Solto na Cidade* - Uruguaiana
Etude d'un marché auto-géré en centre ville
à Rio de Janeiro
Florence Emberger
A mon Pépé
Remerciements
Agradecimentos
Obrigadão a tudos os vendedores e atores do Mercado
Popular da Uruguaiana que me ajudaram tanto a entender melhor este mundo.
Agradecimentos especiais para o Felipe e o Murra, meus maiores ajudantes,
Obrigado a Ludmila e Daniel pelo olhar de jovens arquitetos
sonhadores sobre este mercado,
Obrigado à Prefeitura do Rio de Janeiro que agora
conheço do primeiro andar até o último,
Obrigado a Roberto Anderson e Sydney pelo tempo e pelas
historias,
Merci à Janot de l'IPP pour les images et encore bravo
pour l'utilisation du scanner,
Obrigado a Dona Irene por ter-me deixada brincar de paparazzi
Obrigado ao grande Marvio por sempre ter tentado me fazer
desistir
M erci à Alessia de Biase pour ses relectures et ses
conseils.
Merci à ma petite Marie, sans ton aide je serai
probablement devenue une terroriste de l'entreprise Asus. Merci Asus de faire
des ordinateurs performants ( Euh... )Merci Nasteho pour le profond soutien
moral. Merci à Tigy, source de paix et d'inspiration. Merci à
Hélene, Moumoute et Tipon, mes ~ deles relecteurs. Merci a Aline pour
ses suggestions subtiles. Merci aux barões d'Aragon,
Obrigado ao Oscar Niemer e o Wagner Moura
Obrigado ao bar do Zé
Merci à tous ceux que j'oublie et qui m'ont aidé de
pres ou de loin par leurs soutiens, leurs suggestions Et merci en n à
mon Edu, ma Line, Père et Mère pour tout tout tout!
3
SOLTO NA CIDADE - URUGUAIANA
Etude d'un marché auto-géré en
centre ville à Rio de Janeiro.
Florence Emberger
Maitre de mémoire Alessia de Biase
Séminaire Architecture et villes face à la
mondialisation Ecole Nationnale Supérieure d'Architecture de Paris
Belleville
Sommaire
Incipit p. 9
Introduction p. 12
1 . Comment est apparu le Camelódromo da Uruguaiana? p.
15
La Cohabitation avec l'informel dans le Centro à
Rio de Janeiro p. 17
Si tu vas au Centro...
Pourquoi les camelots ont ils investi le centre de Rio de
Janeiro?
Des réponses aux invasions du commerce de rue.
p. 40
Les camelots, une priorité dès les années
80
Naissance du Mercado Popular da rua Uruguaiana p. 53
Aujourd'hui le Camelódromo da Uruguaiana en centre
ville.
Dé nition de quelques de termes propres au
Camelódromo Situation géographique du Camelódromo
Evolution du Camelódromo - Qui sont ses architectes? La
répartition spontanée suivant la marchandise
2 . Les coulisses du Camelódromo p. 65
L'UNIO - Pillier du fonctionnement du Camelódromo.
p. 66
Présentation de l'UN IO ou Association de L'UNIO et la
ville de Rio de Janeiro
Être camelot à Uruguaiana. p. 80
Qui sont les vendeurs du Camelódromo ? L'occupation de
l'espace, entre accords et
Faire partie du Camelôdromo ou ne pas faire partie Le petit
vendeur indépendant existe-t-il?
p. 105
Rythmes de vie au Camelôdromo
Les horaires d'ouverture et fermeture Mouvements et
activités au cours de la journée Le Charmelôdromo du
vendredi soir
p. 126
Uruguaiana, o mercado sem lei?
3 . Quelle place pour l'informel en centre ville?
L'estéhtique d'Uruguaiana
Vivre l'espace d'Uruguaiana
Quelles notions pour l'architecture de l'informel?
L'auto-gestion en ville, une solution à prendre au
serieux?
Feintes et potentiels d'Uruguaiana
Penser la ville à partir de l'exemple d'Uruguaiana
|
p. 127 p. 129
p. 145
|
Conclusion p. 151
Références p. 158
Incipit - En immersion
Rio de Janeiro, Brésil 2007
- Lapa, Riachuelo, Cruz vermelha, Presidente Vargas, Central,
Candelâria!!!!!!!!!!
- Tu passes par Uruguaiana?
- Oui, tu montes?
- C'est combien?
- 2 reais
- Ok
Un petit van, lâché à pleine vitesse
à travers la ville. Des rues étroites. Un soleil qui dessine des
ombres fortes et sature jusqu'au blanc les tons des murs colorés. Puis
l'avenue Presidente Vargas. Bordée de très hauts immeubles aux
façades toutes di érentes mais parfaitement alignées entre
elles, séparées par douze voies motorisées. Central. Grand
terminal de bus, métro et départ des trains pour les banlieues de
Rio. Commence a se dessiner la silhouette de l'église de
Candelâria...
- Uruguaiana, tu descends? - Oui, c'est ça merci.
- Bon après midi, ~ ca com Deus1.
Et voilà. Maintenant traverser 10 des 16 voies
où la place du piéton n'a pas encore été
pensée. Un vrai sport carioca. En face une immense structure mi
métal-mi plastique se déroule sur tout le long du trottoir. Comme
un immense mur opaque, fait de centaines de petites cabines mitoyennes,
toutes
1 - Formule de politesse fréquemment utilisée au
Brésil lorsque deux personnes se séparent. Traduit
littéralement par « reste avec Dieu ».
recouvertes de Tee-shirts, lunettes, matériel de
pêche, outils en tout genre, la liste est in nie. Il semble créer
une limite infranchissable. Impossible d'imaginer ce qu'il y a de l'autre
coté. En prêtant attention, on discerne une zone obscure; une
brèche, voilà l'entrée... Bienvenue dans le labyrinthe. Il
faut quelques secondes aux yeux pour s'habituer à l'obscurité. Un
couloir étroit, bordé de part et d'autres par ces petits stands
qui, en y regardant de près sont de vraies petites maisons. Mais en
premier lieu on perçoit surtout un immense mélange de ~ ls et
métal le tout recouvert de matériaux indé~ nissables, et
noyé dans une mer de produits en tout genre. Les cheminements sont
malgré tout bien tracés, mais il semble impossible de pouvoir se
repérer dans ce dédale. Tout non initié se laisse guider
par son instinct, pour ~ nalement demander une information à un vendeur
qu'il jugera digne de con ance dans ce lieu dit mal fréquenté.
- Oi amigo, où est ce que je peux trouver un portable pas
cher? J'ai que 40 reais.
- Bon, alors tu peux aller dans la quadra C et tu demandes Murra.
C'est les troisième couloir après la place.
- Euh... Quadra C?
- Tu connais pas ici?
- Non c'est la première fois que je viens.
- Bon, suis-moi
Commence un genre de course poursuite. Il a l'habitude
d'évoluer dans ces couloirs étroits et slalomer entre les corps
serrés les uns contre les autres. Pour un baptême c'est une
épreuve. Suivre le guide, les yeux sont appelés de tous
côtés par les produits présentés, suspendus sur
toutes les surfaces imaginables. Il semblerait que ce lieu ne soit
dessiné que par la marchandise. Chaque couloir apparaît à
la dernière minute. Une place à l'air libre sur laquelle jouent
quelques enfants, des gens sont assis sur des bancs alors que la
majorité de la masse transite dans toutes les directions possibles. Puis
de nouveau une suite de couloirs, cette fois ci plus aérés. Le
toit semble plus haut et la lumière pénètre mieux. Un
petit couloir caché et derrière un comptoir de verre, Murra.
- Murra, t'aurais un portable pour quarante reais? - Rhumftf
(genre de grognement)
C'est tout un atelier, contenu dans un peu plus d'un
mètre carré. Une petite table en bois, deux
étagères, des petits tiroirs remplis de composants en tout genre,
des accessoires de portables disposés un peu partout. Murra, sur son
tabouret, s'active pour fabriquer un portable en piochant tous les composants
dans ses tiroirs. Dix minutes d'attente, immobile au milieu de cette ruche en
mouvement. Des hurlements de vendeurs. Un rythme soutenu de funk2.
Le dernier ~ lm sorti au cinéma, projeté sur
2 Le Funk Carioca est un style musical populaire typique de
Rio de Janeiro. Genre d'évolution du Hip Hop, issu des des milieux
pauvres, le Funk fait dans la plus part des cas une apologie au sexe ou
à la violence. Ce style musicale est un réel emblème
culturel de la favela.
une petite télévision, et déjà en
vente dans une boutique de ~ lms pirates. Un petit vendeur ambulant qui vend
des boissons, poussant une caisse de polystyrène à roulette en
éparpillant quelques glaçons sur le sol. Un brouhaha continu. Une
nappe incohérente de ~ ls électriques. Et surtout l'impression
que rien n'est ~ xe. Le lieu comme les personnes. Murra, s'arrête
quelques instants et lève la tête vers son associé avec
lequel il partage le périmètre...
- Hé Rafael!! Tu peux faire un saut chez Tinna pour voir
si elle a une micro, celui là ne fonctionne plus!
Ne s'écoulent que 2 minutes et Rafael est
déjà de retour avec un petit sachet transparent contenant du
matériel électronique. Murra se remet au travail. Le portable est
achevé en peu de temps, on tente toujours de négocier un peu
plus, et voilà c'est réglé, et maintenant sortir d'ici.
Ça c'est plus facile. Juste se laisser guider par la lumière
à travers les couloirs, ça ~ nira bien quelque part...
Introduction
Le commerce informel, ou de rue, est un
phénomène que connaissent tous les pays à plus ou moins
grande échelle. Le Brésil ne fait pas exception, et encore moins
Rio de Janeiro, ancienne capitale du pays. En circulant dans les rues de Rio,
on est frappé par la quantité de petits vendeurs ambulants qui
les arpentent. Du produit du quotidien comme des piles, des rallonges
électriques, des torchons, des enveloppes, des cotons tiges, aux
produits les plus insolites comme la machine à coudre portable ou la
raquette qui électrocute les moustiques, on passe par les vendeurs de
nourritures tels les brochettes, gâteaux, hot dog, croque-monsieur, jus
de canne, hamburgers... La liste est longue. D'autres travailleurs de rue,
d'une quantité non négligeable à mentionner
également sont les « hommes sandwich », qui vivent en
circulant dans les rues, vêtus de pancartes publicitaires. Suivant de
nombreux paramètres, les deux principaux étant les accords
passés avec la police et le rythme du quartier (horaires de passages
etc.), la nature et les horaires de ces camelots varient. Ce type de commerce
est strictement interdit par la ville, quali~ é de « marginal
»,mais compte tenu de la quantité de gens vivant de ces emplois,
des accords o cieux sont passés a n de les laisser travailler, et
suivant le lieux ces accords sont plus ou moins souples.
Généralement après 18 heures les camelots sont
tranquilles. Avant cette heure, il n'est pas rare de les voir partir en courant
avec leurs petits présentoirs, à l'arrivée de la
police.
Étant donné la quantité d'emplois
générés par le commerce informel, des tentatives ont
été faites pour les intégrer à la ville formelle.
C'est ainsi que furent imaginés des espaces, baptisés
camelódromos où les camelots seraient habilités à
exercer leur activité en toute légalité. Au travers de ce
mémoire nous allons à la rencontre de l'un de ces centre; le
Camelódromo de la rue Uruguaiana situé en plein centre ville et
qui est actuellement le plus développé de Rio.
A Rio de Janeiro, tout le monde connait le Camelódromo
de la rue Uruguaina, réputé pour ses prix attractifs et la
diversité de marchandise. On y trouve de tout, Cds, DVD, matériel
de pêche, vêtements, outils, matériel électronique,
la liste est longue. Il est important de faire la di érence entre ce
type de marché et ceux auxquels nous sommes habitués en France,
qui se produisent périodiquement. Ces marchés périodiques
(généralement hebdomadaires) existent également au
Brésil, et sont appelés Feira. De nombreuses tentatives
de Camelódromo ont été réalisées dans Rio
est sa périphérie et aujourd'hui celui situé dans la rue
Uruguaiana (et qui en porte le nom) est l'un des plus abouti. Malgré
cela il génère une grande polémique au sein de la ville.
Alors que toute une partie de la population l'a entièrement
adopté, une autre dénonce le tra~ c de contrebande qu'il
tolère et cache. Chaque descente de la police au sein du
Camelódromo, est généralement accompagnée de la
prise massive de marchandise illégale.
La première fois que l'on m'a indiqué le
Camelódromo da Uruguaiana, j'ai eu le droit à de nombreuses mises
en garde, quant à la sécurité du lieu. C'est pour cela que
les premières visites se sont faites avec un regard mé~ ant,
souhaitant abréger le danger auquel je confrontais ma vie de
Gringa3. C'est en y prenant petit à petit mes repères
que je me suis rendu compte de du caractère `infondé des
avertissements dont on m'avait fait part. Prendre ses repères est
d'ailleurs un bien grand mot, car au bout de plusieurs mois je m'y perdais
encore allègrement. Cela dit je prenais le temps de me promener,
observer, et rester chaque fois un peu plus interrogative face à ce
lieu.
Le centre ville de Rio de Janeiro présente de
nombreuses caractéristiques d'un centre ville auquel ma culture
occidentale m'avait habituée. Rues pavées, trottoirs, immeubles
hauts, bâtiments anciens... Et même si l'ensemble m'étonnait
parfois, le tout restait à mes yeux cohérent et le
dépaysement n'était pas trop brutal. Mais le fait de tomber dans
un espace tel que le Camelódromo était réellement
surprenant. Cet ensemble n'avait rien à voir avec ce centre. Comment
était-ce arrivé là? Ce lieu paraît à la fois
informel, et en même temps présente les marques d'un ensemble
souhaitant s'inscrire dans la ville. Je me suis naïvement demandé,
dans un premier temps, si les autorités étaient conscientes de
son existence, tant le décalage avec le reste du centre était
important.
Alors que je m'accoutumais au Camelódromo, mes
questions le concernant étaient croissantes. Il devenait évident
que ce lieu faisait o ciellement partie de la ville, mais cette dernière
ne semblait pas s'en occuper étant donné l'allure qu'il avait. De
plus, de nombreuses rumeurs quand à la provenance des marchandises et
à propos d'une main-mise sur le Camelódromo par la ma a chinoise
laissaient deviner que l'investissement de la Prefeitura4
quant à sa gestion devait être di cile si ce n'est absent. Ainsi
je commençais mes recherches dans les bureaux de la Prefeitura pour me
rendre compte que personne ne savait rien, ne pouvait rien pour moi à
part me donner un plan cadastral et un vieil extrait du journal o ciel
municipal5. On m'a malgré tout conseillé quelques
contacts qui se sont avérés très utiles par la suite.
Les premières questions qui ont initialement
guidé mon raisonnement furent : Comment est apparu le Camelódromo
da Uruguaiana? Qui gère un tel espace? Qui y vient? Qui sont ses
vendeurs? Quelle est leur di érence avec les petits commerçants
ambulants qui peuplent les rues de Rio? Comment se sont ils organisés
dans cet espace? Y a-t-il des clés pour s'y repérer? Comment
s'intègre-t-il à la ville? De quelle manière
participe-t-il à sa transformation Ainsi, dans un premier temps, au
travers de mes recherches,
3 Appelation initialement inventée par les mexicains qui
désignaient les Nord Américains. Un Gringo est au Brésil
toute personne qui n'est pas originaire du pays, ou parfois seulement
d'Amérique Latine.
4 Équivalent de la mairie, nous reviendrons sur ce terme
dans la première partie.
5 Diario Ofi cial do Municipio do Rio de Janeiro -
N° 223 du 3 février 2000. Il s'agit de la Resolução
SMG n°398. Après avoir établie une liste de vendeurs
répartis sur plusieurs points de la ville la Prefeitura accepte l'usage
des vides occasionnés par les travaux du métro pour le commerce
de rue.
essentiellement de terrain, mon objectif fut de comprendre
quel était le processus de formation et de gestion d'un marché
autogéré, tel que celui d'Uruguaiana, ainsi que de dé nir
les conséquences de son existence à l'échelle de la
ville.
Ce travail est avant tout le fruit de nombreuses rencontres et
discutions avec les vendeurs du Camelódromo, les clients, les acteurs
principaux qui font fonctionner le lieu et ceux qui en sont à son
origine. A ce sujet de nombreuses informations ont été
très di ciles à obtenir. Le marché contenant des
marchandises illégales, l'association de Camelots (appelée UNIO)
ainsi que certains camelots ne se sont pas montrés très
coopératifs. Pour obtenir certains éléments il a parfois
fallu entrer dans ce jeu de l'illégalité. Le plan réel du
Camelódromo par exemple est o ciellement inexistant, le seul consultable
est celui dessiné par les architectes de la Prefeitura lors de sa
création. Cela dit a n de s'organiser, les camelots ont à leur
tour réalisé un plan rudimentaire qui restitue l'organisation
réelle du Camelódromo. Ce dernier m'a été
strictement refusé, et s'il est aujourd'hui présent dans ce
mémoire c'est qu'il a été tout simplement volé, par
une aide interne. Cela dit, même si certains ont été
parfois soupçonneux et craintifs, la majorité a accepté de
coopérer, bien évidemment dans la limite de leurs
disponibilités, étant donné que je les dérangeais
sur leur lieu de travail. De plus, le fait de s'appuyer sur des
témoignages ne me permet parfois pas de conclure sur les a rmations
avancées, les versions recueillies n'étant jamais objectives, je
ne prendrai aucun parti et me contenterai de répéter et
confronter les versions données.
Ainsi après avoir cherché les réponses
aux questions énoncées précédemment nous aborderons
en second lieu quelques notions concernant le caractère auto
géré du Camelódromo, et ce que cela implique pour le
centre de Rio. Qu'il s'agisse de l'esthétique chaotique qui m'a
personnellement fascinée, ou encore de la liberté apparente qui
semble laisser place à une spontanéité et une
capacité de transformation, qu'est ce que cela représente?
Quelles en sont les limites? Cela a n de savoir si l'on peut considérer
Le Mercado Popular da Uruguaina comme un organe vital de la ville ou on
contraire un de ces fardeaux qui nuisent à son développement.
Ce mémoire veut s'inscrire dans la continuité
des ré exions sur l'autogestion et voir comment cette dernière
s'insère dans la ville gérée par un système
à l'échelle nettement plus importante. Alors que les prises
d'initiatives semblent de plus en plus complexes au sein de notre
système globalisé, nous chercherons à poser un regard sur
un lieu totalement autogéré, dans le but de mieux comprendre ses
mécanismes, mettre au clair ses forces et ses faiblesses. Sans vouloir
faire une apologie de l'informel, ce qui serait faire l'impasse sur un trop
grand nombre de paramètres mon envie fut de constater comment formel et
informel cohabitent, et si cette cohabitation est uniquement le résultat
d'une hypocrisie entendue, ou si au contraire elle pourrait un jour avoir sa
place, donnant naissance à une série de compromis qui nous
permettrait de projeter la ville de manière di érente.
15
1
Comment est
apparu le
Camelódromo
da Uruguaiana?
I. Comment est apparu le Camelódromo da
Uruguaiana?
Depuis le vieux continent nous parviennent de Rio des images
variées. Entre les plages, le carnaval mondialement connus et les
favelas et leur violence dont les médias nous font part de temps
à autre, cette ville nous montre di érents visages dont les
compatibilités nous semblent parfois déroutantes. Même si
ces représentations sont des caricatures de la ville, laissant sous
silence une multitude de facettes de la vie carioca, elles n'en sont pas
fausses pour autant. Malgré son statut de première puissance
économique d'Amérique Latine1 , le Brésil est
un pays ou les inégalités sociales sont les plus
importantes2, Rio ne faisant pas exception. Une majorité de
la population vit dans la favela, et l'écart se creuse entre une petite
élite et la majorité de la population aux faibles revenus,
laissant entre elles une petite place aux classes moyennes, en minorité
face aux plus démunis.
C'est pourcette raison quese développent
parallèlementdeux industries,quecohabitentquotidiennement deux mondes.
D'un coté l'univers formel, inclu dans le système capitaliste
mondial, dont la population a rejoint un modèle occidental du
premier monde, et se cloitre dans des condominios3, a
n de se protéger du second qui peuple les favelas et gagne sa vie par
les métiers de l'informel ou à la rigueur occupe le premier
niveau de l'échelle du monde du travail. Les di érences ne sont
pas qu'économiques, deux cultures se développent
parallèlement, sur le plan du mode de vie, des productions artistiques,
etc.
Il arrive cependant que ces populations se mélangent de
façon temporaire, autour d'une roda de Samba, ou encore le
samedi soir des jeunes des classes aisées partent se mêler aux
habitants des favelas pour participer à un baile de
funk ou de pagode. Car en e et, si ce milieu est craint, il
fascine également. La favela, réputée pour sa
dureté de vie, accompagnée d'une forte cohésion devient
source de folklore et de fantasmes romantico-sociaux. Cela s'exprime par
exemple par le développement du tourisme au sein des favelas (favela
tour4 pour n'en citer qu'un), ou encore le succès
international de ~ lms tels que la Cité de Dieu, ou plus
récemment Troupe d'élite (qui a remporté un ourson d'or
à Berlin). Sans nul doute Rio est l'emblème à juste titre
d'une cohabitation sociale et culturelle impressionnante...
1 Burleigh Marc (9 octobre 2008) « L'Amérique
Latine injecte des milliards pour affronter la crise fi nancière
», Le point, Rubrique économie.
2 D'après une étude de l'ONU effectuée
par Judith Morrison en 2007, 59% de la population vit en dessous du seuil de
pauvreté, mais leur participation à l'économie ne
représente que 20 % du PIB. Le Brésil se retrouve au rang de 2e
pays aux inégalités sociales les plus élevées,
derrière la Colombie.
3 Le condomino est le nom brésilien donné aux gated
communities, ces lieux de résidence fermés et surveillés,
desquels, idéalement on ne sort jamais car tout y est déjà
réuni (services, loisirs...).
4 Il s'agit d'un organisme qui propose aux touristes de les
emmener visiter les favelas cariocas et leur faire découvrir les coins
typiques de la vie dans la communauté à bord de bus
climatisés. Toutes les informations sur http://www.
favelatour.com.br/
19
Centro - Arrivée sur le Largo da Carioca
La Cohabitation avec l'informel dans le Centro à Rio
de Janeiro Si tu vas au Centro...
La ville de Rio est composée de nombreux quartiers aux
caractéristiques di érentes, aussi bien sur le plan de
l'architecture que celui de l'usage du rythme de vie... Celui sur lequel nous
allons nous pencher au cours de ce mémoire, celui dans lequel se situe
le Camelódromo de la rue Uruguaiana est le quartier nommé Centro,
où littéralement le centre.
Centro - Rio de Janeiro : A huit heures du matin, un soleil
déjà chaud fait briller le verre teinté des gratte-ciels
et illumine de grands panneaux publicitaires aux couleurs des banques et des
compagnies téléphoniques. Les costumes complets, tailleurs et
attachés-case s'agitent, créant des ~ ux à travers les
rues pour se diriger vers les hauts buildings sécurisés et
emprunter des ascenseurs dans lesquels un homme passera sa journée
à demander « quel étage? ». Les avenues sont
rythmées par les allées et venues de la société
active brésilienne. A milieu de ce ~ ux, de nombreuses
interférences. Sur les trottoirs de pierres portugaises, des petits
vendeurs de sucreries, de logiciels et ~ lms piratés ou de repas sur le
pouce, des hommes sandwichs qui proposent de débloquer des portables, de
racheter des bijoux ou encore de gagner de l'argent rapidement par de
mystérieux moyens, constituent toute une série d'obstacles
mouvants. Et ce n'est pas parce que tout ce petit monde travaille qu'il ne sait
pas se détendre. À la sortie du bureau, on pro te de la ~ n de
journée pour aller boire une bière à une terrasse de
café ou dans un boteco5 suivant la
préférence. Pour ceux qui habitent loin se sera un caldo de
cana6 acheté en route avec un pastel de
queijo7 pris à coté du parc de Santana avant de
monter dans un train à Central direction Madureira, Bangu...
Quelques heures plus tard le schéma est tout autre.
