaut occidental contemporain doit se
percevoir comme une région, et non pas comme une addition de
localités indépendantes. La mobilité à toute
épreuve des ruraux y est pour quelque chose : combinée
à un réseau routier dense et fonctionnel, elle permet d'affirmer
qu'« on n'est jamais loin de rien ». Dans ce contexte, le
choix d'un village ou d'un autre pour s'établir n'est pas crucial,
puisque l'on peut rapidement rallier en voiture les différents villages
de la région.
La région rurale devient, in fine, une
entité qui fait sens pour un nombre important de ruraux. C'est un espace
dans lequel se situent bien souvent famille, amis, travail et activités,
et dans lequel on se déplace aisément.
Cette dimension du rural en Hainaut occidental ne doit pas
être appréhendée d'une manière absolue. D'une part,
il ne s'agit que d'une forme d'appartenance parmi d'autres,
ne signifiant pas qu'il n'y a pas de ruraux qui se sentent appartenir en
priorité à leur village plutôt qu'à une
région. D'autre part, il est possible pour un individu de combiner un
sentiment d'appartenance à son village et à sa région dans
le même temps, à des niveaux différents.
II. LA FÊTE AU
VILLAGE
2.1. Les différentes
théories des fêtes rurales
Avant de pouvoir définir notre problématique et
procéder à l'analyse de notre matériau, nous avons
jugé nécessaire de présenter une synthèse des
analyses importantes qui ont été produites sur les fêtes
rurales. Nous allons en premier lieu effectuer un rapide survol des productions
des sciences humaines sur la fête.
La fête sous l'oeil
de la science
La fête, tout aussi spontanée et
a-problématique qu'elle puisse paraître, n'en demeure pas moins un
phénomène complexe63(*). L'anthropologie, dès ses débuts, s'est
intéressée aux moments festifs dans les communautés
qu'elle analysait. Les sciences humaines dans leur ensemble ont produit de
nombreux écrits sur le thème. Nous nous contenterons ici de
rappeler les principales dimensions de la fête mises en avant par cette
production importante, en nous inspirant de la synthèse effectuée
par Moreau et Sauvage64(*).
La fête permet, tout d'abord, de scander le temps et les
saisons. Cretin scinde les fêtes occidentales en quatre temps : les
fêtes du printemps et du renouveau ; les fêtes de la
croissance et du mûrissement, qui se déroulent entre le
1er mai et la Saint-Jean ; les fêtes estivales et
automnales, qui célèbrent l'abondance ; et enfin, les
fêtes hivernales. Il est ainsi possible de lier de nombreuses fêtes
à une période précise de l'année. Dans cette
perspective, le temps est souvent décrit comme un balancier65(*) : il ne s'écoule
pas d'une manière continue mais oscille tel un pendule qui
s'arrête à intervalles réguliers pour mieux reprendre sa
route. Les fêtes se situent à ces extrémités :
moments hors du temps, elles constituent des évènements
extraordinaires de la vie d'un collectif pendant lesquels le cours des choses
est suspendu.
Les fêtes prennent également la forme de rites de
passage, qui voient la communauté se rassembler pour
célébrer l'accession d'une partie de ses membres à un
nouveau statut. Le groupe se réunit parce que cette transition doit
être socialement sanctionnée ; à travers l'acquisition
d'un nouveau statut pour quelques individus, c'est tout le collectif et son
mode de fonctionnement qui est célébré.
La fête, c'est aussi le moment de la transgression et de
l'inversion des codes sociaux, pendant lequel les excès sont
tolérés parce qu'ils s'inscrivent dans un cadre précis et
limité. Le carnaval est l'illustration parfaite de cet aspect, dans la
mesure où il est ce formidable moment de renversement des
interdits : il constitue la licence absolue, l'exutoire de toutes les
pulsions, une parenthèse du cours des choses qui permet, paradoxalement,
de légitimer l'ordre social établi.
Moreau et Sauvage synthétisent ces différents
aspects de la fête de la manière suivante :
« La fête est une des choses essentielles que
les sociétés humaines ont inventée non seulement pour
construire leur appartenance à une communauté de temps et de lieu
- première fonction, sociale -, mais aussi pour leur permettre de
s'exercer à la transgression afin de mieux se maîtriser - seconde
fonction, émotionnelle. »66(*)
Cette formule comporte un aspect de la fête que nous
n'avons, à dessein, pas encore abordé, à savoir sa
fonction sociale ; la fête, c'est cet évènement crucial
dans la vie d'un groupe qui lui permet de renforcer sa cohésion. La
fête rassemble, elle permet aux individus de se percevoir comme
appartenant à un groupe et de renouveler ce sentiment. Sa puissance
réside dans cette capacité de réunion :
au-delà des intérêts personnels, au-delà des
tensions et des conflits, la fête rassemble un groupe, le fait exister et
se percevoir comme un, en effectuant « une abolition temporaire des
différences sociales ou des divergences politiques »67(*).
C'est cette dimension qui nous intéresse
particulièrement dans le cadre de ce travail : comment une
fête de village parvient-elle - ou pas - à créer un groupe
villageois ? Nous reviendrons de manière plus systématique
sur cette question dans notre problématique.
Il convient maintenant de passer en revue plusieurs
interprétations qui ont été produites sur les fêtes
rurales, afin de pouvoir nous positionner et construire une
problématique qui prenne en compte l'état du champ dans lequel
nous travaillons. Repartir des productions antérieures va ainsi nous
permettre de nous inscrire dans une démarche cumulative.
Nous allons structurer cette présentation de la
manière suivante : après avoir décrit la fête
rurale classique, nous exposerons les productions de trois auteurs ou groupes
d'auteurs : dans un premier temps, Champagne ainsi que Gervais, Jollivet
et Tavernier ; viendront ensuite Bodson et Dibie ; et enfin,
Fournier.
La fête rurale
classique : la ducasse
La première approche à présenter concerne
les fêtes du monde rural passé. Nous l'avons dit, la
ruralité s'est radicalement transformée durant ces
dernières décennies ; les fêtes rurales,
inévitablement, ont suivi le mouvement. Il n'en reste pas moins
intéressant de souligner les principales dimensions et les fonctions
essentielles que pouvait remplir une fête dans un village relativement
auto-suffisant, centré autour d'une culture paysanne et qui était
le siège d'une véritable communauté villageoise. Dans ce
village où le lien social est basé sur la ressemblance, les
habitants développent une interconnaissance forte. Nous sommes en
présence d'une sociabilité où la proximité spatiale
entraîne nécessairement une proximité sociale : tout
villageois va ainsi assurer qu'il « parle avec tout le
monde ».
Ainsi décrit, le village donne l'impression
d'être un havre de paix, où tous s'apprécient mutuellement.
Nous avons montré, par ailleurs, comment les romans ruraux et
régionalistes avaient véhiculé, en leur temps, une
représentation idéalisée du monde rural en
dépeignant précisément le village comme une
communauté paisible et pacifiée. Une fois encore, il s'agit de ne
pas être dupe : quand un villageois soutient qu'il
« s'entend bien avec tout le monde », il énonce
surtout une norme, qui lui permet de réaffirmer son appartenance au
groupe, plutôt qu'une pratique effective68(*). Dans les faits, la communauté est
évidemment sujette aux tensions. Il est impératif pour sa
pérennité de ne pas voir ces tensions se transformer en conflits
lancinants, étant donné que le village, en tant qu'institution
totale, est incapable de gérer les conflits internes. Dans ce contexte,
la fête a une dimension cruciale : elle a pour indispensable
fonction de renforcer la cohésion du groupe villageois. En rassemblant
les membres du village sur un mode festif, elle permet de refonder
périodiquement la communauté, et l'empêche ainsi
d'exploser. La ducasse, traditionnellement, consiste à fêter le
saint patron de l'église, ce qui revient, pour le groupe villageois,
à célébrer sa propre existence.
L'analyse de
Champagne : les nouvelles fêtes de village comme lieu de domination
de l'urbain sur un rural ouvert
L'analyse précédente ne peut être
appliquée à un rural qui s'est ouvert et qui devient de plus en
plus un espace d'hétérogénéité. Champagne,
en 1977, a décrit les évolutions subies par la fête d'un
village du département de la Mayenne dans son article La fête
au village69(*). En
l'associant avec Histoire de la France rurale70(*), nous disposons
d'éléments intéressants pour décrire les traits
caractéristiques qui différencient les fêtes rurales du
début du XXème siècle de celles des
années 1970. Il nous faut cependant utiliser ce matériau avec
prudence dans le cadre de ce travail, et ce pour trois raisons :
premièrement, ces deux analyses ont trente ans d'âge ;
deuxièmement, elles portent sur le cas français ; et
troisièmement - particulièrement dans le cas de Champagne - elles
développent un discours nostalgique sur le passé et semblent
« fâchées » avec la ruralité de leur
temps.
Champagne comme les auteurs d'Histoire de la France rurale
constatent la disparition de la fête de village traditionnelle que
nous avons déjà évoquée. La fête patronale ou
l'« assemblée communale » avait une dimension
religieuse forte : elle était dédiée au saint patron
de la paroisse (cf. supra) et, dans le cas décrit par
Champagne, sa date était fixée en fonction du calendrier
religieux. Cette fête rassemblait presque exclusivement les habitants du
village : « essentiellement locale, [elle] laissait peu de place
à l'extérieur »71(*). Parallèlement à ce grand moment
festif, le village connaissait au cours de l'année d'autres
manifestations liées plus spécifiquement au culte catholique (la
Fête-Dieu, les Rogations) ou au monde paysan (les fêtes de la
moisson et des vendanges). Ces fêtes perdent progressivement en ferveur
au cours du XXème siècle et, dans bien des cas,
disparaissent du calendrier villageois.
La disparition progressive de ces fêtes de type ancien,
avec une dimension religieuse et paysanne forte, ne signifie pas que les
villages ne connaissent plus de moments festifs72(*). La fête au village existe toujours, mais elle
prend d'autres formes. Les auteurs lient cette évolution aux mutations
qui affectent le rural dans sa globalité.
La mécanisation de l'agriculture, notamment, a
libéré les paysans de la situation d'interdépendance dans
laquelle ils se trouvaient. Les exploitations deviennent de plus en plus
autonomes : il n'est par exemple plus nécessaire de faire appel
à ses voisins pour les moissons, puisque la moissonneuse-batteuse
remplace les nombreux bras auparavant requis.
L'école est également pointée du doigt -
une fois de plus - par Champagne, avec l'implantation en dehors du village
d'établissements scolaires divers, qui
« [accélèrent] le processus de
« dépaysannisation » des enfants de paysans pris en
charge et socialisés par des institutions extérieures au groupe
villageois »73(*).
Ces deux évolutions, parmi d'autres, mettent à
mal la communauté villageoise, tant et si bien que l'existence d'un
groupe paysan homogène avec une cohésion forte appartient de plus
en plus au passé. L'autonomisation des exploitations agricoles, qui
signifie la diminution des relations d'entraide, reflète à elle
seule cette dynamique qui voit la famille prendre progressivement le pas sur le
village74(*). De moins en
moins, les villageois ont l'occasion de s'éprouver comme appartenant
à un groupe basé sur une unité de condition. La
diversification sociale du rural n'y est pas étrangère, en
consacrant la fin de l'agriculture comme culture structurante des
villages75(*).
Si la vie agricole, de par la mécanisation, est de
moins en moins un cadre de vie sociale, il y en va de même pour la vie
religieuse. Le curé perd progressivement du pouvoir dont il jouissait
sur ses paroissiens, et si l'église reste spatialement au centre du
village, la place symbolique qu'elle occupait dans la vie villageoise diminue.
La messe du dimanche n'est plus ce « temps par excellence du
rassemblement de la communauté »76(*), et la vie sociale se
laïcise progressivement.
Dans ce contexte nouveau, la fête change de forme.
Champagne nous livre ainsi une description précise de la nouvelle
fête du village, en 1977. Cette dernière porte en elle l'existence
d'un public : quand la fête ancienne voyait les villageois
être à la fois acteurs et spectateurs de la manifestation (les
jeux paysans, comme le mât de cocagne, illustrent la participation alors
active des villageois), la fête nouvelle mouture prend désormais
la forme d'un spectacle. Le défilé de majorettes et la
course cycliste constituent des divertissements que l'on regarde - alors
qu'auparavant les villageois « faisaient la fête »,
selon l'expression évocatrice que rappelle Champagne77(*) -, et ils mettent en
scène une majorité d'individus extérieurs au village. La
fête se professionnalise : la fanfare ainsi que l'orchestre qui
anime le bal ne sont plus composés de villageois amateurs, mais
d'étrangers, dont c'est le métier. Corollairement, la fête
acquiert une dimension économique importante : d'une part, les
professionnels exigent salaire, d'autre part, les villageois font payer le
public pour les diverses activités, puisque celui-ci vient
majoritairement de l'extérieur et qu'il ne s'agit plus d'un moment
« entre soi ». Il en résulte qu'« on ne vient
plus à la fête sans bourse délier »78(*). La fête devient ainsi
un lieu de consommation où les flux d'argent sont importants.
Nos deux références pointent de concert
l'importance prise par le bal, considérée comme
emblématique des transformations qui affectent les fêtes rurales.
Attirant une population jeune issue de la région, le bal a une
coloration « citadine » bien plus que paysanne, que ce soit
au travers de la musique diffusée et des danses qui y sont
associées, ou dans l'habillement des jeunes gens qui s'y rendent. Pour
les auteurs, il symbolise l'ouverture du village au monde extérieur,
ouverture qui voit le groupe villageois subir une invasion culturelle contre
laquelle il est démuni. Champagne synthétise la forme prise par
cette nouvelle fête de village avec un propos désenchanté,
en phase avec sa position globale par rapport au rural, qu'il appréhende
à partir de ce qu'il n'est plus. L'extrait suivant illustre bien cette
tendance qui consiste à évaluer le présent à partir
du passé :
« Cette fête « moderne »
et standardisée, fête pour les autres plus que fête de la
commune, est la négation de la fête ancienne dans la mesure
où tout ce qui faisait la spécificité des valeurs
paysannes se trouve éliminé au profit de la reconnaissance des
valeurs urbaines sans doute diffusées par la télévision
qui conduit à séparer de façon rigoureuse les spectateurs
des acteurs et à confier à des professionnels le soin d'organiser
les distractions. »79(*)
Champagne termine son article en évoquant les
fêtes « à l'ancienne », qui constituent selon
lui les moments où « la domination urbaine qui s'exerce sur le
monde paysan » atteint son apogée. Mettant en scène les
techniques paysannes révolues (moisson « à
l'ancienne » avec battage au fléau, labour avec chevaux,
« vieux métiers » du cordier, du vannier, etc.), ce
genre de manifestation participe d'un mouvement plus large de folklorisation du
passé. Champagne souligne la contradiction que portent ces fêtes,
dans la mesure où, d'une part, les agriculteurs sont soumis à
cette injonction de modernisation qui les enjoint de tirer un trait sur les
pratiques « archaïques » du passé, alors que
d'autre part, au nom de principes différents, une idéologie
nostalgique magnifie un mode de vie paysan dépassé et invite les
villageois à le mettre en scène. Pour lui, « il n'est
pas de groupe social qui ait été soumis à des demandes
aussi contradictoires »80(*). Il considère que ces fêtes à
l'ancienne se distinguent des anciennes fêtes et sont à rattacher
aux nouvelles fêtes de village, étant donné qu'elles
prennent la forme d'un spectacle proposé à un public,
majoritairement étranger au village :
« (...) il s'agit d'un spectacle, symbolisé
par les barrières, par deux immenses parkings pour accueillir les 4 000
visiteurs qui viendront de toute la région et par le paiement d'un droit
d'entrée ; si tout le village participe, c'est pour se donner
à voir à un public extérieur à la
commune. »81(*)
Réflexion
intermédiaire : la fête et le rural, aux destins
liés
L'évolution des fêtes de village jusqu'aux
années 1970, eu égard au matériau qui a été
utilisé, peut être synthétisée d'une manière
très lapidaire : la fête s'est laïcisée,
« dépaysannée » et ouverte à
l'extérieur. Ces trois traits nous semblent toujours pertinents pour
cerner les formes que prennent les fêtes rurales actuelles. In
fine, la fête a suivi le destin de l'ensemble du rural, qui
lui-même a fortement perdu sa dimension religieuse, sa dimension paysanne
et son caractère auto-centré.
L'enseignement qu'il nous faut ici garder, c'est que le destin
de la fête est intimement lié à celui du rural. La remarque
peut sembler triviale et logique. Pourtant, dans l'enchaînement des
différents points de ce travail, nous avons été
amené à faire dans un premier temps un état des lieux du
rural wallon, pour analyser dans un second de temps, l'évolution des
fêtes rurales ; ce modus operandi pourrait laisser croire
que fête et rural soient deux objets autonomes, appréhendables
séparément. Il n'en est rien, et l'affirmer serait une erreur
épistémologique majeure. Au contraire, tout est dans le tout, la
fête est dans le rural et le rural est dans la fête. Parler du
rural, c'est parler de la fête, tout comme la fête, comme nous
l'avons expliqué en introduction, est en fait une porte d'entrée
pour parler du rural. Elle n'est donc pas séparable de la
totalité dans laquelle elle s'inscrit et prend sens, et ses
transformations sont inévitablement liées aux transformations du
rural. C'est pour cette raison que nous avons tenu à faire un
état des lieux du rural, car c'est à partir de ce contexte que
nous pourrons appréhender valablement la fête. Comme le dit
Haudricourt, « n'importe quel objet, si vous l'étudiez
correctement, toute la société vient avec »82(*). C'est l'ambition que nous
nourrissons modestement à propos de la fête et de la
ruralité.
Les nouvelles fêtes
de village dans un contexte de rurbanité : l'apport de Bodson et
Dibie
Si nous nous tournons à présent vers les travaux
récents de Bodson83(*) et Dibie84(*), nous pouvons considérer les fêtes de
village sous un autre angle. Dans le rural contemporain, devenu pour une
majeure partie de ses habitants un espace résidentiel, de nouvelles
formes de fêtes voient le jour. Les barbecues, brocantes et vide-greniers
fleurissent dans les campagnes durant l'été. Ces
festivités sous-tendent un rapport très contemporain à
l'espace rural en tant que cadre de vie. La nouvelle sociabilité
décrite par Bodson, qui requiert a priori une distance
sociale dans laquelle peut être réintroduite, lors de moments
particuliers, une certaine proximité, permet de comprendre la fonction
de ces nouvelles fêtes. Il ne s'agit pas de ducasses au sens classique du
terme, où le groupe villageois célèbrerait son existence
et où chacun aurait l'occasion de renforcer son sentiment d'appartenance
à une communauté ; les nouvelles fêtes ont perdu cette
fonction identitaire cruciale, et ont désormais pour but d'amener de la
chaleur et de la convivialité entre les habitants d'un même
espace. Comme le formule Bodson, « la fête au village n'est
plus un moment identitaire indispensable vécu sur le mode communautaire,
mais c'est devenu un moment de sociabilité festive vécu sur le
mode associatif. »85(*). Dans ce contexte, la fête s'intègre
dans ce cadre de vie qu'est devenu le rural et doit contribuer à rendre
ce cadre agréable et « sympa ».
Fournier et les fêtes
thématiques
Fournier développe depuis plusieurs années une
approche ethnologique des fêtes rurales en Provence. Même si son
terrain est différent du nôtre, la proximité de ses propos
avec nos intérêts et leur caractère actuel nous
amène à considérer son travail avec attention. Ce dernier
propose une typologie des fêtes rurales en Provence86(*), typologie que nous allons
brièvement présenter, car nous allons nous en inspirer pour la
suite de notre travail.
Cette classification présente comme premier type les
fêtes votives, qui peuvent être assimilées aux ducasses
« traditionnelles » du Nord de la France et de la Wallonie.
Présentant à l'origine une dimension religieuse forte, ces
fêtes se sont progressivement laïcisées. Elles sont
centrées principalement sur les jeunes du village, et jouent le
rôle classique de renforcer la cohésion d'un groupe et
d'entretenir un sentiment d'appartenance. Peu tournées vers
l'extérieur, elles rassemblent une population essentiellement locale qui
trouve là l'occasion de se retrouver « entre soi ».
Ces fêtes sont le théâtre de transgressions en tous genres,
rejoignant ainsi une des dimensions classiques de la fête
évoquée plus haut : les fêtes votives sont celles de
tous les excès, alcooliques, alimentaires, sexuels, sonores, autant de
transgressions à travers lesquelles le groupe se
célèbre.
Les fêtes de confréries constituent un
deuxième type de festivités. Présentant un
caractère beaucoup plus ritualisé que les fêtes votives,
elles prennent généralement la forme de processions, comme les
« fêtes à charrettes »87(*). Les confréries
regroupent certains villageois qui entendent perpétuer une tradition, en
revêtant les costumes d'antan et en jouant les musiques d'époque.
Ces fêtes ont un programme assez rigide et formalisé :
nourrissant une ambition d'authenticité, elles se plient aux exigences
de la tradition plutôt qu'à celles du public.
Le troisième et dernier type de fête nous
intéresse particulièrement. Il comporte en effet de nombreuses
similitudes avec une fête du Hainaut occidental que nous avons
analysée88(*). Ce
troisième type regroupe les fêtes thématiques89(*), nouvelles fêtes qui se
sont développées depuis les années 1970 en Provence. Comme
leur nom l'indique, elles sont organisées autour d'un thème,
touchant aux produits du terroir (l'olive, le foin, la pomme), aux
métiers anciens, aux animaux domestiques (le cheval, le chien) ou
à la culture régionale. Tout un week-end d'animations, dont le
village est le support, est organisé autour de ce thème.
Contrairement aux fêtes votives et aux fêtes de confréries,
la fête n'a ici pas de sens sans public. Elle prend au contraire la forme
d'un spectacle reposant fondamentalement sur la venue d'une assistance
extérieure, ce qui n'est pas sans rappeler les nouvelles fêtes de
village décrites par Champagne.
Une des caractéristiques majeures qui distinguent ces
fêtes des autres festivités est la dynamique de
distanciation qu'elles sous-tendent. Cette prise de distance est un
phénomène relativement récent qui renvoie à
« la constitution d'un regard extérieur sur les cultures
locales et à la capacité pour les acteurs de ces cultures de
proposer une image d'eux-mêmes à un public
extérieur »90(*). Cette objectivation de soi et de sa propre culture
est identifiée par Fournier comme se développant à partir
des années 1970. Pour lui, l'ouverture progressive des villages à
partir de cette époque est corollaire du développement des
fêtes thématiques. Dans sa traduction d'un article de Boissevain,
Fournier avance de nouvelles explications au regain d'intérêt pour
les fêtes rurales :
« (...) dans les années 1970, plusieurs
éléments ont contribué à un changement d'attitude
à l'égard des fêtes publiques : migrations,
industrialisation, déconfessionnalisation, explosion des média,
démocratisation, et tourisme. Les travaux du Club de Rome sur les
limites de la croissance (1972), le livre de Schumacher Small is
Beautiful (1973), le concept de « qualité de
vie » ont ravivé l'intérêt pour un genre de vie
rural et centré sur les communautés
traditionnelles. »91(*)
Fournier ajoute, dans le même article, que
« la présence d'étrangers a rendu les populations
locales conscientes de leur identité »92(*). Cet extrait nous amène
à faire le parallèle avec notre terrain où la
période des années 1970 constitue également un
moment-clé. D'une part, comme nous l'avons déjà dit, cette
date marque la fin de l'exode rural et voit la population des villages du
Hainaut occidental réaugmenter. D'autre part, c'est à ce moment
que les festivités rurales sous leur forme actuelle voient le
jour : les « comités de fêtes »
rencontrés sur le terrain ont systématiquement été
créés dans les années 1970 ou plus tard, si bien qu'il n'y
a pas, à notre connaissance, de fête rurale majeure de la
région qui puisse se targuer d'avoir plus de quarante ans d'âge.
L'hypothèse de Fournier nous semble ici applicable : à
partir de 1970, l'ouverture de plus en plus grande des villages à
l'extérieur, accompagnée de l'arrivée massive
d'étrangers, les néo-ruraux, a pu amener certains acteurs
à prendre conscience de leur identité, à vouloir
peut-être la défendre contre une menace, et à mettre sur
pied des fêtes thématiques, caractéristiques de cette
distanciation93(*).
Restent maintenant à passer en revue les principales
caractéristiques de ces fêtes thématiques. La fête
rurale classique n'était pas organisée en fonction d'un public
extérieur ; les fêtes thématiques, à l'inverse,
sont des spectacles. La fête classique, en outre, et
particulièrement les fêtes de confréries, présentent
un programme relativement strict et inchangé au cours des ans :
leurs acteurs doivent reproduire, d'une manière codifiée, des
activités et des gestes précis. La fête thématique,
quant à elle, est construite de toutes pièces. Elle se
caractérise par une offre très diversifiée
d'activités qui prennent place dans l'espace du village. La fête
est un véritable festival, où le public doit
nécessairement faire un choix dans un programme éclectique :
il n'est pas possible d'assister à tout, étant donné que
plusieurs animations se déroulent au même moment à
différents endroits du village. Cette offre variée répond
à la volonté des organisateurs de toucher un public aussi large
que possible, entre les villageois de souche, les néo-ruraux et les
touristes ; elle fait écho, in fine, à la situation
de mixité sociale du rural contemporain.
Ainsi, la fête rurale classique avait pour fonction le
ressourcement périodique du groupe villageois. Durant les
dernières décennies, les cultures locales, de par leur ouverture,
ont été amenées à s'objectiver et à se
mettre en scène. Cette réflexivité des villageois est le
résultat d'une « prise de conscience progressive de la valeur
« exotique » de tout rituel festif aux yeux d'un public
extérieur »94(*). Les acteurs locaux perçoivent ainsi
l'existence d'un marché « porteur », sur
lequel il est possible de susciter une demande. Cette ouverture au monde
extérieur n'est paradoxalement pas une menace pour l'identité du
groupe, et constitue au contraire le support de cette identité. La
fête, qui est objectivée par la communauté qui l'organise,
devient la vitrine du groupe. Cette distanciation est rendue possible par la
professionnalisation de son organisation, que Champagne avait
déjà décrite, qui la voit être de moins en moins
l'expression spontanée et naturelle d'un groupe pour devenir un objet
à construire.
Ces fêtes thématiques, telles qu'elles ont
été décrites, sont particulièrement
intéressantes dans la mesure où elles traduisent un nouveau
rapport à soi et à son espace, et présentent, comme nous
le verrons par la suite, de nombreuses similitudes avec un nombre important de
fêtes rurales nouvelles en Hainaut occidental.
2.2.
Problématique
Pour exposer notre problématique, nous allons repartir
du cheminement personnel qui est à l'origine de ce travail.
Des fêtes vivaces...
dans un espace mort ?
Ce mémoire est parti, initialement, d'un constat
personnel portant sur la vivacité des fêtes de village dans
notre région. Cette observation se base sur les fêtes
d'été, que l'on appelle « les chapiteaux »
(cf. infra). On peut parler à leur sujet d'une
véritable saison, comme on parle d'une saison de Formule 1 ou de
football : pendant une période définie de l'année
(d'avril à octobre), la même forme de festivités se produit
chaque week-end, chaque village ou presque de la région organisant ainsi
sa fête. Chaque année, la saison se réitère et les
organisateurs comme le public sont présents avec une
régularité impressionnante. Ce caractère
répétitif est ainsi d'application à la fois à
l'intérieur de la saison, d'un week-end à l'autre, et entre les
saisons elles-mêmes. Chaque village conserve en effet la même date
de festivités d'une année à l'autre (par exemple,
« le troisième week-end de juillet ») pour
fidéliser un public. Dans ce qui constitue véritablement un
marché, nous le verrons, l'enjeu, pour les organisateurs de ces
festivités, est d'introduire de la différence tout en restant
dans le même. Autrement dit, il s'agit de se différencier, de
proposer les nouveautés qui sont susceptibles de faire la
différence par rapport aux voisins, tout en restant dans un même
registre, dans une même forme de fête, afin que la comparaison soit
toujours possible - il ne s'agit pas de se trouver « hors
jeu ».
