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Agents géographiques et société libertaire

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par Gérard Gonet-Boisson
Université de Pau et des Pays de l'Adour - DEA de Géographie 2000
  

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    FACULTÉ DES LETTRES, LANGUES

    ET SCIENCES HUMAINES

    Université de Pau et des Pays de l'Adour

    Département de Géographie

    AGENTS GÉOGRAPHIQUES

    et

    SOCIÉTÉ LIBERTAIRE

    Mémoire de D.E.A.

    présenté et soutenu par

    GONET - BOISSON Gérard

    Dirigé par

    Monsieur BERDOULAY Vincent

    Professeur de Géographie à l'U.P.P.A.

    Juin 2000

    Le savant du jour n'est que l'ignorant

    du lendemain.

    Élisée Reclus

    Je dédie ce travail personnel à :

    Madame Kerboul, Professeur de français de mes années de collège, sans qui - j'en suis, chaque jour, plus convaincu - je n'aurais pu reprendre des études universitaires après un intermède de plus de vingt années d'activité professionnelle. Que sa tâche de pédagogue tenace et efficace soit ici reconnue et appréciée.

    Je remercie tout particulièrement :

    Monsieur Berdoulay Vincent pour sa réflexion et ses connaissances.

    RÉSUMÉ

    La géographie libertaire impulsée par les militants anarchistes français Élisée Reclus et russe Pierre Kropotkine à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, constitue une branche encore mineure de la géographie universitaire. Cependant, en ces temps d'incertitudes idéologiques, la redécouverte de leurs positionnements scientifiques et de leurs propositions d'organisation socio-spatiale des sociétés humaines permet, au regard des concepts développés par cette école de pensée radicale, de redonner espoir à l'individu défini comme agent géographique initiateur et maître de ses projets et de son épanouissement au sein de la collectivité humaine.

    Mots clés : Géographie libertaire, épistémologie, histoire de la géographie, méthode synthétique, Élisée Reclus, Pierre Kropotkine.

    RESUMEN : AGENTES GEOGRÁFICOS Y SOCIEDAD LIBERTARIA.

    La geografía libertaria impulsada por los militantes anarquistas francés Eliseo Reclús y ruso Pedro Kropotkín a finales del siglo XIX y principios del siglo XX constituye una rama, todavía menor, de la geografía universitaria. Sin embargo, en estos tiempos de incertidumbres ideológicas, el redescubrimiento de sus posiciones científicas y de sus proposiciones de organización socio-espaciales de las sociedades humanas permiten, respecto a los conceptos fomentados por esta escuela de pensamiento radical, dar de nuevo esperanzas al indivíduo definido como agente geográfico iniciador y dueño de sus proyectos y de su plenitud.

    Geografía libertaria, epistemología, historía de la geografía, metodo sintetico, Éliseo Reclus, Pedro Kropotkín.

    ABSTRACT : GEOGRAPHICAL AGENTS AND LIBERTARIAN SOCIETY.

    The libertarian geography impelled by the anarchistic militants French Elisee Reclus and Russian Pierre Kropotkine at the end of XIX°century and the beginning of the XX° century, constitutes a still minor branchof the university geography. However, in these times of ideological uncertainties, the rediscovery of their scientific positionings and their proposals of socio-space organization of the human societies allow, the glance concepts developed by this radical school of thought, to give again hope with the individual defined as initiating geographical agent and Master of its projects and its blooming within the human community.

    Libertarian geography, epistemology, history of the geography, method synthetic, Elisee Reclus, Pierre Kropotkine.

    Introduction :

    Doit-on continuer à opposer individus et société ? A l'efficacité gestionnaire et régulatrice de l'une devrait se soumettre les aspirations et les buts des autres. Cependant, les conflits actuels, souvent liés à la fragmentation économico-politique et culturo-religieuse du monde liés à une désaffection croissante des individus aux règles politiques des régimes dirigeants nous invitent à une étude renouvelée de la diversité des façons de concevoir l'occupation et l'utilisation humaines sur la face de la terre, ainsi que des moyens de les atteindre.

    Notre réflexion veut s'inscrire dans le courant de la géographie dite critique. L'" intérêt émancipatoire "1(*) de la géographie anarchiste (ou libertaire) est omniprésent. Tant dans les moyens que dans les fins qu'elle veut susciter dans l'organisation des sociétés et donc dans la distribution et la répartition humaine à la surface de la planète, elle préconise le poids " fondamental de l'individu " dans les schèmes de l'organisation spatiale.

    L'interrogation majeure, ou problématique centrale, qui découle de cette réalité sémantique, veut se poursuivre par une interpellation théorique (géographique) face à une certaine forclusion des idées de cette "philosophie "sociale particulière concernant plus particulièrement les propositions d'organisation et de répartition des hommes et de leurs institutions :

    Comment la pensée géographique libertaire a-t-elle conceptualisé les rapports à l'altérité entre l'être individuel (ou agent géographique) et le collectif (ou société humaine) dans une perspective historique, et comment a-t-elle tenté de projeter un modèle sociétal cohérent à l'échelle mondiale ? Quels outils la méthodologie libertaire a-t-elle élaboré, pour construire son corpus théorique ? Est-elle à la source d'une conception spatiale différente des lieux humanisés ? Les lieux d'expression démocratique de la société libertaire imaginée reposent-ils sur une perception différenciée de l'épanouissement social et politique de l'agent géographique ? En terme d'analyse spatiale, la pensée libertaire engendre-t-elle une inscription sculpturale différente dans la structure des réseaux engendrés par les types de relation inter et intra humaines qu'elle préconise ? L'organisation sociétale préconisée par ces géographes libertaires se traduit-elle par une lecture différenciée de l'espace géographique ? La part incongrue réservée dans les ouvrages géographiques à la géographie libertaire, nous incite, de par notre statut de chercheur qui veut que tout essai théorique est du ressort du domaine scientifique, de faire une lecture spatialisée des rapports de l'homme à la nature et des hommes entre eux afin de participer à la validité (ou à la non validité) de la pertinence de l'approche libertaire de l'espace en terme de stratégie alternative à la gestion des sociétés humaines. La prise de conscience récente et progressive de la dimension planétaire des enjeux sociaux et environnementaux implique que soient revus les grands courants intellectuels de la modernité.

    Sans les détailler, nous devons au préalable exposer les principes de base d'une société libertaire telle qu'elle a été suggérée par les différents penseurs du mouvement anarchiste. L'abord de ce point nous amènera à dépasser le cadre réflexif de la politologie classique en ne considérant plus l'anarchisme comme une idéologie singulière, mais aussi et peut-être surtout, comme une méthode (une méthodologie ?) permettant une réflexion pertinente sur les moyens et les fins en matière de politique.

    Si Élisée Reclus (1830-1905) est reconnu comme le plus grand géographe français libertaire, nous devons cependant puiser nos références à d'autres sources. Le contexte épistémologique et théorique de la fin du dix-neuvième siècle, nous incite à élargir nos terrains d'investigations. Pour ces raisons, nous baserons notre réflexion sur les travaux d'Élisée Reclus, mais aussi ceux de Kropotkine (1842-1921), et de Godwin (1756-1836), sans oublier les militants actuels et bien sûr les travaux scientifiques. Cette présentation des principes méthodologiques de l'anarchisme constituera le premier volet de notre travail de recherche.

    Dans le cadre de notre recherche et dans la lignée de la géographie critique, en premier lieu l'agent géographique doit être plus précisément défini. Pour cela diverses approches sont nécessaires pour argumenter.

    A la lecture des principaux écrits anarchistes effectuée dans le cadre de notre recherche, il en ressort que le sens commun des libertaires conçoit l'agent géographique comme l'être humain, le détenteur de deux savoirs dont celui-ci mesure la réalité et le poids : le savoir hérité de ses ancêtres, et le savoir constitué par son action quotidienne à la surface de la terre et qu'il ajoute à celui hérité. C'est la prise en compte de ses deux paramètres qui transforme l'individu en agent géographique dans la mesure où le savoir et l'action ainsi mises en synergie alimentent son regard porté sur son environnement terrestre et lui permet de répondre aux questions inhérentes au sens et au rôle de sa présence sur l'interface de la terre. La différenciation entre l'individu et l'agent géographique est soulignée par le fait que ses souhaits d'action issus de cette réflexion préalable débouchent fatalement sur le terrain social et influencent directement son rôle de marqueur terrestre. Le problème du rapport de l'Homme à l'environnement terrestre est ici valorisé, non à travers son degré de liberté ou de soumission vis à vis d'un déterminisme géographique, mais plutôt vis à vis d'un déterminisme humain : quelle part de l'individuel la société est-elle prête à admettre, à utiliser et à valoriser comme élément organisateur de l'humanité ?

    Si le bagage scientifique du dix-neuvième siècle manque de précision conceptuelle, Élisée Reclus n'y échappe pas ; néanmoins il appréhende la fonction particulièrement géographique de l'homme à la surface de la terre. Il détecte déjà que l'occupation et l'utilisation humaines sont régies par des règles que l'homme a lui-même établies au cours des âges grâce à l'évolution de l'espèce humaine.

    L'autre différenciation entre l'agent et l'individu est purement étymologique. Un agent est celui qui agit, qui transmet une action. Si la définition paraît claire et est fréquemment utilisée en géographie physique (ne parle-t-on pas d'agent d'érosion en citant l'eau, par exemple) elle peut aussi permettre une clarification sémantique en géographie humaine. Agent semble plus pertinent qu'acteur, couramment admis en géographie économique par exemple, au regard des définitions données par les dictionnaires. Si cet avis peut sembler a priori subjectif, une comparaison des définitions données par le " Petit Robert ", dictionnaire de langue française reconnu, et " Les Mots de la Géographie ", dictionnaire critique de géographie concernant les mots acteur, agent, sujet et individu mérite notre attention.

     

    Etude sémantique comparative

     

    Petit Robert

    Mots de la Géographie

    Acteur

    Artiste dont la profession est de jouer un rôle à la scène ou à l'écran ; personne qui prend une part active, joue un rôle important.

    Celui qui agit (les acteurs agissent sur l'espace selon leurs moyens et leurs stratégies...)

    Agent

    L'être qui agit, qui transmet une action (opposé à patient, qui subit l'action)

    Celui qui agit, terme un peu désuet...de nos jours on parlerait plutôt d'acteurs...

    Sujet

    1° sens : personne soumise à une autorité souveraine.

    2° sens : être individuel, personne considérée comme le support d'une action, d'une influence.

    3° sens : être vivant soumis à l'observation.

    1° sens : qui est sous. Soumis, dépendant: on est sujet du seigneur ou de l'Etat...

    2° sens : depuis Kant, le sujet est aussi celui qui parle, qui agit. De cette manière, comme être connaissant, il s'oppose à l'objet, qui lui est extérieur mais qui lui va être soumis.

    Individu

    1° sens : tout être formant une unité distincte dans une classification.

    2° sens : corps organisé vivant d'une existence propre et qui ne saurait être divisé sans être détruit.

    3° sens : unité élémentaire dont se composent les sociétés.

    Personne, être humain, quel qu'en soient le sexe, l'âge, la nationalité, le métier, mais le terme est peu employé car il a une vague connotation péjorative...

    La synonymie accordée par R.Brunet aux mots acteur et agent ne se prête pas à la clarification sémantique du langage géographique. Par contre, Le Petit Robert apporte lui, une précision, il élimine du mot agent la notion de simulacre incluse dans le mot acteur. La part d'initiative issue de l'individu est admise de fait et est surtout considérée comme l'élément moteur de l'action.

    La définition de l'individu est, elle, très nettement mathématique (par trop comptable) et très éloignée d'une définition reclusienne qui considère l'être humain comme d'essence sociale. En cela, le choix de l'emploi du concept d'agent géographique se démarque très nettement de la branche individualiste du mouvement anarchiste. Élisée Reclus, anarchiste en même temps que géographe marque ainsi sa nette préférence pour l'être social. Même si le terme d'agent géographique est peu utilisé dans ses oeuvres, il en mentionne toutefois le sens particulier dans l'un de ses premiers ouvrages géographiques majeurs, sens que nous adopterons maintenant dans le cadre de notre recherche.

    "L'homme, cet " être raisonnable " qui aime tant à vanter son libre arbitre, ne peut néanmoins se rendre indépendant des climats et des conditions physiques de la contrée qu'il habite. Notre liberté, dans nos rapports avec la Terre, consiste à en reconnaître les lois pour y conformer notre existence. Quelque soit la relative facilité d'allures que nous ont conquise notre intelligence et notre volonté propre, nous n'en restons pas moins des produits de la planète attachés à sa surface comme d'imperceptibles animalcules, nous sommes emportés dans tous ses mouvements et nous dépendons de toutes ses lois... Après avoir été longtemps pour le globe de simples produits à peine conscients, nous devenons des agents 2(*) de plus en plus actifs dans son histoire." 3(*)

    Cette citation, loin de sembler souscrire à la pensée de Montesquieu4(*) qui attribue une influence majeure d'un élément naturel sur les sociétés humaines, Élisée Reclus, tout au long de son oeuvre de géographe et en particulier dans L'homme et la terre, met en valeur les interactions constantes entre les éléments naturels (" le milieu statique " 5(*)) et les éléments humains (" le milieu dynamique " 6(*) ) ainsi que la complexité du milieu géographique7(*) et souhaite que les peuples conscients de ces réalités spatiales puissent finalement devenir les agents de leur propre organisation et répartition à la surface de la terre.

    Un autre emploi du vocable agent peut être mentionné. Dans un article intitulé " L'homme et la nature - De l'action humaine sur la géographie physique " 8(*), Élisée Reclus utilise cette expression dans le sens que nous avons précédemment défini :

    " Délivrés, grâce à l'intervention insensée de l'homme, des oiseaux qui leur faisaient la guerre, les tribus des insectes, fourmis, termites, sauterelles, s'accroissent en nombre de manière à devenir, elles aussi, de véritables agents géographiques." 9(*)

    Cette vision " reclusienne " de l'agent géographique s'inscrit, nous semble-t-il, de surcroît dans la réflexion suscitée par le couple géographe Pinchemel depuis presque une décennie. " La face de la terre : éléments de géographie " mentionne dès les premières pages de leur ouvrage que :

    " L'homme est agent géographique quand il défriche, draine, cultive, construit, substitue au milieu naturel, un milieu artificiel qu'il serait plus satisfaisant d'appeler " humain ". 10(*)

    Ces volitions humaines constituent le premier élément fondamental du triptyque de la pensée des Pinchemel : le " savoir ".

    Le deuxième volet, qui est le résultat direct, la conséquence spatiale de " l'être qui agit "11(*) suscite la curiosité du géographe, car en effet :

    " L'action géographique des hommes entraîne l'inscription de traces, de lignes, de surfaces, de volumes, les uns visibles : routes, champs, bâtiments, d'autres non directement perceptibles : trames communales, frontière des Etats, flux de relations. Points, lignes, surfaces, volumes sont, au sens le plus fort, une écriture géographique ". 12(*)

    Le propos du présent mémoire est de déchiffrer justement cette écriture géographique d'une société aux messages culturels particuliers, la société libertaire. Si comme toutes les sociétés, la société libertaire a son écriture, c'est à sa traduction factuelle sur le support terraqué que notre recherche va s'attacher. Elle devra mettre en évidence l'" indissociabilité "13(*) du savoir et de l'action avec la pensée (troisième volet du triptyque), en l'occurrence la pensée libertaire.

    Une précision doit, ici, être soulignée. A la différence de Philippe Pinchemel, dans l'entretien qu'il a donné à la revue Historiens et Géographes, Reclus, ne fait aucune différence entre " agents géographiques réels " (les architectes, investisseurs par exemple) et les " consommateurs " de milieu " (les citoyens en l'occurrence). D'ailleurs Pinchemel, précise de lui-même :

    " (...) nous (les citoyens) avons le droit, d'abord, de connaître dans quelles conditions s'élaborent ces transformations géographiques qui ont des répercussions sur notre vie quotidienne ; et nous avons le droit aussi de protester et d'intervenir, en montrant les mauvaises utilisations du sol, les mauvaises décisions, les conséquences des mauvaises décisions. C'est en cela que l'éducation géographique est capitale : ouvrir à l'intelligibilité du Monde, à toutes les échelles. " 14(*)

    Reclus à n'en pas douter aurait souscrit à ce propos.

    Une dernière justification de l'usage préférentielle du concept d'agent géographique au lieu et place d'acteur géographique repose sur une réflexion épistémologique. La science sociale, dont la géographie est une composante, a tendance à construire son corps théorique à partir de concepts globalisants. Le poids de l'analyse statistique prise ces dernières années dans la géographie corrobore cette vision. Si elle a certes permis de révéler des phénomènes jusque là soupçonnés, elle a, aussi tendance, par les nombreux indicateurs qu'elle utilise, à favoriser le regroupement au détriment de l'unité. Selon Desrosières, la notion même de moyenne statistique remplit cette fonction :

    " du moment qu'elle exprime une valeur qui n'appartient pas à un élément isolé, elle confirme l'existence du groupe en tant que réalité supra-individuelle ". 15(*)

    Rarement le niveau théorique d'observation du champ géographique se fixe sur l'individu. L'unité semble une valeur trop unique pour être théorisable. Même si la sociologie ou la géographie, lors d'utilisation d'outils de terrains particuliers comme le questionnaire ou l'entretien, semblent justement se concentrer sur le rôle et le poids de l'individuel dans la détermination et la compréhension d'un phénomène sociologique ou géographique, les résultats de ces investigations se concluent le plus souvent sur l'élaboration de règles générales sensées être appliquées sur d'autres groupes humains ou sur d'autres espaces. Sans prétendre à un retour empiriste de la science qui ne satisfait plus la géographie ou toute science digne de ce nom, une tentative d'élaboration d'une grille de lecture plus fine peut se concevoir.

    Là réside l'interrogation majeure de ce travail : peut-on conceptualiser une théorie opérationnelle, - car cela reste le but essentiel de la recherche en science -, à partir de la plus petite unité de mesure offerte sur le terrain géographique symbolisée par l'agent géographique ? La part revendicative de l'individu est de plus en plus prégnante dans nos sociétés globalisées et globalisantes. Ce niveau d'analyse du champ géographique a déjà été suggéré par des géographes, en particulier les géographes libertaires, sans que leurs analyses aient été incorporées dans le corps théorique des sciences sociales enseignées aujourd'hui. Cette ré-actualisation de ce niveau d'analyse mérite que l'on s'y attarde de nouveau et tels sont la motivation et l'enjeu de ce travail de recherche entrepris cette année.

    D'ailleurs, le terme d'agent géographique s'incorpore tout à fait, nous semble-t-il, dans l'actualité du discours théorique de la géographie d'aujourd'hui et du discours aménagiste en particulier. Les instances gouvernementales n'ont-elles pas préconisé dans leurs orientations futures qu'elles entendent donner à la politique d'aménagement du territoire quatre priorités, dont :

    " celle du partenariat et de la mise en oeuvre de la démocratie participative "? 16(*)

    Cette volonté d'inclure les " Français " aux décisions concernant l'aménagement de leur cadre de vie répond à une forte demande " citoyenne " de mieux équilibrer les processus de décisions. Ceux-ci doivent :

    " accroître l'association des citoyens (...) grâce à des procédures de délibération ". 17(*)

    ou encore :

    " la consultation directe des habitants ". 18(*)

    La définition sémantique des termes agents, acteurs et individus énoncée, la deuxième partie de notre travail portera, à partir des écrits scientifiques et militants des théoriciens libertaires d'hier et d'aujourd'hui, à traduire en termes géographiques les rouages institutionnels préconisés par ces derniers. Cette grille de lecture purement géographique des écrits libertaires, au-delà d'apporter une contribution théorique à la géographie dite critique, permettra surtout une confrontation directe avec les apports scientifiques de la géographie actuelle :

    - La théorie de la formation socio-spatiale dans sa tentative de définir des niveaux de configuration spatiales résultants de formes de gestion ou de pouvoir spécifiques, sera sollicitée et peut-être enrichie ;

    - L'analyse spatiale, branche de la science géographique en plein développement ces dernières années sera, elle aussi, mise à contribution pour nous aider à mieux comprendre et mieux traduire en termes d'organisation spatiale la pensée géographique libertaire.

    En effet, les projets fédéralistes ou communalistes libertaires reposent sur une recomposition totale de l'espace humain. Les rapports sociaux, économiques, politiques de la société libertaire diffèrent radicalement de ceux existants aujourd'hui ou ayant existé, il y a encore peu, dans une certaine partie de l'Europe hier. Les motivations de l'action libertaire qui reposent sur les deux principes fondamentaux de liberté et d'égalité économique et sociale, impliquent des refus institutionnels précis : refus de l'État, refus de la logique du profit par exemple. Ces considérations propres à la pensée libertaire entraînent un débat sur la validation des concepts "d'optima individuels et collectifs " : le rôle et la place de l'individu - de l'agent géographique dans le cadre de notre étude - dans l'organisation de la société humaine est remis en question chaque jour un peu plus, et la réflexion libertaire à ce sujet a le mérite d'exister. Cette exigence d'égalité et de liberté des anarchistes débouchent sur un ensemble de projets. Les concepts de " libre association ", " d'autogestion " trouvent leurs applications dans les projets fédéralistes de la pensée anarchiste.

    Cet ensemble de lectures et de traductions géographiques nous amène à l'hypothèse centrale de notre travail : la plausibilité de la méthodologie libertaire ne nécessite-t-elle pas l'existence préalable d'espaces " émancipatoires " ? Lieux, pôles, réseaux où la culture et la formation du jugement politique de chaque agent géographique puisse se construire et se développer. La préoccupation de la formation continue des individus pour parvenir à une société composée d'" êtres raisonnables " pour reprendre ici une expression d'Élisée Reclus, confirme que les auteurs libertaires sont soucieux d'atteindre ce stade d'évolution intellectuelle le plus rapidement possible avant d'envisager tout espoir de révolution sociale. Face à ce besoin d'expression de la paidéïa19(*) , nous devons nous demander, en tant que chercheur, si ce concept est opératoire. En quoi peut-il être différent de la notion d'espace public, utilisé par les théoriciens de la démocratie ; et, surtout qu'apporte-t-il de supplémentaire et en fin de compte de décisif en terme de stratégie ? Enfin, dans une préoccupation purement géographique, son existence opératoire inscrit-elle de nouveaux schémas d'occupation et d'utilisation de l'espace terrestre de la part de la société humaine ? Ce sont, sûrement les réponses à ces questions importantes qui font l'intérêt de cette recherche. Des réponses qui empruntent aujourd'hui au domaine de l'utopie, son moteur, mais qui demain, par la réflexion démontreront peut-être sa congruence au réel.

    Chapitre 1

    La géographie libertaire : une lecture de l'espace fondamentalement globale.

    1.1 - Les méthodes scientifiques de Kropotkine, géographe et anarchiste.

    Si l'anarchie n'est que l'une des composantes des différents mouvements sociaux à vocation " émancipatoire " qui ont émergé à l'aube de la révolution industrielle, il est néanmoins intéressant de connaître son positionnement au sein des divers courants de pensée scientifique. Nous allons tenter de déterminer les raisons de son attitude propre vis-à-vis des divers courants de son époque. Cette partie va mettre, plus particulièrement, en évidence le refus de la méthode dialectique dans le cadre d'une recherche scientifique de la part des théoriciens anarchistes de la Géographie et révéler la vision originale de ceux-ci pour appuyer leurs conclusions. Notre étude veut permettre l'amorce une réflexion originale à partir d'un cadre historique et épistémologique précis, celui de la naissance des sciences sociales.

    La publication récente d'un ouvrage de réflexion sur la pensée sociale d'Élisée Reclus20(*) a suscité de nombreux débats entre universitaires dans la presse libertaire21(*) : géographes et sociologues français ont analysé et contesté certains points de l'argumentation de l'auteur, professeur de sociologie dans une université américaine. Au delà de l'aspect polémique qu'ils ont parfois pris, les points de divergence portaient sur le positionnement théorique des premiers penseurs anarchistes dans le champ des sciences sociales naissantes. Ces interrogations ont trouvé récemment un prolongement au cours du colloque international organisé à Toulouse au mois d'octobre dernier22(*). Ce débat, non clos entre chercheurs, va alimenter notre propre réflexion. Une attention particulière va être portée sur la démarche scientifique des géographes anarchistes les plus renommés que sont Kropotkine et Reclus23(*).

    Une recommandation méthodologique s'impose : la prise en compte du vocabulaire scientifique de l'époque. Une évaluation contextuelle précise doit éviter aux analyses géographiques que nous pouvons faire aujourd'hui de ces textes anciens, de s'égarer sur le sens et la signification réels des démarches méthodologiques des scientifiques de la fin du siècle dernier. La richesse du vocabulaire scientifique actuel, très largement supérieure à celle d'hier, doit nous imposer une prudence d'interprétation. Cette attitude de respect de la sémantique utilisée, va guider notre tentative de lecture des écrits de Kropotkine ou de Reclus dans le cadre de ce travail de recherche. Aux reproches possibles d'une prise de position épistémologique non clairement explicitée ou d'une interprétation subjective en vue d'un prosélytisme inavoué, nous voulons privilégier l'émergence de pistes de réflexions sous-jacentes contenues dans les textes de ces scientifiques à partir de leur propre vocabulaire et ceci en respectant le prisme scientifique de l'époque. La maîtrise de la philosophie anarchiste nous sera ici d'un grand secours.

    1.1.1 Le refus de la méthode dialectique de Kropotkine.

    Des théoriciens anarchistes en même temps géographes, nous allons commencer par l'étude du positionnement scientifique de Kropotkine. Plus connu de nos jours comme théoricien de l'anarchisme, Kropotkine (1842 - 1921) fut néanmoins un géographe réputé. L'ensemble de son oeuvre révèle une approche globale des choses.

    La lecture attentive de son ouvrage La science moderne et l'anarchie écrit en 1913, c'est-à-dire au soir de sa vie militante, mais qui demeure incontournable sur le plan théorique, ainsi que celle de deux articles moins connus, vont nous servir d'arguments démonstratifs de sa conception globalisante de la science géographique à peine naissante puis d'arguments explicatifs de son positionnement scientifique propre.