Tailleurs et attachés-case sont déjà repartis en bus,
train ou voiture pour retrouver leur chez-eux, laissant le terrain libre
à l'obscurité8. Restaurants et bars ne tardent pas
à fermer: pour se divertir mieux vaut aller à Botafogo, Ipanema
ou Gàvea (quartiers de Rio). Les lumières des bureaux
allumées 24h/24 et des hôtels viennent dessiner une nouvelle
architecture ~ gée à la lumière vaporeuse et prismatique;
celle d'un quartier dont toute vie nocturne ne sort pas de ces bâtiments
climatisés, et où seul quelques rares voitures circulent. Et
alors que les rues du Centro paraissent s'endormir, une nouvelle vie commence.
Des ombres furtives se regroupent, et réunissent des cartons-matelas a n
de créer des dortoirs collectifs. Des groupes d'enfants trottinent. Ce
soir c'est l'anniversaire de Sandro qui, une fois n'est pas coutume, descendra
de son kiosque à journaux pour rejoindre d'autres enfants. Ils ont
acheté un
5 Petit bar à l'ambiance populaire et chaleureuse.
6 Jus de sucre de canne - Boissons fréquemment vendue par
les camelots qui se promènent avec un stock de canne à sucre
qu'ils broient à l'aide d'une machine sous les yeux du client.
7 Le pastel est une sorte de chausson frit à la pâte
fi ne et garni dans le cas présent de fromage (queijo). Par souci
d'honnêteté je tiens à dénoncer l'arnaque du pastel:
ce dernier, généreusement gonfl é est en
réalité trompeur, et dès la première bouchée
on se rend compte de la rareté de la garniture.
8 Etant proche de l'équateur, le soleil se couhe avant 19h
été comme hiver. Centro - La rue Uruguaiana
menu à Bob's et se le partageront en cette
soirée spéciale9. Des familles se regroupent pour
dormir pendant que d'autres armées de savons partent à la
fontaine de Candelària pour y prendre un bain. Mais pendant que certains
dorment, d'autres surveillent les lieux, et les travailleurs commencent
à s'activer. Ils arrivent avec leurs charrettes dans lesquelles ils ont
rassemblés les sacs d'ordures accumulés autours des poubelles
durant la journée. Par dizaines ils viennent étaler ces
déchets, fermant la rue, et réalisant une muraille de
déchets qui parfois dépasse le mètre de hauteur. Commence
alors un tri intensif. Nos collecteurs entament l'ascension du monticule
à la recherche d'un quelconque matériau qui pourra être
revendu et rapporter ainsi quelques Reais. Après des heures de travail,
tout sera nettoyé et remis à sa poubelle d'origine. Demain matin
tailleurs et attachés-case noteront à peine le passage de ces
communautés, si ce n'est en esquivant sur leur passage quelques dormeurs
tardifs...
Étant donné le caractère fonctionnel de
centre d'a~ aires, le rythme du quartier est dicté par cet aspect
mono-usager, à savoir qu'en dehors des horaires de bureau il est
totalement à l'abandon, vidé de ses travailleurs. Aucun bar,
aucun restaurant d'ouvert et il est fortement déconseillé d'y
faire des promenades de plaisance en dehors des horaires de
fréquentation.
Ce lieu est à la fois celui des grandes puissances
économiques de la ville, et celui du marginal et de l'informel par
excellence, celui où suivant les heures les lois ne sont plus du tout
les mêmes. Ainsi, nous allons voir quelles sont les raisons qui ont fait
que le centre est aujourd'hui un lieu de la ville aussi ambivalent, et ainsi
dans quel contexte est apparu le Camelódromo de la rue Uruguaiana
9 Petit clin d'oeil au fi lm Onibus 174 de José
Padilha, où des enfants décrivent la soirée d'anniversaire
de Sandro, qui quelques années plus tard sera l'auteur d'une
célèbre prise d'otage du bus 174.
Vue de nuit sur le Centro
Solto na Cidade - Uruguaiana
22
23
Vue sur le Centro depuis la colline de Santa Teresa
Pourquoi les camelots ont ils investi le centre de Rio de
Janeiro?
Avant de répondre à cette question, il est
important de dé nir ce qu'est le centre exactement, et par cette
occasion comprendre de façon simple comment est organisée la
ville de Rio ainsi que les processus qui ont fait d'elle cette ville tant
divisée.
Centre et périphéries de Rio de
Janeiro.
Étant donné la super cie de Rio, de 1260
km2 ( A titre comparatif, Paris fait 105 km2), la ville a
été divisée en quatre zones: le Centro (centre), la Zona
Norte (zone nord), la Zona Sul (zone sud), et la Zona Oeste (zone ouest), comme
le montre la carte ci-contre.
Dans cette classi~ cation, à l'échelle de toute
la ville de Rio, est appelé Centro (le centre) la partie la plus
ancienne, qui regroupe actuellement de nombreux quartiers (Praça XV,
Lapa, Saara/Tiradente/ Uruguaiana, Marechal Floriano/Central do Brasil,
alentours de la Rua da Santana, Cruz vermelha/Bairro de Fatima,
Cinelândia, Castelo, Aeroporto, Esplanada de Santo Antonio, Quadrilatero
Financeiro). Cette partie correspond à ce qu'était Rio dans son
intégralité avant son développement intensif au
début du XIXe siècle . En e et, à ce moment
là, débarque la cour portugaise, ce qui provoque l'abandon du
centre par les classes dominantes. L'ancien site consolidé de la ville
devint ainsi son centre et apparaissent en périphérie des
nouveaux quartiers avec leurs centralités propres. De ce fait, les
classes aisées se dirigèrent vers le sud, ce qui ~ t
émerger de nouveaux quartiers et naitre ainsi la Zona Sul.(pour ne citer
que quelques quartiers; les plus connus: Botafogo, Copacabana, Ipanema, Leblon,
etc).
Figure 1
Comparaison de la super cie entre la ville de Rio de Janiero et
celle de Paris.
La partie correspondant à la Zona Norte est née
un peu plus plus tard, dès le début du XXe siècle. En
réalité, cette partie de Rio était déjà
occupée depuis l'époque de la création de la ville, mais
il s'agissait de fazendas10, qui exploitaient essentiellement la
canne à sucre et le café11. Puis cette dernière
s'est densi~ ée, et a vu ses fonctions changées, devenant un lieu
de résidence pour nombre de familles qui sou raient de la crise du
Centre (nous reviendrons sur ce phénomène d'ici peu).
En n la Zona Oeste quant à elle est apparue bien plus
tard. Bien sûr il est di cile de dater précisément
l'apparition d'une entité qui se construit au fur et à mesure,
mais cependant, en 1974, Lucio Costa propose un plan directeur pour le quartier
de Barra da Tijuca, quartier le plus important de la Zona Oeste. On peut
considérer cette date comme un coup de départ pour son
développement urbain.
Il existe une forte connotation sociale suivant si une personne
vient de la Zona Norte, dite pauvre,
1 0 La fazenda est un grand domaine généralement
dominé par une famille, propriétaire des terre, qui vivent de
l'exploitation de la terre, production agricole ou élevage. Il existe
encore actuellement des fazenda, mais les esclaves ont été
remplacés par des employés dans la majorité du
Brésil.
11 Cf. site
http://saibahistoria.blogspot.com/2007/10/os-primeiros-bairros-da-zona-norte-da.html
N
Figure 2
Découpage de la ville de Rio suivant la logique des zones
.
ou de la Zona Sul, dite aisée. Pour malgré tout
éviter tout cliché, sur le caractère social de ces deux
zones Nord et Sud, il est important d'indiquer que les classes
généralement les plus pauvres, vivant dans les favelas, sont
mélangées à la ville formelle, contrairement à
São Paulo par exemple ou l'on trouve les favelas en
périphérie uniquement. La di érence entre Zona Sul et Zona
Norte est faite avant tout par la comparaison de ses quartiers formels. Par
ailleurs, il s'agit de conséquences de l'histoire, comme nous venons de
le voir; ces quartiers ont été formés par la migration de
classes sociales bien déterminées.
Solto na Cidade - Uruguaiana
N
Figure 3
Les di érents quartiers du centre de Rio de Janeiro
26
Pour en revenir au centre, dans la zone appelée Centro,
il existe un quartier, lui aussi appelé Centro. Il est très
probable que cet abus de langage soit dû au fait qu'un arrêt de
métro nommé « Centro », soit situé dans cette
zone. Sans limites claires, on pourrait le dé nir regroupant
approximativement les deux zones Saara/Tiradente/Uruguaiana et Quadrilatero
Financeiro sur la carte générale du centre. Pour éviter
toute confusion, lorsque nous parlerons du Centro, le coeur ancien de la ville,
je traduirai par centre ou centre ville. Lorsqu'il s'agira du quartier, je
conserverai le terme Centro, puisqu'il s'agit dans ce cas d'un nom propre.
A la suite d'évènements que nous nous
apprêtons à évoquer, le Centro s'est transformé en
un quartier d'a~ aires où les deux activités principales sont le
commerce et le travail de bureau (sièges d'entreprise, ambassades,
prestation de services, etc). Il correspond à la partie la plus
verticale de Rio. Pour aider à le visualiser et imaginer son
fonctionnement, on pourrait établir une relation de comparaison entre le
Centro et le complexe de La Défense.
|
Vue d'hélicoptère sur le centre - Au centre de
l'image : Les arcs de Lapa, la cathédrale São Sebastião
|
Vue d'hélicoptère sur le centre depuis la plage de
Flamengo
Vue d'hélicoptère sur le centre - Cruz Vermelha
Vue d'hélicoptère sur le centre - Largo da
Carioca
Des transformations au service de la ville?
A travers la frise chronologique qui suit, l'objectif est de
comprendre comment le centre est devenu ce quartier au rythme particulier
où cohabitent formel et informel, et par extension de percevoir dans
quel contexte se trouve la ville de Rio aujourd'hui.
On peut lire di érents évènements
importants qui se sont déroulés entre 1900 et 2008,
répertoriés sous les thèmes suivants: Les transformations
architecturales principales que connu Rio de Janeiro ainsi que ses
transformations viaires. Viennent ensuite des faits politiques, des
évènements internationaux, et certains évènements
de divers ordres qui ont joué un rôle clé dans le
développement de Rio de Janeiro.
La particularité de cette frise est qu'elle
présente deux sens de lecture. On peut tout d'abord la lire de gauche
à droite, suivant ainsi de façon chronologique le
déroulement des évènements. Mais certains de ces
évènements ont été associés à
d'autres par des tracés de couleur, et ces associations nous
amènent à diverses conséquences que l'on peut lire dans la
partie basse de la frise. Ainsi pour savoir quels sont les principaux
évènements responsables de telle ou telle conséquence, il
su t de suivre le cheminement correspondant. Ces quatre conclusions sont
développées dans la suite du chapitre, en quatre parties
reprenant ainsi la logique de la frise.
Figure 4
Expansion urbaine du centre de Rio de Janeiro
De l'alliance des di érents évènements se
dégagent quatre thèmes principaux:
Alors que les classes aisées continuaient de migrer
vers les nouveaux quartiers de la Zona Sul, une série de plans
directeurs ont accéléré le vide du centre conduisant
à le transformer en ce que l'on appelle une ACN, Area Central de
Negocio (soit zone d'a~ aire).
Le premier fut celui du maire Pereira Passos, aidé de
l'hygiéniste Osvaldo Cruz. Il s'agit d'un grand processus de
démolition et de reconstruction visant à transformer Rio de
Janeiro en un second Paris. Le maire ~ t percer de grandes avenues s'inspirant
des célèbres boulevards parisiens et impose des normes de
comportement social12. Il poussa même le vice à aller
jusqu'à se faire importer des moineaux parisiens13. Il ~ t
également raser le Morro do Castelo, considéré comme le
berceau de la ville, et appela Alfred Agache, un urbaniste français, a n
d'urbaniser la zone laissée vide par la destruction. Agache proposait un
découpage de la ville suivant des critères fonctionnels,
créant une zone des a aires, une autre pour les ambassades, un centre
bancaire, et des zones résidentielles divisées par classes
sociales, renforçant ainsi la fonction tertiaire du centre. Ce plan
s'accompagnait également « d'oeuvres viaires et
d'infrastructures, prévoyant l'ouverture de places monumentales
marquées par des colonnes, et de larges avenues édi~
ées ».14 Le plan d'Agache se préoccupait des
aspects sanitaires, du transport et proposait des liaisons par voies de
métro et de tunnels à travers la ville. Avec la révolution
de 1930 au Brésil, de nombreuses idées furent abandonnées,
mais ce processus de zonning était déjà entamé.
Seulement quelques éléments, comme les galeries couvertes et les
zones internes des îlots furent réalisés plus tard.
Sur le plan architectural, urbain et économique ce fut
un grand succès. Des nombreux nouveaux sièges bancaires, de
bureaux des principaux établissements de la nouvelle
société capitaliste brésilienne vinrent s'installer dans
le centre. Par contre ce fut un véritable échec lorsque l'on se
penche sur la question du logement. Ces réformes poussèrent de
nombreuses personnes à se tourner vers de l'habitat précaire, et
l'action municipale de Pereira Passos resta quali~ ée de «
bota-abaixo »15 que l'on pourrait traduire par mise
à terre.
1 2 Information donnée sans plus d'explication dans le
travail de Roberto Anderson Magalhaes (2001), mais faisant probablement
référence à la possibilité pour une élite
d'accéder à des loisirs qui font la
célébrité des nuits parisiennes, comme le
théâtre, opéra, mais également par le contrôle
d'une population estimée dangereuse. Le carioca avait la mauvaise
réputation d'être feignant au travail et de préférer
ce que l'on appelle la malandragem (la magouille, le petit
banditisme). Les réformes visaient à faire entrer le carioca dans
un système où il occupe une place de travailleur (Cf. Lopes
Antonio Herculano, Entre Europa e Africa, a invenção do
Carioca, (Rio de Janeiro), Edição casa de Rui Barbosa,
2000
1 3 Cf. Fessler Vaz Lilian et Berenstein Jacques Paola (2006)
« Territorios Culturais na cidade de Rio de Janeiro », in
Jeudy Henri Pierre et Berenstein Jacques Paola, Corpos e
cenarios urbanos, Salvador : EDUFBA, p.78
1 4 Cf. Anderson Magalães Roberto, A requalifi
cação do Centro do Rio de Janeiro na decada de 1990, (2001),
Rio de
Janeiro, Thèse de doctorat à l'UFRJ, 2001, p.
20.
1 5 Cf. Quelhas paixão Claudia Miriam, a reforma
urbana e os moradores do morro do castelo, estratégias e disputas
populares no Rio de Janeiro (1904-1922), Rio de Janeiro, Arquivo publico
do estadodo Rio de Janeiro, Anpuh Rio de Janeiro, 2006
34
Solto na Cidade - Uruguaiana
N
Figure 5
Plan directeur de Pereira Passos réalisé en 1902
La présence d'Agache coïncide avec la
première venue de Le Corbusier à Rio de Janeiro, pour une
série de conférences. Il fait à cette occasion des
propositions d'aménagements urbains pour la capitale. Sa vision de la
plani~ cation de la ville de Rio correspond dans les deux cas à une
volonté de rationalisme: fonctionnalité, salubrité, e
cacité, ordre des fonctions urbaines (habiter, circuler, travailler, se
détendre) et usage des nouvelles technologies constructives. Le
Corbusier dépasse le plan de Agache, en imaginant une verticalisation
intensive de le zone des a aires, le futur Centro, avec des gratte-ciel de 60
étages. Même si ces projets n'étaient que proposés
lors d'une série de conférence, ils ont indubitablement in
uencé le mode de développement futur de la ville de Rio.
A propos de cette verticalisation, Lilian Fessler Vaz, lors
d'une étude de statistique, signale que ce processus s'est produit
« au contraire des processus dits « classiques » de
verticalisation. A Rio de Janeiro, ce premier essor est constitué pour
la majorité d'édif ces résidentiels (et non commerciaux),
situés à l'extérieur (et non à l'intérieur)
de la zone centrale, certains à proximité et d'autres au
contraire bien éloignés (ex: Copacabana)
».16En e et, dès les années 20, les premiers
immeubles de grande hauteur étaient ceux des nouveaux quartiers de
Copacabana ou Ipanema. Ce n'est que vers les années 60-70, que le centre
voit son développement verticale s'accélérer, accueillant
des gratte-ciel, qui seront des sièges de banques, d'entreprise, etc.
De nombreuses réformes du centre se mettent en place,
et se basent suivant les préceptes de la Charte d'Athènes, justi~
ant ainsi une destruction et reconstruction massive17 (due à
la pression d'investisseurs immobiliers à cause de la concurrence que
provoque le développement de la Zona Sul), conduisant à la
disparition de nombreux anciens tracés. On cite
généralement la destruction en 1970 du Palais Monro, siège
o ciel du Senado Fédéral18, a n de
créer la station de métro Cinelandia et qui n'avait pas
été jugé digne d'être classé monument
historique (destruction soutenue par le globo et l'IPHAN19)
En n en 1974, Lucio Costa propose le plan directeur de Barra da
Tijuca. Il s'agit d'un nouveau quartier qui a pour ambition d'être un
second centre ville, étant donné l'échelle que commence
à prendre Rio.
Comme on le constate avec le second thème, les
quartiers résidentiels formels et informels se développent de
plus en plus et de plus en plus loin du centre, qui se vide peu à peu.
Les familles aisées abandonnent le centre à la recherche d'un
meilleur confort de vie dans la Zona Sul, alors que les classes
1 6 Cf. Particulariedades do processo inicial de
Verticalização na cidade do Rio de Janeiro, de Fessler Vaz
Lilian cité par Roberto Anderson Magalhaes dans A requalifi
cação do Centro do Rio de Janeiro na decada de 1990, (2001),
Rio de Janeiro, Thèse de doctorat à l'UFRJ, 2001, p. 27.
1 7 Suivant la Charte d'Athènes, les sites ne devraient
être préservés seulement lorsqu'ils sont réellement
représentatifs de leur période historique, qu'ils ont une
fonction éducative, qu'ils ne sont pas néfastes pour la
santé des résidents, et ne portent pas préjudice à
la circulation et au développement de la ville. (CIAM de 1933)
1 8 Le Palais Monroe avait été construit lors de
l'exposition universelle de 1904 à São Louis, pour être le
pavillon du Brésil. Entièrement démontable et remontable
il fut amené et construit à Rio en 1906. Jusqu'en 1914 il
continue d'être utilisé comme pavillon d'exposition, et devient
par la suite la chambre des députés puis, de 1925 à
1930,le siège offi ciel du Sénat. Sa destruction est
jusqu'à aujourd'hui fortement contestée; l'ancien maire de Rio
Cesar Maia avait même en 1975 envisagé de le reconstruire.
1 9 Instituto do Patrimônio Historico e Artistico
Nacional.
|
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Le Palàcio Monroe détruit en 1970
|
plus pauvres, se retrouvent obligées de quitter le
centre sous la pression immobilière et migrent vers la Zona Norte ou
dans les favelas, laissant la place aux entreprises. Les années 30 sont
celles d'un fort développement des favelas,qui explosera dans les
années 50, pendant que les quartiers de la Zona Sul s'intensi~ ent
jusqu'en 194020.
Cette migration s'accompagne de la création de
nombreuses voies rapides dans le tissu urbain. En premier lieu seule la classe
aisée est motorisée, ce qui facilite ses déplacements vers
Copacabana, I panema, Leblon. Dans les années 50 et 60, on parle de la
febre viaria (~ èvre viaire) qui gagne une grande proportion
plus importante de la population. Parallèlement, pour palier aux
migrations dans la banlieue de plus en plus reculée, (la Zona Norte en
premier lieu), la ville de Rio se voit pourvue de réseaux de chemin de
fer....
Ainsi on voit surgir de terre, dès 1940,
d'énormes infrastructures surélevés à des dizaines
mètres du sol ou perçant dans le tissu urbain. Là
où Pereira Passos avait plani~ é de grandes avenues imitant les
boulevards parisiens, commencent à apparaitre de véritables
autoroutes avec l'arrivée croissante de l'automobile. Pour créer
l'avenue Présidente Vargas, inaugurée en 1944, il a fallu
réunir deux rues parallèles et donc supprimer une en lades
d'ilots. Aujourd'hui cette avenue est composée de quatre fois quatre
voies, et vient créer une véritable ~ ssure dans le Centro. Il
est inutile de préciser que la traverser est une aventure humaine...
Projet de l'avenue Presidente Vargas imaginé par Pereira
passos L'avenue Présidente Vargas en 2007
De nombreux autres projets naissent à cette
période également; en 1940, le premièr à
apparaître est l'Avenida Brasil, qui relie le centre à toute la
banlieue nort. Puis c'est au tour de la périmétrale et la
diagonale (entre 1938 et 1948). La première avenue relie le centre
à la Zona Sul, en passant par l'aterro21
fraîchement construit.
Dès le début des années 60, le gouverneur
Lacerda invite l'urbaniste Grec Doxiadis pour mettre au point un projet de
voies rapides au sein de Rio. Est ainsi lancé le projet Arco
Iris (projet Arc-en-ciel), qui prévoyait à l'origine six
autoroutes urbaines22 a n de rami er entre eux le centre et les
périphéries, en venant se gre~ er sur l'Avenida Brasil (1946) et
la Périmétrale (1948). Le nom d'Arco Iris vient du fait que les
urbanistes ont dessiné ces voies de couleurs di érentes sur le
papier et leur ont donné des noms correspondant à leurs couleurs
respectives. Étaient ainsi prévues la Linha Lila, la Linha
Amarela, la Linha Marrom, la Linha Verde, la Linha Vermelha et la Linha Azul
(Voir carte ci-dessous). La réalisation de ces lignes se ~ t des
année plus tard. La Linha Vermelha fut la première, en 1992, pour
le premier tronçon, et 1994, pour le second, a n de venir en aide
à l'Avenida Brasil qui devenait un réel enfer (accidents,
embouteillages, comportements anarchiqes). De ce plan Rio ne compte aujourd'hui
que la Linha Vermelha, la Linha Amarela et la Linha Verde rebaptisée
RJ-08023.
N
Toutes ces transformations ont ainsi permis une meilleure ~
uidité des populations vers les périphéries conduisant le
centre à être peu à peu abandonné, devenant la ACN
imaginée par Pereira Passos au début du siècle.
Aujourd'hui on constate parfaitement les conséquences de telles
infrastructures en milieu urbain, sans aucune transition ou souci d'insertion.
Pour ne citer qu'un exemple, la Linha Vermelha, suspendue à une dizaine
de mètres du sol vient s'engou~ rer entre les façades du quartier
de São Cristovão, séparée de ces dernières
par un simple vide d'un mètre tout au plus...
21 Il s'agit d'extentions de la ville sur la mer. Les anciennes
et nouvelles limites de la ville sont représentées sur la cart
p.
22 Lopes Paulo Sérgio Pereira, « Linha Vermelha
»: Infl uencia no Bairro de São Cristovão, Rio de
Janeiro, Trabalho fi nal de pos-graduação, UFRJ, 1989. pp.
25-27
23 Ibid. P.24
Figure 6
Les tracés du projeto Arco Iris imaginés par
l'urbaniste Doxiadis - 1960
En 1960, le pouvoir public parts'installerà
Brasíllia, la nouvellecapitaledessinée parOscar Niemeyer. Cela
entraine la délocalisation d'un certain nombre de sièges
d'entreprises vers São Paulo, ou même, à moins grande
échelle, vers les nouveaux quartiers de Rio. Le centre subit une
réelle décentralisation économique. Il tombe peu à
peu à l'abandon, délaissé par les classes encore
économiquement actives en son sein. La conséquence directe est un
phénomène déjà observé dans de nombreuses
métropoles, baptisé « décadence du centre ».
« Le processus couramment appelé «
décadence » ou « déterioration » du centre
consiste en son abandon par une partie de la classe à hauts revenus et
son remplacement par les classes populaires. Cet abandon présente divers
symptômes, à divers degrés d'intensité dans les di
érentes métropoles:
- Abandon comme lieu de travail des classes aisées.
- Abandon comme lieu de diversion, loisir, et activités
culturelles
- Abandon comme lieu d'achat et d'habitat.
