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Agents géographiques et société libertaire

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par Gérard Gonet-Boisson
Université de Pau et des Pays de l'Adour - DEA de Géographie 2000
  

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2.1.2 Définition et contenu du concept "d'optimum collectif "

L'agent géographique, au vu du concept " d'optimum individuel " tel qu'il a été explicité précédemment, constitue pour ainsi dire le moyen vital du projet social anarchiste ; l'avènement d'une société libertaire constituant, elle, la fin de la proposition libertaire.

A la différence de la plupart des théories sociales, dans le projet anarchiste, l'individu n'est pas considéré en fonction de la masse, ne devient pas un agent abstrait ou anonyme soumis à un système décrété souverainement juste. Au contraire, il existe comme entité propre. Ayant ainsi pleinement reconnu la réalité de l'agent géographique, le socialisme libertaire reconnaît en même temps sa dignité foncière. Il reste cependant que la contradiction individu - société, si elle n'est pas absolue, est un fait de toute première importance. Car si la société est effectivement la condition essentielle du développement de l'homme, elle lui impose en même temps des règles et des contraintes qui peuvent constituer, pour l'individu, des obstacles à sa réalisation ou même engendrer des formes d'oppression étouffantes.

L'existence de ces deux principes, l'individuel et le collectif, pose le problème de l'indépendance (ou du degré de liberté) de l'individu. Celui-ci en effet, dans une société de plus en plus complexe, paraît devoir être progressivement privé de sa liberté d'action. Cependant loin de conclure que l'organisation sociale peut devenir l'ennemie de la liberté individuelle, voire que la société peut être contre l'individu, la manière libertaire considère conjointement l'entité individuelle et le rôle éminemment social de l'agent géographique :

" De tous les êtres vivant sur cette terre, l'homme est à la fois le plus social et le plus individualiste." 143(*)

C'est cette prise en compte de l'antinomie apparente entre individu et société dans le corpus théorique de la science sociale des anarchistes, qui nous incite à impliquer ce fait, dans la définition du concept " d'optima collectif ".

En effet, les anarchistes144(*) prétendent que :

- le principe social ne peut être opposé au principe de liberté individuelle ;

- le problème de la liberté est dans la société même ;

- par la pratique de l'association et de la solidarité, l'organisation sociale est la condition de la liberté de l'individu ;

- l'homme est un être social. La sociabilité est indissociable de la nature humaine originelle.

Pour la recherche géographique, la conception anarchiste des rapports entre l'individuel et le collectif ouvre un champ d'investigation novateur puisque l'inscription d'éléments structurants constitués par les actions irremplaçables de chaque agent géographique conduit à une prise de conscience du poids des actes sociaux en termes d'écritures spatiales. L'appréhension dans sa globalité des impacts spatiaux imaginé et réalisé par l'individu et la société libertaires, dans les sphères privées et collectives, doit intéresser le géographe s'il veut mieux comprendre l'organisation spatiale des sociétés humaines en général. N'est-il pas communément admis que tout système humain, fut-il anarchiste, implique une inscription spatiale propre ?

L'incorporation de l'étude des localisations des divers objets géographiques et des interactions entre ces mêmes objets découlant du projet sociétal libertaire doit permettre de mieux repérer, comprendre et expliquer les rapports entre la société et l'espace terrestre. En effet, pour les géographes, l'espace terrestre est défini tant par ses qualités physiques propres, que par l'action humaine actuelle, héritée ou imaginée qui le façonne.

Elle peut, de même, contribuer à l'enrichissement théorique de la géographie historique qui s'intéresse aux formes d'organisation des communautés humaines par une étude des relations entre communautés, pouvoirs et territoires. A notre connaissance, peu d'ouvrages géographiques ou ethnologiques ont consacré des études spécifiques sur les formes d'organisation du territoire issues de société sans Etat145(*). Le volet consacré à ce type de sociétés par Trochet146(*) n'aborde que celles issues selon les règles de la parenté.147(*)

Notre étude n'a pas la prétention de combler cette apparente lacune, mais au-delà de l'esquisse spatiale que nous voulons dessiner de l'organisation humaine prônée par les tenants de la géographie libertaire, nous pouvons espérer que d'autres chercheurs se lancent dans cette direction.

