Université Libre de Bruxelles
Institut de Gestion de l'Environnement et d'Aménagement
du Territoire
Faculté des Sciences
Master en Sciences et Gestion de l'Environnement
Evolution des politiques environnementales
françaises sur quarante ans
Mémoire de Fin d'Etudes (version corrigée)
présenté par
LACROIX Valérie
en vue de l'obtention du grade académique de
Master en Sciences et Gestion de l'Environnement
Année Académique : 2007-2008
Directeur : Prof. ZACCAÏ Edwin
Résumé
Dans l'optique de dégager les grandes tendances de la
politique française de l'environnement sur quarante ans, une multitude
de variables environnementales, politiques et économiques sont mises en
équation. Une vision internationale de ces variables permet de faire
ressortir les particularités françaises. Deux études de
cas, traitées selon des méthodes différentes, servent de
supports aux résultats : l'air et l'eau.
L'analyse des phases d'impulsion institutionnelle en France
démontre que la politique environnementale est propulsée de
façon cyclique par une combinaison de contextes spécifiques et
globaux. Reflet immédiat de l'institutionnalisation de l'environnement,
le ministère de l'environnement étale un parcours instable,
caractérisé par la faiblesse des moyens.
L'intégration des problématiques
environnementales par l'édifice institutionnel s'opère dans le
cadre d'une évolution globale de la perception, du développement
des secteurs économiques impactant l'environnement, et des
réponses technologiques à disposition. L'étude du cas de
l'air illustre parfaitement ces dynamiques. Les politiques de lutte contre la
pollution atmosphérique se sont ainsi focalisées contre
différentes générations de polluants (SO2,
NOx, CO2, ...) en fonction de la perception des
problématiques (des pluies acides au changement climatique), des
pressions (des sources fixes de l'industrie et de l'énergie aux sources
mobiles des transports), ainsi que des technologies disponibles
(désulfuration, pot catalytique, voitures à moindre consommation
de carburant, ...). Tandis que les politiques de l'air axées sur les
secteurs de la production (industrie et énergie pour les
émissions de SO2) ont obtenu un énorme succès -
quoique relatif si l'on considère le rôle des politiques
non-environnementales, ainsi que les seuils de tolérance du milieu
(toujours dépassés) - la croissance de la consommation a pour
l'instant largement contrecarré les réductions des
émissions de NOx et de CO2 du secteur des
transports.
Egalement en évolution, les instruments politiques
agissent à l'image de la représentation du rôle de l'Etat,
tout en structurant les rapports de force entre acteurs
périphériques. Un flux d'échanges continu avec les acteurs
extérieurs, en particulier l'Europe, nourrit les politiques
réciproques. Au regard des évaluations des politiques
environnementales françaises, les positions actuelles ne semblent que
partiellement en phase avec les défis du développement
durable.
L'étude thématique révèle que si
la politique environnementale émerge notamment à partir de
l'enjeu que représente l'eau, la politique de l'eau change d'orientation
et de niveau en intégrant l'environnement et ses contextes
d'institutionnalisation. Dans le cadre de mutations de l'eau globalement
semblables à celles décelées pour l'environnement,
l'implantation du secteur privé dans la gestion technique de la
ressource en France introduit un rapport précoce d'intégration
avec l'économie. La tension qui ressort d'une gestion publique centrale
et d'une gestion privée puissante construit une perception
anthropocentrique de l'eau et installe un troisième protagoniste,
l'Agence de l'eau, qui intègre et transcende le rapport de force. Une
analyse Pressions - Etat - Réponses de l'évolution de la
problématique sur quarante ans fait ressortir plusieurs grandes
tendances : un renversement de la responsabilité imputée aux
secteurs impactant la ressource (de l'industrie et des collectivités
locales à l'agriculture), en parallèle à un renversement
des milieux pollués (des grandes rivières aux petits cours d'eau)
et des types de pollutions (des matières toxiques aux nitrates, par
exemple). Une évaluation de la réponse publique dévoile
des paradoxes et des effets pervers, eux-mêmes révélateurs
d'une politique environnementale essentiellement curative et fondée sur
le consensus.
Table des matières
Introduction..........................................................................................................1
Méthodologie
générale..............................................................................................3
1.
Terminologie.................................................................................................3
2.
Documentation..............................................................................................4
3. Schémas
d'analyse..........................................................................................4
4. Difficultés
rencontrées.....................................................................................5
I Institutionnalisation de
l'environnement.............................................................7
1. Les grandes phases d'impulsion
institutionnelle.......................................................7
1.1. La phase de
fondation....................................................................................
.8
1.2. La phase de
consolidation..................................................................................8
1.3. La phase
d'ouverture........................................................................................9
2. Contextes d'émergence des phases d'impulsion
institutionnelle....................................10
2.1. Le contexte
socio-économique..........................................................................12
2.2. Le contexte des
militants.................................................................................12
2.3. Le contexte
médiatique...................................................................................15
2.4. Le contexte de l'opinion
publique......................................................................17
2.4.1. Influence des crises écologiques sur les
priorités environnementales..............................18
2.4.2. Importance accordée à l'environnement
dans la
société..............................................18
2.4.3. Emergence de la sensibilité environnementale au
tournant des années 70........................19
2.5. Le contexte
mondial.......................................................................................20
2.6. Le contexte
étatique.......................................................................................21
2.7. Dynamiques contextuelles et voies de
canalisation...................................................22
3. Evolution des compétences du ministère de
l'Environnement......................................23
3.1 Les prémices
institutionnelles...........................................................................23
3.2. D'une administration de mission à une
administration de gestion.................................24
3.3. Découpages ministériels et
instabilité..................................................................25
3.4. Evolution du
budget.......................................................................................26
3.5. Evolution des ressources
humaines.....................................................................27
II Evolution des problématiques
environnementales................................................29
1. Mutations de la perception des
problématiques.......................................................29
1.1. Les
enjeux..................................................................................................31
1.1.1. Institutionnalisation des
enjeux..........................................................................31
1.1.2. Thématiques en
mutation.................................................................................32
1.1.2.1. Croissance démographique : une
thématique en
décroissance......................................32
1.1.2.2. Changement climatique et nucléaire : des
thématiques en valorisation...........................32
1.1.3. La mondialisation des
enjeux............................................................................35
1.2. Les
valeurs.................................................................................................36
1.3. Les
pressions...............................................................................................37
1.4. Les
réponses................................................................................................38
2. Evolution des sources d'impact et des
politiques.....................................................40
2.1. Croissance économique et environnement :
considérations générales.............................40
2.2. Production et
consommation.............................................................................41
2.3. Applications
sectorielles.................................................................................42
2.3.1.
Energie......................................................................................................42
2.3.2.
Agriculture.................................................................................................44
2.3.3.
Déchets......................................................................................................45
2.3.4.
Tourisme...................................................................................................45
2.3.5.
Transport...................................................................................................46
3. Incidence du progrès
technologique....................................................................50
3.1. Forces
motrices.............................................................................................50
3.2. Application à la lutte contre la pollution
atmosphérique.............................................51
III Evolution des instruments de gestion de
l'environnement........................................54
1. Des instruments de contrainte aux instruments de
conciliation.....................................54
1.1. Questions de
typologie....................................................................................54
1.2. Evolution des instruments en
France...................................................................55
1.3. Le cas de la lutte contre la pollution
atmosphérique..................................................55
2. De l'Etat dirigiste à l'Etat
coordonnateur..............................................................56
3. Influence de la réglementation internationale et
européenne.......................................57
3.1. Influence de l'Europe sur la politique française
de l'environnement..............................58
3.2. Influences
croisées........................................................................................59
4. Evaluations et
défis.......................................................................................60
4.1 Evaluations de la politique environnementale
française.............................................60
4.2. Les défis
globaux..........................................................................................62
IV Etude thématique :
l'eau................................................................................63
1. Contextes
d'institutionnalisation.....................................................................
..63
1.1. L'eau construit
l'environnement........................................................................63
1.2. L'environnement reconstruit
l'eau......................................................................64
1.3. Principales étapes de l'institutionnalisation de
l'eau.................................................65
2. Mutations de la problématique de
l'eau................................................................65
2.1. Primauté de l'enjeu
géographique.......................................................................65
2.2. Rapports entre eau et
économie.........................................................................66
2.3. Fondements de la perception de
l'eau..................................................................66
3. Application du modèle PER à
l'évolution de la problématique de
l'eau...........................67
3.1.
Pressions....................................................................................................67
3.2.
Etat..........................................................................................................69
3.3.
Réponses...................................................................................................70
4. Evaluation des politiques de
l'eau......................................................................72
4.1. La politique de
l'eau......................................................................................72
4.2. Les politiques de
l'eau....................................................................................74
4.3. Politique curative versus mesures
préventives........................................................75
4.4. Evaluation de l'efficacité des politiques de
l'eau.....................................................76
Conclusion..........................................................................................................78
Bibliographie
Annexes
Schémas, tableaux et graphiques (hors
annexes)
Schéma 1 : Politique, problématiques et
politiques.........................................................3
Tableau 1 : Facteurs contextuels liés à
l'émergence de phases d'impulsion de la politique française de
l'environnement..............................................................................11
Tableau 2 : Mutations de la perception des
problématiques environnementales......................30
Graphique 1 : Evolution de la sensibilité
environnementale en France....................................19
Graphique 2 : Evolution du budget du ministère de
l'Environnement....................................27
Graphique 3 : Evolution de la production
d'électricité,
France.............................................34
Graphique 4 : Evolution du
PIB.................................................................................40
Graphique 5 : Evolution des consommations finales
énergétiques par secteur énergétique
(corrigées du
climat).........................................................................................43
Graphique 6 : Evolution de la consommation de produits
pétroliers relatifs au secteur des transports (hormis
GPL)....................................................................................47
Graphique 7 : Evolution de la longueur du réseau
d'autoroutes...........................................49
Graphique 8 : Evolution des rejets industriels dans
l'eau...................................................68
Graphique 9 : Evolution de la population française
desservie par une station de traitement des eaux
usées...............................................................................................68
Graphique 10 : Les concentrations en nitrates en aval des
bassins versants agricoles......................70
Graphique 11 : Aides publiques
agricoles......................................................................71
Introduction
Lorsque l'idée de nous pencher sur les politiques
environnementales françaises a émergé dans notre esprit,
les candidats à la présidence de la France faisaient une cour
assidue à un animateur de télévision, qui constatait haut
et fort ce que scientifiques et experts s'évertuaient à faire
entendre depuis des décennies. A savoir que les politiques
françaises n'ont été et ne sont toujours pas à la
mesure de l'urgence et des enjeux environnementaux. Promesses obtenues,
l'animateur de télévision a délaissé - pour le
moment - le devant de la scène politique pour accompagner les ONG sur la
place publique. Le temps d'une consécration, les vedettes sont apparues,
les media se sont installés à leurs places assignées, et
les Français ont applaudi : super-Grenelle est arrivé !
La mémoire historique semble bien courte. En effet,
cette impulsion politique n'est pas sans rappeler, pour les érudits, un
Plan national pour l'environnement du début des années 90, qui
avançait un changement « d'échelle et de
méthode » (Chabason et Theys 1990 : 10). Ce genre d'action
relève-t-il davantage du symbole, avec comme principal effet positif de
sensibiliser les citoyens, ou projette-t-il concrètement les espoirs
d'une époque ?
Quant au MEEDDAT1(*), ce géant technocrate à la main verte,
inventé de toute pièce pour transcender la faiblesse historique
du ministère de l'Environnement (ME)2(*), est-il vraiment apte à animer une
révolution écologique ? Il nous faut pourtant
résister à la tentation de se projeter dans le futur, car c'est
bien plus dans le passé que les réponses se profilent.
En tant qu'observateurs extérieurs, nous nous devons
d'applaudir avec les Français ! En effet, ce remous environnemental
nous permet d'ajouter un niveau à notre rétrospective des
politiques, des institutions, des problématiques, de la perception, des
sources d'impact, de la technologie et des instruments de gestion que nous nous
proposons d'étudier.
Quelles sont les grandes tendances sur quarante ans ?
Comment s'articulent-elles ? Quelles sont les dynamiques
d'influence ? Quelles sont les améliorations et quels sont les
échecs ? Comment se mettent en place les leviers d'action ou les
blocages ? Quelle est la position particulière de la France dans le
contexte européen ? Enfin, nous autorisant à épier
dans le futur - tout en gardant les pieds bien ancrés dans le
présent - quels sont les défis à relever ? Au travers
de photos instantanées de la situation au tournant des
années 70 et aujourd'hui, et au travers d'évolutions plus
complètes lorsque les données compilées existent, nous
tenterons d'esquisser des réponses à ces questions.
Notre recherche sera guidée par trois
hypothèses, qui relèvent simultanément de trois
perspectives : la dynamique socio-économique, la dimension
temporelle et la question de l'efficacité des politiques.
1) Notre première hypothèse stipule que la
réussite ou l'échec d'une politique environnementale s'installe
selon une dynamique spécifique, résultant de la place des
acteurs/secteurs dans un contexte socio-économique particulier. Les
rapports de force entre acteurs produisent ainsi des blocages qui ralentissent
le processus d'intégration politique des préoccupations
environnementales - ceci dans un engrenage global de croissance qui tend
déjà vers la direction opposée.
2) Notre deuxième hypothèse propose la notion de
« seuil d'intervention optimal », qui devrait
idéalement être établi en fonction de la capacité
d'absorption et du seuil de tolérance du milieu (santé humaine
incluse). Or, nous pressentons que la gestion intégrée des
problématiques s'opère généralement à
posteriori de ces seuils.
Notons que ces notions sont déjà implicites en
1973, dans une note sur la prospective de l'eau : « Le
problème essentiel consiste à prendre des mesures avant qu'une
partie trop importante des cours d'eau et des lacs n'ait atteint un stade de
dégradation irréversible. » (GIEE 1973 : 229)
3) Notre troisième hypothèse soutient que les
améliorations suscitées par les politiques (mais, plus
précisément, quelles politiques ?) sont globalement
compensées, voir dépassées, par la poursuite du
modèle business as usual.
La vérification de nos hypothèses se
concrétisera notamment au travers de questions relevées dans un
chapitre dédié à l'analyse des interventions des pouvoirs
publics du rapport GEO3 (PNUE 2002) :
· Les problèmes environnementaux ont-ils
été définis ?
· Des objectifs chiffrés ont-ils été
formulés ?
· Les intentions exprimées ont-elles eu une
suite ?
· Cette suite a-t-elle eu des effets positifs sur
l'environnement ?
· Ces effets sont-ils suffisants ?
Les deux dernières questions semblent
particulièrement difficiles à trancher : « il
n'existe pas de mécanisme, de méthode ou de critère qui
permette véritablement de déterminer quelle politique contribue
à quel changement de l'état de l'environnement. Il est
généralement impossible d'assigner tel impact particulier
à telle mesure ou politique précise ; les liens entre les
actions humaines et les résultats environnementaux sont encore mal
élucidés. » (PNUE 2002 : 198)
Nous tenterons donc différentes approches
méthodologiques, introduites dans nos schémas d'analyse, afin de
parvenir à une image globale de l'évolution des
problématiques et des politiques environnementales françaises sur
quarante ans, plus particulièrement celles de l'air et de l'eau.
Méthodologie générale
Nous traitons ci-dessous d'aspects terminologiques, du choix
de la documentation et du schéma d'analyse global. Nous poursuivons par
une réflexion sur les effets pervers de la méthode de comparaison
des indicateurs au PIB, et terminons par la définition des
difficultés rencontrées en cours de route.
1. Terminologie
Il convient de préciser ce que l'on entend par le terme
politique(s). Lascoumes (1994 : 10) souligne que les anglo-saxons
disposent de deux mots là où nous n'en avons qu'un seul. La
traduction la plus proche en français serait d'user du singulier et du
pluriel pour différencier la politique (politics), des
politiques (policies) qui en découlent. Ainsi, le rapprochement
sémantique entre les deux formules, en anglais comme en français,
est la résultante de leur lien intrinsèque. En d'autres termes,
la politique est l'action des décideurs, tandis que les politiques sont
la concrétisation des décisions de ces mêmes
décideurs. C'est au niveau des moyens que les formules se distinguent,
et que la sémantique française devient incommode. En effet, la
politique repose sur une structure institutionnelle, tandis que les politiques
deviennent opérationnelles au travers des instruments de gestion. Si on
ajoute à l'équation la dimension centrale des
problématiques, ou matière à traiter par les
décideurs, on obtient la dynamique suivante :
Schéma 1 : Politique, problématiques
et politiques
Politique (politics) ? Décideurs ?
(moyens) = Institutions
? ? ?
PROBLEMATIQUES
? ? ?
Politiques (policies) ? Décisions ?