Au sein de toutes les métropoles brésiliennes,
l'exemple le moins ~ agrant est Rio de Janeiro et les plus ~ agrants sont
São Paulo et Salvador de Bahia »24
En 1980 le Brésil connait une crise économique
sans précédant. De plus, depuis l'inauguration de la voie express
Rio/Bahia, la population de Rio considérablement augmenté, et les
nouveaux arrivants en quête d'une vie meilleur se retrouvent à
peupler les favelas de Rio. Ainsi de nombreuses familles commencent à
peupler les rues, et on voit les métiers du marché informel
augmenter en ~ èche (commerce de rue particulièrement). Roberto
Pompeu de Toledo, qui a étudié les phénomènes de
décadence dans de nombreux centres décrit :
|
« Ce sont des lieux sales, en général,
détériores, lieux d'excellence des trombadinhas25 et
des mauvaises odeurs, d'urine, des mendiants des drogués et de
l'anarchie économique des camelots. Les lieux d'où fuit tout ce
qui est bon - les meilleurs commerces, les meilleurs services, le confort,
l'argent qui génère des investissements et de l'emploi - et
laisse tout ce qu'il y a de plus mauvais - le désordre, la
marginalité, la peur »26.
On commençait déjà à remettre
sérieusement en cause les principes modernes qui prônaient le
zoning mis en place les décennies antérieures, et de nouvelles
formes de projet apparaissent. Entre les années 30 et 50, les ensembles
résidentiels représentent les aspirations urbanistes du moment et
cherchent à forger de nouvelles formes de sociabilité ainsi
qu'à organiser les rapports sociaux en mettant
|
|
|
Le projet d'Alfonso Reidy - Le complexe Pedregulho
|
24 Cf. Anderson Magalães Roberto, A requalifi
cação do Centro do Rio de Janeiro na decada de 1990, (2001),
Rio de Janeiro, Thèse de doctorat à l'UFRJ, 2001, p31. Citation
de F. Villaça
25 Jeune mineur sans ressource et sans famille qui se voit
obligé de voler pour survivre dans la rue. (Défi nition de
http://www.wiktionary.org/)
26 Pompeu de Toledo Roberto, 1996, Cf. Anderson Magalães
Roberto, A requalifi cação do Centro do Rio de Janeiro na
decada de 1990, (2001), Rio de Janeiro, Thèse de doctorat à
l'UFRJ, 2001, p31-32
|
l'accent sur la vie en communauté. Un projet phare
à cette époque est l'édi~ ce Pedregulho27,
réalisé par Alfonso Reidy et inauguré en 1952. Il
s'agissait d'un complexe composé d'espaces résidentiels et
d'espaces communautaires (jardin d'enfance, crèche, école
primaire, marché, laverie, centre sanitaire, terrains de sport,
gymnases, piscine, vestiaires et centre commercial)
En 1956, lors du 10e CIAM, le Team 10 propose de nouvelles
façons de projeter la ville, avec des préoccupations
sociologiques, comme l'identité, les relations de voisinage, alors qu'en
1920, seul comptait le bien être physique et matériel.
À partir des années 60, avec l'apparition du
mouvement des Situationnistes, de nouveaux projets baptisés Projetos
Urbanos, commencent à apparaître. Ils prétendent avoir
« une vision plus préoccupée par la complexité de
la ville et par les particularités des espaces urbains, et cherchent une
nouvelle échelle d'intervention physique de la ville
»28. Les urbanistes cherchent à recréer des
lieux de rencontres que la pensée moderne avait fait disparaître,
revenir à des schémas traditionnels de placettes, et c'est
à ce moment là que l'on commence à regretter tout un
patrimoine détruit par les transformations radicales de 1920. En 1965
est inauguré le parc de Flamengo, pensé par Alfonso Reidy pour
l'architecture et le paysagiste Burle Marx. Cet immense parc en bord de mer
permet de relier par un coulée verte, dont les dessins au sol
s'inspirent de la culture Tupi-tupi, le centre jusqu'à Botafogo, un
quartier de la zona Sul. Sur son parcours on trouve quelques lieux de
rencontres et de culture, notamment le MAM (muséum d'art moderne). Par
ce projet cohabitent une volonté d'allier les preceptes modernes
à un retour aux racines et à la déambulation.
A ce moment là également, on souhaitait
résoudre le problème des favelas par leur destruction. Les
premières en 1969 à être supprimées furent la favela
da Ilha das Dagras et la favela do Pinto, situées à Lagoa
(quartier d'Ipanema), puis, par la suite la favela du Morro do Baiano et la
favela de Catumba29. Les habitants de ces favelas se voyaient alors
relogés dans des lotissements d'habitations fournis par l'état
tels que la Cidade de Deus, Vila Kennedy ou
Guaporé-Quitungo30
Ces modes de pensée évoluent et on commence
à vouloir intégrer la favela à la ville comme si elle
était un quartier à part entière. Le premier programme
lancé en 1979 est le projet Promorar ou Projeto
Rio.
27 Bien qu'il représente l'une des expériences les
plus connues en matière d'habitation populaire de l'architecture moderne
brésilienne, le Pedregulho n'est pas une oeuvre isolée, mais se
trouve au centre d'une série d'initiatives sur l'habitat fi
nancées par les Institutos de Aposentadorias e Pensões - IAPs
(Institut de retraites et de pensions)
28 Anderson Magalães Roberto, A requalifi
cação do Centro do Rio de Janeiro na decada de 1990, (2001),
Rio de Janeiro, Thèse de doctorat à l'UFRJ, 2001, p. 47-48
29 Almirante Marcelo, Cronologia da Evolução
Urbana, (2007), Rio de Janeiro, Memória do Transporte
Público.
30 Il s'agissait d'ensembles précaires d'habitations
situés dans la périphérie (ouest pour la Cidade de Deus,
nord pour Guaporé Quinungo et Vila Kennedy). Laissés aux mains
des habitants, ils se transformèrent au fi l du temps en favelas. Cela
dit, leur éloignement du centre permet à la ville de
considérer leur problème de moindre ampleur face aux favelas du
centre qui viennent ternir l'image de la ville.
L'objectif était de délocaliser les habitants
d'une communauté le temps de rendre leurs habitats salubres. Un des
principes clés, était la consultation des habitants lors de la
réhabilitation. Ainsi la démarche allait au delà d'un
simple travail d'aménagement urbain. « Désormais
urbaniser ne signi~ ait plus assainir, nettoyer ou installer des services ,
mais aussi régulariser la propriété et surtout favoriser
une vie sociale »31.
Parallèlement, en 1984, la Prefeitura de Rio lance le
corredor cultural. Un programme qui vise à redorer l'image du
centre et y créer une dynamique culturelle. Au total, neuf centres
culturels seront créés et de nombreuses subventions
prévues pour aider les propriétaires situés dans les zones
touchées par l'opération à refaire améliorer
extérieur de leurs biens immobiliers.
Alors que nous nous apprêtons à aborder le sujet
des camelódromos à proprement parler, nous avons visualisé
comment les diverses transformations du centre ont amené ce dernier
à devenir un quartier à plusieurs faces si divisées. En
souhaitant intégrer à la ville un commerce jusque là
déclaré informel, la notion de camelódromo s'inscrit dans
une double dynamique; celle de la revalorisation du centre, et celle d'un
nouveau regard sur l'habitat spontané, l'architecture participative,
ainsi, par extension de celui porté sur ce qui touche à
l'informel...
Des réponses aux invasions du commerce de rue Les
camelots, une priorité dès les années 80
Apparition des premiers camelódromos à Rio de
Janeiro
Vers le milieu des années 70, le commerce de rue prend
des proportions telles, que la ville de Rio se voit dans l'obligation de
prendre des mesure draconiennes. Commence alors une grande opération de
répression qui vise à déloger les camelots de la rue,
exactement suivant le même processus évoqué pour les
favelas. L'absurdité d'une telle mesure étant donné la
quantité de travailleurs sans emplois qu'elle génère,
force les autorités a revoir leurs positions. Ils imaginent alors
légaliser le commerce de rue.
C'est à partir de 1984 que l'on peut lire dans les
journaux des articles annonçant les mesures prises par le maire Marcelo
Alencar, pour résoudre le problème du commerce ambulant, sans
supprimer les emplois ou du moins en tentant de le minimiser. L'idée
était alors de déterminer des points dans la
31 Goirand Camille, La politique des favelas, Edition
Karthala, 2000, p.96
N
Figure 7
Les dix camelodromos projetés par le maire Cesar Maia (en
rouge).
En vert sont signalés les camelodromos qui n'ont fait
qu'une brève apparition
ville dans lesquels les camelots de Rio pourraient exercer en
toute légalité. En contre partie il fallait que le camelot aille
s'enregistrer à la Prefeitura ou dans un des points spéci~
és suivant la zone où le camelot désirait exercer. Il se
voyait alors attribuer un emplacement, et en échange devait payer une
taxe. Le principe de camelódromo voyait ainsi le jour dans la ville de
Rio32.
A cette époque-là, les camelódromos ne
présentaient rien de pérenne, et les petits étals des
camelots étaient montés chaque matin et démontés
chaque soir.
Selon les médias, la nouvelle de créer ce genre
de centre fut très bien accueillie par les vendeurs ambulants qui se
précipitèrent dans les points d'enregistrement. Dix «
centres de commerces populaires » furent déterminés sur Rio,
centre et quartiers de banlieue confondus (le mercado da Uruguaiana n'y ~
gurait pas encore). Dès le départ on constata des
déséquilibres. Alors que les emplacements en centre ville
étaient pris d'assaut, d'autres en périphérie ne
semblaient pas présenter un grand intérêt. Un certain
nombre de règles furent mises en place, visant à
rééquilibrer la répartition, notamment en attribuant un
emplacement en fonction du lieu de résidence du camelot. Cependant, les
camelódromos de banlieue, étaient désertés, mis
à part quelques uns comme à Madureira, l'un des quartiers le
mieux développé de la banlieue nord de Rio. Ainsi le centre de
Rio restait bondé car une fois les camelódromos pleins, les
camelots préféraient tenter les rues du centre plutôt que
les emplacements légaux qu'on leur avait réservé. La
raison était bien-sûr l'absence de clients, en e et, les
camelódromos avaient été placés dans des espaces
vides et bon nombre d'entre eux étaient très peu
fréquentés.
32 Ces informations sont valables concernant la ville de Rio
uniquement. En effet, il existe de nombreux camelodromos dans tout le
brésil et il n'est pas dit qu'ils soient apparus au par avant.
Un autre problème qui fut mis en évidence
également était lors de l'enregistrement. Il fallait justi~ er
d'un lieu de résidence à Rio, ce qui s'est avéré un
critère éliminatoire pour une partie des postulants, venant des
villes voisines qui avaient l'habitude de venir vendre sur Rio (Duques de
Caxias, Nilópolis, Nova Iguaçu) et bien-sûr les sans abris,
qui constituent une part non négligeable de ce type de travailleurs.
Le détail amusant, re~ et de l'ingérence de la
Prefeitura face à la situation des vendeurs ambulants est le nombre de
camelódromos programmés qui diminue jour après jour.
Après en avoir plani~ é dix, en janvier 1984, puis 7 en
février et en n 6 en aout de la même année, les
médias ne se concentrent plus qu'à ne parler que d'un seul, le
camelódromo de la praça XI.
L'expérience de la Praça XI
Dès la création des premiers
camelódromos, il en est un qui fut baptisé experiencia
piloto (expérience pilote). Il s'agissait de celui de la
Praça XI (Place XI). En e et, la Prefeitura plaçait tous ses
espoirs dans ce camelódromo étant donné sa localisation
dans le centre de Rio (située dans la zone appelée Rue des
Santana et ses adjacentes sur la carte p...). Elle proposait un centre de 250
baraques, pour lesquelles avait été prévue l'implantation
de toilettes destinées à la fois aux acheteurs et aux vendeurs.
Avec ces aménagements, la Prefeitura espérait créer un
réel centre de vente, qui présentait des prestations di
érentes du simple étalage de rue devant lesquelles les passant ne
s'arrêtent pas.
Cela dit, légèrement à l'écart du
coeur du centre il a lui aussi sou ert de ce manque de clients dont avait
déjà pâti les camelódromos des autres zones.
Malgré tout, la Prefeitura n'en démordait pas, convaincue du
potentiel de le Praça XI et persuadée qu'une solution
était possible. En aout 1984 elle décida de modi~ er le parcours
de certaines lignes de bus, du vendredi au dimanche, pour amener l'arrêt
~ nal à la Praça XI. D'autres initiatives furent prises par la
suite, telles que tour à tour l'installation d'un parc d'attraction, la
mise en place de deux scènes pour accueillir des spectacles en ~ n de
semaine, et la création d'une crèche destinée aux enfants
des camelots. Mais alors que la Prefeitura tentait d'attirer plus de camelots
en augmentant la capacité d'accueil du centre populaire de commerce,
rien n'y faisait, clients et camelots se désintéressèrent
peu à peu, et en septembre seulement 100 des 800 emplacements
étaient occupés.
Un autre problème n'a pas tardé à surgir.
À peine 3 mois après son inauguration, de nombreux échau~
ements commencèrent à éclater entre les camelots eux
mêmes, qui ne parvenait pas à dé nir une hiérarchie
au sein du camelódromo. En venant vite aux mains, ces derniers ne
tardaient pas à se faire séparer et embarquer par la police. Il
va de soi que les clients mis au courant par la presse ou assistant aux
événements se faisaient de plus en plus rare, ce qui aggravait le
problème général.
En novembre 1984 on pouvait déjà lire que le
maire reconnaissait l'échec de ce camelódromo, mais qu'il
l'attribuait « aux propres camelots qui n'ont pas souhaité
occuper la zone »33. Les camelots ne quittèrent
cependant pas immédiatement la place, continuant leur commerce sur un
lieu petit à petit à
33 Auteur inconnu (6 novembre 1984) « Trabalho come
çara segunda-feira em 180 de Central do Brasil »,
Globo
l'abandon. En février 1985 les 14 000 m2 de
la Praça XI comptaient 4 baraques... Pour information, le sujet de
l'article qui contenait cette déclaration était sur l'ouverture
d'un nouveau camelódromo à Central do Brasil, un terminal de bus,
trains et métros. Aujourd'hui ce camelódromo est en plein
développement, en voie d'atteindre le niveau de celui de la rue
Uruguaiana. Il aurait été très intéressant de
l'étudier plus dans le détail, car son évolution a eu lieu
très récemment, au début de 2008, et la
métamorphose est réellement impressionnante.
Naissance du Mercado Popular da rua Uruguaiana
La réalisation de cette partie relève d'un tout
autre ordre, les faits étant encore trop récents pour avoir fait
l'objet d'écrits ou d'études, hormis de la part d'un
étudiant en géographie qui a réalisé une recherche
sur la notion de territoire à partir de l'exemple
d'Uruguaiana34. J'avais également à ma disposition des
coupures de presse, cela dit je n'ai pu obtenir aux archives du Globo aucun
article datant de l'époque de la création du marché (1
993-94), ce qui est assez étonnant. La première fois que l'on
rencontre l'idée de créer un camelódromo dans la rue
Uruguaiana, c'est en 198435, alors que le maire Marcelo Alencar
ré échissait à un transfert des camelots de la
Praça XI vers une zone plus fréquentée. Le projet attendit
donc dix ans a n de voir le jour. Après un grand silence le
Camelódromo refait parler de lui en 199936, au sujet de son
absence de contrôle.
Il a donc fallu aller à la rencontre des acteurs, fort
heureusement en vie pour la plupart d'entre eux. J'ai eu la chance de
rencontrer deux personnages importants; tout d'abord Roberto Anderson, un
employé de la Prefeitura, qui a activement participé au projet du
Camelódromo da Uruguaiana, et ensuite un ingénieur du
métro, qui était à la tête du projet des di
érentes lignes (au nombre de deux actuellement), connu par tous sous le
nom de Sydney, et que nous appellerons donc ainsi. Ces deux interlocuteurs
n'ont pas hésité à me consacrer
généreusement de leur temps pour me donner des informations, des
images, tout cela bien sûr dans la limite des possibilités admises
par la désinvolture Carioca (je me souviens d'un rendez vous que m'avait
~ xé Sydney après notre entretien, a n d'aller fouiller dans les
archives pour trouver des photographies de l'époque des travaux de la
station de métro Uruguaiana. Malgré les clichés promis, le
résultat fut assez limité car nous avons passé
l'après midi à essayer quelques centaines de clés
stockées dans une boîte de chaussure a n d'ouvrir des tiroirs, qui
pour la plupart nous ont résisté).
34 da Silveira Silva Marcelus, Os camelôs e o mercado
popular da ru Uruguaiana: o ordenamento territorial na area central do Rio de
Janeiro, Niteroi (RJ), Thèse de doctorat de géographie
à l'Universidade federal Fluminense, 2002
35 Auteur inconnu (25 juillet 1984), Globo, Anexe 4
36 Werneck Antônio (20 juin 1999) « O mercado sem
lei da Uruguaiana », Globo, primeiro caderno, p.12
Quelques informations nécessaires...
A ce stade, il est important de préciser quelle est
l'organisation hiérarchique des pouvoirs politiques au Brésil, a
n de comprendre le contexte de l'apparition du Camelódromo da Uruguaiana
et l'état de confusion dans lequel il s'est trouvé dès sa
création:
Depuis le retour à la démocratie en 1983, on
trouve à la tête du pays un président, élu par voies
directes. Le Brésil est divisé en 26 états dont sont
responsables des gouverneurs. Dans les états on rencontre en n des
villes gérées par les maires. Sous les maires nous avons
également les vereadores qui sont des sortes de chefs de quartiers, leur
nombre varie suivant la taille du quartier. Ils sont tous a liés
à des partis qui viennent prendre place au conseil municipal. Faire ces
transferts vers la logique française reste di cile. En e et,
étant donné l'échelle des villes et des quartiers on a
parfois tendance à vouloir faire une analogie entre les vereadores et
nos maires, tous comme le maire brésilien et nos préfets
(d'autant que le mot porte à confusion, on parle du prefeito
pour parler du maire). C'est pour cette raison par exemple que je ne traduirai
jamais le terme de Prefeitura ni par celui de mairie ni par celui de
préfecture, étant donné qu'ils font
référence à un fonctionnement français, di
érent du schéma brésilien.
Cesar Maia contre Brizola: naissance du camelódromo da
Uruguaiana
Depuis l'échec du camelódromo de la Praça
XI, le problème des camelots resta en suspens durant plusieurs
années, et ces derniers recommencèrent à s'installer dans
les rues. Entre 1985 et 1992/93, la situation s'aggrava fortement. Dans
certaines rues le simple passage devenait impossible. La rue Uruguaiana
était l'une des plus touchées au coude à coude avec entre
autres l'avenue Rio Branco et l'avenue Nossa Senhora de Copacabana. Comme le
montre la carte la ci-contre une grande quantité des rues du Centro
étaient envahies. En 1993 Cesar Maia fut élu maire
(Prefeito) de la ville de Rio et il se lança dans une politique
baptisée Ordem Urbana (ordre urbain), qui visait à
enlever les camelots des rues. Ce fut ainsi le retour à une
période de forte répression, et la garde municipale s'attelait
à déloger les camelots des rues, une à une.
A la tête de l'état de Rio se trouvait le
gouverneur Leonel de Moura Brizola, déjà connu pour ses
nombreuses réformes sociales37. Ce dernier était
très opposé aux mesures prises par Cesar Maia, ce qui fut
à l'origine de nombreuses altercations entre police militaire (au
service de l'état) et garde municipale (au service de la ville). Alors
que la garde venait déloger les vendeurs ambulants, la police militaire
s'y opposait, créant une bataille où régnait la plus
grande confusion.
37 Pour n'en citer qu'une, les cariocas lui doivent la
réalisation de 180 CIEPs (Centre Intégral d'Education Publique).
Il s'agissait d'écoles publiques dont l'ambition allait bien
au-delà du simple enseignement. Souvent accompagnés de complexes
sportifs pour les loisirs accessibles en dehors des heures des classes,
d'activités culturelles, les
CIEP offraient également des repas, traitements
médicaux et dentaires. Ces bâtiments à l'architecture
marquante, dessinés par Niemeyer portent le surnom affectueux de
Brizolão.
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45
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Figure 8
Les zones envahies par les camelots en 1993 N
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Solto na Cidade - Uruguaiana
N
Figure 9
Les zones occupées par les camelots en 1998
46
« Bon, le gouverneur avait une politique un peu comme
ça, dite populiste. Il gagnait beaucoup de votes des pauvres, disait que
tout allait bien, que les camelots étaient des travailleurs. Il ne
voyait pas que la quantité de camelots dans la rue était
très grande, et nuisait au commerce. »
(Roberto Anderson Magalhaes - Prefeitura- Entretien
réalisé en septembre 2008).
« Ce qui se passe ici, au Brésil, c'est que nous
avons certains politiques qui veulent être populaires. L'un d'eux
s'appelait Leonel de Moura Brizola. Ce Leonel Brizola pour faire... Tu vois
c'est comme quand ils laissent se développer les favelas. Ils laissent
aussi les camelots faire ce qu'ils veulent. Alors il a décidé de
promouvoir, et pas que dans cette zone, l'invasion de certains espaces par les
camelots. »
(Sydney - Rio Trilhos - Entretien réalisé en
décembre 2007)
Il est bon de savoir que, malgré le caractère
informel de ce type de commerce, il y a en réalité toute une
organisation sous-entendue. Dans les rues les plus fréquentées,
une hiérarchie se crée; une sorte de structure interne avec un
système de protection, d'autorisation et d'utilisation de l'espace.
Généralement, une personne ou un groupe de personnes se
déclare propriétaire de la rue et met en place un système
de « taxe » décidant du droit des camelots d'y installer leurs
stands ou non.
Les frères Rapetou
Un des points principaux était la Rue Uruguaiana. Il y
avait une quantité énorme de camelots, gérés par un
groupe de trois hommes, appelés « les frères Rapetous
», qui récupéraient l'argent des camelots de la rue. En
1994, la Prefeitura décida qu'il était de temps de s'occuper du
cas de la rue Uruguaiana, et commença à la vider, ce qui
fût à l'origine d'une série d'a~ rontements entre police
militaire, garde municipale, camelots, et l'élite intellectuelle de
gauche qui venait régulièrement s'interférer au milieu de
la confusion. Le groupe des frères Rapetous, responsables o cieux de la
rue devint ainsi l'intermédiaire direct entre vendeurs ambulants et
forces de l'ordre. Ils réussirent à ouvrir une porte de
négociation avec le gouverneur, qui les appuyait, et obtinrent ainsi
quatre espaces vides qui faisaient l'angle entre la rue Uruguaiana et l'avenue
Presidente Vargas. Il s'agissait de terrains, propriétés de
l'état, dont les bâtiment avaient étés
détruits lors des travaux de la création du métro, dans le
cas présent pour la station Uruguaiana.
« Ce sont des vides qu'on a dû faire dans la ville,
non pas parce qu'on avait besoin de la zone où on créait la
station de métro, mais parce qu'on avait besoin d'espace autour pour
pouvoir mettre des bungalows de chantier, où on mettait les machines,
où on gardait le matériel, et après dans le cas
d'Uruguaiana, c'est resté vide. »
(Sydney - Rio Trilhos - Entretien réalisé en
décembre 2007)
48
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Solto na Cidade - Uruguaiana
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Axonométrie centrée sur l'avenue Presidente
Vargas et la rue Uruguaiana. On peut observer alors les ilots qui n'avaient pas
encore été détruits par les travaux du métro.
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Les vides laissés en 1974, après les travaux de la
station de
métro Uruguaiana
A chaque fois qu'une station de métro est
créée, une fois terminée on trouve un vide de ce type. Le
détail étonnant est qu'il existe une loi qui y interdit toute
construction de projet privé (comme des centres commerciaux, complexes
de loisirs etc). L'espace est réservé à des projets
d'intérêt public comme des crèches,
écoles...38 Ainsi cela explique pourquoi les vides
créés par le métro perdurent. La plupart du temps ils sont
occupés par des vendeurs de rue, qui les occupent de manière plus
ou moins légale suivant les cas.