Chaque année, c'est la même pièce qui se
rejoue : la valse des chapiteaux reprend ses droits. On ressort les
panneaux publicitaires de l'année précédente, on modifie
la date (« 15-16-17 août » devient ainsi
« 14-15-16 août ») et on les plante le long des
nationales et près des carrefours. Chaque week-end, ce sont parfois
jusqu'à cinq villages de la région qui organisent
simultanément leur chapiteau. Chaque jeudi et vendredi, la presse locale
annonce les festivités ; chaque lundi, un compte-rendu du week-end
est publié. L'affluence lors de ces fêtes est considérable,
les villages accueillant ainsi plusieurs milliers de personnes sur un week-end.
Au final, ces fêtes rythment l'été de la région,
à tout le moins l'été « rural », et
constituent un véritable fait social95(*).
Cette observation, si elle semble anodine, est en
réalité frappante. Elle entre en contradiction avec une
représentation ambiante du rural comme un espace en perte de vitesse.
C'est ce paradoxe apparent qui nous a poussés à entreprendre un
mémoire sur ces fêtes. En effet, si l'on consulte certains
écrits, si l'on écoute certains acteurs du monde rural, force est
de constater qu'une certaine image de ce monde circule - une
représentation de la ruralité comme essoufflée, comme un
mode de vie autrefois glorieux qui n'est plus ce qu'il était.
L'agriculture est en profonde restructuration depuis plusieurs
décennies. Le formidable mouvement de concentration des exploitations
qu'elle connaît est corollaire d'une diminution structurelle et constante
du nombre d'agriculteurs. Parallèlement à cette mutation
structurelle difficile à vivre, les agriculteurs ont récemment
dû faire face à un certain nombre de crises du secteur alimentaire
(dioxine, vache folle, grippe aviaire), qui ont terni leur image sociale. Ces
facteurs conjugués expliquent pourquoi ce corps professionnel traverse
une véritable crise identitaire96(*). Lorsqu'ils s'expriment, ces acteurs
dépeignent leur espace comme morose et vide. Selon leur discours, les
campagnes sont désenchantées, le rural est mort et les villages
sont devenus des « dortoirs ».
Ce discours désabusé ne peut être
pensé indépendamment de la crise identitaire ci-dessus
évoquée. Le rural d'antan, les agriculteurs l'associent à
la prospérité passée, éventuellement
mythifiée. Fâchés avec leur temps, ils considèrent
la ruralité contemporaine de façon péjorative, en
l'identifiant comme responsable des maux qui les affectent. Il en est ainsi
parce que l'ouverture des villages à des populations nouvelles a remis
en question la place centrale qu'y occupaient les agriculteurs, qui sont
désormais obligés de composer avec des utilisateurs qui
entretiennent un rapport différent à l'espace rural.
L'émergence du rural comme un cadre de vie, chez ces nouveaux habitants,
est en réalité synonyme de conflits et de concessions en
perspective pour les agriculteurs, dans un contexte de cohabitation difficile.
Il est fort probable d'ailleurs que ces derniers soient les colporteurs les
plus dévoués d'une idéalisation du rural passé,
telle que nous l'avons décrite supra.
Une représentation des villages comme vides et
désenchantés peut donc être portée par certains
agriculteurs. Cependant, cette position ne constitue pas un diagnostic complet
et correct de la ruralité actuelle : aux individus qui tiennent ce
discours, il faudrait spécifier que ce n'est pas parce que leur
rural est mort que, pour autant, le rural serait mort. Il est
essentiel de garder cette idée à l'esprit et de se
départir d'une vision du rural comme étant un monde exclusivement
agricole. Le rural n'est plus que cela, il est plus que cela. Les campagnes
constituent désormais le cadre de vie de nouvelles populations qui ne
sont pas en lien avec l'agriculture, et pour qui la ruralité est l'objet
d'un choix de vie positif. Si l'on interroge ces personnes, ces
dernières vont soutenir, au contraire, qu'il y a de la vie dans les
villages, et vont se situer bien loin du discours analysé ci-dessus.
Tout comme l'ouverture des villages à des populations nouvelles
n'entraîne pas nécessairement que ces derniers deviennent des
dortoirs97(*), dans le
cadre des fêtes de village, il ne faudrait pas considérer que le
déclin de la fête rurale classique présentant une dimension
agricole forte signifie qu'il n'y a plus, pour autant, de fêtes
rurales.
Une des visées de ce mémoire sera de sortir
de ce paradoxe trompeur : montrer, via une description des fêtes de
village, que le rural n'est pas un espace vide et mort, en allant à
contre-courant d'une certaine représentation fréquente de ce
monde. Cela ne sera possible qu'en adoptant un point de vue adapté,
c'est-à-dire qui prend acte des transformations récentes de cet
espace pour le décrire comme un monde qui n'est plus exclusivement
agricole.
Notre
problématique : dégager les dynamiques d'appartenance au
travers des fêtes
Après avoir décrit le cheminement intellectuel
qui est à la base de ce travail, il convient maintenant d'expliciter
notre problématique à proprement parler, en présentant les
dimensions des fêtes de village qui nous intéressent et la
question que nous désirerions approfondir.
Certains auteurs, comme Bodson et Dibie, ou encore Fournier,
décrivent les nouvelles fêtes de village. Ces festivités
sont liées à une sociabilité élective, qui
s'inscrit dans un rapport à l'espace rural comme un cadre de vie. Plus
conviviales qu'identitaires, elles ont pour but de rendre ce cadre
« sympa » et chaleureux, et ne constituent plus un moment
crucial par lequel les villageois réaffirment leur appartenance à
un groupe. Bodson parle ainsi des brocantes et des barbecues, Dibie
décrit les vide-greniers et Fournier met l'accent sur les fêtes
thématiques. Ces différentes illustrations convergent vers un
même constat : l'appartenance ne fonctionne plus comme un principe
transversal qui permettrait d'expliquer toutes les pratiques festives
rurales98(*).
Pour autant, ces nouvelles fêtes, et les trois auteurs
cités le soulignent, ne constituent pas l'ensemble des fêtes
rurales. Elles coexistent avec des festivités présentant une
forme plus classique, sans rendre ces dernières
« obsolètes ». Comme le dit Fournier à propos
des fêtes thématiques :
« Plus ouvertes, plus éclectiques et plus
hétérogènes que par le passé, ces fêtes
[thématiques] ont pourtant du mal à concurrencer ou à
remplacer les fêtes construites selon les modèles anciens, qui
continuent à exister parallèlement. Ainsi, les nouvelles
fêtes locales, avec leurs prétextes thématiques et leurs
fonctions nouvelles, renforcent le paysage festif plus qu'elles ne le
bouleversent vraiment. »99(*)
Ces nouvelles fêtes donc ne constituent donc qu'un pan
du paysage festif rural. C'est précisément ce qui nous avait
interpellé à l'origine : les chapiteaux du Hainaut
occidental, si présents et vivaces, ne correspondent pas à cette
catégorie de nouvelles fêtes. Certes, ils attirent un nombre
considérable de personnes extérieures au village, comme le font
les brocantes ou les fêtes thématiques. Mais ils s'apparentent
moins à un spectacle proposé à un public, dans le sens
où la forme des activités implique bien souvent la participation
des personnes présentes. Pour reprendre Champagne, dans un chapiteau,
les villageois « font la fête », à proprement
parler. La logique de ces manifestations semble donc se rattacher plus
difficilement à un rapport distancié au rural comme cadre de
vie.
Ceci permet de formuler l'hypothèse suivante : si
l'on ne peut plus appréhender le rapport de tous les ruraux à
leur espace uniquement en termes d'appartenance, il n'en demeure pas moins que
ce principe est toujours d'application, dans une certaine mesure, et reste une
clé de lecture indispensable pour comprendre la relation qui se
joue entre un individu et l'espace qui l'entoure. Pour autant, il faut se
départir d'une vision classique de l'appartenance, telle qu'elle se
jouait dans un rural passé. Les chapiteaux du Hainaut occidental ne sont
pas des manifestations passéistes et rétrogrades, mises en place
par des personnes âgées ou des agriculteurs soucieux de retrouver
la communauté villageoise du passé ; ce sont au contraire
des évènements modernes, portés par une population jeune
et dynamique, et proposant des activités contemporaines.
Nous voudrions donc, à travers ce travail, nous
intéresser à la place et au statut des logiques d'appartenance
dans un contexte de rural recomposé. Une telle démarche va
quelque peu à contre-courant des analyses récentes sur la
ruralité, qui s'intéressent plutôt à l'ouverture des
villages à des populations porteuses d'un nouveau rapport à
l'espace. Nous posons ici comme hypothèse que l'appartenance reste un
principe toujours d'actualité, bien qu'elle prenne désormais des
formes nouvelles. Nous ne cherchons pas en effet à retrouver les
vestiges d'appartenance classique, telle qu'on pouvait la trouver dans un rural
fermé et homogène du début du XXème
siècle. Dans ce contexte se développait un rapport total
d'identification de tout un groupe à un espace très local, le
village, en tant qu'enveloppe de vie qui fournissait tout à chacun de
ses membres (femme/mari, travail, logement, relations sociales, loisirs, etc.).
Nous pensons que l'appartenance, comme la fête, a suivi le destin du
rural, et s'est transformée. Elle doit nécessairement, au vu des
mutations radicales qui ont frappé cet espace, revêtir de
nouvelles formes, que nous entendons mettre à jour. Il s'agit donc pour
nous de prendre acte de ces transformations pour livrer un diagnostic
actualisé des mécanismes d'appartenance dans un rural
métamorphosé.
La plus-value de ce travail, à notre sens,
réside dans cette réactualisation de la question de
l'appartenance en milieu rural. On ne peut faire l'économie, selon nous,
de cette question, dans la mesure où l'appartenance n'a pas disparu du
monde rural. Cette appartenance, nous entendons l'examiner non seulement chez
les ruraux de souche (habitant le village depuis toujours ou presque, et se
revendiquant comme tels), mais également chez les néo-ruraux,
arrivés depuis peu au village. Comment, à l'heure actuelle, un
tel sentiment peut se développer chez les catégories diverses de
personnes qui habitent un village et quel contenu ce sentiment
recouvre-t-il ? Comment dans un rural recomposé, les acteurs
peuvent se sentir appartenir à un groupe, pour mener
éventuellement une action collective ? Comment se crée et se
manifeste une identité collective ?
Pour répondre à ces questions, le recours
à la fête est des plus appropriés, puisque cette
dernière est justement ce moment privilégié où se
construit un groupe. À bien y regarder, la fête peut être
appréhendée comme un account, au sens
ethnométhodologique. Elle n'est pas seulement le
révélateur, l'occasion pour un groupe de constater sa
cohésion ; en rendant compte, en célébrant le village
par exemple, la fête, simultanément, crée et fait exister
son objet. C'est en fêtant le village que celui-ci devient une
entité qui fait sens. Il n'y a pas de rapport
d'extériorité possible de la fête à la
communauté qu'elle célèbre. La fête est donc cette
occasion privilégiée au cours de laquelle est créé,
dans une dialectique singulière de
révélation-création, un sentiment d'appartenance. Cela est
d'autant plus vrai dans la mesure où la fête est ce moment de
liesse presque magique qui emporte et pendant lequel tout semble possible.
L'espace d'un temps, tous les espoirs sont permis, toutes les promesses sont
faites, parce que les participants se sentent, plus que jamais, appartenir
à un groupe. Les sentiments et croyances sont décuplés, et
la confiance envers le groupe, son existence et son bien-fondé sont
à leur paroxysme.
Nous posons pour hypothèse que les fêtes rurales
contemporaines, y compris les nouvelles fêtes, porteuses d'un rapport
bien moins identitaire à l'espace, font plus qu'uniquement
« introduire de la proximité dans de la distance
requise »100(*). Elles comportent toujours une fonction sociale de
rassemblement, comme Fournier le montre, et même plus, elles constituent
un moment essentiel dans la construction d'un sentiment d'appartenance à
un groupe. Loin d'être devenues des évènements sans enjeu,
les fêtes demeurent cruciales pour le monde rural qui est, aujourd'hui
plus que jamais, un espace d'hétérogénéité.
Or, rappelons-nous l'une des caractéristiques qui fait la force de la
fête, évoquée supra : la fête est cet
espace-temps qui parvient à transcender les conflits et les divergences
pour rassembler un groupe et le faire exister. Cette mise entre
parenthèses des différences est encore plus cruciale dans le cas
de la ruralité contemporaine, caractérisée par une
situation de mixité sociale ; dans ce contexte, la fête joue
le rôle de « liant culturel pour fédérer des
populations d'origines différentes », comme le formule
Fournier101(*). En
dépassant les intérêts parfois contradictoires des
différents utilisateurs de cet espace, la fête est capable de
fédérer un groupe. C'est toute la magie et la complexité
d'une dynamique sociale qui est capable de créer du même à
partir du différent.
Pour réactualiser la question de l'appartenance en
partant de la fête, nous allons utiliser la forme comme outil d'analyse.
Pour ce faire, nous nous inspirons de la sociologie formale de Simmel102(*) et des transpositions qui en
ont été réalisées en sociologie de l'espace par
Ledrut103(*) et
Bodson104(*). Nous
allons tenter de dégager les formes que prennent les fêtes rurales
que nous allons analyser.
La mode, par exemple, est une forme sociale selon
Simmel : son contenu - les différents styles vestimentaires en
vogue à une époque donnée - change continuellement, mais
sa forme reste la même. Elle remplit toujours cette double fonction
d'association-distinction, en permettant à un individu de se rattacher
à ses pairs tout en isolant ce groupe vis-à-vis de
l'extérieur. Elle instaure le même et le différent, et par
là, participe à la mise en ordre du monde social. Cette fonction,
la mode la remplit continuellement, indépendamment de ses contenus
particuliers temporaires105(*).
Dégager les formes des fêtes de village, c'est
finalement s'attacher moins aux activités proposées lors de ces
fêtes pour leur caractère singulier - la question du thème
d'une exposition, qu'il s'agisse de moulins ou d'icônes, n'est pas
cruciale en soi - qu'en ce qu'elles renvoient à une logique, un principe
global, indépendamment des variations de contenu - le fait d'organiser
une exposition lors d'une fête de village, quel qu'en soit le
thème, n'est pas anodin et se rattache à une forme
spécifique. Cette explication ne doit pas faire perdre de vue que les
formes ne sont pas des structures abstraites et que, comme le souligne Bodson,
« forme et contenu sont indissociables et les deux se construisent
conjointement »106(*). Les formes font partie intégrante de
l'univers quotidien qu'elles structurent.
Pour tenter de cerner les formes d'une fête, nous allons
nous intéresser à de multiples éléments :
quelles personnes y sont présentes ? S'agit-il d'une partie du
village, de l'ensemble de sa population, de personnes extérieures
principalement ? S'agit-il d'un public, qui assiste à une
fête-spectacle composée d'animations, ou s'agit-il d'acteurs
à part entière, qui « font la
fête » ? Autrement dit, quelle est la logique de
rassemblement : identitaire ou conviviale ? Au niveau du profil des
personnes présentes, s'agit-il de personnes appartenant au monde
agricole, de néo-ruraux, de citadins ? Est-ce que la fête
mélange différentes populations ? De quoi est
composée la fête : d'activités à forte
dimension agricole, ou religieuse, ou d'activités profanes
présentant peu de références au monde paysan ? Ces
activités présentent-elles un caractère rituel et
formalisé, en référence à une tradition qu'il faut
respecter, ou sont-elles plus « libres » ? Combien de
temps dure la fête ? S'accompagne-t-elle de la consommation
d'alcool, seul ou en groupe ? Quelle musique y est diffusée ?
Quelle nourriture y est consommée ?
Ces questions pourraient se multiplier. Leurs réponses
constituent autant d'indices qui nous permettent de cerner la forme d'une
fête. Nous serons particulièrement attentif, dans le cadre de ce
travail, à la place que prennent les logiques d'appartenance dans la
forme de la fête. Cette forme renvoie toujours nécessairement
à la forme spatiale et sociale du village : un village de 300
habitants avec une interconnaissance forte n'organisera pas la même
fête qu'un village de 2 000 habitants présentant un fort habitat
résidentiel. Nous allons ainsi tenter de montrer comment la fête
s'inscrit dans la forme spatiale spécifique d'un village, en gardant
à l'esprit que forme sociale et forme spatiale sont intimement
liées.
Nous sommes maintenant en mesure de synthétiser la
problématique qui nous intéresse dans le cadre de ce
travail : nous voudrions montrer, dans les fêtes de village que nous
allons analyser, la place que prennent les logiques d'appartenance et quelles
nouvelles formes ces logiques peuvent revêtir. Nous pensons que la
fête est un moment privilégié de création d'un
sentiment d'identification à un groupe, et que cette question de
l'appartenance constitue toujours un enjeu important dans les villages à
l'heure actuelle. Pour mettre cela à jour, il est nécessaire de
replacer la fête dans la forme sociale et spatiale dans laquelle elle
s'inscrit, étant entendu que ces deux éléments sont
intimement liés. Comme nous l'avons dit, la fête n'est pas un
objet clos qui sera analysé pour lui-même ; ce moment
extraordinaire de la vie quotidienne des ruraux constitue pour nous une porte
d'entrée, un prisme à travers lequel transparaissent les formes
que prend la sociabilité villageoise contemporaine. Nous espérons
à travers ce travail être en mesure de traiter plus largement du
rapport que les ruraux entretiennent à leur espace, en montrant dans
quelle mesure le registre de l'appartenance est toujours présent dans ce
rapport.
III. LES FÊTES
RURALES EN HAINAUT OCCIDENTAL
3.1.
Méthodologie
Une démarche
ethnographique et ethnologique
La démarche qui a été la nôtre tout
au long de ce travail est basée sur la distinction entre ethnographie et
ethnologie proposée par Lévi-Strauss107(*).
Ce travail est, avant tout, le fruit d'une démarche
ethnographique. Les réflexions qui le composent sont le résultat
d'un travail conséquent sur le terrain. La récolte personnelle
d'un matériau actuel a ainsi constitué, dès l'origine, une
priorité. L'objectif que nous souhaitions atteindre, au terme de ce
mémoire, était de livrer une description précise, hic
et nunc, des fêtes de village en Hainaut occidental. On retrouvera
ainsi, dans les deux parties du volet empirique, des passages relativement
précis portant sur le déroulement de ces fêtes, sur le
contenu de leurs programmes, sur le public drainé. Nous allons
également raconter certains épisodes emblématiques de nos
observations108(*). Nous
avons enfin inséré à notre analyse des clichés pris
sur le terrain, qui complèteront nos descriptions écrites et
permettront, nous l'espérons, de saisir au mieux le matériau sur
lequel nous nous basons. Nous estimons que nous ne pouvons faire
l'économie d'une description fine, qui rendra notre
interprétation plus fondée.
Tout ce travail de compte rendu s'inscrit dans une
volonté de témoigner, proche de la démarche de
Dibie109(*). Nous
voulons présenter la ruralité contemporaine, décrire
comment celle-ci se joue, concrètement, lors d'évènements
particuliers. Ce travail minutieux, pour autant qu'il soit correctement
effectué, constitue en soi un objet digne d'intérêt. Et si
nous avons pu contribuer, fût-ce d'une manière minime, à
enrichir les connaissances portant sur les fêtes rurales actuelles, nous
considérerions alors déjà ce travail comme une
réussite. Nous n'entendons donc pas élaborer une science
éthérée ; loin de réaliser ici une oeuvre de
théorie sociologique, nous avons voulu effectuer une recherche qui
s'ancre dans le concret et fasse la part belle à l'empirie.
Pourtant, nous n'entendons pas nous arrêter à une
simple ethnographie. À partir du matériau récolté,
nous voulons dépasser le stade de la description pour arriver à
mettre en oeuvre une ethnologie. Nos données n'ont pas été
rassemblées uniquement dans une visée ethnographique, mais parce
qu'elles vont nous permettre de confirmer ou d'infirmer les hypothèses
émises dans notre problématique. À partir de ce
matériau agencé en fonction de nos intérêts, nous
allons procéder à un saut théorique pour pouvoir livrer
une interprétation. C'est cette visée ethnologique qui nous
importe le plus et qui va permettre à notre travail de se
démarquer du statut de recueil de données pour constituer une
véritable analyse, portant sur les nouveaux mécanismes
d'appartenance en milieu rural.
Recueil du
matériau
Il nous faut maintenant préciser sur quel
matériau nous avons travaillé, et comment nous avons
récolté celui-ci. D'une manière générale,
nous avons voulu considérer les fêtes de village comme un fait
social total, et ce faisant, nous avons essayé d'embrasser l'ensemble
des sources d'informations disponibles à leur égard. Ceci
s'apparente bien sûr plus à une
« philosophie » de recherche qu'à un objectif
effectivement réalisable, mais nous avons gardé cette conception
à l'esprit tout au long de notre travail pour entretenir une position
d'ouverture vis-à-vis de tout ce qui concernait, de près ou de
loin, notre objet. Nous nous sommes ainsi intéressé à des
sources multiples, en travaillant non seulement sur le matériau
récolté expressément sur le terrain (observation directe
et entretiens), mais également sur la presse locale qui, dans le cas de
l'objet que nous avons choisi, constitue un véritable filon
d'informations. Nous nous sommes également penché sur la
publicité effectuée par les villages sur leur fête, et nous
avons analysé sur les réactions et commentaires suscités
par notre sujet de mémoire dans notre entourage,
révélateurs précieux des représentations des
fêtes de village. Nous avons eu à coeur de ne pas nous limiter au
matériau récolté directement pour les besoins de la
recherche, et de considérer toute information se rattachant à
notre objet comme étant digne d'intérêt.
Dans ce foisonnement de sources, il nous faut décrire
plus précisément le matériau direct sur lequel notre
analyse s'appuie, à savoir les données recueillies sur notre
terrain à l'aide d'observation directe et d'entretiens.
L'observation directe110(*) s'est imposée assez rapidement comme une
méthode incontournable pour notre travail : il semble difficile, en
effet, de traiter des fêtes sans assister personnellement à
ces évènements. C'est ainsi que nous avons observé six
fêtes111(*),
accompagné de notre carnet de terrain. Nous y effectuions une
première prise de notes, au cours et au terme de l'observation. Ce
contenu, composé de descriptions de la fête et de premières
réflexions, était ensuite retravaillé, pour laisser place
à une démarche plus analytique. On retrouvera en annexe I (p.
127) un extrait de ce carnet de terrain, à titre d'exemple.
Pour compléter cette observation directe, nous avons
procédé à plusieurs entretiens. Ces derniers, au nombre de
douze, se sont insérés à divers stades de l'analyse. Nous
avons ainsi procédé à plusieurs entretiens à
caractère exploratoire, afin de récolter des informations sur
notre sujet et pouvoir ainsi vérifier la pertinence de notre
problématique. Par la suite, nous avons réalisé cinq
entretiens à Thimougies et trois à Willaupuis (villages dont les
festivités sont présentées infra), dans
l'intention de compléter les observations directes effectuées
dans ces villages. Il s'agissait alors de pousser plus loin l'analyse et
d'obtenir des réponses à des questions suscitées par une
première récolte de données. L'observation a ses
avantages, mais l'entretien permet d'accéder à des informations
qu'elle ne laisse pas filtrer. Les entretiens ainsi effectués
étaient de type semi-directif112(*). Ce choix s'explique par le fait que nous
possédions, avant d'aller sur le terrain, une problématique
relativement définie. Nous avions ainsi des hypothèses que nous
entendions explorer, ce qui nous a permis de réaliser un guide
d'entretien. Ce guide restait assez souple, de sorte que, au-delà des
questions précises que nous souhaitions poser, l'entretien ne se
retrouve pas enfermé dans un cadre rigide. Ceci nous a permis de nous
laisser altérer par notre terrain tout en respectant notre question
théorique de départ.
Nous avons ainsi, pour chaque fête observée, mis
en place un dispositif de récolte de matériau combinant
observation directe et entretiens semi-directifs. Ce dispositif était
à chaque fois propre au contexte observé ; le poids de l'une
ou l'autre méthode de recueil variait en fonction de la situation. Nous
nous sommes parfois limité à une observation directe, sans
réaliser d'entretien. Ce fut le cas lors du carnaval de Basècles.
La limite d'un tel dispositif réside dans le risque de
surinterprétation : travaillant sur un matériau relativement
réduit, nous avons alors été attentif à ne pas
extrapoler et à mesurer la portée de nos conclusions.
La fête du village de Thimougies a fait l'objet d'un
dispositif plus poussé. Parce que cette festivité nous semblait
particulièrement intéressante au vu de nos intérêts
de recherche, nous avons, en plus de l'observation directe des trois jours de
fêtes, réalisé cinq entretiens avec les habitants du
village et participé à des réunions de préparation
de la fête. À plusieurs reprises, nous avons eu l'occasion d'avoir
accès à ces moments particuliers pendant lesquels, « en
interne », la fête se construit. Lors de ces séances de
préparation, la fête était discutée,
négociée, voire justifiée, lors d'éventuelles
tensions ou conflits. Ce suivi - outre l'accès à de nombreuses
informations qui n'auraient pas été disponibles lors d'une simple
observation du moment de la fête - nous a permis de saisir la fête
en train de se faire. Dans la foulée de ce contact
privilégié avec les membres de l'ASBL organisatrice, nous avons
eu l'occasion d'oeuvrer comme bénévole lors du week-end de
fête. En travaillant à côté des villageois tout en
conservant une position d'analyste, nous avons alors
bénéficié d'une place de choix, en coulisses, pour
observer le moment de la fête. Ce dispositif plus poussé, tout
intéressant qu'il soit, comporte lui aussi ses limites. Alors que
précédemment nous étions exposé au danger de la
surinterprétation, nous avons dû dans ce cas-ci rester attentif
à conserver une position d'analyse, et à ne pas nous faire
coopter par notre terrain, en développant une trop grande
familiarité avec celui-ci.
Après avoir détaillé les conditions du
recueil de notre matériau, il convient de justifier l'unité
d'analyse que nous avons choisie. Cette unité est une région, le
Hainaut occidental. Plutôt que d'établir une monographie
complète sur un village, en détaillant à l'excès
les festivités qui y sont organisées, nous avons
préféré travailler sur plusieurs villages au sein d'une
même région. Ceci nous a permis d'avoir une vue d'ensemble des
fêtes rurales en Hainaut occidental (cf. infra premier point de
l'analyse) et de pouvoir procéder à une analyse comparée
de ces fêtes (cf. infra deuxième point de l'analyse). Ce
choix relève avant tout d'un souci de cohérence : nous avons
souhaité prendre une unité d'analyse qui soit à la mesure
de l'objet sur lequel nous travaillions. Lors de l'état des lieux de
notre objet, nous avons ainsi décrit le rural comme un espace
hétérogène et ouvert, dans lequel le village fait de moins
en moins sens. Dans ce contexte, il était nécessaire de prendre
une région comme unité d'analyse, au lieu d'un village, au risque
de ne pas pouvoir saisir de nombreuses dynamiques.
