Au tournant des années 70, la mobilisation pour la
défense du parc de la Vanoise a bénéficié de
l'appui d'une population globalement sensible au thème de la protection
de la nature (voir supra).
Par contre, le témoignage de Serge Antoine - l'un des
premiers fonctionnaires à promouvoir le terme global d'environnement -
révèle que « dans l'opinion publique, il y a eu une
indifférence et même une opposition farouche au mot
environnement ». (Antoine 1992, publié en 2007: 21) En
effet, la notion d'environnement n'est à ce stade qu'un concept flou,
disputé par une poignée d'intellectuels. (Charvolin 2003) (voir
infra)
Nous basant sur l'analyse de Michael Bess, nous soutenons
l'hypothèse d'une émergence de la sensibilité
environnementale au tournant des années 70, bien que le terme
ne soit pas encore approprié - dans le sens appropriation
comme dans le sens adéquat.
L'auteur américain souligne «trois transformations
culturelles qui ont marqué la génération des années
60 : une large ambivalence envers la modernité technologique; un sens
accru du militantisme chez les scientifiques; et une nouvelle forme de
dissidence radicale qui se manifeste au travers de la contreculture. »
Détaillons ces trois points:
L'ambivalence envers la modernité s'explique par le
développement technologique et industriel rapide de la France - qui doit
rattraper son retard par rapport à ses voisins européens - et la
résultante perception d'une altération du cadre de vie.
Le militantisme chez les scientifiques se manifeste au travers
de la diffusion d'ouvrages qui dénoncent les atteintes à
l'environnement (voir supra).
Enfin, la contreculture a trait à Mai 68, point qui
mérite d'être développé. S'il est communément
admis que Mai 68 représente le terreau de l'écologisme, Bess
rappelle que les revendications du mouvement estudiantin n'ont rien
d'écologistes. L'héritage pour le mouvement écologiste se
résumerait à la culture néo-rurale Baba cool, aux
procédés politiques alternatifs calqués par Les Verts
- et le plus important - à la remise en cause du système
établi. (Bess 2002: 80-8 1)
Ces mutations se ressentent dans la sémantique du
langage: «le mot nature est devenu un mot-code pour quelque chose
de plus que les forêts et les rivières : il signifiait
l'antithèse de la société urbaine et technologique (...)
». (Bess 2002: 12) L'avènement d'un nouveau terme répond
ainsi à la nécessité de définir la notion de
contrepoids au modernisme industriel.
En définitive, la mutation du domaine de sensibilisation
de l'opinion publique, de la nature à l'environnement, se subdivise en
deux mouvements imbriqués:
· un passage idéologique, découlant des
transformations culturelles de la société;
· un passage terminologique, suivant la création
du ME et la résultante assise institutionnelle de la notion
d'environnement. La suppression du libellé «protection de la
nature» de l'intitulé du ministère en 1974, laissant
supposer son inclusion dans la gestion de l'environnement, en représente
l'aboutissement.
Si la Conférence de Stockholm en 1972 amplifie cette
mutation de l'opinion publique, la participation à l'Année
européenne de la conservation de la nature en 1969 représente un
facteur de pression sur le gouvernement pour se positionner en tant que
leader d'une thématique en émergence mondiale.