Cet espace servait à ce moment là de zone de
stationnement, sous le contrôle de la CODERTE39, mais il
était déjà fortement convoité étant
donné sa grande valeur due à sa localisation, en plein centre
ville. Pour la première fois les camelots n'allaient pas se retrouver
dans une zone isolée comme ce fut le cas de nombreuses fois lors des
tentatives de camelódromos antérieures.
Quatre jours pour s'organiser
« Alors le maire a dit « Bon, ben super, nous allons
donc organiser l'arrivée des camelots là ».Et tout a
été fait dans la précipitation, parce qu'on avait un
délai très court... ça c'est passé un jeudi, et les
camelots allaient arriver le lundi. C'étaient 4 terrains, nous avons
tous commencé à travailler, nous, architectes, sous-prefet, les
administrateurs régionaux, nos amis, la famille, tout le monde est
allé sur le sol pour peindre, démarquer... »
(Roberto Anderson - Prefeitura- Entretien réalisé
en septembre 2008)
Comme le sous entend la citation ci-dessus, la plani~ cation
du Camelódromo s'est faite de façon très sommaire.
Étant donné le délai imparti il a fallu passer à
l'action le plus rapidement possible. Malgré cela un plan fut
dessiné par le sous-préfet de l'époque, un architecte
urbaniste nommé Augusto Ivã. La répartition des camelots
fut on ne peut plus arbitraire. En e et, chaque espace fût
numéroté et les camelots durent se présenter dans le CIEP
de la Praça XI où un emplacement leur fut décerné
par tirage au sort. Ainsi il n'y eu volontairement aucune logique lors de la
plani~ cation à part quelques exceptions.
Tout d'abord comme le but était de créer un lieu
de commerce, Augusto Ivã a souhaité reproduire certains
détails de typologie spatiale que l'on trouve dans les shopping-centers
à savoir la « Place de l'alimentation ». Au Brésil dans
les centres commerciaux on trouve toujours un lieu appelé « Place
de l'alimentation », dans lequel sont réunis les restaurants,
buvettes, fast food etc. C'est pour cette raison que les vendeurs de sandwichs,
boissons et nourriture en tout genre se sont tous retrouvés dans une
même zone. Quelque soient les autres types de marchandises vendu, il n'y
a pas eu d'autre stratégie de répartition, à part pour les
Frères Rapetou à qui l'on avait réservé les
emplacements jugés meilleurs dans les quadras A et D (nous expliquerons
dans la partie suivante cette logique de fonctionnement par quadras).
38 Il s'agit de la loi n° 1.458 du 4 octobre 1986
39 Companhia de Desenvolvimento Rodoviário e Terminais do
Estado do Rio de Janeiro (Compagnie de développement des gares
routières et terminaux de l'État de Rio de Janeiro)
Plan du Mercaddo Popular da Uruguaiana dessiné par Augusto
Ivã en 1994
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N
La contribution de la Prefeitura résida
également dans la réalisation de quelques équipements tels
que des locaux de réunion, dans le but d'accueillir et de
reconnaître une potentielle association, ou un ensemble de responsables
du camelódromo. Des toilettes furent également
réalisées, ainsi que la mise en place d'une sorte
d'emblème sur un mur surplombant le camelódromo, annonçant
Mercado popular da U ruguaiana, « pour tenter de créer
l'illusion que c'était quelque chose de plus ou moins o ciel
»40. Par ce symbole le Mercado popular serait reconnu et
inclus dans la ville formelle. En n deux locaux clos, d'une trentaine de
mètres carrés chacun furent créés a n de servir de
dépôt pour le matériel.
40 Termes utilisés par Roberto Anderson Magalhães
lors de notre entretien en septembre 2008.
Quelques règles de fonctionnement furent
établies. Tout d'abord chaque camelot n'avait droit qu'à un seul
emplacement, qu'il louait, versant une taxe mensuelle à la Prefeitura.
De plus, ce Camelódromo devait être un espace de transition pour
les personnes les plus démunies, à savoir essentiellement les
chômeurs sans aucun revenu, à la charge de familles, etc. Cette
décision n'avait pas été imaginée
spécialement pour le Camelódromo. En e et, en 1992, face à
une forte croissance du commerce de rue, la chambre des vereadores
avait établi ce qui devait dé nir la classe des vendeurs
ambulants, a n de limiter la légalisation de cette profession à
une catégories de travailleurs en grande di culté. « Les
personnes habilitées sont déf nies par trois groupes: les
handicapés, ceux qui exerçaient déjà la dite
activité avant la promulgation de la loi, et les individus identif
és en situation précaire. Cette dernière catégorie
inclut toutes les personnes âgées de plus de 45 ans et
également les chômeurs qui comptent un temps d'inactivité
ininterrompu de plus d'un an, ainsi que les sortants du système
pénitencier »41
On a donc tendance à cataloguer le camelot comme un
marginal, en bordure du système dont les revenus servent à peine
à assurer la survie. C'est la réalité de certains, mais
comme nous le verrons plus amplement par la suite, les camelots peuvent
également correspondre à un tout autre type. Ainsi, l'objectif du
Camelódromo était de donner l'occasion aux plus démunis
d'obtenir un minimum d'argent à travers le commerce de rue en toute
légalité. Une fois remis à ~ ot le camelot devait quitter
le lieu se servant du tremplin o ert par le Camelódromo pour avoir une
réelle activité inscrite dans le système formel. Une place
se libérait alors et la Prefeitura pouvait la proposer à une
autre personne dans le besoin. Il est bien évident que rien ne s'est
produit de cette façon.
« Mais il y a eu beaucoup de problèmes, avec la
garde municipale, la police... Et ce qui s'est passé, c'est que ces
quatre quadras, certains disent qu'elles appartiennentt au métro, et
d'autres après ont dit qu'elles appartenaient à la Prefeitura, et
avec cette bagarre, ils ont foutu les camelots là dedans et ça a
fait le Camelódromo. »
(Evaldo - ex-agent de sécurité du
camelódromo- Entretien réalisé en octobre 2008)
Là ou réside la première
ambiguïté est dans le fait que le terrain, propriété
de l'Etat s'est vu attribué aux camelots par la Prefeitura. Cette
dernière s'est occupée de l'organisation mais entre ces deux
responsables, chacun se renvoie la balle quant à la gestion quotidienne
du lieu. Selon Roberto Anderson la taxe de droit d'occupation de l'emplacement
que les camelots doivent payer à la Prefeitura fut payée
uniquement la première année42. C'est ainsi que petit
à petit les camelots se retrouvèrent en quelque sorte seuls
maîtres à bord.
41 Extrait de la loi 1876/92 établie le 29 juillet
1992, citée dans la thèse de Silveira Marcelus Silva, Os
camelôs e o mercado popular da ru Uruguaiana: o ordenamento territorial
na area central do Rio de Janeiro, Niteroi (RJ), Thèse de doctorat
de Géographie de l'Universidade Federal Fluminense, 2002, p.82
42 Déclaration faite lors de notre entretien en septembre
2008.
Aujourd'hui le Camelódromo da Uruguaiana en centre
ville. Dé nition de quelques termes propres au Camelódromo
Il existe au sein du Camelódromo un certain nombre de
termes qu'il est important de dé nir. Pour quelques-uns, il m'a paru
plus simple de les conserver en portugais, pour d'autres, moins ambigus nous
passerons au français. A chaque fois il sera précisé sous
quelle forme nous les retrouverons au long du mémoire. Pour la plupart
des mots ce vocabulaire a été instauré par les camelots
eux mêmes, n'a rien d'o~ ciel, et est spéci~ que au
Camelódromo. Le connaître permet parfois d'éviter des
malentendus au cours des entretiens avec les camelots, mais, en ce qui concerne
ceux avec les clients, les dénominations sont nombreuses et souvent
hasardeuses.
Tout d'abord à propos de ce type de lieu de vente dans
sa globalité, il connaît plusieurs appellations. A propos de celle
de Camelódromo, comme déjà dit précédemment
ce terme n'existe pas dans le dictionnaire, il est cependant connu et
utilisé de tous. Dès la création de ces premiers centres,
on peut déjà lire le mot Camelódromo dans les journaux,
utilisé entre guillemets. Cela dit à cette époque le terme
o ciel était Centro Popular de Comércio (centre
populaire de commerce). Cette appellation n'est aujourd'hui plus
d'actualité.
Ainsi de nos jours Camelódromo, et
Mercado popular (marché populaire), sont les deux
termes les plus couramment utilisés pour parler de ce centre de
vente.
Dans le cas de notre marché étudié, nous
parlerons donc du Camelódromo da rua Uruguaiana, de même Mercado
Popular da rua Uruguaiana, et même parfois tout simple
Uruguaiana. On note ainsi que le simple nom d'Uruguaiana, qui
à la base est le nom de la rue ou il se trouve désigne
aujourd'hui ce lieu de vente lui même. Cette dernière appellation
est bien plus rencontrée lors des discussions avec des clients qu'avec
celles avec des vendeurs pour lesquels le nom Uruguaiana est resté avant
tout celui de la rue.
Le Camelódromo est composé de quatre parties,
qui étaient originellement des ilots, séparées par des
rues. Ces parties sont nommées quadras. C'est un terme
général qui désigne un espace rectangulaire. Elles portent
chacune une lettre, qui permet de les di érencier, nous avons donc les
quadras A, B, C, et D.
A l'intérieur des quadras, les camelots
possèdent chacun leur point de vente, appelé le plus souvent
box. Un box généralement est un petit espace
d'1,50 mx1,50 m, dans lequel s'organise le vendeur. Il réside une
ambiguïté dans le fait que box désigne à la fois la
boutique, et à la fois la mesure énoncée ci-dessus
(1,50x1,50). Cela complique donc la compréhension lorsque des camelots
se sont associés pour faire des boutiques plus grandes, expliquant ainsi
« mon box fait trois box ». J'ai choisi de conserver les mots quadra
et box ne sachant comment les traduire.
Ce point de vente est parfois désigné par les
termes barraca ou loja. Barraca
désigne une petite installation
précaire (et également
une tente) alors que loja est le terme utilisé dans le langage courant
pour désigner
54
Solto na Cidade - Uruguaiana
N
une boutique. Ces deux mots sont souvent utilisés par
les camelots se référant à leur point de vente et bien que
di érents de sens j'ai préféré les traduire tous
les deux par le mot boutique, étant donné leur
fonction. Cependant pour éviter toute réduction, lors des
retranscriptions d'entretiens je préciserai à chaque fois entre
parenthèse le terme utilisé en portugais.
Ces boxes sont regroupés en sortes de petits ilots qui ne
portent aucun nom à ma connaissance, par contre le vide qui les
sépare est nommé corredor (soit
couloir).
Il existe également de grands vides, que les camelots ont
pourvu de quelques plantes et bancs, donnant ainsi au lieu un caractère
de place publique. Ces espaces sont d'ailleurs appelés
places (praça)
En ce qui concerne les vendeurs eux mêmes, on discerne
deux familles, le camelo ou ambulante, et
le vendedor, comerciante ou
lojista. La première famille désigne ces vendeurs de rue
sans point de vente ~ xe, ou du moins o cialisé. Ils sont
considérés comme des personnes en marge du système,
à la situation précaire et au revenu très faible. Au cours
de ce travail je traduirai ces deux termes par celui de
camelot. Avec la sédentarisation des camelots dans les
camelódromos, certains de ces camelots se donnent un autre statut avec
les termes moins réducteurs de vendedor ou
lojista. C'est le nom donné aux vendeurs qui
travaillent dans des boutiques formelles. Pour ces deux termes j'utiliserai
ainsi en français celui de vendeur. Toutes ces
appellations sont avant tout une question de point de vue, comme nous le
verrons plus tard. En e et ils varient beaucoup suivant les interlocuteurs
rencontrés, et sont le re~ et de l'ambiguïté de la
situation.
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Figure 11: Vocabulaire du Camelodromo illustré
par l'exemple de la quadra C
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Vue Aérienne sur le Camelodromo
Organisation actuelle du Camelodromo - 2008
Situation géographique du camelódromo
A l'échelle de la ville, le camelódromo se situe
en plein coeur du centre de Rio, dans le quartier nommé Centro,
où il y occupe une super cie de 3 000 m2. Pour les raisons
qui ont été évoquées plus tôt, le Centro est
devenu le grand centre d'a~ aires où les activités principales
présentes sont le travail de bureau et le commerce qui rythment le
quartier.
Les limites principales du camelódromo sont
dessinées par la Rue Presidente Vargas, et la rue Uruguaiana. Deux rues
excessivement fréquentées, la première en raison du tra~ c
important (composée de 4 fois 4 voies), déversant chaque jour une
quantité impressionnante de travailleurs venant de tous les coins de Rio
et des villes voisines, et la seconde par son double rôle de rue
commerçante et de liaison directe jusqu'au métro Carioca.
Les rues autour de la rue Uruguaiana sont elles aussi
commerçantes, comme l'indique la carte ci-contre, qui fait état
des répartitions fonctionnelles de l'actuel Centro.
A l'arrière du camelódromo on rencontre un
complexe appelé SAARA43 , composé de la rue Alfandega
et ses rues voisines, qui ont toutes la même fonction exclusivement
commerciale. Depuis la rue Uruguaiana pour l'atteindre, les clients doivent
obligatoirement traverser les rues soit Alfandega, soit Buenos Aires, soit
Senhor dos Passos, qui en continuant forment le SAARA. Créant ainsi
là encore un fort passage quotidien au sein même du
camelódromo. Pour information, la population des travailleurs du SAARA
est essentiellement immigrante (à la base il s'agissait de la
communauté juive et arabe, mais par la suite sont arrivés
Coréens et Chinois qui actuellement sont majoritaires dans le SAARA.
Cependant, il est très rare de les rencontrer.
Généralement ils sont propriétaires des boutiques mais ce
sont des brésiliens qui y travaillent44). Nous le verrons
plus tard, ceci fut à l'origine de problèmes pour le
Camelódromo.
Il est important de souligner les convoitises et craintes que
génèrent le droit d'utilisation d'un terrain ,qui plus est d'une
telle super cie, en plein Centro. À la fois d'une valeur marchande
très élevée, due à la fonction du Centro car il
brasse une grande masse humaine, ce que recherche n'importe quel
commerçant, formel ou non. Et d'un autre coté, le vide qu'il
génère périodiquement implique une crainte
généralisée du Centro en soirée et le dimanche. En
e et le samedi les boutiques sont ouvertes mais ferment tôt (vers 18h),
et le dimanche, le Centro ressemble à une ville fantôme. Ainsi,
les locaux d'entrepôts créés pour la marchandise des
camelots furent dévalisés à répétition, si
bien que ces derniers furent obligés de s'organiser en
conséquence.
Encore un détail important pour comprendre ce qui fut
générateur du développement du Mercado popular da
Uruguaiana, fut que dès sa fondation ce dernier était
composé d'environ 1500 emplacements, ce qui était largement
supérieur à tout ce qui avait été plani~ é
lors des expériences antérieures de camelódromo.
L'objectif étant de se débarrasser d'un maximum de camelots en
une fois.
43 Nom donné au quartier qui vient en
réalité de l'association de commerçants qui y a
été fondée, et baptisée Sociedade de Amigos das
Adjacências da Rua da Alfândega (Société d'amis
des alentours de la rue Alfandega)
44 Cette analyse brève de la population du SAARA a
été faite par Roberto Anderson, mais elle n'a été
vérifi ée dans aucun écrit.
Evolution du camelódromo - Qui sont ses
architectes?
Actuellement, le camelódromo da Uruguaiana, connait un
succès chaque jour croissant. En décembre 2007, un article de
journal45 mettait en évidence qu'au-delà d'attirer
toutes les classes sociales confondues, de plus en plus de touristes passent
par le Camelódromo qui devient ainsi un pôle touristique.
Cependant, lorsque l'on écoute le discours des camelots, ce
succès était loin d'être gagné et une bonne
localisation à elle seule ne su sait pas, loin de là.
D'après même certains, l'objectif de la Prefeitura était
essentiellement de calmer les camelots un moment, mais en aucun cas de faire
fonctionner le lieu de vente, ceci dans l'objectif de le voir disparaître
à terme.
« Au départ les clients avaient peur, et à
cause de ça beaucoup de gents (camelots) ont abandonné les box,
mais aussi les box n'étaient pas comme ça. C'étaient des
petits stands, durant la journée, on devait pendre des trucs, des
petites cordes pour montrer tous les objets, un peu comme une petite cabane de
gardien, tu vois, avec des genres de ~ ls pour suspendre. Et alors la nuit, on
devait tout replier , mettre à un endroit et tout était
fermé avec un cadenas. »
(Evaldo - ex-agent de sécurité du
camelódromo- Entretien réalisé en octobre 2008)
A cause de l'aspect précaire qui n'inspirait pas con
ance, d'après le camelot cité ci-dessus, les clients ont mis deux
ans à pénétrer petit à petit au sein du
Camelódromo. Auparavant, seuls les vendeurs situés dans la
périphérie, c'est à dire bordant les rues, pouvaient
vendre. Camelots et Prefeitura ont tous deux saisi rapidement que pour attirer
du monde, des améliorations étaient nécessaires. La
Préfeitura a cherché à donner au lieu un caractère
de marché, et mis au point une norme d'aspect des petits stands des
camelots, comme le montre la photo prise en 1996. Ce fut la seule aide
municipale que connut le camelódromo, et c'est probablement pour cette
raison que les camelots dénoncent un manque d'investissement de la
Prefeitura pour ce lieu, voir même de sabotage. En e et, de nombreuses
réformes eurent lieu, et toutes furent faites par les camelots eux
même.
Il est di cile de déterminer exactement dans quel ordre
se sont déroulés les évènements, d'autant que tout
à été fait petit à petit, mais par logique on
imagine que la première amélioration fut celle du sol. Il s'agit
d'une grande dalle d'une quarantaine de centimètres, qui marque un
seuil, et qui fut carrelée. A cette même occasion les camelots
abattirent des murets, anciennes limites du parking, qui conditionnaient les
entrées, empêchant ainsi des accès directs pour les
clients
Par la suite, les stands de la Prefeitura furent
abandonnés, échangés par des box de métal et une
structure métallique également pour venir recevoir une
couverture. Ces deux éléments, sont en continuelle mutation. En
ce qui concerne la couverture, étant donné le budget
limité, elle fut faite petit à petit. Détail amusant, ces
périodes de travaux sont même devenues un marqueur temporel dans
le
45 Soler Alessandro (17 décembre 2007) «
camelódromo da Uruguaiana vende até cachimbos para fumar crack
», Globo, primeiro caderno, p.22
Solto na Cidade - Uruguaiana
Transformations du Camelodromo, en 1995, 1996, et 2008
58
vocabulaire des camelots; « ça c'était
à l'époque de la deuxième couverture... » . En
2008 on considère qu'il y a déjà eu quatre couvertures. La
première était précaire, en bâches plastiques, la
seconde en amiante, puis la troisième en fer, jugé plus
résistante. Les camelots se rendirent compte à leurs
dépends que le fer, conducteur de chaleur produisait un e et de serre
infernal, et installèrent une quatrième couverture, d'amiante
à nouveau.
« On n'avait pas d'argent. Si on appelait une entreprise,
qu'est ce qui allait se passer? L'entreprise allait nous faire payer
très cher, de l'argent qu'on n'avait pas. Du cou on a mis la main
à la pâte nous même On a commencé à le faire.
Le sol on a commencé à le faire aussi. Et ça a
été comme ça. Maintenant ça fait 14 ans et on
continue! »
(Felipe - Coordinateur à l'UNIO - Entretien
réalisé en septembre 2008)
Alors que les camelots avaient très peu de notions de
construction pour la majorité, on peut voir clairement qu'ils ont acquis
au ~ l du temps une expérience de construction et de gestion de
l'espace. Même si tous les travaux se chevauchaient dans le temps, en
règle générale, en ce qui concerne la couverture, ils
entreprirent les travaux en suivant l'ordre des quardas; la A, puis la B, etc.
Je dis en règle générale car certains
évènements comme des incendies ont amené certaines quadras
à être retraitées avant d'autres dont c'était le
tour. Ainsi on observe très nettement par exemple que les camelots ont
compris au fur et à mesure que l'espace était plus
agréable; plus lumineux et mieux ventilé, lorsque que la
couverture était plus haute. Celle de la quadra A,
réalisée la première est réellement située
à un niveau bas, à environ 3 m du sol. De plus lors de sa
réalisation, les camelots ont mis en oeuvre un faux plafond pour des
raisons esthétiques, mais ce dernier obscurcit l'ensemble. Cet
aménagement ne se retrouve dans aucune quadra. La quadra B a
déjà une couverture plus haute, mais l'e~ et attendu n'avait pas
encore été atteint (d'après Filipe, coordinateur à
l'UNIO). En e et, il n'est pas toujours évident d'appréhender
parfaitement ce que l'on s'apprête à créer. Cela dit, la
dernière quadra ayant béné~ cié de travaux,
à savoir la quadra C, pour des raisons d'incendie, semble avoir atteint
un certain niveau de confort. La couverture atteint en son maximum environ 8m
et les camelots ont innové avec des plaques de plastiques translucides
amenant de la lumière jusqu'au centre de la quadra. La couverture de la
quadra D a été commencée mais à l'heure actuelle
n'est pas encore achevée. Cela pose d'ailleurs de sérieux
problèmes lors des pluies abondantes aux quelles la ville de Rio est
confrontée lors des changements de saisons.
Lassés de devoir démonter et remonter chaque
jour leurs stands, ainsi que de ramener la marchandise chez eux, les camelots
on ~ ni par pérenniser leur espace de vente, en réalisant des
box. Ils sont généralement faits de métal, ou pour le
moins leur système de fermeture, par un rideau de fer qui se cadenasse
au sol. Les aménagements extérieurs varient suivant le goût
et l'activité du camelot. Nous reviendrons plus
précisément dessus au cours de la seconde partie. L'important est
de noter que dans ce cas encore, la construction a été faite
uniquement par les camelots.
Au niveau de l'organisation en plan, il y a eu peu de
transformations. Lorsque que l'on compare le dessin fait par Augusto Ivã
et l'actuel implantation des box, on constate que le tracé a
été peu changé, juste densi~ é en certaines zones,
mais l'organisation des couloirs « en peigne » a été
respectée partout mis à part dans la quadra B. On constate
l'apparition de nouveaux box qui, en règle générale,
viennent s'adosser contre des parois laissées vides, comme des murs
pignons (quadra A), des sorties de métro ou les locaux d'entrepots
prévus par la Prefeitura (quadras C et D). On comprend aisément
que certains espaces n'avaient pas été envisagés par la
Prefeitura lors de la ré exion sur le plan, et qu'une fois sur place les
camelots l'ont réadapté.
N
Figure 12:
Supperposition du plan projeté par Augusto Ivã (en
gris), et du plan actuel du Camelodromo.
Par contre, un phénomène en matière
d'organisation est à noter. Alors que la répartition des camelots
avait été faite à peu de choses près totalement au
hasard, ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui.
La répartition spontanée suivant la
marchandise
On remarque ainsi très clairement des regroupements par
thématique de vente dans chaque quadra: dans la quadra A, nous allons
essentiellement trouver des montres et des accessoires de portables. Dans la
quadra B on a là encore beaucoup de matériel électronique,
mais également informatique, jeux vidéos,
téléphones, etc. C'est également dans cette quadra que
l'on va rencontrer le plus de Cds et DVDs à bas prix (piratés).
Dans la quadra C on commence à rencontrer des vêtements
mêlés à la marchandise précédemment
citée, et en n dans la quadra D, l'essentiel de la marchandise est
d'ordre vestimentaire (vêtements, chaussures, accessoires de mode,
sacs)
Lors d'une discussion avec Filipe, un coordinateurde l'UNIO,
il m'expliqua que cette réorganisation volontaire n'est absolument pas
le fruit d'une plani~ cation imposée par qui que ce soit, mais celui
d'un arrangement entre les camelots.