C'est ainsi que nous avons pu conceptualiser l'existence d'un
marché des fêtes à l'échelle du Hainaut occidental,
chose qui n'aurait pas été possible si nous nous étions
concentré exclusivement sur un village. Lorsque nous travaillions sur
une festivité particulière, cette méthode nous a permis de
cerner les connexions que le village organisateur entretient avec
l'extérieur, et donc, le champ de relations dans lequel celui-ci
s'inscrit113(*). Cette
manière de procéder incite ainsi à mettre l'accent sur
l'hétérogénéité du rural. Nous avons
déjà abordé
l'hétérogénéité intra-village (la
mixité sociale), nous avons ici l'occasion d'insister sur
l'hétérogénéité inter-villages : en
travaillant simultanément sur plusieurs villages, nous aurons
l'opportunité de constater leurs différences, parfois
radicales.
Nous sommes ici loin d'une démarche culturaliste qui
recherche le semblable (dégager, au travers d'une monographie, les
valeurs qui fondent la culture commune du groupe villageois) ; la
différence, au contraire, nous intéresse particulièrement
parce qu'elle renvoie à l'une des caractéristiques centrales de
notre objet. Pour toutes ces raisons, nous avons pris la région comme
unité d'analyse. Ce faisant, notre démarche prend acte des
transformations récentes du rural : puisque les villages ne sont
plus des univers clos et homogènes, une analyse qui se veut
cohérente ne peut se permettre de se limiter à l'un d'entre
eux.
Rapport à notre
objet
C'est en exposant la relation que nous entretenons avec notre
objet que nous allons conclure cette partie méthodologique. Notre
auto-positionnement constitue sans conteste une clé pour contextualiser
notre analyse. Loin d'évacuer le rapport à notre objet en
considérant que celui-ci n'a pas d'effet, il convient au contraire de le
mobiliser et de l'ériger en ressource pour l'analyse114(*). Nous allons donc ici tenter
de délier succinctement cette relation, ce qui permettra au lecteur de
mieux apprécier la portée de notre travail.
Voici notre position : nous habitons un village, mais ne
nous considérons pas comme un acteur du monde rural. Nous ne sommes pas
engagé dans l'organisation d'une quelconque fête, pas plus que
nous sommes un « aficionado » de ces manifestations ;
nous y assistons peu. Pour autant, nous nous sentons
« villageois » et n'éprouvons aucun sentiment de
dédain ou de rejet par rapport à ces fêtes. Nous occupons
une position intermédiaire, en quelque sorte, qui nous permet de leur
jeter un regard aussi peu partial que possible. Ni trop familier, ni trop
étranger à notre objet, nous pouvons conserver la distance
nécessaire pour poser une analyse.
Pour permettre à notre lecteur de mieux saisir notre
auto-positionnement, nous proposons un extrait de notre cahier de terrain,
écrit « à chaud » au terme d'une observation
difficile. Dans ce passage, nous essayons de comprendre les causes de cet
« échec d'observation », ce qui nous amène
à délier la relation avec notre objet. Cet extrait illustre
combien le ressenti ne constitue pas un frein mais une ressource pour
l'analyse.
Laplaigne, terrain inconquis
22h15. L'immersion a tourné court. Je suis
arrivé à 21h50, me revoilà déjà dans la
voiture.
Ils étaient au grand maximum 100 dans le chapiteau.
Je donne ma main à couper que 90 % d'entre eux sont du village ou des
proches du patro, qui organise le week-end de fête. Ils boivent leur
verre en petits groupes, assis ou debout ; beaucoup semblent se
connaître.
Dès que je rentre, je sens que je ne pourrais pas
me fondre. Habillé en jeans, baskets, pull en laine et veste, je
déteins déjà par mes vêtements. Je me dirige
résolument vers le bar pour commander à boire, et je suis
renvoyé à la « caisse des tickets ». Quelques
secondes plus tard, je suis de retour avec le dit ticket et commande un Coca.
Se pose alors la question : où je me mets ? Je m'installe
finalement entre deux groupes, un peu à l'écart, et
j'observe, tout en buvant mon Coca. C'est à ce
moment-là que je ressens une distance considérable entre ma
personne et les fêtards qui m'entourent. Ces hommes, de classe populaire
et moyenne, qui rient fort, habillés en chemise ou en T-shirt, les plus
jeunes en débardeur avec des casquettes (ceux qu'on appelle ici des
baraquîs), ce n'est pas mon monde.
Pourtant, je suis issu de la campagne moi aussi, en tout
cas j'y habite depuis que je suis né ! Seulement voilà, mes
parents ont précisément un rapport à l'espace rural en
tant que cadre. J'en veux pour preuve triviale les après-midi et les
week-ends entiers passés à tondre, tailler, élaguer,
bêcher, planter,... dans notre jardin qui fait plus d'un demi-hectare.
Jardin qui se situe dans un village qu'ils ont choisi, il y a vingt ans, en
fonction de la maison. Peut-être que ce village, Rumillies, ne m'a pas
non plus facilité les choses : il n'y a plus de comité des
fêtes depuis plusieurs dizaines d'années, et rien finalement,
n'est organisé au village, si ce n'est, depuis trois ans, la fête
d'Halloween. Il n'y a pas de ducasse en été.
Quoi qu'il en soit, moi qui ne suis maintenant au village
que durant les week-ends, mais qui déjà avant, ne le
fréquentait que finalement peu (scolarité, amis, loisirs, tout se
faisait à Tournai toute proche), je ne me retrouve pas au milieu de ces
100 villageois qui ouvrent le week-end de festivités à Laplaigne.
Qu'ils aient été de « mon » village,
d'ailleurs, n'y aurait rien changé.
Ils m'ont repéré. Certains se retournent
plus ou moins discrètement. Ces regards deviennent rapidement
insupportables, et je ne me sens pas à l'aise. Je ne suis pas invisible,
je ne peux pas me fondre et observer « à mon
aise » ; pour le coup, c'est moi l'observé. Je suis
peut-être bientôt sociologue, mais pas encore
« a-social »... Est-ce un échec ? Est-ce que
finalement, je fais ce mémoire parce que j'ai envie d'appartenir
à quelque chose que j'envie ? Je ne pense pas. Je pense pas non
plus que ce travail constitue pour moi une manière de faire un
« retour aux sources », ou une quelconque quête
identitaire. Ce qui m'intéresse, ce dont je suis curieux, c'est la
vivacité de ces fêtes. Et ces villageois, proches et lointains
à la fois, qui ne sont décidément pas assimilables
à des citadins.
L'expérience a tourné court. Mon Coca, que
j'ai pourtant essayé de faire durer, m'a lâché après
dix minutes. Dix minutes, seul, dans cette salle, scruté furtivement par
plusieurs paires d'yeux, c'est affreusement long. Entre ces groupes
formés de personnes qui se
connaissent, je ne me sens pas d'attaque à
socialiser. Me présenter, poser des questions,... ce soir, je sens que
je n'en ai pas l'énergie, l'obstacle est trop haut.
Deux leçons pour l'avenir : de une, ne pas
perdre de vue que le vendredi soir est toujours plus communautaire, intimiste.
Si je veux me fondre, préférer le samedi soir. De deux, il est
toujours bon d'avoir un contact à l'intérieur avant d'arriver.
J'ai déjà réalisé de bonnes observations sans, mais
cela m'aurait sûrement évité l'échec de ce
soir.
3.2.
Analyse
3.2.1. Du
général... : Typologie des fêtes rurales dans le
Hainaut occidental
Il est important pour notre démarche de dresser un
état des lieux des fêtes rurales en Hainaut occidental. Il n'est
pas ici question d'entreprendre un recensement exhaustif de toutes les
festivités de la région115(*), pas plus qu'un travail ethnographique de
description totale de certaines d'entre elles. Nous voulons avant tout
développer une analyse qualitative de ces fêtes. Cependant, pour
que cette analyse soit la plus juste possible, il nous semble important de la
contextualiser, en décrivant le cadre global dans lequel les fêtes
que nous avons analysées s'inscrivent. Pour ce faire, nous avons
tenté, au terme du travail d'observation effectué sur le terrain
et de l'analyse qui l'a suivi, de dégager les grandes tendances, plus
précisément, les différentes formes des festivités
de la région116(*).
Pour réaliser cette typologie, nous nous sommes
basés sur la partition réalisée par Fournier au sujet des
fêtes rurales en Provence, évoquée supra. Pour
rappel, Fournier scindait les fêtes provençales en trois
types : les fêtes votives, rassemblant principalement la jeunesse
locale sur un mode communautaire, les fêtes de confréries, qui
sont des processions relativement ritualisées, et les fêtes
thématiques, manifestations éclectiques et fort tournées
vers l'extérieur. Dans le cas du Hainaut occidental, nous avons
construit une typologie relativement similaire, les trois formes majeures de
fêtes que nous identifions recouvrant en partie les types de Fournier.
Nous présenterons d'abord les fêtes
« chapiteaux », qui se rattachent aux fêtes
votives ; viendront ensuite les fêtes à l'ancienne, qui
présentent des similitudes avec les fêtes de
confréries ; nous terminerons avec les fêtes
thématiques et nouvelles fêtes de village, qui correspondent aux
fêtes thématiques décrites par Fournier.
3.2.1.1. Les chapiteaux,
extension des fêtes votives
Les « chapiteaux » sont les fêtes de
village les plus répandues en Hainaut occidental. Comme nous l'avons
dit, c'est une véritable saison qui prend place chaque été
dans la région, avec plusieurs de ces évènements tous les
week-ends117(*).
L'expression « chapiteau » renvoie à la
soirée du samedi, qui se déroule sous chapiteau, et est en fait
métonymique : si cette soirée est bien le point d'orgue du
week-end de fête, ce dernier comporte d'autres activités et ne se
résume pas pour autant à ce moment.
Ces fêtes comportent systématiquement la
même structure en trois jours, vendredi-samedi-dimanche, à partir
de laquelle nous allons ordonner le début de notre présentation.
Suivront ensuite deux points plus analytiques, exposant d'une part la forme de
ces fêtes, décrivant d'autre part le marché dans lequel
elles s'insèrent.
Le vendredi, premier jour
de fête et première soirée
Le week-end commence le vendredi soir, avec l'ouverture
officielle des festivités, suivie par une soirée sous chapiteau.
Celle-ci prend la forme d'une soirée de jeunes, une
« soirée techno » ; l'ambiance est comparable
à celle d'une boîte de nuit, avec une musique
« techno-club », des spots et des lasers. L'entrée
de ces soirées est gratuite, effet de système qui trouve son
origine dans la volonté des organisateurs d'attirer le public dès
le vendredi, pour le faire revenir le samedi (l'affluence de la soirée
du vendredi est moins importante que celle du samedi). La musique de ces
soirées est assurée par des Disc Jokey's dont les tracts vantent
les « références » (« est l'auteur
de tel tube », « mixe dans tel club », etc.). Les
noms de ces soirées sont généralement en anglais et
participent de leur forme spécifique : « Exotic and Surf
Party », « TechnoParty », « Decibel's
Night » ou encore « Show Striptease ». Ce dernier
exemple mérite d'être commenté : un village
débute son week-end de fêtes avec une soirée strip-tease,
« interdite aux moins de 18 ans ». Nous reviendrons
infra sur ce cas, et nous verrons comment les « jolies
filles », par un processus de surenchère, peuvent constituer
des sujets en accord avec le « monde »118(*) d'une telle fête.
Le samedi, la grande
soirée du week-end
La journée du samedi est surtout marquée par la
grande soirée du week-end. Pendant la journée, des
activités sportives sont parfois organisées, telles qu'une course
cycliste, un jogging, un tournoi de mini-foot ou une randonnée moto.
Vient ensuite la soirée, véritable point d'orgue
des trois jours de festivités. L'importance prise par ces chapiteaux,
qui se manifeste par l'ampleur des infrastructures déployées, les
sommes d'argent considérables brassées (tant en dépenses
qu'en recettes), et l'affluence considérable (les soirées les
plus importantes rassemblent jusqu'à 5000 personnes) n'est pas sans
rappeler les observations prémonitoires de Champagne et Gervais,
Jollivet et Tavernier qui, il y a trente ans, décrivaient
déjà le caractère central pris par le bal du samedi soir
dans les fêtes rurales françaises.
Contrairement à la soirée du vendredi, cette
soirée est payante. La forme, cependant, reste la même : un
nom anglais, une ambiance « boîte de nuit », avec
Disc Jokey's et lasers, qui attire les jeunes de la région. Le public
qui fréquente ces fêtes est relativement jeune (entre quinze et
trente ans pour la plupart), et issu du village organisateur et des villages de
la région. Par région, il faut ici entendre le Hainaut
occidental, et pas uniquement les villages avoisinants : certaines
personnes viennent ainsi de villages situés parfois à plus de 40
kilomètres du lieu de fête. En grande majorité, ce public
est « rural ». Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de
citadins dans ces soirées, notamment parmi les adolescents
présents, mais ceux-ci ne sont pas majoritaires. Il sera opportun de
s'arrêter quelque peu sur la manière dont ces soirées
« se vendent », ce que nous ferons après avoir
décrit le dernier jour de festivités et avoir
dégagé la forme que prennent ces fêtes chapiteaux. Analyser
les stratégies de promotion de ces soirées constituera alors pour
nous l'occasion de revenir sur l'analogie du marché.
Le dimanche, gros
véhicules et autres animations pour un public familial
L'évènement phare du dimanche est
généralement une manifestation
« moteurs » : course de 4 x 4, « moiss-batt
cross », « tractor pulling » ou encore
« gymkhana tracteurs ». Ces évènements voient
des véhicules de grosse cylindrée entrer en compétition et
faire des démonstrations dans les prairies du village. Le monde agricole
n'est jamais bien loin de l'organisation de ces évènements, qui
font écho à son rapport « grand » à
l'espace et à sa conscience fière à maîtriser des
machines imposantes. Un dîner aux accents ruraux
(« dîner campagnard », « barbecue
géant », « cochon à la broche »)
est proposé au public. Des manifestations sportives sont une fois de
plus organisées, en présentant une dimension plus ludique que
celles du samedi : il s'agit des tournois de mini-foot,
d'« aqua-foot », de « kicker humain »,
etc. Dans ces fêtes très modernes se glisse parfois
l'idéologie folkloriste mettant en scène le monde paysan d'antan,
avec des expositions de vieux tracteurs et le « travail du sol
comme autrefois ». Ces reconstitutions du passé ne sont pas
nécessairement en contradiction avec le caractère moderne de ces
fêtes ; elles ne remettent pas en question leur dynamique globale,
qui est loin d'être une mise en spectacle du passé - à
l'inverse des fêtes de la moisson, que nous aborderons infra. Le
week-end se termine dans l'après-midi ou dans la soirée, sous
chapiteau, avec diverses animations (concerts, spectacle pour enfants, fanfare,
thé dansant) et parfois une soirée de clôture, d'une
importance moindre.
La forme des fêtes
chapiteaux
Pour tenter de dégager la forme de ces fêtes,
nous allons repartir du type de la fête votive proposé par
Fournier. Les fêtes chapiteaux semblent assez proches de ces
manifestations : elles rassemblent une population relativement jeune, en
particulier lors des soirées du vendredi et samedi, et ne constituent
pas, à proprement parler, des spectacles ; aller en chapiteau, cela
signifie faire la fête, véritablement. La forme des
soirées, par exemple, ne permet pas l'existence d'un public : une
foule qui danse et qui boit, massée dans un chapiteau obscur et
enfumé ne constitue pas en effet un spectacle, et la seule
manière possible de s'y rapporter est de faire la fête
soi-même.
La proximité avec les fêtes votives est
également visible à travers le type de public présent dans
ces chapiteaux. Fournier précise dans ses écrits que
« les touristes et les néo-résidents en demande de
culture régionale » sont peu présents lors des
fêtes votives119(*). Ici, effectivement, les activités
proposées ne sont pas de nature à attirer des populations en
quête de folklore et d'animations « culturelles ». La
fête rassemble plutôt un public rural qui est en partie proche du
monde agricole, ce qui est visible dans la teneur des activités
proposées.
En analysant les programmes, il apparaît effectivement
que la dimension agricole n'a pas disparu de ces fêtes. L'organisation de
manifestations centrées autour de gros véhicules participe de
cette dynamique, comme nous l'avons déjà souligné, tout
comme les expositions de vieux tracteurs, les « dîners
campagnards », ou encore les « agri-jeux ».
Le symbole d'une de ces fêtes résume bien,
à lui seul, cette tendance. La fête de Blandain-Hertain, dont le
tract se trouve en annexe II (p. 129), utilise ainsi comme logo un dessin
représentant la tête d'une vache affublée d'une cloche et
broutant des fleurs. L'utilisation d'une vache comme symbole d'une fête
rurale peut sembler aller de soi, si l'on se base sur les
représentations ambiantes du monde rural ; mais si l'on adopte une
posture d'analyse, il apparaît que ce logo renvoie à l'association
classique « agriculture-rural ». Cette association n'est
pas anodine et est intéressante pour le travail que nous entreprenons.
Elle témoigne du lien privilégié que ce type de
festivité entretient avec le monde agricole.
Ces fêtes se distinguent néanmoins des
fêtes votives de Fournier dans la mesure où elles sont ouvertes et
attirent une importante population extérieure au village. Si les
activités proposées correspondent plutôt à un public
particulier (la jeunesse agricole), ce public est majoritairement
extérieur au village. Certains participants viennent ainsi uniquement
pour la soirée du samedi et n'ont aucun lien avec le village. On est
donc ici loin de l'ambiance « intimiste » des fêtes
votives où les jeunes du village sont « entre eux »,
et où la majorité des fêtards se connaissent. Aujourd'hui,
ceci n'est plus d'application, si ce n'est pour la soirée du vendredi,
qui se fait plus « en interne »120(*). Dans ce sens, ces
fêtes chapiteaux sont plus proches des nouvelles fêtes de village
décrites par Champagne, fêtes ouvertes qui ont plus pour but
d'attirer un public extérieur que de régénérer le
groupe villageois. Elles comportent donc une forme différente que celle
d'une fête rurale classique.
Pourtant, ces fêtes semblent par ailleurs constituer un
moment privilégié pour créer et entretenir un groupe. Ceci
ne contredit pas ce que nous avons dit plus haut, à savoir que ces
chapiteaux attirent un public important qui se déplace pour une
soirée plutôt que pour un village, dans la mesure où ces
fêtes, à l'image du rural, sont des espaces
d'hétérogénéité. Les chapiteaux sont
des moments de coexistence pendant lesquels plusieurs populations,
animées de logiques différentes, se côtoient. Cela signifie
qu'à côté des jeunes qui, comme chaque week-end, viennent
« consommer » une soirée du samedi, il y a place
pour un rapport différent à la fête, dans le chef des
personnes du village. Bien sûr, le temps où « tout le
monde se connaissait au village » est révolu. Mais certaines
personnes entendent recréer un groupe villageois, à petite
échelle, comprenant les personnes
« motivées ».
Les conditions d'émergence de ce groupe sont propres
à chaque village, mais généralement, le monde agricole
agit comme un élément fédérateur, parce que
plusieurs villageois perçoivent partager une même condition qui
peut les inciter à se rassembler. Cela ne veut pas dire que ce groupe
est composé exclusivement d'agriculteurs et d'enfants
d'agriculteurs, loin s'en faut ; il rassemble des villageois qui, à
un moment donné, trouvent un sens à dire « nous sommes les
jeunes du village » et qui se perçoivent une condition
commune : ils partagent le même espace villageois. Ce groupe va se
construire et se renforcer à travers cette action collective qu'est la
fête de village. En faisant partie du comité organisateur, en
étant bénévole pendant le week-end ou en venant simplement
à la fête, certaines personnes du village éprouvent un
sentiment d'appartenance par l'intermédiaire d'une conscience
fière à mettre sur pied un tel évènement.
La dynamique qui se joue lors de ces fêtes au niveau de
la population locale est extrêmement intéressante. Nous sommes en
présence d'une mutation fondamentale de la sociabilité
villageoise : alors qu'auparavant, le cadre de la sociabilité
locale était le village où, d'une manière quelque peu
mythifiée, « tout le monde parlait avec tout le
monde », nous assistons maintenant à l'émergence d'une
sociabilité élective. Il ne faudrait pas soutenir que
désormais « plus personne ne se parle dans les
villages ». Il est vrai que de plus en plus apparaît un mode de
sociabilité où la distance sociale est le principe premier.
Cependant, certains villageois développent entre eux une
proximité sociale forte. Cette sociabilité, contrairement au
passé, n'est pas érigée en norme : tout qui se sent
concerné est libre d'adhérer au projet collectif. Cette dynamique
va contribuer à créer un groupe villageois, à
échelle réduite en comparaison avec le passé, qui prend la
forme d'un « comité des fêtes » ou d'une ASBL,
et dans lequel se développe une interconnaissance forte. Tout le village
n'appartient pas à ce mini-groupe (certains villageois ne viennent pas
à la fête, aussi considérable soit-elle) dans la mesure
où l'adhésion à ce mode de relation est libre ; il
s'agit d'un choix.
Il est vrai, après tout, qu'un tel
évènement est le fruit d'un travail de longue haleine qui
constitue l'occasion idéale pour forger un groupe. Pendant plusieurs
mois, les organisateurs se rencontrent régulièrement pour mettre
sur pied l'évènement, organisant parfois des soupers et des
soirées pour récolter des fonds ; ce travail de
préparation se termine par une période plus dense (comprenant le
week-end de fête ainsi que les quelques jours qui le
précédent et le suivent), pendant laquelle ces personnes sont
constamment à pied d'oeuvre. C'est dans ce qui constitue un
véritable travail commun que le groupe se construit et s'éprouve
comme tel. Quoi de mieux, en effet, de fournir ensemble des efforts
physiques importants (entre autres, montage du chapiteau), de travailler
côte à côte plusieurs heures durant (servir au bar, assurer
la restauration, gérer les parkings, etc.) pour créer et
entretenir un sentiment d'appartenance à un groupe121(*)?
Ces fêtes semblent en fait assurer la fonction que
remplissait autrefois le travail au champ des paysans. Quand les tâches
agricoles dépendaient plus des bras des hommes que des moteurs des
machines, l'entraide était nécessaire (par exemple durant les
moissons) et ce labeur en groupe tissait des liens. C'était en premier
lieu à travers le travail en commun que la communauté paysanne se
construisait. Aujourd'hui, pour des villageois qui ne sont plus
dépendants les uns des autres et qui ne partagent plus une condition
paysanne commune, qui de surcroît ne pratiquent que peu l'espace
villageois - parce que tout se joue dehors (travail, écoles, commerces
et cafés ne se situent plus au village) -, la fête remplit, in
fine, la fonction des travaux paysans d'antan : elle permet à
un groupe de travailler ensemble dans le cadre d'un projet commun, et par
là, de se construire et de se percevoir comme tel.
L'émergence de cette sociabilité élective
est finalement porteuse d'une autre mutation fondamentale : quand avant,
la communauté villageoise se régénérait en faisant
la fête, il semble que maintenant, le mini-groupe villageois se ressource
en organisant une fête. Nous sommes ici renvoyés à
notre problématique, dans laquelle nous insistions sur le fait
qu'actuellement, la fête rurale conserve toujours - et peut-être
même plus qu'avant, dans un contexte de rural ouvert et
hétérogène - une fonction sociale cruciale de rassembler
un groupe et d'entretenir un sentiment d'appartenance à un espace.
Le marché des
fêtes
Après la description des fêtes chapiteaux, il est
opportun de revenir sur l'analogie du marché, comme nous l'avions
annoncé. Aborder ce point à ce stade-ci du travail va nous
permettre de comprendre comment se construisent les stratégies de
promotion de ces fêtes chapiteaux.
Les fêtes de village de la région peuvent
s'appréhender comme se positionnant sur un marché. Nous avons
identifié le Hainaut occidental comme étant l'entité
géographique qui le matérialisait. Ce marché concerne
aussi bien la production que la consommation des fêtes, qui sont
inévitablement liées : les fêtes sont en concurrence
et se positionnent les unes par rapport aux autres sur ce marché qui
correspond également à l'étendue du public susceptible
d'être présent.
Cette analogie ne doit pas être prise au pied de la
lettre ; certaines fêtes se positionnent dans un espace plus grand
que d'autres, de par leur ampleur. Une fête de petite taille n'a pas le
même « rayon d'action » qu'une fête qui
rassemble dix mille personnes en trois jours. En radicalisant le point de
vue, on pourrait soutenir que chaque fête se déplace sur un
marché qui lui est propre, compte tenu de son ampleur et de sa
localisation. Nous pensons qu'il est néanmoins possible d'identifier un
marché global au niveau du Hainaut occidental, au sein duquel les
festivités s'influencent réciproquement d'une manière
significative. À ce propos, le meilleur témoin de la
validité de cette analogie est sa capacité à expliquer la
construction des programmes des fêtes, programmes qui s'efforcent de se
différencier les uns des autres tout en restant dans le même
registre, comme nous allons le voir.
Une fête rurale ne peut donc pas s'appréhender
indépendamment du marché plus large dans lequel elle
s'insère. Ceci doit être mis en lien avec l'état de la
ruralité actuelle : puisque nous sommes en situation de rural
ouvert, que les villages ne sont plus des mondes clos, mais connectés
avec l'extérieur, puisque la vie villageoise est devenue
centripète, comme le dit Dibie, et que chacun se construit dans des
réseaux indépendants qui dépassent le village (ce que la
grande mobilité des villageois rend possible), puisque pour un certain
nombre de ruraux, ce n'est plus tant le village que la région qui fait
sens, il est logique, finalement, que les fêtes rurales soient
connectées les unes aux autres.
Tout comme le village ne constitue plus un cadre d'analyse
adéquat, la fête ne se limite pas à elle-même et on
ne peut pas, à l'heure actuelle, envisager cerner les dynamiques
à l'oeuvre dans de tels évènements sans prendre en compte
le champ de relations122(*) à l'intérieur duquel ils
s'inscrivent et prennent sens. Prendre conscience de l'existence de ce champ
est essentiel dans la mesure où une fête se définit
toujours à travers les relations d'alliance et d'opposition qu'elle
entretient avec les festivités des villages voisins. Ces relations
d'échange prennent la forme d'une compétition, ce
mécanisme complexe qui consiste à se différencier tout en
restant dans un même registre. Pour revenir au Hainaut occidental, cela
signifie que la fête du village de Maulde, par exemple, n'a de sens que
rapportée aux festivités de ses voisins, Blandain-Hertain, Ere,
Wasmes, et bien d'autres123(*).
Cette dynamique complexe qui voit les fêtes comporter
des formats fort similaires dans lesquels de légères
différences tentent d'être décisives, est
particulièrement visible à l'examen des programmes de ces
évènements. Nous proposons en annexe II (p. 129), à titre
d'illustration, une analyse comparée de deux tracts de chapiteaux
différents, où cette dynamique est particulièrement
frappante. Il faut préciser que ce jeu de positionnement
réciproque s'applique à tous les types de fêtes rurales de
la région, pas uniquement aux fêtes chapiteaux. Nous avons
néanmoins décidé d'aborder ce point dans cette partie-ci,
parce que les chapiteaux semblent être les festivités où
les effets de système sont les plus déterminants.
