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Les processus d'urbanisation des petites villes a la grande périphérie de Tunis

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par Hatem KAHLOUN
 - Doctorat en Urbanisme et Aménagement 2008
  

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DISCOURS DE SOUTENANCE

LES PROCESSUS D'URBANISATION DES PETITES VILLES À LA GRANDE PÉRIPHÉRIE DE TUNIS

Thèse de doctorat en urbanisme et aménagement présentée et soutenue publiquement par Hatem Kahloun le 02 février 2008 à l'Ecole Nationale d'Architecture et d'urbanisme de Tunis.

Jury composé par : AmorBelhedi, Frédéric Girault, Jean-Paul Laborie, Moncef Ben Slimane, Taoufik Belhareth

Monsieur le président, messieurs les membres du jury,

Me voici aujourd'hui devant vous pour vous présenter et discuter autant que faire se peut ce modeste travail. Cinq ans de recherche, d'apprentissage, bref de travail dont j'apporte à présent les fruits. Il s'agit plus davantage de dégager des chemins que de prétendre énoncer des résultats définitifs, il s'agit de pistes à frayer et des réflexions à discuter.

Le présent exposé sera articulé autour des points suivants :

1. Le positionnement de la recherche et le choix de l'objet ;

2. Le champ théorique et les dimensions conceptuelles ;

3. Plan d'observation et techniques d'investigation : les choix opérés ;

4. Les principales difficultés rencontrées et les méthodes mises en oeuvre pour les surmonter ;

5. Les principaux résultats de la recherche ;

6. Les perspectives de la recherche

1. Positionnement de la recherche et choix de son objet :

Notre recherche s'inscrit dans un « vieux débat » alors que de nouvelles orientations théoriques réduisent l'intérêt porté aux petites villes au profit des réflexions mettant en évidence les avantages des métropoles et insistant en particulier sur leurs atouts dans les impératifs actuels de la communication puisqu'elles sont à la fois des hubs et des centres où se concentrent la production de la connaissance et la diffusion de l'information.

Elle s'intéresse en priorité à la relation entre l'évolution des petites villes et l'intensification de la métropolisation dans un contexte territorial, celui de la Tunisie. Pour ne pas d'entrée de jeu privilégier l'influence de l'expansion de Tunis sur les petites villes avant de connaître les caractéristiques générales de ce niveau de la hiérarchie urbaine, nous nous sommes astreints à construire cette catégorie « petite ville ». Cette démarche a, à l'évidence, imposé un surcroît de travail. Cependant, son apport est essentiel car elle évite l'écueil d'une représentation imprécise voire erronée des petites villes. Combien d'études considèrent, en effet, comme acquise la dépendance des petites villes à l'égard des métropoles et ne considèrent ces organismes urbains dignes d'intérêt que s'ils sont dans des espaces ruraux, éloignés des influences de villes en croissance. Les petites villes qui ne sont pas des « localités », c'est-à-dire des centres locaux chefs-lieux de territoires ruraux sont-elles toutes en voie d'absorption dans les périphéries proches ou distantes des villes les plus grandes ? Nous pensons que pour bien parler des petites villes « métropolisées », il est important de connaître en quoi elles se différencient des autres.

Nous ne nous sommes donc pas entrés dans l'observation des petites villes avec des a priori incontestables sur les effets de la métropolisation qu'elles subissaient. Nous avons considéré que les processus pourraient prendre différents rythmes d'évolution selon des vitesses et des temporalités discontinues.

En Tunisie peu de travaux qui ont été menés sur les petites villes. Ce champ d'étude et de réflexion reste encore embryonnaire et les recherches réalisées consistent en des études de cas ou en des monographies qui ne tiennent pas compte des processus et des tendance comparées. Et c'est à partir de là qu'apparaissent la nouveauté et l'originalité de ma recherche sur les petites villes dans un pays où la statistique ne facilite pas leur étude avec la distinction difficile entre communes rurales et villes.