    En 1893, dans un article intitulé L'enseignement de la physiographie publié dans la revue anglaise Geographical Journal 24(*), Kropotkine élargissant le concept et la discipline proposés par Huxley, qui définit la physiographie comme une sorte de science naturelle complète, adopte purement et simplement la géographie comme seule science globale même s'il conserve une nette prédominance pour l'aspect géo-physique.

    Déjà en 1885, dans un article pédagogique intitulé : Ce que doit être la géographie 25(*), à ma connaissance pas encore traduit en français, il précise que :

    " La géographie doit démontrer que le développement de chaque nationalité est la conséquence de plusieurs grandes lois naturelles, imposées par les caractères physiques et ethniques de la région concernée...". 26(*)

    L'influence du déterminisme prégnant de l'époque est ici plus que sous-jacent, cependant, toujours dans le même article, l'anarchiste mentionne que la géographie doit englober :

    " quatre grandes branches de la connaissance, suffisamment larges...mais toutes intimement connectées entre elles. Trois de ces branches - orogénèse, climatologie, zoo et phytogéographie 27(*) - correspondantes à ce que l'on nomme aujourd'hui comme géographie physique ; tandis que la quatrième, qui inclut une partie de l'ethnologie se nomme la géographie politique ". 28(*)

    Kropotkine pressent que de cette prise en compte globale des champs scientifiques abordés puisse :

    " naître beaucoup de spécialités, certaines intimement liées avec l'histoire, la philologie (...) et d'autres avec les sciences physiques." 29(*)

    Son souci de maintenir l'unité disciplinaire de la géographie est rappelé par cette phrase qui se présente sous forme de conclusion à la fin du chapitre de l'article de 1885 :

    " mais l'authentique obligation de la géographie est de regrouper et de combiner dans un cadre vivant tous les éléments isolés de ce vaste champ de connaissances : le représenter comme un ensemble harmonieux, dont les parties sont les conséquences de quelques principes généraux et sont unies entre elles par leurs mutuelles relations." 30(*)

    L'entr'aide en 1906, Champs, usines et ateliers en 191031(*), La science moderne et l'anarchie en 1913 32(*) sont publiés sous forme initiale d'articles dans la revue pluridisciplinaire anglaise Nineteen Century, aux côtés d'articles de géographie physique.

    Ses travaux sur La grande révolution : 1789 - 1793 le font considérer comme un historien ; ses recherches sur l'entraide dans les communautés animales le rapproche des biologistes ; ses écrits de propagande en font un essayiste et un politologue de renom ; son oeuvre ultime : L'éthique le lie avec la philosophie.

    " Kropotkine est tout cela mais ce qui fait indiscutablement le lien, c'est son approche géographique, son souci constant de localiser, de spatialiser les phénomènes, d'établir concrètement le lien entre l'homme et la nature. Là où les marxistes échouent à force d'historicisme absolu, de moulinette dialecticienne et de déterminisme géographique posé comme condition préalable 33(*), Kropotkine réussit une approche inter-relationnelle." 34(*)

    La conception globalisante de la géographie mise en relief par ces citations, n'en fait pas toutefois une originalité épistémologique majeure. Kropotkine n'est, en quelque sorte, qu'un héritier et un adepte du reniement du caractère métaphysique impulsé par les divers penseurs du Siècle des Lumières. En effet, sous l'impulsion des philosophes anglais et français35(*) du milieu et de la fin du dix-huitième siècle, le désir d'englober toutes les connaissances humaines en un seul système général - le système de la Nature - modifie, indubitablement la façon de penser et construire la science. Nous devons rappeler que le contexte scientifique de la fin du dix-neuvième siècle n'est en rien comparable à celui d'aujourd'hui36(*). Le souci d'un discours théorique et le besoin de conceptualisation est moins courant ou valorisant qu'aujourd'hui. Ce préalable nous impose une circonspection et une exactitude épistémologique et méthodologique vigilante. Néanmoins, Kropotkine, beaucoup plus clairement que Reclus, a précisé sa démarche scientifique dès 189837(*). Cette présence de conceptualisation chez le géographe russe émane en grande partie, selon nous, de l'absence de contraintes éditoriales, au contraire de celles imposées à Reclus par son éditeur38(*), et de ce fait procure à Kropotkine une plus grande liberté de plume. Elle lui permet de construire, librement, hors de contrainte d'un champ académique trop précis, une grille de lecture dans laquelle les théories anarchistes et les théories géographiques sont toujours associées.

    Sa volonté d'établir un cadre " politico-scientifique " à ses recherches :

    " donner une base scientifique à l'anarchisme par l'étude des tendances apparentes dans la société qui puissent indiquer son évolution ultérieure . " 39(*),

    n'est pas aussi incongrue qu'elle puisse paraître, aujourd'hui où le champ de la réflexion épistémologique aborde celui des idées politiques. La géographie dite " radicale ou critique ", par l'intermédiaire de Richard Peet 40(*) en 1977, a permis une redécouverte de Kropotkine.

    De surcroît, plusieurs décennies de recherches géographiques et politiques conforte Kropotkine dans ce sentiment méthodologique :

    " (...) j'en arrivai peu à peu à comprendre que l'anarchisme représente autre chose qu'un simple mode d'action, autre chose que la simple conception d'une société libre ; mais qu'il fait partie d'une philosophie naturelle et sociale, dont le développement devait se faire par des méthodes tout à fait différentes des méthodes métaphysiques ou dialectiques, employées jusqu'ici dans les sciences sociologiques.

    Je voyais qu'elle devait être construite par les mêmes méthodes que les sciences naturelles ; non pas, cependant, comme l'entend Spencer 41(*), en s'appuyant sur le fondement glissant de simples analogies, mais sur la base solide de l'induction appliquée aux institutions humaines...". 42(*)

    Et quelques dix années plus tard, il donnait une explication plus détaillée :

    "J'essaie de montrer que notre conception de l'Anarchie représente une conséquence nécessaire du grand réveil général des sciences naturelles qui se produisit pendant le dix-neuvième siècle. (...) Amené ainsi à étudier sérieusement les remarquables découvertes de ces années, j'arrivai à un double résultat. Je voyais d'une part, comment - toujours grâce à la méthode inductive - de nouvelles découvertes d'une immense importance pour l'interprétation de la Nature étaient venues s'ajouter à celles du passé et comment une étude plus approfondie des grandes découvertes (...) tout en posant de nouvelles questions d'une immense portée philosophique, jetait un jour nouveau sur les découvertes précédentes, et ouvrait de nouveaux horizons à la science. Et là où certains savants, trop impatients, ou trop imbus peut-être de leur éducation première, voulaient voir une "faillite de la science", je voyais seulement un fait normal, très familier aux mathématiciens, le passage d'une première approximation aux suivantes.". 43(*)

    Que peuvent nous inspirer ces citations ? Une première évidence révèle que Kropotkine ne dissocie en aucun cas le domaine naturel du domaine social dans sa grille d'analyse de l'organisation de l'espace. L'influence du siècle des Lumières, dans sa vision rationnelle des choses, est ici encore indéniable : l'homme est un élément constitutif au même titre que le végétal ou l'animal de la Nature. Succède un deuxième aspect qui démontre que la démarche de Kropotkine n'est pas idiographique. Cependant comme tout anarchiste, il se méfie de l'immuabilité des lois, quelles soient politiques ou scientifiques. Si la science arrive à démontrer l'existence de certains rapports entre divers phénomènes, rapports qu'on nomme " une loi " (physique ou autre), Kropotkine rappelle que :

    " Après quoi une masse de travailleurs se met à étudier en détail les applications de cette loi. Mais bientôt, à mesure que les faits s'accumulent par leurs recherches, ces travailleurs découvrent que la loi qu'ils étudient n'est qu'une " première approximation " : que les faits qu'il s'agit d'expliquer sont beaucoup plus compliqués qu'ils ne semblaient être. (De cette manière, alors, on réussit à arriver à une seconde et une troisième approximation, qui répondirent, bien mieux que la première, aux mouvements réels..." . 44(*)

    1.1.2 Inscription dans une philosophie synthétique.

    Cette volonté de construire une méthodologie scientifique basée sur la connaissance rationnelle, et non plus sur des logiques " métaphysiques " qui ne lui conviennent pas en tant que chercheur et anarchiste, conduit Kropotkine à l'adoption d'une méthode basée sur l'élaboration et la confrontation incessante de l'expérimentation. Face à la tendance des encyclopédistes à remplacer " l'inspiration d'en-haut "45(*), nettement métaphysique, par une

    " loi universelle " de la Nature ou un " impératif catégorique " 46(*), tout aussi :

    "...incompréhensibles et nébuleux...". 47(*)

    amène Kropotkine à s'interroger sur la pertinence méthodologique des scientifiques de son époque :

    " On voit ainsi que les penseurs du dix-huitième siècle ne changeaient pas de méthode, lorsqu'ils passaient du monde des étoiles au monde des réactions chimiques, ou bien, (...) au développement des formes économiques et politiques de la société, à l'évolution des religions et ainsi de suite. La méthode restait toujours la même. A toutes les branches des sciences ils appliquaient toujours la méthode inductive. " 48(*)

    Le rejet des formules métaphysiques de la part d'un anarchiste n'est pas pour surprendre. Une explication du rejet de la méthode dialectique de la part du théoricien russe peut ici nous servir de préambule introductif à sa propre conception méthodologique, que nous détaillerons plus avant.

    Les généralisations scientifiques issues de la méthode dialectique étaient, selon lui :

    " (...) basées au fond, sur des assertions bien naïves, pareilles à celles que faisaient quelques Grecs de l'antiquité, lorsqu'ils affirmaient que les planètes devaient courir dans l'espace le long de cercles, parce que le cercle est la plus parfaite des courbes. Seulement, la naïveté de ces affirmations et l'absence de preuves étaient voilées, par des raisonnements vagues et des paroles nébuleuses, ainsi que par un style nuageux et grotesquement lourd (...) Enfin, toutes ces généralisations étaient rédigées dans des formes si abstraites et si nuageuses - telle " la thèse, l'antithèse et la synthèse " de Hegel - qu'elles laissaient pleine liberté à l'arbitraire complet lorsque l'on voulait en tirer des conclusions pratiques. " 49(*)

    La dialectique de type hégélien que l'on peut appeler la " théorie de la contradiction permanente "50(*) considère qu'un état de choses, du seul fait de son existence, suscite sa propre contradiction, que de cette lutte surgit une nouvelle réalité qui suscite à nouveau sa négation, et ainsi de suite. Reprenant la terminologie hégélienne, la dialectique marxiste définit ce processus par la thèse, l'antithèse et la synthèse ; cette dernière devenant une thèse, etc. Kropotkine l'explicite lui-même ainsi :

    "(...) lorsqu'on vient dire à un anarchiste que, d'après Hegel, " toute évolution représente une thèse, une antithèse et une synthèse, " ou bien que " le Droit a pour but l'installation de la Justice, qui représente la substantialisation matérielle de l'Idée Suprême ", l'anarchiste, lui aussi, hausse les épaules et se demande : " Comment est-il possible, qu'au milieu de l'épanouissement actuel des sciences naturelles il se trouve encore des antiques qui continuent à croire en ces " palabres " ? des êtres arriérés qui parlent le langage du sauvage primitif lorsqu'il " anthromorphisait " la nature et se la représentait comme une chose qui est gouvernée par des êtres aux apparences humaines ? " 51(*)

    Cet ordre d'idées aussi abstrait et cette schématisation aussi outrancière des réalités, selon les anarchistes, devient difficilement assimilable pour quiconque désire précisément rester sur le plan réel et concret comme Kropotkine. Le moins que nous puissions en dire, c'est que tout cela reste à prouver. Prouver qu'une situation sociale puisse dans sa totalité se ramener à une thèse ; prouver qu'une thèse crée une antithèse et ne puisse en avoir plusieurs ; prouver que les conflits thèse-antithèse se résorbent nécessairement en une synthèse ; prouver enfin qu'une telle dialectique est scientifiquement valable. Au reste, aux yeux de Kropotkine, cette dialectique résiste mal à une sérieuse et générale confrontation avec l'histoire :

    (...) Aucune des découvertes du dix-neuvième siècle - en mécanique, en astronomie, en physique, en chimie, en biologie, en psychologie, en anthropologie, - n'a été faite par la méthode dialectique. Toutes ont été faites par la méthode inductive - la seule méthode scientifique." 52(*)

    Les erreurs économiques de certains socialistes de son époque, dues pour l'essentiel dans leur prédilection pour la méthode dialectique voire métaphysique pour certains, lui font préférer l'étude des faits réels de la vie économique des nations.

    Avant d'aborder sa conception de la science, il est nécessaire d'esquisser sa vision des choses, de l'organisation du monde ; son positionnement, en tant que chercheur et militant anarchiste, dans le mouvement intellectuel de son siècle.

    Une nouvelle fois, son ouvrage La science moderne et l'anarchie va nous fournir les réponses souhaitées, et ce d'une manière on ne peut plus explicite. Le chapitre VIII commence d'emblée par poser la question essentielle :

    " Quelle position occupe donc l'Anarchie dans le grand mouvement intellectuel du dix-neuvième siècle ? "

    (...) L'anarchie est une conception de l'univers, basée sur une interprétation mécanique 53(*) des phénomènes, qui embrasse toute la nature, y compris la vie des sociétés. Sa méthode est celle des sciences naturelles ; et par cette méthode, toute conclusion scientifique doit être vérifiée. Sa tendance, c'est de fonder une philosophie synthétique qui comprendrait tous les faits de la Nature - y compris la vie des sociétés humaines et leurs problèmes économiques, politiques et moraux. "

    Selon Kropotkine, la philosophie synthétique doit constituer :

    "(...) un résumé systématique, unifié, raisonné de tout notre savoir." 54(*)

    Cette philosophie doit expliquer par phases successives ( du simple au compliqué ) les principes fondamentaux de la vie de l'univers et offrir une clé de lecture pour la compréhension de l'ensemble de la nature. Elle est ainsi censée fournir un outil de recherche favorable à la découverte de nouveaux rapports entre les divers phénomènes pour déboucher sur l'énoncé de lois naturelles. A titre d'exemple l'évolution, selon Kropotkine, pourrait être reconnue comme une loi générale du développement des sociétés. L'intérêt de cette philosophie doit permettre scientifiquement de mettre en évidence :

    " non seulement la négation d'une force qui gouvernerait l'univers ; non seulement la négation de l'âme immortelle ou d'une force vitale spéciale ; mais aussi à nier le gouvernement par l'homme ( l'Etat ). L'application de la philosophie synthétique, en ce qui concerne l'étude de l'organisation des sociétés humaines, doit amener, indubitablement, à prévoir l'Anarchie." 55(*)

    Le parti pris naturaliste et mécaniste de Kropotkine pour justifier sa démarche, ne l'empêche nullement, bien au contraire, d'appliquer la méthode inductive-déductive aux sciences sociologiques et historiques.

    " En étudiant de près les progrès récents des sciences naturelles et en reconnaissant dans chaque nouvelle découverte une nouvelle application de la méthode inductive, je voyais en même temps, comment les idées anarchistes formulées par Godwin et Proudhon et développées par leurs continuateurs, représentaient aussi l'application de cette même méthode aux sciences qui étudient la vie des sociétés humaines. (...) je tâchais d'indiquer, comment et pourquoi la philosophie de l'Anarchie trouve sa place toute marquée dans les tentatives récentes d'élaborer la philosophie synthétique, c'est-à-dire, la compréhension de l'Univers dans son ensemble ". 56(*)

    Cantonner cette démarche kropotkinienne à une vision " classique " d'une géographie qui privilégie la description des faits pour atteindre l'explication, nous semble participer à la forclusion du champ de recherche libertaire du corps universitaire. L'approche de Kropotkine dépasse la simple observation analytique d'un espace donné par des collectes d'informations naturelles et humaines variées ; il va plus loin que la détection de liaisons entre phénomènes et l'explication des répartitions par une recherche des causalités directes de l'espace concerné. Il ne se contente pas de " cataloguer " des travaux, son but est aussi nomothéthique. Kropotkine est victime, nous semble-t-il, de la pauvreté conceptuelle des champs scientifiques de son époque. Toutefois, il explicite, en appendice de son ouvrage sur la science, le champ opératoire de sa démarche qu'il nomme d'ailleurs lui-même inductive-déductive :

    " Elle consiste en ceci :

    1° Par l'observation et l'expérience on cherche à acquérir une connaissance des faits qui concernent le sujet étudié.

    2° On discute ces faits, et l'on cherche s'ils conduisent (verbe latin : inducere) à une généralisation (c'est-à-dire une affirmation générale concernant un grand nombre ou une large division de faits), ou à une hypothèse qui permette d'unir ou d'englober les faits observés. (Par exemple, après avoir observé beaucoup de faits concernant les mouvements des planètes, Képler fit une généralisation et une hypothèse, en supposant que toutes les planètes se meuvent autour du soleil le long d'ellipses, dont le soleil occupe un des foyers).

    3° De l'hypothèse faite (ou des hypothèses faites) on déduit des conséquences (déductions : du verbe deducere) qui permettent de prédire, de prévoir de nouveaux faits ; ceux-ci doivent être vrais, si l'hypothèse est juste.

    4° On compare ces déductions avec les faits observés, mentionnés au paragraphe 1. Si c'est nécessaire, on fait de nouvelles observations ou de nouvelles expériences, pour constater si l'hypothèse est d'accord avec les faits observés ou obtenus dans les expériences. Et l'on rejette, ou l'on modifie son hypothèse jusqu'à ce que l'on ait trouvé une qui s'accorde avec l'état actuel de nos connaissances. (Ainsi, de l'hypothèse de Képler on déduit les positions que chacune des planètes doit occuper à tel instant, dans son mouvement autour du soleil, et l'on compare les positions calculées avec les positions réelles. Puisqu'elles sont d'accord, l'hypothèse se confirme. En outre, on calcule aussi les vitesses de marche des planètes résultant de l'hypothèse, pour les comparer avec les faits). Quant aux différences minimes que l'on constate, on en recherche de nouveau les causes par la même méthode inductive.

    5° Enfin, une hypothèse est considérée comme une loi, lorsqu'elle a été confirmée dans une masse de cas, et lorsqu'on a trouvé le pourquoi, la cause, c'est-à-dire un fait encore plus général du fait établi par induction. (Pour les planètes, l'hypothèse de Képler fut acceptée comme une loi - un rapport permanent, lorsqu'elle fut confirmée pendant des siècles, et que le fait, encore plus général, de la gravitation universelle lui apporta une première explication).

    Cette méthode est la méthode de toutes les sciences exactes ". 57(*)

    Cette digression " pédagogique ", voulue par le géographe russe dans le but express de faciliter la compréhension de ses " lecteurs ouvriers ", nous permet d'avancer quelques pistes de réflexion utiles au débat épistémologique engagé autour des premiers géographes libertaires tout en émettant deux raisons qui semblent présider à l'oubli des contributions théoriques des géographes libertaires de la part de leurs pairs scientifiques.

    * La première réside dans la pauvreté sémantique du vocabulaire conceptuel de la science géographique naissante. Si nous pouvions tenter une traduction contemporaine des termes usités par Kropotkine, serait-ce une interprétation impropre de définir :

    1° - que la méthode inductive-déductive décrite précédemment par Kropotkine est proche de celle préconisée dans les ouvrages de base58(*) du cursus universitaire de géographie et qui se trouve dénommée sous l'intitulé de méthode hypothético-déductive ? La démarche inductive comprenant une simple observation analytique d'une aire ou d'un phénomène donné par une collecte de données variées (milieu naturel et humain), suivie d'un classement voire d'une cartographie des morphologies de répartition des observations faites et pouvant aboutir à une détection des liaisons entre phénomènes et explication des répartitions par recherche des causalités directes dans l'aire d'étude n'englobe-t-elle pas, dans les propos de Kropotkine, le choix d'une problématique et des faits à observer59(*), la formulation d'hypothèses de travail, un souci constant de confrontation des hypothèses et de la réalité observée et une conclusion par rejet, non-rejet ou modification des hypothèses et de la théorie (les généralisations de Kropotkine) les soutenant ? ;

    2° - que la philosophie synthétique dont se réclame Kropotkine est très moderne et annonce, dans la conception et dans la formulation qu'il en donne en termes de combinaisons, les travaux sur les systèmes amorcés dans les années 1970. Les quatre concepts fondamentaux de la démarche systémique que sont l'interaction, la globalité, l'organisation et la complexité ne sont-ils pas sous-jacents dans les termes mêmes de Kropotkine ?

    * La deuxième réside dans une volonté de maintenir en termes "nébuleux ou nuageux", pour reprendre le vocabulaire de Kropotkine, le positionnement scientifique des premiers géographes anarchistes dans une démarche et une approche qu'il a clairement réfutées. Et ceci, autant de la part de représentants du courant de la géographie radicale ou critique - ce qui est peu remarquable au vu de la domination du courant marxiste dans cette branche de la géographie - que de représentants actuels de la mouvance libertaire au sein du corps universitaire.

    1 - Le géographe Robert Galois, directeur de la revue Antipode, et auteur d'un article sur le géographe russe dans l'ouvrage de Breibart, affirme que celui-ci s'inspire du :

    " processus antinomial de Proudhon (...)Qu'il voyait l'histoire en fonction d'une série d'éléments ou de forces opposées ou contradictoires, comme réaction et révolution, liberté et autorité. La tendance et la contre-tendance, correspondent à la thèse et à l'antithèse, mais - voilà le point important - ne peuvent en aucun cas être une synthèse ; à la place, il existe seulement "un équilibre dynamique entre des forces éternellement opposées. " 60(*)

    2 - Lors du colloque de Toulouse sur l'avenir de l'anarchisme, le sociologue René Lourau61(*) nous précise que Kropotkine retient des faits réels :

    " les séries et non les substances ; qu'il recherche les combinaisons d'éléments dans un esprit plus logique que métaphysique afin de découvrir dans la nature une série de rapports, de relations qui favoriseraient la compréhension des faits naturels mais aussi sociaux." 62(*)

    Le but apparent de Lourau semble dissocier le positionnement scientifique du géographe anarchiste de la méthode dialectique de type hégélien en le rapprochant de la dialectique dite sérielle de Proudhon. Au vu des positionnements scientifiques de Kropotkine que nous avons mis en valeur dans cette première partie de notre travail, cette intention, si elle paraît louable, elle n'en demeure pas moins incomplète et donc inexacte.

    Il ressort de ce que nous venons de discuter, l'interprétation personnelle suivante :

    Kropotkine professe une philosophie matérialiste, basée sur une conception du monde rigoureusement mécanique. Jugeant que la philosophie ne peut ignorer les découvertes récentes, il explique que la science, enfin débarrassée d'une conception autoritaire qui suppose l'existence d'un Dieu créateur et organisateur du monde, et enrichie des connaissances nouvelles concernant la nature, la matière, l'évolution des espèces ou des organismes sociaux, permet l'élaboration d'une philosophie, où le progrès est l'oeuvre d'une évolution " mécanique ou naturelle ".63(*) La prise en compte globale des phénomènes naturels d'essence non autoritaire doit permettre la construction d'une philosophie sociale nouvelle. Déjà Bakounine avait, avant lui, énoncé que le socialisme était une conséquence directe et logique de la conception matérialiste de l'univers.64(*)

    Il nous semble, aussi, au regard des observations ci-dessus mentionnées, que Kropotkine a une vision moderne de la science en privilégiant les relations dynamiques et inter-relationnelles des choses et qu'il se dote d'un outil méthodologique encore d'actualité avec la méthode hypothético-déductive.

    Le reproche que l'on peut formuler, à ce stade de notre travail, est le manque de démonstrations géographiques de cette démarche. Ses livres de géographie révèlent peu cette orientation : le thème de ses découvertes sur l'orographie asiatique ou la glaciation quaternaire continentale est plus du ressort d'une géographie physique classique. Son activité militante mouvementée y contribue sans aucun doute pour une large part. Son influence théorique sera plus notable pour ses congénères géographes et anarchistes contemporains. C'est sur quoi la suite de notre travail va se pencher, en abordant l'étude d'un autre grand géographe anarchiste qu'est Élisée Reclus.

    1.2 - Le positionnement épistémologique et scientifique de Reclus.

    L'étude de la pensée géographique de Reclus doit procéder de la même prudence méthodologique et sémantique que celle utilisée lors de l'étude des textes de Kropotkine. Vouloir attribuer quelque terminologie contemporaine aux propos de Reclus constitue, à n'en pas douter en terme de démarche scientifique, à valider un anachronisme épistémologique. L'oeuvre du géographe libertaire doit être appréciée en rapport avec son temps, avec les idées et les problématiques de son époque. Notre tentative de lecture des textes de Reclus va tenir compte de ce préalable contextuel, sans toutefois nous interdire d'émettre quelques pistes de réflexion quant au contenu et au positionnement scientifique de ce géographe.

    1.2.1 La géographie d'Élisée Reclus.

    Les trois oeuvres géographiques majeures d'Élisée Reclus65(*) (1830 - 1905) sont :

    1 - les deux tomes de La Terre, description des phénomènes de la vie du globe intitulés et publiés respectivement : volume 1 : Les continents, 1868 et volume 2 : Les océans, l'atmosphère, la vie, 1869. Ces tomes rencontrent un succès immédiat. L'auteur veille personnellement à une réédition moins onéreuse afin de rendre son ouvrage accessible à un très large public.