Nous allons bâtir notre concept " d'optimum collectif " à partir des réflexions de philosophes qui nous paraissent avoir apporté une contribution majeure à la définition du rôle de l'individu dans la gestion collective des sociétés humaines. La thématique des rapports individu - société a déjà été abordé par les anciens (Aristote, Platon, etc), mais ici nous allons favorisé la vision des modernes148(*). Le choix de ces philosophes (Kant, Hobbes, Weber, Rousseau) est, ou peut apparaître, arbitraire mais le cadre de notre travail de recherche ne permet pas d'aller puiser et comparer d'autres analyses traitant de ce thème. Cependant, par la mise en perspective de ces contributions philosophiques nous voulons, sur la base des divers concepts construits par ceux-ci - raison d'État, groupement politique, volonté générale, violence légitime - proposer une autre conception politico-philosophique du rapport individu-société.

Notre construction conceptuelle va pour cela s'inspirer des écrits de Godwin. Non seulement cette partie veut tenter de mettre en évidence en quoi les analyses de cet auteur correspondent aux déductions sociales des anarchistes en débouchant sur l'élaboration d'un outil méthodologique cohérent parce que valorisant cette même articulation entre l'individuel et le collectif par une adéquation entre les moyens et la fin., mais aussi contribuer à l'enrichissement théorique de la géographie historique, participer à l'émergence de pistes de recherches géographiques plus fructueuses dans la compréhension des formes d'organisation spatiale des communautés humaines à la surface de la terre.

Les tendances apparemment antagonistes entre l'individu et la collectivité est loin de contribuer, pour les anarchistes, le tiraillement inconciliable que les théoriciens d'autres sciences sociales veulent y voir. Là où pour Hobbes, le concept d' " état de nature ", identifié à la " guerre de chacun contre chacun "149(*) impose l'institution d'une souveraineté absolue disposant de tous les droits envers ses sujets comme condition de l'unité et de la paix civile de la société. Il est contraint d'admettre qu'il en découle une restriction de la liberté individuelle (" incommodité ") et la juge minime en comparaison :

" Des misères et des calamités affreuses qui accompagnent soit une guerre civile, soit l'état inorganisé d'une humanité sans maîtres, qui ignore la sujétion des lois et le pouvoir coercitif capable d'arrêter le bras qui s'apprêtait à la rapine ou à la vengeance. " 150(*) ;

pour Weber, la société qui ne repose pas moins sur le conflit que sur la coopération se constitue et se perpétue qu'à travers l'intégration des forces antagonistes. Processus assuré par l'organe de direction du " groupement politique "151(*). Selon Weber, la politique est donc l'activité de contrainte par laquelle les gouvernants imposent leur volonté aux gouvernés. Elle se ramène essentiellement à la détention du pouvoir et à la violence physique, qui en est le moyen propre. Toujours, d'après lui, tout pouvoir revendique pour lui-même le monopole de la violence légitime :

" Comme tous les groupements politiques qui l'ont précédé historiquement, l'État consiste en un rapport de domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence légitime (c'est-à-dire sur la violence qui est considérée comme légitime). L'État ne peut donc exister qu'à la condition que les hommes dominés se soumettent à l'autorité revendiquée chaque fois par les dominateurs. " 152(*)

D'où, selon l'aveu même de l'auteur, du rôle particulier dévolu à l'État :

" " Tout Etat est fondé sur la force ", disait un jour Trotski à Brest-Litovsk. En effet, cela est vrai. S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente, le concept d'Etat aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu'on appelle, au sens propre du terme, l' " anarchie ". La violence n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l'Etat - cela ne fait aucun doute -, mais elle est son moyen spécifique... Depuis toujours les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques -, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du " droit " à la violence. Par conséquent, nous entendrons par politique l'ensemble des efforts que l'on fait en vue de participer au pouvoir ou d'influencer la répartition du pouvoir, soit entre les Etats, soit entre les divers groupes à l'intérieur d'un même Etat. " 153(*) ;

pour Kant, même s'il accorde que la liberté individuelle constitue la valeur morale et politique suprême :