(moyens) = Instruments
Nous inscrivons cette dynamique interactive dans la structure
de notre recherche :
1) Institutions :
Les politiques étant les produits d'une institution, en
connaître l'organisation et l'évolution permet d'éclairer
la définition des objectifs, le choix des instruments, et le
succès de la mise en oeuvre.
« La structure institutionnelle peut être aussi
importante que l'élaboration de la politique
elle-même ». (AEE 2005 : 22)
2) Problématiques :
Les problématiques sont liées à leur
perception, à l'intensité avec laquelle les secteurs
économiques impactent l'environnement, et aux solutions disponibles pour
réduire cet impact. Au travers de ces trois points, les
problématiques déterminent les politiques.
3) Instruments :
La complexification des problématiques exige une
complexification des instruments qui, à leur tour, altèrent les
deux premiers niveaux.
Comme nous l'avons mentionné plus tôt, chaque
niveau correspond à une approche méthodologique qui offre une
vision particulière du problème.
2. Documentation
Nous présentons ci-dessous les composantes
prépondérantes et structurantes de notre bibliographie,
et préciserons certains titres au fil des chapitres :
· des évaluations d'experts sur les politiques
environnementales françaises, notamment de Lascoumes, Theys, Chabason et
Larrue, ainsi que des revues spécialisées, publiées entre
le début des années 90 et 2007 ;
· des analyses d'experts sur le thème de l'eau,
notamment de Bernard Barraqué, référence en la
matière, et de rapports d'information provenant du
Sénat ;
· des rapports sur l'état de l'environnement en
France provenant du ministère de l'Environnement (ME 1976 (le premier en
date), 1989, 1990, 1991) puis de l'Institut français de l'environnement
(Ifen 1996-97, 1999 et 2006), ainsi que deux des examens environnementaux de la
France par l'OCDE (1997 et 2005) ;
· des rapports sur l'état de l'environnement
mondial ou régional par l'Agence européenne de l'environnement
(AEE 2005), l'OCDE (1997) et le PNUE (2002 et 2007).
Les rapports internationaux nous serviront d'entrée en
matière et fourniront un cadre général des changements sur
quarante ans. Les rapports sur l'état de l'environnement en France nous
pourvoiront de données brutes, ainsi que, pour certains (Ifen 1996-97 et
2006 ; OCDE 1997 et 2005), d'évaluations de politiques. Les
analyses d'experts nous ouvriront plus particulièrement la porte vers
une approche critique des politiques.
Il est intéressant de noter que depuis la naissance des
rapports sur l'état de l'environnement au tournant des années 70,
leur contenu a évolué en parallèle à la perception
de l'environnement (voir infra). Ainsi, « On a mis d'abord l'accent
sur l'état de l'environnement biophysique - les terres, les eaux douces,
les forêts, la flore et la faune sauvages (...) ; on prend
désormais en compte les interactions complexes entre l'homme et la
nature. » (PNUE 2002)
3. Schémas d'analyse
Nous avons choisi l'étude rétrospective sur le
moyen terme car elle offre une perspective plus large des problématiques
et des politiques environnementales que l'étude récente, ainsi
qu'un regard sur l'évolution de la société en
général.
Nous axerons notre recherche selon trois formules
différentes : l'approche institutionnelle, l'approche par les
problématiques et l'approche par les instruments. Chacune d'entre-elles
fournira un cadre d'analyse propre qui révèlera des changements
particuliers sur la période étudiée. Nous
préciserons leur particularité et leur intérêt au
moment opportun.
Au travers de ces analyses, nous tenterons de parcourir de
nombreuses disciplines liées à l'environnement, telles que
l'économie, la communication ou l'histoire, ainsi que de nombreux
secteurs, tels que l'agriculture, l'énergie, le tourisme ou les
transports, et enfin de nombreuses thématiques, telles que les
déchets ou la santé. Cependant, nous porterons plus
particulièrement notre attention sur les thèmes de l'air et de
l'eau, ceci selon deux méthodes complémentaires :
· en filigrane pour le cas de la pollution
atmosphérique ;
· au travers d'un chapitre particulier pour le cas de
l'eau.
L'eau tient une place pionnière et singulière
dans l'histoire de l'institutionnalisation et des politiques environnementales
françaises. L'eau représente également un secteur
dynamique et porteur d'enjeux économiques et sociaux.
D'un point de vue plus pratique, les thématiques de
l'eau et de l'air sont intéressantes car il existe de nombreux
indicateurs s'y référant sur le moyen terme.
A ce sujet, nous proposons une réflexion sur les
indicateurs de découplage d'environnement (IDE), outils qui mesurent le
niveau de découplage entre les pressions environnementales et la
croissance économique (OCDE 2004 : 35). (voir annexe n° 2)
Au cours de nos recherches, nous avons constaté une
croissance de l'usage des IDE dans les rapports français3(*). Cet outil a été
développé par l'OCDE à une époque charnière
où l'ambition d'intégrer économie et environnement
s'exprime au plus haut niveau politique4(*). Le rapport Indicateurs d'environnement : une
étude pilote (OCDE 1991) constitue une référence en
la matière. Or, tout comme il est justifiable, et de plus en plus
pratiqué5(*), de
remettre en cause les indicateurs économiques traditionnels - dont le
PIB constitue le principal paramètre - il nous semble qu'il y a lieu de
peser l'efficacité (en terme de perception du changement) ainsi que les
effets pervers des IDE.
Au niveau de l'efficacité, si le rapprochement est
intéressant pour mesurer le maintien d'un problème ou son
aggravation en cas de couplage, il mène souvent à des conclusions
erronées en cas de découplage. Par exemple, malgré un
découplage prononcé entre les émissions de SO2
et le PIB, l'industrie maintient une place prépondérante par
rapport aux autres secteurs émetteurs. De plus, les immissions sont
toujours considérées comme trop importantes pour garantir le bon
état écologique des écosystèmes. (AEE 2005)
Au niveau des effets pervers, si la comparaison d'indicateurs
environnementaux au PIB est une expression de l'économisation
de l'environnement - comme, par ailleurs, la réalisation d'Examens
environnementaux par un organisme comme l'OCDE - nous estimons que
l'emploi de cet outil conduit à accentuer cette tendance.
En effet, « La sociologie des organisations
industrielles et autres a développé en parallèle des
approches reposant sur le même schéma d'analyse intellectuel (...)
dans les nombreux travaux menés sur les outils de gestion (indicateurs,
tableaux de bord, système d'analyse des coûts, modèles de
prévision, etc.). Ils montrent cette double dynamique
d'exploration (prélèvement d'information) et de
conformation (diffusion de modèles de comportements, bonnes
pratiques, etc.), ainsi que les processus d'appropriation-adaptation des
instruments, mais aussi les diverses formes de contournement et de
résistance développées par les acteurs. »
(Lascoumes 2008 : 3)
Souhaitant nous distancier de cette approche
économico-centrée, nous avons évité d'employer les
IDE dans nos graphiques. Par contraste, la comparaison au seuil de
tolérance du milieu, certes difficile à mettre en oeuvre, nous
semble bien plus conforme à une véritable optique de
développement durable.
4. Difficultés rencontrées
Nous relevons la complexité de notre démarche au
regard de l'intrication des thématiques environnementales, des
schémas d'analyse et du vaste champ spatial et temporel
étudié. Devant l'ampleur de la tâche, nous avons
également éprouvé les limitations exigées par la
synthèse.
Le manque de données au début de la
période étudiée, ainsi que le manque
d'homogénéité des données sur le moyen terme, sont
d'autres difficultés auxquelles il a fallu faire face.
Concernant les données scientifiques, nous citerons le
cas de l'eau : il y a un siècle, il suffisait de quatre à
cinq critères pour définir la qualité de l'eau.
Maintenant, il en faut près d'une centaine!
Concernant les sciences sociales, Daniel Boy expose le
problème ainsi que la solution qu'il applique aux sondages
d'opinion : « Il n'existe pas (...) de baromètre
d'opinion français mesurant régulièrement l'impact du
thème environnemental dans les vingt dernières années. En
revanche, ce même instrument a été développé
au niveau européen par les services d'étude de la CEE.
L'Eurobaromètre réalise à intervalles
réguliers des études dans les pays appartenant à la
Communauté. » (Boy 1999 : 213) Malgré l'utilité de
cet outil, nous nous sommes aperçu que les interrogations sont souvent
formulées différemment. Or, l'écart d'un mot peut susciter
une perception différente de la question qui se répercute dans la
réponse et risque de fausser la comparaison temporelle. Nous avons donc
tenté d'évaluer subjectivement le sens des interrogations et
indiqué le risque d'erreur lorsqu'il eut été dommage
d'écarter la question.
I - Institutionnalisation de
l'environnement
Bien qu'en 1971, la France ait été parmi les
premiers pays à se doter d'un ME - après les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne, qui venaient de créer des structures aux
compétences similaires - cette institution est relativement jeune en
comparaison à celles d'autres domaines publics. Ceci explique en partie
l'instabilité et la complexité qui caractérise
l'institutionnalisation de l'environnement en France. L'approche
institutionnelle permet notamment de faire ressortir les rapports de force
entre acteurs et de présenter le substrat d'où émergent
les politiques.
Synthétiser une évolution sur quarante ans exige
de se focaliser sur les grands axes. Ainsi, nous définirons en premier
lieu les grandes phases d'impulsion de la politique environnementale
française. Nous nous pencherons ensuite sur les circonstances de leur
émergence. En dernier lieu, nous analyserons l'évolution des
compétences du ME.
1. Les grandes phases d'impulsion
institutionnelle
Une première lecture d'ouvrages de synthèse et
de revues spécialisées consacrant des dossiers à des
périodes ou des dates clé nous a permis d'établir trois
grandes phases institutionnelles.
· Principaux ouvrages :
o Barraqué et Theys (1998), Les politiques
d'environnement : évaluation de la première
génération, 1971-1995,
o Lascoumes (dir.) et all. (1999), Instituer
l'environnement : vingt-cinq ans d'administration de l'environnement,
o Chabason et Theys (1990), Plan national pour
l'environnement : rapport préliminaire en vue du débat
d'orientation.
· Principales revues :
o Trente ans d'environnement in
Aménagement et nature (1994-95),
o 1970, l'invention de l'environnement ? in
Responsabilité & environnement (2007),
o Le Grenelle de l'environnement in Regards sur
l'actualité (2007).
Cherchant à condenser l'histoire de la politique
française de l'environnement, nous nous sommes penchés sur
l'analyse de Roger Cans, qui décline Les trois âges de la
politique française de l'environnement dans la revue
Aménagement et nature (1994-95) :
· L'ère gaullienne, durant laquelle l'Etat affirme
son autorité, se traduit par des mesures novatrices : le premier
parc national de la Vanoise (1963), la création des Agences
financières de bassin (1964) et du Conservatoire du littoral (1974) et
la loi sur la protection de la nature (1976).
· La loi de décentralisation (1982) marque une
rupture en transférant l'autorité aux élus locaux. Les
lois montagne et littoral (1985) sont interprétées dans le sens
du développement économique et le bétonnage se
poursuit.
· L'investiture du militant écologiste Brice
Lalonde à fin des années 80 amorce un retour de balancier. Les
lois déchets (1992) et eau (1993) imposent de nouvelles contraintes aux
industriels et aux collectivités locales, suivies par les lois paysage,
bruit et carrières.
(Cans 1994-95 : 23-26)
Nous inscrivons notre analyse dans ce sillage historique sur
une échéance plus longue, en intégrant les multiples
visions de cycle de l'intervention publique par Pierre Lascoumes :
« ... cycle de ce qui est perçu comme faisant
problèmes, cycle des dissonances, mais aussi cycle des techniques
d'intervention et cycle des buts poursuivis. Sur le long terme on observe
souvent que la palette des possibles (celle des catégorisations, des
moyens et des buts de l'action) est limitée. Et que tel sous secteur de
l'action publique oscille entre deux ou trois polarités qui
ressurgissent et sont reprises à intervalles plus ou moins
réguliers. » (Lascoumes 2008 : 2)
En recherchant comme trames préalables les dissonances
au niveau de la gestion de l'environnement ainsi que l'intensité au
niveau des préoccupations (voir infra) et comme trame subséquente
les buts globalement poursuivis, nous délimitons trois cycles. Chaque
cycle s'installe par l'émergence d'une technique d'intervention
particulière mais provoquant dans les trois cas une forte impulsion,
suivie par une phase que nous définissons par la maturité
institutionnelle :
· la création du ME en 1971 entame la phase de
fondation (Theys 1998 : 40) ;
· la lancée du Plan national pour l'environnement
(PNE) en 1990 représente le point culminant de la phase de
consolidation (Lavoux 1999 : 92) ;
· l'amorce du Grenelle de l'environnement en 2007
pourrait être considérée comme la phase d'ouverture.
Il est évident que d'autres initiatives
institutionnelles ont également marqué la politique
environnementale française. Pour n'en citer que quelques unes : le
Programme des cent mesures pour l'environnement en 1970, la
création du Conseil National du Développement Durable (CNDD) ou
la Stratégie Nationale du Développement Durable (SNDD) en 2003.
Le programme de 1970 avait certes le mérite de rassembler les
énergies de divers ministères autour du thème de
l'environnement, mais il avançait pour l'essentiel des mesures locales
détachées les unes des autres. Les auteurs d'un dossier sur le
Grenelle soulignent diverses raisons pour lesquelles le processus a un impact
bien supérieur au CNDD et à la SNDD. (Boy 2007 :
10-11 ; Bourg 2007 : 62)
De manière générale, nous avons
dirigé notre choix vers des initiatives politiques (politics)
globales qui inscrivent - potentiellement pour le Grenelle - une
série de politiques (policies) sectorielles dans leurs
sillages.
1.1. La phase de fondation
A sa création en 1971, le ME est doté d'une
structure et de moyens financiers et humains maigres (voir infra). Pourtant,
cette phase constitue une étape décisive :
· en institutionnalisant et popularisant la notion
d'environnement (voir infra) ;
· en rassemblant les politiques, jusque-là
gérées de façon hétérogène et
discontinue par plusieurs ministères ;
· en enclenchant un travail de création ou de
remise en ordre législatif ou réglementaire (Saglio
2007 : 35) ;
· en stimulant les autres ministères à
ranimer leurs départements environnementaux par crainte de les voir
transférés au nouvel arrivant (Bess 2003 : 198).
1.2. La phase de consolidation
Adopté en 1990, le PNE constate que la France cumule
« quinze ans de retard » et propose une
réorganisation institutionnelle majeure :
· en créant les DIREN, ou directions
régionales de l'environnement ;
· en créant de nouveaux établissements
publics, tels l'IFEN, l'ADEME et l'INERIS ;
· en augmentant de manière substantielle le budget
du ME ;
· en posant des objectifs sectoriels
chiffrés ;
· en intégrant l'environnement dans les
activités économiques.
(Chabason et Theys 1990)
1.3. La phase d'ouverture
Avec un programme politique pourtant peu centré sur les
enjeux environnementaux, le Président Nicolas Sarkozy émet un
signal fort en annonçant le Grenelle de l'Environnement et en convoquant
les associations à l'Elisée au tout début son mandat, en
mai 2007.
L'avant-projet de loi relatif a la mise en oeuvre du Grenelle
est présenté par le ME le 30 avril 2008. Grenelle 1 est
un texte d'orientation, qui décline en 47 articles les conclusions
arrêtées fin octobre 2007. Dépassant les oppositions
gauche-droite, il est adopté par le Parlement à une
majorité écrasante (526 voix pour, 4 contre et 17 abstentions) en
octobre 2008. Les modalités techniques d'application seront
détaillées dans deux autres textes (Grenelle 2 et 3).
S'il est encore trop tôt pour juger de
l'efficacité du processus, nous pouvons d'ores et déjà
souligner que le Grenelle est novateur :
· en intégrant l'environnement au coeur de la
décision publique, notamment au travers de deux principes forts :
l'intégration des coûts pour le climat et la biodiversité,
et l'inversion de la charge de la preuve pour l'aménagement du
territoire6(*) ;
· en instaurant une procédure
participative7(*) incluant
cinq collèges : Etat, collectivités territoriales, patronat,
syndicats et associations écologistes (notons qu'en 1970, le
Programme des cent mesures pour l'environnement, quoique d'ampleur
bien plus restreinte que le Grenelle, avait été
élaboré en large concertation avec la société
civile) ; à ce sujet, le PNUE insiste sur « la
nécessité d'obtenir le concours de toutes les parties
concernées » (2002 : XXIX) ; cependant, certains
acteurs-clé n'ont pas été conviés : les
parlementaires et certains hauts fonctionnaires (Lascoumes 2007 :
56-57) ;
· en instaurant en avance un dispositif de suivi
(évaluation ex-post) (Lascoumes 2007 : 52) ;
· en traitant les questions environnementales de
façon systémique ;
· et en avançant certaines mesures structurantes,
par exemple la taxe carbone ou la trame verte et bleue (Bourg 2007 :
59-60).8(*)
Précédant le processus du Grenelle, la
création du MEEDDAT est en soi une nouveauté. Le
méga-ministère d'Etat crée un terrain propice
à la coordination (position élevée dans la structure
gouvernementale) et à l'intégration de l'environnement dans
d'autres politiques (couplage avec plusieurs grandes administrations) (voir
infra). Notons à ce sujet que le rapport GEO4 (PNUE 2007)
préconise de déplacer l'environnement depuis la
périphérie vers le centre du processus de prise de
décision.