    "Les raisons de ce succès s'expliquent à la fois par la qualité scientifique des informations et par la clarté de leur exposition". 66(*)

    Le géographe américain Marsh (1801 - 1882), auteur du remarqué Man and Nature publié en 1864, que d'ailleurs Élisée Reclus fait connaître en Europe, relève que :

    " ses descriptions du visage de la nature et de l'action visible des forces physiques...forment un commentaire ininterrompu des principes géographiques." 67(*)

    2 - La publication des dix-neuf volumes, de 1876 à 1894 de la Nouvelle Géographie Universelle, représente près de 18.000 pages et plus de 4.000 cartes. La maison d'édition Hachette lui fait signer un contrat où il est précisément mentionné :

    " que l'auteur s'engage à être très réservé sur toutes les questions religieuses, sociales et politiques ". 68(*)

    Parallèlement à son activité militante, il s'occupe de la correction des mémoires de Bakounine, de l'édition des articles d'un autre grand géographe, Pierre Kropotkine, anarchiste comme lui. Ils se rencontrent en 1877, dans leur pays d'exil commun (la Suisse) et deviennent amis. Reclus consacre cependant la plus grande partie de son temps à la rédaction de la Nouvelle Géographie Universelle. Dix-neuf volumes sortiront jusqu'en 1894, travail titanesque. Il visite de nombreuses bibliothèques européennes, consulte des ouvrages étrangers puisqu'il lit et parle huit ou neuf idiomes ; il prend des notes, s'entoure d'un réseau de collaborateurs fiables et dévoués, dont Kropotkine. Tous les jours durant ces deux décennies, il écrit ses pages de géographie. Il veille, par contrat avec Hachette, que les chapitres qu'il envoie régulièrement à Paris soient publiés en fascicules qui coûtent trois ou quatre sous. En effet,

    " il tient beaucoup à être lu par le plus grand nombre de lecteurs et il se soucie toujours du prix de ses ouvrages. Cette formule lui paraît adaptée aux petits budgets". 69(*)

    Contrairement aux affirmations de certains géographes contemporains 70(*) la Nouvelle Géographie Universelle (NGU) connaît un énorme succès dès sa parution. Ses qualités littéraire et scientifique sont saluées autant par les lecteurs que par les géographes. Patrick Geddes souligne qu' Élisée Reclus :

    " réintroduit la géographie dans la littérature " 71(*) ;

    Gary Dunbar, avance que :

    " la NGU va représenter l'autorité ultime en géographie pour toute une génération " et constitue : " la plus grande prouesse d'écriture individuelle dans l'histoire de la géographie ". 72(*) ;

    Jean Brunhes et Paul Girardin remarquent qu'il :

    " fait entrer, en face du milieu physique le milieu humain, fixer des divisions qui sont des nations, des groupements qui sont des peuples, des centres de cristallisation qui sont des villes, et imprimer à l'ensemble un mouvement, qui est l'histoire." 73(*)

    3 - Enfin parait de 1905 à 1908, après sa mort 74(*), les six volumes de L'homme et la terre comptant près de 4.000 pages.

    Présenter ici un résumé de cette somme de réflexions constitue une gageure que nous allons tenter de relever. S'appuyant sur une connaissance approfondie du déroulement des événements historiques au cours des différentes périodes ( les deux premiers tomes sont consacrés à l'histoire ancienne, les tomes III et IV au Moyen Age et aux Temps modernes), Élisée Reclus projette de construire une théorie de la production sociale de l'espace en montrant le rôle des conditions géographiques dans les évolutions successives des sociétés humaines. Les deux derniers tomes constituent, au vu des différents thèmes abordés, un véritable traité de géographie humaine. Élisée Reclus examine successivement les formes de répartition de la population, les processus de peuplement, l'urbanisation, l'agriculture et les formes de propriété foncière, l'industrie et le commerce, le fait religieux et la science, l'éducation et le progrès, le tout appuyé sur de nombreuses cartes.

    Cette présentation succincte de la trame rédactionnelle de L'homme et la terre nous oblige, en tant que chercheur, à cerner le positionnement épistémologique d'Élisée Reclus. Nous devons aussi déterminer sa démarche scientifique, définir sa méthodologie et essayer d'envisager son approche géographique. Notre tâche s'en trouvera certainement facilitée par le fait, que, souligne fort justement Paul Reclus, son neveu, L'homme et la terre est le seul ouvrage géographique dont Élisée Reclus ait pu faire état librement de sa pensée et exposer globalement sa grille d'analyse.75(*)

    1.2.2 Les conceptions scientifiques d'Élisée Reclus.

    1 - Le positionnement épistémologique

    C'est à travers l'énumération, faite précédemment, de ses oeuvres géographiques que le positionnement épistémologique d'Élisée Reclus, apparaît le mieux. Loin de se limiter à une géographie purement descriptive du milieu physique, Élisée Reclus défend l'unicité de la science géographique en abordant aussi les champs de la géographie humaine. S'échappant du cadre étroit de la géographie du vivant, de la biogéographie des siècles précédents, la conception géographique de Reclus s'intègre dans l'orientation scientifique naissante du XIX° siècle. La problématique centrale de la géographie n'est plus la faune ou la flore mais bien le groupe social. L'homme et la société occupent désormais cette place première, ils gèrent le milieu dans lequel ils se situent, en utilisent les ressources, en ont une perception, comme cadre de vie et territoire. De plus, l'analyse de Reclus se distingue par une approche géographique basée sur l'étude des relations existant entre les sociétés et leur cadre physique dans leurs dimensions à la fois temporelles et spatiales. Sa géographie se définit résolument comme une science sociale76(*). Selon Rodolphe de Koninck, il serait d'ailleurs, même si cela peut être mis en cause :

    " Le premier à avoir employé l'expression de géographie sociale (...) et surtout : celui qui reste le véritable père de la géographie critique moderne." 77(*)

    Lacoste Yves souligne, de son côté, que le fondement principal de la géographie d'Élisée Reclus, repose sur la prise en compte de la " géographie de l'histoire "78(*) et que :

    " C'est ce que l'on appellerait aujourd'hui de la " géo-histoire " (...) Pour Reclus, l'histoire est globale (histoire économique et sociale), et surtout, pour lui, c'est non seulement le passé lointain, mais aussi le passé tout récent et ce qui est en train de se passer." 79(*)

    Le positionnement épistémologique repose donc sur l'unicité de la science géographique par la construction d'une géographie sociale globale. 80(*)

    2 - La démarche scientifique

    Les fondements essentiels de sa démarche scientifique se caractérisent par l'appréhension de la complexité de l'organisation spatiale et par l'étude des interrelations liant la société et le milieu physique. Reclus relève que tout est transformation, en raison d'un gigantesque phénomène provoqué par le développement de l'industrie moderne et de la science. Il reste conscient que ce processus n'est pas linéaire mais plutôt contradictoire, dirons-nous, puisqu'il souligne en de nombreuses fois, nous prouvant ainsi que cette idée est pour lui fondamentale, que :

    " Le fait général est que toute modification si importante qu'elle soit, s'accomplit par adjonction au progrès, de régrès correspondants ." 82(*)

    Il a comme souci principal de montrer comment le rôle déterminant de la nature dans l'organisation spatiale des hommes aux stades primitifs de la civilisation, va peu à peu disparaître, grâce aux progrès de celle-ci, en conférant à l'homme une meilleure maîtrise du milieu, lui permettant de le modeler et de s'en affranchir :

    " La géographie n'est pas chose immuable, elle se fait, se refait tous les jours ; à chaque instant, elle se modifie par l'action de l'homme " 83(*)

    La démarche scientifique du géographe libertaire montre à l'évidence, par son assimilation de la complexité dans l'élaboration de sa théorie de la production sociale de l'espace, sa vision globale inscrite dans une perspective proche du positivisme.

    3 - La méthodologie préconisée

    La méthodologie reclusienne consiste à appréhender le monde par l'étude des phénomènes combinant de multiples facteurs. Selon lui, le géographe doit être capable de déceler et d'expliciter les interrelations d'une situation donnée. Le refus du déterminisme est clairement affiché en niant le rôle explicatif d'un seul facteur (physique ou humain) dans la compréhension des phénomènes spatiaux. Reclus s'attarde à l'appréhension du monde dans sa complexité :

    " Même là où l'influence (du milieu) se manifeste d'une manière absolument prépondérante dans les destinées matérielles et morales d'une société humaine, elle ne s'entremêle pas moins à une foule d'autres incitatifs, concomitants ou contraires dans leurs effets. Le milieu est toujours infiniment complexe, et l'homme est par conséquent sollicité par des milieux de forces diverses qui se meuvent en tous sens, s'ajoutent les unes aux autres, celles-ci directement, celles-là suivant des angles plus ou moins obliques, ou contrariant mutuellement leur action." 84(*)

    La grille d'analyse de Reclus se fonde sur la formulation du concept de milieu. La fonction intégratrice et dynamique qu'il donne au concept de milieu lui permet de comprendre le monde, non comme une juxtaposition d'éléments indépendants les uns des autres, mais comme un ensemble vivant par le jeu constant d'interrelations. Pour cela Reclus se base sur l'étude de la mésologie85(*) ou " science des milieux ".

    " L'inégalité des traits planétaires a fait la diversité de l'histoire humaine et chacun de ces traits a déterminé son événement correspondant au milieu de l'infinie variété des choses.86(*)(...) Tel est le principe fondamental de la mésologie ou " science des milieux ". "

    Élisée Reclus, dans aucun de ses écrits n'emploie le mot écologie. Pourtant il est un contemporain de Haeckel (1834 - 1919) et il connaît ses théories87(*). Nous pouvons en déduire, à ce stade du mémoire et en accord avec Philippe Pelletier, qu'Élisée Reclus dédaigne sciemment l'usage de ce mot. La raison en est son orientation divergente par rapport à celle de l'écologie. En effet, il privilégie la voie de la "géographie sociale" comme il le dit lui-même. Élisée Reclus donne une double dimension à son concept de milieu :

    " Au milieu-espace, caractérisé par les mille phénomènes extérieurs, il faut ajouter le milieu-temps avec ses transformations incessantes, ses répercussions sans fins". 88(*)

    Il complète sa compréhension en distinguant un milieu statique et un milieu dynamique :

    " Il y a pourtant une distinction bien nette à marquer entre les faits de la nature89(*), ceux que l'on ne saurait éviter, et les autres appartenant à un monde artificiel 90(*), que l'on peut fuir ou complètement ignorer. " 91(*)

    En des termes plus actuels, la saisie du monde dans sa dimension synchronique (le milieu-espace) et dans sa dimension diachronique (le milieu-temps) permet à Élisée Reclus de prendre en compte le système d'interrelations complexes du premier et aussi l'évolution historique du second. Il mesure bien que :

    " Ce deuxième milieu dynamique, ajouté au milieu statique primitif, constitue un ensemble d'influences dans lequel il est toujours difficile, souvent impossible, de reconnaître les forces prépondérantes, d'autant plus que l'importance respective de ces forces premières ou secondes, purement géographiques ou déjà historiques, varie suivant les peuples et les siècles " 92(*)

    Une étude fine du concept de milieu englobant les plans spatiaux et temporels de sa dimension constitue, à nos yeux, le fondement de la méthodologie utilisée par Élisée Reclus dans L'homme et la terre. La position systémique semble apparaître plus évidente maintenant que nous mesurons les dimensions spatiales et temporelles du milieu tel qu'il a été défini par Élisée Reclus. Avec Paul Boino93(*), nous nous permettons d'indiquer que le géographe libertaire anticipe en annonçant la théorie des systèmes. Élisée Reclus semble nous proposer un systémisme ouvert. C'est-à-dire une vision du monde en relation permanente avec son milieu. Un système "monde" qui échange de l'énergie, de la matière et des informations qui sont utilisés dans le maintien de sa propre organisation contre la dégradation qu'exerce le temps au contraire du système fermé totalement coupé de l'extérieur. La conception "systémique" de Reclus prend en compte l'interaction permanente entre la société humaine et le milieu. Il envisage aussi que l'un peut modifier l'autre et qu'il se trouve lui-même modifier en retour. Le système décrit dans ces deux dimensions - synchronique et diachronique avec leurs visions statique et dynamique d'un ensemble complexe - échange de l'énergie, sous forme d'informations, avec son environnement. En tant que phénomène, le milieu a tendance à évoluer incessamment au gré des nécessités internes et des stimulations externes. En tant qu'organisation, il revêt une certaine constance, propriété indispensable pour maintenir et stabiliser les interactions entre ses différentes composantes ainsi qu'avec l'extérieur. En terme de systémique, les deux propriétés du système - ou du milieu - sont réunies pour permettre son évolution interne et sa pérennité. Cette capacité à conjuguer inertie et dynamique , tout en permettant conjointement l'évolution et la reproduction ressemble à l'homéostasie des systèmes 94(*).

    4 - L'approche géographique

    Face aux accusations répétées de science pré-scientifique, d'essence purement descriptive, à finalité idiographique et manquant de conceptualisation 95(*) faites à la géographie libertaire, il n'en demeure pas moins que :

    "(...) le premier véritable représentant d'une géographie critique à caractère émancipatoire, qui cherche à déceler ce qui (...) brime la marche de l'homme vers une plus grande liberté, fut le géographe français E. Reclus." 96(*) ;

    que la géographie reclusienne nous semble, plutôt, affirmer une conception hypothético-déductive qui s'inscrit dans une perspective nomothétique de la géographie : il énonce trois ordres de faits, que l'on peut appeler lois. Comme le remarque Philippe Pelletier97(*), nous pouvons convenir qu'Élisée Reclus a une approche synthétique de la géographie, à l'image des anarchistes. Cette recherche de la synthèse repose sur l'existence de deux pôles antinomiques (le progrès et le "régrès") et, en opposition à la dialectique marxiste, elle n'en postule pas leur destruction mais leur rééquilibrage dynamique. Il mélange des données historiques aux faits sociologiques, il superpose des analyses géopolitiques à des réalités ethnologiques ou anthropologiques pour mieux valoriser sa recherche de l'harmonie terrestre par une meilleure maîtrise du temps et de l'espace par les hommes. Il est intéressant d'observer l'intitulé des titres de la trilogie géographique de Reclus. Le premier observe une géographie physique essentiellement descriptive, le deuxième représente une géographie régionale à l'échelle mondiale, enfin le dernier est bien une géographie " sociale ". L'itinéraire scientifique initié avec La Terre et qui se clôt par la prédominance de l'homme reflète, à nos yeux, l'évolution de sa pensée géographique. Il a une vision dualiste des choses :

    " Il n'est pas un événement qui ne soit double, à la fois un phénomène de mort et un phénomène de renouveau, c'est-à-dire la résultante d'évolutions de décadence et de progrès". 98(*)

    Il récuse la vision linéaire du progrès, il transforme la figure plane de Vico, pour définir une vision en spirale à géométrie variable99(*) dont les spires s'élargissent lors des cycles de progrès et se rétrécissent lors de périodes de retour vers la barbarie.100(*)

    Tout du moins, pouvons nous convenir comme Béatrice Giblin, qu'il préconise une géographie "globale ".101(*)

    Nous pensons avoir, dans ce chapitre, démontré et mis en valeur l'approche d'une géographie "globalisante" de la part, tout autant de Kropotkine que de Reclus, les deux premiers géographes libertaires de renom qui nous ont servi de référence dans le cadre du présent mémoire. Ce positionnement nous semble moderne venant de la part de deux sommités ignorées par le monde universitaire de leur époque.

    1.3 - Les "lois" reclusiennes de la compréhension du monde.

    1.3.1 - La lutte des classes ou la critique de la domination

    " La " lutte des classes ", la recherche de l'équilibre et la décision souveraine de l'individu, tels sont les trois ordres de faits que nous révèle l'étude de la géographie sociale et qui, dans le chaos des choses, se montrent assez constants pour qu'on puisse leur donner le nom de " lois ". " 102(*)

    Son ouvrage politique L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique103(*) et ses brochures militantes L'anarchie , A mon frère le paysan , Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes104(*) entre autres, vont nous servir de référentiel complémentaire pour dégager l'essentiel du concept de lutte de classe énoncé par Élisée Reclus.

    L'existence des classes sociales, déjà démontrée par d'autres auteurs et popularisée par Marx105(*), repose pour Reclus sur l'inégalité sociale causée par la domination du système économique sur le pouvoir politique. Il observe que la capacité du capital à traverser les frontières d'État et de nationalité lui donne un grand avantage sur le pouvoir politique.

    "Le pouvoir des rois et des empereurs est limité, celui de la richesse ne l'est point." 106(*)

    S'il remarque d'autre part, que le pouvoir politique est pérennisé par l'État moderne et la bureaucratie inhérente, entraînant avec lui un système de hiérarchie sexuelle enraciné dans la famille patriarcale et un système d'oppression ethnique découlant du racisme, c'est surtout le capital qui fait l'objet de son attention. Il affirme que c'est celui-ci qui demeure l'obstacle majeur de l'émancipation sociale. Pour sa démonstration, il étudie en détail l'évolution des formes de propriété contribuant ainsi à l'enrichissement de la théorie anarchiste sur la propriété. Comme d'autres précurseurs (Godwin107(*)) ou théoriciens (Proudhon108(*)) de l'anarchisme, il dévoile l'existence de formes anciennes d'appropriation fort différentes des formes de " propriété " actuelles. Il rejoint les analyses de Kropotkine109(*) en affirmant que les anciennes sociétés liaient la possession à l'usage, et n'avaient aucun concept de " propriété privée " individuelle ou collective ; que la forme la plus ancienne d'appropriation fut suivie d'un système de possession par la communauté dans son ensemble. Même la propriété collective, ne le satisfait pas :

    " C'est déjà une limitation du droit primitif de labour appartenant à tous". 110(*)

    La forme la plus ancienne reste la plus proche de ce que Reclus propose pour le futur, c'est-à-dire la distribution selon le besoin ou, comme il le dit, fondée sur la solidarité humaine et intercommunautaire. Il fait la distinction entre les formes de propriété et possession, et sur la distinction entre les formes de propriété qui sont du "vol" et celles qui expriment la "liberté". Pour lui, c'est le maintien du type d'appropriation privée des moyens de production qui est facteur d'inégalité sociale. Il attribue l'échec des hommes à se reproduire adéquatement à l'égoïsme de l'abondance111(*), et présente le phénomène comme un exemple de la façon dont, dans un système capitaliste, la poursuite des intérêts personnels entre en conflit avec le bien général.112(*) Pour lui :

    " perpétuer la morale de la résignation de la prétendue " loi naturelle " de l'existence d'une classe pauvre est non seulement un crime collectif commis par les possédants mais surtout une absurdité puisque aujourd'hui les produits disponibles dépassent les nécessités de la consommation ". 113(*)

    En ce domaine, il anticipe les thèses économiques du socialisme distributiste de Jacques Duboin des années 1930114(*). Il mesure aussi les conséquences de la domination du pouvoir économique engendrées par l'exploitation de la nature en prévenant des graves risques encourus sur la bio-diversité et l'équilibre écologique. L'autre aspect de sa démonstration se dirige sur le terrain éthique, partageant en cela la vue de Godwin sur la non pertinence de la justification des classes :

    " Rien dans la nature humaine, rien dans la loi naturelle, pour autant que l'on puisse parler de l'une ou de l'autre, ne justifie les inégalités sociales. Aucun privilège n'est mérité, il n'est dû qu'à un simple concours de circonstances." 115(*)

    Elisée Reclus argumente que le pouvoir économique détruit la possibilité d'épanouissement de l'être humain. Nonobstant, il remarque que la division croissante du travail, en dépit de ses aspects cruels et destructeurs, apporte une nette contribution au progrès, non seulement en augmentant la richesse de la société, mais également en permettant la :

    " participation d'un nombre d'ouvriers de plus en plus grand à la science de la mécanique et à toutes les connaissances qui s'y rattachent : électricité, chimie, travail des métaux ". 116(*)

    Au lieu de souhaiter la suppression de ce processus, il pense, comme Bakounine, Kropotkine et d'autres théoriciens anarchistes, que le but de la société doit être plutôt d'étendre ce processus pour qu'il en résulte finalement :

    " une synthèse des travaux intellectuels et manuels dans laquelle la science devienne active ". 117(*)

    Les solutions préconisées par Reclus pour résoudre cette inégalité sociale, repose sur l'éducation et le savoir118(*) et la prise en compte de la liberté de l'homme, pour non seulement opposer une force suffisante pour :

    " détruire le pouvoir despotique des personnes et des choses et l'accaparement personnel des produits du travail collectif ". 119(*)

    mais pour construire, par l'association des travailleurs et par l'esprit de grève des systèmes d'entraide permettant l'arrivée de la révolution sociale :

    " Nous comprenons que la vie est impossible sans groupement social. Isolés, nous ne pouvons rien, tandis que par l'union intime nous pouvons transformer le monde. Nous nous associons les uns aux autres en hommes libres et égaux, travaillant à une oeuvre commune et réglant nos rapports mutuels par la justice et la bienveillance réciproque ". 120(*)

    Que penser de cet "ordre de fait" de lutte de classe développé par Reclus ? A l'évidence, comme le souligne la note de Marx, d'autres scientifiques et théoriciens du socialisme tels Guizot, Augustin Thierry ou De Girardin ont démontré l'affrontement existant entre les bourgeois et l'aristocratie durant la Révolution française. Puis plus tard, vers les années 1830, après la révolte des Canuts à Lyon, la prise en compte de l'opposition entre bourgeois et prolétaires prend un caractère plus nettement politique. En cela, Élisée Reclus n'a pas innové avec l'usage du concept de lutte de classe. N'oublions pas que déjà un autre anarchiste célèbre, Proudhon a mis en évidence la lutte au sein de la société entre la classe qui possède et celle qui ne possède pas et l'a théorisée. 121(*)

    1.3.2 La recherche de l'équilibre.

    Ce second état de fait ne correspond pas, lui non plus, à une innovation particulière de la part de Reclus. Les travaux de Darwin en biologie ou de Le Play en sociologie ont porté sur ce point ; des révolutionnaires comme Marx, Bakounine voire Kropotkine, à travers leurs oeuvres politiques, ont recherché ce point d'équilibre. Toutefois nous devons reconnaître sa vision originale sur ce processus. Si la recherche de l'équilibre, pour Reclus est un processus constant (et non un but) pour comprendre l'évolution de l'humanité dans son ensemble, il n'est pas cependant déterminé par un équilibre de forces opposées, comme le conçoit Proudhon, ni par la disparition de l'une d'entre elles au profit d'une situation nouvelle comme Hegel. Non, il essaie plutôt de montrer que l'histoire comprend à la fois des avancées et des régressions, ce qui l'amène à penser que chaque événement possède à la fois un aspect positif et un aspect négatif .La recherche de l'équilibre consiste, pour lui, à préserver le côté positif et à lui permettre de continuer à se développer, tout en rejetant le moment négatif. C'est le sens original de la perception de cette loi, qui nous semble-t-il, le différencie des auteurs précédemment cités ; à une situation antinomique donnée, il envisage comme débouché possible à l'état précis de Proudhon, à la situation nouvelle de Hegel, plutôt une troisième possibilité : une position d'équilibre relatif entre les éléments en présence. C'est ce qu'il tente d'accomplir, par exemple, lorsqu'il recommande d'utiliser au maximum les avancées positives de la science et de la technologie à des fins progressistes telles l'accroissement des connaissances, de la liberté, tout en rejetant de ces aspects toutes tentatives d'enrégimentation ou de domination. La perspective de Reclus participe d'un équilibrage permanent entre d'un côté le souci de justice, d'égalité économique et politique, d'accroissement de connaissance et, de l'autre côté le besoin de solidarité sociale, d'entraide, de respect et de liberté. Clark John précise que :

    " Selon Reclus, il y a effectivement une harmonie et un équilibre dans la nature, mais ils opèrent selon une tendance au désordre et au déséquilibre. " 121(*)

    La citation suivante vient appuyer cette perception possible :

    "...lorsque les plantes ou les animaux, y compris les humains, quittent leur habitat natif et pénètrent un nouvel environnement, l'harmonie de la nature est temporairement perturbée." 122(*)

    Dans son ouvrage politique Élisée Reclus ne cite-t-il pas cette remarque ? :

    " L'influence du milieu, morale et intellectuelle, s'exerce constamment sur la société dans son ensemble aussi bien sur les hommes avides de domination que sur la foule résignée des asservis volontaires, et en vertu de cette influence les oscillations qui se font de part et d'autre, des deux côtés de l'axe, ne s'en écartent jamais que faiblement. Toutefois, et c'est là encore un enseignement de l'histoire contemporaine, cet axe lui-même se déplace incessamment par l'effet des mille et mille changements partiels survenus dans les cerveaux humains. C'est à l'individu lui-même, c'est-à-dire à la cellule primordiale de la société qu'il faut en revenir pour trouver les causes de la transformation générale avec ses mille alternatives suivant les temps et les lieux." 123(*)

    L'équilibre de la nature serait donc un équilibre d'ordre et de désordre. Et le célèbre aphorisme d' Élisée Reclus selon lequel :

    " L'anarchie est la plus haute expression de l'ordre ". 124(*)

    ne serait-il pas la résultante de cet état de fait ?

    1.3.3 La décision souveraine de l'individu.

    L'unité de base de l'humanité est l'homme, l'être humain individuel. Presque tous les individus vivent en société, mais la société n'est rien de plus qu'une somme d'individus, et son seul but est de leur permettre une vie épanouie. Voilà en une phrase le volet éthique de la grille d'interprétation de la société et de l'histoire des anarchistes et que défend Reclus lorsqu'il expose le rôle primordial de l'individu dans l'étude de sa géographie sociale. Cet homme ne peut être considéré comme une abstraction impersonnelle identique dans le temps et l'espace terrestre. Son argumentation est, en quelque sorte sur le terrain philosophique, le rejet pur et simple du raisonnement de Rousseau qui veut que les libertés individuelles soient représentées et respectées par et à travers une volonté générale125(*). Pour Reclus, l'être humain est avant tout un être de raison et dans le même temps, un être social, et sur ce constat élémentaire, il ne peut, selon lui, que constituer le noyau central de toute société humaine. En cela, il peut être comparé à Godwin qui en 1793 affirme :

    " L'idée de "volonté générale" de Rousseau est une absurdité, qui justifie toutes les tyrannies. Il n'y a que des volontés individuelles qui, sur tel ou tel point peuvent et doivent s'entendre (...) Seuls ont une réalité concrète les individus, dans leurs passions, dans leurs besoins, dans leur raison. C'est pourquoi le meilleur système serait celui qui confierait le plus de pouvoir au noyau le plus étroit, le plus proche de l'individu." 126(*)

    Élisée Reclus, exprime lui-même cette pensée sous cette forme :

    " Notre idéal comporte donc pour tout homme la pleine et absolue liberté d'exprimer sa pensée en toutes choses, science, politique, morale, sans autre réserve que celle de son respect pour autrui ; il comporte également pour chacun le droit d'agir à son gré, de " faire ce qu'il veut ", tout en associant naturellement sa volonté à celles des autres hommes dans toutes les oeuvres collectives : sa liberté propre ne se trouve point limitée par cette union, mais elle grandit au contraire, grâce à la force de la volonté commune." 127(*)

    La réalisation sociale humaine est perçue comme un facteur constitutif du progrès social. Á la conception de l'individualité et donc de la liberté humaine, il soutend l'existence de rapport de solidarité et de sentiment d'appartenance à une même communauté humaine. L'épanouissement individuel que la société doit à l'être humain doit être un processus social dans lequel :

    " (...) le progrès de l'individu se confond avec celui de la société, unie par une force de solidarité de plus en plus intime." 128(*)

    Cette conception éthique de la place de l'individuel dans le schème général d'explication de l'organisation spatiale des sociétés humaines aboutit, sur le terrain politique, à un rejet de la division entre les sphères publiques et privées comme deux domaines autonomes129(*). Le point central de l'organisation sociale ne doit plus être une entité abstraite, mais l'individu concret avec ses besoins, ses désirs, ses devoirs. Cette reconnaissance du poids de l'individu, doit permettre la construction et l'établissement d'un système politique "fédéraliste", seul aux yeux de Reclus, capable de respecter et de valoriser la finalité de l'homme à l'épanouissement personnel et collectif.