1.1 L'objet de la recherche :

L'objet de cette recherche qui consiste à s'interroger sur les processus d'urbanisation des petites villes dans leur rapport à Tunis et compte tenu de leur proximité, leurs potentialités spatiales économiques et politiques. Il ne s'agissait pas d'analyser la métropolisation en tant que phase avancée dans le processus d'urbanisation de Tunis, mais de déterminer les mécanismes sous-jacents qui sous-tendent les processus d'urbanisation des petites villes.

Moins autonomes ou fortement dépendantes de l'aire de Tunis, les petites villes évoluent dans un espace régional dont l'ensemble de ses éléments constitue un système socio-spatial économique et politique actif, ouvert, complexe et souple. Cette situation, si elle suppose une parfaite subordination des petites villes dans leurs processus d'urbanisation à Tunis, réduit-elle le rôle de la petite ville dans la dynamisation de son espace local ? Comment la petite ville évolue t-elle face aux rapports de domination exercés par Tunis ?

Les faits à l'évidence révèlent que les petites villes de la région tunisoise se distinguent des petites villes des autres régions tunisiennes. Cette distinction permettra de vérifier l'hypothèse que la proximité de la capitale a des effets multiples sur l'évolution des petites villes de la région tunisoise. Cette hypothèse directionnelle positive postule que la proximité par rapport à la métropole détermine autant leurs niveaux d'urbanisation que leur autonomie à développer des processus recouvrant la capacité ou l'incapacité de produire des transformations morphologiques et fonctionnelles.

La deuxième hypothèse causale découle de la précédente et suppose que les capacités des petites villes à s'urbaniser ou à résister face aux processus de métropolisation dépendent de l'intensité de polarisation de leurs structures économiques et de leurs aptitudes à engager une dynamique urbaine à partir de leurs espaces locaux.

Confronté à l'épreuve des faits, ce raisonnement ne peut être à lui seul suffisant pour expliquer les mécanismes responsables des transformations des petites villes. Les processus d'urbanisation ne peuvent être détachés des politiques publiques et des modalités de fonctionnement des pouvoirs urbains. Partant de cette évidence, nous avons tenté de répondre, dans une troisième hypothèse, à une question que nous jugeons essentielle quand se pose la question de la dépendance induite par la métropolisation : quel est le degré d'autonomie des pouvoirs (acteurs) locaux dans la conduite des politiques urbaines ?

Ces questionnements m'ont amené à structurer ce travail en trois parties :

1.2 Le contenu de la thèse : les parties

La première partie de cette thèse est donc une identification socio-économique et spatiale des petites villes élaborée sur la base d'une proposition d'une approche de typologie et de caractérisation qui va des petites villes tunisiennes aux petites villes du Nord-Est ;

La deuxième partie a pour objet d'étudier les processus d'urbanisation des petites villes afin de dégager leur autonomie et/ou leur dépendance, ceci à travers une approche historique et morpho-fonctionnelle ;

Dans le même ordre d'idée, la troisième partie consiste à développer la réflexion vers le rôle que jouent les politiques de l'Etat et les pouvoirs publics, pris à différentes échelles, dans l'urbanisation des petites villes et l'autonomisation de l'action locale.

2. Le champ théorique et les dimensions conceptuelles :

Le champ conceptuel a été analysé et délimité à partir des couples suivants:

- La petite ville et le réseau urbain (difficultés de définir les petites villes);

- La métropolisation et la grande périphérie mouvante de Tunis (les limites conceptuelles) ;

- L'autonomie et l'autonomisation (le dilemme dépendance-dynamisme face à la mise en action des différentes dimensions de l'autonomie sur les structures urbaines et politiques des PV) ;

Les processus d'urbanisation apparaissent comme concept clé et complexe. Cette complexité fait appel à différentes dimensions : continuité, enchaînement complexe d'interactions, transition, phasage des faits, périodicité, échelles spatio-temporelles (le multiscalaire).