Ces trois phases ont été enclenchées par
un engrenage de pressions externes fortes, que nous tenterons maintenant
d'identifier.
2. Contextes d'émergence des phases d'impulsion
institutionnelle
En étudiant les circonstances de l'émergence des
grandes phases d'impulsion, nous avons perçu des similitudes au niveau
des leviers d'action. Le tableau 1 représente une tentative de
déboucher sur une trame commune aux trois temps et sert de fil
conducteur à la lecture de ce chapitre.
Nous proposons la métaphore mathématique pour
décrire la logique de construction de notre cadre d'analyse :
· L'équation du tableau se compose des phases
d'impulsion relevées au point 1 et des contextes sociétaux
liés à l'émergence de ces phases, subdivisés en
niveaux d'influence.
· Les niveaux représentent les hypothèses
de l'équation, basées sur une première recherche
historique qui permet d'instaurer un lien avec les phases d'impulsion au
travers d'au moins une composante dans le temps.
· Les cases à remplir représentent les
inconnues, définies suite à une seconde recherche historique.
Certains niveaux d'influence recoupent différents
contextes. Afin de structurer l'analyse, nous avons opté d'assembler les
niveaux multidimensionnels en fonction des acteurs (militants versus
gouvernement) et du mode de sensibilisation du public (media versus
manifestation associative).
La vérification de l'adéquation d'un niveau
d'influence dans les trois phases d'impulsion s'établit lorsque les
trois composantes ou leur typologie commune s'égalisent. Ces niveaux
sont signalés en vert dans le tableau. Ainsi, cette équation nous
conduit à percevoir un noyau d'influence, constitué des
hypothèses confirmées (contexte socio-économique, opinion
publique, influence mondiale et discours d'orientation du gouvernement),
entouré de niveaux périphériques (contexte des militants,
médiatique) dont le pouvoir d'impulsion n'est pas
systématique.
Notons que ce genre d'exercice multicritère a
déjà été entrepris au niveau de l'évolution
de la préoccupation environnementale en France. Daniel Boy dégage
en effets deux pics de sensibilité au travers de l'analyse de divers
indices du début des années 70 à la moitié des
années 90 (mesures d'opinion, degré d'activisme environnemental,
résultats électoraux des écologistes politiques) :
« une naissance et un début de croissance au cours des
années 1970, un freinage au début des années 1980 suivi
d'une sorte de traversée du désert au milieu des années
1980, enfin un nouveau décollage à la fin des années
1980 » (Boy 1999 : 212, 217) (voir infra). Ces pics de
sensibilité correspondent grosso modo aux temps des deux
premières phases d'impulsion que nous avons délimitées.
Notre approche rétrospective a été
principalement guidée par les ouvrages suivants :
· Lascoumes (dir.) (1999), Instituer
l'environnement ; Vingt-cinq ans d'administration de
l'environnement,
· Bess (2003), The Light-Green Society: Ecology and
Technological Modernity in France, 1960-2000.
Tableau 1
FACTEURS CONTEXTUELS LIÉS À
L'ÉMERGENCE DE PHASES D'IMPULSION
DE LA POLITIQUE FrançAISE DE
L'Environnement
|
PHASES
D'IMPULSION
CONTEXTES
|
Avant 1971
(Création du Ministère de
l'Environnement)
|
Avant 1990
(Plan National pour l'Environnement)
|
Avant 2007
(Grenelle de l'Environnement)
|
SOCIO-ÉCONOMIQUE
|
Chômage et
tendance
|
bas
= bas
|
haut
= en baisse
|
haut
= en baisse
|
Croissance et pouvoir d'achat
|
ralentissement
= stabilité
|
relance
= stabilité
|
ralentissement
= stabilité
|
MILITANTS
|
Politiques :
Scores électoraux
|
-
|
forts
|
faibles
|
Secteur associatif :
· Organisation
· Mobilisation
|
FFSPN
= regroupement
défense de la Vanoise
= succès
|
FFSPN ? FNE
= repositionnement
affaire du Rainbow Warrior
= flop
|
Alliance pour la planète
= regroupement
Pacte écologique de Hulot
= succès
|
MEDIATIQUE
|
Diffusion :
· Emetteurs
· Message
|
scientifiques
sonnette d'alarme
|
sciences sociales
alternative au système
|
personnalités, scientifiques
intégration au système
|
Crises écologiques
|
émergence
pétrolières et industrielles
|
? amplification
+ accidents nucléaires
|
? régression / industrielles
+ crises climatiques
|
OPINION PUBLIQUE
|
Sensibilité environnementale
|
émergente
|
forte
|
forte
|
MONDIAL
|
Influence européenne et internationale
|
forte
|
forte
|
forte
|
ETATIQUE
|
· Famille politique
· Discours général
|
droite
rupture
= différentiation
|
gauche
ouverture
= différentiation
|
droite
rupture et ouverture
= différentiation
|
Légende : =
corrélations dans le temps
2.1. Le contexte socio-économique
Parmi les nombreux indicateurs conjoncturels publiés
par l'Insee, nous avons sélectionné ceux qui nous semblent
résumer le climat social et économique, à savoir le taux
de chômage, la croissance et le pouvoir d'achat. L'évolution de
ces trois indicateurs depuis les années 60 jusqu'en 2007 (voir annexe
n° 3) nous permet de définir des orientations conjoncturelles
basées sur un intervalle de cinq à dix ans (en fonction des
grandes tendances) précédant les trois phases.
Nous constatons sans étonnement qu'un taux de
chômage bas ou dont la tendance est en baisse favorise l'émergence
d'une impulsion environnementale. Par contre, les orientations de la croissance
et du pouvoir d'achat (nous couplons ces indicateurs en raison des similitudes
de leurs courbes) ne convergent pas, à première vue, vers une
trame commune aux trois temps. Comment expliquer ce décalage apparent
entre des situations sociales et économiques pourtant globalement
imbriquées ? Examinons de près l'évolution de la
conjoncture économique.
A l'époque de la création du ME, l'effort de
reconstruction et de rattrapage technologique des Trente
glorieuses9(*) s'essouffle : la croissance du PIB passe de
8,1 % en 1960 à 6,1 % en 1970. Mais en parallèle apparaît
le phénomène de post-modernisme, décrit par le sociologue
Ronald Inglehart dans La révolution silencieuse (1977), et
résumé par l'Eurobaromètre de 1988 (Bonnaffe : 82) :
« Les pays occidentaux ont connu, depuis la deuxième guerre
mondiale, la paix et une prospérité économique sans
précédent. Cet environnement favorable s'est accompagné
d'un formidable essor des moyens d'éducation et d'information et d'une
transformation rapide des emplois. De ces mutations découle, une
évolution des systèmes de valeurs, qui se traduit par
l'émergence de mouvements tels que le pacifisme ou le mouvement
Vert. » (voir infra). Les chocs pétroliers de 1973 et
1979 et les résultantes chutes de la croissance - plus que 1,7 % en
1980 ! - et du pouvoir d'achat viennent temporairement ébranler cet
acquis ; l'environnement est disgracié de l'agenda politique.
Il faut attendre le contre-choc pétrolier de 1986 et la
relance économique - croissance de 4,2 % en 1989 - pour que la question
reprenne de l'ampleur. C'est dans ce contexte qu'est lancé le PNE.
Par opposition, le Grenelle est lancé dans un climat de
ralentissement économique : 1,9 % de croissance en 2007 en
comparaison avec les 3,9 % de 2000. Mais comme en 1971, les besoins de base
sont globalement disponibles.
Nous concluons de cette évolution que les niveaux et
les orientations de la croissance et du pouvoir d'achat ne sont pas
déterminants dans l'émergence des grandes impulsions de la
politique environnementale. Le facteur de stabilité
économique nous semble par contre primordial.
2.2. Le contexte des militants
Depuis les années 70, les domaines d'intervention
privilégiés des militants de l'écologie politique
demeurent le secteur associatif et les partis politiques. L'évolution de
ces terrains d'action nous éclaire quant à leur influence, par le
biais de l'opinion publique, sur la politique gouvernementale, mais aussi
réciproquement quant à leur adaptation au mainstream
institutionnel. Nous traiterons en premier lieu du secteur associatif du
fait de son influence sur la première phase d'impulsion
institutionnelle.
Au niveau associatif, tandis que l'organisation structurelle
tend à canaliser et orienter la dynamique contestataire, l'action de
mobilisation/médiatisation a la faculté de générer
un climat de tension propice à une réaction institutionnelle. Par
ailleurs, nous notons que la conjonction de ces facteurs - organisation et
mobilisation/médiatisation - amplifie leur impact spécifique.
C'est le cas au tournant des années 70 : le
regroupement de la Fédération française des
sociétés de protection de la nature (FFSPN)10(*) en 1968 est suivi de
près par leur mobilisation pour la défense du Parc national de la
Vanoise entre 1969 et 1971. Saisi par la forte médiatisation autour de
la polémique, le Président Pompidou finit par annuler le projet
d'aménagement touristique qui menaçait le parc. Mais si cet
évènement a certes notablement contribué à
l'émergence d'une phase d'impulsion, établir un lien de
causalité unilatéral entre l'affaire de la Vanoise et la
création du ME, comme le font la fédération victorieuse
(FNE) - et l'auteur américain Michael Bess (2003 : 83) - nous
apparaît comme un raccourci simpliste.
C'est également le cas en 2006 : la constitution
de l'Alliance pour la planète, lobby vert beaucoup plus large que
FNE11(*), est suivie la
même année par le lancement du Pacte écologique de
Nicolas Hulot. Ce dernier menace de se présenter à la
présidentielle de 200712(*) si les impératifs écologiques,
notamment la mise en place d'un ME haut placé13(*), ne sont pas pris en compte
par les candidats. Remarquons cependant que le succès du Pacte,
signé par pratiquement tous les candidats à l'élection
présidentielle et par plus de 700.000 citoyens, est surtout dû
à la notoriété de l'animateur de télévision.
En effet, en plus de sa popularité liée à 20 ans
d'émissions Ushuaia (et compagnie), Hulot apparaît
médiatiquement comme le leader d'opinion en
matière d'écologie en France. Ni l'adhésion de la
Fondation Nicolas Hulot à l'Alliance, ni son départ du groupement
après le lancement du Grenelle, n'ont fait grand bruit. Il s'agit
pourtant de choix stratégiquement intéressants... mais dont
l'analyse dépasserait notre cadre d'étude.
Inversement à ces cas de figure, les agissements du
secteur associatif ne nous semblent pas contribuer à la phase
d'impulsion que représente le PNE.
Attribuée en 1990, la nouvelle dénomination de
la FFSPN, France Nature Environnement (FNE) évoque curieusement la
première appellation du ministère de la Protection
de la Nature et de l'Environnement ! Si le repositionnement
conceptuel de la nature sensu stricto à l'intégration de
l'environnement semble tardif, notons cependant que la fédération
se dédie aux thématiques environnementales depuis 1972 (FNE).
Quant à l'affaire du Rainbow Warrior en 1985,
Bess démontre que l'incident est en partie responsable de la mauvaise
image environnementale de la France à l'étranger. Si l'affaire
secoue certes le gouvernement Fabius, les sondages d'opinion de l'époque
indiquent que les Français supportent majoritairement l'Etat et le
maintien des essais nucléaires. Pour Greenpeace c'est un
véritable flop : faute de membres et de financements,
l'ONG se voit contraint de fermer son bureau de Paris en 1987. (Bess
2003 : 33-37)
Né d'une fusion en 1984, le parti Les Verts
adopte une attitude globalement passive face à la crise du Rainbow
Warrior. Cette stratégie low profile s'avère sage
si l'on considère leur forte progression électorale à
peine cinq ans plus tard. ...
Mais avant d'entamer l'analyse contextuelle de
l'écologie politique, précisons que nous porterons notre
attention sur les résultats électoraux des Verts
(principal parti écologiste) à divers niveaux territoriaux, en
fonction de leur proximité temporelle aux phases d'impulsion
institutionnelle. Ce vaste cadre d'analyse nous semble d'autant plus
intéressant que le système français de l'élection
présidentielle, désavantageant les partis minoritaires, est
relativement peu représentatif de la popularité des
écologistes.
... Au tournant des années 90, une véritable
« vague verte »14(*) politique submerge la France. La ligne puriste et
inflexible d'Antoine Waechter, caractérisée par le slogan
« ni droite, ni gauche », attire un électorat
déçu par les manigances des partis traditionnels. En 1989,
Les Verts obtiennent entre 9 et 15 % aux élections municipales
et 10,6 % aux élections européennes. C'est dans ce contexte
favorable que l'écologiste Brice Lalonde, à la tête du
secrétariat d'Etat chargé de l'Environnement depuis 1988,
présente le PNE.
L'influence des scores électoraux des
écologistes sur les impulsions institutionnelles des années 1971
et 2007 nous semble par contre bien plus réduite.
Au tournant des années 70, l'écologie politique
se forme par la constitution des Amis de la Terre et l'amorce de la lutte
antinucléaire. (Bennahmias 1992 : 24) Bien que ces actes
émanent de marges éparpillées de la société,
ils convergent pour former un contre-courant - dans l'esprit de Mai 68.
« Cette politisation a été en l'espèce
suffisante pour forcer l'accès au champ politique et constituer le
problème en enjeu politique : d'abord pris à contre-pied,
les autres acteurs politiques ont été conduits à
intégrer dans leurs programmes, voire à surenchérir sur
elle, la revendication écologique, afin de tenter de désamorcer
un mouvement social tendant à s'organiser de manière autonome sur
le plan politique ; la création d'un ministère s'inscrit
alors pleinement dans cette perspective de canalisation et de
récupération. » (Chevallier 1999 : 30) Nous
nuançons cependant cette analyse ; soulignons en effet que la
première apparition médiatique des écologistes politiques
est la candidature à l'élection présidentielle de 1974 de
l'agronome tiers-mondiste René Dumont - qui n'obtient que 1,32 % des
suffrages. Si la politisation du tournant des années 70 contribue certes
à créer un climat propice à l'émergence d'une phase
d'impulsion, elle n'en est pas l'élément central.
Avec Dominique Voynet à leur tête, Les
Verts opèrent un virage à gauche à partir de 1994.
L'alliance avec les socialistes permet certes de placer des ministres à
l'Environnement (D. Voynet en 1997, Y. Cochet en 2001)15(*), et par ce biais de
générer de nouvelles politiques environnementales. Mais ce
virement de cap divise également Les Verts et entraîne le
parti dans la chute de la gauche. Ainsi, alors que Noël Mamère
recueille 5,25 % des suffrages à l'élection présidentielle
de 2002 - le meilleur score obtenu par un candidat écologiste au premier
tour - les choses se gâtent après la défaite du socialiste
Lionel Jospin au second tour. Les législatives de 2002 sont
désastreuses ... quant aux élections présidentielles de
2007, Les Verts retombe à un score presque aussi bas que celui
de Dumont en 1974 : 1,57 % !16(*)
En guise de conclusion à notre analyse du rapport entre
contextes de militants et institutionnalisation de l'environnement, notons que
le processus d'adaptation est bilatéral.
Ainsi, après de longues tergiversations, Les
Verts a entrepris la normalisation des modalités internes
de pouvoir à partir des années 90 (Bess 2003 : 104). De
nombreux auteurs soulignent les processus d'intégration et
d'institutionnalisation des associations, notamment par l'acquisition d'une
contre-expertise pour tenir tête à la technocratie. (Micoud
1999 : 156 ; Lascoumes 1994)
Mais au-delà du fonctionnement des organismes, nous
proposons d'illustrer la mutation militante par le positionnement des
écologistes face au ME, ceci approximativement aux trois phases de notre
cadre d'analyse :
· 1974 : contestation et solutions radicales
par le candidat René Dumont : « Le ministère de
l'environnement, c'est de la poudre aux yeux ! » (Dumont
1974);
· 1988 : première intégration au
pouvoir d'un écologiste : Brice Lalonde17(*) investit la fonction de
secrétaire d'Etat chargé de l'Environnement (gouvernement de
gauche) ;
· 2007 : participation du secteur associatif aux
tables rondes du Grenelle (gouvernement de droite).