    Nous pourrions, sans aucun doute, développer les différentes facettes du concept de la " décision souveraine de l'individu " en opérant une lecture plus approfondie de l'oeuvre gigantesque d' Élisée Reclus. Mais, au delà du temps nécessaire à une telle tâche, le thème central de ce travail de recherche, consiste plus à aborder de façon globale les multiples visages de la pensée géographique libertaire qu'à une étude fouillée de chaque concept utilisé, même si nous convenons que ce travail devra être entrepris quelque jour. Cependant, au contraire des deux lois précédentes, l'annonce de ce troisième état de fait, semble novateur de la part de Reclus. En effet, une des interrogations initiales du présent mémoire - à savoir si le poids des agents géographiques participe à la construction des processus sociaux dans la pensée géographique libertaire est reconnu - trouve ici quelques éléments de réponse intéressants. Des auteurs contemporains d'Élisée Reclus, qu'ils soient géographes ou bien représentants d'autres branches scientifiques, bien peu, semblent avoir accordé dans leurs ouvrages respectifs une telle reconnaissance au rôle des agents géographiques dans les divers processus de construction sociale.

    L'apport scientifique de Reclus à la science géographique ne se limite pas à la seule valorisation de ce concept de la décision souveraine de l'individu, il est complété, nous semble-t-il, par une méthodologie renouvelée, qui valorise la coexistence entre ces trois lois. A la " dialectique sérielle " de Proudhon et à la " dialectique matérialiste " de Marx, qui chacune aspire à construire une certaine foi dans la capacité à maîtriser et à conformer le monde à nos désirs, au sens de la réalité physique pour les uns - les scientifiques -, de la réalité sociale pour les autres - les révolutionnaires, Reclus propose une synthèse où il est fait cas des limites de nos pouvoirs. Le progrès et à plus forte raison le " régrès " pouvant amener à ce que nos techniques engendrent des effets imprévisibles et indésirables, que la complexité du vivant, et plus généralement de la biosphère créent des catastrophes écologiques, et surtout, de l'instable " balancement autour de son axe d'équilibre " des événements sociaux et des situations historiques :

    " Conséquence nécessaire du dédoublement des corps sociaux (...), l'équilibre rompu d'individu à individu, de classe à classe, se balance constamment autour de son axe de repos : le viol de la justice crie toujours vengeance (...). Ceux qui commandent cherchent à rester les maîtres tandis que les asservis font effort pour reconquérir leur liberté, puis entraînés par l'énergie de leur élan tentent de reconstituer le pouvoir à leur profit (...). Ou bien les opprimés se soumettent, ayant épuisé leur force de résistance : ils meurent lentement et s'éteignent, n'ayant plus l'initiative qui fait la vie ; ou bien c'est la revendication des hommes libres qui l'emportent et, dans le chaos des événements, on peut discerner de véritables révolutions (...) dues à la compréhension plus nette des conditions du milieu et à l'énergie des initiatives individuelles." 130(*)

    Chapitre 2 -

    La traduction spatiale de la géographie libertaire.

    2.1 - Aspects libertaires du rôle de l'agent géographique.

    C'est la thématique de l'être avec autrui, de l'individu avec la société dans leurs conséquences spatialisées. Notre propos va s'attacher à sortir du domaine strictement philosophique pour s'attarder plus particulièrement sur les conséquences spatiales d'une conception sociale centrée sur le respect et la mise en exergue du rôle actif de l'individu dans un projet collectif de société. L'objectif de cette deuxième partie est donc, dans un premier temps, de mesurer le degré de liberté de l'agent géographique, tel qu'il est théorisé par les libertaires. Elle s'appuie pour ce faire sur la définition des concepts " d'optimum individuel " et " d'optimum collectif " émergeants de l'apparente antinomie entre les deux entités que sont l'agent géographique et la société. Le deuxième temps de cette partie va procéder d'une lecture spatialisée de deux outils spécifiques élaborés par les théoriciens anarchistes que sont le fédéralisme et le municipalisme libertaires.

    2.1.1 Définition et contenu du concept "d'optimum individuel "

    " Chaque individualité nous paraît être le centre de l'univers, et chacune a les mêmes droits à son développement intégral, sans intervention d'un pouvoir qui la dirige, la morigène ou la châtie."

    clame Élisée Reclus, tant dans ses ouvrages de géographie que dans ses écrits propagandistes de l'anarchie.

    C'est autour de ce principe de base que repose la philosophie libertaire. Cette conception de la place de l'agent géographique dans l'espace sociétaire est déjà mentionné par le philosophe anglais Godwin. L'influence de sa pensée est restée faible sur les premiers théoriciens anarchistes. Bakounine ne le cite jamais et a sans doute ignoré jusqu'à son existence. Proudhon ne le connaît que comme l'inspirateur d'Owen131(*). Kropotkine est le premier à en parler élogieusement, il y consacre d'ailleurs un chapitre de son ultime ouvrage132(*). Même si aucun document ne le certifie immanquablement, nous pouvons en déduire que Reclus, par l'intermédiaire de son ami et compagnon Kropotkine, a assimilé les écrits de Godwin, pour preuve cette citation du philosophe anglais :

    " Chaque homme doit demeurer son propre centre, et consulter son propre entendement. Chaque homme doit sentir en lui-même son autonomie que les principes de justice et de vérité lui permettent de revendiquer, sans qu'il soit obligé hypocritement de les adapter aux particularités de sa situation et aux erreurs des autres. " 133(*)

    Cette volonté unanime de la part des anarchistes, de toutes tendances confondues - individualistes, anarcho-syndicalistes ou socialistes libertaires - de constituer le fondement de la réflexion sociale autour du principe inaliénable de la liberté de l'individu, va nous servir, dans le cadre de notre recherche, à construire un corpus théorique traduisant au mieux le dilemme politique du rapport de l'individu avec la société dans ses traductions spatiales.

    Nonobstant, cette préoccupation n'est aucunement propre aux théoriciens anarchistes, elle s'inscrit dans la continuité philosophique de la pensée humaine. Elle est une traduction, sous une forme plus sociale, du questionnement que Jean-Jacques Rousseau pose en tête de son étude " Du contrat social ou principes du droit politique " :

    " L'homme est né libre et partout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres qui ne laisse pas d'être plus esclave qu'eux. Comment ce changement s'est - il fait ? Je l'ignore. Qu'est-ce qui peut le rendre légitime ? Je crois pouvoir résoudre cette question. " 134(*)

    En suite de quoi Rousseau affirme que, bien entendu, ce changement n'est pas légitime puisqu'il n'est pas la conséquence d'un contrat librement conclu, mais la résultante d'un abus de force.

    Le propos de notre travail de recherche ne porte en aucun cas sur l'étude historique des raisons de l'avènement d'une société basée sur l'oppression et l'exploitation de l'homme par l'homme. Des théoriciens anarchistes ont abordé cet aspect de la question et ont avancé de multiples hypothèses : dans le domaine social et économique, dans l'établissement des hiérarchies, l'appropriation des richesses et la constitution des classes ; dans le domaine psychologique, le complexe de soumission et son corollaire l'instinct de domination jouèrent, chacun à des degrés différents, des rôles déterminants135(*). Les aspects moraux et éducatifs, définis par les anarchistes, qui se doivent, à leurs yeux, de participer à l'émergence d'esprits conscients et rationnels en vue de l'avènement d'une société libertaire, ne sont pas, non plus, développés ici. Ceci constitue, peut-être, un axe de recherche non négligeable, mais, dans l'optique de ce travail de recherche de Géographie, ce sont les conséquences spatiales de la philosophie libertaire qui sont privilégiées.

    L'appréhension de la pensée libertaire va nous servir de référent dans notre tentative de lecture des inscriptions sculpturales que peuvent déterminer le rôle majeur des agents géographiques tels qu'ils sont conçus par cette école politique sur l'interface terrestre. Mesurer le degré de liberté accordé à l'individu dans le projet collectif de société va nous aider à comprendre la conception spatiale différenciée des lieux humanisés par les libertaires.

    Cette place centrale du rôle individuel de l'homme dans le projet collectif de société libertaire nous autorise, du moins nous le nous permettons, à énoncer deux concepts opérationnels : le concept d'optimum individuel et le concept d'optimum collectif. Ces deux notions nous semblent constituer le squelette organique de cette théorie sociale. La recherche permanente de l'épanouissement individuel et de la solidarité collective, n'est aucunement entendue de manière dialectique. Pour les anarchistes, au contraire, la réalisation de l'un ne va pas sans l'avènement de l'autre, et réciproquement. La finalité est d'atteindre le point d'équilibre entre ces deux composantes d'une humanité socialisée.

    En définissant et en situant ainsi l'homme dans ses rapports à l'espace, nous sommes conscients de ne poser, en réalité, qu'un aspect de la problématique de la liberté. Car si, effectivement, l'homme est la donnée fondamentale du problème, il convient, de ce fait, de le situer immédiatement par rapport à l'autre réalité, celle de la société. Il peut sembler qu'entre ces deux entités, l'homme d'une part et la société de l'autre, existe une contradiction voire une antinomie. La richesse de la pensée anarchiste révèle, du moins sur cette problématique précise, toute sa richesse et sa pertinence au vu de l'évolution des désirs actuels de la " société citoyenne "136(*). Loin de déduire un quelconque caractère irréductible ; d'afficher que le problème social soit sans solution acceptable pour l'individu ; de refuser que l'organisation sociale soit un obstacle insurmontable à une libération suffisante de la personnalité individuelle, les anarchistes, au contraire, ont affirmé la nécessaire interdépendance de ces deux entités. En effet, pour eux, la contradiction individu - société ne peut être considéré comme irréductible que dans l'absolu et sur le seul plan théorique. Dans la réalité, tout au contraire, individu et société sont deux entités complémentaires et inséparables, l'individu n'étant devenu une " personne humaine " que grâce à la vie sociétaire, et l'individu dégagé de tout rapport avec le social ou à l'état pur n'étant qu'une vue de l'esprit. Il est donc permis de dire que, loin d'être, par définition, l'ennemi de l'individu, la société est une condition de sa libération et que c'est uniquement par la pratique de la solidarité que l'homme parvient à se libérer de certaines contraintes et à franchir certaines limites que la nature semble rendre invincibles ou insurmontables :

    " La liberté est pleine et entière quand l'individu, émancipé de toutes tutelles et de toute domination, a la possibilité de construire et d'entretenir des relations volontaires avec les autres... Par ailleurs, puisque les individus sont des êtres sociaux, la liberté n'est pas le refus de toutes les contraintes. Pour s'organiser avec les autres, l'individu doit prendre des engagements, établir des arrangements et les respecter." 137(*)

    L'idée que l'individu jouisse d'un espace privé où user librement de la raison et des passions et soit soustrait à l'intervention de qui que ce soit, nous semble apparaître, de manière féconde et récurrente chez les auteurs anarchistes. Le principe énoncé ainsi, est appelé à régir la conduite de la société envers l'individu et à en être le fondement, en terme de stratégie alternative à la gestion des sociétés humaines.

    Bakounine, fonde le principe positif de la liberté (ou degré de liberté) sur l'égalité et la solidarité collectives :

    " Enfin l'homme isolé ne peut avoir la conscience de sa liberté. Etre libre, pour l'homme, signifie être reconnu et considéré et traité comme tel par un autre homme, par tous les hommes qui l'entourent. "

    Et il ajoute :

    " Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m'entourent, hommes et femmes, sont également libres. La liberté d'autrui, loin d'être une limite ou la négation de ma liberté, en est au contraire la condition nécessaire et la confirmation. Je ne deviens libre vraiment que par la liberté des autres... Ma liberté personnelle ainsi confirmée par la liberté de tout le monde s'étend à l'infini. " 138(*)

    Ces paragraphes connus peuvent paraître banals pour des anarchistes, mais ils synthétisent bien l'imbrication essentielle à la théorie anarchiste, de l'égalité et de la liberté sources de l'espace politique dans lequel la diversité des agents géographiques trouvent leur possible sociabilité et épanouissement. La liberté devenant ainsi un :

    " produit de l'activité sociale de l'homme. " 139(*)

    Cette conception philosophique et politique du respect de l'individu dans une organisation sociale de plus en plus complexe, n'est pas l'apanage des théoriciens libertaires. John Stuart Mill (1806 - 1876), dans l'introduction de son livre sur La liberté, proclame, lui aussi, un principe ressemblant :

    " ...le seul objet qui autorise les hommes, individuellement ou collectivement, à troubler la liberté d'action d'aucun de leurs semblables, est la protection de soi-même. La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de force contre un de ses membres est de l'empêcher de nuire aux autres...La seule partie de la conduite de l'individu pour laquelle il soit justiciable de la société, est ce qui concerne les autres. Pour ce qui n'intéresse que lui, son indépendance est, de droit, absolue. Sur lui-même, sur son corps et sur son esprit, l'individu est souverain. " 140(*)

    La défense et la sauvegarde obstinée de l'individu entendu comme noyau primaire du potentiel humain définit l'action politique de base des anarchistes. L'identité n'est pas collective, mais bien individuelle. Malgré la complexité de la réalité sociale qui s'étend à tout le champ des possibles, chaque être humain est différent. Ce point reste une constante de la philosophie et de la propagande anarchiste :

    " L'unité de base de l'humanité est l'homme, l'être humain individuel. Presque tous les individus vivent en société, mais la société n'est rien de plus qu'une somme d'individus, et son seul but est de leur permettre une vie épanouie. Les anarchistes ne croient pas que les hommes aient des droits naturels, et cela s'applique à chacun : aucun individu ne peut se réclamer d'un droit pour agir ni pour interdire à un autre d'agir. Il n'y a pas de volonté générale, pas de norme sociale à laquelle on doive se soumettre. Nous sommes égaux, non identiques. La compétition et l'entraide, l'agressivité et la tendresse, l'intolérance et la tolérance, la violence et la douceur, l'autorité et la révolte sont toutes des formes naturelles de comportement social, mais certaines favorisent et d'autres entravent l'épanouissement de la vie individuelle. Les anarchistes croient que le meilleur moyen de garantir cet épanouissement est d'accorder une liberté égale à chaque membre de la société. " 141(*)

    C'est cette recherche constante, de la part des anarchistes, d'un modèle social prenant en compte le rôle central de l'agent géographique qui nous autorise à conceptualiser cette théorie sociale sous le nom d'optimum individuel. Pour détenir une part de validité, ce concept se doit d'être opérationnel en termes de stratégie sociale. L'existence d'une sphère d'autonomie doit alimenter cette opérationnalité. Si la philosophie morale a pour hypothèse fondamentale que les hommes sont responsables de leurs actions, et si comme Kant l'a fait remarquer142(*), il découle nécessairement de cette hypothèse que les hommes sont libres du point de vue métaphysique, c'est-à-dire que, dans un certain sens, ils sont capables de décider de leurs actes, il est nécessaire de trouver l'outil adéquat de cette formation à la sphère d'autonomie. Ceci sera plus amplement développé dans la partie consacrée aux " espaces émancipatoires ".

    2.1.2 Définition et contenu du concept "d'optimum collectif "

    L'agent géographique, au vu du concept " d'optimum individuel " tel qu'il a été explicité précédemment, constitue pour ainsi dire le moyen vital du projet social anarchiste ; l'avènement d'une société libertaire constituant, elle, la fin de la proposition libertaire.

    A la différence de la plupart des théories sociales, dans le projet anarchiste, l'individu n'est pas considéré en fonction de la masse, ne devient pas un agent abstrait ou anonyme soumis à un système décrété souverainement juste. Au contraire, il existe comme entité propre. Ayant ainsi pleinement reconnu la réalité de l'agent géographique, le socialisme libertaire reconnaît en même temps sa dignité foncière. Il reste cependant que la contradiction individu - société, si elle n'est pas absolue, est un fait de toute première importance. Car si la société est effectivement la condition essentielle du développement de l'homme, elle lui impose en même temps des règles et des contraintes qui peuvent constituer, pour l'individu, des obstacles à sa réalisation ou même engendrer des formes d'oppression étouffantes.

    L'existence de ces deux principes, l'individuel et le collectif, pose le problème de l'indépendance (ou du degré de liberté) de l'individu. Celui-ci en effet, dans une société de plus en plus complexe, paraît devoir être progressivement privé de sa liberté d'action. Cependant loin de conclure que l'organisation sociale peut devenir l'ennemie de la liberté individuelle, voire que la société peut être contre l'individu, la manière libertaire considère conjointement l'entité individuelle et le rôle éminemment social de l'agent géographique :

    " De tous les êtres vivant sur cette terre, l'homme est à la fois le plus social et le plus individualiste." 143(*)

    C'est cette prise en compte de l'antinomie apparente entre individu et société dans le corpus théorique de la science sociale des anarchistes, qui nous incite à impliquer ce fait, dans la définition du concept " d'optima collectif ".

    En effet, les anarchistes144(*) prétendent que :

    - le principe social ne peut être opposé au principe de liberté individuelle ;

    - le problème de la liberté est dans la société même ;

    - par la pratique de l'association et de la solidarité, l'organisation sociale est la condition de la liberté de l'individu ;

    - l'homme est un être social. La sociabilité est indissociable de la nature humaine originelle.

    Pour la recherche géographique, la conception anarchiste des rapports entre l'individuel et le collectif ouvre un champ d'investigation novateur puisque l'inscription d'éléments structurants constitués par les actions irremplaçables de chaque agent géographique conduit à une prise de conscience du poids des actes sociaux en termes d'écritures spatiales. L'appréhension dans sa globalité des impacts spatiaux imaginé et réalisé par l'individu et la société libertaires, dans les sphères privées et collectives, doit intéresser le géographe s'il veut mieux comprendre l'organisation spatiale des sociétés humaines en général. N'est-il pas communément admis que tout système humain, fut-il anarchiste, implique une inscription spatiale propre ?

    L'incorporation de l'étude des localisations des divers objets géographiques et des interactions entre ces mêmes objets découlant du projet sociétal libertaire doit permettre de mieux repérer, comprendre et expliquer les rapports entre la société et l'espace terrestre. En effet, pour les géographes, l'espace terrestre est défini tant par ses qualités physiques propres, que par l'action humaine actuelle, héritée ou imaginée qui le façonne.

    Elle peut, de même, contribuer à l'enrichissement théorique de la géographie historique qui s'intéresse aux formes d'organisation des communautés humaines par une étude des relations entre communautés, pouvoirs et territoires. A notre connaissance, peu d'ouvrages géographiques ou ethnologiques ont consacré des études spécifiques sur les formes d'organisation du territoire issues de société sans Etat145(*). Le volet consacré à ce type de sociétés par Trochet146(*) n'aborde que celles issues selon les règles de la parenté.147(*)

    Notre étude n'a pas la prétention de combler cette apparente lacune, mais au-delà de l'esquisse spatiale que nous voulons dessiner de l'organisation humaine prônée par les tenants de la géographie libertaire, nous pouvons espérer que d'autres chercheurs se lancent dans cette direction.

    Nous allons bâtir notre concept " d'optimum collectif " à partir des réflexions de philosophes qui nous paraissent avoir apporté une contribution majeure à la définition du rôle de l'individu dans la gestion collective des sociétés humaines. La thématique des rapports individu - société a déjà été abordé par les anciens (Aristote, Platon, etc), mais ici nous allons favorisé la vision des modernes148(*). Le choix de ces philosophes (Kant, Hobbes, Weber, Rousseau) est, ou peut apparaître, arbitraire mais le cadre de notre travail de recherche ne permet pas d'aller puiser et comparer d'autres analyses traitant de ce thème. Cependant, par la mise en perspective de ces contributions philosophiques nous voulons, sur la base des divers concepts construits par ceux-ci - raison d'État, groupement politique, volonté générale, violence légitime - proposer une autre conception politico-philosophique du rapport individu-société.

    Notre construction conceptuelle va pour cela s'inspirer des écrits de Godwin. Non seulement cette partie veut tenter de mettre en évidence en quoi les analyses de cet auteur correspondent aux déductions sociales des anarchistes en débouchant sur l'élaboration d'un outil méthodologique cohérent parce que valorisant cette même articulation entre l'individuel et le collectif par une adéquation entre les moyens et la fin., mais aussi contribuer à l'enrichissement théorique de la géographie historique, participer à l'émergence de pistes de recherches géographiques plus fructueuses dans la compréhension des formes d'organisation spatiale des communautés humaines à la surface de la terre.

    Les tendances apparemment antagonistes entre l'individu et la collectivité est loin de contribuer, pour les anarchistes, le tiraillement inconciliable que les théoriciens d'autres sciences sociales veulent y voir. Là où pour Hobbes, le concept d' " état de nature ", identifié à la " guerre de chacun contre chacun "149(*) impose l'institution d'une souveraineté absolue disposant de tous les droits envers ses sujets comme condition de l'unité et de la paix civile de la société. Il est contraint d'admettre qu'il en découle une restriction de la liberté individuelle (" incommodité ") et la juge minime en comparaison :

    " Des misères et des calamités affreuses qui accompagnent soit une guerre civile, soit l'état inorganisé d'une humanité sans maîtres, qui ignore la sujétion des lois et le pouvoir coercitif capable d'arrêter le bras qui s'apprêtait à la rapine ou à la vengeance. " 150(*) ;

    pour Weber, la société qui ne repose pas moins sur le conflit que sur la coopération se constitue et se perpétue qu'à travers l'intégration des forces antagonistes. Processus assuré par l'organe de direction du " groupement politique "151(*). Selon Weber, la politique est donc l'activité de contrainte par laquelle les gouvernants imposent leur volonté aux gouvernés. Elle se ramène essentiellement à la détention du pouvoir et à la violence physique, qui en est le moyen propre. Toujours, d'après lui, tout pouvoir revendique pour lui-même le monopole de la violence légitime :

    " Comme tous les groupements politiques qui l'ont précédé historiquement, l'État consiste en un rapport de domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence légitime (c'est-à-dire sur la violence qui est considérée comme légitime). L'État ne peut donc exister qu'à la condition que les hommes dominés se soumettent à l'autorité revendiquée chaque fois par les dominateurs. " 152(*)

    D'où, selon l'aveu même de l'auteur, du rôle particulier dévolu à l'État :

    " " Tout Etat est fondé sur la force ", disait un jour Trotski à Brest-Litovsk. En effet, cela est vrai. S'il n'existait que des structures sociales d'où toute violence serait absente, le concept d'Etat aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce qu'on appelle, au sens propre du terme, l' " anarchie ". La violence n'est évidemment pas l'unique moyen normal de l'Etat - cela ne fait aucun doute -, mais elle est son moyen spécifique... Depuis toujours les groupements politiques les plus divers - à commencer par la parentèle - ont tous tenu la violence physique pour le moyen normal du pouvoir. Par contre il faut concevoir l'État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé - la notion de territoire étant une de ses caractéristiques -, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique. Ce qui est en effet le propre de notre époque, c'est qu'elle n'accorde à tous les autres groupements, ou aux individus, le droit de faire appel à la violence que dans la mesure où l'État le tolère : celui-ci passe donc pour l'unique source du " droit " à la violence. Par conséquent, nous entendrons par politique l'ensemble des efforts que l'on fait en vue de participer au pouvoir ou d'influencer la répartition du pouvoir, soit entre les Etats, soit entre les divers groupes à l'intérieur d'un même Etat. " 153(*) ;

    pour Kant, même s'il accorde que la liberté individuelle constitue la valeur morale et politique suprême :

    " La liberté en tant qu'homme dont on peut formuler le principe pour la constitution d'une communauté de la manière suivante : personne ne peut me contraindre à être heureux à sa manière (c'est-à-dire à la manière dont il conçoit le bien-être des autres hommes) ; par contre, chacun peut chercher son bonheur de la manière qui lui paraît bonne, à condition de ne pas porter préjudice à la liberté qu'a autrui de poursuivre une fin semblable (c'est-à-dire de ne pas porter préjudice au droit d'autrui), liberté qui peut coexister avec la liberté de chacun grâce à une possible loi universelle. " 154(*),

    nous devons prendre en compte qu'il incorpore cette définition de la liberté à l'intérieur d'un argumentaire très précis concernant les principes constitutifs de l'état civil que sont la liberté de l'homme, l'égalité du sujet, l'autonomie du citoyen. C'est dans le cadre juridique d'une république universelle que Kant, après avoir précisément fait la distinction entre la citoyenneté passive et active155(*), permet à chaque individu d'exister réellement dans sa dignité d'humain. Selon les anarchistes, ce passage législatif de l'individu au citoyen - aspect commun des penseurs modernes -, contraint Kant, à limiter la portée de la liberté fondamentale et de la dignité foncière de l'individu dans le cadre trop étroit de la République. Toutefois si la définition et le rôle kantien de l'individu font apparaître ce philosophe aux yeux des anarchistes comme l'un des plus sympathiques, de fait, il diffère cependant de la conclusion formulée par Spinoza qui y voit la disparition prochaine de l'État 156(*), en formulant que c'est une république universelle, qui permet à chaque individu d'exister réellement dans sa dignité d'humain.