La question posée était : comment analyser ces processus lorsqu'on est confronté à différentes échelles d'espace et d'analyse (morphologique, fonctionnelle, politiques) ? Ceci nécessitait, par ailleurs, la définition de choix de méthodes.

L'approche systémique : (les propriétés de l'ensemble des petites villes ne sont pas l'équivalent de la somme des propriétés des villes). Approche qui permet de répondre, en partie, à cette complexité  lorsqu'il s'agit de comprendre le système dans son environnement (E. Morin). De cette approche découle d'autres dimensions conceptuelles rattachées aux processus : perturbation, discontinuité et non-linéarité des processus.

L'approche diachronique multiscalaire : met en rapport les échelles et les temporalités :

v L'espace des petites villes dans l'espace métropolisé ;

v Le temps de déroulement dans le temps du processus (le passé : tendances passées) (le présent : tendances récentes) (l'usage du passé par le présent : notions de recyclage et d'inertie, résilience (élasticité) et résistance);

Des concepts auxiliaires : qui ont été présentés en fonction des besoins de l'analyse et de l'avancement de la réflexion : typologie et catégorisation, gouvernance, régulation, pouvoir et politique, politique de la ville, régime urbain, compétences, pratiques collusives.

3. Quels sont les choix opérés pour guider l'objet et le terrain de la recherche ?

3.1 Le choix du questionnement : a été opéré et motivé par mon attachement personnel à l'étude des petites localités et des processus qui commandent leurs transformations. Se pencher sur cette catégorie urbaine pourrait contribuer à contrebalancer le poids écrasant des recherches et études fondamentales ou opérationnelles portant sur les grandes villes, les villes stratégiques, les métropoles, etc.

C'est dans cette perspective que j'ai tenté à apporter un regard croisé pluridisciplinaire sur les petites villes en tant qu'objet de réflexion, sur leurs réalités locales, leurs mutations morpho-fonctionnelles et politiques, leurs capacités à s'autonomiser et à se repositionner.

Ce choix appelle en réalité quelques observations :

ü Il n'était pas question de prétendre traiter de l'ensemble des petites villes dans leurs environnements régionaux ;

ü Il n'était pas question non plus d'adapter les réalités locales à des déduction : au contraire l'approche était essentiellement inductive ;

ü Il s'agissait bien plutôt d'explorer un certain nombre de chemins méthodologiques possibles.

3.2 Plan d'observation et choix des petites villes :

Pour l'étude statistique et empirique, deux échelles spatiales ont déterminé le plan d'observation :

ü L'échelle macro ; les petites villes tunisiennes (212 petites villes puis 189 pour l'ACP)

ü L'échelle micro ; les petites villes du Nord-Est (espace métropolisé : 43 petites villes)

Pour les enquêtes sur le terrain, le choix des petites villes a été dicté par trois critères :

ü L'unité spatiale de la petite ville et son décrochage de l'agglomération tunisoise. Il ne s'agissait pas de retenir, dans le travail de terrain, les quartiers ou les localités qui ne se distinguent pas par leurs tissus de Tunis même s'ils sont érigés en communes (La Goulette, Kram, Carthage...);

ü La nécessité d'étudier des cas en dehors des limites administratives du Grand Tunis (rayon de 60 km, même en dehors des 4 gouvernorats)  en vue d'élargir les chances d'extrapolation des résultats;

ü L'ACP : méthode qui a permis d'établir une typologie des petites villes en fonction de leur niveau de dynamisme. Sur la base de cette approche 6 petites villes ont été sélectionnées selon un choix raisonné, motivé par ma connaissance des terrains.