Or, en intégrant davantage le processus de prise de
décision, les écologistes accroissent en parallèle le
risque de perte de légitimité. Nous avons vu, au travers du cas
de l'alliance des Verts avec les socialistes, à quels
soubresauts cela peut mener. Nous ne pouvons encore évaluer le feedback
définitif du public par rapport à la participation des
associations au Grenelle. Cependant, la comparaison des
Eurobaromètres spéciaux de 2002 et de 2008
révèle déjà une baisse de la confiance
accordée aux associations environnementales (de 44 à 39 %) par
les Français - en parallèle à une hausse de la confiance
accordée aux scientifiques (de 45 à 52 %).18(*)
En effet, l'assimilation au mainstream implique
insidieusement une réaction en chaîne qui remet en question
la notion même de militantisme :
Codécision ? compromis ? intégration des
contraintes socio-économiques ? affaiblissement des revendications ?
défection de l'opinion publique.
2.3. Le contexte médiatique
Bien que la diffusion du message écologiste puisse
être considérée comme un acte militant, nous traiterons ce
niveau séparément compte tenu de la multiplicité des
acteurs et de la spécificité de l'outil médiatique. Nous
présenterons ensuite un second niveau de sensibilisation
véhiculé par les media : les crises écologiques.
La description du processus de diffusion de la conscience
écologique par Jean-Paul Bozonnet dévoile que
l'évolution des acteurs influe sur la progression du discours
écologiste au sein de la société.
« L'écologisme mêle
énoncés scientifiques et discours militants, et bourgeonne
à la lisière des communautés épistémiques,
notamment des biologistes. De là, il diffuse dans les médias,
l'école ou l'université qui agissent eux-mêmes sur les
leaders d'opinion, enseignants, responsables associatifs..., lesquels
alimentent la conscience écologique des citoyens ordinaires. Ceux-ci ne
sont pas mus par un déterminisme à sens unique, mais forment des
groupes de pression, élisent des représentants politiques et
influencent la puissance publique. » (Bozonnet 2003)
Ainsi, à l'inverse du modèle linéaire de
communication de Shannon et Weaver19(*) (émetteur ? message ? récepteur), la
communication de l'environnement s'établit dans le temps au travers de
boucles de rétroaction par lesquelles s'opère la progression du
récepteur en émetteur.
Une rétrospective des principaux auteurs et ouvrages
(au sens large) médiatisés depuis quarante ans
révèle que l'évolution des ambassadeurs de
l'écologisme influe également largement sur le contenu du message
intégré. OEuvres symboliques à l'appui, nous
présentons ci-dessous les grands courants d'émetteurs/messages
précédant les phases d'impulsion institutionnelle.
· Dès les années 50, mais surtout à
partir des années 60, les scientifiques tirent la sonnette d'alarme.
o Roger Heim (1952), Destruction et protection de la
nature,
o Rachel Carson (1962, traduit en Français en
1968), Printemps silencieux,
o Jean Dorst (1964), Avant que nature meure.
· Au cours des années 70 et 80, de grands penseurs
des sciences sociales s'emparent du message écologiste. Ils critiquent
le modernisme industriel et théorisent des alternatives au
système en place.
o Ivan Illich (1973), La Convivialité,
o André Gorz (1975), Ecologie et
politique,
o Jacques Ellul (1988), Le bluff technologique.
· Au cours des années 90 et 2000, le
développement massif des media audiovisuels20(*) permet à des
personnalités médiatiques de se positionner comme de
véritables leaders d'opinion en matière d'environnement.
Pragmatiques, ils soutiennent et proposent des solutions win-win
intégrées au système.
Les années 2000 connaissent également un retour
de l'expertise scientifique, lié à la dominance de l'enjeu
climatique. Hulot arme stratégiquement sa Fondation d'un Comité
de veille écologique, composé de scientifiques de renommée
aptes à intervenir sur toutes les thématiques environnementales.
Ils co-rédigent plusieurs ouvrages, signés Nicolas Hulot
en police large afin d'attirer le public.
o Nicolas Hulot (2002), Combien de catastrophes avant
d'agir?,
o Documentaire avec Al Gore (2005), Une
vérité qui dérange,
o Nicolas Hulot (2007), Pour un Pacte
écologique.
Notons qu'en parallèle à ces grands courants de
diffusion, une sensibilisation en filigrane ressort des émissions de
Jacques-Yves Cousteau et de Nicolas Hulot. Océanographe, Cousteau
réalise films et documentaires - notamment, le Monde du
Silence, Palme d'or au Festival de Cannes en 1956, et les multiples
aventures à bord de la Calypso -, ce qui lui permet de mesurer
l'ampleur des bouleversements environnementaux de 1942 à 1997 !
Journaliste, Hulot fait voyager les Français au bout du monde dès
1987, au travers des émissions successives Ushuaïa, le magazine
de l'extrême, Opération Okavango et Ushuaïa
Nature. Cousteau et Hulot, que rien ne relie au départ, ont
développé des traits communs :
· de conquérants de la nature, ils deviennent
écologistes au fil de leurs voyages ;
· ils sensibilisent le public par le biais de l'aventure
et de l'émerveillement ;
· ils font pression pour la cause environnementale au
travers de l'associatif et de l'international (Cousteau à Rio, Hulot
à Johannesburg) mais préfèrent, en définitive, ne
pas s'engager en politique ;
· leurs positions sont largement
controversées : Cousteau pour son soutien aux essais
nucléaires dans le Pacifique Sud et pour son déni de la
gravité du trou dans la couche d'ozone ; Hulot -
l'« hélico-logiste » selon les adeptes de la
décroissance - pour ses collaborations avec le secteur privé
(TF1, EDF, ...) ; mais ils demeurent extrêmement populaires.
Ainsi, ils agissent comme des capteurs/retransmetteurs de
l'évolution de leur époque. Leur emprise sur l'inconscient
collectif des Français a largement contribué à
dépasser la perception anthropocentrique de la nature, encore
très présente au début des années 70.
Le titre de l'ouvrage Combien de catastrophes avant
d'agir de Nicolas Hulot, choisi à la suite de l'explosion de
l'usine AZF à Toulouse en 2001, est symbolique de la portée
médiatique du thème de la catastrophe. Dans le cadre de notre
recherche, nous lui préférons le terme moins sensationnel de
« crise » car il implique la notion de gestion.
Nous avons basé notre typologie des crises
écologiques sur la Chronologie des problèmes environnementaux
à retentissement international par le
Centre International de Recherche
sur l'Environnement et le Développement (CIRED).
La fin des années 60 est marquée par
l'émergence des crises écologiques perçues comme telles
par l'opinion publique suite à leur médiatisation.
La catastrophe à la raffinerie de pétrole de Feyzin en 1966
est considérée comme le premier accident industriel en France.
« Il marque un tournant en France car il met brutalement en
lumière les risques inhérents aux grandes installations
industrielles, en plein développement à l'époque, et ses
conséquences sont considérables dans bien des
domaines. » (Wolpin 2007 : 60) Cet accident est suivi de
près par le naufrage du pétrolier Torrey Canyon en 1967.
Diffusées par la télévision, les images de la marée
noire souillant les côtes britanniques et françaises choquent la
France et l'Europe.
Les décennies 70 et 80 connaissent une amplification
des accidents pétroliers - Amoco Cadiz (1978), Exxon Valdez (1989) - et
industriels - Bhopal (1984), Sandoz (1986) -, mais aussi l'avènement
d'accidents nucléaires - Three Mile Island (1979), Tchernobyl (1986).
Avec la maîtrise des risques, les accidents industriels et
nucléaires sont en régression à partir des années
90. Par contre, les accidents pétroliers se maintiennent - Erika
(1999), Prestige (2002).
A partir de la fin des années 90, les
évènements climatiques extrêmes prennent le dessus :
tempête (1999), canicule (2003), inondations en Europe (2005), ouragan
Katrina dévastant la Nouvelle-Orléans (2005).
Nous montrerons comment se décline l'influence des
crises écologiques sur l'opinion publique dans le point suivant.
Pour conclure sur le contexte médiatique, notons que
malgré la corrélation de l'outil, les deux niveaux
étudiés intègrent l'opinion publique par un rythme
opposé : progressif et en profondeur pour la diffusion du message
écologiste, brusque et réactif pour les crises
écologiques.
2.4. Le contexte de l'opinion publique
Un survol des Eurobaromètres spéciaux,
en particulier ceux publiés en 1983, 1988 et 2008, permet de tracer les
grandes lignes de la perception de l'environnement par l'opinion publique.
L'Eurobaromètre de 1983 - premier en date disponible sur le site de la
Commission Européenne - pose un regard rétrospectif sur
l'année 1973. N'ayant pas accès à des données
statistiques antérieures à la création du ME (voir supra),
nous éclairerons cette période par les témoignages
d'acteurs de l'époque et les évaluations d'experts.
Nous traiterons en premier lieu des résultats des
sondages, sélectionnés en fonction de deux critères :
l'influence marquante du contexte, au travers des crises écologiques,
sur les priorités environnementales et l'importance accordée
à l'environnement dans la société. Nous terminerons par
une description du contexte d'émergence de la sensibilité
environnementale au tournant des années 70.
2.4.1. Influence des crises écologiques sur les
priorités environnementales
La comparaison des atteintes et problèmes
d'environnement considérés comme prioritaires à
l'échelon national ou planétaire souligne l'influence des crises
écologiques.
Au niveau méthodologique, la variation des
thématiques au fil des années ne risque pas de fausser nos
conclusions étant donné que nous nous penchons uniquement sur les
deux premiers problèmes cités. Nous sommes par contre surpris de
constater que le trou dans la couche d'ozone, enjeu dominant de la fin des
années 80, est totalement absent des sondages des Eurobaromètres
de 1983, 1987, 1989, 1992 et 2008 !
En 1982, soit quatre ans après la marée noire
occasionnée par l'Amoco Cadiz sur les côtes du
Finistère, « les dommages causés à la faune
marine et aux plages par les accidents ou les dégazages
de pétroliers » viennent en tête de liste pour les
Français et les Européens. (Riffault 1983 : 21)
En 1988, soit deux ans après Tchernobyl et Sandoz, ce
sont les pollutions nucléaire et chimique qui préoccupent le plus
l'opinion publique nationale et européenne. (Bonnaffe 1988 : 28)
En 2007, le changement climatique est le premier thème
d'inquiétude des Français avec 59 %, soit 12 points de plus par
rapport à 2004 ! Par comparaison, les Européens optent pour
la pollution de l'eau et les catastrophes naturelles avant le changement
climatique, qui vaut 45 % des réponses. Cette différence peut
s'expliquer par le caractère particulièrement aigu des crises
climatiques depuis 1999 en France.
Les résultats ci-dessus indiquent que les crises
écologiques participent à l'émergence d'enjeux dominants,
comme par exemple le nucléaire dans les années 80 ou le
changement climatique dans les années 2000 (voir infra). Ces
cristallisations rapides de préoccupations sont bien entendu
accompagnées de mouvements beaucoup plus lents, mis en branle par la
somme des pressions à taille humaine.
Les enjeux suscitent une réaction politique, ne
serait-ce que symbolique. Mais, comme le fait remarquer Boy, « une
fois passée la crise, une fois oubliées les bonnes
résolutions, revient l'ordinaire de la politique :
sécurité publique, chômage, croissance, retraites, etc.
Depuis trente ans, environ, qu'il a fait irruption sur la scène
médiatique et politique l'environnement est donc un thème
à éclipse. » (Boy 2007 : 1)
Pour conclure, il nous semble intéressant de noter que
les enjeux peuvent également conditionner la perception des crises
écologiques. Ainsi, la liste du CIRED répertorie les
tempêtes, canicules et inondations des années 2000, mais pas la
canicule de 1976 ! Notons que l'incertitude scientifique ne permet pas de
lier un évènement météorologique particulier au
changement climatique, même s'il se situe dans une séquence
d'évènements similaires.
2.4.2. Importance accordée à
l'environnement dans la société
Nous avons sélectionné les sondages en fonction
des points de vue complémentaires suivants :
· l'importance - ou l'urgence - de l'environnement en
soi
· l'importance de l'environnement parmi d'autres
problèmes de société
D. Boy ayant rassemblé les mesures d'opinion sur le
caractère « très important » de
« protéger la nature et combattre la pollution » de
1976 à 1989 (Boy 1999 : 213) (voir supra), nous avons
cherché à compléter son analyse. Bien que la formulation
ne soit pas tout à fait la même de 1992 à 1999 - on
interroge alors sur « l'urgence » à accorder au
problème - l'écart sémantique entre les deux types de
questions ne nous semble pas fausser la mesure de l'évolution. Par
prudence, nous construisons le graphique 1 avec des points de couleurs
différentes selon le type de question. La combinaison des
résultats produit une courbe en W, comprenant trois pics de
sensibilité. Les deux derniers pics calquent précisément
les phases d'impulsion de 1990 et de 2007. Avant de nous pencher sur la
période précédant 1971, poursuivons notre analyse des
sondages.
Graphique 1
Sources des données :
- BOY Daniel (1999), L'évolution de la
préoccupation environnementale en France dans les vingt-cinq
dernières années, p. 213.
- Eurobaromètres spéciaux, 1992, 1995,
1999 et 2008.
Si l'environnement évoque une importance semblable aux
citoyens français aujourd'hui et au début des années 70,
il est loin d'occuper le même rang parmi les autres grands
problèmes de société. Ainsi, l'Eurobaromètre de
1982 rappelle les résultats d'une étude de 1973 :
« A l'époque - quelques semaines avant le choc
pétrolier - consultés sur l'importance relative d'une dizaine de
problèmes d'intérêt national ou mondial,
les Européens plaçaient au premier rang la pollution de
l'environnement, avant la hausse des prix et avant la pauvreté et le
chômage. » (Riffault 1983) En comparaison, en 2006, les
résultats du Baromètre Politique Français du Cevipof
situent le thème environnemental au 9ème rang parmi les 11
proposés au choix des personnes interrogées. (Boy 2007 :
2-3)
Le contexte de la société a certes beaucoup
changé, surtout si l'on considère les thèmes perçus
comme prioritaires aujourd'hui : emploi, inégalités, hausse
des prix, ...
Par contre, en 2007, 75 % des Français estiment que la
protection de l'environnement doit être prioritaire à la
compétitivité de l'économie. (TNS Opinion & Social
2008 : 116)
Il ressort de ces sondages que l'environnement est davantage
porteur de sens lorsqu'il est présenté seul ou face à une
thématique froide de sens comme la compétitivité. Par
contre, en conjonction avec d'autres problèmes socialement
inquiétants, l'environnement est aujourd'hui relégué en
queue de file.
Si notre analyse confirme la forte influence de l'opinion
publique sur la politique gouvernementale de 1990 et de 2007, nous devons
nuancer son impact sur la phase d'impulsion de 1971.
2.4.3. Emergence de la sensibilité
environnementale au tournant des années 70
Au tournant des années 70, la mobilisation pour la
défense du parc de la Vanoise a bénéficié de
l'appui d'une population globalement sensible au thème de la protection
de la nature (voir supra).
Par contre, le témoignage de Serge Antoine - l'un des
premiers fonctionnaires à promouvoir le terme global d'environnement -
révèle que « dans l'opinion publique, il y a eu une
indifférence et même une opposition farouche au mot
environnement ». (Antoine 1992, publié en 2007 :
21) En effet, la notion d'environnement n'est à ce stade qu'un concept
flou, disputé par une poignée d'intellectuels. (Charvolin 2003)
(voir infra)
Nous basant sur l'analyse de Michael Bess, nous soutenons
l'hypothèse d'une émergence de la sensibilité
environnementale au tournant des années 70, bien que le terme
ne soit pas encore approprié - dans le sens
appropriation comme dans le sens adéquat.
L'auteur américain souligne « trois
transformations culturelles qui ont marqué la
génération des années 60 : une large ambivalence envers la
modernité technologique ; un sens accru du militantisme chez les
scientifiques ; et une nouvelle forme de dissidence radicale qui se
manifeste au travers de la contreculture. » Détaillons ces
trois points :
L'ambivalence envers la modernité s'explique par le
développement technologique et industriel rapide de la France - qui doit
rattraper son retard par rapport à ses voisins européens - et la
résultante perception d'une altération du cadre de vie.
Le militantisme chez les scientifiques se manifeste au travers
de la diffusion d'ouvrages qui dénoncent les atteintes à
l'environnement (voir supra).
Enfin, la contreculture a trait à Mai 68, point qui
mérite d'être développé. S'il est communément
admis que Mai 68 représente le terreau de l'écologisme, Bess
rappelle que les revendications du mouvement estudiantin n'ont rien
d'écologistes. L'héritage pour le mouvement
écologiste se résumerait à la culture
néo-rurale Baba cool, aux procédés politiques
alternatifs calqués par Les Verts - et le plus important -
à la remise en cause du système établi. (Bess
2002 : 80-81)
Ces mutations se ressentent dans la sémantique du
langage : « le mot nature est devenu un mot-code pour
quelque chose de plus que les forêts et les rivières : il
signifiait l'antithèse de la société urbaine et
technologique (...) ». (Bess 2002 : 12) L'avènement d'un
nouveau terme répond ainsi à la nécessité de
définir la notion de contrepoids au modernisme industriel.