    Nous appuyant sur les analyses des textes de Godwin effectuées par Thévenet Alain, psychologue de formation et préparant actuellement un doctorat de philosophie à partir de l'oeuvre de cet auteur, nous pouvons affirmer qu'en effet Godwin se démarque radicalement des analyses pré-citées, dans la mesure où il précise que :

    " L'antinomie individu-collectivité est commune à tous les anarchistes (et à tous les théoriciens politiques). A l'évidence, Godwin tire du côté de l'individu là ou Bakounine s'adresse au peuple. C'est une divergence qui a son importance. Pour Godwin, les individus ne peuvent réellement coopérer que dans le calme qui permet à chacun de cultiver sa sphère propre, et par le canal, essentiellement de la raison. Les émotions ont un effet d'entraînement mais risquent, de ce fait, d'exercer un pouvoir. Pour Bakounine, influencé peut-être malgré lui par la pensée hégélienne, cette coopération n'existe que dans le mouvement et, à la limite, c'est le peuple qui donne aux individus qui le composent leur réalité. Plus qu'une divergence absolue, il s'agit peut-être d'une pondération différente, car Godwin a aussi, et dans le même temps, une conscience profonde de la sociabilité immanente à la condition humaine. " 157(*),

    en révélant que :

    " Le point central de l'organisation sociale ne serait pas une entité abstraite, à la manière de la " république universelle " qu'imagine Kant, mais l'individu concret, ses besoins, ses désirs, ses devoirs. Cet individu a besoin de sa sphère personnelle, et a le droit d'exiger qu'on la respecte.

    C'est d'ailleurs le seul droit qu'il ait et, selon Godwin, c'est un droit " passif ". Pour lui, en effet, la morale, individuelle ou politique, n'est pas fondée sur les droits, mais sur les devoirs. Ce n'est pas forcément le signe d'un rigorisme moral exagéré, mais plutôt une conséquence logique de sa conception de l'homme et de la société. Un droit peut être exigé d'une instance supérieure, et ne peut être que garanti par elle. Or dans le système de Godwin, celle-ci n'existe pas sous une forme instituée. Le point central de ce système, ce qui en fait la cohérence, c'est l'individu concret, qui n'a donc, logiquement, personne à qui s'adresser pour le respect de ses droits. Il ne peut donc exister de " droits de l'homme ". Mais cet individu, pour se respecter lui-même, a le devoir de respecter l'autre et de participer avec lui aux progrès de la vertu et du bonheur universels ; il a le devoir de reconnaître l'autre comme son semblable et son égal. On n'a pas le droit de " faire ce qu'on veut ", mais le devoir de nous guider sur la raison et de faire tout ce qui nous est possible dans ce but de recherche du bonheur, de la vertu et de la vérité.

    Cet individu a besoin aussi de l'apport des autres, parce qu'il n'est pas tout-puissant, et parce que ceux-ci l'enrichissent, affectueusement et intellectuellement. Et aussi, mais ceci intervient plus tard dans la pensée de Godwin, parce qu'il est poussé ou attiré vers eux, vers le mystère de cette existence à la fois si semblable et si différente.

    Les autres, ce sont d'abord ceux qu'on connaît et qu'on fréquente quotidiennement. Il y aura des divergences, bien sûr, des interprétations différentes du bien collectif et de la justice, peut-être même des conflits. Mais il n'y aura nul besoin, pour les régler, d'institutions établies de façon définitive. Dans un premier temps nous serons peut-être amenés à faire appel à l'arbitrage d'un groupe de personnes que l'ensemble de la collectivité s'accordera à reconnaître comme étant les plus " sages ". Mais nous nous rendrons compte que, guidés par les principes de la justice et par la raison, ils tomberont d'accord. Nous pourrons alors demander à un seul de se charger de cette tâche ingrate, permettant ainsi aux autres de consacrer plus de temps à des travaux plus intéressants et plus utiles pour la collectivité. Bientôt, même, nous réaliserons que ces principes sont en nous et peuvent tout autant nous guider que ceux à qui nous avions d'abord fait appel.

    Il y aura sans doute des hommes qui ne se plieront pas aux règles adoptées en commun. Imaginer pour eux des jugements ou des châtiments ne se justifie en aucune façon. Le châtiment est une contrainte, et la contrainte, outre qu'elle est contraire à l'égalité des hommes entre eux, ne peut jamais persuader. Le châtiment n'a pas non plus valeur de dissuasion, puisque le criminel (ou le déviant) se croit toujours dans son bon droit. Pour Godwin, en effet, seule l'ignorance est responsable des erreurs ou des fautes. Personne ne peut, dès lors qu'il a reconnu la raison, l'ignorer sciemment et contrevenir à ses impératifs. Il nous faudra donc discuter avec eux, essayer de les convaincre, et, si nous n'y parvenons pas, leur demander de tenter de trouver ailleurs une communauté plus accueillante à leurs exigences. Quant aux criminels avérés, si nous devons nous protéger du mal qu'ils peuvent causer à la collectivité en les en éloignant, nous ne sommes pas fondés à leur infliger un châtiment qui serait justifié par des arguments de moralité : ils ne sont pas coupables de leurs crimes, puisque ce sont les circonstances qui les y ont amenés. " L'assassin n'est pas plus responsable que le poignard du meurtre qu'il commet. "

    Il faudra bien sûr nous entendre avec d'autres collectivités, de plus en plus lointaines, jusqu'à ce que cet accord embrasse l'humanité entière. Ce n'est qu'à cette condition que les idées et les opinions pourront se frayer un chemin et que la recherche de la vérité progressera. Des assemblées ponctuelles ou régulières permettront de discuter des problèmes que nous avons en commun et d'élaborer des solutions, jusqu'à ce que, là aussi, ces solutions, dictées par la raison universelle, s'imposent d'elles-mêmes. Il n'y a, pour tous, qu'un seul principe, celui de la justice, et, à un moment donné, qu'une seule vérité qui soit acceptable pour tous. A condition, bien sûr, que les idées circulent librement et que la vérité puisse ainsi triompher des préjugés.

    Alors, les hommes seront paisibles. Il n'existera plus entre eux de vaine compétition dans la recherche des honneurs et de la richesse, mais une émulation joyeuse les poussera vers le bonheur et la vertu." 158(*)...

    " ... pour Godwin, la reconnaissance de l'individu, comme première et peut-être seule réalité, est à la base de l'établissement d'un système politique fédéraliste qui conduit à l'universel. Le centre du système de Godwin (et des anarchistes), c'est donc l'individu. "159(*)

    L'individu dont parle Godwin est avant tout social :

    " La recherche à propos de l'équilibre entre l'individualité et la communauté n'a pas de fin. D'un côté, il faut constater que les êtres humains sont faits pour la société. Sans société, nous serions probablement privés des plus grandes joies dont notre nature est capable. Dans la société, aucun homme possédant la marque naturelle de l'homme ne peut rester seul. Nos opinions, nos caractères et nos habitudes sont modifiés par ceux de chacun. Ce n'est en aucun cas le simple effet des arguments et de la persuasion ; cela se produit d'une manière insensible et graduelle à laquelle aucune conviction ne peut nous permettre de résister complètement. Celui qui voudrait s'y opposer en se plongeant dans la solitude tomberait dans une plus grave erreur que celle qu'il cherche à éviter. Il se priverait de ce qui fait la caractéristique d'un homme et serait incapable de juger ses semblables, ou de raisonner sur les affaires humaines.

    D'un autre côté, l'individualité est la véritable essence de la perfection intellectuelle. Celui qui se limite entièrement à la sympathie et à l'imitation ne peut posséder que peu de force et de justesse intellectuelles. Le système de sa vie serait une sorte d'abandon aux sentiments... Celui qui est véritablement respectable et heureux doit avoir la fermeté de maintenir son individualité. S'il tolère les satisfactions et cultive les sentiments d'un homme, il doit dans le même temps être déterminé à poursuivre le cours de ses réflexions, et à exercer la puissance de son entendement. " 160(*),

    de par sa nature même, et cependant jaloux de son individualité, de conserver et d'élargir sa sphère personnelle d'action et de réflexion :

    " Sans aucun doute, l'homme est fait pour la société. Mais il y a une voie par laquelle l'homme risque de fondre sa propre existence en celle des autres, ce qui est profondément pervers et nuisible. Chaque homme doit demeurer son propre centre, et consulter son propre entendement. Chaque homme doit sentir en lui-même son autonomie que les principes de justice et de vérité lui permettent de revendiquer, sans qu'il soit obligé hypocritement de les adapter aux particularités de sa situation et aux erreurs des autres. " 161(*)

    et qu'il ne peut être assimiler à un objet abstrait. Au contraire, pour lui, c'est parce que l'agent géographique existe en tant que tel que :

    " La société n'est rien de plus qu'un groupement d'individus. Ses droits et ses devoirs doivent être la combinaison des droits et devoirs de ces individus, aucun n'étant plus incertain ou arbitraire que l'autre. Qu'est-ce que la société a le droit d'exiger de moi ? il a été déjà répondu à cette question : tout ce qu'il est de mon devoir de faire. Quelque chose de plus ? Certainement non. " 162(*)

    En conclusion l'optimum collectif peut être défini comme lieu de jonction, à différents niveaux : d'une part entre l'individu et le collectif par le dépassement du type de relations, admis comme modèle, issu de la sphère privée ; d'autre part entre l'économique et l'éthique par les modalités de satisfaction ou de non-satisfaction des besoins matériels et les modalités que se donnent les agents géographiques pour communiquer et partager les conceptions de valeur et de sens qu'ils veulent donner à la vie. Pour nous, l'optimum collectif se démarque de la raison d'État défini par Kant ou Hegel163(*) ou du concept de volonté générale défendu par Rousseau. Godwin n'affirme-t-il pas, sans une part d'évidence, que :

    " Si le gouvernement est institué sur le consentement du peuple, il ne peut avoir aucun pouvoir sur un individu qui refuserait ce consentement. Si un consentement tacite n'est pas suffisant, encore moins peut-on supposer que j'ai consenti à cette institution si je m'y suis opposé de façon formelle. C'est la conséquence immédiate des observations de Rousseau. Si le peuple ou les individus dont il est constitué ne peuvent déléguer leur pouvoir à un représentant, un individu ne peut pas non plus déléguer son pouvoir à une majorité dans une assemblée dont il est lui-même membre. Ce ne peut être qu'une bizarre sorte de consentement que celui qui se manifeste d'abord par une inflexible opposition, et par une soumission absolue ensuite. " 164(*)

    Les pages ci-dessus écrites pour une tentative de définition des concepts d'optimum individuel et d'optimum collectif se veulent plus qu'une prétentieuse ambition de création sémantique mais, bien au contraire semblent constituer les deux éléments conceptuels indispensable à une synergie véritable pour l'adéquation des moyens avec la fin (ou l'indissoluble liaison des moyens avec la fin) de la théorie sociale des anarchistes. La particularité de la pensée anarchiste nous révèle maintenant, du moins nous semble-t-il, toute sa pertinence dans sa recherche pratique d'une stratégie sociale efficace en vue de pérenniser un système politique où la fin indique les moyens et en retour les moyens construisent la fin. Cette synergie découlant des concepts d'optimum individuel et d'optimum collectif trouve sa justification dans les actes militants de tout agent géographique anarchiste :

    " Le principe de base est simple. Ce n'est pas l'adhérent, mais l'individu, unité autonome et indépendante. Cet individu s'associe - ou non - avec d'autres pour former des groupes, mais, au sein de ceux-ci, il demeure autonome et indépendant. La liberté est donc totale et aucune obligation d'aucune sorte n'existe à aucun degré. Puisqu'elle laisse à chacun, groupe ou individualité, la plus complète liberté, cette formule est la seule authentiquement anarchiste. Puisque la règle d'unanimité interdit à une majorité d'imposer sa loi à une minorité ; puisque, enfin, le refus du choix collectif laisse finalement à chacun la possibilité de se déterminer lui-même...L'efficacité étant la raison même de l'existence d'un groupement orienté vers l'action, il convient d'admettre les moyens 165(*) de cette efficacité. Posons le problème. Des hommes se réunissent pour agir en commun, mais ces individualités n'ont pas toutes exactement la même pensée, la même optique, les mêmes réactions. Il convient donc d'élaborer un certain nombre de règles communes qui seront l'expression moyenne de l'ensemble et que chaque adhérent s'engagera à respecter. Ces règles communes constitueront les structures de l'organisation. Et ainsi apparaît la seconde valeur du groupement : la discipline librement consentie...166(*)

    Efficacité et discipline librement consentie, la première étant la raison du groupement, la seconde son moyen, telles seront les deux valeurs de base de toute organisation. Mais cette base serait incomplète - non libertaire - si l'on n'introduisait pas une troisième valeur, dont l'absence rend étouffante l'atmosphère des organisations autoritaires, la liberté. En effet, ceux qui - et c'est le cas des anarchistes - se refusent à admettre la fameuse maxime : la fin justifie les moyens - maxime au nom de laquelle ont été commis les plus monstrueux crimes sociaux de l'Histoire - ceux-là ne peuvent conférer à la seule efficacité une valeur absolue. La fin pour laquelle luttent les anarchistes - l'instauration d'une sociétés d'hommes libres - ne saurait être poursuivie avec des moyens qui seraient la négation de cette fin. D'où la nécessité, absolue celle-là, de maintenir à tous les niveaux et dans toutes les circonstances, les conditions du libre examen et de la libre discussion - liberté d'expression qui permet de redresser les erreurs et dont l'absence précipite inévitablement toute organisation dans les égarements mortels du sectarisme et du dogmatisme.

    Nous avons maintenant réuni les éléments essentiels d'une organisation anarchiste : l'efficacité, valeur de raison, la discipline, valeur pratique, et la liberté, valeur morale." 167(*)

    La particularité de la pensée anarchiste est de proposer une adéquation, voire une fusion, entre les moyens et la fin.168(*) L'anarchie considère, en effet, que les moyens et la fin sont indissolublement liés. Séparer artificiellement la fin des moyens revient à nier la relation organique qui les unit. C'est cette perception de la fusion entre les moyens et la fin qui permet, selon les théoriciens libertaires, de mettre en pratique l'anarchie en développant des formes d'organisations socio-spatiales appropriées au sein de la société.

    2.2 - La synthèse libertaire

    2.2.1 Le fédéralisme libertaire : des agents géographiques partenaires

    La reconnaissance, par les théoriciens anarchistes, de la pluridimensionnalité intrinsèque de l'individu et de la polymorphie sociale oblige, toujours selon eux, à penser différemment l'organisation de la société. Ce rapide liminaire nous oblige à réfléchir à la gestion politique de l'organisation sociale et de procéder à un bref retour sur le terrain de la philosophie politique. La gestion politique de toute organisation sociale repose depuis toujours sur un élément de base, qui est le dualisme des principes d'autorité et de liberté. Proudhon, dès les premières pages de son ouvrage écrit sur la fin de sa vie, Du principe fédératif, rappelle que :

    " L'ordre politique repose fondamentalement sur deux principes contraires, l'AUTORITE et la Liberté : le premier initiateur, le second déterminateur ; celui-ci ayant pour corollaire la raison libre, celui-là la foi qui obéit. " 169(*)

    Ces deux principes, forment un couple dont les deux termes sont indissociablement liés l'un à l'autre. Ils sont, toujours selon Proudhon, néanmoins irréductibles l'un dans l'autre, et restent, quoi que nous fassions, en lutte perpétuelle. A l'observation de ces analyses, Proudhon en vient à déterminer quatre formes de gouvernement bien définies, et sûrement bien téméraires :

    " Gouvernement de tous par un seul : Monarchie ou Patriarcat ou bien gouvernement de tous par tous : Panarchie170(*) ou Communisme. Ces deux formes de gouvernement constituant le régime d'Autorité. Le caractère essentiel de ce régime est l'indivision du pouvoir...

    Gouvernement de tous par chacun : Démocratie ou bien gouvernement de chacun par chacun : An-archie ou Self-government. Le caractère essentiel de ces deux formes de gouvernement constituant le régime de Liberté est la division du pouvoir. " 171(*)

    Selon lui, c'est à partir de la définition de ces quatre gouvernements élémentaires que l'on doit entrevoir les constructions politiques de l'avenir. C'est sur le sentiment que l'autorité périclite, de jour en jour, que Proudhon élabore une gestion politique de l'organisation sociale basée sur la liberté plus réelle et plus forte - le fédéralisme.

    Robert-Paul Wolff, professeur de philosophie politique à l'Université de Columbia (New-York), corrobore cette analyse. Il en différencie seulement les termes en désignant les deux principes antagonistes de l'ordre politique, en les nommant concept d'Autorité et concept d'Autonomie172(*).

    Ce dernier concept est si admirablement décrit que nous nous permettons de reproduire ce long passage :

    " La philosophie morale a pour hypothèse fondamentale que les hommes sont responsables de leurs actions. Comme Kant l'a fait remarquer, il découle nécessairement de cette hypothèse que les hommes sont libres du point de vue métaphysique ; c'est-à-dire que, dans un certain sens, ils sont capables de décider de leurs actes. Le fait que l'homme soit capable de choisir ses actes le rend responsable, mais le simple choix n'est pas en soi suffisant pour revendiquer173(*) la responsabilité de ses actes. Assumer la responsabilité implique tout d'abord de tenter de déterminer ce que l'on doit faire et cela, comme tous les philosophes depuis Aristote l'ont reconnu, impose certaines tâches supplémentaires : acquérir de la connaissance, réfléchir sur les motifs, prévoir les conséquences, critiquer les principes, et ainsi de suite.

    Le libre choix de ces propres actes est nécessaire mais pas suffisant pour imposer l'obligation d'en assumer la responsabilité(...) Tout homme qui possède à la fois le libre-arbitre et la raison est dans l'obligation d'assumer la responsabilité de ses actes, même s'il n'est pas engagé activement dans un processus continu de réflexion, de recherche et de délibération sur la manière d'agir. Parfois, il acceptera de porter la responsabilité des conséquences de ses actes sans y avoir bien réfléchi ou sans avoir l'intention de le faire par la suite. Une telle acceptation est évidemment un pas vers le refus d'engager sa responsabilité mais tout au moins reconnaît-il l'existence de l'obligation. Néanmoins ce refus ne le dégage pas du devoir de procéder à la réflexion à laquelle il s'est dérobé jusqu'alors. Il va sans dire qu'un homme peut assumer la responsabilité de ses actes et cependant se tromper. Lorsque nous disons qu'une personne est responsable, cela ne signifie pas que tout ce qu'elle fait est bien mais seulement qu'elle ne néglige pas le devoir de s'assurer de ce qui est bien.

    L'homme responsable n'est ni capricieux, ni désordonné car il se reconnaît lié par des obligations morales. Mais il prétend être le seul juge de ses obligations. Il peut écouter des conseils mais il revendique le droit d'en déterminer lui-même la justesse. D'autres peuvent lui enseigner ses obligations morales mais uniquement à la manière dont un mathématicien apprend d'autres mathématiciens - c'est-à-dire en écoutant des arguments dont il reconnaît la validité, bien qu'il ne les ait pas découvert lui-même. Il n'apprend pas au sens où l'on apprend d'un explorateur en acceptant comme une vérité les descriptions de choses qu'on ne peut pas voir soi-même.

    Puisque l'homme responsable arrive à des décisions morales qu'il s'impose sous forme d'impératifs, nous pouvons dire qu'il se donne des lois, qu'il est l'auto-législatif. En bref, il est autonome. Comme l'a montré Kant, l'autonomie morale est une combinaison de liberté et de responsabilité ; c'est la soumission à des lois que l'on s'est donné. Dans la mesure où il est autonome, l'homme n'est pas soumis à la volonté d'autrui. Il peut faire ce qu'un autre lui ordonne mais pas parce qu'on le lui a ordonné. Il est donc, au sens politique du mot, libre." 174(*)

    L'acception, à la lecture de ce texte, de la possible existence d'un problème métaphysique voire moral de la liberté ne préfigure pas, pour les anarchistes, qu'il ne peut exister de problème politique de cette même liberté. Christian Delacampagne dans son dernier ouvrage sur La philosophie politique aujourd'hui175(*) nous en donne la raison :

    " Parce que, à partir du moment où l'on se situe dans une perspective démocratique, à partir du moment que l'autonomie (individuelle ou collective) doit être préférée, en toutes circonstances, à son contraire - la liberté cesse d'être un mythe ou un mystère. Elle devient, tout simplement, une manière d'être. Un style. L'étoffe de l'existence." 176(*)

    Cependant l'étude historique des sociétés humaines nous révèlent tout autant, en politique que dans la vie en général, les hommes abdiquent souvent leur autonomie. Il y a plusieurs causes à cela et plusieurs arguments ont tenté de le justifier. Le propos de ce présent mémoire n'est pas de recenser toutes les causes et arguments qui ont tenté de justifier cet état de fait. Nonobstant, parmi les plus anciens, on trouve l'affirmation de Platon suivant laquelle les hommes doivent se soumettre à l'autorité de ceux qui ont la connaissance, la sagesse ou l'intuition plus développées177(*). Une version moderne plus élaborée prétend que la partie éduquée d'une population démocratique a plus de chance d'être politiquement active et qu'il vaut mieux que la partie ignorante de l'électorat reste passive puisque son entrée dans l'arène politique ne ferait qu'aider les démagogues et les extrémistes. Un certain nombre de politologues178(*) ont même été jusqu'à prétendre que l'apathie des masses était une source de stabilité et donc une bonne chose.

    Cette brève démonstration justifie parfaitement le point fondamental de la philosophie politique des anarchistes, à savoir la négation de l'autorité " déléguée " à des mandataires instituée par les différentes démocraties comme principe d'organisation sociale et politique. Pour les anarchistes, cette autorité est la légitimation dont se parent les gouvernements de toute nature pour exercer le pouvoir, c'est-à-dire pour légiférer et imposer les lois qu'ils édictent. Cette organisation hiérarchisée s'illustre par le schéma classique de la pyramide, le sommet, détenteur de l'autorité, imposant à la base ses décisions par l'intermédiaire d'étages successifs d'agents d'exécution, dont le nombre s'accroît en même temps que décroît le pouvoir au fur et à mesure que ces étages se rapprochent de la base.

    Cependant l'organisation sociale est un fait et une nécessité. Le besoin d'ordonnancement et de coordination des activités et des fonctions de chaque agent géographique nécessite d'être régi par des règles qu'elles soient écrites, tacites, codifiées. La complexité du monde moderne rendent ces structures sociales (l'ensemble des règles) tout autant indispensables dans une société libertaire que dans une société autoritaire. La solution consistant, pour les anarchistes, de les faire dépendre et exister, non plus du principe d'autorité mais d'appliquer à celles-ci le principe contraire de liberté ou de libre-examen.

    En d'autres termes le fédéralisme ne doit être qu'une forme de coordination, un lien structurel du bas vers le haut, du plus simple au plus complexe, qui permette la prise en charge par tous de la gestion de la société, par rapport à ses aspirations et à ses besoins sur la base de la libre association des uns aux autres. Le terme plus précis de libre-association est d'ailleurs le terme initialement utilisé par les premiers praticiens de l'anarchisme à partir du congrès de Saint-Imier en 1870179(*). Cette idée est constante chez Reclus ou Kropotkine180(*) : le principe de la libre-association étant celui de la fédération, telle qu'elle a été définie par Proudhon. Les "collectivités" de la Révolution espagnole de 1936 sont les témoins historiques les plus appliqués de cet héritage idéologique181(*).

    Le fédéralisme libertaire de Proudhon repose sur l'alliance, le contrat182(*). Néanmoins, cette :

    "...convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, à faire ou à ne pas faire quelque chose. " 183(*)

    ne peut exister qu'entre individus égaux et libres et diffère du contrat social tel qu'il a été définit par Rousseau. En effet, pour Proudhon :

    " Peut-on dire que dans une démocratie représentative et centralisatrice, dans une monarchie constitutionnelle et censitaire, à plus forte raison dans une république communiste, à la manière de Platon, le contrat politique qui lie le citoyen à l'État soit égal et réciproque ? Peut-on dire que ce contrat, qui enlève aux citoyens la moitié ou les deux tiers de leur souveraineté et le quart de leur produit, soit renfermé dans de justes bornes ? il serait plus vrai de dire, ce que l'expérience confirme trop souvent, que le contrat, dans tous ces systèmes, est exorbitant, onéreux, puisqu'il est, pour une partie plus ou moins considérable, sans compensation ; et aléatoire, puisque l'avantage promis, déjà insuffisant, n'est pas même assuré.

    Pour que le contrat politique remplisse la condition synallagmatique et commutative que suggère l'idée de démocratie ; pour que, se renfermant dans de sages limites, il reste avantageux et commode à tous, il faut que le citoyen en entrant dans l'association, 1° ait autant à recevoir de l'État qu'il lui sacrifie ; 2° qu'il conserve toute sa liberté, sa souveraineté et son initiative, moins ce qui est relatif à l'objet spécial pour lequel le contrat est formé et dont on demande la garantie à l'État. Ainsi réglé et compris, le contrat politique est ce que j'appelle une fédération. " 184(*)

    Le contrat fédératif tel qu'il est pensé par Proudhon comprend donc un aspect incitatif et un aspect " contraignant ". Notons que la contrainte du pacte fédératif est une contrainte librement consentie et égalitairement négociée. Celle-ci n'est en aucun cas le moteur de la motivation - comme dans le discours des partisans de l'autorité où celle-ci apparaît comme une notion subsidiaire185(*) - et ne peut donc, lui être rappelée lors de phase de découragement ou de relâchement. Seules des solutions de réorganisation doivent être conjointement élaborées pour qu'une activité redevienne gratifiante pour l'agent géographique et la collectivité concernés. Il découle de cette définition du fédéralisme libertaire que la prise en main de la vie sociale, économique, politique et culturelle doit être assumée et assurée par les individus et les collectivités d'individus eux-mêmes. Sans vouloir rentrer dans le détail de la réalisation pratique de telle politique autogestionnaire, nous pouvons en esquisser les grands traits pour éclaircir notre propos.