3.3 Les techniques d'investigation adoptées :

Des techniques rigoureuses et fines qui s'adaptent aux spécificités locales des petites villes et aux exigences de la recherche et de la méthode inductive : les entretiens, le questionnaire, l'analyse iconographique et cartographique, les inventaires, l'analyse des documents officiels et non officiels, ont tous aidé à construire des monographies qui ont servi de matériau brut pour l'analyse. Il s'agissait de reconstruire les réalités locales en vue de comprendre les processus, étape par étape, afin de dégager des tendances générales et des spécificités locales. Pour ce faire, nous avons adopté un enchaînement logiques qui articule les techniques d'enquête aux exigences de la méthode inductive : il s'agissait de :

ü Quêter l'information en vue de construire la grille d'analyse (différentes sources et échelles d'information, plan transversal et enquête par distanciation)

ü Construire les monographies (matériau brut qui ne figure pas dans le texte écrit de la thèse);

ü Comprendre les processus locaux (individualisés) ;

ü Dégager les tendances (les processus combinés/confrontés : des préalables à la déduction) ;

ü Analyser les tendances ; (déconstruction/reconstruction)

ü Vérifier l'adéquation-inadéquation entre tendances globales et particularités locales ;

ü Vérifier les hypothèses : les concepts et leurs dimensions

4. Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ? Et quelles ont été les méthodes mises en oeuvre pour les surmonter ?

Contraintes liées à l'information : Les sources statistiques : sources qui ne visent pas le niveau local. Des données démographiques agrégées qui prennent le niveau politique et décisionnel comme finalité (gouvernorat, délégation et secteur/ milieu communal et non communal). A partir des statistiques de l'INS, il était très difficiles d'adapter les données à notre échelle d'étude : les petites villes qui sont, selon les statistiques démographiques officielles, des petites communes. (L'ordre institutionnel et administratif qui prime sur les exigences scientifiques)

Contrainte liée aux spécificités locales des petites villes : spécificités socio-économiques, urbanistiques, les populations et leurs représentations, leurs normes.., les acteurs leurs affinités et leurs positions politiques. Pour surmonter cette difficulté, nous avons essayé de diversifier les méthodes d'investigation et de jouer sur le temps de l'enquête ce qui a imposé une nouvelle contrainte :

Le temps de l'enquête : l'importance du nombre des visites pour chacune des petites villes afin de comprendre les dynamiques locales et les rapports avec l'environnement régional. Ces visites sont comprises entre 20 et 30 visites pour chacune des petites villes. Ce qui a prolongé le temps de la recherche.

Contrainte liée à la recherche des éléments permettant de construire ou de compléter l'histoire de l'urbanisation des petites villes, en l'absence de sources écrites officielles ou non officielles. (Afin de surmonter cette difficulté et de restituer les éléments historiques hérités, l'étude des archives et des sources iconographiques a été confrontée aux récits de vies des personnes ressources et des vieux natifs)

Difficulté liée à la définition de l'objet théorique :

v des petites villes : il ne s'agissait pas de partir d'une définition préalable, mais à se rendre attentif à la façon dont se constituent les dynamiques et se singularisent les réalités locales. Nous avons essayé de sortir des systèmes de définition qui enferment la petite ville dans l'obligation d'aboutir à une définition standard (autre que la typologie présentée dans la première partie) ;

v des processus : qui supposent de croiser plusieurs approches : décrire, suivre, dégager des tendances de convergence et de divergence. La pluridisciplinarité était incontournable (le spatial, le politique, le géographie, le social, l'économique, etc.)

Difficultés dans la rédaction du texte lorsqu'il s'agit d'expliquer le spatial par le politique : il s'agissait d'assurer l'enchaînement des idées et d'éviter les ruptures dans la démonstration tout en sachant apporter les preuves des faits des réalités locales très contrastées. (Dans quelles limites des concepts comme gouvernance, pouvoir, autonomie sont-ils opératoires ?)