« Par ce qu'il n'y avait pas 1600 personnes qui
acceptaient de travailler là à l'intérieur, par ce que
nous on vient de la rue. Dans la rue les gens passaient, en le voulant ou sans
le vouloir. Là non, les gens doivent aller à l'intérieur
à notre recherche. Tu comprends? Alors qu'est ce qui se passe. Petit
à petit se sont formés des groupes dans chaque quadra. »
(Felipe - Coordinateur à l'UNIO - Entretien
réalisé en septembre 2008)
J'ai longtemps cru que cela signi~ ait qu'il y avait eu des
échanges d'emplacements entre les vendeurs qui avaient souhaité
s'organiser. C'est au cours de discussions que je compris qu'en
réalité, suivant les demandes, les tendances par quadras, les
camelots réadaptaient totalement leur marchandise. Dit ainsi cela
paraît simple, en réalité cela implique une réelle
organisation, des alliances entres camelots qui décident de se lancer
dans un nouveau type de vente, cela n'a rien de spontané, et surtout
d'isolé Et lorsqu'un vendeur souhaite vendre un produit
déjà dominant dans la quadra, il doit avant tout intégrer
un réseau déjà existant.
« Si Dieu veut, on va changer tout ça l'année
prochaine.
Avec qui?
Avec des gens qui vendent, ici la vente est assez mauvaise
pour beaucoup d'entre nous, pour des gens qui vendent des cd, des dvd. On va
s'allier... Tu sais parfois apparaît quelque chose, tu sais comment
c'est. Des fois y a des quadra et il y a quelque chose qui se vend beaucoup. Et
le gars vient, il dit « j'ai besoin de ton box. Je vais te payer tant, je
vais voir l'association, et je vais vendre là. » C'est un peu comme
un loyer. Des fois ça le fait des fois non. (...) Des fois t'as besoin
de travail et des fois tu en a mais t'as besoin d'un local. Et hop, c'est bon.
Tu t'associes, tu gères... »
(Adex - vendeur depuis 7 ans dans la quadra D - Entretien
réalisé en octobre 2008)
tu une di érence de style de marchandises entre les
quadras? », les réponses sont très variées. En e et,
on ne peut pas dire que ce détail ait été remarqué
par tous les camelots. Alors que certains répondront sans
hésitation quelles sont les principales marchandises rencontrées
dans chaque quadra, d'autre ne feront aucune di érence, avec la
réponse récurante « é tudo igual »
(c'est tout pareil). Le détail encore plus étonnant est que
l'ancienneté et l'expérience du lieu ne semblent pas liées
directement à ces réponses. Par contre une di érence qu'un
certain nombre de camelots savent donner est le potentiel de vente des quadras.
La quadra A arrivant en tête et la D en dernier. Cette notion, par
contre, est connue par bien plus de camelots que les di érences de
marchandises.
Ainsi, nous avons vu qu'une succession de transformations
à savoir un zoning du centre ville ainsi que la forte production de
voies rapides ont conduit ce dernier a être totalement
déserté, devenant un centre d'a~ aires. Ce
phénomène allié à la crise des années 80 lui
a fait connaître une période de décadence au cours de
laquelle les métiers de l'informel se sont développés, et
parallèlement le nombre d'habitants des rues a particulièrement
augmenté. Au cours de cette décadence le centre s'est vu envahi
par de nombreux mendiants, qui peuplent encore actuellement le centre la nuit,
lorsque les bureaux ne sont plus en activité.
A partir des année 80 on commence à voir surgir
des projets qui tentent d'intégrer l'informel à la ville (de
façon plus ou moins vicieuse puisque par intégration on souhaite
l'éradication de façon douce d'un type d'architecture). Et ainsi
apparaissent les premiers projets de camelódromos à Rio de
Janeiro. Celui de la rue Uruguaiana ne pointe son nez qu'en 1994, mais est
à ce jour un de ceux qui fonctionne le mieux, et il a le mérite
de s'être développé par auto-gestion, par la seule
participation des camelots. Il est à ce jour intégré
à la ville de manière impressionnante.
Ainsi, nous nous apprêtons à aborder dans la
partie suivante, de quelle façon toute cette organisation s'est elle
instaurée. Nous allons donc pénétrer dans les coulisses du
Camelódromo, a n de savoir qui sont ses acteurs, quels sont les
processus d'organisation qui y sont mis en place. Comme j'y ai
déjà fait référence auparavant, une association,
dénommée l'UNIO est à la tête de ce
développement. Qu'est ce que l'UNIO exactement? Quel est son rôle
au sein du camelódromo et est elle réellement hors de
contrôle comme le stipulent souvent les journaux? A travers les
rencontres des acteurs du Camelódromo nous allons donc voir quels y sont
les fonctionnements internes, quelles y sont les règles, et quel est
l'impact que le Camelódromo a sur le ville.
65
2
Dans les
coulisses du
Camelódromo
II. Dans les coulisses du Camelódromo
Ce chapitre cherche à mettre en lumière la
façon dont les camelots se sont organisés au sein du
Camelódromo, quels processus ont été mis en place pour
rendre le lieu fonctionnel à la vente, et quelles en sont les
conséquences sur la ville formelle. On dit du Camelódromo qu'il
est hors de contrôle des autorités o cielles. Est-ce une
réalité? Quelles sont les règles en vigueur à
l'intérieur du Camelódromo? Au sein du Mercado Popular on compte
plusieurs échelles. Tout d'abord il existe une structure reconnue par
tous au sein du marché; l'UN IO. Il s'agit de l'association
créée par les camelots qui assure le fonctionnement quotidien du
lieu. Ensuite au sein des camelots eux-même, il existe d'autres formes
d'organisations, sur lesquelles l'UNIO n'intervient absolument pas. Il s'agit
essentiellement d'accords entre camelots qui sont à l'origine de
conséquences spatiales importantes, comme par exemple l'organisation des
marchandises par thème dont il a été question
antérieurement, les appropriations de l'espace,ou encore sur le rythme
de vie du Camelódromo.
Ainsi, nous allons tout d'abord nous pencher sur l'UNIO, a n
de savoir comment elle a été créée, sa forme
d'action et son rôle au sein de Camelódromo et dans la ville?
Par la suite nous aborderons les camelots eux même. Qui
sont ils? Comment occupent ils ce territoire devenu le leur? Que signi~ e
être vendeur du Camelódromo?
En n notre dernier regard se portera sur le rythme au sein du
Camelódromo et celui qu'il impose par voie de conséquence sur le
Centro qui, comme nous l'avions déjà noté, possède
quant à lui un rythme très spéci~ que.
L'UNIO - Pillier du fonctionnement du
Camelódromo.
Au fond de la quadra C, derrière un grand mur sur
lequel des lettres capitales vertes annoncent « associção -
Camelódromo » se trouve le siège de l'association de
Camelots, baptisée UNIO par ces derniers. Passé le porche nous
nous trouvons alors plongés dans un décor qui pourrait être
celui de Mad Max, où sont entreposés divers outils et
matériaux de construction, un peu e acés par les rayons d'un
soleil puissant tamisés de poussière et d'ombres marquées.
Des hommes à la mine peu engageante ne tardent pas à demander ce
que vous faites ici. La première fois que je suis entrée je me
suis dit qu'il était
Porche d'entrée de l'UNIO
peut être encore temps de revenir sur mes pas et de
changer de sujet de mémoire, avant de parvenir à retrouver dans
mon esprit le nom de la personne que m'avaient indiqués les camelots;
Rosalice, alias Alice, la présidente de l'association. On m'amena donc
dans son bureau. Rosalice, une femme de 47 ans au visage marqué,
m'expliqua entre deux ordres donnés à des hommes de petites
tailles qui semblaient courir dans tous les coins, qu'elle ne voyait pas
d'objection à ce que je travaille sur le Camelódromo, mais qu'il
ne fallait pas que je compte sur son aide. A force de discussions elle accepta
de me revoir d'un air agacé pour m'accorder un entretien qui ne durera
qu'une dizaine de minutes mais m'apportera quelques éclaircissements sur
le fonctionnement et le rôle de l'UNIO. Alors que je m'étais
résignée à me satisfaire des informations que j'avais
obtenues sur cet organisme, je ~ s un jour la connaissance de Felipe, le ~ ls
de Rosalice, qui est également un coordinateur de l'UNIO (j'expliquerai
par la suite ce qu'implique ce rôle). A l'inverse de sa mère,
Felipe, personnage imposant à l'allure joviale m'a o ert son aide avec
plaisir. Il a par contre toujours tenu à ce que nos rencontres se
fassent à l'extérieur du Camelódromo, et sa
première déclaration fut « Je sais de quelles
informations tu as besoins, et je te dirais ce que je sais que je peux te dire
». C'est à lui que je dois l'historique sur les
transformations du marché, celui de la création et des
transformations de l'UNIO, des explications détaillées sur les
rôles de chacun au sein de l'UNIO et du Camelódromo, et
également des informations nouvelles que je n'imaginais pas sur les
organisations entre les vendeurs de rue de Rio de Janeiro.
La faiblesse de ce qui s'annonce dans cette partie pourrait
venir du fait qu'elle soit essentiellement basée sur les dires d'actifs
de l'UNIO, limitant ainsi les points de vues. Des entretiens avec d'autres
personnes telles que Roberto Anderson, un ancien travailleur de l'UNIO, les
camelots eux-mêmes et des articles de journaux, m'ont permis d'avoir des
sons de cloches di érents. J'ai surtout tenté de faire ressortir
ce qui m'a paru le plus plausible pour mettre en lumière la force et les
failles de ce système, en faisant le tri dans les informations non
véri~ ées que l'on trouve notamment dans les journaux. En e et,
le Camelódromo fait régulièrement la une à propos
de son investissement dans la contrebande, ou encore à propos des
accusations régulières des camelots au sujet de l'UNIO qui les
exploiterait. Lorsque l'on veut comprendre quelles sont les limites de ce
système créé par les camelots on ne peut écarter
ces accusations, mais il faut les prendre avec parcimonie. D'autant qu'il m'est
arrivé de constater parfois par moi-même l'infondé de
certaines accusations écrites dans les journaux comme le Globo. Ainsi
cette partie a pour but de décrire des faits, quitte à laisser en
suspend certaines interrogations pour lesquelles chacun est libre de son
jugement. L'objectif est ainsi de comprendre qui compose l'UNIO, comment
fonctionne elle, quel rôle joue-t-elle au sein du Camelódromo,
quelles lois la régissent?
Présentation de l'UNIO ou Association de
Camelots
Alors que la Prefeitura semble s'être
désintéressée de l'organisation du Camelódromo de
la rue Uruguaiana et de son devenir, les camelots ont décidé d'en
prendre en main la gestion. Le résultat est plutôt spectaculaire,
et la question est donc, comment cette organisation s'est elle mise en place
?
Le retour des frères Rapetous. La continuité
d'une hiérarchie déjà établie.
A l'origine du Camelódromo, il existait une association
de camelots appelle ACAC-RJ (Association des Commerçants Ambulants du
Centre de Rio de Janeiro) qui fut o ciellement reconnue responsable de
l'organisation des camelots sur les terrains vidés par les travaux du
métro. Cependant, au sein du Camelódromo, un groupe d'actif
commença à prendre en main la réalisation des travaux dont
il a été question précédemment. A la tête de
ce groupe, un dénommé Alexandre Farias, qui était
déjà bien connu des camelots puisqu'il était l'un des
trois frères Rapetous, le groupe qui régnait auparavant sur la
rue Uruguaiana. Il est di cile de savoir si ce groupe s'est imposé comme
une évidence étant donné la localisation, ou si des a
rontements ont eu lieux comme au sein des précédents
Camelódromos. Dixit Rosa Alice, l'actuelle présidente de
l'association de camelots, l'UNIO a été fondée 2 ans
après la création du Camelódromo, soit en 1996, date qui
correspond au début des travaux mis en place par Alexandre Farias. Cela
dit, d'après la presse, c'est en 1999 que fut créée l'UN
IO, après une dispute entre Alexandre Farias et Antônio Perez, le
responsable de l'ACAC-RJ. C'est à ce moment là que le contact a
été rompu avec l'association qui était en lien direct avec
la Prefeitura.
Pour la petite histoire, en mars 2007, les forces de l'ordre
font une grande ra~ e dans tout le Camelódromo, ainsi que dans la maison
du président de l'association. Ce dernier est fait prisonnier,
accusé d'être à la tête d'un grand réseau de
revente de marchandises dites « pirates ». Il s'agit dans l'ensemble
de copies de CD et DVD, ainsi que de vêtements, tennis de marques falsi~
ées. Je n'ai pas retrouvée de traces quand et comment ce dernier
sortit de prison, mais le 18 mai 2007, Alexandre Farias se fait tirer dessus et
meurt alors qu'il était au volant de sa voiture.
Peinture réalisée sur un mur du Camelodromo,
représentant très certainement Alexandre Farias
Par la suite, la présidence de l'UNIO fut reprise par
Rosalice Rodrigues Oliveira, poste qu'elle occupe encore actuellement.
Le rôle de l'association au sein du
Camelódromo
Alors que l'on peut considérer que le Mercado popular
da Uruguaiana a atteint un premier stade satisfaisant en matière de
construction, le rôle de l'UNIO n'en est pas moins limité.
Même si à chaque incendie1, l'association est à
la tête de la commande des travaux, elle assume quotidiennement un grand
nombre d'autres tâches: elle est responsable de la manutention du
Camelódromo et notament des toilettes, créées par la
Prefeituera. Elle emploie donc une équipe de ménage qui
intervient chaque jour. Elle assure la mise en place d'un réseau
d'électricité, et son approvisionnement. De plus, depuis que les
camelots laissent leurs marchandises dans les boxes qu'ils ont
créés, une équipe de sécurité arpente 24h/24
les couloirs du Camelódromo. Pour tous ces services mis en place, les
camelots paient à l'UNIO une taxe baptisée contribution
sociale. Dans cette taxe sont également compris des services de
dentistes et d'avocats auxquels ont droit les camelots. Dans le pratique aucun
d'eux ne semble en pro ter, ou pour le moins je n'ai pas trouvé ceux qui
en béné~ cient. Mais il semblerait que ce soit par choix, ces
derniers
1 Jusqu'à ce jour, ont déjà eu lieu 3
incendies, le 11 février 2001, le 3 décembre 2001, 18 novembre
2007,
arguant qu'ils ont leurs habitudes ailleurs. Ils sont cependant
conscients que ces services sont à leur disposition.
Toutes ces équipes (nettoyages, sécurité,
dentiste, avocats), que Rosalice nomme les fonctionnaires de l'association
représente actuellement 57 personnes. Cependant, lors d'une discussion
avec l'un de ces anciens fonctionnaires, ce dernier met en avant certains
détails au sujet de ces personnes au service de l'UNIO :
« Chacun qui participe à l'amélioration
ici, le personnel (l'UNIO) lui donne un peu d'argent. Par exemple ici
c'était plus bas (le toit), on l'a surélevé. Ils ont fait
payé une taxe pour les box.
A cause des travaux?
Oui, à cause des travaux. Mais pour les travaux qu'est ce
qui se passe? Ce sont leurs « employés », genre...
Qu'est ce que ça veut dire?
Comment est ce que je peux te dire ça? C'est un peu comme
le tra~ c de drogue, ils ne peuvent que travailler à
l'intérieur...
Mais comment ça, tu veux dire que vous ne pouvez pas
venir et proposer des transformations à ceux qui en ont besoin?
Si bien sur tu peux, tu peux, mais je ne pourrais pas conseiller
mon maçon par exemple, je ne peux pas amener qui je veux pour faire
quelque chose ici, dans le Camelódromo. » (Evaldo - Un camelot
ex-agent de sécurité du Camelódromo - Entretien
réalisé en aout 2008)
Cette conversation met en évidence que toute la
structure mise en place pour donner un caractère formel à
l'ensemble ne sort en réalité pas du système informel.
Cependant, on ne peut nier que l'UN IO fasse preuve d'une certaine
volonté sur ce plan, et a réussi depuis peu à faire valoir
les emplois des agents de sécurité. Ils sont aujourd'hui sous
contrat, employés par l'UNIO, et cotisent ainsi pour leur retraite.
Pouvoir dire que l'on est sous contrat (carteira assinada) au
Brésil est une ~ erté particulièrement grande, preuve
d'une insertion dans le système formel et de réussite sociale.
Autre détail, cette conversation démysti~ e un
peu le système d'entraide concernant les milieux
défavorisés. Au Brésil il existe un terme ; le
Mutirão. Qui désigne ce que l'on pourrait appeler un
travail en coopérative ; un système d'entraide mis en place ou
chacun aide son voisin pour se voir aidé à son tour, et qui
provoque l'admiration de nombreux corps de métiers aux aspirations
utopistes. On attribue le succès du développement de certaines
communautés dans l'état de Rio (et probablement ailleurs
également) suivant ce principe de fonctionnement. Ce terme de
mutirão s'est vu attribué au processus de
développement du Camelódromo et par cette ré exion, notre
interlocuteur sous entend que le mutirão a fonctionné
aidé de certaines motivations. J'imagine que lors du commencement des
travaux, l'aide ~ nancière de l'UNIO n'a pas forcément
été présente tout de suite, mais on constate que
maintenant que le Camelódromo a atteint un certain niveau de
développement, des stimulations sont nécessaires.
Une autre ré exion, en ce qui concerne les
fonctionnaires, conserne la sécurité mise en place dans le
Camelódromo. Elle est composée de 20 hommes (5 par quadra) et est
totalement invisible aux yeux des clients. Moi-même qui ai
fréquenté les lieux très régulièrement ai
mis beaucoup de temps à les reconnaître. Il sont habillés
de façon tout à fait classique, mis à part qu'ils ont un
gilet noir sans manche, avec l'inscription Camelódromo,
discrète dans le dos. Autant dire que la communication est faible,
comparée au personnel de l'UNIO a ublé de T-shirt vert ou orange
suivant la fonction (coordinateur vert et directeur orange), avec l'inscription
UNIO en grosses lettres.
On peut se poser la question de l'intérêt d'une
telle discrétion. Comme le souligne Thierry Paquot, la
sécurité a un double objectif d'intimidation envers les personnes
mal intentionnées et de tranquillisation pour les clients qui
fréquentent le lieu, qui comme nous l'avions dit, ont mis du temps
à investir le Camelódromo. Or, Il a été
montré que c'est le sentiment d'insécurité, tout autant
que le nombre de crimes et délits commis qui diminuent par l'e~ et de la
présence visible des forces de sécurité 2.
Et l'invisibilité de cette sécurité induit un
sentiment d'insécurité toujours présent dans la tête
des clients :
« Bon, j'en ai seulement entendu parler, moi il ne m'est
jamais rien arrivé, mais ici dans le Camelôdromo on dit qu'il y a
beaucoup de pickpocket.
Ah bon?
Il ne m'est jamais rien arrivé, ni même à
quelqu'un que je connais, mais je sais que dans certains blocs3 il y
a beaucoup de pickpockets. Mais bon, je n'ai rien vu et rien ne m'est
arrivé
Et tu sais dans lesquelles ça se produit plus?
Non, je ne sais pas»
( Fabiano - un client - Quadra D - Entretien
réalisé en septembre 2008)
L'objectif premier de cette sécurité est de
protéger la marchandise. Il va de soit qu'il faut également
protéger le client car la réputation du lieu est en cause, mais
ce n'est pas une priorité. Grâce à ce service de
sécurité d'Uruguaiana, on est plus en sécurité dans
le Camelódromo que dans le centre ville lui même, mais un grand
nombre de gens l'ignorent. Par la discrétion de cette patrouille,
Uruguaiana a che clairement que sur son territoire les lois qui y ont
été établies sont mises en pratiques par leurs propres
représentants de l'ordre qui sont di érents du système
formel, tout comme le sont les lois en vigueur au Camelódromo.
Malgré tout, les confrontations avec la police sont fréquentes et
inévitables étant donné que nous sommes en plein centre
ville. La sécurité d'Uruguaiana reste e cace mais fait pro l bas
face à la ville formelle avec laquelle elle est continuellement en
contact. Elle est tout à fait à l'image de cette cohabitation
entendue entre le Camelódromo, son activité, et la ville de
Rio.
2 Paquot Thierry, Le quotidien urbain. Essai sur les temps
des villes, (Paris), Institut des villes, 2001.
3 Il a utilisé le terme bloco pour
désigner ce que nous appelons quadra, suivant le langage établi
par les camelots. On note par cette occasion que ce vocabulaire n'a pas encore
été acquis par tous.
Organisation au sein de l'UNIO
L'UNIO est organisée suivant un schéma
hiérarchique simple :
Le seul contact que les camelots ont avec l'UNIO se fait
à travers des coordinateurs qui sont leurs intermédiaires
directs. Leur tâche principale est de récolter la fameuse
contribution sociale. C'est un travail quotidien car il n'y a pas de jour
précis pour son règlement, chaque camelot passe un accord avec
l'UNIO. Le coordinateur est également chargé de recueillir toutes
les remarques de dysfonctionnements (électricité, matériel
défectueux), et en faire part aux directeurs qui s'occupent de les
résoudre. En n le grand rôle du coordinateur est celui de la
gestion de con its entre camelots, qui d'après Felipe, sont
réguliers.
Le président et le vice président sont
responsables du fonctionnement général, essentiellement de la
manutention (électricité, ménage, sécurité),
et s'attèlent donc à la gestion des équipes hors camelots.
Ces deux personnages représentent surtout le pouvoir au sein du
Camelódromo et sont les interlocuteurs directs des ou d'un quelconque
autre organisme souhaitant intervenir sur le Camelódromo.
Même si on ne sait pas exactement par quels moyens
Alexandre s'est retrouvé à la tête de l'UNIO, on se doute
que le réseau préexistant avant la création du
Camelódromo a du jouer. Aujourd'hui, on ne sait pas trop comment
Rosalice est arrivée au pouvoir ; si elle a été
élue ou si cela s'est fait d'un commun accord entre le personnel de
l'UNIO. Il est cependant établi que des élections doivent avoir
lieu tous
les 5 ans pour changer le personnel de l'UNIO si les camelots
le désirent. Cependant, depuis 15 ans l'équipe n'a jamais
changé. Rosalice faisait déjà partie de l'équipe
d'Alexandre et était connue de tous, elle occupait un poste de
directrice. D'après l'extrait suivant, on semble comprendre que la
première équipe de direction s'est faite par
auto-proclamation.
« Premier jour du camelodrome elle (Rosalice)
était déjà a l'intérieur, à participer
à tout. Donc elle a une voix très active à
l'intérieur. Alexandre, qu'est ce qu'il s'est passé? Il savait
qu'elle avait beaucoup de connaissances, et il l'a appelée pour
être directrice. Parce que là il faut avoir beaucoup de contact,
bien dialoguer, entre amis. »
(Felipe - Coordinateur à l'UNIO - Entretien
réalisé en septembre 2008)
Cetteéquipe ne semble pas près de changer,
même si lesjournaux relatent parfois destémoignages de camelots se
plaignant de l'attitude d'Alexandre qui exerçait sur eux du chantage.
D'après un sondage réalisé par l'UNIO elle-même,
cette dernière béné~ cierait de 95% des vois de camelots,
ce qui indique que pour l'instant l'équipe ne sera pas modi~
ée.
On peut malgré tout citer le nom de Periquito, un
camelot qui a créé sa propre association4, et qui
dénonce des abus que commettrait l'UNIO. A son sujet Felipe sourit et
lève les yeux au ciel.
« Il est fatigant, il ne veut pas reconnaître notre
travail. On discute beaucoup avec lui mais bon... De toute façon il n'a
l'appui de personne ici tu sais. Alors nous on lui fait comprendre... »
Les relations entre l'UNIO et les vendeurs du
Camelódromo
Il est assez di cile de statuer sur le regard que portent les
camelot sur l'UNIO. Toute une partie des travailleurs n'a pas de contact avec
eux, et pour ceux avec lesquels le contact existe, on sent parfois quelques
réticences à en parler, des sous entendus, des non-dits, mieux
vaut ne pas se mettre l'UN IO à dos.
Le rôle de l'UNIO n'est pas perçu par tous de la
même façon. Il y a tout d'abord toute une catégorie de
camelots qui est arrivée après la création du
Camelódromo qui reconnaît n'avoir aucun contact avec
l'association, et n'est même pas au courant des service que cette
dernière leur propose (dentiste notamment).