Il est frappant de constater sur le terrain combien les
organisateurs de fêtes raisonnent, véritablement, en termes de
marché. Les fêtes sont envisagées comme des produits, une
offre proposée à un public qui constitue la demande. Ainsi,
lorsqu'une fête n'est pas un franc succès, les organisateurs vont
être tentés de raisonner en termes d'interaction
offre-demande : si la fête a été un échec,
c'est parce que les activités qui ont été proposées
ne rencontraient pas les intérêts du public124(*). Dans cette logique, les
organisateurs évaluent les activités proposées en fonction
de la demande, tout en se positionnant sur le marché pertinent des
fêtes. Autrement dit, il s'agit de proposer quelque chose qui va plaire,
mais qui va en même temps différer de ce que propose le voisin. Le
caractère inédit et la rareté d'une activité vont
ainsi jouer un rôle important, les organisateurs mettant alors l'accent
sur le fait que « c'est la première fois » ou encore
que c'est « le seul de la région »125(*).
Il faut ajouter que ce raisonnement en termes d'offre et de
demande est quelquefois explicite dans le chef des organisateurs des
fêtes. Autrement dit, les acteurs sont conscients qu'il existe un
marché des fêtes et qu'ils agissent en fonction de ce
marché. Les relations entre les organisateurs de différentes
fêtes, sur le terrain, sont ainsi marquées par cette dimension,
comme le montre cet extrait d'entretien :
« - Avec les autres comités, on s'aide
aussi... mais il y a parfois des choses qu'on veut aussi garder secret...
Surtout pour les chapiteaux et tout ça. Autrement, c'est facile de
piquer les idées des autres aussi quoi. »
- Il y a une compétition ?
- Ben, il y a pas de compétition mais... il y a quand
même des choses que... on veut avoir la plus belle chose, ou le meilleur
thème, quelque chose de vraiment original, donc ça bien
sûr, on va pas aller le dire d'avance. On garde la surprise
quoi. »126(*)
De même, lors d'une réunion préparatoire
de la fête de Thimougies, il a été annoncé aux
bénévoles (qui aident les organisateurs lors de la fête,
mais ne font pas partie du comité) :
« Alors, en primeur, je peux vous annoncer que cette
année, le feu d'artifice sera tiré derrière
l'église. Mais gardez-le pour vous hein ! »127(*)
Ceci signifie bien que les acteurs, sur le terrain, sont
conscients de la compétition qui est en jeu, et jouent
délibérément sur les effets de surprise que livre chaque
nouvelle édition d'une fête, à la fois sur le public et sur
les organisateurs des fêtes voisines.
Dans ce contexte, la fête devient véritablement
un produit, que l'on construit en fonction d'une demande et de son
caractère différencié sur un marché. Cette mutation
importante n'a pu avoir lieu que dans la mesure où la fête rurale
est devenue progressivement un spectacle que l'on propose à un public,
comme l'a montré Champagne. Une dynamique de surenchère prend
alors place, où c'est la fête qui proposera l'exclusif et
l'innovant qui ravira des parts de marché à la concurrence. Cette
surenchère peut être illustrée en revenant sur les
fêtes chapiteaux. Nous l'avons dit, il est intéressant d'analyser
la manière dont ces fêtes se « vendent », en
particulier en ce qui concerne la soirée du samedi. Les tracts
publicitaires (nous renvoyons une fois de plus à l'analyse
croisée réalisée en annexe) illustrent parfaitement la
compétition qui prend place entre ces soirées. Chaque fête
essaie de surprendre à chaque édition, de proposer de
l'inédit pour se démarquer de la concurrence. Force est de
constater qu'à ce petit jeu, les organisateurs rivalisent
d'inventivité pour trouver le « concept »
qui va séduire le public. Nous proposons ici un petit florilège
non exhaustif des différents « concepts » des
soirées du samedi :
- « soirée mousse » ;
- « soirée pop-corn » ;
- « soirée messages et
rencontres » ;
- « beach party » ;
- « soirée OPEN BAR, service TOPLESS, GOGO
danseurs, cadeaux » ;
- « grande soirée avec Gogo Danseuses... et
cadeaux à gogo ! » ;
- « nouveau show multi-lasers avec le premier laser
full color sous chapiteau » ;
- « venez vous éclater sur un surf
mécanique toute la nuit ! » ;
- « tours en limousine à gagner toute la
nuit ! » ; etc.
Ces quelques exemples mettent en lumière la
surenchère qui prend place entre ces soirées. Il s'agit d'un
véritable marketing qui entend faire de la fête le
produit le plus attractif possible. Nous avons dit que les
« jolies filles » faisaient partie du
« monde » de ces soirées, en constituant des
sujets/objets légitimes. Suite au survol rapide des
« concepts » proposés, il faudrait ajouter qu'elles
font partie d'une stratégie de promotion où, au milieu des surfs
mécaniques, des lasers et des limousines, elles constituent des
avantages comparatifs sur un marché concurrentiel.
3.2.1.2. Les fêtes
à l'ancienne
Plus marginales dans la région128(*), ces fêtes sont
généralement des « fêtes de la
moisson » qui tentent de faire revivre, pour un temps, le monde
paysan disparu. Alors que nous avions pu faire correspondre les fêtes
chapiteaux avec les fêtes votives, premier terme de la typologie de
Fournier, nous devons ici prendre distance par rapport à cette
classification. Les fêtes à l'ancienne ne sont en effet pas
assimilables à des fêtes de confréries : si elles se
construisent en référence au passé et à la
tradition, elles ne présentent pas le caractère ritualisé
des processions décrites par Fournier, dans le sens où les
organisateurs ne sont pas enfermés dans un programme rigide à
réitérer lors de chaque édition. Ces fêtes de la
moisson correspondent plutôt aux « fêtes à
l'ancienne » décrites par Champagne. Elles sont avant tout des
spectacles qui attirent un public important, en grande partie extérieur
au village, et pendant lesquels le monde paysan passé, à travers
ses outils, ses machines et ses gestes, est érigé en folklore.
Pour les organisateurs, il s'agit d'un « patrimoine qui doit
être préservé et transmis aux générations
futures »129(*). Bien souvent, ces fêtes sont porteuses d'une
représentation idyllique du passé, considérant le travail
d'antan comme « authentique » et
« vrai ».
Il ne faut pas considérer que ces fêtes ne sont
que des mises en scènes du passé, et n'ont plus aucune fonction
sociale130(*). Comme les
fêtes chapiteaux, elles attirent un public extérieur, mais elles
rassemblent également un certain nombre de personnes du village. Comme
toute fête, ce moment constitue une occasion pour ces personnes de se
retrouver et d'entretenir des liens. Il y a donc encore des dynamiques sociales
qui se jouent dans ces fêtes, elles permettent à une
population locale de se regrouper et de percevoir qu'elle partage un
même espace villageois. Pour se retrouver, quoi de mieux que de se livrer
ensemble à l'excès d'alcool ? Certains villageois formulent
ainsi ce jeu de mot ironique selon lequel il ne s'agit pas de «
la fête de la moisson », mais de la... boisson.
Le public présent à ces fêtes est plus
âgé que celui des fêtes chapiteaux. Ceci s'explique par le
type d'animations proposées : mettant en scène un
passé lointain, ces dernières ne permettent pas aux jeunes de
« se retrouver » dans ce type de fête. À ce
sujet, nous avons observé une dynamique intéressante dans un
village de notre région : parallèlement à la
fête des moissons, une fête des jeunes
« classique » (une fête chapiteau) est
organisée chaque année, à un autre moment de
l'été. À notre sens, ces deux fêtes ne doivent pas
être considérées comme antinomiques mais
complémentaires : elles rassemblent sur le territoire du
village, à des moments différents, des publics spécifiques
selon des logiques distinctes (d'un côté, une population jeune sur
le mode d'une fête chapiteau ; de l'autre, un public plus
âgé autour de la mise en spectacle du passé). Ce faisant,
elles renvoient une fois de plus au statut du rural comme espace
d'hétérogénéité, au sein duquel plusieurs
rapports à l'espace cohabitent.
3.2.1.3. Les fêtes
thématiques et nouvelles fêtes rurales
Ce panel se termine avec un troisième et dernier
ensemble de fêtes, regroupant des manifestations
hétérogènes. Ces fêtes semblent, de prime abord,
difficilement comparables, tant leurs programmes sont divers - à
l'inverse des fêtes chapiteaux, qui proposent les mêmes
activités selon une même structure en trois jours, avec une
prévisibilité remarquable. Il semble néanmoins possible de
dégager une forme commune à partir de ces manifestations
hétéroclites. Ces dernières sont à rattacher aux
fêtes thématiques de Fournier ; ce sont des fêtes
relativement récentes, qui ouvrent le paysage festif en proposant des
manifestations sortant des schèmes usuels de festivités
rurales.
Parfois centrées autour d'un thème (fête
de l'asperge, du potiron, du géranium, du moulin, de la pomme de terre
d'ici, etc.), ces fêtes se caractérisent par un programme
éclectique destiné à attirer un public aussi large que
possible. Le public présent est d'ailleurs plus diversifié que
dans les fêtes chapiteaux : ruraux « de
souche », néo-ruraux, touristes, citadins, jeunes, personnes
âgées, familles, tous sont susceptibles de trouver des animations
qui leur correspondent dans ces manifestations. Cette diversité du
public est rendue possible par la rupture, dans le chef des organisateurs, de
l'association « agriculture-rural ». Parce que les
comités et les ASBL ne sont pas ou peu issus du monde agricole, ils
tendent à proposer des activités moins liées à ce
monde, en comparaison avec les fêtes chapiteaux. Par là
même, ils couvrent un spectre étendu et s'assurent une assistance
plus hétéroclite.
Parmi la foule d'activités et de manifestations qui
compose les programmes de ces fêtes thématiques, nous allons nous
attarder sur un élément particulier : les foires
artisanales. Ce genre de manifestation est intéressant pour mettre
l'accent sur la fonction symbolique qu'exercent ces nouvelles fêtes. Le
« concept » des foires artisanales fait fureur au sein des
fêtes de la région, il est repris de plus en plus
fréquemment dans les programmes. Son principe peut être facilement
résumé : des artisans sont invités, pour quelques
heures, à louer un stand pour y vendre le fruit de leur travail ou de
leur passion. L'offre est diversifiée : certains proposent les
produits « du terroir » (escargots, vins, pain, salaisons,
miel, pâtisseries, etc.), d'autres vendent les objets qu'ils ont
créés (bijoux, tableaux, meubles, verreries, jouets, etc.),
d'autres encore, à la manière d'une fête à
l'ancienne, reproduisent les gestes d'autrefois (le vannier, le cordier, la
fileuse de laine, etc.). Entre ces stands regroupés déambule une
foule qui « picore », s'approchant des artisans qui
l'intéresse comme le badaud décide d'entrer dans certains
magasins d'un centre commercial. Le public consomme ainsi les produits
achetés, mais également, d'une manière globale,
l'artisanat, et plus loin, le rural.
Ces foires artisanales permettent de questionner les objets
auxquels le rural est associé. Parallèlement à
l'association classique « agriculture-rural », d'autres
associations sont également utilisées : en l'occurrence,
ici, l'organisation d'une foire artisanale lors d'une fête de village
n'est pas anodine et renvoie à l'une de ces associations. L'artisan est,
par définition, celui qui travaille de ses mains et qui maîtrise
ce qu'il produit. Il renvoie en filigrane à une certaine forme
d'authenticité, car la marchandise produite est issue d'une tâche
« vraie », non aliénée. Ce mode de production
évoque également le respect de la nature, avec la
représentation d'un travail qui s'effectue en harmonie avec son
environnement, à l'opposé d'une production industrielle polluante
et destructrice131(*).
Au final, l'artisanat, par un jeu d'évocations, renvoie à
l'authenticité et l'écologie, qui sont des valeurs prisées
dans notre société urbanisée. Il fait également
écho, d'une manière plus abstraite, à la
maîtrise ; l'artisan est celui qui possède la maîtrise
de ses productions et de leurs effets, alors que notre société
actuelle peut être perçue comme celle qui a perdu le
contrôle sur ses actes. Le couple
« artisanat-rural », ainsi associé, s'oppose alors
au couple « capitalisme-ville », où l'espace urbain
est finalement perçu comme le lieu de la démaîtrise et de
l'inauthenticité.
Cette brève analyse des valeurs et des thèmes
que l'artisanat charrie, par évocation, permet de prendre conscience des
significations possibles de l'association
« artisanat-rural », ce qui renvoie à la fonction
symbolique que remplit le rural dans notre société. Les
évocations que nous avons mentionnées renvoyent à la
perception du rural comme une « réserve
culturelle », au sens de Chamboredon :
« N'est-on pas en train de passer à une situation
où la campagne fonctionnait comme une réserve
« sociale », donnant le modèle des rapports sociaux
(...), à une situation où elle fonctionne plutôt comme une
réserve « culturelle », cadre d'un style de vie non
prédateur et non destructeur, affranchi des habitudes de consommation
urbaines, respectueux des rythmes et des équilibres
naturels ? »132(*)
La fête thématique ne serait-elle pas,
finalement, un moment privilégié pour le rural de « se
raconter » ? Est-ce que cette fête ne serait pas
l'occasion idéale pour réécrire le mythe du rural ?
Comprenons bien notre affirmation : nous ne postulons pas que la
fête constitue un moment parmi d'autres, mais qu'elle constitue
le moment-clé pour (re)construire ce mythe133(*). Il en est ainsi car la
fête, qui prend désormais la forme de l'ouverture du village au
monde extérieur, est un produit qu'un public consomme. Ce produit n'est
pas naturel, il est construit, par l'agencement d'activités et
d'animations diverses. Cette construction s'accompagne, comme le souligne
Fournier, d'une relation d'extériorité entre la
fête et ses organisateurs : quand la culture devient un spectacle et
un produit, ses représentants doivent nécessairement adopter une
distance réflexive par rapport à eux-mêmes. Dans ce
contexte, le village s'ouvre et se livre à l'extérieur sur
le mode de l'exposition. La fête est ce moment où la culture
locale est mise en scène et proposée à un public qui
consomme, à travers le village, le rural.
Cette réflexion constitue l'occasion de sortir,
l'espace d'un instant, du cadre précis des fêtes
thématiques pour lancer une hypothèse qui concerne l'ensemble des
fêtes rurales. Nous pensons que toute fête peut être
considérée comme une proposition de ruralité.
Toute fête offre un pattern, une grille de lecture du monde
rural. Et de cette manière, toute fête réinvente le mythe
du rural et les représentations que notre société a de ce
monde. Voir la fête comme une proposition, une définition du rural
permet d'appréhender d'une manière nouvelle les activités
qui y sont proposées. Puisque chaque fête renvoie à une
conception spécifique de la ruralité, chacune met en scène
les objets et les sujets qu'elle juge en accord avec le
« monde » rural134(*). Ainsi, dans les fêtes thématiques,
l'objet légitime associé au rural est la foire artisanale. Cette
association n'est pas anodine, comme nous l'avons vu, car elle renvoie à
des valeurs et des thèmes spécifiques. Les fêtes
thématiques et les fêtes chapiteaux renvoient de la sorte à
deux conceptions distinctes du « monde » rural, parce que
les objets et les sujets légitimes qu'elles associent à ce
« monde » sont distincts. L'artisan, d'un
côté, le pilote participant à une course de
moissonneuses-batteuses, de l'autre côté, constituent des
sujets-types qui sont à rattacher d'une manière indiscutable
à des mondes différents.
La forme des fêtes
thématiques : la fête, ce loisir, le rural, ce produit
Revenons au cas plus précis des fêtes
thématiques. Après avoir procédé à leur
description sommaire et avoir présenté, à travers
l'exemple des foires artisanales, leur fonction symbolique, nous sommes
maintenant en mesure de leur porter un regard plus analytique pour
dégager la forme qu'elles prennent. Ces fêtes s'inscrivent,
à notre sens, dans le rapport très contemporain à l'espace
rural comme cadre de vie. Elles consacrent le rural comme un espace de loisirs,
de détente, délié des exigences du monde de la production.
Les fêtes thématiques, les vide-greniers, les brocantes et autres
foires artisanales illustrent parfaitement cette fonction de
« distraction » du rural. Les manifestations des
« fermes ouvertes » s'inscrivent également dans
cette ligne : elles constituent des parenthèses pendant lesquelles
le public s'habille, mange, se comporte d'une manière différente
par rapport au cours ordinaire des choses135(*), ce qui institue leur caractère ludique et
extraordinaire.
Il semble d'ailleurs difficile de parler de
« fête » à leur égard, si l'on
considère que cette acception renvoie à la
célébration d'un groupe ou d'un évènement heureux,
en étant le théâtre d'émotions intenses. La forme de
ces évènements et le comportement de leurs participants les
rattachent plutôt, en réalité, à des moments de
loisir : l'espace d'un après-midi, les familles se baladent en
short pour consommer denrées et culture. Il s'agit, en quelque sorte,
d'un tourisme « immobile », où l'on visite cet
ailleurs qu'est le village. C'est dans ce sens que cette forme de fête
est l'incarnation d'un rapport à l'espace rural comme un cadre de vie.
Il s'agit d'un rapport distancié, qui ne demande que peu
d'engagement : tout qui le désire peut
« passer » à la fête, pour y rester une
demi-heure ou tout l'après-midi, et y prendre ce qui lui plaît.
Tout est fait pour que les animations proposées soient
« faciles d'accès », c'est-à-dire
aisément consommables par un large public, notamment par un public
étranger au monde agricole voire au monde rural. Il s'agit d'une
« implication minimale », où l'assistance peut se
contenter de déambuler dans le village comme elle l'entend,
sélectionnant les animations qui l'intéresse, sans devoir
participer. L'attitude type du « fêtard » - il est
difficile de parler encore de « fête », comme nous
l'avons dit - est de regarder, d'assister, d'être un spectateur.
Tout se passe comme si l'espace rural se transformait, le
temps de la fête, en espace public. Il s'agit là d'une
mutation fondamentale, dans la mesure où traditionnellement, les
villages étaient des espaces contrôlés par
l'allégeance et l'interconnaissance, dans lesquels le tiers abstrait
était exclu136(*). Dans les nouvelles fêtes, le village devient
le lieu de l'anonymat, où l'on peut se balader sans « avoir de
comptes à rendre ». Cet espace, puisqu'il n'est plus
contrôlé par une communauté, n'appartient à
personne, donc à tout le monde. La figure de
l'« étranger » n'a plus de sens dans ce
contexte, et tout le monde est libre d'aller et venir à sa guise.
La fête nous permet de comprendre la ruralité contemporaine dans
son ensemble, et sur ce point-ci, elle préfigure une mutation globale de
cette ruralité. Autrement dit, le village se transforme en espace public
au moment de la fête, et même plus, il tend à devenir
constamment un espace public. Nous sommes ici renvoyés au
travail de Dibie, qui analyse cette mutation à partir de la
mobilité des ruraux :
« Comme en ville, on fonctionne désormais
déchargés de la surveillance et des alibis nécessaires
à ces déplacements multiples qui scandent nos journées.
Nous sommes enfin entrés dans cet anonymat si longtemps envié aux
citadins. C'est aussi comme ça que la ville vient à nous, dans ce
désir renouvelé de s'échapper des siens et de s'inventer
des ailleurs réservés. »137(*)
Cette hypothèse de la transformation de l'espace rural
en espace public ne constitue peut-être pas la meilleure manière
de rendre compte les mutations qui affectent cet espace. On pourrait, à
la manière de Bodson, apprécier ces transformations
différemment en affirmant que le rural, tout comme l'urbain, est
finalement sous la houlette d'un nouveau mode de régulation
transversal : le marché138(*).
Les fêtes thématiques rentrent bien dans ce
cadre, dans la mesure où elles sont avant tout des produits à
travers lesquels on consomme le village, et par là, la ruralité.
Ce rapport consumériste à l'espace fait écho aux logiques
de localisation d'une partie des individus qui s'installent dans les villages.
Loin d'être un mode de vie auquel on développe un rapport
identitaire, le rural constitue désormais un cadre de vie, un
décor censé satisfaire un certain nombre de critères
(calme, nature, air pur). Dans ce contexte, le village dans lequel on
réside n'est plus l'objet d'un sentiment d'appartenance (le
village), mais devient un village, un produit que l'on a choisi
rationnellement en le mettant en compétition avec d'autres sur un
certain nombre de critères spécifiques. Au final, la consommation
de denrées et d'animations qui prend place lors de ces fêtes
thématiques symbolise la consommation de l'espace effectuée par
un nombre significatif de ruraux : le rural est un produit pour lequel on
pose un choix rationnel.
3.2.1.4. La fonction
interne et externe des fêtes
Les fêtes thématiques clôturent cette
typologie des fêtes rurales en Hainaut occidental. L'existence de trois
formes distinctes de fêtes, qui constituent autant de faces de la
ruralité contemporaine, témoigne de la diversité du
paysage festif, dans lequel ces différentes fêtes coexistent plus
qu'elles ne s'annulent. Marquant par leur
hétérogénéité, ces fêtes sont une fois
de plus à l'image du rural contemporain, tant et si bien qu'il n'est pas
possible de dégager une essence de ce que serait la fête rurale
type en Hainaut occidental.
À ce stade de l'analyse, il importe de garder un autre
enseignement à l'esprit, celui de la double fonction remplie
par les fêtes rurales actuelles. D'une part, nous l'avons dit, nous
pensons que ces fêtes comportent toujours une fonction sociale importante
qui consiste à rassembler un groupe. Même au sein de fêtes
qui ne semblent pas comporter d'enjeu social important, comme les
soirées chapiteaux ou les fêtes de la moisson, qui sont des
spectacles destinés à un public extérieur, un groupe
villageois, encore aujourd'hui, est rassemblé et créé.
Cela ne veut pas dire qu'au sein de ce groupe se développent les
mêmes relations qui prenaient place à l'intérieur d'une
communauté villageoise classique, ni que l'ensemble du village en fasse
partie ; ce nouveau groupe existe néanmoins, et la fête joue un
rôle important dans son entretien. Ceci constitue ce que nous appelons la
fonction interne des fêtes rurales. Cette fonction est
destinée au village et ne concerne que lui.
D'autre part, suite au développement
précédent au sujet des foires artisanales, nous sommes en mesure
d'identifier la fonction externe de ces fêtes : elles
contribuent à réinventer le mythe du rural et remplir le
rôle symbolique de ce monde dans notre société. Cette
nouvelle fonction est la conséquence de l'ouverture des fêtes
à un public extérieur : quand la fête devient un
spectacle, le rural doit se mettre scène et la fête constitue une
proposition de ruralité. Cette fonction est alors externe, puisqu'elle
n'est pas destinée au village mais à la société
dans son ensemble. La fête devient, dans ce contexte, le moment par
lequel le rural s'acquitte de son « devoir citoyen » en
quelque sorte, en continuant d'être le support d'un mythe et d'incarner
le lieu de l'ailleurs.
Si nous voulons réactualiser la question de
l'appartenance, c'est vers la fonction interne des fêtes rurales que nos
intérêts se tournent. Ceci sera l'objet du point suivant,
où nous montrerons, à travers l'étude de trois
fêtes, par quels mécanismes un groupe villageois et une
appartenance peuvent se construire à l'occasion de festivités
spécifiques.
3.2.2. ... au
particulier : Trois fêtes, trois villages, trois histoires
Dans cette deuxième partie de notre analyse, nous
allons quitter l'approche typologique précédente, où
l'accent était mis sur le général et les similitudes des
fêtes qui permettaient de leur identifier des formes communes, pour nous
intéresser à leur singularité. Selon nous, l'analyse
systémique ne doit pas être érigée en dogme :
même si les fêtes peuvent être appréhendées
comme se positionnant sur un marché qui les détermine, il ne faut
pas perdre de vue que chaque fête est unique et s'inscrit dans un
contexte qui lui est propre. Une fête ne peut être
considérée comme étant uniquement le résultat de
logiques systémiques. C'est ce que nous voudrions mettre en avant dans
cette partie, à travers la présentation de trois fêtes,
respectivement le carnaval de Willaupuis, le carnaval de Basècles et la
fête d'« Art's Thimougies ».
Diverses questions, liées à la fonction interne
de ces fêtes, nous intéresseront alors : comment un groupe
peut-il émerger dans un village aujourd'hui, et quel rôle la
fête joue-t-elle dans la construction de ce groupe ? Quelles sont
les dynamiques d'appartenances qui prennent place lors de la fête? Qui
organise la fête, qui y vient, qui n'y vient pas ? D'une
manière plus globale, quelle forme prend la fête, étant
donné la forme spatiale et sociale spécifique dans laquelle elle
s'inscrit ? Nous l'avons dit, la fête est intimement liée au
village dans lequel elle se déroule. Chaque fête est ainsi
singulière et ne peut se comprendre qu'en lien avec le contexte, chaque
fois particulier, dans lequel elle s'inscrit. Après avoir montré
comment les fêtes sont déterminées par des logiques
régionales, nous allons ici mettre en avant leur inscription dans un
niveau local, passant ainsi du général au singulier.
Si nous travaillons de la sorte, c'est parce que nous
pensons que le particulier est tout aussi noble que le général.
Livrer une description fine de ces fêtes n'a rien d'inutile ou de futile.
C'est à travers cette description, au contraire, que nous remplissons la
visée ethnographique de notre travail.
Nous allons, pour les trois festivités
présentées, procéder en deux temps : dans une partie
descriptive, nous allons présenter le village et la fête, et dans
une seconde partie plus analytique, nous allons dégager la forme de la
fête. Nous terminerons avec une comparaison des trois fêtes.
3.2.2.1. Le carnaval de
Willaupuis
Présentation du
village et de la fête
Willaupuis est situé dans le Hainaut Occidental,
à dix-sept kilomètres au Sud-est de Tournai, et appartient
à la commune de Leuze-en-Hainaut, qui compte 13 000 habitants. La
population du village est de 400 habitants, pour 170 maisons.
Lors de notre observation, nous avons recueilli les paroles
d'un villageois, organisateur du carnaval, qui nous confiait que Willaupuis
était « un village en train de mourir ». Ce constat
l'a amené avec d'autres villageois à faire des démarches
auprès de la commune pour obtenir une Maison de village, demande qui a
finalement été concrétisée en 2003. Cette Maison
est pilotée par une ASBL composée de quelques habitants du
village. Pour ces acteurs, il y a une perception d'un village « qui
se meurt »139(*) et pour lequel il faut faire quelque chose. Outre
une présence importante de personnes âgées, le village
comporte un nombre significatif de nouveaux venus récents,
« peu actifs » dans la vie du village. Plusieurs maisons
sont en construction à différents endroits du village, auxquelles
il faut rajouter les « fraîchement
installés », facilement repérables à
l'état du jardin, dimension essentielle du rapport néo-villageois
à l'espace rural en tant que cadre : la maison est terminée
et habitée, mais le jardin est délaissé - son tour viendra
dans un deuxième temps. Pour l'heure, il est caractérisé
par un désinvestissement complet qui n'a d'égal que l'attention
qui y sera consacrée par la suite.
Entre les personnes âgées et les nouveaux
villageois se situe un groupe intermédiaire d'habitants qui se
définissent comme « étant du village », et se
préoccupent de l'absence du lien social en son sein. Mettre sur pied une
Maison de village, c'est pour eux l'occasion d'essayer de refonder un sentiment
d'appartenance entre différents utilisateurs de l'espace villageois qui
n'ont pas une expérience commune et qui ne se pensent pas comme un
groupe. Cette volonté de refonder un « nous » est
parfaitement illustrée par la création d'un drapeau de village.