" La liberté en tant qu'homme dont on peut formuler le principe pour la constitution d'une communauté de la manière suivante : personne ne peut me contraindre à être heureux à sa manière (c'est-à-dire à la manière dont il conçoit le bien-être des autres hommes) ; par contre, chacun peut chercher son bonheur de la manière qui lui paraît bonne, à condition de ne pas porter préjudice à la liberté qu'a autrui de poursuivre une fin semblable (c'est-à-dire de ne pas porter préjudice au droit d'autrui), liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun grâce à une possible loi universelle. " 154(*),

nous devons prendre en compte qu'il incorpore cette définition de la liberté à l'intérieur d'un argumentaire très précis concernant les principes constitutifs de l'état civil que sont la liberté de l'homme, l'égalité du sujet, l'autonomie du citoyen. C'est dans le cadre juridique d'une république universelle que Kant, après avoir précisément fait la distinction entre la citoyenneté passive et active155(*), permet à chaque individu d'exister réellement dans sa dignité d'humain. Selon les anarchistes, ce passage législatif de l'individu au citoyen - aspect commun des penseurs modernes -, contraint Kant, à limiter la portée de la liberté fondamentale et de la dignité foncière de l'individu dans le cadre trop étroit de la République. Toutefois si la définition et le rôle kantien de l'individu font apparaître ce philosophe aux yeux des anarchistes comme l'un des plus sympathiques, de fait, il diffère cependant de la conclusion formulée par Spinoza qui y voit la disparition prochaine de l'État 156(*), en formulant que c'est une république universelle, qui permet à chaque individu d'exister réellement dans sa dignité d'humain.

Nous appuyant sur les analyses des textes de Godwin effectuées par Thévenet Alain, psychologue de formation et préparant actuellement un doctorat de philosophie à partir de l'oeuvre de cet auteur, nous pouvons affirmer qu'en effet Godwin se démarque radicalement des analyses pré-citées, dans la mesure où il précise que :

" L'antinomie individu-collectivité est commune à tous les anarchistes (et à tous les théoriciens politiques). A l'évidence, Godwin tire du côté de l'individu là ou Bakounine s'adresse au peuple. C'est une divergence qui a son importance. Pour Godwin, les individus ne peuvent réellement coopérer que dans le calme qui permet à chacun de cultiver sa sphère propre, et par le canal, essentiellement de la raison. Les émotions ont un effet d'entraînement mais risquent, de ce fait, d'exercer un pouvoir. Pour Bakounine, influencé peut-être malgré lui par la pensée hégélienne, cette coopération n'existe que dans le mouvement et, à la limite, c'est le peuple qui donne aux individus qui le composent leur réalité. Plus qu'une divergence absolue, il s'agit peut-être d'une pondération différente, car Godwin a aussi, et dans le même temps, une conscience profonde de la sociabilité immanente à la condition humaine. " 157(*),

en révélant que :

" Le point central de l'organisation sociale ne serait pas une entité abstraite, à la manière de la " république universelle " qu'imagine Kant, mais l'individu concret, ses besoins, ses désirs, ses devoirs. Cet individu a besoin de sa sphère personnelle, et a le droit d'exiger qu'on la respecte.

C'est d'ailleurs le seul droit qu'il ait et, selon Godwin, c'est un droit " passif ". Pour lui, en effet, la morale, individuelle ou politique, n'est pas fondée sur les droits, mais sur les devoirs. Ce n'est pas forcément le signe d'un rigorisme moral exagéré, mais plutôt une conséquence logique de sa conception de l'homme et de la société. Un droit peut être exigé d'une instance supérieure, et ne peut être que garanti par elle. Or dans le système de Godwin, celle-ci n'existe pas sous une forme instituée. Le point central de ce système, ce qui en fait la cohérence, c'est l'individu concret, qui n'a donc, logiquement, personne à qui s'adresser pour le respect de ses droits. Il ne peut donc exister de " droits de l'homme ". Mais cet individu, pour se respecter lui-même, a le devoir de respecter l'autre et de participer avec lui aux progrès de la vertu et du bonheur universels ; il a le devoir de reconnaître l'autre comme son semblable et son égal. On n'a pas le droit de " faire ce qu'on veut ", mais le devoir de nous guider sur la raison et de faire tout ce qui nous est possible dans ce but de recherche du bonheur, de la vertu et de la vérité.