« Non, je n'ai pas trop de contact avec eux non. Parce que
moi j'arrive ici, je monte le box, puis je ferme les lieux et je m'en vais
d'ici. »
(Tiago, 21 ans- vendeur dans la quadra C depuis 1 an -
employé - Entretien réalisé en décembre 2007)
4 Assocação Legitima Entidade Grupo de Apoio aos
comerciantes do Mercado Popular do Centro do Rio. D'après l'article
Depois do incêndio, ânimos quentes, par Marcelo
Migliaccio, paru dans le Jornal do Brasil le 20 novembre 2007, l'association de
Periquito aurait l'appui de 80 box sur les 1500 du Camelódromo.
Ce style de réponse est assez systématique
venant de la part de personnes arrivée depuis encore peu de temps. En
règle générale, qui ne paie pas la contribution sociale ne
semble pas avoir de contact avec l'UNIO, mais les employés qui sont
présents dans le Camelódromo depuis un moment commencent à
entrer petit a petit au contact de cette association. Les rapports
décrits sont très conviviaux.
« Et quelle est ta relation avec l'association de
camelots? Tu as des contacts avec eux? Oui, des bonnes relations, et
nombreuses.
Nombreuses, et de quel type?
Des conversations... On discute beaucoup.
Et tu trouves qu'ils arrivent à améliorer les
conditions de travail ici? Ou c'est plutôt des relations amicales que tu
as avec eux?
Oh, plutôt d'amitié, oui d'amitié. »
(Fernando, 18 ans - vendeur dans la quadra D depuis 4 ans -
Entretien réalisé en décembre 2007 )
En n les camelots qui ont vu naître l'UNIO et savent
comment elle fonctionne lui portent un regard di érent. Cela dit,
généralement ceux qui semblent éprouver du
désaccord avec le fonctionnement de l'UNIO, préfèrent
être brefs à ce sujet, et cet extrait d'entretien est le seul qui
soit une dénonciation réellement explicite.
« Par exemple tu bois une bière, tu paies la
quantité que tu dois, d'accord? Ben nous on paie la quantité
d'électricité qu'on utilise. Et ils prennent de l'argent,
ça a un prix. C'est comme dans la maison ou j'habite, il faut bien payer
ce qu'on utilise. Et ici certains utilisent et on abusent. Tu comprends?
Ah oui? Mais s'il y a quelqu'un qui veut se plaindre de
quelque chose, comment il fait? Il va à l'association.
Mais tu ne peux pas te plaindre d'eux même...
Alors là tu peux prendre des coups, perdre ton point de
vente... »
(Evaldo - Un camelot ex-agent de sécurité du
Camelódromo - Entretien réalisé en aout 2008)
On peut lire de nombreux témoignages dans les journaux,
où les camelots accusaient Alexandre Farias de les forcer à
entrer dans des réseaux de piraterie etc. Toutes ces accusations sont
à prendre avec précaution comme je l'ai déjà
signalé, cependant il faut en avoir conscience. L'équilibre du
Camelódromo repose sur les épaules de L'UNIO, c'est un fait, et
les camelots sont conscients qu'ils lui doivent le bon fonctionnement quotidien
du lieu. Cela dit, Roberto Anderson avait fait à juste titre la
remarques suivante « Quand tu es hors la loi, dans
l'irrégularité, ça donne une marge pour beaucoup d'autre
irrégularités, notamment d'exploitation, à
l'intérieur même du marché, certains en exploitent
d'autres. » . C'est malheureusement ce qui semble e ectivement se
passer au sein du Camelódromo.
75
L'UN IO et la ville de Rio de Janeiro
Ainsi, l'organisation du Camelódromo a
été prise en main par une association, ce qui a été
béné~ que pour toute une série d'éléments,
le confort des camelots ainsi que leur sécurité et celle des
clients. Cela su t il à apaiser les craintes dont il a été
question plus hauts par les usagers de la ville formelle?
Regard des commerçants de la rue sur le Mercado
Popular da Uruguaiana
En face de l'entrée principale du Camelódromo,
dans la rue Uruguaiana se trouvent essentiellement des boutiques de la grande
distribution d'électroménager. Des conversations avec leurs
vendeurs semblent mettre en lumière qu'ils sont tout à fait
satisfait de ce qu'à fait l'UNIO du Camelódromo aujourd'hui. En
réalité ils ne sont pas très au courant de qui a fait
quoi, attribuant une grande responsabilité à la Prefeitura.
Cependant, la situation actuelle, leur semble une parfaite réussite,
malgré les accusations qu'ils sont habitués à lire dans
les journaux au sujet de la marchandise trouvée dans certains box.
En premier lieu, ils sont très satisfaits de ne plus
sou rir d'une quantité de camelots sur leur trottoir, ce qui
empêchait l'entrée des clients dans la boutique. De plus l'e~ et
obtenu est double, puisqu'en plus de cela, le Camelódromo amène
une quantité indéniable d'acheteurs supplémentaires
à leurs magasins. Comme la marchandise proposée au
Camelódromo est totalement di érente de la leure, il n'y a pas de
concurrence.
« Il sont attirés par le Camelódromo parce
que les prix sont vraiment attractifs. Mais du coup quand ils sortent, ils
viennent faire un tour chez nous. Oui, il y a vraiment un ~ ux plus important
maintenant. Et le samedi, quand il y a moins de boutiques ouvertes au
Camelódromo on sent qu'il vient moins de monde»
(Ivone - Gérante du Ponto Frio - Entretien
réalisé en Janvier 2008)
Par ailleurs ils savent que pour l'occupation du lieu les
camelots paient une taxe à la Prefeitura. Certes ce n'est plus le cas et
actuellement la seule taxe qu'ils paient va à l'UNIO mais la sensation
d'une justice rétablie a été cependant formulée.
« Moi je vois ça comme un manque de respect. Ils
viennent sur mon trottoir et vendent leur marchandise, alors que moi, faut pas
croire, je paie des taxes pour pouvoir vendre. On fait pas ce qu'on veut !
Là comme ça, ils sont régularisés, et pour
ça ils paient à la Prefeitura, ça me paraît normal.
»
(Mario - Gérant du Danùbio - Entretien
réalisé en Janvier 2008)
Quelques vues sur la rue Uruguaiana
Comme ce Camelódromo est une initiative de la
Prefeitura, sa légalité n'est absolument pas remise en cause. A
ce sujet certains estiment également que le lieu est très
stratégique pour que la Prefeitura garde le contrôle sur les
camelots, car cette dernière n'en est pas très
éloignée. Cela fait probablement référence aux
expériences précédentes de Camelódromos où
ces derniers étaient placés dans des lieux très
éloignés du centre. Après quelques recherches, il n'est
pas exclu que ce vendeur pouvait faire allusion à d'autres organismes:
le Secrétariat de Sécurité publique de l'Etat situé
à à peine 100 mètres du Camelódromo, et le
siège administratif du Gouvernement municipal situé à 1
km. Ces deux corps du pouvoir ont été cités lors d'un
article paru dans le Globo5, signalant que ces derniers maintenaient
une surveillance constante sur le Camelódromo...
Y a-t-il quelqu'un qui contrôle l'UNIO?
Les schémas ci-contre montrent pour l'un quel est le
système théorique mis en place, censé contrôler le
bon fonctionnement du Mercado Popular da Uruguaiana et pour l'autre une
approche de la réalité qui se produit.
Figure 14
5 Uruguaiana, le marché sans loi ? En
référence à l'article de journal écrit dans le
Globo le 20 juin 1999 « O mercado sem lei da Uruguaiana criado pela
prefeiura » par Antônio Werneck
Par un simple regard on constate un premier fait : alors que
le Camelódromo devrait être au centre de ce schéma, c'est
l'UNIO qui a usurpé sa place et a pris le contrôle du Mercado
Popular. Même si le terrain est propriété de l'état,
c'est la Prefeitura qui en est la responsable o cielle et qui doit prendre en
main la mise en place des camelots et assurer le fonctionnement. Ainsi elle
doit contrôler la marchandise, avec l'aide de la garde municipale, et la
bonne application des règles mises en place, ainsi que le
prélèvement de la taxe d'occupation du sol par les camelots.
Lorsque l'on regarde le second schéma, tout contact entre le
Camelódromo et la Prefeitura semble rompu alors que plusieurs
entrées étaient prévues, avec l'ACACRJ6 dont
elle avait le contrôle, ou encore la garde municipale qui se fait
régulièrement corrompre, mais fait cependant quelques descentes
de principe de temps à autres, fermant ainsi le Camelódromo pour
la journée et embarquant de la marchandise7. En ce qui
concerne le contrôle de l'application des règles ~ xées par
la Prefeitura, cette dernière a prévu un secteur à cet e
et, nommé Contrôle Urbain, avec à sa tête un
dénommé Lucio Costa.
« Lucio Costa est un personnage très curieux,
parce que il était le chef de la ~ scalisation. Au départ il
était un contrôleur ~ scal. Et petit à petit il est devenu
le chef de la troupe de choc des contrôleurs ~ scaux, qui était un
groupe qui devait véri~ er que les ambulants occupaient le lieu de forme
régulière. C'est pour ça qu'ils ont créé un
groupe uniquement pour ce type d'ambulants, dont Lucio Costa était le
coordinateur. Je me souviens de lui, quand il arrivait pour réprimander
les camelots, avec une pince gigantesque, comme dans Orange Mécanique,
« allons y !! » et il coupait les ~ ls électriques, il jetais
dehors ceux qui n'étaient pas à leur place... Mais à
partir d'un certain moment il a commencé à créer une
alliance avec les vendeurs, et maintenant il est devenu le candidat des
camelots pour être vereador8. »
(Roberto Anderson - Prefeitura- Entretien réalisé
en septembre 2008)
Cette candidature est très récente puisque les
élections ont eu lieu début août 2008. Lucio Costa n'a
d'ailleurs pas été élu. Pour pouvoir être candidat
il avait du abandonner son poste au contrôle Urbain et une
remplaçante vient de prendre sa suite. La relation entre l'UNIO et le
Contrôle Urbain pourrait évoluer, changeant de responsable.
Cependant, Roberto Anderson reste très sceptique, car les
autorités supérieures (la Prefeitura) ne semblent pas se
préoccuper de la question outre mesure.
« En vérité je crois que il y a eu une
erreur qui fut la suivante. La mairie voulait se débarrasser
d'un
problème, et une fois qu'ils ont réussi à les placer dans
le terrain, ils s'en sont lavé les
6 Associação dos Comerciantes Ambulantes do Centro
do Rio de Janeiro. Association des vendeurs ambulants du centre de Rio de
Janeiro offi ciellement reconnu par la Prefeitura.
7 Isabela Kopke (8 janvier 2002) « Blitz no
Camelódromo », Globo, p.10
Leslie Leitão et Mohamed Saigg (14 mars 2006) «
Camelódromo é interdito », Globo, p.9
8 Comme une sorte de chef de quartier. Cf partie I, introduction
de « Les architectes et urbanistes de la Préfeitura en action
»
mains et ne voulaient plus trop avoir de contrôle là
dessus. »
« Je crois que la Prefeitura a
préféré s'occuper des camelots qui sont dans la rue, et
considérer le Camelódromo comme un problème mineur. Ils
sont là à l'intérieur, ils se débrouillent.
Ça leur donne moins de problème. »
(Roberto Anderson - Prefeitura- Entretien réalisé
en septembre 2008)
D'après Roberto, cette taxe ne fut payée que la
première année, et avec les travaux réalisés par
les camelots, ces derniers se sont petit à petit
auto-déclarés propriétaires, et il est actuellement
impossible de leur réclamer une taxe. Et il est vrai que lorsque le l'on
discute avec Rosalice, la taxe de contribution sociale que paient les camelots
chaque semaine ne sert o ciellement pas à couvrir un quelconque droit
d'occupation. Ce pendant une discussion avec un camelot qui fut agent de
sécurité à l'UNIO a sous entendu une autre
vérité.
« Mais la Prefeitura, qu'est ce qu'elle fait
ici?
Rien
Rien?
A part rester bien tranquille, prendre sa petite part et se
taire. »
(Evaldo - Un camelot ex-agent de sécurité du
Camelódromo - Entretien réalisé en aout 2008)
Robertoavaitlui aussifaitallusion aufaitqu'en
réalité, mêmesi la Prefeitura netouchaito~ ciellement aucun
revenu pour le prêt du terrain, il était très probable que
certaines personnes responsables touchent des « dédommagements
» pour laisser le Camelódromo fonctionner tranquillement. On peut
imaginer expliquer ainsi l'attitude de Lucio Costa qui a su voir un
intérêt personnel plus important du coté des camelots que
du coté de la Prefeitura.
D'autres organismes pourraient être également
susceptibles d'avoir une relation avec l'UNIO. Il existe un Syndicat des
Vendeurs Ambulants de Rio de Janeiro. Ce syndicat a un rôle
d'intermédiaire entre la Prefeitura et les vendeurs ambulants. La
Prefeitura a notament mis à leur disposition des locaux dans tout le
centre ville où les ambulants doivent entreposer leurs stands
démontables prêtés par la ville. J'avais imaginé
qu'un lien aurait pu exister entre eux et le Camelódromo, étant
donné l'origine des vendeurs, et la responsable a reconnu qu'il a
existé autrefois un contrôle e ectué sur le lieu (je me
demande si ce syndicat n'est pas l'ancienne Association des Commerçants
Ambulants du Centre). Cependant actuellement, le contact avec l'UNIO est
aujourd'hui totalement rompu, et certains détails de la conversation
laissent à imaginer qu'elle ne mentait pas...
« Non, tu sais, nous on ne contrôle absolument pas
ce qui se passe là bas. Si tu veux des informations tu y vas et ils ont
une association, tu demandes un certain Alexandre... Alexandre je ne sais plus
comment, c'est lui qui gère ça.
Alexandre Farias? Il est mort il y a deux ans.
Mais non... Ou alors peut être et son remplaçant
dans ce cas c'est un autre Alexandre » (Dona Simone - Présidente du
Syndicat des Vendeurs Ambulants du Centre de Rio de
Mars 2006 -Le Camelodromo fermé un jour
de contrôle de police - Alexandre Farias, déclaré
le cerveau du plus grand réseau de contrebande à Rio, pris
par la police
|
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Janeiro - Entretien réalisé en octobre 2008)
Au même titre que pour certains fonctionnaires de la
Prefeitura, il semblerait également que d'autres organismes exercent un
contrôle sur le Camelódromo. La proximité avec le SAARA a
été, et pourrait être encore un réel
problème9. Comme nous l'avons évoqués plus
tôt, la population du SAARA est essentiellement immigrante, et compte une
grande quantité d'asiatiques. Le Camelódromo est devenu un lieu
de revente de marchandise de contrebande (CD et DVD pirates, vêtements de
marques falsi~ ées), issue de la ma a chinoise, et l'ancien
président Alexandre Farias avait été accusé d'avoir
assuré 20% des boxes du Camelódromo pour le stockage et la
revente de la marchandise. Par ailleurs, des moyens de pressions peu scrupuleux
de la part de cet organisme ont été dénoncés,
spécialement les incendies.
Alors que l'UNIO paraît e ectivement hors de
contrôle de tout organisme o ciel, elle est à ce jour reconnu au
sein du Camelódromo comme un représentant de la loi au même
titre que la Prefeitura, voire encore de plus forte importance, étant
donnée l'intérêt manifesté par cette dernière
à leur égard. Par contre, c'est à ce moment là que
l'on constate qu'en perdant le contrôle des terrains, la Prefeitura a
créé un lieu où l'illégalité d'occupation de
l'espace est parfaitement tolérée, ce qui a engendré
l'ouverture sur des illégalités beaucoup plus importantes, et sur
lesquelles la prise de pouvoir semble encore plus délicate.
9 Silva da Silveira Marcelus, Os camelôs e o mercado
popular da rua Uruguaiana: o ordenamento territorial na area central do Rio de
Janeiro, Niteroi (RJ), Thèse de doctorat de Géographie
à l'Universidade Federal Fluminense, 2002
Être camelot à Uruguaiana.
Comme il a été évoqué dans la
première partie, le métier de camelot est vu par la
majorité de la population comme un métier marginal. Cependant
être vendeur au Camelódromo est pour ses travailleurs un symbole
de réussite. La situation est assez ambiguë ; à la fois
faisant partie de la grande famille des camelots, tout en étant sortis
de la rue, ces vendeurs semblent occuper plusieurs statuts. Qui sont donc les
vendeurs du Camelódromo ? Se sentent ils di érents des vendeurs
ambulants maintenant qu'ils se sont sédentarisés ?Quel est leur
quotidien ? Cette sédentarisation ouvre-t-elle une porte vers de
nouvelles activités? Toute une série de questionnements qui nous
permettront de mieux comprendre ce que signi~ e être vendeur à
Uruguaiana.
Cette partie est les fruit de nombreux entretiens avec les
camelots. Les questions posées étaient alors très simple,
basées sur le mode d'arrivée dans le Camelódromo, les
notions d'identités, d'appartenance et de limites du lieu, et en n la
capacité d'orientation des camelots au sein de ce labyrinthe. Ces
premiers essais furent concluants uniquement en ce qui concerne la notion
d'identité et leur regard sur les vendeurs ambulants qui opèrent
aux alentours. J'avais l'espoir que de nouveaux thèmes apparaitraient au
cours des entretiens, mais lors de cette première étape les
camelots se sont montrés relativement mé~ ants. Avec le recul, je
me dis que commencer par des entretiens fut une grosse erreur. En e et,
à partir du moment ou j'ai commencé à faire des
relevés, ou encore des exercices de cartes mentales, un nouveau type de
dialogue s'est instaurés avec les camelots, qui à leur tour ont
commencé à me poser leurs propres questions. Une nouvelle forme
de relation a vue le jour dans laquelle ces derniers se sont sentis bien plus
à l'aise, et m'ont livré de nouvelles informations, notamment en
ce qui concerne les associations intra-camelots, ou encore les réticence
face à l'intouchable UNIO. En n le simple fait de devenir un
élément du quotidien pour les camelots a probablement joué
dans le gain de con ance qui s'est opéré un peu plus chaque
jour.
Qui sont les vendeurs du Camelódromo ?
« Ça n'a jamais été fait, mais si on
faisait un recensement de tous les gens qui travaillent aujourd'hui dans le
Camelódromo, et qu'on le comparait avec la liste des camelots
enregistrés en 94, je pense que l'on ne retrouverait pas beaucoup de
monde ».
(Roberto Anderson - Prefeitura- Entretien
réalisé en septembre 2008)
Pas si sur mon cher Roberto...
Roberto Anderson n'a pas tout à fait tord en faisant
cette a rmation, dans le sens où entre 1994 et aujourd'hui, les
travailleurs d'Uruguaiana ne sont plus tout à fait les mêmes. Bien
évidemment, je ne me suis pas amusée à demander à
chacun des travailleurs des 1600 box depuis combien de temps ils travaillaient
dans le Camelódromo, mais la question a été posée
au cours de chaque entretien réalisé (soit
un échantillon de 25 personnes), et je pense qu'il est
déjà possible de tirer quelques conclusions.
Avant toute chose il est important de dé nir exactement
ce que veut dire Roberto par « tous le gens qui travaillent
aujourd'hui dans le camelódromo ». Si par cette expression il
désigne les travailleurs qui peuplent de leur présence ce lieu,
c'est e ectivement un fait. Si par contre il fait allusion aux travailleurs qui
chaque mois touchent de l'argent par la vente de marchandise dans l'espace qui
leur a été attribué, alors je pense pouvoir dire que c'est
tout le contraire. La majorité des camelots qui se sont vus attribuer un
emplacement à Uruguaiana a su en tirer parti, et rare sont ceux qui n'y
sont plus liés. Lorsque Roberto a fait cette supposition, nous parlions
du fait que les camelots se soient déclarés propriétaires
du lieu (nous reviendrons sur cette notion un peu plus tard dans cette partie),
et qu'ils revendaient leurs emplacements pour des sommes astronomiques. En
réalité je n'ai personnellement rencontré aucun camelot
qui ait pu me dire qu'il avait racheté un boxe, et les chanceux qui ont
obtenu un emplacement ne sont pas près de l'abandonner. Au cours des
mois passés là bas, j'ai connu un camelot qui avait
renoncé à son boxe, Brad, et il n'avait pas quitté le
Camelódromo pour autant. Nous reviendrons sur son cas par la suite.
Les anciens et leurs héritiers
Quinze ans après la création du
Camelódromo, il est normal que sa population ait changé.
Cependant, il n'est pas rare de rencontrer quelqu'un qui puisse se vanter
d'avoir participé à l'aventure Uruguaiana depuis son origine. Un
certain nombre de camelots tirés au sort aujourd'hui sont encore
présents, et ont généralement emporté avec eux de
la famille. Cela n'a rien de très étonnant car au fur des
conversations on réalise qu'être camelot n'est pas qu'un choix
face à un manque de travail, c'est aussi une histoire de famille. Aussi
bien dans le Camelódromo que dans la rue. Il n'est pas rare que les
parents se fassent aider par leurs enfants, quittes à les laisser
responsables du point de vente au bout d'un certain temps. On notera au passage
que ce fonctionnement familial est général, puisqu'on le constate
également au sein de l'UNIO ; rappelons le, Filipe, qui a
été mon principal contact avec l'association de camelots, est le
~ ls de Rosalice la présidente.
« Je travaille ici depuis très longtemps. C'est mon
père qui a commencé ici il y a 17 ans. Ici c'est une boutique
de famille?
De mon père oui. Je travaille ici parce que j'aime bien
venir ici, et puis mon père m'a appelé pour que je vienne
travailler avec lui, et je suis venue l'aider. »
(Kelly , 17 ans- vendeuse dans la quadra C depuis 14 ans -
Entretien réalisé en janvier 2008)
« C'est ma tante qui été propriétaire
du point ici. Elle est décédée, et mon oncle m'a
proposé qu'on vienne travailler ici du coup »
(Deivid, 29 ans- vendeur dans la quadra B depuis 1 an et demi -
Entretien réalisé en septembre 2008)
Un vendeur de la quadra A
« Non, mais c'est parce que le chef ici, le chef ici c'est
mon cousin. Il a déjà une fabrique, la fabrique est à lui.
J'ai déjà travaillé pour lui, depuis longtemps »
(Fernando, 18 ans - vendeur dans la quadra D depuis 4 ans -
Entretien réalisé en décembre 2007)
Dans le Camelódromo où les lois sont bien di
érentes de celles du système formel, celle de la relation
familiale ou encore amicale est essentielle. Certes on ne peut pas nier que
quelque-soit le monde auquel on appartient il existe toujours ces
réseaux non dits. Mais à Uruguaiana, il semblerait que ce
réseau soit la seule et unique clé d'accès reconnue pour
pénétrer dans l'univers de ces vendeurs.
Couloir de la quadra D
Les employés ordinaires
Ces anciens ne travaillent généralement plus
tous seuls. Il est courant de rencontrer un camelot qui a sous son aile
quelques employés. De plus il n'est pas rare que ces camelots aient
généralement plusieurs casquettes, et que le boxe qu'ils
possèdent a Uruguaiana soit un point d'entrée d'argent parmi
d'autres. Ainsi on rencontre souvent des employés qui donnent l'illusion
d'être des vendeurs indépendants alors qu'ils sont employés
d'un autre camelot qui exerce ailleurs, parfois dans le Camelódromo mais
parfois aussi à l'extérieur. Dans ce cas présent, on ne
peut donc pas dire que le camelot qui s'est vu attribuer un emplacement y ait
renoncé. Il en pro te pour le rentabiliser de la manière qui lui
convient le mieux, en employant une autre personne. Ainsi le camelot devient un
patron par le simple fait qu'il se soit vu attribuer un emplacement. Ce cas est
très répandu dans Uruguaiana.
Une fois encore, le réseau famille-amis semble primordiale
pour accéder à ce statut d'employé dans le
Camelódromo.
« Ici je suis employé.
Comment est ce que tu es arrivé ici?
Ici j'ai été présenté par
l'intermédiaire d'un gars qui habite dans ma rue. Il travail
déjà depuis un moment ici.
Vente de vêtements dans la quadra C
Il travaille ici?
Non, ici même non. Dans le camélodromo, mais dans
une autre boutique qui est dans une autre quadra. Après il m'a
présenté le gars, et j'ai commencé à travailler.