    " Les grandes orientations économiques, culturelles, politiques sont discutées et validées lors d'assemblées des Fédérations, de réunions de Communes ou de Quartiers par la population186(*). Des individus sont mandatés pour coordonner la mise en application des politiques ainsi définies et des équipes sont chargées d'étudier et de préparer des projets, d'entretenir les relations entre les fédérations et de faire circuler les informations. Si les mandatés prennent des initiatives, ils le font dans le strict cadre de leurs mandats, ils n'ont pas de pouvoir décisionnel à proprement parler. Ils ne disposent d'aucun moyen coercitif pour imposer ces décisions et peuvent être révoqués à tout moment s'ils ne respectent pas leurs obligations." 187(*)

    Le fédéralisme met en valeur le principe de liberté qui ne peut conférer aux représentants (délégués) qu'un pouvoir d'exécution : les décisions sont prises à la base et exécutées par ceux qu'on nomme à cet effet. Dans ce cas, l'agent géographique ne se trouve possesseur d'aucune autorité particulière mais est seulement le mandataire d'un choix et de décisions prises en commun. La pyramide dont il a été précédemment mentionné, qui illustre le modèle hiérarchique disparaît et devient un cercle dont le point central n'est plus qu'un organisme de coordination et d'exécution. Le fédéralisme est un mode d'organisation multiforme (producteurs, consommateurs, habitants...) qui ne préjuge en rien de son aire spatiale car l'ensemble des associations préfigure un rets à mailles souples. L'observation de la vie sociale actuelle révèle déjà que la société n'apparaît plus comme un ensemble d'individus liés entre eux par une relation univoque mais plutôt comme un entrecroisement d'individus et de réseaux. En effet, nous pouvons constater que, d'un côté, nous vivons tous et toutes dans des lieux : une ville, une région ; de l'autre, nous exerçons des activités spécifiques : notre métier, nos études, notre art, et sur un plan plus ludique, nos loisirs. Le fédéralisme constitue le principe politique d'envergure qui simultanément régente et articule la double dimension de toute organisation humaine : économique, la fédération des associations ; administrative, la fédération des communes tout en restant susceptible d'être étendu au monde entier. Le temps imparti à la réalisation du présent mémoire ne permet pas d'étudier plus profondément l'évolution des rapports des sociétés libertaires à leur espace et à leurs territoires telles qu'elles ont été relevées au cours des rares phases révolutionnaires où le projet libertaire a été mis en pratique. Il serait nécessaire de procéder à ce travail comparatif de la modification géographique de l'organisation de l'espace (étude morphologique des divers réseaux mis en place) survenue lors des événements historiques où des exemples d'organisation humaine libertaire ont eu lieu (Espagne, Ukraine, Hongrie, par exemple) afin de mieux quantifier et qualifier un système de gestion des sociétés basé sur le respect et la mise en valeur de l'agent géographique en terme de politique d'aménagement du territoire.

    2.2.2 Le municipalisme libertaire : un maillage territorial valorisant l'individu.

    L'idée du " municipalisme libertaire " ou communalisme est aussi ancienne que l'anarchisme. Avec l'organisation professionnelle, la " commune " constitue un des fondements du projet libertaire tel qu'il a pu être pensé et mis en oeuvre par les premiers anarchistes, de Proudhon à Bakounine et Kropotkine, et surtout les milliers de militants, en Espagne et ailleurs, qui ont entrepris de donner corps à ce projet. Le débat actuel autour du municipalisme libertaire doit beaucoup aux travaux et à la réflexion de Murray Bookchin188(*) sûrement - que l'on partage ou non ses idées - le plus important des théoriciens libertaires contemporains. Le livre de Janet Biehl Le municipalisme libertaire189(*) qui nous propose un résumé du municipalisme libertaire tel qu'il est développé par Murray Bookchin, va nous servir de support au même titre que des articles de militants libertaires parus dans la revue La Griffe.190(*)

    Bookchin rappelle tout d'abord comment le projet révolutionnaire libertaire a été pensé à partir de deux grands domaines de l'activité sociale et humaine : le lieu où l'on travaille et le lieu où l'on vit ; l'atelier et l'usine, le quartier et la commune. En partie sous l'influence du marxisme et de sa vision étroitement économiste de la lutte révolutionnaire, mais aussi dans le contexte industriel de la fin du dix-neuvième siècle et de la première moitié du vingtième, l'anarchisme a cependant été conduit à surtout privilégier la lutte ouvrière, à mettre au premier plan les revendications économiques et à reprendre à son compte le rôle messianique dévolu par l'ensemble des courants socialistes au " prolétariat "191(*). Ce faisant, il minimise une partie de lui-même, et plus particulièrement la dimension universaliste et éthique qui s'attache à la commune, à son rôle globalement transformateur, comme espace multifonctionnel tenant à tous les aspects de la vie humaine, comme cadre possible :

    " (...) d'une société libératrice, enracinée dans l'éthique non-hiérarchique d'une unité des diversités, de l'auto-éducation et de l'autogestion, de la complémentarité et de l'entraide. " 192(*)

    Pour Bookchin, le strict espace du travail, ne peut en rien être le cadre d'une action émancipatrice, comme 150 ans d'histoire ouvrière permettent de le comprendre. Si les idéologues intéressés du socialisme autoritaire ont pu célébrer le " prolétaire " et autre variante de " l'ouvrier-masse ", c'est justement parce que l'usine, bien loin de permettre aux ouvriers de s'unir et d'agir pour leur émancipation, a surtout servi à les dresser aux réflexes de la subordination et à l'obéissance ; d'abord au profit du patronat, puis des bureaucraties syndicales et communistes du socialisme dit " réel ". Bookchin démontre aussi comment les mouvements ouvriers libertaires, loin de correspondre aux images d'Epinal de l'ouvrier, véhiculées par les différents courants marxistes, émergent des " classes en transition " issus du monde rural ou de l'émigration (en Espagne, en France, en Italie ou en Russie par exemple). La force révolutionnaire de ce prolétariat naissant (et qui justement refuse le sort de " prolétaire " qui les attend), ne s'exprime pas d'abord dans l'usine, dans les rets disciplinaires et idéologiques des relations de travail, mais en dehors de l'usine, dans les bourses du travail, dans les athénées, les unions locales, lorsqu'ayant déposé leurs habits de travail, ils vont s'instruire, faire de la musique, du théâtre, dénoncer le travail et discuter d'une transformation radicale du monde. L'intégration dans l'industrie de ces couches ouvrières révolutionnaires, leur soumission au seul horizon de l'usine et de la condition ouvrière, se sont traduites aussitôt par la disparition du syndicalisme révolutionnaire (ou anarcho-syndicalisme), par le double triomphe de l'embrigadement du communisme autoritaire et de l'absence d'horizon du corporatisme, avant qu'en disparaissant à son tour, ce monde de l'usine et de l'industrie ne limite plus le combat ouvrier qu'à des revendications purement défensives et, finalement à la seule défense, sans espoirs, d'un monde industriel oppressif en déclin que les ouvriers anarchistes avaient d'abord vainement tenté de détruire.193(*)

    A la courte existence d'une condition ouvrière dans laquelle le mouvement libertaire a pu tout d'abord investir l'essentiel de ses forces et de ses espoirs, Bookchin oppose la longue durée et les perspectives de la commune, l'autre perspective révolutionnaire imaginée par les premiers anarchistes. Héritier d'une longue tradition théorique du mouvement anarchiste (Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Reclus, Landauer), Bookchin montre l'importance de la naissance des cités dans la possibilité pour les sociétés humaines d'inventer des relations sans domination et sans oppression. Des cités grecques à la Commune de Paris, en passant par les villes libres du moyen âge et les assemblées de sections parisiennes de la révolution française, les expériences de l'association communale indiquent nettement, malgré leur caractère souvent éphémère, partiel ou soumis aux rapports d'oppression de leur époque, une voie originale d'émancipation trop longtemps négligée par le mouvement libertaire et qui, pour Bookchin, exige impérativement de réhabiliter la notion de politique.

    En effet, parce qu'il s'est d'abord identifié au mouvement ouvrier, l'anarchisme a longtemps opposé le social au politique, ce dernier étant assimilé à l'État. L'expérience historique du communalisme exige au contraire d'une part de distinguer nettement entre le politique et l'étatique, d'autre part de relativiser les possibilités d'autonomie du social. Comme l'avait bien vu Proudhon194(*), l'origine de l'État est directement liée à cette donnée essentielle du social que constitue la famille ; et ses formes modernes peuvent être caractérisées par une absorption du social par l'État à travers les très nombreux et tentaculaires appareils administratifs qui gèrent tous les aspects de notre vie (santé, éducation, sécurité, communication ...) La naissance des cités et les expériences communalistes à caractères révolutionnaires correspondent au contraire à une autre voie possible de développement humain, à une résistance originale à la domination étatique et à l'invention d'une action collective réellement "politique".

    La notion de " corps " politique prend ici toute son importance. L'assemblée communale et ses formes de fonctionnement n'ont rien à voir avec l'abstraction d'une politique soumise à l'État où le citoyen se transforme en électeur anomique et le peuple en " masse ", en agglomération compacte de monades. La " cité " capable de mettre en oeuvre la démocratie libertaire n'est pas, de son côté, la " ville " au sens géographique du terme, cette urbanisation absurde où l'individu se perd dans la foule et s'accroche au petit royaume illusoire de sa famille et de son pavillon de banlieue. La " cité " émancipatrice, c'est un :

    " corps politique délibératif, rationnel et éthique " nous dit Bookchin, "un lieu de discours, de rationalité partagée, de libre expression et de modes de prises de décision radicalement démocratique ". 195(*)

    Communes et quartiers (dans les villes importantes) forment alors des " communautés " d'un type nouveau, capables d'intégrer l'étranger et de réguler toutes les différences ; une association à proprement parler " politique " à laquelle Bookchin confie deux tâches essentielles :

    - absorber les anciennes prérogatives de l'État, remplacer la démocratie représentative par la démocratie directe qu'autorise le cadre des communes et des quartiers, remplacer les liaisons verticales, hiérarchiques et autoritaires par la libre association horizontale des cités, transformer les êtres humains, d'objets passifs en acteurs actifs.

    - absorber le social dans le politique, permettre à toutes les singularités et diversités de vie, de goût et d'activité (professionnelles ou non), à tout ce qui fait la "vie privée" de se fondre lentement dans la vie publique, de se transformer radicalement dans le "corps" politique, dans la rationalité émancipatrice de ses échanges et de ses prises de décision.

    Les aspects pratiques du municipalisme libertaire reposent sur deux fondements principaux. Les élections municipales doivent d'abord servir de moment et de lieu d'éducation populaire, pour ensuite servir de base de légitimation.

    La proposition de Bookchin consiste en un démantèlement du pouvoir détenu dans une municipalité par l'hôtel de ville en créant des assemblées locales (de quartier, de rue...) qui ont pour but d'évoluer dans une première phase de manière parallèle en attendant d'acquérir une légitimité qui leur permette de la supplanter. Afin d'organiser cette passation de pouvoir Bookchin se propose de remplir trois objectifs principaux :

    - L'utilisation des scrutins municipaux comme tribune d'éducation populaire avec le but précis de développer et de faire connaître le municipalisme libertaire en familiarisant la population avec ces idées.

    - La création d'assemblées populaires sur des espaces géographiques qui permettent une gestion directe des affaires publiques. Ces espaces émancipatoires sont orientés vers l'apprentissage de l'auto-gouvernement. C'est dans ces assemblées que doit se recréer un espace politique.

    - La présentation d'équipes de municipalistes libertaires à des postes électifs de la municipalité qui permettront de demander une légitimation des assemblées populaires là où il n'en disposent pas ou d'accroître leurs prérogatives là où ces institutions existent déjà. A cet effet et pour éviter toute dérive, les municipalistes libertaires disposeront d'un programme clair et organisé en demande minimale et maximale (par exemple si la demande minimale est de modifier la charte de la ville, la demande maximale correspondante sera la démocratie directe.). Ces représentants seront liés par un mandat impératif et révocable à tout moment, la participation à l'exécutif étant par avance exclue.

    Les habitants d'un quartier ou d'une ville concerné se positionnent et décident dans ces assemblées en tant que citoyens. Après le temps de leur émergence, vient celui de leur légitimation. Cette légitimité, les assemblées l'acquiert par leur expérience, leur persistance et le " lobbying " exercé par les municipalistes libertaires élus. Dès lors, la plus grande importance sera accordé à la mise en place de la tension avec l'État, c'est-à-dire démontrer le caractère inconciliable de la commune autogérée et du fonctionnement hiérarchique et délégataire de l'État ( par Etat, il est entendu toute les institutions administratives au-dessus de la commune).

    Il est évident que la simple présentation de la pensée de Bookchin est un peu réductrice à ce stade de notre rédaction. Le débat est instauré au sein du mouvement libertaire. Les discussions autour du thème des élections sont un sujet récurrent pour les anarchistes. Non sans raison, les sceptiques affirment que l'intervention municipale est le tremplin et la rampe de lancement de nombreux opportunistes en politique et ils ne voient pas comment l'on pourrait éviter la cohabitation avec des apprentis politiciens ; l'enchevêtrement des lois et des règlements administratifs et budgétaires constitue, toujours pour les opposants à toute participation électorale, le second point sur lequel l'expérience des municipalistes libertaires risquent de se heurter violemment. L'exemple français est à ce propos révélateur. Toute initiative municipale est contrée par deux contre-pouvoirs supérieurs : le préfet annule tous édits qui bafouent les lois républicaines ; tout citoyen peut faire appel au Conseil d'État pour faire examiner une décision d'un organisme publique.

    Nous devons reconnaître aussi que le municipalisme, comme intervention anarchiste, est peu présent dans l'histoire des sociétés humaines. Dans les années 1950 quelques expériences ont été menées en Suède et en Argentine, néanmoins peu de comptes-rendus ont été publiés196(*). Une seule expérience a été menée en France, dans un petit village du Nord, Merlieux, et seule la presse militante anarchiste l'a relatée197(*). Néanmoins, nous devons prendre en compte la demande renouvelée de la part des citoyens à la participation active des affaires publiques depuis quelques années. Même si le taux de participation aux diverses élections, y compris au niveau municipal, vient contrecarrer cette opinion, l'agent géographique est demandeur d'un système démocratique où toutes les composantes de la société soient associés aux divers processus de décision.

    Cependant la lutte communaliste que Bookchin appelle de ses voeux, participe, et tous les militants anarchistes le reconnaissent, à la formation politique des agents géographiques. Pour lui, la lutte pour l'autogestion politique des cités et des quartiers est forcément porteuse d'une volonté de démocratie et d'action directe, d'une " dimension populiste utopique " d'égalité et de liberté capable d'entraîner l'ensemble de la société dans une vaste dynamique de transformation de la société. A condition toutefois, précise-t-il, peut-être parce qu'il n'est pas lui-même complètement convaincu de cette dynamique, ni du caractère spontané de l'action possible des différentes classes et catégories sociales marginalisées, que :

    "... leur volonté d'investir dans le municipalisme libertaire, comme de leur capacité à vaincre par elles-mêmes les obstacles qu'un tel projet ne manquerait pas de susciter en cas de début de réalisation, soit précéder de la volonté de construire "un mouvement libertaire hautement conscient, bien organisé et cohérent dans ses buts", seul capable à ses yeux semble-t-il, de guider le peuple politique vers son avènement, de permettre aux "assemblées populaires communales" d'atteindre le niveau d'une vie publique pleinement libertaire, de donner naissance à un corps politique authentiquement libertaire. " 198(*)

    Stimulantes pour la réflexion, les thèses de Bookchin sur le municipalisme libertaire ont l'immense mérite de permettre le débat. Le municipalisme libertaire représente sans doute selon lui :

    " la dernière chance qui s'offre à un socialisme orienté vers des institutions populaires décentralisées ; sauf à transformer l'anarchisme en un "domaine de pureté éthérée et d'abstraction, en donnant ainsi raison à Adorno quand il décrit l'anarchisme comme un fantôme ". 199(*)

    Bookchin peut alors dénoncer un certain type de critique dont il ne doute pas que ses propositions feront l'objet :

    " Les fantômes qui nous hantent, s'il y en a, sont le dogmatisme et la raideur rituelle dont l'inflexibilité est si grande qu'elle nous fait glisser vers un état intellectuel de rigidité de même nature que l'engourdissement qui s'installe dans un corps gelé dans l'éternité de la mort ". 200(*)

    2.2.3 La création d'espaces " émancipatoires "

    La mise en pratique de processus démocratiques radicalement nouveaux (le municipalisme libertaire, l'organisation fédérale anarchiste...), intégrant l'agent géographique au coeur de la collectivité multiculturelle moderne implique la recherche et la création d'espaces adéquats d'expression continue. Ceux-ci doivent constituer l'articulation vitale de fonctionnement ; des lieux spatio-temporels de mise en synergie des optima individuel et collectif afin que les systèmes libertaires d'organisation de la société (le fédéralisme, le municipalisme tels qu'ils ont été précédemment définis) puissent être opérationnels.

    Dans un premier temps l'utilisation d'une sémantique précise doit nous permettre une meilleure compréhension du concept utilisé. Ensuite, les domaines d'application vont traduire dans l'organisation de la société l'opérationnalité de ce même concept.

    1 - Des vocables significatifs

    Les finalités des espaces " émancipatoires " sont doubles :

    - 1° répondre aux sollicitations diverses et permanentes de chaque agent géographique,

    - 2° constituer les lieux de débats et de médiation de toutes sortes que la collectivité ne peut manquer de nécessiter pour le plein épanouissement "démocratique" de son fonctionnement.

    La mise entre parenthèse du mot démocratie dans la phrase précédente n'est pas fortuite. Elle va nous servir de prétexte à expliciter la signification du concept d'espace " émancipatoire " et de préciser la qualification de la démocratie que nous voulons utiliser dans ce présent mémoire, et tel que nous l'envisageons dans une logique libertaire de gestion de l'espace sociétal inspiré par un raisonnement anarchiste. La conception philosophique anarchiste telle qu'elle a été dévoilée au cours de ce mémoire implique, l'utilisation d'une série lexicale précise qui caractérise au mieux la rupture radicale de l'anarchisme vis-à-vis du capitalisme et de l'État.

    Se basant sur l'étymologie grecque cratos qui signifie pouvoir, il convient, face à la hantise d'excès de pouvoir de la part des anarchistes, d'envisager de proposer un terme plus approprié. Nous suggérons le terme acratie où le suffixe cratie est associé au préfixe a exprimant la négation. Si ce vocable n'est pas mentionné dans les dictionnaires français, il est néanmoins couramment utilisé par les libertaires espagnols pour se définir. De surcroît, elle semble résoudre les interrogations sur le principe de la démocratie, le problème des excès et des limites du pouvoir et la capacité de modification d'une construction politique. Roger Dadoun201(*) propose un autre élément en faveur de l'utilisation de ce mot. Selon lui, Charles Péguy en 1904, dans une conférence méconnue et intitulée De l'anarchisme politique202(*) :

    " prend soin de distinguer, en tenant compte de l'étymologie et de la production consécutive des notions, entre anarchie, au sens classique du terme : à savoir rejet des autorités de commandement telles que l'exercent des régimes comme la " monarchie " ou l' "oligarchie ", et acratie, vocable neuf servant à exprimer une donnée nouvelle : la récusation de l'autorité de commandement telle qu'elle se manifeste dans une " démocratie ". "

    La notion d'espace public qui est au coeur du fonctionnement démocratique mérite, elle aussi nous semble-t-il, d'être précisée dans une optique libertaire. Habermas203(*) l'a repris à Kant qui en est probablement l'auteur et en a popularisé l'usage dans l'analyse politique depuis les années 1970. Il le définit comme :

    " ... la sphère intermédiaire qui s'est constituée historiquement, au moment des Lumières, entre la société civile et l'État. C'est le lieu accessible à tous les citoyens, où un public s'assemble pour formuler une opinion publique. Cette " publicité " est un moyen de pression à la disposition des citoyens pour contrer le pouvoir de l'État." 204(*)

    Toujours selon Habermas et Wolton, c'est l'apparition de l'État-providence qui a perverti ce mécanisme de concertation démocratique en le transformant en :

    " (...) un espace symbolique où s'opposent et se répondent les discours, la plupart contradictoires, tenus par les différents acteurs politiques, sociaux, religieux, culturels, intellectuels, composant une société. " 205(*)

    La notion d'espace " émancipatoire " que nous proposons, veut valoriser la liberté individuelle dans une continuité d' auto-formation de l'identité et du raisonnement individuel. Ce n'est plus l'aboutissement d'un certain niveau d'émancipation politique produite par la démocratie en vue de constituer un contre pouvoir à des excès plausibles, mais plutôt le lien organique entre trois éléments fondamentaux d'une véritable acratie : le besoin de dialogue et d'échange, l'accès à l'éducation politique permanente, le droit au jugement et à l'action. Si nous faisons un parallèle avec les caractéristiques politiques des démocraties grecques, il apparaît, dans la conception que nous faisons des espaces " émancipatoires ", que le droit pour tous de parler à l'Assemblée (ou Ecclésia) est valorisé par la présence de l'aspect éducatif (ou paidéia) dans le sens où ils forment, aussi le développement des vertus morales, du sens de la responsabilité civique, de l'identification consciente avec la communauté tout en proposant des instances décisionnelles (ou graphé paranomon) et surtout, en n'excluant aucune catégorie sociale ou ethnique, au contraire des démocraties antiques. C'est une donnée fondatrice de l'idéal anarchiste et non plus un espace de médiation rendu indispensable pour la survie de la démocratie.

    2 - Des niveaux imbriqués.

    L'espace " émancipatoire " des anarchistes, témoin d'une acratie en mouvement perpétuel, se doit d'être une réalité spatio-temporelle souple et évolutive, où l'expression publique et contradictoire des informations, des opinions, des intérêts et des idéologies puisse déboucher sur des programmes d'actions concrets et contrôlables par ceux-là qui les ont élaborés. Par réalité spatio-temporelle nous entendons le caractère non permanent de ces espaces. Ils se doivent d'être présents et opérationnels lorsque la demande ou le besoin s'en fait sentir et ceci à tous les niveaux scalaires de l'organisation humaine.

    Qu'ils se situent à l'échelle de la commune, du quartier, de la ville, de la région comme du ponctuel, du permanent, de l'urgent ; qu'ils se nomment "athénées", "associations", "conférence de citoyens", "assemblées", "réseaux Internet", "référendums", "forums" ces espaces " émancipatoires " doivent être opérationnels et constituer le rets organique de la société anarchiste future.

    Notre volonté de construire la compréhension de l'anarchisme par l'incorporation théorique du concept d'espace " émancipatoire " repose sur le paradigme du fondement idéaliste rousseauiste de l'harmonie de la nature et de la bonté humaine. Fondement inspirateur de la pensée d'Élisée Reclus. En effet, le géographe et l'anarchiste qu'il est simultanément, reste persuadé que l'éducation renforcera le potentiel de " progrès " de chaque homme et que l'égalité économique (car pour lui, et les libertaires, il ne peut exister d'égalité politique sans égalité économique) corrigera les phases de " régrès " encore perceptibles.

    Conclusion :

    La géographie libertaire a survécu à de multiples obstacles. Qu'ils soient d'ordre institutionnel ou politique, elle a résisté jusqu'à mériter aujourd'hui une nouvelle lecture et une étude dénuée de préjugés . Face à l'institutionnalisation de l'école française de géographie, insufflée avec le succès que l'on sait par Vidal de la Blache, face aux positions politiques des diverses classes dirigeantes d'autrefois comme d'aujourd'hui, la géographie sociale des deux plus grands géographes anarchistes connus à ce jour que sont Élisée Reclus et Pierre Kropotkine dont nous avons tenté partiellement de dévoiler les conceptions théoriques et épistémologiques, a réussi à surmonter les processus d'exclusion divers que la structure universitaire et le milieu politique et médiatique lui avaient opposé205(*). Les raisons de cette survivance et de l'intérêt pour une étude renouvelée sont certainement à chercher sur le terrain du positionnement scientifique singulier de ce courant de la géographie dite critique.

    Tout au long de ce présent mémoire, nous pensons avoir mis en évidence la place centrale accordé à l'individu ou l'agent géographique par Kropotkine et Reclus. L'agent géographique considéré comme être social avant tout est au coeur de leur problématique géographique dans une tentative de compréhension de l'organisation territoriale du monde. L'adéquation de leurs fondements moraux, reposant sur les principes philosophiques de Godwin voire de Guyau dans lesquels l'homme doit être considéré comme l'objet central de toute attention et considération, avec leur démarche de géographe, aboutit à la constitution d'une approche scientifique qui se démarque par quelques traits spécifiques.

    Leurs approches sont globalisantes avec un souci permanent de mise en valeur des interactions entre milieux naturels et milieux humains (nous retrouvons ici, leurs volontés communes de maintenir l'unité disciplinaire de la géographie). L'un, en l'occurrence Élisée Reclus, a mieux précisé le concept de milieu en lui attribuant une double dimension constituée d'un milieu-espace et d'un milieu-temps avec des processus différenciés (il complète sa démonstration en distinguant un milieu statique lié aux faits inhérents de la nature et un milieu dynamique propre aux faits socio-économique de l'activité humaine). L'autre, Pierre Kropotkine, a clairement explicité les raisons de son rejet de la méthode dialectique et de l'adoption de la philosophie synthétique comme base méthodologique de ses futurs travaux. Selon lui, cette philosophie doit expliquer par phases successives les principes fondamentaux de la vie terrestre et offrir une clef de lecture globale pour une meilleure compréhension de l'organisation du monde. Nous avons vu également comment, pour Élisée Reclus, cette vision synthétique repose sur l'existence de deux pôles antinomiques que sont le progrès et ce qu'il appelle le " régrès " . La clé de compréhension générale de la distribution des sociétés humaines réside, toujours selon lui, dans une juste appréciation du perpétuel équilibre dynamique qui réside entre ces deux pôles constitutifs.

    La pensée libertaire qui alimente les travaux de ces deux géographes permet de comprendre les raisons d'une recherche fiable d'un cadre politico-scientifique cohérent où la place nodale de l'action humaine est au coeur de leurs travaux. Pour reprendre une expression de Paul Claval, ils ne décrivent pas un univers irénique. Ils sont conscients que le monde est construit sur l'existence d'un rapport de forces permanent et donc que la géographie ne peut être que politique. L'interpellation qui découle de ce fait historique par les géographes anarchistes consiste à élaborer un système de gestion des espaces territoriaux respectueux de l'agent géographique dans son intégrité morale et politique. C'est cette réflexion de base qui a initié notre travail de recherche dans la mesure où nous tentions de savoir si, premièrement, des théoriciens avaient réfléchi à cette problématique précise, deuxièmement, des modèles opérationnels avaient été conçus et, dernièrement, des outils spécifiques avaient été élaborés.