Cet individu a besoin aussi de l'apport des autres, parce qu'il n'est pas tout-puissant, et parce que ceux-ci l'enrichissent, affectueusement et intellectuellement. Et aussi, mais ceci intervient plus tard dans la pensée de Godwin, parce qu'il est poussé ou attiré vers eux, vers le mystère de cette existence à la fois si semblable et si différente.

Les autres, ce sont d'abord ceux qu'on connaît et qu'on fréquente quotidiennement. Il y aura des divergences, bien sûr, des interprétations différentes du bien collectif et de la justice, peut-être même des conflits. Mais il n'y aura nul besoin, pour les régler, d'institutions établies de façon définitive. Dans un premier temps nous serons peut-être amenés à faire appel à l'arbitrage d'un groupe de personnes que l'ensemble de la collectivité s'accordera à reconnaître comme étant les plus " sages ". Mais nous nous rendrons compte que, guidés par les principes de la justice et par la raison, ils tomberont d'accord. Nous pourrons alors demander à un seul de se charger de cette tâche ingrate, permettant ainsi aux autres de consacrer plus de temps à des travaux plus intéressants et plus utiles pour la collectivité. Bientôt, même, nous réaliserons que ces principes sont en nous et peuvent tout autant nous guider que ceux à qui nous avions d'abord fait appel.

Il y aura sans doute des hommes qui ne se plieront pas aux règles adoptées en commun. Imaginer pour eux des jugements ou des châtiments ne se justifie en aucune façon. Le châtiment est une contrainte, et la contrainte, outre qu'elle est contraire à l'égalité des hommes entre eux, ne peut jamais persuader. Le châtiment n'a pas non plus valeur de dissuasion, puisque le criminel (ou le déviant) se croit toujours dans son bon droit. Pour Godwin, en effet, seule l'ignorance est responsable des erreurs ou des fautes. Personne ne peut, dès lors qu'il a reconnu la raison, l'ignorer sciemment et contrevenir à ses impératifs. Il nous faudra donc discuter avec eux, essayer de les convaincre, et, si nous n'y parvenons pas, leur demander de tenter de trouver ailleurs une communauté plus accueillante à leurs exigences. Quant aux criminels avérés, si nous devons nous protéger du mal qu'ils peuvent causer à la collectivité en les en éloignant, nous ne sommes pas fondés à leur infliger un châtiment qui serait justifié par des arguments de moralité : ils ne sont pas coupables de leurs crimes, puisque ce sont les circonstances qui les y ont amenés. " L'assassin n'est pas plus responsable que le poignard du meurtre qu'il commet. "

Il faudra bien sûr nous entendre avec d'autres collectivités, de plus en plus lointaines, jusqu'à ce que cet accord embrasse l'humanité entière. Ce n'est qu'à cette condition que les idées et les opinions pourront se frayer un chemin et que la recherche de la vérité progressera. Des assemblées ponctuelles ou régulières permettront de discuter des problèmes que nous avons en commun et d'élaborer des solutions, jusqu'à ce que, là aussi, ces solutions, dictées par la raison universelle, s'imposent d'elles-mêmes. Il n'y a, pour tous, qu'un seul principe, celui de la justice, et, à un moment donné, qu'une seule vérité qui soit acceptable pour tous. A condition, bien sûr, que les idées circulent librement et que la vérité puisse ainsi triompher des préjugés.

Alors, les hommes seront paisibles. Il n'existera plus entre eux de vaine compétition dans la recherche des honneurs et de la richesse, mais une émulation joyeuse les poussera vers le bonheur et la vertu." 158(*)...

" ... pour Godwin, la reconnaissance de l'individu, comme première et peut-être seule réalité, est à la base de l'établissement d'un système politique fédéraliste qui conduit à l'universel. Le centre du système de Godwin (et des anarchistes), c'est donc l'individu. "159(*)

L'individu dont parle Godwin est avant tout social :

" La recherche à propos de l'équilibre entre l'individualité et la communauté n'a pas de fin. D'un côté, il faut constater que les êtres humains sont faits pour la société. Sans société, nous serions probablement privés des plus grandes joies dont notre nature est capable. Dans la société, aucun homme possédant la marque naturelle de l'homme ne peut rester seul. Nos opinions, nos caractères et nos habitudes sont modifiés par ceux de chacun. Ce n'est en aucun cas le simple effet des arguments et de la persuasion ; cela se produit d'une manière insensible et graduelle à laquelle aucune conviction ne peut nous permettre de résister complètement. Celui qui voudrait s'y opposer en se plongeant dans la solitude tomberait dans une plus grave erreur que celle qu'il cherche à éviter. Il se priverait de ce qui fait la caractéristique d'un homme et serait incapable de juger ses semblables, ou de raisonner sur les affaires humaines.