5. Comment résumer alors les résultats obtenus ?

L'analyse des petites villes n'a pas été un exercice aisé :

· elle questionne plusieurs domaines de l'organisation territoriale et en conséquence a nécessité de combiner plusieurs approches et méthodes et différentes échelles ;

· elle prend en compte des processus à la fois locaux et régionaux ;

· elle illustre l'interaction de processus complexes ;

· elle nécessite des adaptations méthodologiques permanentes en fonction de la diversité des cas étudiés et de l'hétérogénéité des contextes locaux.

L'analyse démographique a permis d'établir comment les petites villes subissent les effets des comportements migratoires régionaux et comment elles sont les plus affectées par la vulnérabilité démographique. La faible résilience des petites villes, c'est-à-dire leur incapacité à amortir les effets de la métropolisation, ne devrait pas fausser les réalités locales qui montrent qu'une grande partie de ces villes correspond à des localités répulsives à cause de leur faible dynamique économique.

La proximité lorsqu'elle exprime la distanciation géographique des petites villes par rapport à la métropole Tunis, n'apparaît pas comme le seul facteur de différenciation des rythmes d'urbanisation. Les processus d'urbanisation s'expliquent autant par les potentialités économiques et foncières des petites villes que par les distances qui les séparent de Tunis. Ainsi, l'avantage de la proximité métropolitaine recherchée par l'industrie, apparaît comme fortement déterminé par la rente foncière. Celle-ci est valorisée par la situation périphérique des petites villes.

Du fait de la proximité de la capitale, les petites villes sont devenues attractives. Cette attractivité se concrétise par l'appel à la main-d'oeuvre extérieure : les petites villes ont filtré les flux de l'exode rural en direction de Tunis. Elle est concrétisée également par l'accueil de migrants en provenance de Tunis et expulsés lors des opérations de dégourbification et de recasement engagées par les politiques urbaines, plus précisément dans les petites villes de la périphérie tunisoise, durant les années 1980. Ces processus expliquent l'urbanisation rapide des petites villes dont une large cohorte dépasse ainsi la barre des 20.000 habitants.

Malgré la proximité de la capitale, l'influence métropolitaine sur les transformations des emprises urbaines et sur l'espace bâti semble évoluer fréquemment de manière quasi-autarcique et l'intégration des petites villes dans l'aire de la métropole tunisoise paraît faible.

Le renforcement progressif et discontinu du niveau d'équipement des petites villes présente une forte sélectivité territoriale commandée par les disponibilités foncières locales le plus souvent contrôlées par l'Etat. L'émergence d'activités du tertiaire public est rare. Quand elle existe, elle traduit la diffusion de la métropolisation par une nouvelle distribution des activités sur les aires périphériques. En aucun cas elle ne constitue un nouvel atout car elle n'est ni une véritable spécialisation périphérique accordée aux petites villes, ni une autonomisation des échelles locales. Elle est l'expression de la domination métropolitaine qui certes profite aux petites villes mais ne facilite pas pour autant leur intégration spatiale.

L'évolution de la centralité des petites villes apparaît comme un bon indicateur de la qualité de l'urbanisation. Le renforcement des activités de commerce et de services a souvent accompagné l'étalement urbain des petites villes et a autorisé les centres locaux à suivre les configurations des tissus et les formes d'extension spatiale. Malgré l'étalement de la centralité locale et la diversification des activités tertiaires dans des petites villes telles que Grombalia et Medjez El Bab, l'appareil commercial local demeure fortement dominé par les activités banales et de proximité qui assurent la desserte de la population locale et rayonnent aussi sur les populations rurales périphériques.