En définitive, la mutation du domaine de
sensibilisation de l'opinion publique, de la nature à l'environnement,
se subdivise en deux mouvements imbriqués :
· un passage idéologique, découlant des
transformations culturelles de la société ;
· un passage terminologique, suivant la création
du ME et la résultante assise institutionnelle de la notion
d'environnement. La suppression du libellé « protection de la
nature » de l'intitulé du ministère en 1974, laissant
supposer son inclusion dans la gestion de l'environnement, en représente
l'aboutissement.
Si la Conférence de Stockholm en 1972 amplifie cette
mutation de l'opinion publique, la participation à l'Année
européenne de la conservation de la nature en 1969 représente un
facteur de pression sur le gouvernement pour se positionner en tant que
leader d'une thématique en émergence mondiale.
2.5. Le contexte mondial
Déterminer de quelle façon chaque
évènement international représente un levier d'action de
la politique nationale de l'environnement exigerait une analyse complexe. Nous
ne ferons donc que citer les épisodes majeurs précédant
les phases d'impulsion institutionnelle et illustrerons la situation en 2007.
Un entretien avec un diplomate21(*) de la Représentation Permanente de la France
auprès de l'UE et siégeant au COREPER I, nous permettra de
commenter les incidences sur la politique environnementale française de
l'exercice de la présidence de l'UE - de juillet à
décembre 2008 -, et vice-versa de l'influence de la France sur la
politique de l'UE (voir infra).
· Le tournant des années 70 :
émergence de la notion d'environnement
? Au niveau international :
o Convocation en 1968 du premier sommet des Nations Unies pour
l'environnement : la Conférence de Stockholm (1972)
o Création d'un Comité de l'environnement
à l'OCDE (1970)
o Année européenne de la conservation de la
nature (1970) ; afin de s'y associer, les pouvoirs publics français
décident en octobre 1969 (voir infra) d'entreprendre une politique
du milieu environnant pendant l'année 1970. (Bazin 1973 :
33)
? Aux niveaux nationaux :
o Création du Environmental Protection Agency
(EU, 1970)
o Création du Secretary of State for the
Environment (GB, 1970)
Selon le témoigne de Serge Antoine, les exemples
américain et britannique ont largement influé sur le choix
français. (Antoine 1992, publié en 2007 : 19-20) Notons que
les bureaucrates ont joué un rôle important dans les
prémisses du processus d'institutionnalisation de l'environnement en
France.
· Le tournant des années 90 :
résurgence de la préoccupation environnementale
? Au niveau international :
o Année européenne de l'environnement (1987)
o Rapport Meadows (1987)
o Convocation du Sommet de Rio (1992)
· 2007 : focalisation sur le changement
climatique
? Au niveau international :
o Préparation par la France de la présidence de
l'UE (juillet 2008)
Selon l'interviewé, les échanges d'influence
entre la France et l'UE vont dans les deux sens. Pour être
crédible lors de la présidence, la France se doit au
préalable de montrer l'exemple sur un sujet incontournable au niveau
européen : le changement climatique. Nous notons cependant que la
loi d'orientation Grenelle 1 ne fait que réitérer les objectifs
de division par quatre des émissions de CO2, fixés en
2005. Inversement, l'importance accordée aux problématiques
environnementales au niveau national s'est traduite dans les priorités
définies pour la présidence de l'UE. Des cinq domaines d'action
mis en avant, trois concernent l'environnement : l'énergie,
l'environnement et la PAC. Le changement climatique est défini comme la
priorité n° 1 pour laquelle le gouvernement garantit une
« obligation de résultats ». (Représentation
Permanente de la France auprès de l'UE, septembre 2007, février
et mai 2008)
o Convocation de la Conférence sur le changement
climatique (COP15) à Copenhague (décembre 2009)
Selon l'interviewé, la pression de parvenir rapidement
à un accord européen sur le changement climatique repose sur deux
raisons. Il s'agit de présenter un front uni pour faire pression
à la COP15 en 2009. Et il s'agit d'y parvenir avant la fin du mandat
français, car le prochain Etat membre à assurer la
présidence, la Tchéquie, est le seul des 27 à ne pas
adhérer au consensus sur le changement climatique.
2.6. Le contexte étatique
Le tableau 1 indique que les phases d'impulsion
émergent aussi bien sous des gouvernements de droite que de gauche. Le
trait qui semble davantage influer est l'annonce publique de la distanciation
du nouveau gouvernement par rapport à la politique du
précédent gouvernement, qu'il s'agisse de rupture, d'ouverture,
ou des deux à la fois. Le caractère et l'orientation
donnée par le chef de l'Etat sont en ce sens primordiaux.
Par ailleurs, les contextes décrits ci-dessus exercent
également des pressions sur l'Etat, et tout particulièrement le
contexte des militants par sa constitution en ressources humaines. Par le terme
récupération, nous qualifions ci-dessous la
l'appropriation par un gouvernement de revendications devenant
dangereusement populaires et émanant d'associations ou de partis
politiques.
La création du ministère de la Protection de la
Nature et de l'Environnement en 1971 relève en partie d'une
récupération associative pour le thème de la
protection de la nature - en référence au succès de la
défense du parc de la Vanoise. Par contre, il s'agirait surtout de
flair politique pour le thème de l'environnement, la notion
n'étant pas encore à la mode. En fonction à partir de juin
1969, le Président Georges Pompidou - « premier universitaire
à accéder à la plus haute charge de la
République » - prend le pouls aux niveaux national et
international et intègre progressivement l'environnement dans son projet
politique. Ne perdons cependant pas de vue que l'impulsion fondamentale
transmise par Pompidou à son gouvernement est
l'industrialisation22(*).
« Aussi, dans un souci d'équilibre et pour assigner une
finalité humaniste à cette politique, conçoit-il une
action d'accompagnement d'ordre qualitatif : l'environnement offre le
contrepoids de l'industrialisation. » (Bazin 1973 : 28)
Charvolin évoque également « les raisons politiques
d'affichage symbolique » de la politique environnementale,
« dans la lignée de la doctrine de la nouvelle
société » du gouvernement de droite de Jacques
Chaban-Delmas. (Charvolin 2003 : 68) Il nous semble important d'insister
sur ce point pour en mesurer les conséquences sur le peu de moyens
alloués au nouveau ministère (voir infra).
Au tournant des années 90, la nomination de Brice
Lalonde et l'affichage d'une rupture au niveau de la politique environnementale
s'inscrivent dans un effort de récupération politique de
l'électorat écologiste par les socialistes.
De même, le lancement par Brice Lalonde de
Génération Ecologie en mai 1990 serait « une entreprise
téléguidée par les plus hauts responsables du gouvernement
socialiste » afin de diviser les écologistes et de briser
l'élan des Verts. (Rumpala 1999 : 257-260)
En 2007 comme en 1971, il s'agit d'une
récupération associative - en référence au
Pacte écologique. Obtenir un 18/20 comme note de politique
environnementale par un Nicolas Hulot lors d'un JT de 20h, ça
compte ! L'importance de l'image qu'accorde le Président Sarkozy
à la politique environnementale se vérifie lors de la grande
messe du Grenelle, qui réunit des acteurs
internationaux d'envergure : les Prix Nobels de la paix Al Gore et Wangari
Mathai, ainsi que le Président de la Commisson européenne
José Manuel Barroso.
Si ces phases ont en commun une récupération
idéologique, elles divergent considérablement au niveau du
mode de gouvernance (voir infra).
2.7. Dynamiques contextuelles et voies de
canalisation
En plus d'une trame commune aux trois phases d'impulsion -
présentée lors de l'introduction du tableau 1 - nous percevons au
terme de cette analyse deux types de contextes et deux voies de canalisation
des influences :
En usant de l'image du moteur, les contextes globaux -
stabilité socio-économique, influence mondiale, dynamique
étatique - constituent le carburant injecté, tandis que les
contextes spécifiques - actions militantes, diffusion médiatique
des préoccupations et des crises - interviennent comme des
étincelles qui propulsent le mouvement. L'opinion publique se place
à ces deux niveaux contextuels en canalisant les énergies vers
les décideurs. Deux voies d'influence interviennent ainsi :
· La voie directe par le biais des décideurs
politiques ;
s'y greffent le contexte socio-économique, le contexte
de l'opinion publique, le contexte mondial, et le contexte étatique.
· La voie indirecte par le biais de l'opinion
publique ;
s'y rattachent le contexte socio-économique, le
contexte des militants et le contexte médiatique.
Pour en revenir à l'idée des cycles de
l'intervention publique par Lascoumes (voir p. 8), notons qu'elle implique que
l'on revienne à la case de départ. Mais si les phases d'impulsion
ont en effet tendance à s'essouffler, elles génèrent
également des dynamiques qui s'auto-perpétuent. Au début
des années 80, une conjonction de facteurs mène à une
réduction du développement des politiques environnementales (voir
infra). Mais alors que vers le milieu des années 90, les facteurs
externes ne sont à nouveau pas fastes, les politiques environnementales
ne faiblissent pas. Cette stabilisation peut partiellement être
expliquée par le poids des engagements internationaux et des directives
de la Communauté européenne. (Chabason et Larrue 1998 :
63-65) Il est à espérer que cette tendance permettra de
dépasser la crise économique qui se profile aujourd'hui.
En conclusion, relatons cette considération de Serge
Antoine sur la naissance du ME, qui peut rétrospectivement s'appliquer
aux multiples émergences de la politique environnementale :
« Nous ne sommes que des éléments du
destin à un moment donné où les choses éclosent.
(...) C'était une éclosion parce que les choses étaient en
train de naître. (...) C'est venu comme un phénomène de
société. » (Antoine 1992 : 23)
3. Evolution des compétences du
ministère de l'environnement
Un paradoxe se dessine lorsque l'on compare l'enjeu
sociopolitique que représente l'environnement et la faiblesse des moyens
consacrés à son administration. « Ministère
fragile, balancé historiquement entre les ministères de
l'Equipement, de la Culture, quand ce n'était pas de l'Agriculture, il
est en permanence en déficit de moyens, de projets et de ressources
humaines. » (Charvolin 2003 : 9) C'est précisément
l'évolution de ces découpages, budgets et ressources humaines que
nous développerons, après en avoir révélé
les origines institutionnelles.
Deux ouvrages ont documenté l'historique de la
création du ME :
· Charvolin (2003), L'invention de l'environnement en
France : Chronique anthropologique d'une
institutionnalisation ;
· Bazin (1973), La création du
ministère de la protection de la nature et de l'environnement : essai
sur l'adaptation de la structure gouvernementale à une mission
nouvelle.
Concernant l'évolution des compétences du ME,
nous avons à nouveau puisé dans l'ouvrage de
référence sur l'évolution des institutions
environnementales en France :
· (Lascoumes (dir.) 1999), Instituer l'environnement
: vingt-cinq ans d'administration de l'environnement.
3.1. Les prémices institutionnelles
L'intégration de la notion d'environnement dans la
politique étatique française relève pour une large part de
l'influence de quelques hauts fonctionnaires de la Délégation
à l'aménagement du territoire et à l'action
régionale (DATAR).
Forte de son expérience au niveau de
l'harmonisation23(*) des
politiques relatives à l'environnement, la DATAR24(*) est chargée de
coordonner l'élaboration d'un premier programme en octobre 1969.
Adopté en juin 1970, le Programme des cent mesures pour
l'environnement est le résultat d'une méthode de travail
particulièrement innovante de par le large degré de concertation
(14 départements ministériels et secrétariats d'Etat,
régions) et de consultations (autorités scientifiques et
techniques, experts et organismes internationaux, associations, préfets
et corps préfectoral, grand public). (Bazin 1973 : 88-93). Nous
verrons qu'il aura un impact sur la construction du domaine de
l'environnement.
L'année 1970 est également marquée par la
création et la réforme de structures administratives de gestion
de l'environnement au sein de plusieurs ministères25(*), ainsi que par
l'intégration au sein de la DATAR d'un Haut comité de
l'environnement chargé de préparer les programmes
interministériels d'action. (Bazin 1973)
Il apparaît cependant que les ressources
financières et humaines de la DATAR ne suffiront pas pour assurer la
mise en oeuvre des cent mesures. Certaines voix, dont celles de
parlementaires, s'élèvent également contre une gestion
orchestrée par les ministères pollueurs26(*).
3.2. D'une administration de mission à une
administration de gestion
A sa création, le ministère de la Protection de
la Nature et de l'Environnement est partagé entre une fonction de
gestion directe avec comme structure centrale et verticale la Direction
générale de la protection de la nature (obtenue du
ministère de l'Agriculture), et une fonction prépondérante
de mission pour assurer la coordination intersectorielle de l'environnement
avec une structure horizontale (héritée de la DATAR).
Dans un premier temps, la complémentarité entre
ces deux fonctions engendre une stratégie de conquête de nouvelles
compétences : « l'administration de mission se charge le
plus souvent de la reconnaissance et de l'offensive, tandis que
l'administration de gestion occupe ensuite le terrain ». (Bazin
1973 : 351-352) Mais avec plus de recul, « Cette conception
s'est révélée assez rapidement peu opérationnelle
dans la mesure où le ministère n'avait pas réellement de
moyens de coordination ni d'action, l'une et l'autre se confondant dans la
pratique. Des secteurs de compétence cruciaux pour la pratique de
l'environnement lui échappaient. La concurrence d'autres
ministères traditionnels était forte... » (Kessler
1999 : 72)
En conséquence, maintes problématiques sont
gérées en comités interministériels,
constitués de représentants des ministères
concernés, d'experts indépendants mais aussi, dans certains cas,
de représentants des intérêts en jeu. (Chabason et Larrue
1998 : 68) Nous voyons dans ces structures une base à la prise de
décision par conciliation, caractéristique des politiques
environnementales françaises (voir infra).
Les compétences de gestion du ME ce sont
néanmoins étoffées au fil du temps en parallèle
à diverses évolutions au niveau de son administration :
l'augmentation du nombre de Directions centrales, la mise en place de services
déconcentrés aux niveaux régional et départemental
et la tutelle ou cotutelle d'établissements publics.
L'élaboration de législations fondatrices et d'autres instruments
de politiques sectorielles a étayé cette autonomisation.
Mais la voie vers l'indépendance n'a pas
été de tout repos : les compétences du ME ont ainsi
maintes fois virevolté en fonction des découpages
ministériels, eux-mêmes fonction de l'orientation politique du
gouvernement et des pressions extérieures plus ou moins fortes.
3.3. Découpages ministériels et
instabilité
La fonction d'un découpage ministériel est
double : d'ordre pratique par la localisation de l'autorité, la
structuration des circuits de communication et de décision au sein de
l'Etat et le jeu des relations de proximité ou de distanciation au sein
de l'administration ; d'ordre symbolique par la représentation sur
laquelle s'appuiera l'action publique. (Chevallier 1999 : 22) Nous appliquons
cette vision à l'analyse des découpages du ME, dont
témoignent les persistants changements de titres des ministres et
secrétaires d'Etat (voir annexe n° 1).
Les statuts de ministère délégué
auprès du Premier ministre, ministère à part
entière, secrétariat d'Etat ou ministère d'Etat ne
confèrent pas le même pouvoir aux fonctionnaires.
La fonction de coordination intersectorielle justifie le
rattachement du ME, à divers moments de son histoire, aux services du
Premier ministre. (Lascoumes 1999 : 15-16) Ce rattachement nous
semble particulièrement opportun lors de la création du
ME27(*) et lors du
lancement du PNE, soit à des phases d'impulsion où le ministre
nécessite un appui hiérarchique face aux résistances des
autres administrations.
En effet, si « l'institution d'un ministère
autonome paraît être à première vue une garantie
d'émancipation et un moyen d'affirmation (...), en coupant le lien
avec Matignon, elle a pour effet négatif de priver le ministère
d'une capacité d'action transversale sur les autres
ministères ». (Lascoumes 1999 : 39)
Cette capacité d'action interministérielle
réapparaît avec le ministère d'Etat créé en
2007, qui jouit d'une position hiérarchique forte pour lancer les
mesures du Grenelle.
Une autre question d'ordre pratique est celle du rattachement
ou non de l'administration de l'environnement à d'autres domaines
administratifs. Là aussi, les modèles les plus divers ont
été mis en oeuvre, en allant et venant de l'indépendance
à l'union avec des administrations tantôt marginales (Jeunesse et
Sports, Tourisme, Culture), tantôt colossales (Equipement,
Aménagement du Territoire, Transports).