D'un autre côté, l'individualité est la véritable essence de la perfection intellectuelle. Celui qui se limite entièrement à la sympathie et à l'imitation ne peut posséder que peu de force et de justesse intellectuelles. Le système de sa vie serait une sorte d'abandon aux sentiments... Celui qui est véritablement respectable et heureux doit avoir la fermeté de maintenir son individualité. S'il tolère les satisfactions et cultive les sentiments d'un homme, il doit dans le même temps être déterminé à poursuivre le cours de ses réflexions, et à exercer la puissance de son entendement. " 160(*),

de par sa nature même, et cependant jaloux de son individualité, de conserver et d'élargir sa sphère personnelle d'action et de réflexion :

" Sans aucun doute, l'homme est fait pour la société. Mais il y a une voie par laquelle l'homme risque de fondre sa propre existence en celle des autres, ce qui est profondément pervers et nuisible. Chaque homme doit demeurer son propre centre, et consulter son propre entendement. Chaque homme doit sentir en lui-même son autonomie que les principes de justice et de vérité lui permettent de revendiquer, sans qu'il soit obligé hypocritement de les adapter aux particularités de sa situation et aux erreurs des autres. " 161(*)

et qu'il ne peut être assimiler à un objet abstrait. Au contraire, pour lui, c'est parce que l'agent géographique existe en tant que tel que :

" La société n'est rien de plus qu'un groupement d'individus. Ses droits et ses devoirs doivent être la combinaison des droits et devoirs de ces individus, aucun n'étant plus incertain ou arbitraire que l'autre. Qu'est-ce que la société a le droit d'exiger de moi ? il a été déjà répondu à cette question : tout ce qu'il est de mon devoir de faire. Quelque chose de plus ? Certainement non. " 162(*)

En conclusion l'optimum collectif peut être défini comme lieu de jonction, à différents niveaux : d'une part entre l'individu et le collectif par le dépassement du type de relations, admis comme modèle, issu de la sphère privée ; d'autre part entre l'économique et l'éthique par les modalités de satisfaction ou de non-satisfaction des besoins matériels et les modalités que se donnent les agents géographiques pour communiquer et partager les conceptions de valeur et de sens qu'ils veulent donner à la vie. Pour nous, l'optimum collectif se démarque de la raison d'État défini par Kant ou Hegel163(*) ou du concept de volonté générale défendu par Rousseau. Godwin n'affirme-t-il pas, sans une part d'évidence, que :

" Si le gouvernement est institué sur le consentement du peuple, il ne peut avoir aucun pouvoir sur un individu qui refuserait ce consentement. Si un consentement tacite n'est pas suffisant, encore moins peut-on supposer que j'ai consenti à cette institution si je m'y suis opposé de façon formelle. C'est la conséquence immédiate des observations de Rousseau. Si le peuple ou les individus dont il est constitué ne peuvent déléguer leur pouvoir à un représentant, un individu ne peut pas non plus déléguer son pouvoir à une majorité dans une assemblée dont il est lui-même membre. Ce ne peut être qu'une bizarre sorte de consentement que celui qui se manifeste d'abord par une inflexible opposition, et par une soumission absolue ensuite. " 164(*)

Les pages ci-dessus écrites pour une tentative de définition des concepts d'optimum individuel et d'optimum collectif se veulent plus qu'une prétentieuse ambition de création sémantique mais, bien au contraire semblent constituer les deux éléments conceptuels indispensable à une synergie véritable pour l'adéquation des moyens avec la fin (ou l'indissoluble liaison des moyens avec la fin) de la théorie sociale des anarchistes. La particularité de la pensée anarchiste nous révèle maintenant, du moins nous semble-t-il, toute sa pertinence dans sa recherche pratique d'une stratégie sociale efficace en vue de pérenniser un système politique où la fin indique les moyens et en retour les moyens construisent la fin. Cette synergie découlant des concepts d'optimum individuel et d'optimum collectif trouve sa justification dans les actes militants de tout agent géographique anarchiste :