Montrant un puits, qui est le symbole du village140(*), ce drapeau se trouve
à l'entrée de la Maison de village, ainsi que sur le char qui
pilote le cortège du carnaval. La création et l'utilisation de ce
drapeau constitue la matérialisation parfaite de cette volonté de
refonder un sentiment d'appartenance au village.
Depuis trois ans, l'ASBL qui pilote la Maison de village
organise au mois de février un carnaval, que nous avons eu l'occasion
d'observer cette année. Ce carnaval a eu lieu un dimanche
après-midi dans le village, de 14h00 à 18h00 environ. La majeure
partie de ce moment était consacrée au
« cortège » : un char, composé d'une
remorque tirée par un tracteur, a déambulé dans certaines
rues du village, suivi par des enfants et leurs parents. Sur le char se
trouvaient « sa Majesté Carnaval », bonhomme de fer
et de papier mâché de la hauteur d'un homme, ainsi qu'une dizaine
de personnes, issues d'une famille du village, déguisées en
accord avec le thème du carnaval (« les Mexicains »)
et jouant un « instrument de musique » (principalement des
tonneaux renversés qu'ils frappaient avec des bouts de bois). Le nombre
de participants qui suivaient le char était très
réduit : une dizaine d'enfants déguisés ainsi qu'une
demi-douzaine de parents. Pendant deux heures, ce cortège a parcouru le
village à pas d'homme dans une ambiance relativement calme. Sur le char,
les musiciens jouaient, derrière, les parents conversaient tandis que la
principale activité des enfants était de s'amuser avec les
confettis distribués par les organisateurs. Le carnaval s'est
terminé à la Maison de village, où les personnes du
cortège ont retrouvé une vingtaine de villageois qui avaient
pratiqué le crossage, jeu folklorique de la région141(*). Là, les enfants ont
profité de jeux forains gratuits (jeux d'adresse et de précision)
pendant que les adultes se désaltéraient. Vers 18h00, la
majorité des participants avait quitté la Maison de village. Au
final, le carnaval a rassemblé une trentaine de personnes dans le
cortège, organisateurs compris, auxquelles il faut ajouter une vingtaine
de personnes qui sont restées dans la Maison de village, ce qui dans
l'ensemble, représente seulement un huitième de la population du
village (50 habitants sur 400).
Willaupuis. Le char et le cortège avant le
départ. En arrière-fond se situe la Maison de village,
près du drapeau. Ce drapeau se situe également sur le char, ainsi
que « Sa Majesté Carnaval »142(*).
L'assistance derrière le char : une dizaine
d'enfants et une poignée de parents qui défilent dans une
ambiance calme.
Analyse : un carnaval
raté ?
Selon les organisateurs, l'édition de cette
année n'était pas un franc succès. L'indicateur de
réussite n'est pas directement l'ambiance perçue, le fait
qu'« on se soit bien amusés », mais le nombre de
participants : ces derniers étaient moins nombreux lors de cette
édition. Il est frappant de constater que les organisateurs raisonnent
en termes de marché pour expliquer pourquoi « les
gens » ne sont pas venus nombreux. Une villageoise qui a
participé au carnaval et qui est active dans l'ASBL associe ainsi
l'échec du carnaval de cette année à un problème
d'offre, à savoir que le programme de la fête et les
activités proposées n'étaient pas assez attractifs pour le
public :
« C'est normal que les gens ne soient pas venus, il
y avait rien ! Allez, il n'y a que sur le char euh... À part lancer
des confettis et être un peu déguisé, il y a rien... il y a
rien, on peut bien boire un verre après, il y a un verre offert aux
enfants qui sont là... mais ça n'attire pas comparé au
carnaval de Tournai ou aux... carnavals d'ailleurs. Les gens ne sont plus
attirés à venir, c'est normal, il y a... il y a rien... suivre un
char où on fait que lancer des confettis et où il y a que les
musiciens qui tapent sur des tonneaux et qui font le même bruit tout le
long du parcours... rien, vraiment, rien. Je sais pas moi... je pense qu'il
faudrait un géant peut-être pour l'année prochaine.
Ça, ça pourrait attirer. Faut qu'on réfléchisse
à ça, mais il faut quelque chose en plus. »143(*)
Ce type de raisonnement n'est pas anodin. Il est à
mettre en lien avec une conception de la fête comme un spectacle qu'on
offre à un public. Il y a fort à parier que dans une ducasse
traditionnelle du siècle passé, les villageois n'étaient
que peu soucieux des activités proposées : quel
qu'était le programme, la fête était un moment qui
mobilisait tout un groupe, pour lequel, en raison de sa cohésion
préalable, le fait d'être réuni constituait en soi un
programme suffisant. Désormais, le succès de la fête
dépend plutôt de la capacité des organisateurs à
proposer des activités attractives, une condition palliative en quelque
sorte, pour rassembler le village dans un contexte de faible
cohésion.
Il est vrai que ce carnaval était loin de faire l'objet
d'une grande ferveur populaire dans le village. La taille réduite du
cortège et l'absence de spectateurs le long de son parcours donnaient le
sentiment de déambuler dans
un village « mort », pour reprendre le terme des
organisateurs, un village-fantôme. Les maisons n'étaient pourtant
pas vides, en témoignent les coups d'oeil furtifs jetés par
certains habitants à travers leurs fenêtres. Mais ce carnaval
semblait invisible et inaudible pour une partie du village. Il semblait
inexistant, et n'affectait pas le cours normal d'un dimanche après-midi
pour les autres habitants. Ainsi, la circulation ininterrompue des voitures,
cet agriculteur qui travaillait normalement et, enfin, cette dame qui,
« comme tous les dimanches », nettoyait sa voiture quand le
cortège passait devant sa maison, constituaient autant d'exemples d'un
désengagement, pour ne pas dire d'une certaine indifférence d'une
partie du village par rapport au carnaval.
Le carnaval est loin de mobiliser l'ensemble du village.
Pour beaucoup, comme cet agriculteur qui croise le cortège, il s'agit
d'un dimanche comme un autre.
Il faudrait finalement s'interroger sur la forme de cette
fête : s'agit-il, comme ses organisateurs le nomment, d'un
« carnaval » ? Si l'on se réfère,
stricto sensu, à la définition de ce qu'est un carnaval,
l'utilisation de ce terme semble ici abusive. Le carnaval, pour rappel, est ce
moment formidable de renversement des codes sociaux, par l'intermédiaire
de tous les excès. Au « carnaval » de Willaupuis,
rien de tout cela. Il faut d'abord préciser que cette fête est
organisée autour des enfants, et que derrière le char, les seuls
adultes qui défilaient accompagnaient ces enfants. Les adultes du
village n'étaient en aucun cas des « fêtards »
occupés à danser, chanter, boire et rire. Les horaires de
l'évènement (en après-midi, sans manifestation en
soirée) se rattachent également plus à une animation pour
enfants qu'à une manifestation pour jeunes et adultes. Ainsi, la
fête ne faisait pas, nous l'avons dit, l'objet d'une liesse, d'une
excitation ou d'une manifestation de fébrilité de la part des
villageois présents ; ce à quoi nous avons assisté
était calme.
L'absence de spectateurs doit évidemment être
prise en compte pour comprendre ce manque de ferveur - cette absence
n'étonne pas, du reste, puisqu'« il n'y a rien » :
une remorque suivie par quelques enfants ne semble pas digne d'être
érigée au statut de « spectacle ». De
carnaval donc, il n'en est point question. Nous irons encore plus loin :
peut-on encore, dans ce contexte, parler de
« fête » ?
En réalité, toute fête nécessite
que ses participants « y croient ». C'est une histoire
qu'ils se racontent, une pièce de théâtre dont ils sont les
propres acteurs. L'espace d'un jour, d'un week-end, le groupe décide de
faire une parenthèse et d'être en liesse. Cette décision
est arbitraire et doit susciter l'adhésion. Les villageois doivent
croire à ce mythe du « nous », ils doivent croire
qu'un groupe existe et que le village fait sens. Le carnaval raté de
Willaupuis, c'est aussi l'histoire d'une fête dans laquelle les
villageois ne croient pas. Parce que les participants étaient peu
nombreux, parce que le public était absent, la magie de la
fête n'a pas opéré. La fête ne va pas de soi,
particulièrement si elle ne s'appuie pas sur un groupe fort, comme c'est
ici le cas : si la fête est fragile, c'est avant tout parce que le
groupe est fragile. Ce groupe est incertain et flou, il se cherche et ne sait
pas ce qui l'unit.
L'ASBL est consciente de cette inexistence d'un groupe, ou
à tout le moins de sa fragilité. C'est ce qu'exprime, en partie,
le constat de « village mort ». Trancher si oui ou non
Willaupuis est objectivement un village mort n'a que peu
d'intérêt. L'essentiel est que cette catégorie est
opérante pour certains habitants du village : elle fait sens et est
utilisée pour mener une action. Cette action, en l'occurrence, consiste
à tenter de fédérer un groupe, en faisant revivre le
village. Le carnaval s'inscrit dans ce projet, ainsi que d'autres
activités au cours de l'année (organisation d'une ducasse en
été, venue de Saint-Nicolas, etc.). L'action de l'ASBL, par
l'entremise de ces différentes activités, a ainsi pour but de
recréer un groupe villageois qui, dans le contexte actuel, a des
difficultés à exister et à se percevoir comme un groupe.
Il en est ainsi parce que la vie du village est devenue centripète,
comme le dit Dibie, et que tout se passe en dehors de celui-ci. Le village
n'est plus un lieu de rencontres et de création de lien social parce que
plus rien ne s'y joue. Cet espace n'est plus pratiqué par ses habitants.
À ce sujet, Dibie décrit parfaitement comment son village,
Chichery-la-Ville (Bourgogne, France), est devenu un lieu de résidence
qui semble vide pendant les jours de semaine, et dont les signes de vie les
plus visibles sont les allées et venues de ses habitants
hyper-mobiles :
« La mobilité et la plasticité de
notre communauté sont l'ultime expression de notre modernité. Les
gens bougent, travaillent et communiquent entre eux sur un territoire beaucoup
plus vaste qu'on ne l'imagine. Il y a ceux, peu nombreux, qui chaque matin
partent de Chichery en voiture pour aller travailler dans les environs de
Paris. Ceux qui, réglés comme des horloges, prenant le
« train des travailleurs » à 6 h 13 à
Laroche-Migennes, démarrent du village vers 5 h 50 au plus tard - le
temps de se garer - pour être à Paris-Gare-de-Lyon à 7 h
41. Il y a un veilleur de nuit qui s'en revient à ces heures-là.
Ceux, plus chanceux et plus tardifs, c'est la majorité active, qui
quittent le village entre 7 heures et 7 h 30 pour être à 8 heures
à leur travail à Monéteau, Auxerre, Joigny, Migennes,
voire Chablis, où ils rejoignent leur poste dans un supermarché,
une coopérative agricole, une entreprise alimentaire, un hôpital,
un atelier mécanique, une chaudronnerie, une scierie ou bien encore la
DDE ou les services de l'autoroute toute proche. Viennent ensuite les
fonctionnaires qui partent pour la préfecture, les services
départementaux ou municipaux voisins et les camionneurs et les
militaires dont les services obligent à des jours et des tours
irréguliers. Puis ce sont les artisans, camionnettes harnachées,
qui rentrent dans le village pour livrer, dépanner, réparer,
aménager nos habitats. Après 8 h 15, quelques voitures et
quelques cavalcades d'enfants passent devant mes fenêtres pour s'en
revenir à 8 h 25 à bord du bus scolaire en direction de Bassou et
Bonnard.
Ainsi, pendant deux heures environ, le village bruit
très légèrement des sorties de ses
« actifs », relayés beaucoup plus tard par le train
irrégulier et dispersé des autos des retraités et des
vieillards valides qui partent faire leurs courses dans le village voisin -
Appoigny ou Migennes s'il y a du bricolage dans l'air - auxquels s'ajoutent les
bruits puissants des engins agricoles dont la fréquence varie avec les
travaux des champs et, à 11 h 20, l'appel au klaxon du boulanger
itinérant, doublé certains jours d'un charcutier à la
roulotte. »144(*)
Willaupuis est aussi caractérisé par cette
dynamique qui voit le village être vidé de toute autre fonction
que de celle de loger ses habitants. L'espace villageois, qui n'est plus un
lieu de travail, un lieu de scolarité, un lieu de loisirs ni un lieu de
consommation, n'est plus pratiqué, et tend par là à
devenir insignifiant. L'action de l'ASBL consiste à recréer des
activités dans cet espace et à réinstaurer le village
comme un centre. Quand ce dernier redevient le cadre
d'évènements, il constitue à nouveau un espace de
rencontres où du lien social se crée. Dans ce contexte, le
carnaval, comme les autres activités de l'ASBL, a une fonction sociale
cruciale : il constitue l'occasion de rassembler les villageois et de
créer ainsi un groupe percevant partager un espace commun. Dans les
faits néanmoins, ceci n'est pas chose aisée, comme nous l'avons
vu, tant il est vrai que les différents villageois ont des profils
divers et qu'il est difficile, quand l'espace villageois devient insignifiant,
de les fédérer, fût-ce partiellement, dans un groupe
partageant une condition commune.
3.2.2.2. Le carnaval de
Basècles
Présentation du
village et de la fête
Basècles est un village du Hainaut Occidental,
situé entre Tournai et Mons. Il appartient à l'entité de
Beloeil, qui compte 13 000 habitants. La population du village est de 4
700 habitants. D'emblée, il est frappant de constater la
différence qu'il y a entre ce village et celui de Willaupuis. Willaupuis
compte 400 habitants, Basècles en recense 4 700. Nous sommes ici en face
d'ordres de grandeur radicalement différents. Willaupuis est un village,
Basècles est déjà un bourg145(*).
À Basècles, il y a possibilité
d'identifier un centre, autour de l'église et de la place comportant la
salle communale et l'école primaire. Autour de cette aire se concentrent
plusieurs rues comportant des maisons relativement petites, mitoyennes, et
à front de rue. On est ici loin du cas de Willaupuis où
pratiquement toutes les maisons étaient situées au milieu d'un
jardin, les clôturant à la fois de la rue et des maisons voisines.
La concentration plus importante d'habitants à Basècles va de
pair avec l'implantation de cafés et de nombreux petits commerces
d'alimentation, boulangeries, boucheries, mais également d'autres
commerces, comme de l'électroménager, de l'informatique, de
l'habillement,... et des services tels que des agences bancaires et une
pharmacie ; toute cette activité économique associée
à la présence d'un centre assez ramassé confère
à Basècles l'aspect d'une petite ville, d'une bourgade, loin de
l'image du « petit village perdu au milieu des champs ».
Les différents commerces, en tant qu'espaces de consommation, mais
également de production (ils constituent une source d'emplois, qui
profite majoritairement aux Baséclois), sous-tendent une pratique
régulière de l'espace villageois par ses habitants. La rue, parce
qu'elle est fréquentée régulièrement, est un espace
de rencontre qui constitue le support d'une certaine sociabilité. Les
villageois ont une expérience commune par le fait qu'ils partagent le
même espace villageois. A partir de là, la perception de soi comme
appartenant à un groupe plus large est possible, et
affirmer « Je suis Baséclois » fait sens, plus
ou moins fortement, pour les villageois.
Basècles organise tous les ans son carnaval, dont la
réputation dans la région est affirmée depuis plusieurs
années. La fête dure trois jours, le vendredi, le samedi et le
mercredi. L'observation que nous avons effectuée a eu lieu lors du
vendredi, qui consacrait l'ouverture du carnaval. Contrairement au samedi, le
vendredi est destiné aux participants du carnaval, et attire peu de
spectateurs : ce sont les Baséclois qui effectuent son ouverture,
« en interne ». La soirée à laquelle nous
avons assisté suivait un programme assez précis. Les carnavaleux,
regroupés en « sociétés » (il y en
avait vingt cette année), se rassemblent d'abord sur la placette
située derrière l'église, pour écouter le discours
du curé.
Avant de présenter le déroulement de la
soirée, il convient d'expliquer plus précisément ce que
sont les « sociétés ». Elles regroupent sous
un même nom (par exemple, les « Crocheux », les
« Bagnards », les « Chiqueux
d'caramel »,...) plusieurs carnavaleux qui portent un même
costume en lien avec ce nom146(*). Chaque société est
généralement centrée autour d'un café du village,
à partir duquel ses membres se rencontrent et organisent leurs
activités. Être membre d'une société implique le
paiement d'une cotisation et n'est accordé qu'aux Baséclois,
c'est-à-dire nés de parents baséclois ou habitant à
Basècles. Si un « étranger » veut
intégrer une société, il doit trouver des parrains
baséclois qui se portent garants pour lui. Comme on nous l'a dit,
« il n'est pas question qu'un Tournaisien vienne ici faire le
malin ! » ; il s'ensuit pratiquement que « si
t'es pas de Basècles, t'es pas dans le cortège ». Ce
sont les membres des vingt sociétés qui forment le carnaval de
Basècles et défilent dans le cortège du samedi
après-midi, accompagnés, pour ceux qui en possèdent, de
leur(s) géant(s) et de leur « Musique ». Les
Musiques sont des groupes de musiciens extérieurs que les
sociétés paient pour les faire danser et les accompagner pour la
durée du carnaval. Ils se composent généralement de
quelques percussions et de cuivres.
Rassemblées derrière l'église, les
sociétés écoutent le curé leur adresser ses bons
souhaits et implorer le ciel en vue d'une météo favorable pour le
week-end de festivités. C'est l'occasion de commencer à boire et
à danser. L'assemblée se dirige alors vers la salle communale,
où va se dérouler l'ouverture du carnaval. Pendant une heure, les
carnavaleux vont successivement assister à la présentation des
vingt sociétés ; au discours du bourgmestre de
l'entité, qui remettra symboliquement les clés du village aux
carnavaleux ; à l'intronisation des « Crocheux
d'honneur », titre référant à la
société qui a fondé le carnaval et qui sera
attribué cette année au bourgmestre ainsi qu'à un
député provincial147(*). Le point d'orgue de cette cérémonie
d'ouverture est sans conteste le rituel qui la clôture : il s'agit
de l'hymne baséclois, chanté à pleins poumons par quasi
toute l'assemblée, qui se tient alors par les coudes et se balance.
La suite de la soirée est moins formalisée : les
membres de certaines sociétés restent dans la salle communale
à parler et à boire tandis que d'autres défilent dans
quelques rues avec leur géant et leur Musique afin de se préparer
une dernière fois pour le grand cortège du lendemain. Plusieurs
sociétés se retrouvent finalement dans leur café
d'attache. La soirée se termine plus ou moins tôt selon les envies
et obligations de chacun. Certains carnavaleux partent dès 23h00,
d'autres prolongent la soirée jusqu'à une heure du matin. Il ne
faut pas perdre de vue que l'essentiel des festivités se déroule
le lendemain, et que les carnavaleux se réservent pour la soirée
du samedi, qui sera plus longue.
Basècles. Sur les murs du village,
l'évènement de l'année est annoncé.
Rassemblées derrière l'église, les
sociétés écoutent le curé leur adresser ses bons
souhaits et implorer le ciel en vue d'une météo favorable pour le
week-end de festivités. C'est l'occasion de faire danser une
première fois les géants et de commencer à boire.
Analyse : un carnaval
réussi dans un village qui fait sens
La « stratégie » du carnaval de
Basècles est de se positionner dans le créneau
« folklore et tradition ». Le carnaval met ainsi fortement
en avant des éléments de « tradition » dans
sa manière de se raconter vis-à-vis de l'extérieur. Il
faut entendre par là les articles de presse, la publicité autour
de l'évènement ou encore les discours officiels prononcés
durant les festivités. Quand le carnaval se raconte de la sorte,
l'accent est mis sur l'ancienneté de la fête
(l'évènement en est à sa 27ème
édition). Est mis également en avant le fait que la fête
ait été initiée par la société des
« Crocheux », qui tirent leur nom du crossage, jeu
folklorique de la région148(*). Certains acteurs, armés d'archives, situent
son origine tantôt au XIIIème siècle,
tantôt au XIVème siècle. Quoi qu'il en soit, le
jeu est perçu comme « folklorique » et la
manière dont les acteurs rendent compte de cette pratique est fortement
centrée sur l'idée de « la nécessité de
perpétuer le geste d'antan ». Dans cette même ligne, le
costume que portent les « Crocheux » est
révélateur : ce costume est le même depuis l'origine,
et il est très codifié. Tous les « Crocheux »
sont semblables, à l'image par exemple des Gilles de Binche. La
référence à la tradition ne se limite pas à
l'existence de cette société des
« Crocheux », mais également au fait que le carnaval
comporte une journée consacrée au crossage149(*).
D'autres éléments du carnaval illustrent cette
volonté de se rattacher à une tradition, mais tenter de les
identifier tous n'est pas essentiel pour notre propos. Nous pouvons cependant
pointer un dernier fait qui s'inscrit dans cette ligne, à savoir les
« thèmes » des sociétés du carnaval.
Outre le cas particulier des « Crocheux », certaines
sociétés évoquent les anciens métiers qui
caractérisent le village, comme les « Marbriers et leus
fèmes » ou les « Carbouniers »150(*), ce qui encore une fois,
témoigne de la volonté d'invoquer l'histoire et d'inscrire le
carnaval dans un temps long.
Cette référence à la tradition semble
assez « porteuse » puisque le carnaval est bien connu dans
la région : à chaque édition, ce sont entre trois et
quatre mille spectateurs qui se pressent pour y assister. Ces spectateurs sont
bien plus nombreux que les participants du carnaval, qui sont environ 1 200. Au
final, le nombre de personnes mobilisées équivaut à la
population de Basècles ; on est ici bien loin du cas de Willaupuis
où le carnaval ne comptait presque pas de spectateurs et rassemblait
à peine un huitième de la population du village.
Avec une telle affluence extérieure, la fête a
donc en partie une dimension de spectacle : la tradition est mise en
scène, et un public y assiste. Pour autant, le carnaval n'est pas
uniquement un show performé par ses participants. D'ailleurs,
si la journée du samedi voit l'affluence d'un public nombreux, ce n'est
pas le cas des autres jours de festivités liés au carnaval
(vendredi d'ouverture du carnaval, soumonces, crossage), où la
fête se fait « en interne ». Ces divers moments
mettent en jeu une autre dimension du carnaval : ce dernier est
également, pour les Baséclois, un moment pendant lequel une
logique d'appartenance et d'identification à un groupe est en jeu.
Participer au carnaval de Basècles, en tant que
Baséclois, c'est aussi manifester son appartenance à un groupe.
Être membre d'une société signifie partager une
expérience commune avec d'autres villageois et prendre part à une
fête qui est centrée sur le village. La référence
constante à la tradition doit se comprendre dans cette ligne : en
faisant revivre les anciens métiers pratiqués au village, en
pratiquant le crossage, jeu traditionnel de la région, il y a un appel
au passé pour créer une identité d'aujourd'hui. Ce
passé est reconstruit comme quelque chose de grandiose (on parlera ainsi
des marbriers et des mineurs comme ceux qui « ont fait la gloire du
village »), ce qui ne correspond peut-être pas
nécessairement, objectivement parlant, à la
réalité, mais qu'importe, puisque cette recomposition est
fédératrice. Ce qui nous intéresse ici est de voir en quoi
ce passé reconstruit a des effets : il fait sens, et peut
être utilisé par un groupe pour la constitution de son
identité.
Il peut être ici très fécond
d'évoquer le travail d'Amselle, et plus particulièrement le
concept de « branchement » que ce dernier utilise pour
penser les relations entre cultures151(*). Ce qui semble être à l'oeuvre dans le
carnaval de Basècles est un branchement du village sur son histoire
passée. Initié par les « Crocheux »,
fondateurs du carnaval, ce branchement consiste à sélectionner
des traits spécifiques du passé du village,
considérés comme glorieux, pour construire une identité
aujourd'hui. Cette idée de sélection est importante :
certains traits spécifiques sont choisis, parce qu'ils renvoient,
insérés dans un discours, à une image grandiose du
village. Cette démarche constitue une injonction aux villageois de
développer une conscience fière de leur village. Le passé
glorieux constitue alors un levier pour l'apparition d'une conception haute de
soi et du groupe.
Dans le cas de la culture mandingue décrit par Amselle,
le branchement est effectué par Souleymane Kanté, prophète
scripturaire, qui a « reçu » un alphabet, l'alphabet
n'ko. Sans s'attarder longuement sur ce cas, il convient ici de préciser
que Kanté a en fait construit cet alphabet, en le branchant sur diverses
cultures. Il a pu ensuite, grâce au pouvoir et à la
légitimité qui étaient siens, proposer ce branchement
à ses semblables, qui l'ont plus ou moins accepté. Dans le cas de
Basècles, le processus est le même : le branchement
n'émerge pas spontanément de l'ensemble du groupe, mais est
proposé par certains acteurs (les « Crocheux ») qui
peuvent, par leur légitimité (c'est la société qui
a fondé le carnaval, mais c'est aussi celle qui compte le plus de
membres), le proposer aux autres et imposer, progressivement, un certain
discours sur le village et une certaine manière de se percevoir
soi-même, en tant que Baséclois.
Le concept de branchement est fécond pour penser ce
carnaval parce qu'il contient l'idée de sélection : ce n'est
pas tout un passé qui est repris, mais uniquement certains
éléments précis qui, replacés dans un discours,
font sens. Pour faire sens aujourd'hui, l'histoire doit nécessairement
être revisitée et réappropriée. En clair, le
carnaval n'est pas une reconstitution passéiste du Basècles
d'antan. Les éléments d'hier qui sont réutilisés,
sont articulés avec ceux d'aujourd'hui pour créer un branchement
inédit.
La musique écoutée lors du carnaval illustre
parfaitement ce métissage entre passé et présent. Le
vendredi soir, en plus des « Musiques » qui accompagnaient
les sociétés, une sono était installée dans la
salle communale. Pendant une heure, les carnavaleux ont assisté dans
cette salle à divers discours et « coutumes » du
carnaval, comme la remise des clés par le bourgmestre de
l'entité. Ces discours étaient entrecoupés par la sono,
qui passait notamment la chanson Be my girl, de DJ
Ötzi. La chanson, qui date de 2001, est du genre Pop-Dance et est
entièrement en anglais. Elle est souvent reprise lors de soirées
étudiantes ou dans des stades de sport. Le vendredi soir du carnaval, la
chanson est passée au moins quatre fois sur une heure de temps, et il
était impressionnant de voir alors toute la salle reprendre le refrain
en anglais. Le fait d'être déguisés en marbriers ou en
mineurs rappelant le passé glorieux du village n'était pas
contradictoire avec le fait de danser sur un tube du moment. Ceci nous renvoie
à une caractéristique d'une construction identitaire
opérée par branchements, soulignée par Amselle, qui est de
« faire feu de tout bois » : dans la constitution
d'une identité, les branchements sont multiples et variés,
créant ainsi une oeuvre inédite.
Nous allons maintenant nous attarder sur la fonction sociale
du carnaval de Basècles, en nous basant sur un moment particulier de
notre observation.
Compte-rendu d'observation : l'hymne du
village
Il serait mal avisé d'analyser la dynamique
d'appartenance à l'oeuvre dans le carnaval de Basècles sans
s'arrêter quelque peu sur ce qui a constitué, à nos yeux
d'observateur, un moment-clé de la soirée de vendredi. Il s'agit
de l'hymne du village. Cet hymne a clôturé la
cérémonie d'ouverture du carnaval, qui s'est
déroulée pendant une heure dans la salle communale. À la
fin de la cérémonie, un des organisateurs du carnaval a pris le
micro et a annoncé que l'assemblée allait entonner
« l'hymne de notre village », qui a pour titre :
« Basecqu' ch'est l'pu biau des villôges ». Une
effervescence toute particulière saisit alors l'assemblée, et les
carnavaleux se sont pris les coudes, formant ainsi des chaînes allant de
deux personnes à plus d'une dizaine.