L'expérience du ministère de l'Environnement et
du Cadre de Vie de 1978 à 1981 nous apprend que le rattachement à
un grand ministère (en l'occurrence l'Equipement) peut contribuer
à renforcer l'administration aux niveaux territorial et
budgétaire tout en favorisant l'insertion territoriale et
l'intégration sectorielle de l'environnement. Mais après cette
expérience tronquée, le modèle de ministère
sectoriel s'installe pour une quinzaine d'années, et ceci malgré
l'ouverture dont aurait bénéficié la mise en oeuvre du
PNE. « On sait que l'expérience du ministère de
l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire (1997-2002) n'a pas
fondamentalement réussi à inverser cette évolution ;
les deux champs étant de fait restés plus juxtaposés que
réellement intégrés... » (Theys 2007 :
19-20)
En ce sens, le ministère de l'Écologie, de
l'Energie, du Développement Durable et de l'Aménagement du
Territoire, créé en 2007, offre de larges possibilités
d'arbitrages. Mais cette alliance mènera-t-elle à une convergence
ou à une dilution des intérêts environnementaux face
à ceux, souvent divergents, des autres administrations qui ont
été incorporées à ce
méga-ministère28(*) ? Notons que le choix des alliés
(transport, énergie) est symptomatique de l'importance consentie
à l'enjeu climatique. Ainsi, l'Agriculture demeure séparée
de l'Environnement alors que ce secteur est largement en cause au niveau des
impacts infligés à l'eau et à la
biodiversité.29(*)
L'indépendance ou le rattachement à d'autres
administrations énonce en parallèle la représentation du
champ de l'environnement.
Lavoux décrit le parcours du ministère
« de la protection de la nature à l'émergence
de la qualité de vie » : « Au total,
durant ces dix premières années, la France aura inventé ou
bricolé une conception de l'environnement originale
s'étendant à la qualité de la vie, les paysages,
l'écodéveloppement, les nuisances urbaines et qui, ainsi, se
distingue du modèle classique de politique sectorielle. »
(1999 : 90)
Le thème plutôt social de qualité de
vie perdure de 1974 à 1983, phase de ralentissement du taux de
croissance économique (suivant les chocs pétroliers) et
d'aboutissement de la période d'urbanisation intensive30(*) de la France. Le thème
de prévention des risques technologiques et naturels majeurs
s'installe de 1984 à 1990, période d'accidents et d'enjeux
mondiaux fortement médiatisés (voir supra). Par contraste, le
thème moins accessible de développement durable31(*) n'intègre
l'intitulé du ME qu'à partir de 2002 - et toujours
accompagné de la mention à la mode d'écologie.
L'instabilité de l'administration de l'environnement au
sein du gouvernement symbolise la recherche d'une juste place à une
thématique hétérogène. Si elle lui confère
une certaine richesse par le contact avec diverses administrations, elle
nécessite également un effort d'adaptation continu et
ralentissant. Ainsi, plusieurs experts se sont exprimés sur ce point
lors d'une journée d'étude sur « l'expérience du
ministère de l'Environnement et du Cadre de Vie » :
« Les ministères protéiformes changent avec chaque
gouvernement, ce qui est très mauvais pour l'efficacité de
l'appareil institutionnel et pour l'image de la France. »
(Comité d'histoire du ministère 2007 : 39, 82)
Les changements symboliques de la structure
ministérielle évoquent en ce sens le « tout changer
pour que rien ne change » de certains jeux successifs de substitution
d'instruments. (Lascoumes et Le Galès 2004 : 364)
3.4. Evolution du budget32(*)
L'ancrage du ME au sein du gouvernement s'accompagne de la
croissance de son budget, comme en témoigne le graphique 2.
Cependant, « L'évolution du budget du
ministère chargé de l'Environnement au fil du temps
reflète (...) aussi les divers transferts institutionnels de
compétences entre les ministères et l'intégration dans le
budget du ministère d'une partie des dépenses concernant les
établissements publics. » (Ifen 2006 : 464) Ceci est
particulièrement reflété par l'apparente augmentation de
100 % en 1999, due en réalité à l'inclusion de la
budgétisation de l'ADEME. De même, afin de ne pas fausser l'image
de l'évolution, nous avons exclu du graphique les 10 milliards d'euros
du budget 2008 comprenant les larges dotations d'administrations
précédemment séparées de l'Environnement.
Graphique 2
Source des données : divers rapports
émanant du ME.
Les évaluations des vingt-cinq premières
années d'administration et de politiques environnementales en France
s'accordent pour constater l'inconséquence des moyens budgétaires
:
« Dès le programme des cent mesures
en 1970, les limitations budgétaires ont pesé de façon
considérable sur l'action environnementale. Déjà il
fallait innover à moyens constants, c'est-à-dire sans
engager de nouvelles dépenses publiques. Le même principe a
prévalu en 1991 dans la mesure où la création des DIREN a
été davantage accompagnée de redéploiements
budgétaires que d'investissements nouveaux. » (Lascoumes
1999 : 18)
Or, si le manque de moyens financiers
spécifiques33(*) du
ME peut être justifié à ses débuts par sa mission de
coordination, cet argument ne tient plus la route au début des
années 90 lors de sa consolidation. Par comparaison, après les
années de crise économique, « le budget affecté
à l'environnement a continué à subir des mesures de
régulation au moment où l'investissement redémarrait
sensiblement dans les pays voisins (milieu des années 80) ».
(Theys 1998 : 26)
La courbe du graphique indique que le budget du ME a connu une
croissance plus importante à partir des années 2000. Mais en
2006, avec un budget équivalant à 0,4 % du budget civil de
l'Etat, le ME est placé en avant-dernière position de
l'échelon gouvernemental.
3.5. Evolution des ressources humaines
Une évolution similaire à celle du budget peut
être constatée au niveau des effectifs du ME : de 257 agents
(+ 388 mis à disposition par les autres ministères) en 1971
à 3600 en 2004. Mais la croissance en ressources humaines s'est
opérée sans aboutir à la formation d'un corps
homogène de fonctionnaires.
Marie-Christine Kessler analyse les causes de ce manquement.
On retrouve un enchaînement lié à
l'hétérogénéité de la thématique
environnementale et à la fonction première d'administration de
mission. En effet, à sa création, le ME hérite des
ressources humaines de la DGPN et de fonctionnaires ayant travaillé au
niveau de l'environnement au sein de la DATAR et d'autres administrations. Or,
« L'hétérogénéité de personnels
est peu propice à l'éclosion d'une culture propre,
à caractère environnementaliste, c'est-à-dire
proche de la nature, de l'écologie, respectant les finalités du
bien public, de la santé, de l'équilibre naturel plus
que celles des professions impliquées. » (1999 : 73)
De nombreux auteurs, souvent d'anciens fonctionnaires,
soulignent les incidences de la gestion du ME par les grands corps techniques
traditionnels - c'est-à-dire par les ingénieurs des Mines,
les ingénieurs des Ponts et Chaussées et les ingénieurs du
Génie Rural des Eaux et des Forêts (GREF). En effet,
« Chaque partenaire important [les ministères
sectoriels qui détiennent des compétences en rapport avec
l'environnement] du ME dispose de son homologue corporatif au sein du ME (sauf
le ministère de la Santé Publique). » (Chabasaon et
Larrue 1998 : 69) :
· Incidences au niveau des études
d'impact :
« L'élaboration des documents d'urbanisme a
d'abord été confiée à la tutelle des architectes
puis à celle du Corps des Ponts et Chaussées. Ni les uns, ni les
autres n'ont, par leurs formations, une sensibilité particulière
à l'environnement. » (Falque 1998 : 40)
· Incidences au niveau de la politique agricole :
« Les ingénieurs du GREF étaient un
peu préparés aux problèmes d'environnement et aux
problèmes biologiques, mais étaient quand même
influencés par le système intensif plutôt qu'extensif. Par
conséquent, ils avaient eux aussi du mal à concilier les
exigences d'environnement avec les exigences de l'agriculture. »
(Chambolle 1994-95 : 8)
Chambolle fait également ressortir les incidences de la
gestion par le corps des Mines sur la politique de l'air. Nous intégrons
son témoignage dans le chapitre sur les instruments car il résume
les mutations de cette politique au cours des quarante dernières
années.
Si la structure du ME a propulsé l'emprise des
technocrates sur les politiques environnementales, nous soutenons
qu'inversement, les grands corps pèsent comme des lobbies sur
l'échafaudage gouvernemental. Ainsi, lors de l'allocution de
clôture d'une journée d'études stratégique34(*), le vice-président du
conseil général des Ponts et Chaussées, Claude Martinand,
promeut la construction d'un ministère associant environnement,
aménagement du territoire, énergie et transports (Comité
d'histoire du ministère 2007 : 84) - soit précisément
la structure pour laquelle opte le gouvernement de Nicolas Sarkozy en juin
2007 ! Lorsque l'environnement est porteur d'enjeux importants, notamment
économiques avec les politiques de lutte contre le changement
climatique, il est opportun d'y être institutionnellement associé.
Si le secteur associatif a certes insufflé une phase d'impulsion (voir
supra), force est de constater que les technocrates en dirigent l'orientation.
En effet, par comparaison, le Pacte écologique
de Nicolas Hulot écarte la voie d'un grand ministère du
Développement Durable regroupant l'environnement, l'aménagement
du territoire, l'équipement et les transports.
« L'environnement doit rester l'objet d'un ministère
spécifique avec ses missions traditionnelles (gestion des espaces et des
ressources naturelles, protection de la faune et de la flore, risques majeurs,
pollutions et nuisances). (...) il faut que la mer et la pêche,
l'aménagement rural, les rivières et les eaux souterraines, les
forêts lui soient également confiées. » (Hulot
2007 : 199-208) On voit quel cas il sera fait de ces recommandations. De
plus, l'eau et la mer, dont la gestion économique est entre les mains de
lobbies à profil environnemental bas, seront deux thématiques
occultées par le Grenelle (voir infra).
II - Evolution des problématiques
environnementales
Une approche par les problématiques est une approche
globalisante. En effet, placer le problème au centre de l'analyse en
fait ressortir les principaux points d'ancrage : la perception, ou
manière de concevoir le problème ; les sources d'impact, ou
causes du problème ; le progrès technologique, ou solution
au problème.
Une lecture des grands rapports internationaux (AEE 2005, OCDE
1997, PNUE 2002 et 2007) offre une vision mondiale des changements, sur
laquelle nous nous sommes basés pour vérifier la
spécificité de la situation française au travers des
rapports sur l'état de l'environnement national (ME, OCDE, Ifen).
Certains points ont nécessité l'usage intensif d'ouvrages
spécifiques, auquel cas ils seront précisés.
1. Mutations de la perception des
problématiques
L'évolution des politiques environnementales en France
s'intègre dans un schéma plus large, européen et mondial,
de mutations de la perception des problématiques. Notre analyse au
niveau mondial (voir annexe n° 4) montre que les grands sommets des
Nations Unies (Stockholm en 1972, Rio en 1992 et Johannesbourg en 2002)
propulsent et accompagnent ces changements. Nous synthétisons les
principaux paradigmes en mouvement dans le tableau 2, ci-dessous, et
déclinons les différents niveaux de perception ci-après.
Les constatations aux niveaux des pressions et des réponses sont
approfondies au fil de ce chapitre, sauf les instruments auxquels nous
consacrons le chapitre 3.
Notons que dans ce cadre, l'analyse du second niveau du
schéma Pressions - Etat - Réponses (schéma PER de
l'OCDE) (voir supra) ne nous semble pas approprié, en effet,
« Les conséquences des actes destructeurs sont la plupart du
temps peu perceptibles ou apparaissent longtemps après. (...) Le milieu
du XXe siècle s'est illustré par la folie des grandeurs des
planificateurs et les bombes nucléaires dans l'atmosphère.
Pourtant, ni les mouvements ni la conscience écologiques n'ont vu le
jour à cette époque. Il y a déconnexion historique entre
les deux phénomènes. » (Bozonnet 2003)
Tableau 2
MUTATIONS DE LA PERCEPTION des problÉmATIQUEs
environnementALES
|
NIVEAUX DE PERCEPTION
|
Décennie 70 - début 80
|
Fin 80 - décennie 2000
|
ENJEUX
|
Dimension philosophique
|
institutionnalisation
|
mondialisation
|
Niveaux géographiques
|
local à régional
|
mondial
|
Thématiques
|
compartiments biophysiques :
flore et faune, air, eau, ...
pluies acides
|
couche d'ozone
changement climatique
biodiversité
OGM
|
VALEURS
|
Rapport social
|
conflictuel
|
consensuel
|
Appropriation
|
minoritaire
|
majoritaire
|
Cohérence du discours
|
forte
|
faible
|
PRESSIONS
|
Responsabilité
|
production
|
consommation
|
Sources
|
ponctuelles
fixes
|
diffuses
mobiles
|
RÉPONSES
|
Rapport entre économie et
environnement
|
environnement > < économie
Club de Rome (1972) :
Halte à la croissance ?
|
intégration
(développement durable)
CMED (1987) :
Notre avenir à tous
|
Technologie
|
recherche
processus
|
recherche et application
produits
|
Instruments
|
législatifs et réglementaires
économiques et fiscaux
|
législatifs et réglementaires
économiques et fiscaux conventionnels et incitatifs
informatifs et communicationnels
normes et standards
méta-instruments de coordination
|
1.1. Les enjeux
Notion hétérogène et complexe,
l'environnement englobe différentes thématiques et approches
selon les époques et les acteurs qui se l'approprient. Nous proposons
une lecture en deux temps de la construction de la dimension
philosophique : l'institutionnalisation du domaine de l'environnement, qui
prend place au cours des années 70 et début 80, suivi du
processus de mondialisation des enjeux à partir de la fin des
années 80 (voir infra).
Nous traiterons le processus d'institutionnalisation en
présentant les prémices et l'émergence du concept
d'environnement ainsi que les divergences de points de vue au tournant des
années 70. L'ouvrage de Florian Charvolin (2003), L'invention de
l'environnement en France, nous guidera dans cette étude. Nous
présenterons ensuite les mutations des enjeux résultant du
processus d'institutionnalisation au travers de l'analyse d'un rapport
prospectif de 1970, Pour une politique de l'environnement (Cousin et
Garnier).
Comme transition au processus de mondialisation des enjeux,
nous analyserons en profondeur la mutation perceptuelle de deux
thématiques en l'espace de quarante ans : la croissance
démographique et le changement climatique, inéluctablement
lié au thème du nucléaire en France. Nous comparerons les
positions de Jean Dorst, l'un des premiers scientifiques à adresser ce
type de problématiques, à celles recensées dans plusieurs
rapports administratifs au fil du temps.
Nous décrirons enfin le processus de mondialisation des
enjeux au travers du parallèle entre les niveaux géographiques et
les thématiques.
1.1.1. Institutionnalisation des enjeux
Une première tentative d'assemblage des connaissances
hétérogènes en matière de pollution démarre
en 1964 sous la direction de Jean-Antoine Ternisien. Commandé par la
Direction Générale de la Recherche Scientifique et Technique
(DGRST), Les pollutions et nuisances d'origine industrielle et urbaine
(deux tomes : 1966 et 1967) ne se penche que sur quatre compartiments
au niveau local : l'air, l'eau, l'hygiène alimentaire et le bruit.
Le rapport de Ternisien reflète une approche anthropocentrique - il
qualifie les compartiments de « milieux inhalés,
ingérés et acoustiques » - et « une
philosophie industrialiste du progrès ».
« Politiquement, l'option industrialiste va rapidement être
concurrencée par une dénonciation du technocratisme par certains
milieux naturalistes puis écologistes ». (Charvolin 2003)
C'est véritablement au tournant des années '70
que la notion d'environnement émerge et se stabilise :
« Globalement, une homogénéité de contenu se
dégage des ouvrages de synthèse de cette période. On
dispose des mêmes thèmes dans 2000 que dans les ouvrages
d'Edouard Bonnefous, de Jean Dorst ou de Philippe Saint-Marc. » Mais si
les thèmes nature et environnement disposent à
peu près des mêmes compartiments, « des systèmes
s'affrontent sur des positions morales différentes dont
témoignent les engagements politiques d'une partie des auteurs des
ouvrages cités. » (Charvolin 2003) Aujourd'hui, le terme
écologie, plus usité que celui d'environnement
en France, sert de trait d'union entre ces affrontements idéologiques.
Si la notion globale d'environnement n'a pas fondamentalement
changé depuis sa stabilisation au tournant des années 70,
certaines de ses composantes se sont effacées et d'autres ont
gagné du terrain. De manière schématique,
différencions comme Serge Antoine la dimension philosophique de
l'environnement et le cadre de la gestion de l'environnement. (Antoine
1992 : 26) L'évolution des compétences du ME nous apprend
que le cadre de la gestion, largement marqué par la politique, demeure
instable (voir supra). Nous tenterons ci-dessous de présenter
l'évolution de la dimension philosophique de l'environnement, telle que
se l'est appropriée le domaine politico-administratif. Pour ce faire,
nous proposons d'analyser le rapport Pour une politique de
l'environnement, réalisé en préparation d'un
Livre Blanc sur l'environnement et publié dans 2000,
la revue de l'aménagement du territoire. (Cousin et Garnier 1970 :
10-26) Précisons que notre démarche n'est pas exhaustive mais
globalisante.