La localisation des petites villes dans la grande périphérie de Tunis ne crée pas, au travers de leurs fonctions urbaines, de leurs dynamismes et de leurs échanges spatiaux et sociaux, des interactions de type petite ville - petite ville dans lesquelles le recours à la ville-mère n'est pas systématique. Les petites villes ne fonctionnent pas en réseau réticulaire et le système d'emploi est fortement dominé par la capitale qui n'assure pas une diffusion périphérique organisée. Les petites villes se présentent comme des localités périphériques fragmentaires dominées mais faiblement polarisées par Tunis. Leur désenclavement spatial suppose souvent un passage obligé par le centre ou par la zone péri-centrale. Bien que leurs dynamismes soient partiellement influencés par la proximité métropolitaine, ces localités périphériques ne peuvent pas s'appuyer sur leur fonction de ville-dortoir, pour prétendre devenir de véritables villes. Elles apparaissent, même si l'expression est exagérée, comme des dépotoirs métropolitains, ou comme l'affirme S. Leroy, "des couloirs d'accélération exclus de la dynamique métropolitaine."

Pour comprendre plus au fond les processus en cours dans les petites villes, l'exploration devait aller plus loin, jusqu'à s'interroger sur le fonctionnement des politiques de l'Etat et sur le jeu des pouvoirs locaux dans la transformation et le développement des petites villes.

Il apparaît que les villes avec leurs différentes tailles et leurs diversités fonctionnelles, morphologiques et économiques ne sont pas institutionnellement reconnues. Dans l'aménagement régional, les politiques de l'Etat ne définissent pas des stratégies spécifiques en fonction des tailles des villes ou de leur proximité métropolitaine.

Les petites villes ne se développent pas sur la base d'une programmation pluriannuelle de logement ou de projets urbains. D'un mandat à l'autre, dans certains cas en faisant appel aux opérateurs publics nationaux, les élus conçoivent leurs propres "stratégies d'habitat" compte tenu de l'intensité de l'offre et de la demande et de la disponibilité des réserves foncières. Ces stratégies, à court terme sont, dans certains cas, dictées ou imposées par l'Etat central ou par le conseil régional du gouverneur selon les objectifs des politiques nationales orientés essentiellement en faveur de la métropole ou des principaux centres secondaires de sa périphérie.

Nous avons relevé que les petites villes étaient peu concernées par les programmes de développement et de réhabilitation. Le choix des territoires éligibles correspond à un mode d'arbitrage politique engendrant des discriminations "positives" en faveur des territoires urbains ou ruraux inclus dans une géographie prioritaire aux dépens des petites villes faiblement dotées de potentialités locales. Dans une logique de "régulation urbaine élargie", le choix est opéré du fait de la nécessité d'intégrer des quartiers populaires, stigmatisés socialement, dans le fonctionnement normal de l'agglomération ou de la région et de leur permettre d'y impulser des processus et une dynamique urbaine. Les politiques publiques n'ont pas changé de perspectives : les modes de régulation demeurent basés sur des arbitrages faisant peu de cas des petites villes dans une approche globale de territoire.

Dans une région métropolisée, les petites villes apparaissent comme des territoires pénalisés par la pseudo-proximité métropolitaine. Les petites villes d'où émanent les doléances des populations locales, constituant la base électorale, sont dépourvues de structures politiques susceptibles de porter un discours responsabilisé et rationnel. La fragilité du pouvoir politique local réduit le rôle du pouvoir formel mais crée un autre type de pouvoir informel. Dans ces conditions, de nouveaux modes de régulation informelle et locale apparaissent. Ils sont basés sur une nouvelle forme de pouvoir local qui n'a pas de forme institutionnalisée. Les petites villes ne sont pas pour autant politiquement passives. S'y développent de nouvelles expressions de pouvoirs tentant de corriger la fragilité du pouvoir municipal.

Grâce à des "pratiques collusives" et à l'émergence de nouveaux réseaux de connivence et d'allégeance, de nouvelles formes de pouvoir apparaissent. Des alliances de circonstance autour des préférences politiques et économiques ou autour des enjeux fonciers entre élus locaux, notables, délégués et gouverneurs, composent ce nouveau mode de régulation parallèle. Ces stratégies locales occultes, circulent indirectement jusque dans les institutions politico-administratives déconcentrées de l'Etat, fortement disséminées dans les petites villes, et y constituent des "boites de résonance" entre l'Etat (le haut) et les petites villes (le bas).