    Au terme de cette étude sur ce questionnement initial et central, nous ne pouvons nous empêcher de souligner qu'une étude plus ciblée sur certains points du positionnement scientifique singulier des premiers géographes anarchistes aurait incontestablement amené quelques éclaircissements bienvenus. La divergence idéologique concernant l'acceptation ou le refus de la méthode dialectique de type hégélien comme approche scientifique par les géographes libertaires mérite à n'en pas douter un approfondissement. La pauvreté du langage conceptuel de la fin du dix-neuvième ne doit pas être non plus considéré comme un obstacle insurmontable à une interprétation comparative de l'histoire de la géographie. Il serait bon de souligner objectivement l'importance accordée à certains domaines géographiques par les géographes anarchistes, nous pensons en particulier à la géographie urbaine. Des comparaisons avec des écoles de pensée politique, comme l'école marxiste, ou géographique comme l'école vidalienne, auraient permis, à n'en pas douter, de mieux révéler la portée de notre étude. Ce sont là quelques limites fixées à notre étude qui nous ont, malgré les lectures préparatoires, gênées pour une démonstration plus approfondie et surtout plus convaincante.

    La réflexion engagée autour des concepts d'optimum individuel et d'optimum collectif a cependant montré la cohérence de la théorie sociale des anarchistes. Les fondements de la théorie anarchiste reposent sur la présence de deux principes incontournables : l'égalité et la liberté. Notre approche de la problématique libertaire de la géographie d'Élisée Reclus et de Pierre Kropotkine nous a contraint à privilégier l'abord d'une réflexion sur la liberté. Comme nous l'avons vu, la volonté constante de la part des anarchistes de constituer le fondement de la réflexion sociale autour du principe inaliénable de la liberté de l'agent géographique marque l'ancrage philosophique des anarchistes dans la continuité philosophique de la pensée humaine. Même conscient, que l'aspect juridique de l'antinomie individu-collectivité aurait apporté un nouvel éclairage sur notre propos, nous avons, néanmoins, mis en évidence que pour les anarchistes l'agent géographique et la société sont deux entités complémentaires et inséparables. La société est une condition de sa libération, affirment avec force les théoriciens anarchistes. Bakounine ne dit-il pas la même chose dans une brochure intitulée La Commune de Paris et la notion d'État de 1871 :

    " Nous sommes convaincus que toute la richesse du développement intellectuel, moral et matériel de l'homme, de même que son apparente indépendance, que tout cela est le produit de la vie en société. "

    Les concepts d'optimum individuel et d'optimum collectif révèlent que ces deux éléments conceptuels sont les composants indispensables pour une véritable synergie opérationnelle entre les moyens et la fin de la théorie sociale des anarchistes. La mise en évidence de la particularité de la pensée libertaire, en proposant une adéquation, voire une fusion entre les moyens et la fin, fait que le programme social élaboré par les théoriciens anarchistes paraît cohérent dans sa conception et débouche sur l'élaboration de deux outils politiques applicables par l'ensemble des agents géographiques en vue d'une gestion harmonieuse de la société humaine : le fédéralisme et le municipalisme libertaires.

    Notre travail, en démontrant la nécessité, pour les anarchistes, de créer des espaces émancipatoires, participe, nous semble-t-il, à valoriser l'aspect éducatif du projet libertaire. Le droit à l'expression pour tous qui favorise la formation des vertus morales individuelles et développe le sens de la responsabilité civique des agents géographiques sans aucune exclusion sociale ou ethnique doit permettre, selon le projet anarchiste, à concrétiser les espoirs de ceux qui les mettent dans un progrès qui permettrait enfin de surmonter toutes les contradictions actuelles des différents systèmes politiques existants.

    A ce stade de la conclusion, il apparaît qu'une étude morphologique comparative des réseaux ainsi qu'une analyse de cas à des niveaux scalaires différents (communes, collectivités, régions, infrastructures de transport ou de communications) d'organisation territoriale issus des expériences libertaires, aurait constitué un axe de recherche intéressant et certainement nécessaire à une bonne lecture spatiale du projet libertaire tel qu'il a été présenté dans ce présent mémoire. Nous devons reconnaître que la lecture cartographique des phénomènes décrits est aussi absente de notre étude que des ouvrages consultés pour la réalisation de ce travail. Seul l'article de Myrna Margulies Breitbart : Décentralisme anarchiste dans l'Espagne rurale, 1936-1939 : l'intégration de communautés et environnement incorpore deux schémas sur les modifications morphologiques effectuées au niveau d'un quartier de Barcelone et au niveau régional. Les géographes devraient trouver là une source d'inspiration pour de futurs travaux à partir des archives espagnoles sur la guerre civile, par exemple.

    Nonobstant, ce travail a toujours voulu déboucher sur une contribution (si modeste soit-elle) aux divers champs théoriques de la géographie. La géographie historique ainsi que la théorie de la formation socio-spatiale dans leurs tentatives de définir les différents niveaux de configurations spatiales résultant de formes de pouvoirs spécifiques s'enrichiraient peut-être en incorporant un niveau supplémentaire (indiqué ci-dessous) aux quatre définis par Claval. Qu'il nous soit permis de présenter cette rapide contribution à une étude future plus approfondie sur cette thématique :

    Les 5 niveaux de pouvoir

    Les formes spatiales

    le pouvoir " pur "

    mailles serrées

    l'autorité

    maillage commode

    des " jeux d'influences "

    réseaux associatifs

    la " domination inconsciente "

    réseaux associatifs

    la " gestion acratique "

    rets fédératifs libertaires

    La réalisation de ce mémoire " incomplet " comme tout travail de recherche permet, me permet, de répondre positivement aux questions initiales. Existe-t-il un projet de société cohérent et crédible qui respecte et valorise le rôle et la place de l'agent géographique considéré comme unité de référence et élément primordial de l'émergence d'une société " civile " qui disposerait des moyens politiques suffisants pour annihiler les inacceptables inégalités de notre monde moderne ? L'activité militante croissante contre la mondialisation de l'économie, la marchandisation de la vie et la prise en compte des problèmes environnementaux, impulsée, entre autre, par la Confédération Paysanne en France, laisse présager du désir de contrôle et d'action de la part des " citoyens du monde " dans une perspective " acratique ", à l'image d'un José Bové nous révélant que les théoriciens et militants anarchistes ont largement contribué à son éducation militante 206(*).

    Bibliographie.

    Si une organisation bibliographique basée sur le plan adopté du présent mémoire nous impose de répéter certaines références, il nous semble opportun d'offrir au chercheur - futur ou nouveau - une bibliographie minimale à l'approche de chaque partie abordée dans ce travail de recherche. Les références bibliographiques complémentaires des notes de bas de page du texte principal sont soulignées. La liste bibliographique suit la norme AFNOR 44 005 ou ISO 690.

    Introduction

    BAVOUX Jean-Jacques (dir). Introduction à l'analyse spatiale. Paris : A.Colin, 1998.- 95p.

    BAKOUNINE Michel. Dieu et l'État. Paris : Mille et une nuits, 1996.

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    CLAVAL Paul. Géographie régionale. Paris : Nathan, 1993.- 288p.

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    Les anarchistes, des origines à hier soir. Notre histoire.

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    PUMAIN Denise, SAINT-JULIEN Thérèse. L'analyse spatiale. 1 Localisations dans l'espace.

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    1.1. Kropotkine, géographe et anarchiste

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    KROPOTKINE Pierre. Communisme et anarchie. Paris : L'Esprit frappeur, 1998.

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    KROPOTKINE Pierre. OEuvres. Paris : Maspero, 1976.- 445p.

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    KROPOTKINE Pierre. L'anarchie, sa philosophie, son idéal. Paris : FA, 1971.- 50p.

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    1.2. Élisée Reclus

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    Élisée Reclus. Institut des Hautes Etudes de Belgique, Société Royale Belge de Géographie :

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    HERODOTE n°22. Élisée Reclus. Un géographe libertaire, 1981, 128p.

    LACOSTE Yves. Paysages politiques. Paris : Livre de Poche, 1990.- 284p.

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    2.1. Aspects libertaire du rôle de l'agent géographique

    BONNY Yves. Réflexions sur l'individualisme. Société, 3, 1988.

    CLASTRES Pierre. La société contre l'Etat. Paris : Les éditions de Minuit, 1982.- 187p.

    CLASTRES Pierre.Recherches d'anthropologie politique. Paris : Seuil, 1980.

    COLEMAN Janet. L'individu dans la théorie politique et dans la pratique. Paris : PUF, 1996.

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    FAYOLLE Maurice. Réflexions sur l'anarchisme. Volonté Anarchiste n°1 :

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    GUYAU Jean-Marie. Esquisse d'une morale sans obligation, ni sanction.

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    WEIL Simone. Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale.

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    2.2.1. Le fédéralisme libertaire

    ABENSOUR Miguel. La Démocratie contre l'Etat. Marx et le moment machiavélien.

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    2.2.2. Le municipalisme libertaire

    DELACAMPAGNE Christian. La philosophie politique aujourd'hui.

    Paris : Seuil, 2000.- 245p.

    GUILLAUME James. L'Internationale. Documents et souvenirs.

    Paris : Champ libre, 1985.- 2 vol., XXp.

    BIEHL Janet. Le municipalisme libertaire. Montréal : Ecosociété, 1998.- 299p.

    MINTZ Frank. L'autogestion dans l'Espagne révolutionnaire. Paris : Maspéro, 1976.- 380p.

    PAPY Louis (dir). Les espagnols et la guerre civile. Biarritz : Atlantica, 1999.- 441p.

    PLATON. Le Politique. Paris : Garnier-Flammarion, 1967.

    WOLFF Robert-Paul. Defense of anarchism. New-York : Harper and Row, 1970.

    STRAUSS Léo. Qu'est-ce que la philosophie politique ? Paris : PUF, 1982.

    Le nouveau visage de la barbarie capitaliste et étatiste. Paris : Monde Libertaire, sd, 59p.

    Le municipalisme libertaire (dossier). La Griffe.

    Lyon : 5, rue Sébastien Gryphe, n° 16, février 2000.

    MELLA Ricardo. Coopération libre et communautés. Paris : Contre-courant, 1956.- 7p.

    PELLETIER Philippe. Les nouveaux territoires de l'Etat. Etat, politique, anarchie.

    Lyon : ACL, 1993.- pp.XX

    PUENTE Isaac. Le communisme libertaire. Paris : Volonté anarchiste n° 35, 1989.- 45p.

    2.2.3. Les espaces " émancipatoires "

    BRETON Roland. Peuples et États. L'impossible équation. Paris : Flammarion, 1998.- 127p.

    CASTEL Robert. Les métamorphoses de la question sociale. Paris : Fayard, 1995.

    Citoyenneté et société. Paris : Cahiers français n° 281, 1997, 83p.

    DADOUN Roger. L'acratie européenne, un avenir possible. Etat, politique, anarchie.

    Op. cit., pp. 31-36.

    FINLEY I. Moses. Démocratie antique et démocratie moderne. Paris : Payot, 1994.- 181p.

    FINLEY I. Moses. L'invention de la politique. Paris : Flammarion, 1985.

    HABERMAS Jürgen. De l'éthique à la discussion. Paris : Gallimard, 1992.

    HABERMAS Jürgen. Droit et démocratie. Entre faits et normes. Paris : Gallimard, 1997.

    HASSENTEUFEL Patrick. L'Etat-providence, ou les métamorphoses de la citoyenneté. L'Année sociologique, 1996.- 46 n° 1, pp. 127-149.

    LOBRANO G. Peuple et citoyens selon le droit romain. Méditérranées, 1997.- 12, pp. 59-71.

    MEISTER Albert. La participation dans les associations. Paris : Les éditions ouvrières, 1974.

    MUHSAM Erich. La République des conseils de Bavière. Munich du 7 novembre 1918 au

    13 avril 1919 suivi de La société libérée de l'Etat.

    Paris : La Digitale / Spartacus, 1999.

    WOLTON Dominique. Penser la communication. Paris : Flammarion, 1997.

    Conclusion

    BOURDIEU Pierre. La misère du monde. Paris : Seuil, 1993.- 568 p.

    CLAVAL Paul. Espace et pouvoir. Paris : PUF, 1979.

    DI MEO Guy. L'Homme, la Société, l'Espace. Paris : Anthropos, 1991.

    DOLFUSS Olivier. La mondialisation. Paris : Sciences-Po, 1997.- 166 p.

    Manière de voir. Monde Diplomatique. N° 5 : Le triomphe des inégalités. 1989.- 98p.

    Manière de voir. Monde Diplomatique. N° 41 : Un autre monde est possible. 1998.- 98p.

    Manière de voir. Monde Diplomatique. N° 50 : Soulager la planète. 2000.- 98p.

    Tables des matières.

    Introduction 3

    Chapitre 1 - La géographie libertaire : une lecture de l'espace

    fondamentalement globale 12

    1.1. Les méthodes scientifiques de Kropotkine, géographe et anarchiste 13

    1.1.1. Le refus de la méthode dialectique de Kropotkine 14

    1.1.2. Inscription dans une philosophie synthétique 19

    1.2. Le positionnement épistémologique et scientifique d'Élisée Reclus 27

    1.2.1. La géographie d'Élisée Reclus 27

    1.2.2. Les conceptions scientifiques d'Élisée Reclus 30

    1 - Le positionnement épistémologique 30

    2 - La démarche scientifique 31

    3 - La méthodologie préconisée 32

    4 - L'approche géographique 34

    1.3. Les lois " réclusiennes " de la compréhension du monde 37

    1.3.1. La " lutte des classes " ou la critique de la domination 37

    1.3.2. La recherche de l'équilibre 41

    1.3.3. La décision souveraine de l'individu 42

    Chapitre 2 - La traduction spatiale de la géographie libertaire 46

    2.1. Aspects libertaire du rôle de l'agent géographique 47

    2.1.1. Définition et contenu du concept " d'optimum individuel " 47

    2.1.2. Définition et contenu du concept " d'optimum collectif " 52

    2.2. La synthèse libertaire 63

    2.2.1. Le fédéralisme libertaire : des agents géographiques partenaires 63

    2.2.2. Le municipalisme libertaire : un maillage territorial

    valorisant l'individu 70

    2.2.3. La création d'espaces " émancipatoires " 76

    1 - Des vocables significatifs 76

    2 - Des niveaux imbriqués 78

    Conclusion 80

    Bibliographie 85

    ÉPILOGUE.

    Soutenance présentée le 30 juin 2000

    Membres du Jury :

    Mademoiselle Laplace Danielle,

    Maître de Conférence à l'UPPA

    Monsieur Berdoulay Vincent,

    Professeur de Géographie à l'UPPA, Chercheur au CNRS

    Monsieur Soubeyran Olivier,

    Professeur de Géographie à l'UPPA, Chercheur au CNRS

    Conclusions unanimes du jury :

    Excellent travail de recherche répondant aux exigences inhérentes au D.E.A. L'excellent exposé des concepts d'agents géographiques et d'espaces émancipatoires, à forte définition géographique ainsi que l'affirmation et la confirmation du refus de la méthode dialectique de la part des géographes libertaires proposent de véritables pistes de recherches sur des domaines aussi variés que les espaces publics, la géo-histoire, l'organisation territoriale...tout en constituant une contribution majeure à l'épistémologie de la géographie. Ce travail mérite une divulgation dans le milieu universitaire. La rédaction d'un article doit être soumis à deux ou trois revues de géographie, telles Géographies et Cultures, L'Espace géographique par exemple.

    Relevé de notes

    Noms des enseignants et intitulés des cours du tronc commun* Note obtenue

    Vincent BERDOULAY

    Géographie de la modernité : Epistémologie, Histoire des idées. 12.50

    Guy DI MEO et Francis JAUREGUIBERRY

    Méthodologie de la recherche en géographie humaine et Sciences Sociales 12.00

    Xavier PIOLLE et Jean-Luc BONNEFOY

    Territoires, réseaux et aménagement de l'espace 10.00

    André ETCHELECOU

    Démographie et aménagement de l'espace 14.00

    Christian DESPLAT

    Sociétés locales : normes et pratiques (fin Moyen-Age - début XIX° siècle) 12.00

    Jean-Jacques LAGASQUIE

    Méthodologie d'étude du paysage 8.00

    Olivier SOUBEYRAN

    Fondement et évolution de la pensée aménagiste 11.00

    Moyenne des cours/20 11,36

    Mémoire de stage*

    Agents géographiques et société libertaire - recueil de documents 16.00

    (sous la direction de Vincent BERDOULAY)

    Mémoire de DEA* :

    Agents géographiques et société libertaire

    (sous la direction de Vincent BERDOULAY 16.00

    (mention Très Bien, avec félicitations du jury)

    MOYENNE GENERALE /20 14.61

    Mention générale** : Bien

    * Les cours représentent 30% de la note globale

    * Le mémoire de stage représente 20% de la note globale

    * Le mémoire de DEA représente 50% de la note globale

    * 12/20 = AB 14/20 = B 16/20 = TB

    * 1 Selon J.Habermas les sciences dont l'orientation est de nature critique procèdent de cette visée d'émancipation, La technique et la science comme idéologie. Paris : Denoël/Gonthier, 1973.

    * 2 Souligné par nos soins.

    * 3 La terre, tome II, p.622 cité par B.Giblin dans L'homme et la terre, 1982, p.64.

    * 4 Montesquieu. L'esprit des lois. Paris : Garnier-Flammarion, 1979. Chapitres XIV et XVII.

    * 5 Reclus Élisée. L'homme et la terre. Bruxelles : Librairie Universelle, 1905. Volume 1, p.37 et 38.

    * 6 Ibid., p. 38.

    * 7 Ibid, p.110.

    * 8 Revue des Deux Mondes, Vol. 54, 15 décembre 1854, pp. 762-771. Ce texte a été reproduit intégralement dans Les Cahiers Élisée Reclus, n° 4, mars 1997, et partiellement dans l'ouvrage de Cornuault Joël Élisée Reclus, étonnant géographe. Périgueux : Fanlac, 1999, 155 p.

    * 9 Souligné par nos soins.

    * 10 Pinchemel Philippe et Geneviève. La face de la terre. Eléments de géographie. Paris : A.Colin, 1992. p. 16.

    * 11 Voir plus haut, la définition d'agent du Petit-Robert.

    * 12 La face de la terre... Op. cit., p. 16.

    * 13 " Savoir et action géographiques alimentent une pensée et s'en nourrissent tout à la fois.(...) Savoir, action, pensée sont indissociables. " Ibid, pp.16-17.

    * 14 Revue Historiens et Géographes n° 367, pp. 69-70.

    * 15 Desrosières A. Masses, individus, moyennes : la statistique sociale au XIX° siècle. Paris, Hermès, 1988.

    * 16 Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 15 décembre 1997.

    * 17 Lettre de la DATAR n°161, janvier 1998.

    * 18 Extrait du discours du ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement à ce même CIADT.

    * 19 Dans le sens grec du terme, c'est-à-dire l'éducation sociale et sociétale du citoyen.

    * 20 Clark John P. La pensée sociale d'Élisée Reclus, géographe anarchiste. Lyon : ACL, 1996, 146p.

    * 21 - Le Monde Libertaire (hebdomadaire de la Fédération Anarchiste francophone) n° 1065 du 2 au 8 janvier 1997 ; n° 1079 du 10 au 16 avril 1997 et n° 1085 du 22 mai au 28 mai 1997 ;

    - Revue Réfractions n°4 : Espaces d'anarchie". Dardilly : Les Amis de Réfractions, 1999.

    * 22 Colloque International des 27/28/29 octobre 1999 : L'anarchisme a-t-il un avenir ? Histoire de femmes, d'hommes et de leurs imaginaires. Organisé par le GRHI (Groupe de Recherche en Histoire Immédiate) de l'Université de Toulouse Le Mirail, le Centre de sociologie des représentations et des pratiques culturelles de l'Université de Grenoble et de l'Atelier de Création Libertaire de Lyon. Les actes du colloque doivent paraître durant l'année 2000.

    * 23 Chardak date et décrit leur rencontre après février 1877. Chardak Henriette. Élisée Reclus, une vie. L'homme qui aimait la Terre. Paris : Stock, 1997, pp. 329 et s.

    * 24 Vol. 2, pp. 350-359. Cité par Pelletier Philippe, Itinéraire n°3 : "Kropotkine". Chelles, Itinéraire, 1988, 51 p.

    * 25 Publié dans la revue Nineteen Century, vol 18-106, pp. 940-956 sous le titre anglais : What geography ought to be. Cité par Pelletier Philippe dans la revue Itinéraire n°3 : "Kropotkine". Chelles, Itinéraire, 1988, 51 p.

    * 26 Traduit par nos soins à partir de l'ouvrage de Breitbart : Geografia y anarquismo. Barcelona, Oïkos-tau, 1989, pp. 51-75.

    * 27 Pour employer un vocabulaire géographique contemporain, l'équivalent de la biogéographie actuelle.

    * 28 Pour employer un vocabulaire géographique contemporain, l'équivalent de la géographie humaine actuelle. Kropotkine, plus loin dans ce même article, explicite le contenu de cette quatrième branche des connaissances géographiques, il inclut la distribution et la répartition des familles humaines à la surface du globe ; l'adaptation des sociétés humaines à la nature qui l'entoure ( l'environnement ?) ; les courants migratoires ; le milieu urbain, sa naissance et son développement ; les subdivisions géographiques de territoires en bassin-versant naturels.

    * 29 Itinéraire n°3 : "Kropotkine". Ibid., p. 65.

    * 30 Ibid p.65.

    * 31 Tout récemment réédité dans sa version originale par les éditions Phénix à Paris.

    * 32 Les écrits de Kropotkine ont été publiés en très nombreuses langues, mais en français peu sont en librairie. On ne trouve que Communisme et anarchie chez L'Esprit frappeur (1998), l'Entraide, un facteur de l'évolution aux éditions de l'Entraide (1979), l'Ethique chez Stock (1979), les Mémoires d'un révolutionnaire aux éditions Scala (1989) ; on ne trouve que difficilement des rééditions de La grande révolution et La conquête du pain aux éditions du Monde Libertaire (respectivement en 1989 et en 1975), de La morale anarchiste paru chez Volonté Anarchiste (1989), ou encore les Paroles d'un révolté chez Flammarion (1978) - tous ces livres sont publiés à Paris -, Le principe anarchiste aux Cahiers Libertaires (Pau : 1998) ; quant à La science moderne et l'anarchie il vaut de 200 à 300 F chez les bouquinistes. Notice rédigée grâce aux renseignements fournis par Enckell Marianne du Centre International de Recherches sur l'Anarchisme à Lausanne (Suisse).

    * 33 La forme sociale dépend du mode de production, lequel est déterminé par "l'environnement naturel" : cf. Marx Karl dans Le Capital.

    * 34 Itinéraire n°3 : "Kropotkine". Ibid., p. 19-20.

    * 35 On peut citer quelques oeuvres essentielles : Laplace : Exposition du système du Monde ; Smith : L'origine des sentiments moraux ; Holbach : Système de la Nature ; Godwin : Enquête sur la justice politique et son influence sur la vertu et le bonheur universels, sans oublier Diderot : l'Encyclopédie ou Rousseau : Du contrat social.

    * 36 * Berdoulay Vincent. La formation de l'école française de géographie. Paris : CTHS, 1995, Chapitre quatrième pp. 109-139.

    * Claval Paul. Histoire de la Géographie française de 1870 à nos jours. Paris : Nathan, 1998, 543 p.

    * 37 Et non en 1899 comme le mentionne Heiner Becker dans l'Introduction à La grande révolution. 1789-1793. Paris : Editions du Monde Libertaire, 1989. p.471.

    * 38 Dans l'ouvrage rédigé par le neveu d'Élisée Reclus et intutilé Les Frères Élie et Élisée Reclus ou du Protestantisme à l'Anarchisme. Paris : Les amis d'Élisée Reclus, 1964, il est mentionné page 89, la précision suivante : " Il avait été nettement entendu lors de la conclusion du traité (entre la maison d'édition Hachette et le géographe) que c'était une oeuvre géographique, et que l'auteur devait être très réservé en ce qui touchait toutes les questions religieuses, sociales, politiques..."

    * 39 Kropotkine Pierre. Préface à La science moderne et l'anarchie. Paris : Stock, 1913, 391p.

    * 40 Peet Richard. The development of radical geography, 1977, in the United States in Radical Geography. Chicago, pp. 6-33.

    * 41 "Rappelons que l'idée directrice de l'oeuvre de Herbert Spencer (1820 - 1903) est celle d'évolution naturelle, en vertu d'une loi du passage fatal de l'homogène à l'hétérogène, de l'indéfini au défini, du simple au complexe". Pelletier Philippe cité dans La Culture libertaire. Lyon : ACL, 1997 pp.245.

    * 42 Kropotkine Pierre. Mémoires d'un révolutionnaire. Paris : Scala, 1989 p. 415-416. (Edition conforme à la première édition en français paru en 1898 sous le titre Autour d'une vie.

    * 43 Ibid., p.VI-VII.

    * 44 Ibid., p. VIII.

    * 45 Pour reprendre une notion essentiellement kantienne.

    * 46 La science moderne et l'anarchie. Op. cit., pp. 10-12.

    * 47 Ibid., p. 10.

    * 48 Ibid., p. 11.

    * 49 Ibid., p. 33 et 34.

    * 50 Ernestan. Pages choisies. Paris : La Ruche Ouvrière, 1966, p. 128.

    * 51 La science moderne et l'anarchie. Op. cit., p. 48.

    * 52 Ibid., p. 48.

    * 53 Mis en italique par Kropotkine lui-même avec cette précision : "Il eût mieux valu dire : cinétique ; mais cette expression est moins connue." p.46.

    * 54 Ibid., p. 21.

    * 55 Ibid., p. 388.

    * 56 Mémoires d'un révolutionnaire. Op. cit., p. X.

    * 57 La science moderne et l'anarchie. Op. cit., pp. 351-353

    * 58 La première référence bibliographique nous venant à l'esprit est l'ouvrage suivant : Introduction à la géographie humaine d'Antoine Bailly et de Hubert Béguin.