»
(Tiago, 21 ans- vendeur dans la quadra C depuis 1 an - Entretien
réalisé en décembre 2007)
« Je suis arrivée ici par contact avec des amis. J'ai
rencontré quelqu'un à une fête, il m'a parlé d'ici
et il m'a indiqué. Et maintenant je travaille ici.
Qu'est ce que tu faisais avant?
J'étais employée au mac donald. »
(Mikael, 27 ans - vendeuse dans la quadra B depuis 2 ans -
Employée - Entretien réalisé en janvier 2008)
Parmi ces employés il a été très
fréquents de rencontrer des étudiants qui travaillent dans le
Camelódromo de façon temporaire, le temps de ~ nancer et terminer
leurs études, ce qui est le cas de l'interlocutrice ci- dessus.
A propose de ces patrons, je sous-entends qu'ils sont tous des
camelots de la première génération qui a été
tirée au sort, car c'est la réponse que j'ai obtenu lors de mes
entretiens. Cela dit en 1999 on pouvait lire que les camelots revendaient leurs
boxes10, comme y faisait allusion Roberto Anderson... Cette
éventualité n'est certes pas exclue mais je n'y ai quasiment
jamais été confrontée. Je dis quasiment car une de mes
conversations avec un des camelots m'a laissé pensé qu'il pouvait
s'agir d'un de ces « nouveaux propriétaires » :
« Ça fait 7 ans que je suis là
Tu as acheté ce boxe ?
Alors là on arrive dans une partie que je ne peux pas te
parler.
Pourquoi ?
Parce que non. C'est déjà quelque chose de
personnel, qui ne regarde que moi. C'est entre guillemets personnel. Moi je
veux bien t'aider à faire ton travail, mais pas sur ce qui concerne ma
partie personnelle. »
(Adex- vendeur dans la quadra D depuis 7 an - Entretien
réalisé en octobre 2008)
Le fait qu'il soit ce pendant un des ces « nouveaux
acheteurs » n'en est pas pour autant évident, cependant,
étant donné que le simple fait de passer un accord de location
avec le propriétaire du boxe est déjà vu comme une fraude,
ce camelot aurait pu vouloir simplement rester discret sur une situation de
locataire similaire à tant d'autre, qui sont ceux que je quali~ e
de...
La nouvelle génération de camelots
Pour ce dernier cas de camelots, il s'agit de vendeurs,
généralement jeunes qui, par manque de travail et/ou simple prise
d'initiative personnelle, décident de fonder leur propre entreprise de
vente. Ces personnes sont des vendeurs indépendants qui n'ont rien
à voir avec les employés évoqués
précédemment. Pour des raisons de facilité et de
stratégie commerciale, ils choisissent de louer un local dans le Mercado
Popular.
Pour trouver un boxe libre dans le Camelódromo, il faut
avoir ses entrées. Et aussi étonnant que cela paraisse, le
passage par l'UNIO est une possibilité et non une fatalité. La
transaction peut se faire directement avec le « propriétaire »
légal du boxe, ce qui explique pourquoi même l'association de
camelots ne possède aucun registre des travailleurs du Mercado popular.
Mais là encore, attention ! Un camelot ne vend pas son box, il le loue,
bien que ce soit interdit par la Prefeitura.
1 0 Werneck Antônio (20 juin 1999) « O mercado sem
lei da Uruguaiana », Globo, primeiro caderno, p.12
« J'avais un ami qui travaillais ici, et il nous disait
tout le temps, pô, allons travailler là, vous allez gagner de
l'argent. J'ai un bon plan pour vous si vous voulez gagner vraiment de
l'argent. Etc etc. Et de là, on y a cru, on s'est regroupés
à trois amis
Vous êtes trois?
Oui c'est ça.
Ça coûte cher d'avoir une boutique ici?
Non. Tu loues. Tu paies un loyer par mois. Nous on paie 200 reais
»
(Wellington, 21 ans- vendeur dans la quadra D depuis 3 semaines -
Entretien réalisé en décembre 2007)
Quelques chi res sur les travailleurs d'Uruguaiana
Le tableau ci joint fait un compte rendu des informations
tirées de 25 entretiens réalisés, relatant la quadra
où le camelot exerce, son ancienneté, à quelle
catégorie de camelot il appartient d'après les critères
établis ci-dessus, et par quels moyens il est entré dans le
Camelódromo. Il faut prendre ces résultats avec précaution
car il s'agit d'un très petit échantillon de travailleurs face
à la quantité présente. D'autant qu'il y a bien plus de
travailleurs que de box, il n'est pas rare de rencontrer un box où
travaillent le patron et ses employés, ou encore des associés. Le
patron d'ailleurs n'est pas nécessairement présent dans le boxe,
et nomme alors un gérant responsable du box. Ainsi, à chaque fois
que l'on trouve le mot « employé », il y a fort à
parier que le patron soit lui un ancien toujours rattaché de plus ou
moins loin à son box.
Pour faire quelques pourcentages, on note 40% d'« anciens
» (soit 10 personnes), 40% également d'employés, et
seulement 20% de « nouvelle génération de camelots »
auquel j'ai ajouté notre potentiel nouveau propriétaire (soit
4%). On constate qu'il semblerait que les quadras C et D soient plus
accessibles aux nouveaux arrivants que les deux autres où l'on va
rencontrer une majorité d'anciens et leurs employés. Cette
impression peut se con rmer dans la quadra A par le fait que l'on ne rencontre
que des camelots d'un âge déjà mur (entre 40 et 50 ans
environ), alors que dans les 3 autres quadras le personnel a tendance à
être majoritairement plus jeune (constatation personnelle, sans chi re
à l'appui...)
Ainsi ce tableau mettrait en évidence que contrairement
à ce que pense Roberto, les camelots enregistrés en 1994 sont
toujours présents, la di érence réside dans le fait qu'ils
ne sont plus en majorité, étant donné la quantité
de personnes qu'ils emploient, ou à qui ils louent leur emplacement.
Rayon de soleil entre les bâches dans la quadra D
L'occupation de l'espace, entre accords et
négociations
La notion de propriété
Comme il a déjà été sous entendu
précédemment, il règne une ambiguïté sur le
statut des camelots. Ils se déclarent propriétaires du point. La
règle leur interdit strictement de louer ou vendre leur espace, mais
comme nous pouvons le constater c'est malgré tout monnaie courante.
« Ils peuvent être propriétaires du box de
la façon suivante; Une association a construit tout ça et leur a
donné le droit d'utiliser le box en question. Mais ils ne sont pas
propriétaires de la terre. La terre est la propriété de
l'état. »
(Sydney - Rio Trilhos - Entretien réalisé en
janvier 2008)
« Il est interdit de louer des box ici. Il est interdit
de louer ou de vendre, c'est interdit par la Prefeitura. Nous on ne s'occupe
pas de ça, celui qui veut un box il doit voir avec la
Prefeitura»
(Rosa Alice - Actuelle présidente de l'UNIO - Entretien
réalisé en décembre 2007)
Dans son discours la présidente de l'UNIO est
très cohérente, consciente des limites des pouvoirs qui leurs
sont donnés, et des droits des camelots. Dans la pratique on verra par
la suite que l'association s'est elle même autorisée le droit de
louer le sol. En ce qui concerne les camelots, l'UNIO se garde d'intervenir sur
les locations de box, et comme nous l'avons vu plus haut, pour trouver un lieu
de vente il est plus e cace d'avoir des contacts que de passer par
l'association qui ne fait pas agence immobilière. La conséquence
pour tous les camelots nouveaux arrivants est une confusion
générale, il leur parait évident qu'il existe un
propriétaire.
« Mais au départ il a acheté à
quelqu'un ou il est arrivé là en étant directement
propriétaire ? Il a été directement
propriétaire.
Ah oui ? Comment ça a fonctionné ça
?
Ah, c'est très di cile je ne sais pas. Il n'y a que lui
qui sait. »
(Kelly , 17 ans- vendeuse dans la quadra C depuis 14 ans - Fille
du propriétaire - Entretien réalisé en janvier 2008)
Les anciens camelots a rment avec aplomb qu'ils sont
propriétaire mais on peut malgré tout imaginer qu'ils sont
conscient de l'ambiguïté de leur situation, et savent juste en pro
ter.
« C'est le monde semi-marginal tu comprends, ils ont des
contrats, mais ne sont maîtres de rien. Ils sont là parce que
c'est un politique qui les a laissé faire. Comme les favelas tu vois.
»
(Sydney - Rio Trilhos - Entretien réalisé en
janvier 2008)
En n un tel sentiment est plus que compréhensible,
puisque ce sont eux qui ont créé ce lieu et l'ont fait
fonctionner. Sydney fait remarquer à juste titre que ce même
débat est soulevé concernant les favelas. La di érence
réside dans le fait qu'apparaissent des décrets donnant des
autorisations de d'occupation de territoire à vie, revenant à un
compromis entre informalité et propriété concernant les
favelas. Rien n'existe encore à ce sujet concernant les lieux de
commerce. Il est vrai que la question ne s'était pas encore
posée, jusqu'alors les camelots n'avaient jamais pu revendiquer à
un titre de propriété en occupant les rue. Cependant, ce sujet
n'est pas à l'ordre du jour et face à l'importance qu'a pris le
Camelódromo aujourd'hui dans la ville, il est dans
l'intérêt de la majorité de la laisser fonctionner,
beaucoup trop d'emplois étant en jeu.
L'organisation du camelot dans son box, ou l'art de tirer
prof t du moindre espace
Comme on a pu le constater, toutes les constructions ont
été faites par les camelots, et il est intéressant de
noter que suivant la marchandise proposée, on peut classer les box
suivant des typologies spéci~ ques.
En règle générale, on peut imaginer
qu'à l'origine les box devaient être relativement identiques.
Suivant leurs localisations les dimensions pouvaient légèrement
varier (s'il vient s'adosser à un mur il peux béné~ cier
d'une plus grande profondeur), mais le modèle classique reste de
1,50mx1,50m. Par la suite ces dimensions se sont vues modi~ ées suivant
les alliances passées, devenant des multiples de 1,50. L'époque
de construction in ue aussi, comme nous l'avons vu précédemment,
en ce qui concerne les hauteurs sous plafond. On pourrait penser que ce n'est
qu'un détail à l'échelle du box, mais en
réalité cela in ue directement sur son aménagement
interne. Dans la quadra A, la hauteur est très basse et inutilisable,
alors que dans les autres elle est nettement supérieure et sert au
stockage de marchandises, et à la mise en place de pancarte, venant
jouer un grand rôle dans l'aspect des couloirs.
En matière de matériaux, les boxes sont
généralement tous faits de la même manière. Un
structure de poteaux métalliques vient encadrer des murs
séparatifs généralement en agglomérés
recouverts d'un revêtement blanc, ou en plastique fort. Le système
de fermeture est identique pour tous; un rideau de fer qui se tire du haut vers
le bas et vient se fermer à l'aide d'un cadenas dont l'attache est ~
xée au sol.
La quadra A, pour avoir une grande quantité de
matériel de valeur est la seule qui possède un système de
fermeture identique à celui des box au niveau des entrées de
chaque couloir donnant sur l'extérieur, assurant ainsi une meilleur
protection de la marchandise.
Une homogénéité des matériaux de
construction ne va pas empêcher à ensemble à d'avoir un
aspect chaotique, car ce qui dessine avant tout l'architecture d'Uruguaiana,
c'est la marchandise. Suivant le type de produits vendus dans le box,
l'exploitation de l'espace est di érente, mais ils ont tous le point
commun d'une exploitation intensive du moindre espace. C'est ainsi que l'on va
di érencier les types auxquels je faisait allusion tout à
l'heure.
On note également une di érence d'utilisation de
cet espace pour les clients, qui se font de trois
façons,
représentées par les symboles ci-contre. Dans
certains cas le client peut circuler pour observer la marchandise
par
l'extérieur, soit venir fouiller à l'intérieur, ou aborder
la marchandise de manière frontale, et le client reste
Figure 17
face au comptoir.
Solto na Cidade - Uruguaiana
La boutique d'informatique
Tous les box vendeurs de matériel informatique ou
électronique ont opté pour une même stratégie de
présentation de marchandises sur de petites étagères qui
tapissent les parois séparatrices sur toute la hauteur. On trouve
également le traditionnel comptoir de verre qui expose des produits
à plus forte valeur marchande (logiciels, téléphones,
appareils photos...)
88
La boutique atelier
Très similaire à la précédente, la
boutique atelier comporte quand à elle un petit plan de travail,
submergée d'outils et de matériaux. Une des
caractéristiques est la multiplicité des tiroirs dans lesquels le
camelot garde tous ses composants. On notera à l'occasion que la seconde
boutique est un des rares cas de box à double orientation, donnant sur
deux couloirs, conf guration que l'on ne rencontre que dans la quadra A.
89
La boutique vitrine - Stratégie du vendeur de chaussure
Cette boutique est à mes yeux la plus originale, car
elle réinvente l'idée de la boutique dans laquelle on entre, et
se sert de tout le volume comme d'un support d'exposition. Toutes les parois se
voient utilisées pour poser des étagères autours
desquelles les acheteurs tournent et font leurs choix. La partie
intérieur devient un lieu de stockage auquel les clients n'ont pas
accès. Pour cette raison les vendeurs de chaussures sont
généralement placés en angle, multipliant ainsi la surface
d'exposition.
C'est selon moi ce type de vendeur qui gagne la palme de
l'usage des surfaces. La structure du
boxedisparaîttotalement,tapissée d'unefoultitude de
marchandise,jusquesur l'enseigne qui est généralementinexistante.
Les paroisintérieuresetlorsquec'estpossibles
lesextérieurségalement sont alors recouvertes de marchandises,
donnant naissance à une toute autre architecture. Dans le cas suivant,
la partie supérieure de la boutique sert d'entrepôt alors que
toute la partie basse peut être allègrement fouillée par
les clients. Sur ce relevé, le vendeur a de nombreux supports
supplémentaires qu'il entrepose la nuit dans le box, et qu'il sort en
journée, lui permettant ainsi d'augmenter sa surface de vente. Dans le
cas présent, possible uniquement pour les vendeurs situés en
bordure du Camelódromo, cette dernière est alors tout simplement
doublée.
Solto na Cidade - Uruguaiana
Le vendeur accumulateur
92
Les possibilités d'extension de son espace de vente
L'exemple précédent qui est loin d'être un
cas isolé est la parfaite illustration de ce qui est monnaie courante
dans le Camelódromo, à savoir le déploiement de la zone de
vente hors des limites ~ xées initialement par le tracé de la
Prefeitura. Lorsque l'on aborde le sujet les camelots aiment à
plaisanter sur cet absence de limites, insistant sur les libertés que
leur donne le statu de camelot, doublé par le fait qu'ils exercent dans
un lieu ou les lois sont faites par eux mêmes, ce qui devient un
élément de ~ erté.
« Je vois que tu as ton box ici et que tu utilises aussi
toute la partie de devant. Tu as le droit de faire ça?
Non.
Mais il n'y a pas de problème pour que tu fasses
ça?
Non.
Personne ne fait de remarque?
C'est que je suis un ancien ici, alors personne ne se plaint. Je
m'entends bien avec tout le monde... C'est le Jeitinho Brasileiro! »
(Luis - Vendeur dans la quadra C depuis 14 ans -
Propriétaire - Etretien réalisé en janvier 2008)
Il existe au Brésil un fait de notoriété
publique; le Jeitinho Brasileiro, que l'on pourrait traduire par l'art
de la débrouille (brésilien). C'est cet art de la
négociation, de détourner les règles, de toujours tirer
son épingle du jeu, qui à plus grande échelle vaut la
corruption dont le Brésil sou re beaucoup. Même si un
stéréotype donne cette capacité de débrouillardise
aux latins en règle générale, le terme Jeitinho Brasileiro
est o ciellement établi dans la culture et fait la ~ erté de son
peuple, ou pour le moins des Cariocas, qui n'hésitent pas à
excuser certains de leurs actes par le Jeitinho Brasileiro.
Ainsi, le jeitinho brasileiro est une des règles
primordiales qui a cour au sein du camelodromo. Aussi bien face à la
Prefeitura pour l'appropriation des lieux qu'entre les camelots eux même,
pour la négociation des espaces.
Les aerations de metro utilisees comme support de vente
Marques au sol dans la Quadra D, af n de limiter les expensions
des boxes
L'art de contourner les règles
L'une des règles principales au sein du
Camelódromo est qu'un camelot n'a le droit qu'à un box. En
connaissance de cette règle, on est étonné par la
quantité de boxes qui ont été joints pour n'en faire qu'un
seul. De même, en discutant avec des employés, ils n'est pas rare
qu'ils expliquent que leur patron possède en réalité
plusieurs boxes au sein du Camelódromo.
« Cette boutique est la seule de matériel de
pêche?
Non, non, il y a d'autres boutiques ici. Il y en a ici
d'autres propriétaires, ils y en a d'autres aussi mais du même
propriétaire, mais dans d'autres endroits, dans d'autres rues, dans
d'autres quadras »
(Tiago, 21 ans - vendeur dans la quadra C depuis 1an -
Employé - Entretien réalisé en janvier 2008 )
Dans certains cas les employés sont plus en mesure de
donner des informations sur ces multipropriétaires, et on se rend compte
qu'elle peut être en réalité le fruit de plusieurs types
d'alliances qui détournent habilement cette règle, tout en
l'applicant.
« Il a 3 boutiques. Une là il est associé
avec un mec, ici il loue, et là la grande là bas c'est à
lui. Il a trois 3 boutiques ici, dans le mercado popular. Deux dans la quadra D
et une dans la quadra C. »
(Fernando, 18 ans - vendeur dans la quadra D depuis 4 ans -
Entretien réalisé en décembre 2007)
« Il y a combien de box ici?
Trois. Là c'en est un, entre là et là c'en
est un autre, et il y en a encore un de l'autre coté. Et donc ce
sont les trois frères les trois propriétaires?
Non, le propriétaire c'est que lui, le grand »
(André, 20 ans - vendeur dans la quadra C depuis 2 ans,
dans la boutique « les trois frères » - Entretien
réalisé en janvier 2008)
On comprend aisément que la règle « un box
- un camelot » n'ait pas été très di cile à
faire respecter, étant donné que chacun souhaitait pro ter de
l'espace qui lui avait été attribué. Bien sur, ce n'est
pas le cas de tous les box, mais généralement, ceux qui proposent
un même type de marchandise sont rattachés à un
réseau commun. On pourrait mettre ce réseau sur le dos de la
sédentarisation du camelot dans ce lieu, ce qui lui a permis de
s'organiser, de créer toute une structure de commerce. Cependant, nous
reviendrons dessus un peu plus tard, le camelot n'a pas attendu d'arriver dans
un Camelódromo pour s'organiser...
Faire partie du Camelôdromo ou ne pas faire
partie?
Il est parfois di cile de dé nir les limites
précises du Mercado Popular. Certes, la dalle surélevée
qui a été coulée, et la couverture permettent
d'établir des limites concrètes très claires, qui sont con
rmées par les camelots lorsqu'on leur pose la question. Cependant, toute
une catégorie de vendeurs vient troubler ces limites. Ce sont des
vendeurs ambulants qui font des aller et retours entre la rue et le
Camelódromo, des hommes sandwich, et une quantité très
importantes de vendeurs de produits pirates qui pro tent des ~ ux
générés par le Camelódromo. Alors, toutes ces
personnes mobiles, qui gravitent autours du Camelódromo en font elles
partie ? Quels sont leurs liens réels avec le Camelódromo ? Quels
sont les éléments qui permettent de dire exactement que quelqu'un
fait ou non partie du Camelódromo da Uruguaiana?
Les vendeurs de rue font ils partie de la nouvelle famille
Uruguaiana ?
A cette question, les réponses obtenues sont assez
variées, mais ces dernières permettent de déduire ce qui
dé nit les vendeurs faisant partie du Camelódromo.
« Non, non, ils ne font pas partie du Camelódromo,
et puis avec ce qu'ils vendent, quand la police passe ils partent en courant.
Ici c'est le Mercado Popular da Uruguaina, nous on n'a pas besoin de partir
d'ici. Ici c'est à nous. »
(Kelly , 17 ans- vendeuse dans la quadra C depuis 14 ans - ~ lle
du propriétaire - Entretien réalisé en janvier 2008)
« Il n'en font pas partie et ils nous posent des
problèmes, parce qu'ils travaillent avec de la marchandise
illégale, et quand c'est la course parce que la police débarque,
ils courent à l'intérieur, et nous ça nous porte
préjudice. Ça donne une mauvaise réputation, on parle mal
des camelots, qu'ils servent à rien. Nous on est des vrais camelots. Eux
ce sont... des pirates, un truc du genre. Ici, on est des vrais vendeurs, avec
une boutique (loja). Dehors non! »
(Tulio, 25 ans - vendeur dans la quadra D depuis 8 mois -
Employé - Entretien réalisé en janvier 2008)
« Non, ils ne font pas partie du Camelódromo,
parce qu'ils ne paient aucune taxe. Ici on paie des taxes, pour
l'électricité, pour la lumière, ils ne paient rien et ils
sont toujours par ici. Et ils créent des tumultes, en fuyant de la garde
municipale. Mais bon, je ne suis pas contre personnellement, parce que je
trouve que chacun doit gagner sa vie, et malheureusement on vit dans un pays
qui ne donne pas la même opportunité à chacun. »
(Kelly, 27 ans - vendeuse dans la quadra B depuis 2 ans -
Employée - Entretien réalisé en janvier 2008)
« Oui oui, ils font partie.
Pourquoi?
Ben parce qu'ils font partie! C'est des vendeurs comme nous.
Même s'ils n'ont aucun box à
l'intérieur?
C'est des camelots aussi! »
(Fernando, 18 ans - vendeur dans la quadra D depuis 4 ans -
Employé - Entretien réalisé en décembre 2007)
« Bon, ils sont pas comme nous, mais ils font, partie...
C'est un peu comme, je sais pas moi, une sorte de maladie. »
(André - vendeur dans la quadra C depuis 2 ans -
Employé - Entretien réalisé en janvier 2008)
« Je crois qu'ils font partie, tout n'est qu'une question de
contexte. C'est juste qu'ils n'ont pas de box ici à l'intérieur,
mais ils font partie quand même »
(Deivid , 29 ans- vendeur dans la quadra B depuis 1 an et demi -
Héritier - Entretien réalisé en septembre 2008 )
On constate que la question de la légalité de la
marchandise est une notion qui caractérise les vendeurs de rue comme ne
faisant pas partie du Camelódromo. Il y a cependant de nombreuses
boutiques qui vendent exactement le même type de produit à
l'intérieur. Le simple fait d'être pourchassé ou non par la
police déterminerait l'appartenance au Camelódromo. En
réalité, la situation est un petit peu plus complexe. Sans
pouvoir une fois de plus tirer une conclusion générale, il
semblerait qu'en réalité tous les vendeurs ambulants qui peuplent
les rues alentours soient rattachés à Uruguaiana.
Un vendeur de Cd et DVD pirates, rue da Alfandega
Dans tout lieu fréquenté on trouve des vendeurs
de rue, c'est le principe même de leur activité, d'où le
caractère ambulant, puisqu'ils suivent les foules. Dans le cas
d'Uruguaiana, la situation est di érente. Les vendeurs de rue
travaillent en partenariat avec les vendeurs de la même marchandise
qu'eux à l'intérieur du Camelódromo. Le réseau est
assez complexe et les cas sont di érents selon les vendeurs. Nous avons
ici deux exemples di érents. Le premier est un vendeur de rue qui est
rattaché à un box principal. C'est-à-dire qu'il vend sur
le trottoir une marchandise qui en réalité provient d'un box
à l'intérieur du Camelódromo. Il met en avant le
réseau auquel ce box est rattaché, étant ainsi
lui-même lié, par l'intermédiaire de ce box, à tous
les autres. Même s'il est l'intermédiaire direct du box pour le
transfert des marchandises jusque sur la rue, il est en réalité
l'employé d'un dénommé Coroa qui a établi
l'échange et le couvre avec un point de vente de boissons fraiches.
« Et ces DVD que tu vends, ils ne viennent que d'un box
ou de plusieurs ?