Il a été difficile de résister
à cet engouement, et nous fûmes prestement invités à
intégrer l'une de ces chaînes. La demande étant
formulée d'une manière telle qu'il aurait été
difficile de refuser, nous avons donc eu l'occasion de passer de l'observation
directe à l'observation participante...
La chanson est composée de plusieurs couplets en
picard, dans lesquels sont décrits Basècles, son charme, ses
habitants chaleureux, etc. Cette ode au village était connue dans son
entièreté par une majeure partie de l'assemblée. Pendant
cinq minutes, toute l'assistance, divisée en groupes reliés par
les coudes, a chanté les couplets en se balançant au rythme de la
musique. Notre ignorance des paroles était, semble-t-il, flagrante, et
notre « voisine de coude » n'a pas tardé à
nous demander : « T'es pas de Basècles,
toi ? ».
Les carnavaleux rassemblés dans la salle des
fêtes du village,
quelques minutes avant de chanter leur hymne.
Voir cette salle bondée chanter à l'unisson
l'hymne de son village était assez impressionnant. En cinq minutes de
coude à coude était portée à notre attention une
des dynamiques d'une fête qui s'étale sur plusieurs jours. C'est
ce moment très particulier qui, entre autres, nous permet d'avancer que
le carnaval de Basècles permet à certains de ses habitants de
proclamer leur appartenance à un groupe. Mais le carnaval n'est pas
simplement le lieu d'expression d'un sentiment d'appartenance ; il est
avant tout l'occasion de créer ce sentiment. Nous sommes ici
renvoyés à la dimension d'account de la fête
: en même temps qu'elle rend compte d'un phénomène, elle le
crée et le fait exister. Le carnaval n'agit donc pas comme un
révélateur qui mettrait au jour un sentiment d'appartenance
préalable ; il participe pleinement du processus de création
de ce sentiment. Donner en effet l'occasion aux villageois de se retrouver dans
une salle et de chanter leur village, c'est leur permettre de développer
le sentiment d'une condition commune.
Cette forme spécifique du carnaval, centrée sur
une logique d'appartenance, ne peut se comprendre qu'en tant qu'elle s'inscrit
dans la forme spatiale et sociale de Basècles. Dans un village d'une
telle taille, comportant un centre fourni en commerces et services divers, il
est plausible qu'un certain sentiment d'appartenance à un groupe se
développe. En effet, cette configuration permet aux habitants de se
rencontrer plus ou moins régulièrement, et de développer
le sentiment d'une condition commune. À cet égard, le rôle
des cafés présents dans le village semble important. Il
apparaît finalement que le développement d'une fête
célébrant l'appartenance au village n'est pas inconcevable,
étant donné l'existence de ce contexte que nous identifions comme
favorable. Ainsi, il semble beaucoup plus improbable qu'une telle fête
émerge à Willaupuis, où la forme spatiale du village
permet beaucoup moins aux habitants de se penser comme un groupe.
La soirée du vendredi se termine dans les
cafés du village, auxquels sont rattachées les
sociétés.
3.2.2.3. La fête
d'« Art's Thimougies »
Présentation du
village et de la fête
Thimougies est un village du Hainaut occidental, situé
à dix kilomètres de Tournai. Il appartient à
l'entité de Tournai, qui compte 65 000 habitants. Le village a une
population de 200 habitants. Situé hors du passage des axes importants
qui desservent les campagnes environnantes, Thimougies donne l'impression d'un
petit hameau reculé, bien moins étendu et peuplé que les
localités qui l'entourent.
La forme spatiale de Thimougies est proche de celle de
Willaupuis : il s'agit d'un village de petite taille, comportant quelques
rues et qui est avant tout un espace de résidentialisation. Comme
Willaupuis, Thimougies ne compte ni école, ni commerce, ni café.
Et comme à Willaupuis, une ASBL a été créée,
avec pour but de « faire vivre » le village. Son
caractère incontournable dans la vie du village et le succès
rencontré par les différentes activités qu'elle organise
sont cependant sans commune mesure avec le cas de Willaupuis.
Il s'agit de l'ASBL « Moulin à
Vent ». Son nom fait référence au vieux moulin du
village, qui n'est plus actif mais trône toujours sur sa colline, et qui
a été érigé en symbole. Si l'association existe
depuis trente ans152(*),
le statut d'ASBL est récent et est venu remplacer ce qui était un
« comité des fêtes » classique. Tout au long
de l'année, ce sont de multiples activités et
évènements qui sont organisés par l'ASBL : soupers,
marché de Noël, Saint-Nicolas et Halloween, plantation de
bulbes dans le village, atelier théâtre, mise sur pied d'une
bibliothèque, fête des potirons, animations nature, etc., et
enfin, évènement de l'année, la ducasse du mois de juin,
baptisée « Art's Thimougies ». Avant
d'évoquer cette fête, nous allons nous attarder sur l'action de
cette ASBL.
Toutes les actions entreprises par l'ASBL renvoient à
un véritable « projet de village ». Dans la charte
de l'ASBL, trois buts sont décrits :
« a. Préserver et encourager la vie sociale
du village ;
b. Préserver et mettre en valeur le patrimoine rural
du village ;
c. Maintenir et donner un cadre de vie agréable pour
les habitants. »153(*)
L'utilisation des termes « patrimoine » et
« cadre de vie » n'est pas anodine. L'action de l'ASBL
s'inscrit effectivement dans un rapport au rural comme cadre de vie.
Différentes initiatives, comme la plantation de bulbes aux quatre coins
du village, le tracé et l'entretien de circuits de promenade ou encore
l'exposition permanente de vieilles machines agricoles sur la place du village,
témoignent de l'existence d'un rapport esthétique à
l'espace : le village doit être beau. Délié
des enjeux de la production, le village tend à devenir plus
« disponible » pour ce genre d'initiatives qui le
conçoivent comme un cadre de vie154(*).
Thimougies. Sur la place du village, les vieilles machines
agricoles. Leur présence témoigne de cette mutation qui voit le
village perdre son statut d'espace de production pour devenir un espace
d'exposition.
Dans ce projet de faire du village un cadre aussi beau que
possible, l'ASBL va plus loin, puisqu'elle désire, à long terme,
déposer un dossier pour obtenir le label des « Plus beaux
villages de Wallonie ». Ce titre va lui permettre d'avoir un
contrôle sur son espace, notamment en ce qui concerne les nouvelles
constructions prévues dans le village. Pour accomplir ce but lointain,
divers projets à court terme ont été
réalisés ou sont en cours, visant à valoriser les
différents atouts du village : préservation des marais,
rénovation du moulin, ou encore, obtention d'une Maison de village pour
appuyer l'action de l'ASBL. Ce sont donc des enjeux importants qui prennent
place derrière les multiples activités organisées tout au
long de l'année, bien au-delà du simple but d'entretenir la vie
sociale du village. La fête du mois de juin n'échappe pas à
cette logique, comme nous allons le voir.
La ducasse du mois de juin,
fête thématique par excellence : programme
hétéroclite, public diversifié, rapport de
consommation à l'espace
La fête d'« Art's Thimougies » est
à rattacher d'une manière indiscutable à la
troisième forme de notre typologie, à savoir les fêtes
thématiques et nouvelles fêtes rurales. Cette fête comprend
en effet de nombreux traits propres à ce type spécifique de
festivités, à commencer par la mise sur pied d'un programme
hétéroclite. Les organisateurs désirent
« toucher à tout », pour attirer un public aussi
large que possible, et les différentes activités et animations
proposées dans le cadre de la fête recouvrent un spectre
très étendu. À titre d'exemple, l'édition de cette
année a proposé, entre autres, les activités
suivantes : exposition consacrée aux moulins, foire aux artisans,
concerts en tous genres, jogging, Fest Noz avec initiation aux danses
bretonnes, théâtre de rue, balades en poney, démonstrations
de jumping équestre, ferrage d'un cheval de trait, marche aux flambeaux
dans le village pour assister à un spectacle nocturne de danse, feu
d'artifice, exposition d'épouvantails, exposition d'icônes,
initiation au paintball, fête foraine, aire de jeux ainsi que
spectacle sous chapiteau pour enfants, après-midi
« accordéon en fête », défilé
des « Gilles de Tournai », etc.
Par la distance qui peut séparer une exposition
d'icônes d'un ferrage de chevaux, une fête foraine d'un spectacle
de danse, ou la pratique du paintball d'une initiation aux danses
traditionnelles bretonnes, ce rapide survol du programme permet de prendre la
mesure de la stratégie des organisateurs, qui entendent
« ratisser » aussi large que possible. Ce calcul est
efficace, puisque ce programme hétéroclite attire un public
diversifié et nombreux : du vendredi au dimanche soir, ce ne sont
pas moins de huit mille personnes qui ont arpenté le village, le pic de
fréquentation étant atteint le dimanche
après-midi155(*).
L'unique rue du village est alors remplie d'une foule dense qui déambule
entre les stands des artisans et assiste aux différentes animations.
Cette foule, à l'image du programme, est hétéroclite. Le
temps de la fête, le village devient cet espace public, ou plutôt,
cet espace de consommation où se côtoient des populations aux
profils divers, villageois d'origine, néo-ruraux et touristes de
passage.
Thimougies, un succès ? Le samedi
après-midi en tout cas, dans la rue principale, il n'y pas foule autour
des tonnelles des artisans...
... mais cela ne souffre aucune comparaison avec
l'affluence du dimanche après-midi. La grande foule se déplace
alors, pour consommer denrées et culture.
Les 10 000 personnes présentes durant ces trois
jours remplissent les rues du village de leurs voitures. Ces véhicules
alignés matérialisent parfaitement l'hyper-mobilité des
ruraux.
Plusieurs prairies du village sont également
réquisitionnées pour accueillir cette marée
automobile.
Comme nous l'avons expliqué lors de la
présentation des fêtes thématiques, il est ici difficile de
parler de « fête », à tout le moins pour une
majeure partie du public présent. « Art's
Thimougies » est plutôt un évènement, qui prend
place sous la modalité
« famille-short-loisir-été ». Cette forme
fait écho au rural contemporain, qui remplit de plus en plus une
fonction de distraction et de récréation, loin des enjeux du
monde de la production. Cette forme du rural comme un espace de loisirs est
bien illustrée par l'absence de références dans la
fête au monde agricole contemporain, qui incarne justement cette fonction
productive. En effet, lors de l'édition de cette année, seule
l'agriculture passée - la paysannerie - était quelque peu
représentée à travers une exposition de vieux outils
agricoles (charrue, essieu de charrette, planteuse de pommes de terre, etc.)
et, moins directement, par certains savoir-faire ressuscités dans le
cadre de la foire artisanale, dans les stands du cordier ou du vannier. Outre
ces re-créations qui s'inscrivent bien dans la fonction externe de la
fête et la proposition de ruralité qu'elle constitue,
l'agriculture contemporaine est absente.
Ceci n'est pas le cas des fêtes chapiteaux qui
présentent une connexion claire avec le monde agricole contemporain et
mettent en scène les objets légitimes de ce monde, que sont entre
autres les véhicules et les machines aux dimensions imposantes. À
travers un gymkhana, une course ou un concours de traction, tracteurs et
moissonneuses batteuses sont inscrits au programme de la fête.
Leur absence, à l'inverse, lors de la fête de
Thimougies est révélatrice d'une dimension de la ruralité
contemporaine, dans laquelle l'agriculture n'est plus l'activité
centrale et structurante, tant et si bien qu'il est possible de retrouver des
fêtes rurales actuelles qui se structurent hors de toute
référence à ce monde. Si les gros tracteurs ne sont pas
présents à Thimougies, c'est parce qu'ils ne cadrent pas avec la
proposition cohérente de ruralité que la fête constitue.
Cette proposition renvoie plutôt, à travers l'artisanat, à
l'authenticité, la maîtrise et la production raisonnée
respectueuse des équilibres naturels.
Thimougies organise un nouveau type de fête, se
démarquant clairement des fêtes chapiteaux de la région.
Pourtant, comme la grande majorité des fêtes rurales des environs,
elle comporte un chapiteau. Le chapiteau apparaît ainsi être
l'objet-type du « monde » des fêtes de village en
Hainaut occidental : fête de village signifie, presque
immanquablement, présence de d'une ou plusieurs de ces tentes. Sur ce
cliché, on peut distinguer, suspendues au plafond, les guirlandes de
publicité des autres fêtes de la région. Chaque fête
constitue une occasion importante pour les autres comités de faire la
promotion de leur évènement.
Dans ce village qui devient un lieu de loisir, le public
déambule et consomme. Cette consommation ne se limite pas aux biens
matériels ; ce que l'on est venu chercher, c'est aussi sa dose de
culturel, de typique, de folklorique. Dans ce contexte, peu importe que les
Bretons qui nous initient aux danses traditionnelles soient en fait de Lille,
que le cordier ne s'échine plus depuis bien longtemps - excepté
lors de la fête, bien sûr - à faire ses cordes
lui-même, ou que les « Gilles » ne viennent pas de
Binche mais de Tournai, et qu'ils défilent un dimanche après-midi
entre des artisans dans une fête de village, hors de tout contexte de
carnaval. Ce qui importe, c'est avant tout que ces acteurs performent,
habillés de leur costume traditionnel, et reproduisent leurs gestes
formalisés.
Le village est ainsi l'enveloppe rêvée pour
accueillir ces animations « culturelles ». Le spectacle
nocturne de danse organisé à Thimougies cette année
constitue, à nos yeux, le symbole de ce changement récent qui
voit certaines festivités rurales proposer des animations nouvelles.
Pendant deux heures, le public a parcouru « Le chemin des
lumières », un itinéraire dans le village
agrémenté de plusieurs podiums sur lesquels des danseurs et
danseuses exécutaient, sur des musiques mystérieuses, des pas de
danse moderne. Équipés de flambeaux, les spectateurs ont
défilé à leur rythme pour finalement se rassembler dans
une prairie et assister au bouquet final, un feu d'artifice tiré
derrière l'église. Ce genre d'animation illustre une fois de plus
la rupture du monde rural avec le monde agricole, et s'écarte
également des représentations que tout un chacun peut avoir
à propos du programme-type d'une « fête de
village »156(*). À de nombreuses reprises, nous avons pu
mesurer la distance qui peut séparer ces représentations de la
réalité. Le cas le plus frappant est sans conteste celui d'une
habitante de Thimougies qui ne participe pas à la fête, et qui
explique sa position par rapport ce genre d'évènement :
« Mais sinon, je ne peux pas dire... je peux pas
dire qu'on s'inclue fort. Je dois avouer qu'on n'est pas très euh...
dîner saucisse, village, verre de bière, pinte et tout ça.
Donc ça fait beaucoup aussi ça hein. Non pas qu'on... qu'on...
qu'on dédaigne ça, hein ! Mais ça ne nous dit
rien quoi. »157(*)
Cette représentation est d'autant plus marquante
qu'elle est le fait d'une personne habitant un village qui propose justement
une fête nouvelle, qui prend distance par rapport aux
« classiques » du genre que sont les soirées techno
pour jeunes, moiss-batt cross et autres aqua-foot, tels qu'on peut les
retrouver dans les fêtes rurales classiques de la région.
Le spectacle de danse organisé lors du samedi soir,
« Le chemin des lumières ». Ce genre d'animation
illustre une fois de plus la rupture du monde rural avec le monde agricole, et
s'écarte également des représentations que tout un chacun
peut avoir à propos du programme-type d'une « fête de
village ».
Une fonction sociale
toujours exercée
Les remarques précédentes ne doivent pas faire
perdre de vue qu'« Art's Thimougies » est avant tout une
fête de la coexistence. Au milieu de cette foule qui déambule en
quête de culture et qui développe un rapport relativement
distancié au village et au rural, un groupe se forme et se reforme
toujours à l'occasion de la fête, comme l'épisode suivant
va l'illustrer.
Compte rendu d'observation : l'intronisation
à la confrérie
de la « planteuse à
patates »
Lors du dimanche après-midi, troisième et
dernière journée d'Art's Thimougies, quand la fête battait
son plein, tant au point de vue du nombre d'animations proposées
simultanément que de l'affluence massive sur la place du village, un
« rituel » singulier s'est déroulé. Parmi les
outils exposés sur la place du village, une mécanique est l'objet
de toutes les attentions. Il s'agit d'une ancienne planteuse à pommes de
terres, sur lequel le paysan de l'époque s'asseyait pour planter les
tubercules, tracté par un cheval. Est-il utile de préciser qu'il
y a bien longtemps que cette manière de faire est révolue ?
L'ASBL, soucieuse de la beauté de la place du village, a
décidé de rénover les vieux outils agricoles
rouillés qui l'ornent, et cette planteuse a été la
première bénéficiaire de ce traitement. Il y a quelques
années, un groupe de jeunes adultes proches du village et de l'ASBL
s'est « pris un délire » autour de cet outil, qui
est devenu un prétexte à se retrouver et à boire.
Progressivement, un cri s'est mis en place : la
personne qui le lance d'hurler : « À NOTRE PLANTEUSE À
PATATES... », les personnes connaisseuses de s'égosiller en
retour : «...À UN RANG !!! » (en
référence à la particularité de cet outil, qui
plante un rang de pommes de terre à la fois). Ce cri a
émaillé les trois jours de fêtes, au sein des membres de
l'ASBL et des bénévoles ; à intervalles
réguliers, une personne lançait cet appel auquel une quinzaine
d'initiés s'empressait de répondre. En quelques années, ce
qui n'était qu'un « délire » entre jeunes a
pris de l'ampleur, et désormais, une « intronisation
à la confrérie de la planteuse à patates » est
organisée lors de chaque édition de la fête.
La « cérémonie » est relativement
simple : les personnes intronisées lors des éditions
précédentes sont membres de la confrérie et vont
accueillir les nouveaux, généralement des gens du village ou des
acteurs de la fête. Pour cela, deux ingrédients
indispensables : le dit cri et la bière du village, « la
Thimougienne »158. L'absorption de plusieurs
gorgées de ce breuvage entrecoupées du lancement et de la
réponse à ce leitmotiv constituaient la manière
d'accueillir les nouveaux, qui poussaient alors leur premier cri, repris en
choeur par la confrérie : « ... À UN
RANG !!! ».
158(*)
Cette cérémonie, précisons-le, s'est
déroulée sur un mode burlesque. Les villageois intronisés
la considèrent avant tout comme une « bêtise »
des jeunes, qui les fait néanmoins sourire et à laquelle ils se
plient de bonne grâce. Cette intronisation n'est pourtant pas une
scène de théâtre : elle se fait réellement et
nomme chaque année de nouveaux membres, même si cela n'engage que
peu. Tout ce moment particulier est marqué par cette
ambiguïté, où l'on crie « ... À UN
RANG !!! » d'un air amusé, mais où on le crie quand
même.
À travers cette intronisation sont visibles, à
notre sens, les dynamiques d'appartenance présentes dans la fête.
L'organisation d'un évènement d'une telle ampleur constitue un
moment privilégié pour un groupe villageois de ressentir partager
quelque chose. Cela est possible car la fête est cet espace-temps
où l'on travaille ensemble, ce qui permet l'émergence progressive
d'un « nous ». Et parmi les nombreuses manières que
la fête offre d'affirmer son appartenance, cette intronisation semble la
plus directe, puisqu'elle permet aux Thimougiens de proclamer oralement leur
appartenance, exactement comme les Baséclois le font lorsqu'ils chantent
leur hymne de village. Tout cela se passe sous les yeux de la foule qui
défile et qui, au pire, n'y comprend rien, au mieux, considère
cette intronisation comme une animation « pittoresque » de
plus parmi toutes celles qui ponctuent cet après-midi.
Analyse : une
fête-loisir préfigurant une nouvelle forme d'appartenance
Cette forme nouvelle de fête n'est pas sans
intérêt, car elle est porteuse de mutations fondamentales. Elle
représente un glissement du phénomène de la
fête : traditionnellement, celle-ci est un moment local,
réservé aux habitants du village. Il semble improbable qu'un
étranger y participe, puisqu'il ne partage rien avec le groupe - or,
c'est bien ce groupe qui est célébré. Aujourd'hui
apparaissent des fêtes-loisir, comme à Thimougies, qui prennent la
forme d'évènements accessibles à un public
extérieur, pendant lesquels le village se transforme en espace de
consommation. Toute dimension sociale n'y est cependant pas absente : un
groupe se crée et se régénère toujours, en
organisant la fête. Le groupe retire un sentiment de fierté du
succès commercial de son évènement, levier puissant pour
construire une identité locale. Les critères de réussite
d'une telle fête ont également changé : celle-ci ne
dépend plus tant du fait que les villageois s'y soient bien
amusés, que de la venue d'un public important. Pour les villageois du
reste, la fête a plutôt lieu à un autre moment : lors
de la préparation.
Un évènement
qui mobilise
Résumons le propos. De prime abord, la fête de
Thimougies ne semble pas être un moment pendant lequel de grands enjeux
se jouent. Pour la majeure partie de ses spectateurs, venant parfois de loin,
il ne faudrait d'ailleurs pas utiliser le terme de
« fête » mais d'évènement, pendant
lequel le village devient un espace de consommation. Cette dimension
d'« Art's Thimougies » illustre parfaitement le rapport au
rural comme un cadre de loisirs, rapport caractérisé par un
faible engagement. L'épisode de la planteuse à patates nous
permet pourtant de prendre conscience que même dans cette fête qui
semble la plus détachée de tout rapport identitaire au rural, une
appartenance à un groupe est construite et entretenue, pour un certain
nombre de villageois.
Mais ce n'est pas tout. Au-delà de cette fonction
sociale actualisée, si chère à nos intérêts,
la fête va encore plus loin. Parce qu'elle constitue le moment pendant
lequel le village s'expose au monde extérieur, pendant lequel il se
présente sous son plus beau jour, pendant lequel ses différents
atouts (moulin, marais, église et orgue, nature) sont mis en avant,
cette fête est une vitrine159(*). Par là même, elle n'est pas un moment
anodin se suffisant à lui-même : elle s'inscrit au contraire
dans un contexte plus large qui la déborde, elle fait partie d'une
stratégie à long terme, le projet de village.
Toutes les actions de l'ASBL semblent répondre à
une logique d'ensemble : elles convergent toutes vers un projet de
maîtrise. Maîtrise de l'espace villageois, tout
d'abord : obtenir le label des « Plus beaux villages de
Wallonie », c'est empêcher les constructions nouvelles qui ne
s'intégreraient pas, du point de vue architectural, dans le village. Ce
label constituerait donc une possibilité de contrôler ce qui se
construit, réinstaurant le local comme un niveau de pouvoir. C'est le
village qui reprend partiellement sa destinée en main dans un univers
décisionnel délocalisé depuis la fusion des communes. Dans
la logique globale de ce projet qui vise à rendre le village
beau, la fête est l'occasion privilégiée d'exposer
les atouts de Thimougies, atouts qui ont été ou qui vont
être restaurés. À ce sujet, il faut remarquer que les
membres de l'ASBL ont développé une connaissance très fine
des mécaniques institutionnelles et des différentes sources de
financement : Région Wallonne, Province du Hainaut, Ville de
Tournai, à chaque niveau de pouvoir ses subsides potentiels, que les
villageois connaissent. Ce que l'ASBL entend également obtenir, c'est la
maîtrise de la vie sociale du village. Pour ce faire, les villageois sont
depuis plusieurs années en demande d'une Maison de village, outil
destiné à appuyer l'action de l'ASBL.
La fête s'inscrit dans ce double projet et y joue un
rôle important. Elle constitue un levier puissant pour sa
réalisation car elle permet de mettre en avant le dynamisme du village
et les ressources humaines dont il dispose. L'« accueil des
autorités » organisé lors du dimanche de la fête,
s'inscrit dans cette ligne : il s'agit de montrer aux édiles
communaux la beauté du village, le dynamisme de ses habitants, capables
de mettre sur pied un tel évènement, et ainsi, le bien
fondé de l'octroi de subsides pour les différents projets de
l'ASBL. De cette manière, la fête est un élément
crucial dans le « dispositif » mis en place par les
villageois pour accéder à une maîtrise de leur espace.
Tous ces éléments nous amènent à
esquisser les traits de ce que serait une nouvelle appartenance au village.
L'action de l'ASBL au sein du village et la manière dont un groupe se
structure au travers de cette action nous amènent à formuler la
distinction entre cohésion et mobilisation. Dans un
village homogène du début du XXème
siècle, l'appartenance au groupe villageois était totale. Il
s'agissait d'une cohésion, par laquelle tous se sentaient liés
les uns aux autres, à tous points de vue. Il n'était pas possible
de sortir de ce groupe, qui conditionnait toutes les dimensions de l'existence.
Il en était ainsi car les villageois partageaient une condition commune,
la paysannerie, qui constituait une culture de référence.
Dans la situation actuelle de rural ouvert, ce rapport total
au groupe n'est plus possible. Les villages sont des espaces
d'hétérogénéité dans lesquels il est
difficile de trouver les ferments d'une condition commune. L'appartenance n'y a
pourtant pas disparu, mais elle s'est transformée. Et le cas de
Thimougies nous permet justement de cerner quelle pourrait être l'une de
ses nouvelles formes. Au lieu d'une cohésion, l'appartenance prend ici
la forme d'une mobilisation. Tout se passe comme si un groupe villageois
existait en puissance, un groupe qui deviendrait matière lors
d'occasions ponctuelles : lorsqu'il s'agit de mettre une fête sur
pied, et qu'un nombre important de bénévoles est
nécessaire, lorsqu'il s'agit de rassembler des fonds pour restaurer
l'orgue, considéré comme « l'ambassadeur du
village », lorsqu'il s'agit de s'opposer à la création
de logements sociaux sur la place du village, lorsqu'il faut faire entendre sa
voix aux réunions du PCDR pour obtenir une Maison de village, lorsque
demain il faudra peut-être s'opposer à un projet destructeur
déposé par un promoteur immobilier quelconque, lors de tous ces
moments particuliers, le groupe ainsi entretenu doit exister et être
disponible.
L'action de l'ASBL, qui entend retrouver la maîtrise de
l'espace qui l'entoure, favorise l'émergence de cette nouvelle
appartenance. Il ne s'agit plus d'un rapport total à un groupe, mais
plutôt d'un lien privilégié qui s'exprime lors de moments
localisés. La fête du mois de juin joue un rôle important
dans la création de cette nouvelle forme de lien entre villageois, dans
la mesure où elle leur donne l'occasion de se percevoir comme partageant
un espace commun. Ainsi, le village redevient une entité qui fait sens.
Au-delà des barrières qui clôturent les jardins
privés, l'espace villageois, réinvesti d'un contenu, fait l'objet
d'un projet collectif pour lequel ses utilisateurs sont prêts à se
mobiliser.
3.2.2.4. Trois fêtes,
trois stratégies
À travers la présentation de ces trois
fêtes et de ces trois villages, ce sont trois histoires de
ruralité qui ont été portées à nos yeux.