    * 59 " Ajoutons encore un mot. La recherche scientifique n'est fructueuse qu'à condition d'avoir un but déterminé : d'être entreprise avec l'intention de trouver une réponse à une question nette, bien posée. Et chaque investigation est d'autant plus fructueuse que l'on voit mieux les relations qui existent entre la question que l'on se pose et les lignes fondamentales de notre conception générale de l'univers, La science moderne et l'anarchie. Op. cit., p. 50

    * 60 Geografia y anarquismo. Op. cit., pp. 155-193.

    * 61 Professeur de sociologie à Paris 8 et militant anarchiste.

    * 62 Propos tenus lors de l'Atelier 4 : Des savoirs libertaires ? durant le colloque de Toulouse.

    * 63 C'est à partir d'observations sur les populations animales que Kropotkine acquiert l'intuition de l'aide mutuelle comme facteur d'évolution. Dans son ouvrage : L'entraide, facteur d'évolution il développe cette théorie en l'étendant au règne humain à travers l'étude des cités du moyen-âge, par exemple.

    * 64 Bakounine Michel : Dieu et l'État. Paris : Mille et une nuits, 1996. p. 143.

    * 65 Pour plus de détails concernant sa vie, voici les quatre biographies en français les plus importantes :

    · Reclus Paul. Les frères Reclus ou du protestantisme à l'anarchisme. Paris : Les Amis d'Élisée Reclus, 1964. 209p.

    · Sarrazin Hélène. Élisée Reclus ou la passion du monde. Paris : La Découverte,1985. 262p.

    · Gonot Roger. Élisée Reclus. Prophète de l'idéal anarchique. Pau : Covedi, 1996. 203p.

    · Chardak Henriette. Élisée Reclus, une vie. L'homme qui aimait la Terre. Paris : Stock, 1997. 592p.

    * 66 Giblin Béatrice.L'homme et la terre. Op. cit., volume 1, p.31

    * 67 Extrait de l'introduction inédite à l'édition américaine de La Terre par Marsh en 1871, traduite de l'américain par Cornuault Joël et publiée dans Les Cahiers Élisée Reclus n° 20, janvier 1999.

    * 68 Reclus Paul. Op. cit., p. 89.

    * 69 Giblin Béatrice. Op. cit., volume 1, p.50.

    * 70 Scheibling Jacques. Qu'est-ce que la Géographie ? Paris : Hachette, 1994, 199p. : " La publication de sa Géographie universelle en 19 volumes (de 1875 à 1894), qu'il rédige seul, a une audience limitée. "

    * 71 Geddes Patrick. A Great Geographer : Élisée Reclus in Ishill Joseph. Élisée and Élie Reclus. Berkeley Heights, New Jersey : The Oriole Press, 1927, p. 155.

    * 72 Dunbar S.Gary. Élisée Reclus : Historian of Nature. Hamden : Archon Books, 1978. p. 95.

    * 73 Brunhes Jean et Girardin Paul. Conceptions sociales et vues géographiques : La vie et l'oeuvre d'Élisée Reclus. In Revue de Fribourg n°4, avril 1906, pp. 274-287 et n°5 mai 1906, pp. 355-365. Republié récemment dans Les Cahiers Élisée Reclus n°27, novembre 1999 et n°28, janvier 2000.

    * 74 C'est son neveu Paul qui va se charger de la parution des cinq derniers volumes.

    * 75 Reclus Paul. Op. cit., 209 p.

    * 76 Voir ses derniers mots de l'introduction de L'homme et la terre.

    * 77. Voir le chapitre La géographie critique dans l'ouvrage Les concepts de la géographie humaine, Bailly A. et al. Paris : Colin, 1991. p.141et 151.

    * 78 Mis entre guillemets par nos soins.

    * 79 Lacoste Yves. Géographicité et géopolitique. Dans la revue Hérodote n°22, 1981 pp.14-55. Texte repris en 1990 dans l'ouvrage : Paysages Politiques. Paris : Livre de poche p.200.

    * 80 Il est bon de rappeler que L'homme et la terre devait initialement s'intituler L'Homme, géographie sociale. Lettre d'Élisée Reclus du 5 juin 1895 in 81 Reclus Paul. Les frères Reclus ou du protestantisme à l'anarchisme. Paris : Les Amis d'Élisée Reclus, 1964, p. 145.

    * 82 L'homme et la terre. Op. cit., volume 6, p.531.

    * 83 L'homme et la terre. Op. cit., volume 5, p.335.

    * 84 L'homme et la terre. Op. cit., volume 1, p.108.

    * 85 Si le terme de mésologie a longtemps été désuet, avant d'être exhumé et dépoussiéré par le géographe Augustin Berque, Louis-Adolphe Bertillon, un des fondateurs de l'anthropologie française, est le créateur du terme en le définissant comme l'étude des relations réciproques de l'organisme et de son environnement avec une prise en considération des agents physiques et aussi des faits culturels : rapports sociaux, éducation, lois, moeurs. D'après les notes de Berque Augustin dans Le sauvage et l'artifice. Les Japonais devant la nature. Paris : Gallimard, 1986, 316 p. et mentionné dans la revue Itinéraire. Élisée Reclus. Chelles, 1998, n°14-15, 109 p.

    * 86 Drummond H. Ascent of Man. Cité par Reclus Élisée. L'homme et la terre. Bruxelles : Librairie Universelle, 1905, volume 1, p. 35.

    * 87 " Et maintenant, je vous le demande, pourquoi ne décidez-vous pas vous-même s'il est vrai - oui ou non - que dans tout organisme la cellule obéit à ses affinités ? Vous n'avez pas raison, pour vous faire une opinion, d'opposer naturaliste à naturaliste (Haeckel à de Lanessan). Tous sont d'accord au fond, quels que soient les sophismes qu'ils mettent en avant pour justifier les inégalités dont ils profitent, car d'ordinaire chacun professe la moralité de son intérêt. Un professeur qui fait partie, comme Haeckel, de la "garde du corps" des Hohenzollern, ou bien un autre professeur qui veut soumettre les hommes à la domination des savants, comme Huxley, peuvent, tant qu'il leur plaira, opposer la tête au ventre, le fluide nerveux à la lymphe ; ils sont bien tenus de déclarer aussi que la cellule, comparable à l'homme dans la société, s'associe et se dissocie sans cesse (...)". Lettre de juin 1888 d'Élisée Reclus à Renard, auteur d'un Essai sur le socialisme. Citée par Paul Reclus. Op. cit., p. 122.

    * 88 L'homme et la terre. Op. cit., volume 1, p. 110.

    * 89 Sol, climat, genre de travail et de nourriture, relation de sang et d'alliance, mode de groupement selon Reclus.

    * 90 Le salaire, le patronage, le commerce, la circonscription d'État selon Reclus.

    * 91 L'homme et la terre. Op. cit., volume 1, p. 37.

    * 92 L'homme et la terre. Op. cit., volume 1, p. 111.

    * 93 Boino Paul, géographe et urbaniste : Plaidoyer pour une géographie reclusienne in "Réfractions " Dardilly, n°4, automne 1999, p. 25-38.

    * 94 Rosnay de Joël. Le macroscope, vers une vision globale. Paris : Seuil, 1977, 346 p.

    * 95 Claval Paul. Histoire de la géographie. Paris : PUF. 1995 p. 76 : " Élisée Reclus excelle dans la description. Il n'a jamais fait l'effort de systématiser la notion de région..." Les idées régionalistes, auxquelles se réfère ici Claval, remontent au tout début du dix-neuvième siècle (Voir Berdoulay Vincent. La formation de l'école française de géographie. Paris : CTHS, 1995 pp. 132 )

    * 96 Rioux Michel. Essai de sociologie critique. Montréal : Hurtebise-HMH, 1978.

    * 97 Pelletier Philippe. John Clark analysant Élisée Reclus ou comment prendre ses désirs pour des réalités. Dans l'hebdomadaire Le Monde Libertaire n° 1065 du 2 au 8 janvier 1997 et dans L'enjeu intellectuel et politique d'Élisée Reclus. Réponse à John P. Clark du n° 1085 du 22 au 28 mai 1997.

    * 98 Élisée Reclus, L'évolution, la Révolution et l'Idéal anarchique. Paris : Stock, 1979, pp.23-24. Consultable sur le site Internet de l'Université de Montpellier.

    * 99 L'homme et la terre. Op. cit., volume 6, p. 512 et 526.

    * 100 Vandermotten Christian. La pensée d'Élisée Reclus et la géographie de la Belgique en son temps, paru dans les actes du colloque Élisée Reclus. Revue belge de Géographie, 1986, p. 70-94.

    * 101 Giblin Béatrice. Op. cit.

    * 102 L'homme et la terre. Op. cit., volume 1, p. IV de l'introduction. Nous avons conservé les caractères typographiques de l'auteur.

    * 103 L'évolution, la révolution et l'idéal anarchiste. Op. cit. et tout récemment réédité par Phénix éditions dans la Bibliothèque libertaire et anarchiste. 1999, 314 p.

    * 104 Pour avoir une vision complète de ses oeuvres, il est souhaitable de consulter l'excellent site Internet de l'Université de Montpellier consacré à sa bibliographie : http ://alor.univ-montp3.fr/RA_Forum/Reclus/

    * 105 Au sujet de l'inventeur du concept de "lutte de classes" que l'on peut attribuer à Marx, nous pouvons apporter ces deux précisions :

    A- Selon Delacampagne Christian dans La philosophie politique aujourd'hui. Paris : Seuil, 2000, p. 94 : Marx lui-même a reconnu, dans une lettre à Engels du 27 juillet 1854, que son propre concept de "lutte des classes" devait à la théorie de la "guerre des races" propagée par les historiens "bourgeois" Thierry et Guizot - lesquels avaient eux-mêmes trouvé la théorie en question chez Boulainvilliers.

    B- Selon Marx lui-même : "Maintenant, en ce qui me concerne, ce n'est pas à moi que revient le mérite d'avoir découvert l'existence des classes dans la Société moderne, pas plus que la lutte qu'elles s'y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l'évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l'anatomie économique. Ce que j'ai apporté de nouveau, c'est :

    1°) de démontrer que l'existence des classes n'est liée qu'à des phases historiques déterminées du développement de la production ;

    2°) que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ;

    3°) que cette dictature elle-même ne représente qu'une transition vers l'abolition de toutes les classes et vers une société sans classes ". Marx Karl dans une lettre à Weydemeyer J. datée du 5 mars 1852.

    * 106 L'homme et la terre. Op. cit., volume 6, p. 256.

    * 107 Godwin William. Et l'euthanasie du gouvernement. Lyon : ACL, 1993, 151 p. Textes traduits et présentés par Thévenet Alain.

    * 108 Proudhon Pierre Joseph. Qu'est-ce que la propriété ? Paris : Flammarion, 1966, 315 p.

    * 109 L'entraide, un facteur de l'évolution. Op. cit., 356 p.

    * 110 L'homme et la terre. Op. cit., volume 6, p. 258.

    * 111 L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit., p. 98-99.

    * 112 L'homme et la terre. Op. cit., volume 5, p. 416.

    * 113 L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit., p. 98.

    * 114 Pour une analyse plus fine des thèses distributistes : Lambert Jean-Paul. Le socialisme distributiste. Paris : L'Harmattan, 1998, 189 p. ou la revue La Grande Relève BP 108, 78110 Le Vésinet.

    * 115 Godwin William. Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 21.

    * 116 L'homme et la terre. Op. cit., volume 6, p. 324.

    * 117 Ibid.

    * 118 " Le savoir dirigera bientôt le pouvoir ". affirme-t-il dans L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit., p. 175.

    * 119 L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit., p. 176.

    * 120 Reclus Élisée. Pourquoi sommes-nous anarchistes. Brochure de 1889. Consultable sur le site Internet de l'Université de Montpellier.

    120 Proudhon Pierre Joseph. Idées générales de la révolution au 19° siècle. Paris : FA, 1979, 255 p.

    * 121 Clark John. Op. cit., p.58.

    * 122 La Terre. Op. cit., volume 2, p. 434.

    * 123 L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit., p. 50.

    * 124 Extrait du texte : Développement de la liberté dans le monde dans Reclus Paul. Op. cit., p. 50.

    * 125 La partie 2 du présent mémoire va développer cet aspect.

    * 126 Godwin William. Et l'euthanasie du gouvernement. Lyon : ACL, 1993, p. 26.

    * 127 Reclus Élisée. L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Paris : Stock, 1979, p. 103.

    * 128 Reclus Élisée. L'homme et la terre. Bruxelles : Librairie Universelle, 1905, volume 6, p. 506.

    * 129 La partie 2 du présent mémoire va développer cette distinction avec la définition des concepts d'optima individuel et collectif.

    * 130 Reclus Élisée. Nouvelle Géographie Universelle. Paris : Hachette, 1868, volume 1, p. III.

    * 131 Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 41.

    * 132 Kropotkine Pierre. L'éthique. Paris : Stock, 1927, chapitre XIII, pp. 375-388.

    * 133 Godwin William. Essays never before published. Londres : H.S. King et Co, 1873.

    * 134 Rousseau Jean-Jacques. Du contrat social ou principes du droit politique. Paris, 1762, chapitre 1° (ouvrage consulté sur le réseau Internet à l'adresse suivante : www.gallica.bnf.fr ).

    * 135 Bakounine Michel. Dieu et l'État. Paris : Mille et une nuits, 1997, 94 p. ; Leval Gaston. L'État dans l'histoire. Paris : éditions du Monde Libertaire, 1979, 297 p. ; Clastres Pierre. La société contre l'État. Paris : Les éditions de Minuit, 1982, 187 p. ; Kropotkine Pierre. L'entraide. Paris : Editions de l'entraide, 1979, 356 p.

    * 136 Au vu des divers débats et manifestations suscités par la " mondialisation ", par exemple.

    * 137 Extrait d'une brochure militante actuelle : L'anarchisme aujourd'hui. Un projet pour la Révolution sociale. Paris : Monde Libertaire, 1999, 48 p.

    * 138 Bakounine Michel. OEuvres complètes. Paris : Champ Libre, 1982, vol. 8, pp. 171-173.

    * 139 Colombo Eduardo, médecin, psychanalyste et professeur de psychologie aux Universités de Buenos Aires et de La Plata. L'État comme paradigme du pouvoir. In L'État et l'anarchie. Lyon : ACL, 1985, pp. 17-41.

    * 140 Mill John Stuart, La liberté. Paris, 1877, p.123.

    * 141 Walter Nicolas, Pour l'anarchisme. In Volonté Anarchiste n° 37, 1991, p.22. Cette introduction à l'anarchisme connut un grand succès dès sa parution en anglais en 1969 et fut traduite non seulement en français, mais aussi dans une bonne vingtaine de langues. Nicolas W. vient de disparaître, dans les premiers jours de mars de cette année. Il était né en 1934, dans une famille traditionnellement de gauche (libre-penseur). Il participa dès le début des années 60 à la presse anarchiste, il fit partie des rédacteurs de Solidarity, publié par un groupe d'amis de Castoriadis qui s'orientaient de plus en plus vers l'anarchisme ; de Resistance ; du New Humanist et bien sûr de Freedom, entre autres. Il a traduit et édité des ouvrages d' Archinov, Bakounine, Alexandre Berkman, Diderot, Sébastian Faure, Emma Goldman, Kropotkine, de La Boétie... Notice succincte réalisée grâce aux informations fournies par le Monde Libertaire (hebdomadaire de la Fédération Anarchiste) n°1201, du 13 au 19 avril 2000.

    * 142 Kant Emmanuel. Du rapport entre la théorie et la pratique dans le droit politique. Paris : Flammarion, 1994, p.63 et s.

    * 143 Bakounine Michel. Le principe de l'État.

    * 144 De nombreux ouvrages anarchistes insistent sur ces déductions, on peut, quelque peu arbitrairement, en citer quelques uns : Bakounine Michel. Dieu et l'État. Paris : Mille et une nuits, 1997, 94 p. ; Proudhon Pierre Joseph. Idée générale de la Révolution. Paris : Collection anarchiste, 1979, 3° étude pp. 59-81. ; Heintz Peter. Anarchisme négatif, anarchisme positif. Essai d'interprétation anarchiste du monde moderne. Lyon : ACL, 1997, 119 p. ; Boockchin Murray. Une société à refaire, pour une écologie de la liberté. Lyon : ACL, 1992, chapitre 4, pp.89-117 ; Ernestan. Valeur de la liberté. Paris : La ruche ouvrière, 1966, 191p.

    * 145 Anarquismo y géografia. Barcelona : Op. cit., pp. 253-290. Clastres Pierre. Recherches d'anthropologie politique. Paris : Seuil, 1980 ; Sahlins Marshall. Age de pierre, âge d'abondance. Paris : Gallimard, 1976, et Au coeur des sociétés : raison utilitaire et raison culturelle. Paris : Gallimard, 1991 ; Leval Gaston. L'Espagne libertaire 1936-1939. L'oeuvre constructive de la Révolution espagnole. Paris : Editions du Cercle, Editions de la Tête de feuilles, 1971, 402 p. ; Mintz Frank. L'autogestion dans l'Espagne révolutionnaire. Paris : Maspéro, 1976, 380 p. Les quatre derniers auteurs ne sont pas des géographes de formation, mais ils ont, cependant, décrits de manière assez spatiale, les formes d'organisation humaines issues du projet social de la théorie libertaire.

    * 146 Trochet Jean-René. Géographie historique. Hommes et territoires dans les sociétés traditionnelles. Paris : Nathan, 1998, 254 p.

    * 147 Ibid., p. 27.

    * 148 Les auteurs contemporains (Castoriadis, Arendt, Foucault) pourraient aussi être sollicités sur cette même thématique.

    * 149 Hobbes Thomas. Léviathan. Paris : Sirey, 1971, p. 124.

    * 150 Ibid., p. 191.

    * 151 Weber Max. Le savant et le politique. Paris : 10/18, 1996, p. 123-127.

    * 152 Ibid.

    * 153 Ibid.

    * 154 Kant Emmanuel. Du rapport entre la théorie et la pratique dans le droit politique. Paris : GF-Flammarion, 1994, p. 63 et s.

    * 155 Ibid.

    * 156 Spinoza Baruch. Traité théologico-politique. Paris : GF-Flammarion, 1965, pp. 329-332.

    * 157 Notes de Thévenet Alain in Godwin William, Et l'euthanasie du gouvernement. Lyon : ACL, 1993, p. 42. Pour approfondir sa réflexion, on peut aussi consulter d'autres articles : Une politique anarchiste ? in Etat, politique, anarchie. Lyon : ACL, 1993, pp. 11-30 ; William et moi. Individualisme et liberté, " illusions nécessaires " ? " in La culture Libertaire, actes du colloque international de Grenoble, mars 1996, pp. 103-114 ; Une terre à habiter, une histoire à bâtir in Réfractions n°2, été 1998, pp. 9-23.

    * 158 Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 30.

    * 159 Ibid., p. 40.

    * 160 Godwin William. Of population. An enquiry concerning the power of increase in the number of mankind : being an answer to Mr Malthus essay on the subject, Londres : Longman, 1820. Texte traduit et présenté par Thévenet Alain.

    * 161 Godwin William. Essays never before Published. londres, H.S. king et Co, 1873. Texte traduit et présenté par Thévenet Alain.

    * 162 Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 84. Textes traduits et présentés par Thévenet Alain.

    * 163 Rappelons que pour Hegel, l'individu n'a de réalité que comme membre de l'État : "s'il (l'Etat) est l'esprit objectif, alors l'individu lui-même n'a d'objectivité, de vérité et de moralité que s'il en est membre. " ou encore : " L'État est la réalité en acte de la liberté concrète. " in Principes de la philosophie du droit. Paris : Flammarion, 1999, pp. 360-365.

    * 164 Et l'euthanasie du gouvernement. Op. cit., p. 86.

    * 165 Nous respectons ici la graphie de l'auteur.

    * 166 Fayolle Maurice. Réflexions sur l'anarchisme. Fresnes-Antony : F.A., 1977, p.18.

    * 167 Ibid, p.22.

    * 168 Cette conception méthodologique de l'anarchisme se libère radicalement de la nécessité de prendre des décisions en accord avec les "dures contraintes de la réalité " de toutes les politiques réformistes qui aboutissent immanquablement à renoncer aux principes initiaux en subordonnant la fin aux moyens ou bien de celle des partisans des régimes autoritaires qui considèrent que, pourvu que la fin soit bonne et qu'on la garde toujours à l'esprit, les moyens importent peu : la fin possédant la capacité de transcender les moyens.

    * 169 Proudhon Pierre-Joseph. Du principe fédératif. Paris : Rivière, 1959, p. 271.

    * 170 " La panarchie, pantocratie ou communauté, se produit naturellement à la mort du monarque ou du chef de famille, et la déclaration des sujets, frères, enfants ou associés, de rester dans l'indivision, sans faire élection d'un nouveau chef. Cette forme politique est rare, si tant est même qu'il y en ait des exemples, l'autorité y étant plus lourde et l'individualité plus accablée que sous aucune autre..." Notes de Proudhon, p. 276

    * 171 Ibid., p.275.

    * 172 Wolff Robert-Paul. Defense of anarchism. New-York : Harper and Row, 1970.

    * 173 Nous respectons la graphie de l'auteur.

    * 174 Ibid., p.11-13.

    * 175 Op. cit.

    * 176 Op. cit., p. 35.

    * 177 Ibid., p. 85-86.

    * 178 Christian Delacampagne cite Léo Strauss, p. 88.

    * 179 Selon Philippe Pelletier dans son article Les nouveaux territoires de l'État paru dans la brochure Etat, politique, anarchie. Lyon : ACL, 1993, pp. 37-50.

    * 180 Reclus L'évolution, la révolution et l'idéal anarchique. Op. cit. ; Kropotkine La conquête du pain. Op. cit.

    * 181 L'on peut lire à ce propos, les ouvrages suivants : Leval Gaston Espagne libertaire 1936-1939. Op. cit. ; Mintz Frank L'autogestion dans l'Espagne révolutionnaire. Op. cit. sans oublier l'ouvrage de Breitbart M.M. Anarquismo y geografia. Op. cit. ; les articles plus récents : Révolution et contre-révolution en Aragon de Flores Jean-Marie, Poder y revolucion social : el consejo de Aragon de Casanova Julian tous deux parus dans l'ouvrage Les espagnols et la guerre civile. Biarritz : Atlantica, 1999, 441 p. ; Espagne 1936. Aspects d'une révolution autogestionnaire. Pau : CNT, 1998, 38 p.

    * 182 Proudhon P-J. Op. cit., chapitre VII, pp. 315-323.

    * 183 Op. cit., p. 315

    * 184 Op. cit., p. 317-318.

    * 185 Pour préciser notre pensée, nous prendrons l'exemple du travail où c'est avant tout les rapports de soumission et de subordination qui poussent les individus à travailler ; si le supérieur hiérarchique doit motiver son salarié c'est pour obtenir une meilleure rentabilité technique et financière.

    * 186 La gestion communale sera abordé plus loin dans ce mémoire, ainsi que certains autres aspects pratiques.

    * 187 Extrait d'une brochure militante de la Fédération Anarchiste L'anarchie aujourd'hui. Un projet pour la révolution sociale. Paris, 1999, 48 p.

    * 188 Murray Bookchin, né en 1921 au sein d'une famille russe de New-York, il a travaillé successivement dans une fonderie, puis dans l'industrie automobile, avant d'entrer dans l'enseignement. Il est professeur émérite à l'École des Etudes sur l'environnement, au collège Ramapo (USA), et directeur de l'Institut pour une Ecologie sociale (Vermont, USA). Il est une figure de proue du courant écologiste et du mouvement anarchiste aux Etats-Unis.

    * 189 Janet Biehl Le municipalisme libertaire. Montréal : Ecosociété, 1998, 299 p.

    * 190 La Griffe. Analyses et chroniques libertaires. Lyon : 5, rue Sébastien Gryphe, n° 16 - février 2000.

    * 191 Les analyses de Bookchin rejoignent ici les réflexions de Peter Heintz (1920-1983), professeur à l'Université de Zurich, qui se consacre à la sociologie après des recherches sur l'anarchisme (thèse sur Proudhon) : " L'anarchisme n'est donc pas pour nous le mouvement qui s'est notamment répandu pendant le dernier quart du dix-neuvième siècle, et qui a pris avec l'anarcho-syndicalisme la forme d'une organisation prolétarienne de masse(...) l'anarcho-syndicalisme, qui connut son apogée dans les pays latins au début du vingtième siècle, s'est trouvé totalement broyé entre le communisme et l'État...Anarchisme négatif, anarchisme positif. Essai d'interprétation anarchiste du monde moderne. Lyon : ACL, 1997, p. 26 initialement paru en 1951 sous le titre Anarchismus und Gegenwart. Zurich.

    * 192 Bookchin Murray. Au delà de la démocratie. Lyon : ACL, 1980. Une réédition est prévue pour l'année 2000 sous le titre Pour un municipalisme libertaire. (notes de la rédaction de La Gryffe).

    * 193 Les conclusions de Bookchin égalent la définition de l'anarchisme négatif de Peter Heintz. Op. cit.

    * 194 Proudhon Pierre-Joseph Idées générales de la révolution au dix-neuvième siècle. Paris : FA, 1979, pp. 81-140.

    * 195 Ibid., p. 58.

    * 196 Récits de Christiana. Lyon : ACL, 1994 ; un livre de Lazarte aurait été publié relatant une présence libertaire dans les mairies argentines.

    * 197 Des municipalités...à la commune libertaire. Le Monde Libertaire, Paris, hors série n° 12, 1999.

    * 198 Ibid., p. 72.

    * 199 Ibid.

    * 200 Ibid., p. 67.

    * 201 Dadoun Roger. L'acratie européenne, un avenir possible paru dans l'ouvrage Etat, politique, anarchie. Op. cit., pp. 31-36.

    * 202 Texte que nous n'avons pu retrouver.

    * 203 Selon Wolton Dominique. Penser la communication. Paris : Flammarion, 1997, pp. 379-380.

    * 204 Ibid.

    205 Ibid.

    * 205 Nous rappelons que les ouvrages de référence concernant ces phénomènes sont ceux de Vincent Berdoulay et de Paul Claval. Op. cit.

    * 206 Bové José. La révolte d'un paysan. Villeurbanne : Golias, 2000, 95 p.






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