La première impression que laisse la lecture du rapport
Pour une politique de l'environnement est celle de la lucidité
des auteurs, à la fois au niveau des problèmes soulevés,
de l'exercice de prospective sur 20 ou 30 ans (pronostiques
démographiques mis à part) et des solutions avancées. Nous
rapportons l'exemple le plus frappant, où l'on retrouve les trois bases
du développement durable : « Mettre en oeuvre une
politique de l'environnement, c'est faire en sorte que le progrès
économique continue d'engendrer le progrès social et que la
croissance économique ne soit pas un leurre. » (Cousin et
Garnier 1970 : 26) Cette conscience reflète l'effervescence
intellectuelle autour de la question de l'environnement, qui caractérise
le tournant des années 70.
La seconde impression est celle d'une dimension
environnementale bien plus large qu'aujourd'hui, si l'on exclut les enjeux
mondiaux émergeant vers la fin des années 80 (voir infra). On
retrouve les compartiments de base (sols, eaux, air, espèces et
habitats, déchets, bruit) et les secteurs classiques (tourisme,
transports ou « encombrements », santé ou
« effets pathogènes », mais aussi agriculture au
travers de la pollution par les engrais et les pesticides ainsi que de la
nécessité de planter des haies !). Au-delà, on est
surpris de constater l'inclusion du « paysage urbain »,
notamment au travers de la matière architecturale des « formes
et couleurs », du thème aujourd'hui éminemment
social de la « reconquête des banlieues » et du
concept philosophique de « milieu psychique ». Sur ce
point, nous rapportons une citation extraordinaire qui semblerait mieux
s'insérer dans Le meilleur des mondes de Aldous Huxley que
dans un rapport administratif :
« Monde de l'asphalte et du béton, la ville
est à l'homme, qui s'en échappe de plus en plus difficilement,
une prison. Enfermé dans les murs, celui-ci ne perçoit plus le
rythme des saisons, à peine l'alternance du jour et de la
nuit. L'espace dévolu à chacun, dans les habitations, les
lieux de travail et les transports, ne suffit plus à cette
liberté de mouvement et d'allure au travers de laquelle s'expriment
physiquement l'autonomie et la personnalité. » (Cousin et Garnier
1970 : 14)
La largesse de la perception de la dimension environnementale
peut être connectée à l'influence des fonctionnaires de la
DATAR sur l'émergence du concept en France (voir supra). Le rapport
prétend clairement que « l'aménagement du territoire
est inséparable, pour l'Etat, d'une politique de
l'environnement ». Cette influence se ressent au niveau des solutions
préconisées : la planification au travers de
« l'étude des vocations » des espaces, des
« densités » de population, la
« maîtrise des techniques » (notamment : les
techniques de pêche pour éviter de détruire les fonds
marins !), mais aussi les instruments réglementaires et incitatifs
(« nouvelle affectation de certaines subventions »,
« octroi de conditions d'emprunt
préférentielles »).
Si administrer l'ensemble de ces facteurs sociétaux
exigerait, soit une gestion interministérielle optimale (solution
envisagée en 1970), soit un ME encore plus étendu que celui
créé en 2007 (voir supra), la réalité politique
conduit à une nette réduction des ambitions affichées par
ce rapport. L'analyse par Charvolin de la construction du Programme des
cent mesures pour l'environnement - introduit en mai 1970, à
quelques jours d'intervalle du rapport prospectif, et approuvé en juin -
met en lumière l'invention du domaine institutionnel de l'environnement
au travers du « recyclage » des politiques publiques et des
jeux de pouvoirs institutionnels (voir annexe n° 5). En ce sens, l'outil
pratique que représente le programme domine l'outil intellectuel que
représente la prospective. Mais de manière plus étendue au
cours des années 70 et début 80, le domaine de l'environnement
subit une refonte de son contenu au travers de l'évolution des
compétences administratives du ME (voir supra).
En définitive, la conceptualisation
façonnée par l'Etat s'opère à différents
rythmes et selon différents modes d'institutionnalisation.
« Cette façon, toute administrative, de
sommer des composantes dans une totalité, est également au
principe même de l'acception actuelle de sens commun de l'environnement.
L'environnement se définit comme un domaine abstrait, à la
manière dont la puissance publique met en forme ses champs
d'intervention, ce qui tend à confirmer l'hypothèse selon
laquelle il désigne essentiellement la Nature saisie par
l'État. » (Charvolin 2005)
1.1.2. Thématiques en mutation
1.1.2.1. Croissance démographique : une
thématique en décroissance
Il est essentiel de replacer l'enjeu que représente la
croissance démographique dans les contextes respectifs de chaque
époque. En quarante ans, la diminution de la fécondité et
l'augmentation de l'espérance de vie ont entraîné une
baisse du taux de croissance ainsi que des changements dans la structure
d'âge de la population. La France, comme la plupart des pays
industrialisés, est ainsi passée du baby-boom au papy-boom.
Dans Avant que nature ne meure, le biologiste Jean
Dorst estime que « le problème de la surpopulation est le plus
angoissant de tous ceux auxquels nous avons à faire face dans les temps
modernes ». (1964 : 169) Ces préoccupations malthusiennes
se retrouvent au niveau international, notamment dans La bombe
P de l'entomologiste américain Paul R. Ehrlich (1968), et dans
Halte à la croissance ? du Club de Rome (1972). Les
prévisions alarmistes ne s'étant pas confirmées, les
grandes organisations internationales s'accordent de nos jours pour nuancer les
effets sur l'environnement de la croissance démographique et à
souligner ceux de la consommation.
Au niveau gouvernemental, le rapport Pour une politique de
l'environnement de 1970 pronostique également une évolution
démographique qui dépasse largement le constat actuel (59
millions de Français en l'an 2000, en comparaison à la
prévision de 65 à 75 millions). Le rapport souligne les
répercussions de l'entassement (terme plus
aménagiste) sur l'augmentation des impacts provenant des
loisirs et du tourisme. (Cousin et Garnier 1970 : 11-12) Le dernier
rapport de l'Ifen sur l'Environnement en France aborde
également conjointement les thèmes de la démographie et du
tourisme mais sous un autre angle, à savoir celui du vieillissement de
la population et « le double tropisme du rivage et du
soleil » qui en résulte. (2006 : 28-29)
1.1.2.2. Changement climatique et
nucléaire : des thématiques en valorisation
De nouveau, précisons le contexte en regard des
émissions de CO2, lié à la particularité
de la situation énergétique française. Suite
essentiellement au développement massif de l'énergie
nucléaire dans les années 80 (graphique 3), la France est
parvenue à stabiliser ses émissions de C02 au niveau de 1985
(annexe n° 6 a).
Si Dorst aborde la question du changement climatique35(*), il ne la place pas parmi
« les grands dangers qui menacent l'homme et la nature dans le monde
moderne ». Notons au passage qu'il aborde également la
question de la destruction de la couche d'ozone. Nous restituons un passage
qui, sans le nommer, invoque le principe de précaution :
« Nous n'avons aucune certitude scientifique à leur [les
perturbations de l'atmosphère] sujet ; mais nous n'avons pas le
droit de courir ce risque avant d'avoir procédé à de
méticuleuses vérifications précédant la mise en
oeuvre de processus aussi potentiellement destructeurs. » (Dorst
1964 : 352) Notons que le principe de précaution, de même que
les autres grands principes (action préventive, pollueur-payeur,
participation) ne sont réglementés qu'en 1995, au travers de la
loi Barnier.
Le rapport Pour une politique de l'environnement
n'évoque pas le changement climatique, mais nous avons par contre
trouvé mention du sujet dans l'Evaluation de l'environnement ;
rapport provisoire du Groupe interministériel d'évaluation de
l'environnement (GIEE) de 1973. Il en ressort principalement des
interrogations, notamment concernant les risques liés au greenhouse
effect - le fait qu'effet de serre soit écrit en anglais
dans le texte en dit long. A l'inverse de Dorst, le GIEE voit dans
l'incertitude scientifique un laissez-passer à la poursuite du
développement énergétique. De plus, on avance
déjà l'argument de la substitution des combustibles fossiles par
le nucléaire. En résulterait « une moindre croissance,
voire une diminution absolue [(sic !)] des rejets de
SOx, NOx, poussières, hydrocarbones... »
Quant aux préoccupations face à la pollution radioactive, le GIEE
avance les progrès escomptés de la technologie nucléaire.
(GIEE 1973 : 250-251) On sent là les travers de la gestion
interministérielle, quoique le soutien majoritaire de la population au
nucléaire (armement et énergie) disculpe partiellement le
GIEE.
Graphique 3
(1) Y compris le pompage. Par convention, les productions
éolienne et photovoltaïque sont ajoutées à la
production hydraulique.
(p) Données provisoires.
Source des données : Insee, Tableaux de
l'Économie Française - Édition 2007.
En effet, « le nucléaire est mis en avant
depuis de nombreuses années, notamment pour accroître
l'indépendance énergétique du pays, pourtant
dépourvu de ressources d'énergies fossiles. Ainsi, le taux
d'indépendance énergétique de la France est passé
de 26% en 1973 à 50% aujourd'hui, et sans le nucléaire, cette
indépendance serait de 7%. » (EurActiv 07/02/08) Alors que
vers la fin des années 70, le mouvement écologiste se rassemble
autour de la lutte antinucléaire, c'est véritablement
après l'accident de Tchernobyl (1986) et l'occultation par les pouvoirs
publics français des risques encourus au niveau national que l'opinion
publique se crispe face à l'enjeu du nucléaire - au-delà
de contestations localisées de type NIMBY (centrales et déchets).
EDF change alors de stratégie et entame une communication plus
transparente qui apaise les esprits et réamorce un soutien majoritaire
pour le nucléaire au début des années 90. (Bess
2003 : 107-109) Les pouvoirs publics mettent alors à profit les
négociations autour de la CCNUCC pour positiver l'image de
l'énergie nucléaire. D'un mal nécessaire, le
nucléaire devient un allié de la lutte contre le changement
climatique36(*), voir
même de la croissance. « Non seulement le nucléaire est
déclaré propre mais il permet d'économiser, voire de
revendre des droits à polluer. L'enjeu, au travers de ce verdissement,
est de faire du nucléaire un élément banalisé de la
politique énergétique. Peut-être même un peu
plus : le nucléaire étant déclaré non polluant
au regard des GES, il a toute sa place dans le cadre du développement
durable. » (Rymarski 2003) Le nucléaire devient
également un alibi pour maintenir la part d'énergie
nucléaire produite et accessoirement réduire les dépenses
en matière d'énergie renouvelable. Ainsi, dans le cadre de la
présidence de l'UE de juillet à décembre 2008, le
gouvernement français se mobilise pour que les objectifs assignés
à chaque Etat membre en matière d'énergie renouvelable
intègrent le bilan non carboné. Or le bilan de la France
est particulièrement bon en raison de l'origine de la production
d'énergie nucléaire. (Représentation Permanente de la
France auprès de l'UE, 05/02/08) Par contre, en matière de
politique environnementale nationale, le Grenelle néglige magistralement
le thème du nucléaire, sur lequel Sarkozy n'a aucune intention de
négocier.
Le lien entre transports et émissions de CO2
est en revanche moins volontiers souligné. Il ne l'est pas dans le
rapport du GIEE de 1973, et il ne l'est toujours pas dans l'Etat de
l'environnement de 1990. Ainsi, le tableau sur les « effets des
principaux modes de transports sur l'environnement » ne mentionne
nullement les émissions des CO2 ou le changement climatique.
Si deux pages sont pourtant consacrées au réchauffement de
l'atmosphère, les réponses nécessaires au niveau
sectoriel ne sont pas incorporées. (ME 1991 : 47, 162-163)
Au niveau des émissions de CO2, cette
différence de politique sectorielle conduit à une multiplication
par 5 de la part de responsabilité des transports routiers entre 1960 et
2005, tandis que la part du secteur de la transformation d'énergie
diminue de 22 à 13 % (voir annexe n° 6 b).
De manière générale, Knoepfel note la
quasi-absence de politique publique pour réduire les sources mobiles
d'émissions dans l'air, à contrario des sources fixes.
(1998 : 167) Dix ans plus tard, le Grenelle prétend verdir les
transports (voir infra) pour répondre au défi climatique qui est
placé au premier plan des préoccupations environnementales. Nous
verrons que cette évolution fait également partie d'une mutation
globale de la perception des pressions et des réponses.
En conclusion à l'évolution de la
thématique du changement climatique, nous rapportons la remarque de
Lascoumes : « Ce qui apparaissait comme l'utopie catastrophiste
de quelques écologistes à la fin des années 1960 s'est
ainsi transformée dans un temps record (moins de trente ans) en une
menace de mieux en mieux objectivisée et qui suscite une mobilisation
internationale sans précédent. » (2007 : 48)
1.1.3. La mondialisation des enjeux
Au début des années 70, les
préoccupations se focalisent sur des problèmes ponctuels de
conservation et de pollution, au niveau essentiellement local, voir
régional avec les pluies acides. A la fin des années 80, le trou
dans la couche d'ozone représente le premier problème
environnemental à susciter l'action de la communauté
internationale. Au début des années 90, des problèmes de
plus en plus complexes prennent le devant de la scène : le
changement climatique, la biodiversité, les OGM.
Caractérisées par la globalité, l'incertitude
scientifique, la variété et la multiplication des sources de
pression, ces thématiques nécessitent une gestion plus
élaborée.
Ainsi, le PNUE note le contraste entre la rapidité de
la réaction de la communauté internationale face au
problème des émissions portant atteinte à la couche
d'ozone (application du principe de précaution), et le manque d'urgence
dans la réponse face au changement climatique.
« Les négociations sur le protocole de
Montréal tombèrent à point nommé. Pendant les
années 1980, le public était devenu de plus en plus
préoccupé par l'état de l'environnement naturel, et les
illustrations spectaculaires du trou de l'ozone au-dessus de l'Antarctique
avaient démontré les effets des activités humaines. Le
nombre d'acteurs clés impliqués dans les négociations
étant petit, un accord put être obtenu plus facilement. D'autre
part, un rôle clair de leader fut exercé, d'abord par les
États-Unis, puis par l'Union européenne. (...) Après la
CCNUCC en 1992, le protocole de Kyoto s'est déroulé à un
moment moins opportun puisqu'il coïncidait avec un affaiblissement de
l'intérêt public et politique pour les questions environnementales
mondiales, au milieu des années 1990. Les principales parties prenantes
étaient nombreuses et une opposition puissante dans certains secteurs
rendit l'entente difficile. » (PNUE 2007 : 74)
En France, l'évolution parallèle des niveaux
géographique et thématique ainsi que la complexification des
enjeux peut être illustrée par les exemples des émissions
polluantes dans l'air et de la protection de la nature.
Peter Knoepfel (1998) délimite la lutte
française contre la pollution atmosphérique de la
façon suivante :
· première génération : les
poussières et les fumées noires (années 60 et début
80)
· deuxième génération : le
dioxyde de souffre (années 70 et 80)
· troisième génération :
l'oxyde d'azote (années 80 et 90)
(Knoepfel 1998 :168)
Nous pourrions compléter ainsi cette
classification :
· quatrième génération : les
particules et l'ozone (années 90 et 2000)
· cinquième génération : le
dioxyde de carbone (années 90, 2000 et au-delà)
Nous retrouvons les mutations géographiques et
thématiques des enjeux, de plus en plus difficiles à
gérer : d'exclusivement locaux (fumées noires) à
régionaux (pluies acides) et enfin mondiaux (changement climatique).
De la conservation locale de la faune et des paysages, on est
passé au concept régional de maillage ou de réseau
d'écosystèmes à celui, mondial, de biodiversité
(néologisme qui date d'ailleurs seulement des années 80). (OCDE
1997 : 136) Or, rétrospectivement, nous devons constater que
malgré une conservation réussie des espaces37(*), la perte de la
biodiversité se poursuit plus rapidement que dans le passé. Outre
la complexité de l'enjeu, les pressions de la croissance et de
l'urbanisation ainsi que le manque d'intérêt économique
pour adopter des politiques fortes expliquent entre autres ce paradoxe. Nous
souhaitons souligner un problème majeur : l'opinion publique ne
s'approprie plus la thématique.
Au travers des Eurobaromètres spéciaux
relatifs à des enquêtes en 1982 (premier en date disponible sur
internet), 1988 et 2007, nous avons tenté de définir les
fluctuations de la préoccupation de l'opinion publique française
pour la disparition des espèces au cours des 30 dernières
années. Malheureusement, les données ne sont pas comparables car
la question en 2007 est très différente de celle
posée en 1982 et 1988. On peut malgré tout définir deux
tendances : une hausse de la préoccupation en 1988, suivie d'une
baisse de la préoccupation en 2007. Nous relions la hausse de la fin des
années 80 à une forte médiatisation d'espèces
charismatiques menacées de disparition et de problèmes tels que
la déforestation ou la pollution des mers et des océans. Quant
à la baisse de la fin des années 2000, nous l'attachons notamment
au changement sémantique qui relègue la thématique au
domaine exclusif des scientifiques et d'une minorité
d'érudits.