Trois manières singulières dont la ruralité contemporaine
se joue concrètement, aujourd'hui. À chaque fête correspond
un contexte particulier, et entre village et fête s'écrit à
chaque fois une histoire nouvelle, que l'on peut raconter. Nous sommes ici
renvoyés à l'hétérogénéité du
rural, non plus intra- mais inter-villages : sous un même vocable,
« village », sont regroupées des
réalités qui peuvent être radicalement distinctes. Chaque
village est particulier ; le local est irréductible. Est-ce
à dire, pour autant, qu'il n'est pas possible de remonter au
général et que tout discours doit se cantonner au
particulier160(*)? Nous
voulons nous garder de toute approche dogmatique et pensons que les deux
niveaux d'analyse, l'approche par le général, d'une part,
l'approche par le particulier, d'autre part, sont également
féconds, à condition de ne pas les considérer pour autre
chose que ce qu'ils sont, c'est-à-dire des outils, et de les utiliser de
manière complémentaire, comme nous l'avons fait dans le cadre de
ce travail.
Nous pouvons maintenant revenir rapidement sur les trois
histoires de ruralité que nous avons abordées et tenter de
synthétiser le propos.
Le carnaval de Willaupuis est fragile. Depuis sa
première édition, son assistance n'a cessé de diminuer,
pour atteindre aujourd'hui un nombre critique. Prenant plutôt la forme
d'une animation pour enfants, la fête n'a rien d'une liesse populaire qui
voit les villageois transportés par des émotions intenses. Pour
comprendre cette situation, il faut se référer à la forme
spatiale et sociale du village : parce que tout se joue en dehors,
l'espace villageois n'est plus pratiqué, si ce n'est en voiture. Il en
résulte que peu de choses unissent encore naturellement ses
utilisateurs. Depuis quelques années, un groupe de villageois a
entrepris une action collective autour d'une Maison de village, avec pour but
de redynamiser la vie d'un village qui est perçu comme
« mort ». Mais le résultat de cette action est
mitigé, à tout le moins en ce qui concerne le carnaval, car
l'offre de fête n'est pas intéressante. Les activités
proposées n'ont rien de spectaculaire, et si elles auraient pu suffire
dans un village homogène d'antan, elles ne parviennent désormais
plus à attirer un public important, ceci valant pour un public
extérieur, mais également au sein même des habitants de
Willaupuis : le rapport participants-habitants est de un pour huit.
Basècles, au contraire, peut se targuer d'organiser un
carnaval réussi. Cette réussite ne se mesure pas uniquement
à l'aune du contentement des participants au carnaval, mais
également à l'affluence d'un public extérieur. Dans cette
fête, le rapport participants-habitants est de un pour un. Pour expliquer
ce succès, il faut une fois de plus se pencher sur l'offre de la
fête : axée sur le folklore et la tradition, celle-ci
investit un créneau relativement porteur dans notre
société contemporaine. Si la fête parvient à
mobiliser un nombre si important de participants issus du village (environ 1
200), c'est parce que la forme spatiale et sociale de celui-ci est favorable au
développement d'un sentiment d'appartenance. Dans ce qui est un bourg,
l'espace villageois est parcouru par ses habitants et est investi d'un sens.
C'est ainsi qu'il est possible de les rassembler et de les faire chanter
l'hymne de leur village.
Finalement, avec un tel nombre d'habitants, porteurs de
surcroît de ce rapport spécifique à leur espace, il n'est
pas insensé de postuler que le carnaval de Basècles n'a pas
besoin du public extérieur pour survivre. Il dispose d'un vivier
suffisamment grand pour réunir le nombre critique de participants
nécessaire au succès de la manifestation. Il peut donc se
permettre de centrer le spectacle sur le village (c'est l'histoire du village
qui est mise en scène dans le carnaval) et peut même
« se payer le luxe » de refuser des participants (les
sociétés n'acceptent pas de non-Baséclois, sauf s'ils sont
parrainés). Le carnaval peut se permettre cette référence
forte au village, car sa pérennité n'est pas dépendante
d'un public extérieur. Le branchement sur l'histoire du village semble
finalement être un calcul très efficace : permettant à
la fois de fédérer l'intérieur (en construisant une
identité locale fière) et d'attirer l'extérieur (ce
créneau est porteur), cette stratégie constitue un compromis
efficace qui permet de remplir à la fois la fonction interne et externe
de la fête.
Thimougies, enfin, présente une forme spatiale et
sociale relativement proche de celle de Willaupuis : une population de 200
habitants, un village résidentiel hors des enjeux de la production, un
espace villageois naturellement peu pratiqué. Pourtant, la situation est
tout autre. À partir d'une prise de conscience de la
« beauté » du village que l'on habite et des atouts
potentiels qu'il comporte, une ASBL a été créée
(comme à Willaupuis), et a progressivement pris une ampleur
considérable, pour devenir l'acteur incontournable du village. Cet
exemple doit nous enseigner la leçon suivante : au delà des
facteurs objectifs, comme le passé économique, la localisation et
la taille d'un village (facteurs qui ont permis, partiellement, de comprendre
la différence de forme entre les carnavals de Willaupuis et
Basècles), les fêtes - et partant, l'appartenance qui se joue
aujourd'hui dans les villages - sont aussi dépendantes de facteurs
associatifs.
À Thimougies par exemple, il a fallu, à un
moment donné, la présence de villageois capables de proposer un
discours qui fait sens et qui peut fédérer un certain nombre de
personnes autour d'un projet collectif. La présentation croisée
des cas de Willaupuis et Thimougies permet ainsi de montrer que les facteurs
objectifs sont largement insuffisants pour cerner la forme spatiale et sociale
d'un village, et que, si dans le rural passé, les fêtes
étaient des évènements émergeant
spontanément de la vie d'un groupe, les fêtes actuelles sont
désormais des produits qu'il faut construire et qui sont
dépendants de logiques associatives. Le bénévolat y joue
un rôle crucial : sans une ASBL, un groupe de jeunes, un
comité des fêtes, autrement dit, un groupement de personnes
relativement structuré et défini pour les porter, les fêtes
actuelles s'éteindraient.
Le rapport participants-habitants lors d'« Art's
Thimougies » est de cinquante pour un, ce qui constitue un
renversement total par rapport au carnaval de Willaupuis. La clé de
ce succès réside dans l'offre proposée par la fête,
qui renvoie à un rapport très moderne à la
ruralité. À bien y regarder, les animations proposées lors
de la fête relèvent du divertissement socio-culturel.
Contrairement au spectacle proposé par le carnaval de Basècles,
qui a choisi de se brancher sur le passé du village, le programme de
Thimougies ne comporte pas de référence au village en
lui-même, mais plutôt à une ruralité dans son
ensemble, d'une manière assez floue. Le contenu des animations est ainsi
accessible à un public plus large : quand la fête devient
plus conviviale qu'identitaire, néo-ruraux, étrangers du village
et citadins peuvent « se retrouver » plus facilement dans
le programme proposé. Il y à fort à parier que si
Thimougies organisait une fête présentant un caractère plus
centré sur le village, celle-ci ne drainerait pas un public aussi
important.
Des trois festivités analysées,
« Art's Thimougies » est, sans conteste, la plus moderne.
Ceci explique d'ailleurs son succès : c'est parce qu'elle se
branche sur un rapport très contemporain à la ruralité
qu'elle réussit de la sorte. Si nous revenons à l'analogie du
marché des fêtes, nous pouvons constater que Thimougies a
« lu » correctement ce marché, et propose une
manifestation qui correspond à une demande forte. La fête est
parfaitement adaptée à son époque, elle a en fait pris
pleinement acte des transformations récentes du monde rural : cette
dernière se structure autour d'un rapport au rural comme cadre de vie,
ce qui correspond à une tendance montante de rapport à cet
espace. C'est ainsi que nous pouvons comprendre le fossé qui la
sépare du carnaval de Willaupuis : si ce dernier est un
échec, c'est en partie parce qu'il présente une forme
dépassée, qui ne fait plus recette actuellement. Il y a un
demi-siècle, ce carnaval aurait pu être un succès ;
aujourd'hui, il semble éculé.
Mais si cette « fête-loisir » de
Thimougies est la manifestation la plus en phase avec son temps, si par
ailleurs, comme nous l'avons montré, elle institue un rapport
distancié de consommation à l'espace, est-ce à dire que
toute dimension d'appartenance a disparu du monde rural actuel ? Point du
tout. Et cette fête est exemplaire, car même si en apparence, elle
semble la plus détachée de tout rapport identitaire au monde
rural, elle comporte pourtant des dynamiques fortes d'appartenance et parvient
à fédérer un groupe d'une manière fort efficace -
plus efficacement, par exemple, que Willaupuis ne parvient à le faire en
s'appuyant sur une forme plus traditionnelle de fête. La
spécificité de la fête de Thimougies réside dans le
fait que le maintien de sa fonction sociale est tributaire, paradoxalement, de
son ouverture. C'est parce que le groupe villageois recomposé est
capable de proposer une festivité au monde extérieur qu'il
parvient à se fédérer. Le public, par sa présence,
valide la fête, reconnaît le village, et fait exister le groupe.
L'appartenance se joue dans l'ouverture, et on en arrive finalement à un
résultat paradoxal, où le recours au monde extérieur est
nécessaire au village pour pouvoir contrôler l'intérieur.
La fête s'intègre alors dans un dispositif qui vise à
retrouver la maîtrise de son espace. Sur ce point, la fête de
Thimougies est remarquable. Elle constitue, nous l'avons dit, la manifestation
la plus moderne qu'il nous ait été donné d'analyser, et
préfigure probablement la forme des fêtes rurales à
venir.
CONCLUSION
Parler des fêtes pour parler du rural, telle
était notre démarche. Parce que la fête est une formidable
vitrine sur une société, révélant tant
d'informations. Ses formes renvoient, en filigrane, aux formes du rural, car
leurs destins sont intimement liés : comme le rural, la fête
s'est laïcisée, dépaysannée et ouverte.
La fête témoigne donc pour le rural, et dit
beaucoup de choses. Elle nous montre, à travers ses différentes
formes, les diverses faces de la ruralité contemporaine : les
fêtes chapiteaux de jeunes agriculteurs, d'un côté, les
fêtes thématiques, de l'autre, mettent en scène deux mondes
distincts qui cohabitent dans l'espace rural, et qui renvoient à la
complexité de ce dernier. La fête laisse également voir la
fonction symbolique toujours remplie par le rural, de plus en plus disponible
pour remplir son statut de mythe. Elle témoigne aussi de la
pluralité des rapports que les ruraux entretiennent à leur
espace : mode de vie ou cadre de vie, lieu de production ou lieu de
villégiature. Elle montre, enfin, les formes prises par l'appartenance
dans ce rural métamorphosé.
Fêtes de village et nouvelles appartenances, qu'en
est-il donc ? Rechercher une appartenance classique dans une fête
actuelle serait une quête insensée et sans intérêt.
Prenons plutôt acte des transformations du rural, et essayons de tracer
les contours de ce que serait une nouvelle appartenance. Celle-ci est
liée, aujourd'hui plus qu'hier, à la fête, parce que cette
dernière est désormais, à peu de choses près,
l'unique moment pendant lequel le village redevient un centre qui fait sens.
Fonction sociale cruciale donc, de rassembler et de fédérer un
groupe. Mais ce rassemblement ne présente plus la même
forme : hier, le village abritait une véritable communauté,
qui correspondait à l'ensemble de sa population. Au sein de ce groupe,
une cohésion forte et une appartenance totale. La fête,
évidente, incontournable, lui permet de se ressourcer
périodiquement. Aujourd'hui, la fête ne va plus de soi. Elle est
fragile, incertaine, parce que le groupe villageois n'est plus une
évidence. Dans le contexte de rural ouvert, le village est en effet de
moins en moins une entité qui fait sens pour ses habitants. La
fête, quand elle existe, n'a pas alors pour fonction de
régénérer une communauté préalable, mais
elle permet de créer un groupe qui peut difficilement s'éprouver
comme tel. Le travail en commun autour d'un évènement qui voit le
village validé par le monde extérieur permet aux organisateurs de
développer une conscience fière et ainsi de se sentir partager un
espace en commun.
L'appartenance qui peut émerger d'une telle dynamique
se démarque d'une appartenance classique. D'une part, le groupe ainsi
créé à travers la fête ne correspond plus à
l'ensemble de la population du village. En font partie les villageois qui,
librement, adhèrent à un projet ; le lien social au sein du
village n'est alors plus une norme, mais un choix. D'autre part, le lien ainsi
créé relève moins du rapport total à un groupe
qu'à un rapport plus distancié d'interconnaissance, engageant
moins. Dans ce contexte, le ressourcement du groupe ne donne pas
nécessairement lieu à de grands éclats et
excès : ce n'est pas tant en faisant la fête qu'en
l'organisant que l'on se retrouve. Parmi les nouvelles formes d'appartenance
que la fête contemporaine véhicule, la mobilisation voit le
jour : autour d'un projet de village, un groupe villageois en puissance
est créé, groupe qui peut alors être mobilisé lors
d'occasions ponctuelles concernant ce projet. À la communauté
villageoise totale du passé succède alors un groupe qui prend
forme ponctuellement.
La fête contemporaine n'est donc pas une
évidence. Pour exister, elle nécessite un soutien important. Ici
interviennent les facteurs associatifs : pas de fête sans un groupe
pour la porter. Les fêtes actuelles sont ainsi tributaires de groupements
engagés et dynamiques, sans lesquels elles ne pourraient exister. Mais
pour autant, on ne peut considérer qu'entre la fête et le groupe
existe une relation causale unilatérale. Une dynamique complexe
s'installe, parce que la fête est cet account : elle
nécessite un groupe pour exister, mais elle construit en retour le
groupe qui l'épaule. Selon le contexte, un cercle vertueux ou vicieux
peut ainsi s'installer, dans la mesure où un groupe fort est susceptible
de bénéficier d'une fête forte, qui le renforce,
mécanisme inverse pour un groupe faible. Mais ne versons pas dans une
logique de causalité : ces dynamiques sont bien plus complexes, car
la fête et le groupe n'existent qu'ensemble, et ne peuvent être
pensés indépendamment.
Quand la fête ne va plus de soi, elle devient un objet
à construire. Elle est une oeuvre, un produit créé de
toutes pièces, parce qu'un moment de fête est une décision
sociale, donc arbitraire. Les fêtes thématiques illustrent bien
cette construction, à travers l'objectivation qu'elles
nécessitent de la part de leurs organisateurs : c'est en prenant
distance par rapport à soi et à sa culture que l'on construit,
consciemment, la fête. Réaliser une recherche sur un tel objet
contribue finalement à le démystifier. À travers ce
travail, il a été possible de prendre conscience de plusieurs
façons que la fête ne va pas de soi : en
révélant que la fête est construite et calculée, au
terme d'un long processus de préparation, en montrant également
que dans le paysage festif, il y a les fêtes qui durent et les nouvelles
qui tentent de se faire une place, en montrant enfin que toutes les fêtes
ne sont pas des succès, mais que certaines échouent, cette
recherche a contribué à dés-idéaliser la
fête.
Comment se dessine l'avenir des fêtes rurales ?
Tout d'abord, il faudra probablement continuer de parler de ces fêtes au
pluriel. Comme actuellement, voire peut-être même plus, le paysage
festif sera marqué par sa diversité, fonction de
l'hétérogénéité du rural, l'espace dans
lequel il s'inscrit. Dans ces fêtes plurielles néanmoins, les
fêtes thématiques et nouvelles fêtes de village, qui n'en
sont actuellement qu'à leurs débuts, pourraient bien devenir
incontournables et voir leur forme se répandre. Par ailleurs, les
fêtes devront être épaulées par des logiques
associatives, condition sine qua non de leur pérennité.
Enfin, s'il fallait déceler une clé de leur réussite, ce
serait de prendre conscience du marché sur lequel elles se positionnent.
Depuis qu'elles se sont ouvertes à un public extérieur, les
fêtes dépendent de celui-ci et doivent en prendre acte. Dans ce
contexte survivront celles qui procèderont à une lecture juste de
ce marché et des opportunités résultant de l'interaction
entre l'offre et la demande. La fête qui effectuera une proposition de
ruralité en phase avec son temps aura toutes les chances de
réussir. Les fêtes qui, à l'inverse, ne pourront pas
s'adapter à la demande, mourront. Une dure loi de l'évolution des
espèces, en quelque sorte, où seuls les organismes adaptés
survivent. Ce phénomène est la conséquence directe de
l'ouverture des fêtes : s'ouvrir à un public (et conditionner
sa réussite à la présence de ce public), c'est
également devenir dépendant de ses desiderata.
Le rural n'est pas un espace vide et mort. Les fêtes y
sont nombreuses et vivaces, et elles ne sont pas que conviviales. Elles
conservent une fonction sociale, même si l'exercice de cette fonction est
de plus en plus épineux et incertain. La fête est fragile, et
nécessite le soutien de dynamiques associatives. Pour se consolider, une
solution : se positionner sur un marché. Le propos peut sembler
paradoxal, mais ce sont bien souvent les fêtes qui répondent
à une demande qui parviennent le mieux à réunir un groupe.
L'extérieur devient alors un levier puissant pour fédérer
l'intérieur. Raisonner ainsi en termes de marché n'a rien de
désenchanteur, parce que la fête, tout comme le social, n'est pas
écrite. Ni donnée, ni naturelle, elle est un objet à
construire.
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consulté le 19/07/07.
- Union des Villes et Communes de Wallonie :
http://www.uvcw.be, consulté le
22/05/07.
Annexes
Annexe I
Nous allons ici présenter un extrait de notre carnet de
terrain. Ceci permettra au lecteur d'accéder un peu plus aux
« coulisses » de notre recherche, en prenant connaissance
de la forme de cette récolte spécifique de matériau. Le
carnet de terrain était utilisé lors des observations directes.
Les notes qui y figurent étaient prises pendant et après le
moment d'observation. Le contenu du carnet présente un caractère
relativement hétéroclite : il est composé de
descriptions fines de la fête (les activités, les participants,
l'ambiance, etc.), de retranscriptions d'interactions informelles que nous
avons pu avoir avec les personnes présentes, ou encore de pistes de
réflexion, qui surgissaient « à chaud ». Ces
informations brutes étaient retravaillées, dans un second temps,
pour produire un discours plus analytique sur les évènements
observés.
Les trois pages suivantes sont issues de l'observation que
nous avons effectuée lors du carnaval de Willaupuis.
Willaupuis dimanche
18 14h10
pas de centre au
village - pas le plus beau
village de Wallonie !
plein formes architecturales différentes
la madame, elle aspire
sa voiture pendant ce
temps ? indifférence générale ???
la fête, elle prend ou elle
prend pas. Le CONCEPT marche ou pas
Ça crée du lien social. MAIS importance des
familles. Des enfants. + je pense des animateurs extérieurs.
Pas tourné vers l'extérieur : centré
sur nous.
Il y a un petit quelque chose, du lien social.
Mais = 40 habitants sur 400 !!!
170 maisons
50 enfants ? pourraient rouvrir l'école !!
Association de fait
Village était en train de mourir. Trop personnes
âgées. 2003 Maison village
commune fort présente ? ils ont besoin politiques
pour créer du lien social ! Ils font jouer ça. (comme
Thimougies)
9/10 du village démissionne ? Ils m'ont donné
des confettis. Pas loin de crever !
La fête ne tient qu'à un fil
Annexe II
Nous allons ici effectuer une brève comparaison entre
les tracts publicitaires de deux fêtes de village du Hainaut occidental.
Ces fêtes sont organisées par trois villages de la commune de
Tournai : la première est mise sur pied conjointement par les
villages de Blandain et d'Hertain, la deuxième par le village d'Ere. Il
s'agit de fêtes chapiteaux, premier terme de notre typologie des
fêtes rurales en Hainaut occidental, et forme la plus répandue de
fête dans cette région. Les tracts de ces
évènements, reproduits à la page suivante, illustrent
parfaitement l'existence d'un « marché des
fêtes ».
Ces tracts incarnent à merveille la compétition
qui prend place entre les fêtes chapiteaux. Ils ne sont pas
isolés : nous aurions pu proposer une dizaine d'autres tracts de
chapiteaux de la région, présentant tous, avec une
régularité impressionnante, la même forme.
La structure de ces tracts est toujours la même :
le verso présente les soirées du vendredi et du samedi, le recto
détaille le programme du dimanche, plus fourni en activités. Nous
ne reviendrons pas sur les activités-types organisées lors de ces
évènements (cf. notre typologie des fêtes en
Hainaut occidental). Ce qu'il est ici intéressant d'observer, c'est
plutôt la compétition qui se joue entre les fêtes. Nous
l'avons dit, ces dernières sont des véritables produits qui se
vendent sur marché et essaient d'attirer une demande aussi large que
possible. Le mécanisme de concurrence qui caractérise la relation
entre ces fêtes prend la forme d'un jeu entre le même et le
différent : il s'agit de se distinguer légèrement des
autres produits, tout en restant dans une forme commune.
Dans ce cas-ci, les similitudes entre les deux tracts sont
nombreuses. Le format du tract, sa structure (recto : soirées du
vendredi et samedi, verso : journée du dimanche), la texture du
papier utilisé, la structure du programme (soirée gratuite le
vendredi, grosse soirée le samedi, journée familiale le
dimanche), tous ces éléments illustrent l'effet de système
qui voit ces festivités se déterminer réciproquement pour
adopter une forme unique.
Mais si les fêtes se ressemblent, elles doivent
également nécessairement se différencier, pour marquer
leur spécificité et attirer un maximum de public. La venue d'un
public extérieur est devenu aujourd'hui le critère premier de
réussite pour la majorité des fêtes de village. Dans ce
contexte, chaque tract vante les avantages comparatifs de sa fête. La
fête d'Ere propose ainsi une soirée « messages et
rencontres », un surf mécanique, des tours en limousines, met
l'accent sur les références du Disc Jokey de la soirée
(« Auteur de « Love is gone » ? le nouveau tube
de David Guetta - IXXEL - Cap'tain »), ainsi que sur les
« performances » du chapiteau (« nouveau show
multi-lasers avec le 1er laser full color sous
chapiteau »). La fête de Blandain-Hertain, quant à elle,
propose une soirée « avec Gogo Danceuses... & Cadeaux
à Gogo ! », vante également les
références de son Disc Jokey (« from the
OH ! »), et se démarque sur l'offre de boissons
(« 25 cl : 1,2 € ; 50 cl :
2 € »). Ces différents avantages comparatifs
constituent autant d'atouts pour les deux évènements (qui sont
organisés à une semaine d'intervalle), et font partie de leur
stratégie de promotion.
Les « jolies filles », que nous
évoquions plus haut, font également partie de la stratégie
de promotion. Elles figurent sur les deux tracts, au niveau de la soirée
du samedi. Leur présence sur les tracts constitue un indice
supplémentaire permettant d'affirmer qu'elles constituent actuellement
des objets légitimes appartenant au « monde » de ces
fêtes chapiteaux.
* 1 Les multiples
théories qui ont été produites sur la fête
soutiennent cet argument. Agier, par exemple, le rappelle dans l'introduction
de son étude sur le carnaval de Bahia. Agier M., Anthropologie du
carnaval. La ville, la fête et l'Afrique à Bahia, Marseille,
Parenthèses, 2000, p. 7.
* 2 Dibie P., Le village
retrouvé. Essai d'ethnologie de l'intérieur, Paris, Grasset,
1979.
* 3 Mormont M.,
« Vers une définition du rural », Recherches
Sociologiques, XX, 3, 1989, pp. 331-350.
* 4 Voyons le numéro
de Recherches Sociologiques intitulé :
« Sociologie rurale, sociologie du rural ? ».
Recherches sociologiques, XX, 3, 1989.
* 5 Mormont M., Mougenot C.,
L'invention du rural, Bruxelles, E.V.O., 1988.
* 6 Mormont M.,
« L'espace rural comme enjeu social », Recherches
Sociologiques, IX, 1, 1978, pp. 9-26 ; Mormont, Mougenot, op.
cit. ; Mormont, op. cit., 1989.
* 7 Mormont, op.
cit., 1978, p. 10.
* 8 Mormont, op.
cit., 1978.
* 9 Mormont, Mougenot,
op. cit., p. 8.
* 10 Bodson D., Les
villageois, Paris, L'Harmattan, 1993, p. 19.
* 11 Propos recueilli lors
de l'observation menée au carnaval de Willaupuis, le 18/02/07.
* 12 Bodson, op.
cit., p. 21.
* 13 Bodson D., Il y a
une vie en dehors des villes... et elle n'est pas ce que l'on croit,
Bruxelles, La lettre volée, 1999.
* 14 Dibie P., Le
village métamorphosé. Révolution dans la France
profonde, Paris, Plon, 2006.
* 15 Ibid., p.
107.
* 16 Nous nous basons ici
sur les entretiens réalisés dans le village de Thimougies. Si les
catégories « ville »
et « village » sont présentes chez les deux
types de villageois, leur contenu est différent. Quant l'agriculteur
nous explique que le village, c'est avant tout « avoir de
l'espace » et pouvoir « sortir de sa maison »
(à la manière des observations faites par Bodson dans Les
Villageois), le couple néo-rural avance plutôt le fait que la
campagne est un « cadre », un espace de nature qui est
« calme ». De même, l'agriculteur a
évoqué une sociabilité spécifique à la
campagne, où « tout le monde se connaît » et
où « on fait des tours pour se dire bonjour » ;
à l'inverse, les néo-ruraux n'ont pas utilisé la dimension
de sociabilité pour distinguer ville et campagne. Que l'on ne se
méprenne ici pas sur le statut de cette remarque : nous n'avons pas
travaillé dans une logique quantitative, et n'avons donc nulle intention
de prétendre à la représentativité de nos
observations et de généraliser en soutenant que « tous
les villageois de souche se comportent de cette manière » et
que « tous les néo-ruraux se comportent de cette autre
manière ». Nous suivons au contraire une logique qualitative
qui tente de montrer comment, chez un individu, un discours peut faire sens et
se « tenir ».
* 17 Cf.
http://www.frw.be.
* 18 En ce qui concerne une
analyse du rural français, voyons la récente monographie de
Chichery réalisée par P. Dibie, dans Le village
métamorphosé. Le terme « monographie »
semble inadéquat, car cette réflexion dépasse largement le
cadre purement local de Chichery. Pour une présentation du rural wallon,
voyons Bodson, op. cit., 1999.
* 19 Voyons par exemple
Champagne P., « La restructuration de l'espace villageois »,
Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 3, 1975, pp. 43-67, et
Bodson D., « Un sérieux coup de vache », La
revue nouvelle, 4, 2001, pp. 8-17.
* 20 Ainsi, si le mot
« paysan » n'est plus utilisé pour qualifier un
agriculteur (sauf peut-être d'une manière péjorative), le
mot « ferme » n'est pas tombé en
désuétude, de même que dans l'autre sens, l'appellation
« UGB », dont Dibie décrit l'apparition dans Le
village métamorphosé, n'a pas encore remplacé le mot
« vache ».
* 21 Hervieu nous donne
ainsi en 1989 les chiffres suivants : « en 1960, un agriculteur
français nourrissait 7 personnes, en 1983, il en nourrit plus de
30 ». Bien que ces données ne soient pas récentes et
concernent la France, elles n'en donnent pas moins une idée des
améliorations de productivité que l'agriculture a connu durant
les dernières décennies. Hervieu B., « De la fin des
paysans au renouveau des sociétés rurales
françaises », Recherches Sociologiques, XX, 3, 1989,
p. 357.
* 22 La main d'oeuvre
agricole suit la même évolution : elle passe de 95 009
à 92 405 personnes entre 2005 et 2006 pour la Belgique, de 28 007
à 27 365 en Wallonie. Tous les résultats du recensement agricole
sont disponibles sur le site internet de l'Institut National de Statistiques,
à l'adresse
http://www.statbel.fgov.be,
consulté le 1/05/07.