" Le principe de base est simple. Ce n'est pas l'adhérent, mais l'individu, unité autonome et indépendante. Cet individu s'associe - ou non - avec d'autres pour former des groupes, mais, au sein de ceux-ci, il demeure autonome et indépendant. La liberté est donc totale et aucune obligation d'aucune sorte n'existe à aucun degré. Puisqu'elle laisse à chacun, groupe ou individualité, la plus complète liberté, cette formule est la seule authentiquement anarchiste. Puisque la règle d'unanimité interdit à une majorité d'imposer sa loi à une minorité ; puisque, enfin, le refus du choix collectif laisse finalement à chacun la possibilité de se déterminer lui-même...L'efficacité étant la raison même de l'existence d'un groupement orienté vers l'action, il convient d'admettre les moyens 165(*) de cette efficacité. Posons le problème. Des hommes se réunissent pour agir en commun, mais ces individualités n'ont pas toutes exactement la même pensée, la même optique, les mêmes réactions. Il convient donc d'élaborer un certain nombre de règles communes qui seront l'expression moyenne de l'ensemble et que chaque adhérent s'engagera à respecter. Ces règles communes constitueront les structures de l'organisation. Et ainsi apparaît la seconde valeur du groupement : la discipline librement consentie...166(*)

Efficacité et discipline librement consentie, la première étant la raison du groupement, la seconde son moyen, telles seront les deux valeurs de base de toute organisation. Mais cette base serait incomplète - non libertaire - si l'on n'introduisait pas une troisième valeur, dont l'absence rend étouffante l'atmosphère des organisations autoritaires, la liberté. En effet, ceux qui - et c'est le cas des anarchistes - se refusent à admettre la fameuse maxime : la fin justifie les moyens - maxime au nom de laquelle ont été commis les plus monstrueux crimes sociaux de l'Histoire - ceux-là ne peuvent conférer à la seule efficacité une valeur absolue. La fin pour laquelle luttent les anarchistes - l'instauration d'une sociétés d'hommes libres - ne saurait être poursuivie avec des moyens qui seraient la négation de cette fin. D'où la nécessité, absolue celle-là, de maintenir à tous les niveaux et dans toutes les circonstances, les conditions du libre examen et de la libre discussion - liberté d'expression qui permet de redresser les erreurs et dont l'absence précipite inévitablement toute organisation dans les égarements mortels du sectarisme et du dogmatisme.

Nous avons maintenant réuni les éléments essentiels d'une organisation anarchiste : l'efficacité, valeur de raison, la discipline, valeur pratique, et la liberté, valeur morale." 167(*)

La particularité de la pensée anarchiste est de proposer une adéquation, voire une fusion, entre les moyens et la fin.168(*) L'anarchie considère, en effet, que les moyens et la fin sont indissolublement liés. Séparer artificiellement la fin des moyens revient à nier la relation organique qui les unit. C'est cette perception de la fusion entre les moyens et la fin qui permet, selon les théoriciens libertaires, de mettre en pratique l'anarchie en développant des formes d'organisations socio-spatiales appropriées au sein de la société.

* 143 Bakounine Michel. Le principe de l'État.

* 144 De nombreux ouvrages anarchistes insistent sur ces déductions, on peut, quelque peu arbitrairement, en citer quelques uns : Bakounine Michel. Dieu et l'État. Paris : Mille et une nuits, 1997, 94 p. ; Proudhon Pierre Joseph. Idée générale de la Révolution. Paris : Collection anarchiste, 1979, 3° étude pp. 59-81. ; Heintz Peter. Anarchisme négatif, anarchisme positif. Essai d'interprétation anarchiste du monde moderne. Lyon : ACL, 1997, 119 p. ; Boockchin Murray. Une société à refaire, pour une écologie de la liberté. Lyon : ACL, 1992, chapitre 4, pp.89-117 ; Ernestan. Valeur de la liberté. Paris : La ruche ouvrière, 1966, 191p.