C'est mélangé, quand il n'y en a plus dans le box
on va en chercher dans un autre. Tu es rattaché à combien de
box à peu près ?
Beaucoup, presque tous. Là ou il n'y a pas on prend dans
l'autre, puis dans l'autre, puis dans l'autre...
Et un boxe a plusieurs points de vente dans la rue ?
Ça dépend du propriétaire du box.
Et dans le cas de ton box?
Mon box n'a que ce point ici. Mais il y a d'autres boxes qui ont
plusieurs points. Il faut combiner avec les autres, mais de toute façon,
tous les espaces libres qu'il y avait, tout le monde les a déjà
occupé, il n'y a plus de place. Chaque point maintenant a son chef.
» (Kleyton - employé par Coroa, vendeur de DVD et CD piratés
dans la rue Senhor dos Passos - Entretien réalisé en octobre
2008)
Le second cas est un peu di érent. Brad avait
été tiré au sort en 1994 et vendait dans son box des CDs
et DVDs pirates.
« J'ai déjà fait de la prison moi! On m'avait
pris parce que j'avais des produits pirates dans mon boxe. Alors c'est bon,
c'est terminé, là on peut me prendre, je n'ai rien sur moi!
»
(Brad, vendeur ambulant de DVD et CD piratés - Entretien
réalisé en octobre 2008)
Figure 17
Modes de vente et deplacements de Brad, Kleyton et Coroa
Brad a abandonné son box mais n'a pas
arrêté de vendre du matériel piraté à
Uruguaiana. Aussi étonnant que cela paraisse, vendre dans la rue est
pour lui avant tout un choix de sécurité. Il existe e ectivement
une image du camelot qui est hors la loi dans la rue et reconnu légal
dans son box, ou qui du moins possède une situation plus stable. Mais il
est vrai qu'en cas de descente de police, il est bien plus simple de se
débarrasser d'un sac à dos que de quelques centaines de kilos de
Cds accumulés dans un box.
« La police passe plusieurs fois par jour.
Et dans ces cas qu'est ce qui se passe ?
Il faut tout retirer et partir en courant pour tout garder.
Et tu caches ta marchandise dans le Camelódromo ou
dans d'autres endroits ?
Oh, ça dépend, des fois dans une boutique du
Camelódromo, des fois dans un coin de la rue. Il faut cacher dans
n'importe quel endroit.»
(Kleyton - employé par Coroa, vendeur de DVD et CD
piratés dans la rue Senhor dos Passos - Entretien réalisé
en octobre 2008)
On comprend ainsi la stratégie de Brad. Il n'a aucun
stand ~ xe, mais se promène avec un mini présentoir sur lequel se
trouvent les pochettes des dernières parutions dans le monde du DVD
pirate (généralement il s'agit de ~ lms qui viennent de sortir au
cinéma ou des copies de DVD qui viennent d'apparaître dans le
commerce). Il possède les plus vendus dans son sac, mais si le client
demande autre chose il va s'approvisionner dans les boxes de CD et DVD du
Camelódromo avec lesquels il a bien sûr passé un accord.
« Demande à tout le monde ici où est Brad,
tout le monde le sait. Mais tout le monde te
le dit pas, parce que moi je
vends beaucoup, il y a des jaloux, alors il vont te dire « ah
mais
regarde, moi aussi j'ai ça, ou ça, pas besoin de trouver
Brad ». Moi je suis en contact avec
tous les boxes de CD , DVD, ce que tu veux je le trouve . Pour
n'importe quel ~ lm tu retiens un nom : Brad ! »
(Brad, vendeur de DVD et CD piratés - Entretien
réalisé en octobre 2008)
Il est ainsi di cile de conclure sur le statut de ces vendeurs
qui de toute évidence font eux aussi partie de la grande machine
d'Uruguaiana, même s'ils n'ont pas de box. A la question fatidique le
premier répondra qu'il est un vendeur de rue alors que le second reste
un vendeur du Camelódromo. Le fait qu'il ait eu un box et ait
vécu les étapes d'évolution d'Uruguaiana est
sûrement un élément important, car faire partie du Mercado
Popular c'est aussi faire partie de son histoire.
Di cile de quitter la rue
En n on se rend compte que certains vendeurs n'ont pas
apprécié d'avoir perdu le contact de la rue, et malgré le
fait de posséder un box, ils partent toujours à la recherche du
client. Ces camelots que l'on a tendance à prendre pour des petits
vendeurs ambulants comme il en circule à toutes heures à Rio,
passent en réalité leur journée au sein du
Camelódromo qu'ils ont leur propre façon d'utiliser.
« Ils font partie aussi. Parce qu'il y a beaucoup de gens
d'ici, de l'intérieur, qui vont à l'extérieur.
Des gens de dedans qui vont dehors? Pourquoi?
Parfois quand il y a beaucoup de mouvement il vont dehors. Ils
estiment qu'ils vont faire plus d'argent. »
(Ludmila - vendeuse depuis 4 ans dans la quadra D -
Copropriétaire - Entretien réalisé en décembre
2007)
« J'ai une petite boutique ici (barraquinha)
Ah tu en as une ? Mais tu t'en sers pour quoi alors ?
Ben je m'en sers pour garder des trucs, je vais pas ramener tout
chez moi c'est très lourd, ça pèse, les boissons c'est
très lourd!
Et tu vends que ici ou aussi dans ton box ?
Oh ben des fois je vends là bas, mais ici c'est mieux,
dans le boxe c'est un peu caché je trouve.
Il est où ton box ?
Dans la quadra D »
Ainsi donc, certains vendeurs ambulants ne le sont pas autant
qu'ils n'y paraissent et béné~ cient des critères qui les
quali~ ent comme faisant partie du Camelódromo. Ils viennent ainsi
étendre les limites de ce dernier, au même titre que les ambulants
« pirates », qui, par leur rattachement à un box sont
également liés à Uruguaiana. Vente de
boissons devant le Camelodromo
(Pedro - vendeur ambulant - Propriétaire d'un box dans la
quadra D - Entretien réalisé en octobre 2008)
L'arrivée des grandes ~rmes dans le
Camelódromo
Le Camelódromo a atteint un tel succès
aujourd'hui que des grandes marques internationales cherchent à y avoir
leurs entrées. Ce pendant, les procédés utilisés
sont réellement amusants, comme nous l'avions signalé plus
tôt, n'entre pas qui veut dans le Camelódromo, il faut une
clé d'accès.
Ainsi nous rencontrons en plein milieu de la quadra D (la plus
mauvaise sur le plan de la vente selon les camelots) une petite installation
constituée d'une table et d'un parasol, aux couleur de la ~ rme
international Honda.
Attablés, deux jeunes vendeurs m'expliquent
l'intérêt pour la ~ rme d'avoir un poste dans un lieu hautement
fréquenté tel que le Camelódromo. Lorsque nous abordons le
sujet de l'intégration à Uruguaiana, les explications sont plus
que complexes :
« Ici c'est LE point stratégique. Nous, on est des
vendeurs extérieurs, tu sais, vendeur externe ça veut dire qu'on
est de la rue. Alors nous on repère ou est ce qu'il y a beaucoup de
passage, c'est ici, donc c'est ici qu'on monte notre point.
Ce n'est pas Honda qui vous a demandé de mettre une
table ici ?
Non, c'est nous qui avons proposé à Honda d'en
mettre une ici. Parce que nous on est des vendeurs de rue. »
Jusqu'ici tout va bien, ces vendeurs font déjà
partie de la famille des vendeurs de rue, et on peut même admirer
l'initiative dont ils ont fait preuve. Mais au fur et à mesure de la
conversation :
« Mais comment vous avez obtenu l'autorisation de vous
mettre au milieu du chemin
En réalité ici c'est payé. Ici si tu
montes quoi que ce soit, tu sais, il y a une association, cette tente tu paies,
ça en face tu paies. Tout ça là, il faut payer pour
pouvoir rester ici. Ici c'est un lieu sous le domaine de l'association. Et puis
en fait notre entreprise... Parce que nous on fait partie de Honda, tu sais
Honda à Barra da Tijuca11. Eh ben elle est partenaire avec
motoline de Barra aussi.
??
Bon, ben en fait ce point là avec Moto line les mecs
qui étaient venus là ils avaient eu des problèmes, et nous
on pense que ça peu marcher. Du coup comme on est partenaire avec
l'autre entreprise on a pu récupérer le point »
A partir de ce moment on ne comprend plus grand-chose... La
barrière de la langue peut être.
« Mais vous aviez déjà travaillé
ici dans le Camelódromo?
Non, moi j'avais toujours travaillé dans
l'hôtellerie. Notre entreprise voulait déjà avoir un point
ici, sauf qu'il n'y avait pas accès. Alors que l'autre entreprise, c'est
plus facile pour eux, parce qu'ils ont déjà des gens à
l'intérieur alors... »
11 Quartier de la Zona Oeste de Rio
Le stand Honda et ses vendeurs, Quadra D
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De pire en pire, mais au fur et à mesure de la
conversation, une con ance semble être gagnée pour laisser placer
à un autre discours.
« Nous on se mélange avec les camelots, alors on
devient camelots pour quinze jours ou pour un mois. On passe pour des camelots
tu comprends ? Cette stratégie tu comprends, pour vaincre notre ennemi,
on doit connaître son terrain. Les camelots ici ils cartonnent tout en
vente, alors pourquoi est qu'on ne pourrait pas être camelots nous aussi
? On est tout autant capables de faire la même chose que ce qu'ils font.
»
(Kleyton et Tiago - Employés de la ~ rme Honda - Entretien
réalisé en septembre 2008)
Ainsi, la loi du Camelódromo serait elle la plus forte
? Alors que le métier de camelot est souvent dénigré,
voilà que le processus inverse apparaît, feindre que l'on est
camelot pour avoir une chance d'être accepté dans un type de
commerce considéré marginal. On rejoint le raisonnement de
Fernando pour qui le simple fait d'être camelot permettait d'être
admis à Uruguaiana. Personne cependant ne parait dupe, et certainement
pas l'association qui loue à la ~ rme Honda l'emplacement pour trois
fois le prix d'un box loué dans la quadra D. Cela représente pour
eux une somme relativement faible à l'échelle d'une ~ rme telle
que Honda.
La notion de faire partie du Camelódromo
A travers les discussions ci-dessus, il est possible d'isoler
des éléments qui déterminent si une personne fait partie
ou non du Camelódromo, bien que l'on se soit rendu compte que faire
partie du Camelódromo c'est une question qui relève aussi bien de
détails physiques que du vécu rendant la réponse
très personnelle.
Première notion clef ; avoir un box, ou pour le moins
un espace dont on ne se fait pas chasser ; béné~ cier d'un point
de vente dans ce lieu qui fut reconnu par la Prefeitura comme territoire o ciel
des camelots.
Par extension, nous avons soulevé la question
d'être simplement rattaché à un box. Car dans un sens, le
vendeur de rue lié à un box y est employé au même
titre qu'un employé classique, mais le type de marchandise implique que
cet accord/alliance ne doive pas être reconnu. Seul le caractère
illégal de la marchandise l'empêcherait de faire partie du
Camelódromo...
Ensuite, le fait de cotiser à l'association, fut un
critère également formulé. On notera cependant que ceux
qui ne cotisent pas à l'UNIO, à savoir les employés ou la
nouvelle génération de camelots ne sont pas moins que les autres
des vendeurs du Camelódromo. Cela dit, par le fait de payer un loyer
mensuel, ou de recevoir un salaire, dans un lieu où il existe une
structure déjà implantée qui ~ xe ses propres
règles, ces nouveaux camelots ont l'impression de faire partie du
système formel et non d'un système alternatif. Ils n'ont
d'ailleurs aucun contact avec ce système (l'UNIO), étant
donné que le propriétaire endosse le rôle
d'intermédiaire. En e et, bien qu'il n'exerce plus sur le lieu c'est
toujours lui qui règlera la fameuse contribution sociale.
Ainsi, l'UNIO devient pour nos nouveaux camelots une donnée relativement
abstraite, au même titre que l'est le monde de l'administration dans le
système formel.
Pour de nombreux vendeurs, la légalité du
Camelódromo et de son fonctionnement ne sont actuellement plus à
prouver. Qu'ils s'agisse des employés ou de la nouvelle
génération de camelots, le fait de se retrouver dans un
système faisant référence à un fonctionnement
reconnu comme étant légal, les forti~ e dans l'idée qu'ils
font partie d'un lieu intégré au système formel.
Ce raisonnement est plus que compréhensible,
étant donné que le fonctionnement semble même avoir
été accepté par l'ordre public. Rappelons nous de Lucio
Costa, du Contrôle Urbain, qui a su si subitement retourner sa veste,
défendant corps et âme le sort des camelots. De même, chaque
intervention de la Police Municipale vise à démasquer les
vendeurs pirates, et non à faire appliquer la stricte législation
de la Prefeitura. Bien que certaines règles ~ xées par cette
dernière soient toujours en vigueur d'après Rosalice, ce n'est le
souci de personne de véri~ er qu'elles soient appliquées.
C'est ainsi que l'on amène une nouvelle notion, la plus
simple de toute qui est être camelot. Faire partie du Camelódromo,
c'est comme faire partie d'une famille, les camelots sont ~ ers de le dire, ici
règne une grande solidarité.
« Quand la partie de la quadra C a toute brulée,
ils ont pu réparer très vite. Et là chacun a donné
ce qu'il voulait, 5 ou 10 reais, pour leur permettre de réparer leur
baraque. C'est la solidarité hein ! »
(Kelly , 17 ans- vendeuse dans la quadra C depuis 14 ans -
Entretien réalisé en janvier 2008)
Arrivé à ce stade, on se rend compte qu'il faut
faire la di érence entre faire partie du Camelódromo, et faire
partie de la famille du Camelódromo. Cette di érence se fait bien
sûr au niveau de l'ancienneté, mais également au niveau de
compréhension de sa propre appartenance à un système ou
à un autre. C'est assez compréhensible, il est connu que le
sentiment de solidarité (qui accompagne la notion de famille
mentionnée) naît de l'union de personnes face à une
adversité commune.
Ainsi, derrière le fait de faire partie du
Camelódromo se cachent en réalité deux notions. Il y a
ceux pour qui travailler à Uruguaiana est une donnée physique,
reconnue par un système formalisé (le fait d'avoir un box,
cotiser à l'association), et ceux pour lesquels le simple fait
d'être un vendeur de la rue prime sur tout le reste, étant
donné leurs origines commune (par cette formule on dirait presque que
l'on parle de liens consanguins). Suivant les personnes, une seule de ces
notions su t parfois pour être admis comme faisant partie du
Camelódromo, alors que pour d'autres, les deux sont indissociables, et
c'est ce qui ferait la particularité du camelot d'Uruguaiana.
Le petit vendeur indépendant existe-t-il?
Après ces découvertes, il semblerait que le
petit vendeur indépendant soit juste un mythe et qui plus est bien
dépassé. En e et, les personnes auxquelles étaient
destinés les emplacements ne semblent plus tout à fait
correspondre au pro l de petites gens en situation précaire à qui
voulait s'adresser la Prefeitu ra.
« Moi je loue ici. On est plusieurs
à louer à un propriétaire.
Et ce propriétaire il n'a que ce box ou il en a
d'autres?
Il en a d'autres.
Ici, dans le camelodromo ou dehors?
Non, non, ici dans Uruguaiana. »
(André, 23 ans - Vendeur dans la quadra C depuis 2 ans -
Gérant - Entretien réalisé en janvier 2008)
Mais le camelot est-il réellement ce vendeur
isolé en marge du système. Lors d'une discussion avec Felipe, on
se rend compte que bien avant le Camelódromo, le système de
réseau que l'on a découvert à Uruguaiana existait depuis
longtemps.
« Parce que là ma mère, elle sait
déjà comment administrer. Elle a déjà eu de
nombreuses boutiques. On travaillait dans la rue, et on avait 10, 15 personnes
qui travaillaient pour nous. Alors qu'est ce qu'il se passe? On sait
déjà travailler avec un grand nombre de fonctionnaires. Alors
c'était... non pas plus facile, mais disons que les choses se sont
faites plus tranquillement pour pouvoir organiser »
(Felipe - Coordinateur à l'UNIO - Entretien
réalisé en septembre 2008)
Figure 18
Evolution des types de vendeurs de rue suivant la tranche
d'âge
Figure 19
Evolution des types de vendeurs de rue suivant le niveau d
'étude
Par ailleurs, au delà de ce constat sur l'organisation
en réseau déjà présente avant même
l'existence du Camelódromo, qui permet à toute une
catégorie de ces vendeurs de devenir de grands directeurs de ~ rmes de
vente, multipliant les point de commerce, d'autres faits viennent
démontrer qu'une catégorie importante de ces vendeurs de rue ne
correspond plus du tout ces personnes au statut précaire décrits
par la Prefeitura. Les travaux des chercheurs Jorge Luiz teles et Hildete
Pereira de Mello12 mettent en évidence que depuis 1985, la
crise que connut le Brésil a contraint de nombreux travailleurs, issus
de diverses classes sociales à se tourner vers le commerce informel.
Ainsi on constate que c'est la classe jeune de 25 à 35 ans la
première concernée par le commerce informel, et non les
pères de famille quadragénaires, qui cependant les suivent de
près. De plus, d'autres statistiques démontrent que le commerce
informel ne touche plus uniquement que les classes peu scolarisées. Le
second graphique joint montre que depuis 1993 les « 9-1 1 ans
d'études », issus de l'ensino médio
(équivalent du collège) ont dépassé ceux de niveau
inférieur; les « 1 -4ans d'étude » qui n'ont pas
achevé l'ensino fundamental (école primaire). La
majorité dominante restant les travailleurs sortis de l'école
primaire qui entrent par la suite dans le monde du travail. Le problème
de ces données est qu'elles datent de plus d'une dizaine
d'années, et la situation a forcément évolué
depuis. Cependant j'ai e ectivement rencontré de nombreux cas de
vendeurs, généralement employés dans un box, qui
travaillaient a n de ~ nancer leurs études. Ce cas semble de plus en
plus fréquent et Naercio Aquino Menezes-Filho soulignait lors d'une
étude en 200113 que depuis 1988, le pourcentage
d'étudiants travaillant et étudiants en même temps
était en constante augmentation, arrivant à 41% en 2001
14. On constate alors que les catégories dé nies par
la chambre des vereadores en 1992 pour être vendeur de rue sont loin
d'être actuellement appliquées.
Alors que la Prefeitura souhaitait créer un lieu de
travail qui ne serait que temporaire, le résultat obtenu est exactement
l'inverse, et les camelots ont non seulement créé un
système qui les a ancré dans les lieux, mais ont aussi
répondu à une demande de la ville formelle, qui dépend
maintenant en partie de ce système. Cela dit une telle intention
paraissait impossible à appliquer. En e et, elle se basait sur un
cliché totalement faussé du camelot, en évolution depuis
ces 15 dernières années, et qui en arrivant dans le
Camelódromo, a reproduit en tout point un système
déjà établi. Le fait de les sédentariser a permis
à la ville d'avoir l'impression qu'elle résolvait un
problème, et a donné aux camelots un certain confort et une
1 2 Pereira de Melo Hildete et Teles Jorge Luiz,
Serviços e informalidade: o comercio ambulante do Rio de
Janeiro, Rio de Janeiro, Texto para discussao n°773 publié par
l'IPEA, décembre 2000.
1 3 Aquino Menezes-Filho Naercio, A Evolução da
Educação no Brasil e seu Impacto no Mercado de Trabalho,
São Paulo, Departamento de Economia - Universidade de São Paulo,
mars 2001.
1 4 Ibidp.38
sécurité dans leur travail.
On ne peut cependant s'empêcher de se dire que le
succès du Camelódromo n'aurait pas été le
même si sa vocation de lieu de passage temporaire avait été
appliquée. En e et, l'investissement des camelots n'aurait pas eu lieu
de cette façon s'ils n'y voyaient pas un intérêt plus
important. Pour que cela fonctionne il aurait fallu un investissement bien plus
important de la part de la Prefeitura, qui aurait dans ce cas gardé le
contrôle, mais investi bien plus d'argent.
Rythmes de vie au Camelôdromo
Les horaires d'ouverture et fermeture. Importance de la
localisation
« Ici je ferme à l'heure que je veux, si je veux
fermer maintenant je le fais maintenant. Si je veux le faire à 18h ce
sera à 18h.
Oui mais en général c'est vers quelle
heure?
Mais non, tu comprends pas, c'est quand je veux! »
(Adex, 20 ans - vendeur dans la quadra D depuis 7 ans - Nouveau
propriétaire - Entretien réalisé en octobre 2008)
Les camelots ont une certaine ~ erté à
revendiquer la liberté que leur donne leur statut de travailleur
indépendant. Cependant, qu'ils le veuillent ou non, le
Camelódromo tend à suivre des horaires bien précis,
aligné aux horaires du Centro. On note, suivant la localisation du boxe
au sein du Camelódromo, que les horaires varient. On constate que la
majorité des box situés en bordure ouvrent dès 7h30, ce
qui correspond à un premier ~ ux d'arrivée de travailleurs. Les
box situés autours des places (quadras C et D) ouvrent également
plus tôt, les places étant des lieux de passage hautement
fréquenté. Les box qui ouvrent le plus tard se trouvent au
centre, et leur horaire d'ouverture n'excède jamais les 10h.
En ce qui concerne les horaires de fermeture, étant
donné que le SAARA est totalement déserté à partir
de 18h, seule la rue Uruguaiana reste animée jusqu'à 19h ou 20h,
ce qui correspond aux horaires de fermetures des derniers box qui lui font
face.
Mouvements et activités au cours de la
journée
La série de photos qui suit met en évidence une
certaine temporalité que crée le Mercado Popular da Uruguaiana.
Le jour où ont été prises ces photos était assez
pluvieux, et Uruguaiana en a connu des plus animés. Malgré cela,
à travers ces clichés le quotidien d'Uruguaiana transparaît
assez bien. De plus, ces photos ont été prises un vendredi, jour
assez spécial dans la semaine pour les Cariocas, et par voie de
conséquence pour le Camelódromo également, nous verrons
par la suite pourquoi.
La prise de vue a été e ectuée du haut
d'un immeuble donnant sur la quadra B et partiellement la C. Cela nous permet
d'accéder à une partie de la rue Uruguaiana, face à la
quadra B, et également aux deux rues adjacentes, rue Buenos Aires
à gauche de la quadra, et rue Senhor dos Passos à droite.
J'ai cherché à mettre en évidence les di
érents mouvements qui s'opèrent autour du marché, qu'il
s'agisse de mouvements humains ou d'objets. Dans les mouvements humains j'ai
isolé la foule, les vendeurs ambulants et la garde municipale. Dans les
objets il s'agit des éléments mobiles du Camelódromo tel
que les auvents ou des éléments de vente comme des
présentoirs que les vendeurs sortent de temps à autre.
En ce qui concerne les vendeurs ambulants, on constate que
l'on peut les séparer en deux catégories. Les vendeurs ~ xes,
présents du début à la ~ n de la journée, et les
vendeurs temporaires, qui apparaissent et disparaissent,
généralement au gré des foules.
Dès huit heure du matin, on constate la présence
de deux vendeurs ~ xes dans la rue Senhor dos Passos, rejoints environ une
heure plus tard par un troisième. Ils formeront le trio
inébranlable de la rue Senhor dos Passos.
Quand aux vendeurs ambulants « temporaires », on
observe qu'ils n'arrivent jamais seuls, et à des moments bien
déterminés. Alliés à la foule on peut
considérer que ce sont eux qui viennent réellement créer
cette architecture mouvante qui fait partie du Camelódromo.
107
8h00 8h15
8h30 8h45
108
Solto na Cidade - Uruguaiana
9h00
9h15
9h30 9h45
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10h30 10h45
11h00 11h15
11h30 11h45
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12h00 12h15
12h30 12h45
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Solto na Cidade - Uruguaiana
13h00 13h15
13h30 13h45
14h00 14h15
14h30 14h45
15h00 15h15
15h30 15h45
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16h00 16h15
16h30 16h45
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Solto na Cidade - Uruguaiana
17h00 17h15
17h30 17h45
18h00 18h15
18h30 18h45
19h00 19h15
19h30 19h45
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20h30 20h45