Il apparaît que le surendettement des communes des petites villes est graduellement aggravé par les besoins croissants en infrastructures et en équipements des quartiers périphériques non réglementaires et/ou faiblement densifiés. Face à la déficience des ressources fiscales locales, la domination des dotations entières ou partielles de l'Etat prend le dessus sur toute tentative d'autarcie financière ou d'autonomisation des processus d'urbanisation.

Cette approche relativise grandement la notion de proximité appliquée aux petites villes de la région de Tunis. Leurs ressources et l'organisation des pouvoirs locaux ne les distinguent en rien des autres petites villes tunisiennes. Pour toutes, l'Etat, au travers des dotations permettant de réaliser les actions ponctuelles d'investissement, est omnipotent : il est l'unique pourvoyeur-régulateur de l'urbanisation à l'échelle locale. La question de la capacité des petites villes à financer leurs projets locaux, ne semble pas constituer un objectif au sein des politiques de l'aménagement urbain.

Au terme de cette recherche les processus d'urbanisation apparaissent lors de l'étude des petites villes comme étant un continuum chronologique de périodes et d'étapes d'évolution, de transition et de repli. Ils s'inscrivent dans un mouvement d'évolution dans l'espace et dans le temps. Ces processus locaux sont influencés par le processus de métropolisation qui se caractérise par une tendance, d'une part vers la concentration, et d'autre part vers la diffusion. Néanmoins, cette diffusion qui dépasse les limites régionales et administratives, est loin d'atteindre avec autant d'intensité les processus d'urbanisation des petites villes. Malgré la proximité de Tunis, la diffusion métropolitaine affecte d'une façon hétérogène les petites villes et débouche sur une occupation discontinue en fonction de la spécificité des contextes locaux et de la faible articulation entre les fragments désarticulés du système urbain tunisois.

La connaissance des processus d'urbanisation des petites villes apparaît comme essentielle pour comprendre les mutations socio-démographiques et économiques. Cependant, dans ces localités, l'importance des processus stratégiques commandés par les politiques publiques et par les pouvoirs locaux formels et informels ressort avec évidence. Est-ce un effet de taille ? D'échelle d'observation ? Quoi qu'il en soit, l'inscription de leurs actions et leurs pratiques dans l'espace et dans le temps doit être connue ne serait-ce que parce qu'elle explique les rythmes d'urbanisation, leur irrégularité et leur discontinuité qui se traduisent dans l'hétérogénéité des formes urbaines locales et la disparité des niveaux d'urbanisation.

6. prendre de recul : Les perspectives

Comme nous l'avons dit au début de l'exposé, nous ne prétendons pas dégager des résultats définitifs. Nos réflexions peuvent être questionnés, repositionnés ou vérifiés par d'autres travaux. D'ailleurs en prenant de recul, une définition des petites villes tunisiennes méritent d'être proposée, des analyses sur les effets des proximités sur les modes de vie auraient pu prolonger nos propos sur les processus et les mutations engendrés ou non par la métropolisation, des concepts comme la périmétropolisation auraient pu être introduits.

Les perspectives ouvertes par ce travail peuvent être orientées vers une réflexion qui entre en résonance avec le rôle que pourraient jouer les petites villes lorsqu'il s'agit de se détacher des effets de taille pour chercher de nouveaux paradoxes, convergence ou divergence, dans la réflexion sur les caractéristiques de la périmétropolisation engendrée par et dans ces villes qui évoluent vers des villes moyennes. Quels mécanismes et logiques peut-on dégager des villes qui tendent à développer de nouvelles compétences d'autonomisation et d'autorégulation? Une question à explorer davantage serait sans doute celle des compétences des populations locales dans les processus d'urbanisation, peut-on frayer cette piste et confronter, dans une autre hypothèse, les proximités métropolitaines aux compétences citadines et leur rapport aux acteurs et aux pouvoirs locaux ?






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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King