* 23 Bodson, op.
cit., 1999.
* 24 Bodson, op.
cit., 1993.
* 25 Voyons par exemple
Mormont, op. cit., 1989, p. 245 ; Bodson D., « Les
enjeux de la ruralité », Cahiers de l'éducation
permanente, 10, 2000, pp. 9-19 ; Chamboredon J.-C.,
« Nouvelles formes de l'opposition ville-campagne », in
Duby G., Roncayolo M. (dir.), Histoire de la France urbaine, Paris,
Seuil, 1985, tome V, pp. 557-573.
* 26 Chamboredon, op.
cit., p. 562.
* 27 Mormont, op.
cit., 1978 ; Bodson, op. cit., 1999, p. 56.
* 28 Bodson, op.
cit., 1999, pp. 51-53.
* 29 Entretien
réalisé à Rumillies le 19/03/07.
* 30 Entretien
réalisé à Ere le 25/05/06.
* 31 Bodson parle à
cet égard de la sociabilité
« barbecue-jardin-été », qui traduit cette
volonté d'introduire de la proximité contrôlée dans
de la distance requise. Bodson, op. cit., 1999, pp. 51-53.
* 32 Bodson, op.
cit., 1999 ; Dibie, op. cit., 2006.
* 33 Dibie, op.
cit., 2006, p. 33.
* 34 Dibie, op.
cit., 2006, p. 77.
* 35 Champagne et
Chamboredon décrivent, déjà à leur époque,
la diversification de la structure sociale des villages, avec l'apparition de
nouvelles catégories socio-professionnelles en leur sein. Champagne,
op. cit. ; Chamboredon, op. cit.
* 36 Hervieu, op.
cit.
* 37 Ibid., p.
353.
* 38 Champagne, op.
cit. Pour une argumentation contre une approche des villages comme
étant des mondes clos et homogènes, voyons la lecture critique de
La campagne inventée, de Viard et Marié, faite par
Chamboredon : Chamboredon J.-C., « Les usages urbains de
l'espace rural : du moyen de production au lieu de
récréation », Revue Française de
Sociologie, XXI, 1, 1980, pp. 97-119.
* 39 On se
réfèrera utilement à Amselle J.-L., Branchements.
Anthropologie de l'universalité des cultures, Paris, Flammarion,
2001, où ce dernier montre comment les pionniers de l'anthropologie ont
« déhistoricisé » les sociétés
qu'ils étudiaient, laissant de côté tous les branchements
que ces dernières avaient effectués avec l'extérieur pour
se constituer.
* 40 Pour comprendre
l'existence de ce phénomène, il faut se rappeler que le rural
remplit, depuis longtemps, une fonction symbolique importante dans notre
société. Il est le support d'un mythe, et incarne l'ailleurs. Il
n'est pas étonnant, dans ce contexte, que cet espace soit sujet à
ce phénomène d'idéalisation. Outre Chamboredon, op.
cit., 1985, voyons également Bodson, op. cit., 1993.
L'auteur se réfère à Y. Gilbert sur ce point.
* 41 Champagne, op.
cit.
* 42 Duby G., Wallon A.
(dir.), Gervais M., Jollivet M., Tavernier Y., Histoire de la France
rurale. IV : La fin de la France paysanne. De 1914 à nos
jours, Paris, Seuil, 1977.
* 43 Ibid., p.
350.
* 44 Champagne, op.
cit., p. 53.
* 45 Chamboredon, op.
cit., 1985.
* 46 Ibid., p.
567.
* 47 Chamboredon donne ainsi
l'exemple de l'oeuvre de Marcel Pagnol.
* 48 Chamboredon, op.
cit., 1985, p. 567.
* 49 Cette constatation ne
nous permet pas pour autant de balayer, d'un revers de main, la question d'un
sentiment d'appartenance, aussi diffus soit-il, à la région.
Cf. infra.
* 50 Dans l'ordre
alphabétique : Antoing, Ath, Beloeil, Bernissart, Brugelette,
Brunehaut, Celles, Chièvres, Comines-Warneton, Ellezelles, Enghien,
Estampuis, Flobecq, Frasnes-lez-Anvaing, Lessines, Leuze-en-Hainaut,
Mont-de-l'Enclus, Mouscron, Pecq, Péruwelz, Rumes, Silly et Tournai.
* 51 Chiffres donnés
par la Chambre de Commerce et d'Industrie du Hainaut Occidental, la CCIHO, sur
son site internet,
http://www.cciho.be, consulté le
19/06/07.
* 52 Cette carte est issue
du site internet de l'Union des Villes et Communes de Wallonie,
http://www.uvcw.be, consulté le
22/05/07. La mise en évidence du Hainaut occidental a été
réalisée par nos soins.
* 53 Chiffres donnés
par le site officiel de la Province du Hainaut, http://www.hainaut.be,
consulté le 19/07/07.
* 54 Cf. site
internet de l'ASBL « Agrofood Valley » (association qui a pour but de
favoriser le développement des secteurs agricole et agroalimentaire en
Hainaut occidental),
http://www.agrofoodvalley.be,
consulté le 20/07/07.
* 55 Cf. livre 1 du
PCDR de la commune de Tournai, téléchargeable sur
http://www.tournai.be, consulté le
22/05/07.
* 56 Cf. site
internet de l'Union des Villes et Communes de Wallonie,
http://www.uvcw.be, consulté le
22/05/07.
* 57 Bodson, op.
cit., 1999, p. 17.
* 58 Poncin A., Les
« nouveaux » habitants de la province du Luxembourg,
Louvain-La-Neuve, UCL-BSPO, 2006, pp. 20-27.
* 59 Graphique
réalisé par nos soins. Les données sont issues du site
internet de la commune de Leuze-en-Hainaut,
http://www.leuze-en-hainaut.be,
consulté le 16/04/07.
* 60 Mormont, op.
cit., 1989, p. 346.
* 61 Entretien
réalisé à Ere le 25/05/06.
* 62 Mormont, Mougenot,
op. cit., pp. 98-102.
* 63 Cretin N.,
Fêtes et traditions occidentales, Paris, P.U.F., 1999, p. 3.
* 64 Moreau C., Sauvage A.,
La fête et les jeunes. Espaces publics incertains, Rennes,
Apogée, 2006. En ce qui concerne des ouvrages classiques sur la
fête, voyons Caillois R., L'homme et le sacré, Paris,
Gallimard, 1972 (1939), et Duvignaud J., Fêtes et civilisations,
Genève, Weber, 1973.
* 65 Cretin, op.
cit., p. 4 ; Moreau, Sauvage, op. cit., p. 13.
* 66 Moreau et Sauvage,
op. cit., p. 172.
* 67 Cretin, op.
cit., p. 66, citant Ségalen et Chamarat. On retrouve
également cette idée chez Lautman F., « Fête
traditionnelle et identité locale. Rêve ?... ou
recherche d'équilibre politique ? », Terrain, 5,
1985, p. 35.
* 68 Bodson, op.
cit., 1993, p. 100.
* 69 Champagne P.,
« La fête au village », Actes de la Recherche en
Sciences Sociales, 17-18, 1977, pp. 73-84.
* 70 Gervais, Jollivet,
Tavernier, op. cit.
* 71 Champagne, op.
cit., 1977, p. 73.
* 72 Gervais, Jollivet,
Tavernier, op. cit., p. 342.
* 73 Champagne, op.
cit., 1977, p. 74.
* 74 Gervais, Jollivet,
Tavernier, op. cit., p. 334 et 341.
* 75 Bodson, op.
cit., 1999, p. 61.
* 76 Gervais, Jollivet,
Tavernier, op. cit., p. 333.
* 77 Champagne, op.
cit., 1977, p. 77.
* 78 Gervais, Jollivet,
Tavernier, op. cit., p. 351.
* 79 Champagne, op.
cit., 1977, p. 75.
* 80 Ibid., p.
84.
* 81 Ibid., p.
75.
* 82 A.-G. Haudricourt,
cité par Dibie, op. cit., 2006, p. 307.
* 83 Bodson, op.
cit., 1999, pp. 53-55.
* 84 Dibie, op.
cit., 2006, pp. 164-181.
* 85 Bodson, op.
cit., 1999, p. 54.
* 86 L.-S. Fournier,
« Le patrimoine, un indicateur de modernité. À propos
de quelques fêtes en Provence », Ethnologie
française, XXXIV, 4, 2004, p. 717-724.
* 87 Ibid., p.
718.
* 88 Il s'agit de la
fête du village de Thimougies, présentée dans la
troisième partie de ce travail.
* 89 À ce sujet, voir
l'article déjà cité de Fournier, Le patrimoine, un
indicateur de modernité. À propos de quelques fêtes en
Provence, ainsi que La fête thématique, nouveau visage de
la fête locale en Provence, que Fournier consacre exclusivement aux
fêtes thématiques. Fournier L.-S., « La fête
thématique, nouveau visage de la fête locale en
Provence », à paraître dans Recherches sociologiques et
anthropologiques, 38, 2, 2007.
* 90 Fournier, op.
cit., 2007, p. 5.
* 91 Fournier L.-S.,
« Les enjeux contemporains des fêtes en Europe »,
Actes du colloque « La fête au présent - Mutations
des fêtes au sein des loisirs », Université de
Nîmes-Vauban, septembre 2006, p. 2.
* 92 Ibid., p. 3.
* 93 Sur notre terrain, un
acteur nous a également expliqué le rôle joué par la
fusion des communes dans la recrudescence des fêtes rurales dans les
années 1970 : « Les fêtes de la région,
elles ont pris de l'importance après la fusion des communes. Chaque
village a voulu quelque part... préserver son identité, et
organiser une fête qui lui était propre » (entretien
réalisé à Thimougies le 24/04/06). L'importance prise par
la fusion des communes était d'autant plus importante dans le cas de
Tournai (dont Thimougies fait partie), quand on sait que cette commune a
rassemblé trente villages et est devenue la commune la plus
étendue de Belgique (cf. supra).
* 94 Fournier, op.
cit., 2007, p. 4.
* 95 Ces deux paragraphes
traduisent le constat personnel qui est à la base de ce travail. Il
s'agit de la perception que nous avions de cette réalité, une
perception centrée sur les fêtes d'été de type
« chapiteau ». Cela ne veut pas dire que ces chapiteaux
constituent l'ensemble des fêtes rurales de la région : pensons
aux carnavals notamment, qui se déroulent hors de la saison
d'été, et aux fêtes présentant une forme
différente, sous-tendant plutôt un rapport à l'espace rural
comme cadre de vie. Ces deux types de fêtes vont
précisément être abordés dans la suite de ce
travail, montrant ainsi que les chapiteaux sont loin de recouvrir l'ensemble du
champ des fêtes rurales en Hainaut occidental.
* 96 Bodson, op.
cit., 2001.
* 97 Bodson, op.
cit., 1999, p. 122.
* 98 Ceci ne s'applique pas
exclusivement aux fêtes et peut être
généralisé au rapport que les ruraux entretiennent avec
leur espace. Bodson explique ainsi comment l'appartenance n'est plus le
principe unique pour expliquer les logiques de localisation des ruraux. Bodson,
op. cit., 1999, p. 116.
* 99 Fournier, op.
cit., 2007, p. 14.
* 100 Bodson, op.
cit., 1999.
* 101 Fournier, op.
cit., 2007, p. 14.
* 102 Simmel G., La
tragédie de la culture et autres essais, Marseille, Rivages, 1988.
* 103 Ledrut R.,
« La notion de forme appliquée à l'espace
social », in Bourdin A., Hirschhorn M. (dir.), Figures de la
ville. Autour de Max Weber, Paris, Aubier, 1985, pp. 103-111.
* 104 Bodson, op.
cit., 1993.
* 105 Simmel, op.
cit., pp. 88-126.
* 106 Bodson, op.
cit., 1993, p. 28. L'auteur se réfère explicitement à
Ledrut sur ce point.
* 107 Lévi-Strauss
C., Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, pp. 386-389.
* 108 On retrouvera ainsi
l'épisode de l'hymne de village à Basècles ainsi que
l'intronisation de la confrérie de la « planteuse à
patates » à Thimougies. Cf. infra.
* 109 Dibie, op.
cit., 2006.
* 110 Quivy R., Van
Campenhoudt L., Manuel de recherche en sciences sociales, Paris,
Dunod, 1988, pp. 187- 192.
* 111 Nous avons
procédé à l'observation de trois carnavals, ceux des
villages de Basècles, Willaupuis et Kain, à une fête de
type chapiteau à Laplaigne, à la fête de la moisson
à La Glanerie, et enfin, à la ducasse du village de Thimougies.
Nous présentons trois de ces fêtes dans la partie analytique.
* 112 Quivy, Van
Campenhoudt, op. cit., pp. 184-187.
* 113 Nous reviendrons sur
ce point dans notre partie empirique.
* 114 Devereux G., De
l'angoisse à la méthode dans les sciences du comportement,
Paris, Flammarion, 1980. Outre ce classique, voyons également la
position de Bodson dans Les villageois, qui se réfère
à Bertaux et son « imagination
méthodologique ». Bodson, op. cit., 1993, pp.
13-17.
* 115 Nous serions alors
confrontés à l'épineux problème de la
délimitation de notre objet : qu'est-ce qu'une fête
rurale ? Faut-il, par exemple, considérer que le repas
organisé pour l'anniversaire des 25 ans du vélo-club d'un village
constitue une fête ? On soutiendra peut-être que non, puisque
cet évènement n'est pas lié au village dans son ensemble.
Mais quid alors des nouvelles fêtes rurales, qui ne rassemblent
pas tout le village et attirent un public extérieur important ?
Nous pourrions faire avancer le débat, sans pour autant le clore, en
effectuant le distinguo entre fête privée et fête publique.
Quoi qu'il en soit, la question des contours de l'objet, comme nous l'avions
observé pour la catégorie « rural »,
apparaît ne pas être chose aisée.
* 116 La typologie ici
effectuée s'applique à la « saison » des
fêtes, telle que nous l'avons identifiée, qui se déroule
d'avril à octobre. Nous parlons donc ici des fêtes
d'été. Nous avons voulu centrer notre typologie sur cette
période car elle constitue de loin le moment de l'année le plus
riche en fêtes, tant du point de vue de leur nombre que de leur
diversité.
* 117 Ces fêtes sont
systématiquement organisées par un « comité des
fêtes » ou un « comité de jeunes »
du village concerné. Une exception à cette règle existe
néanmoins : il s'agit des chapiteaux organisés par la
Fédération de la Jeunesse Agricole, qui se déroulent dans
un village mais en présentant peu de lien avec celui-ci. Les
organisateurs ne sont en effet généralement pas issus du village
où se déroule l'évènement ; ils appartiennent
à la section régionale de la FJA.
* 118 Nous nous
référons ici à la théorie des cités et des
mondes de Boltanski et Thévenot. Ces deux auteurs ont
conceptualisé six cités, six univers cohérents comprenant
des principes auxquels les individus se réfèrent au quotidien
pour justifier leurs actions. Issues de la philosophie politique, ces
cités sont relativement abstraites. Il est cependant possible de faire
correspondre à chacune d'entre elles un monde, concret. Un monde est
composé de sujets et d'objets légitimes, qui entretiennent une
« affinité élective » avec la cité
à laquelle ils se rapportent.
Chez Boltanski et Thévenot, dans la cité
domestique, par exemple, le sujet-type est le père. Il est même le
« grand » dans ce monde. Les enfants, les jeunes sont
également des sujets propres à un monde domestique. Il y a ainsi
des répertoires d'objets et de sujets légitimes en accord avec
toute situation. Dans une situation d'enseignement, par exemple, un auditoire,
un tableau, un bureau sont des objets légitimes ; un magazine de
presse à sensations ou une raquette de tennis, pas.
Cette conceptualisation nous aide à appréhender
les fêtes comme des mondes cohérents. Dans une fête urbaine,
l'individu lambda n'imagine pas trouver un chapiteau avec un gymkhana et des
pains saucisse. Une fête de village de type
« chapiteau », c'est un monde, avec des objets et des
sujets légitimes. Dans ces soirées, un chapiteau dans un champ
est un objet légitime. Le DJ est un sujet légitime. Les
« jolies filles » sont également légitimes,
même s'il est difficile de trancher si elles sont des sujets ou des
objets. Ceci est le cadre d'un autre débat, dans lequel nous ne voulons
pas entrer.
Voyons Boltanski L., Thévenot L., De la
justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard,
1991. On se réfèrera utilement à la synthèse qui
figure dans le deuxième chapitre de l'ouvrage suivant : Amblard H.,
Bernoux P., Herreros G., Lilian Y.-F., Les nouvelles approches
sociologiques des organisations, Paris, Seuil, 1996, pp. 73-125.
* 119 Fournier, op.
cit., 2004, p. 718.
* 120 Voyons
l'épisode de notre observation à Laplaigne, dans la partie
méthodologique.
* 121 Lautman évoque
brièvement cette dynamique à propos des manifestations
liées au cycle des Ostentions dans la ville de St-Junien (Limousin,
France). Lautman F., « Fête traditionnelle et
identité locale. Rêve ?... ou recherche d'équilibre
politique ? », Terrain, 5, 1985, p. 35.
* 122 Champagne, op.
cit., 1975. Dans cet article, Champagne expose les limites des
monographies de village dans un contexte de rural ouvert. Il propose à
l'inverse de considérer les champs de relations dans lesquels
s'insèrent les individus qui vivent dans les villages, champs qui ne
sont pas réductibles aux limites physiques de ceux-ci.
* 123 Si l'analogie du
marché et l'utilisation du concept de système d'échange
sont fécondes pour comprendre les relations qui s'établissent
entre les fêtes chapiteaux, nous n'entendons pas pour autant les
ériger en dogme. Autrement dit, nous pensons qu'il y a bien des effets
de système importants dans l'élaboration des programmes de ces
fêtes, mais nous ne considérons pas pour autant que ces
fêtes ne puissent pas avoir des spécificités propres
« pour elles-mêmes », et qu'elles n'existent
que parce qu'elles s'inscrivent dans un système. Nous
reviendrons sur ceci lors dans la deuxième partie de notre analyse.
* 124 Voir infra
le cas du carnaval « raté » de Willaupuis.
* 125 Nous avons
retrouvé ce cas à Thimougies (cf. infra),
où l'un des organisateurs disait de la Fest Noz bretonne du vendredi
soir : « ça plaît bien aux gens, parce que c'est
typique. Et on est les seuls de la région à proposer
ça ! ». Voici un dernier exemple, parmi de nombreux
autres, lu sur un tract à propos d'une soirée du samedi :
« une animation jamais vue dans la région, même en
discothèque ». Ces quelques illustrations montrent comment la
rareté des activités proposées est un
élément-clé de la stratégie de promotion des
organisateurs.
* 126 Entretien
réalisé à Leers-Nord le 18/05/07.
* 127 Propos entendu lors
d'une observation à Thimougies, le 05/06/07.
* 128 Nous avons
recensé trois de ces fêtes dans la région. Ce chiffre
n'engage que nous, puisque la forme « fête à
l'ancienne » et les festivités que nous rattachons à
cette forme sont issues de notre réflexion, et ne découlent pas
nécessairement des appellations que les acteurs, sur le terrain, donnent
à leurs festivités.
* 129 Propos recueilli lors
de la fête de la moisson de La Glanerie, le 15 août 2006.
* 130 Bodson, op.
cit., 1999, p. 54.
* 131 Ces thèmes
sont proches des représentations liées au travail paysan à
l'ancienne, qui est proposé en spectacle dans les fêtes de la
moisson. Ce dernier est également associé à des valeurs
comme le travail « authentique », en accord avec la nature,
qui crée des hommes « vrais » sachant
apprécier les « choses simples ». Mais la
différence fondamentale entre l'artisan et le « paysan
reconstitué », c'est que le premier est l'expression
contemporaine de ces valeurs, alors que le deuxième est leur incarnation
passée. Pour que l'association « artisanat-rural »
« fonctionne », les fêtes thématiques ont
préféré utiliser le représentant actuel de ces
idées, ce qui semble être de loin la solution la plus
« efficace », puisqu'elle permet au public d'adhérer
à des valeurs qu'il perçoit comme modernes et montantes. Il
s'agit d'un projet de vie positif tourné vers le futur qui est
proposé, ce qui est autrement plus mobilisateur qu'un idéal de
vie passéiste.
* 132 Chamboredon,
op.cit., 1985, p. 573.
* 133 Lautman, dans son
article cité supra, évoque brièvement cette
fonction de la fête : « Mais [la municipalité]
a-t-elle pu investir vraiment l'enjeu [de cette fête] que constitue la
maîtrise de la production de l'image symbolique de la ville à ses
propres yeux et à ceux du monde extérieur
(...) ? ». Lautman, op. cit., p. 35.
* 134 Nous nous
référons ici une fois de plus à la théorie des
cités et des mondes de Boltanski et Thévenot.
* 135 Bodson, op.
cit., 1999, p. 54.
* 136 Bodson, op.
cit., 1993.
* 137 Dibie, op.
cit., 2006, p. 74.
* 138 Bodson, op.
cit., 1999.
* 139 La catégorie
« village mort-village vivant » est récurrente sur
le terrain. Elle est régulièrement utilisée par les ruraux
pour penser leur village. L'ouvrage de Bodson Il y a une vie en dehors des
villes, notamment dans son quatrième chapitre, repart en partie de
cette catégorie pour appréhender la ruralité. Bodson,
op. cit., 1999.
* 140
« Willaupuis » signifiait à l'origine
« Ville aux puits », en référence aux
nombreux puits que comportait le village. C'est en référence
à ce fait historique que l'ASBL de la Maison de village a
érigé le puits en symbole du village.
* 141 Nous reviendrons sur
ce jeu infra, lors de la description du carnaval de
Basècles.
* 142 Tous les
clichés qui figurent dans ce travail ont été pris par nos
soins lors de nos différentes observations sur le terrain.
* 143 Entretien
réalisé à Willaupuis le 19/05/07.
* 144 Dibie, op.
cit., 2006, pp. 69 -70.
* 145 Ce qui est ici
intéressant, c'est la différence radicale entre deux villages,
Willaupuis et Basècles, qui ne sont pourtant distants que de six
kilomètres. On peut tenter d'identifier des facteurs qui joueraient un
rôle plus ou moins important dans l'existence de ces
différences.
Ainsi, si l'on s'intéresse brièvement à
l'histoire et à l'économie de Basècles, il n'est pas
anodin de souligner qu'il s'agit d'un ancien village industriel, connu
également sous le nom de « la Cité des
Marbriers ». Le village recelait en effet de nombreuses
carrières d'où était extraite une pierre qui, après
traitement, donnait un marbre noir qui était fort apprécié
en Belgique comme à l'étranger. Le village était donc
à l'époque un grand centre de production. Si cette
activité est maintenant révolue, elle a néanmoins
contribué à enrichir le village et à en faire augmenter le
nombre d'habitants. Un autre facteur important est la localisation du
village : celui-ci est situé exactement entre Tournai et Mons, et
est traversé par la Nationale 50 qui relie ces deux villes. Même
si l'autoroute E42 permet maintenant de faire ce trajet, la N50 était
jusque dans les années 1970 la seule route rapide qui reliait ces deux
villes et reste toujours actuellement une voie très
fréquentée. Cette dernière traverse véritablement
le village de Basècles, ce qui a soutenu le développement
d'établissements de petite restauration notamment.
À l'inverse, Willaupuis apparaît comme un village
historiquement agricole et sans carrière. A cela, il faut ajouter que le
village est excentré par rapport aux grands axes du Hainaut
Occidental ; au contraire de Basècles, il n'est pas un point de
passage. Ces deux facteurs, l'histoire et la localisation du village, ont un
rôle à jouer dans la forme différente des deux villages et
la différence de population qui en découle, qui varie du simple
au décuple. Avec une population de 4 700 habitants, Basècles
constitue une aire viable pour des petits commerces, ce qui n'est pas le cas de
Willaupuis. Partant, la sociabilité qui se développe dans ces
espaces ainsi structurés se différencie.
Nous sommes ici renvoyés une fois de plus à
l'hétérogénéité du rural. Si Basècles
et Willaupuis sont regroupés sous le même vocable de
« village », ils présentent pourtant des formes
spatiales et sociales radicalement distinctes, bien qu'ils ne soient distants
que de quelques kilomètres. Pour approfondir cette réflexion,
voyons Champagne, op. cit., 1975.
* 146 Les
« sociétés » ne sont pas propres à
Basècles. Ces groupements de carnavaleux sous un même costume et
un même nom se retrouvent dans divers carnavals hennuyers et
wallons ; ils prennent également parfois le nom de
« confréries ».
* 147 Ces intronisations se
retrouvent fréquemment dans les fêtes qui, comme le carnaval de
Basècles, présentent une référence à la
« tradition » que l'on perpétue d'une manière
assez formalisée, se rapprochant par là des fêtes de
confréries décrites par Fournier. Dans le Hainaut occidental, on
retrouve ainsi, entre autres, l'intronisation des nouveaux chevaliers
à « l'ordre du Ramon », à Ellezelles,
l'adoubement à la société
des « Hussards », à Harchies, ou encore
l'intronisation des nouveaux compagnons à « la
confrérie de Toubac », à Herseaux. Les personnes
sujettes à ces intronisations sont généralement des
célébrités locales (hommes politiques, journalistes,
etc.), des personnes actives dans la vie associative locale ou
impliquées dans les festivités en question.
* 148 Le crossage est un
jeu traditionnel répandu dans la région de Mons-Borinage, qui se
joue dans les rues du village avec des crosses. Plusieurs équipes
s'affrontent et le but est de faire atteindre à la soulette, une boule
de bois ou de gomme, les différents tonneaux placés le long des
rues.
* 149 Ceci n'est d'ailleurs
pas propre à Basècles : de nombreux villages du Borinage,
dont Willaupuis, associent également le crossage à leur
carnaval.
* 150 Mettant en
scène respectivement les marbriers et leurs femmes, et les mineurs.
* 151 Amselle, op.
cit.
* 152 Cette
longévité explique bien sûr partiellement l'importance plus
grande de l'ASBL de Thimougies en comparaison avec celle de Willaupuis, qui
n'existe que depuis quatre ans.
* 153 Charte de l'ASBL
Moulin à Vent de Thimougies.
* 154 Chamboredon, op.
cit., 1985, p. 573.
* 155 Ce chiffre peut
monter jusqu'à 10 000 lorsque les conditions climatiques sont
favorables. Quant on sait que le village compte 200 habitants, il est possible
de prendre la mesure du formidable mouvement de concentration qui
s'effectue lors de la fête : le temps d'un week-end, le nombre de
personnes présentes dans le périmètre des
festivités est cinquante fois supérieur à la population du
village.
* 156 Sur le terrain, ces
représentations fort éloignées de la réalité
sont plutôt, d'une manière systématique et significative,
le fait de « tout un chacun » citadin... qui ne participe
pas aux fêtes rurales.
* 157 Entretien
réalisé à Thimougies le 16/02/07.
* 158 En fait de
« bière de village », il s'agit simplement d'une
bière produite par un brasseur de la région dont la bouteille a
été ornée d'une étiquette lui attribuant le nom de
« Thimougienne » et représentant le symbole du
village, le moulin.
* 159 J. Bonnet,
cité par Fournier, op. cit., 2007, p. 12.
* 160 Nous renvoyons ici
à Champagne, qui prône une approche à mi-chemin entre les
deux extrêmes que sont le réalisme et le nominalisme. Champagne,
op. cit., 1975, p. 64 et suivantes.
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