* 145 Anarquismo y géografia. Barcelona : Op. cit., pp. 253-290. Clastres Pierre. Recherches d'anthropologie politique. Paris : Seuil, 1980 ; Sahlins Marshall. Age de pierre, âge d'abondance. Paris : Gallimard, 1976, et Au coeur des sociétés : raison utilitaire et raison culturelle. Paris : Gallimard, 1991 ; Leval Gaston. L'Espagne libertaire 1936-1939. L'oeuvre constructive de la Révolution espagnole. Paris : Editions du Cercle, Editions de la Tête de feuilles, 1971, 402 p. ; Mintz Frank. L'autogestion dans l'Espagne révolutionnaire. Paris : Maspéro, 1976, 380 p. Les quatre derniers auteurs ne sont pas des géographes de formation, mais ils ont, cependant, décrits de manière assez spatiale, les formes d'organisation humaines issues du projet social de la théorie libertaire.

* 146 Trochet Jean-René. Géographie historique. Hommes et territoires dans les sociétés traditionnelles. Paris : Nathan, 1998, 254 p.

* 147 Ibid., p. 27.

* 148 Les auteurs contemporains (Castoriadis, Arendt, Foucault) pourraient aussi être sollicités sur cette même thématique.

* 149 Hobbes Thomas. Léviathan. Paris : Sirey, 1971, p. 124.

* 150 Ibid., p. 191.

* 151 Weber Max. Le savant et le politique. Paris : 10/18, 1996, p. 123-127.

* 152 Ibid.

* 153 Ibid.

* 154 Kant Emmanuel. Du rapport entre la théorie et la pratique dans le droit politique. Paris : GF-Flammarion, 1994, p. 63 et s.

* 155 Ibid.

* 156 Spinoza Baruch. Traité théologico-politique. Paris : GF-Flammarion, 1965, pp. 329-332.

* 157 Notes de Thévenet Alain in Godwin William, Et l'euthanasie du gouvernement. Lyon : ACL, 1993, p. 42. Pour approfondir sa réflexion, on peut aussi consulter d'autres articles : Une politique anarchiste ? in Etat, politique, anarchie. Lyon : ACL, 1993, pp. 11-30 ; William et moi. Individualisme et liberté, " illusions nécessaires " ? " in La culture Libertaire, actes du colloque international de Grenoble, mars 1996, pp. 103-114 ; Une terre à habiter, une histoire à bâtir in Réfractions n°2, été 1998, pp. 9-23.

* 158 Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 30.

* 159 Ibid., p. 40.

* 160 Godwin William. Of population. An enquiry concerning the power of increase in the number of mankind : being an answer to Mr Malthus essay on the subject, Londres : Longman, 1820. Texte traduit et présenté par Thévenet Alain.

* 161 Godwin William. Essays never before Published. londres, H.S. king et Co, 1873. Texte traduit et présenté par Thévenet Alain.

* 162 Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 84. Textes traduits et présentés par Thévenet Alain.

* 163 Rappelons que pour Hegel, l'individu n'a de réalité que comme membre de l'État : "s'il (l'Etat) est l'esprit objectif, alors l'individu lui-même n'a d'objectivité, de vérité et de moralité que s'il en est membre. " ou encore : " L'État est la réalité en acte de la liberté concrète. " in Principes de la philosophie du droit. Paris : Flammarion, 1999, pp. 360-365.

* 164 Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 86.

* 165 Nous respectons ici la graphie de l'auteur.

* 166 Fayolle Maurice. Réflexions sur l'anarchisme. Fresnes-Antony : F.A., 1977, p.18.

* 167 Ibid, p.22.

* 168 Cette conception méthodologique de l'anarchisme se libère radicalement de la nécessité de prendre des décisions en accord avec les "dures contraintes de la réalité " de toutes les politiques réformistes qui aboutissent immanquablement à renoncer aux principes initiaux en subordonnant la fin aux moyens ou bien de celle des partisans des régimes autoritaires qui considèrent que, pourvu que la fin soit bonne et qu'on la garde toujours à l'esprit, les moyens importent peu : la fin possédant la capacité de transcender les moyens.

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