Nous observons ainsi une évolution inverse au niveau de
l'appropriation sémantique des concepts de nature et d'environnement.
Tandis que les composantes de la nature se complexifient avec l'invention de la
biodiversité, l'environnement se popularise avec son
institutionnalisation.
1.2. Les valeurs
Nous puisons notre inspiration sur la perception des valeurs
environnementales de l'article de Bozonnet sur le « Verdissement de
l'opinion publique ». Selon l'auteur, l'appropriation de
l'écologisme dans les pays occidentaux se traduit par une
« part majoritaire de la population qui accepte du bout des
lèvres un environnementalisme minimal : les valeurs
écologistes, enjeu consensuel et non plus conflictuel, recueillent
désormais l'accord général. Ecologisme élargi mais
aussi affadi, sans conséquence sur l'action, adopté du seul fait
de la pression sociale et vécu par procuration. » (Bozonnet
2003)
Si nous adhérons à l'analyse globale de
l'auteur, nous proposons de nuancer le point de vue sur le manque d'application
de l'écologisme. Il nous semble que de nos jours, le problème se
pose moins en termes d'action que de consommation. Fournissons l'exemple
particulièrement représentatif des déchets, extrait de
l'étude de l'Insee sur les Pratiques environnementales des
ménages : « Majoritairement soucieux de la gestion des
déchets lorsqu'ils sont produits, les ménages semblent en
revanche moins concernés par leur réduction à la source :
17 % seulement déclarent faire attention lors de leurs achats
à la quantité de déchets qu'ils
génèreront. » (Insee 2007)
Annulant globalement les effets des améliorations
pratiques, les pressions suscitées par une consommation croissante
engendrent une incohérence du discours majoritaire. En comparaison,
durant les décennies 70 et 80 la responsabilité environnementale
pèse moins sur le consommateur que sur l'unité de production.
Cette mutation multidimensionnelle se traduit dans le tableau 2 par le rapport
inverse entre appropriation des valeurs et cohérence du discours.
Au-delà des causalités liées aux
pressions des activités humaines, penchons nous sur les
causalités liées aux réponses pour élucider le
paradoxe relevé ci-dessus.
Une brève observation du tableau 2 permet
d'établir une correspondance entre le rapport social et le rapport
économique à l'environnement. Aux deux niveaux d'analyse, les
conflits deviennent consensus par le biais de l'intégration -
sociale au travers de l'appropriation majoritaire des valeurs ;
économique au travers de la théorisation du développement
durable.38(*) Ces
mutations calquent deux tendances antagonistes qui révèlent la
complexité du processus d'appropriation des valeurs
environnementales :
· Vers la fin des années 60, la
disponibilité croissante des besoins de base provoque une transition de
valeurs matérielles vers des valeurs
post-matérielles (théorie de Ronald Inglehart, voir
supra). Avec le recul, il nous semble que cette mutation du système des
valeurs est le principal intérêt de l'effervescence des
années 70. Ainsi, malgré les fluctuations liées aux
aléas conjoncturels, l'écologisme s'est maintenu
jusqu'aujourd'hui, et d'aucuns parlent du 21ème siècle comme le
siècle de l'écologie.
· En parallèle, la consolidation de la
société de consommation a orienté le système de
valeurs vers une approbation de la jouissance matérielle, dont nous
verrons les débordements au chapitre 2.
Le rapport de force entre ces mouvements contradictoires a
mené à une assimilation superficielle des valeurs
environnementales - notamment liée à une piètre
intégration de l'environnement dans l'éducation. Dans ce
contexte, l'ambition affichée par le Président Pompidou en 1970
de « créer et répandre une sorte de morale de
l'environnement »39(*) n'a été qu'à
moitié accomplie.
1.3. Les pressions
Les rapports des grandes organisations internationales (AEE
2005, OCDE 1997, PNUE 2002 et 2007) soulignent les basculements
nécessaires pour parvenir à construire le développement
durable.
Au niveau des pressions, une gestion prioritairement
axée sur les problèmes les plus flagrants a conduit à une
réduction de la part de pollution provenant de ces sources, tout en
révélant la part de pollution provenant de problèmes moins
visibles. Cette évolution se traduit par la mutation perceptuelle des
urgences à gérer. Ainsi, pour la pollution de l'air on passe des
sources fixes (industrie et énergie) aux sources mobiles (transports).
Pour la pollution de l'eau, on passe des sources ponctuelles (industrie et
collectivités locales) aux sources diffuses (agriculture). Or, les
nouvelles préoccupations paraissent plus complexes à
gérer : les sources mobiles en raison de leur multiplicité
et de leur lien direct avec les consommateurs ; les sources diffuses en
raison du renversement perceptuel à opérer, de l'agriculture
productiviste à l'agriculture raisonnée, voir durable (voir
infra).
D'un point de vue plus global, la responsabilité passe
des producteurs aux consommateurs en raison de l'évolution inverse de
leurs pressions respectives sur l'environnement (voir infra). Cela
débute au début des années 90 avec l'initiation au
recyclage des déchets ménagers, et se poursuit de nos jours avec
la sensibilisation des citoyens aux gestes pour économiser
l'énergie.
Notons que dans l'esprit de Mai 68, la société
de consommation est remise en cause pour l'aliénation qu'elle impose
à l'individu, et non pour l'impact qu'elle induit à la
planète. On peut cependant y voir le terreau de la critique
écologiste. (Bess 2003 : 79-80)
En avance sur son temps, la déclaration de
Cocoyac40(*)
préconise en 1974 la nécessité « de nouveaux
modes de vie, et notamment, parmi les riches, de modes plus modestes de
consommation ». En plus de la dimension matérielle, les
organisations internationales se penchent de nos jours sur la dimension
philosophique du problème. Ainsi, le PNUE constate que la consommation
de ressources est la cause principale de dégradation de l'environnement.
Pour y remédier, il faudrait « par un changement de valeurs,
que l'on renonce à privilégier la consommation matérielle.
Sans un tel changement, les politiques de l'environnement ne donneront que des
améliorations minimes. » (PNUE 2002 : XXIX) Ayant
commenté la dimension philosophique au point 1.2, penchons-nous un
instant sur la dimension matérielle.
Si la tertiarisation des économies des pays
industrialisés permettrait certes de réduire la note d'une
dématérialisation de la consommation, il n'en est pas de
même pour les pays en voie de développement qui ont
repris une part substantielle de nos efforts de production et dont les
économies dépendent largement de la consommation mondiale de
biens matériels. Face à ce constat, on imagine difficilement
comment dématérialiser la consommation sans remettre en question
le soubassement économique de la société, à moins
d'attendre que les PVD aient connu une évolution similaire à la
notre - ce qui ne serait pas viable pour la planète en terme de
ressources.
Jusqu'ici largement ignorée par les pouvoirs publics,
la problématique a obtenu une place privilégiée lors du
Grenelle (phase 1 : dialogue et élaboration des propositions). Un
des six groupes de travail thématiques avait en effet comme sujet
adopter des modes de production et de consommation durables - bien
qu'en considérant essentiellement l'application au secteur agricole.
Cependant, si « le Grenelle prend acte de la finitude de la
biosphère », « dans le même temps, il a du mal
à tirer toutes les leçons de ce constat et à envisager les
changements radicaux de modes de vie et de société que cela
implique. » (Bourg 2007 : 67)
1.4. Les réponses
La mutation de la perception du rapport entre économie
et environnement ressort au travers des rapports Meadows (1972) et Brundtland
(1987). De manière synthétique, alors qu'en 1972 les
sphères économie et environnement sont opposées, elles
s'intègrent mutuellement en 1987, ce qui se traduit notamment par
l'essor des éco-industries. Nous développons au point 2.1 la
vision subséquente des grandes organisations internationales au tournant
du 21ième siècle.
Notons que la perception de l'ampleur de l'intersection entre
les deux sphères, voir de la domination de l'une sur l'autre, varie
largement selon les auteurs. Nous soutenons globalement l'idée selon
laquelle « ce double réajustement irait dans le sens d'une
remise en ordre permettant de poursuivre l'orientation générale
du système, largement subordonnée aux objectifs de croissance
économique, mais au surplus accommodée avec les principes d'un
développement durable. » (Rumpala 1999 : 51)
L'application de ce constat se dessine au travers des choix
pour réduire les pressions. Ainsi, si la définition du domaine de
l'environnement a évolué depuis Ternisien, force est de constater
que les solutions apportées demeurent essentiellement de type
industrialiste (technologie) et technocratique (instruments), par opposition,
par exemple à l'innovation de type sociale et organisationnelle.
Au demeurant, nous verrons au point 3 que
l'établissement de normes se fait souvent à posteriori de la
découverte de la technologie permettant de réduire les pressions
environnementales sans affecter la croissance du secteur concerné. De
plus, l'application de la technologie est souvent différée par de
nombreux blocages socio-économiques. Ainsi, « Les
résultats [d'études] confirment qu'en principe les connaissances
et la base technologique permettant de résoudre les problèmes
environnementaux existent bien et que si des politiques différentes
étaient appliquées immédiatement avec la vigueur voulue
elles permettraient effectivement de se placer sur une trajectoire mondiale
compatible avec la notion de durabilité. » (PNUE 2002 :
XXVIII)
2. Evolution des sources d'impact et des
politiques
Nous tenterons de définir si les tendances de ces
quarante dernières années présentent une augmentation ou
une diminution des principales sources de pressions sur l'environnement. Notre
approche de la question est pyramidale. Le sommet est représenté
par le moteur du système, soit la croissance ; le
milieu accueille les principaux protagonistes, à savoir la
production et la consommation ; la base est constituée des divers
secteurs économiques. La pression sur l'environnement peut être
évaluée plus ou moins précisément selon ces trois
niveaux d'analyse.
En plus des rapports internationaux et nationaux sur
l'état de l'environnement (voir supra) des recherches rapides sur
internet nous ont souvent permis de présenter des évolutions
complètes sur quarante ans.
2.1. Croissance économique et
environnement : considérations générales
De 1970 à 2005, la croissance du PIB français a
atteint 87 %, dont 60 % entre 1970 et 1990 et 27 % entre 1990 et 2005 (calculs
à partir de données de l'OCDE).
Le graphique 4 illustre une évolution qui est
d'ailleurs propre aux pays industrialisés.
Graphique 4
Source des données : OCDE,
Comptes nationaux
des pays de l'OCDE - Edition 2006.
Les rétrospectives récentes qui analysent le
rapport entre croissance et environnement convergent autour du constat que le
modèle économique actuel, en termes de grandeurs et de substrats,
n'est pas viable. Ainsi, « c'est la vitesse et l'ampleur de ce
développement économique qui menacent l'intégrité
des services écologiques qui sous-tendent l'activité
économique. L'existence de limites physiques à la poursuite de la
croissance économique basée sur l'utilisation des ressources est
désormais généralement admise. » (AEE
2005 : 216)
Mais alors que le Club de Rome ne considérait que les
tendances néfastes de la croissance économique, de nos jours les
grandes organisations internationales soulignent les aspects positifs, par
exemple au travers de l'émergence des éco-industries, et
privilégient l'intégration de l'environnement dans les divers
secteurs économiques (voir infra). La responsabilité est
également passée des mains des producteurs à celles des
consommateurs.
2.2. Production et consommation
Le dernier Etat de l'environnement confirme au niveau
national une tendance constatée au niveau européen par l'AEE et
au niveau international par l'OCDE : le découplage entre production
et pressions sur l'environnement se confirme, tandis que les pressions
liées à la consommation s'intensifient. (Ifen 2006 :
19-20)
Les racines du découplage entre production et pressions
remontent au rapport au premier choc pétrolier. En 1974, le rapport
Gruson dénonce le gaspillage et avance la nécessité de
développer l'efficacité énergétique et le
recyclage. Le premier Etat de l'environnement (1976) met clairement en
avant le moteur économique des nouvelles mesures d'économie
d'énergie et de ressources, en vue de réduire la
dépendance de la France en matières premières :
« La crise économique, loin de remettre en cause les
politiques en faveur de l'environnement, souligne leur utilité et leur
nécessité. C'est désormais dans
l'intérêt même du développement économique
qu'il convient de ménager les ressources naturelles et de les prendre en
compte à leur juste valeur. » (ME 1976 : 134) Ce
« désormais » traduit une rupture avec les
modes de production du passé.
La réduction des pressions s'applique en premier lieu
dès le début des années 70 sur les sites de production
(énergie et industrie), par le biais de progrès technologiques
qui réduisent les consommations d'énergie, de matières et
d'eau (éco-efficience), les déchets et les émissions dans
l'air et dans l'eau (pressions directes). Elle s'applique en second lieu aux
produits (pressions indirectes), avec l'apparition des éco-bilans et des
éco-labels vers le début des années 90 (ME
1991-1992 : 69-71). Le tableau 2 synthétise la mutation de la
perception des types de réponses technologiques à apporter par le
glissement des processus vers les produits.
Ces évolutions, propres aux pays industrialisés,
conduisent l'OCDE à percevoir, fin des années 90, trois tendances
au sein des pays membres :
· un recul des produits et/ou facteurs de production
pesant lourdement sur l'environnement
· une moindre utilisation de certaines ressources
environnementales par unité de PIB
· la baisse des niveaux de pollution par unité de
PIB
(OCDE 1997 : 59-72)
Nous tempérons cette évaluation globale de la
réduction des pressions émanant de la production par deux
remarques :
· De grandes évolutions qui ne sont pas
liées à la politique environnementale expliquent pour une grande
part la réduction des pressions : les restructurations au niveau de
l'industrie (sidérurgie) et de l'énergie (centrales thermiques),
les délocalisations (les pressions sont elles-mêmes
délocalisées), et la tertiarisation progressive de
l'économie (essentiellement centrée sur le secteur secondaire au
début des années 70, l'économie repose de nos jours pour
les trois quarts sur le secteur tertiaire).41(*)
· Le découplage n'apparaît pas
simultanément dans tous les secteurs de production. Ainsi, au niveau des
intrants agricoles (engrais azotés et pesticides), le découplage
apparaît plus tard, entre 1985 et 1994 (voir infra). (OCDE 1997 :
137)
· Au niveau des produits, un accroissement des
quantités, lié à l'augmentation du niveau de vie et
à l'accélération de la consommation, contrebalance
fortement les améliorations qualitatives.
L'intensification des pressions liées à la
consommation se constate dans pratiquement tous les domaines. L'Ifen
synthétise l'influence du mode de vie des ménages sur
l'environnement depuis les années 60 pour trois postes essentiels:
le logement, la mobilité et l'alimentation (voir annexe n° 7). La
forte augmentation du nombre des ménages et la diminution de leur
taille42(*),
l'augmentation du niveau de vie et du temps libre, l'offre plus large de
produits et de choix43(*)
sont quelques unes des causalités de l'intensification des pressions
liées à la consommation. Nous en déclinons d'autres au
niveau des applications sectorielles ci-après.
2.3. Applications sectorielles
Nous proposons de différencier les secteurs que nous
analysons ci-dessous en fonction de leurs impacts en termes de production et de
consommation. Nous commencerons par traiter d'un secteur dont l'impact est
double : l'énergie. Nous nous pencherons ensuite sur un secteur
lié à la production : l'agriculture (le secteur
correspondant au niveau de la consommation étant l'alimentation). Nous
terminerons par trois secteurs davantage liés à la
consommation : les déchets, le tourisme et le transport (routier et
de passagers).
2.3.1. Energie
La tendance inverse entre réduction des pressions de
production et augmentation des pressions de consommation se manifeste
clairement au travers des graphiques relatifs à l'énergie (voir
annexe n° 8 et graphique 5 ci-dessous). Nous observons un
découplage absolu entre l'intensité énergétique et
le PIB et un décalage relatif entre la consommation finale
d'énergie et le PIB (graphique 7 a). Or, le premier indicateur
dépend essentiellement de l'évolution au niveau des secteurs de
production, tandis que le second est également tributaire des
évolutions au niveau de la consommation.44(*) Ainsi, l'évolution de la consommation finale
d'énergie est très variable en fonction des secteurs
économiques (graphique 5) : tandis que celle de l'industrie (au
sens global, en incluant les données relatives à la
sidérurgie) est en baisse, celles du résidentiel -
tertiaire45(*) et des
transports tout particulièrement sont en forte hausse. Nous constatons
une interversion quantitative de la consommation finale d'énergie de
l'industrie et de celle des transports46(*), caractérisée par le croisement des
courbes. Les fortes hausses provenant des transports et du résidentiel -
tertiaire ont conduit au quasi-doublement de la consommation finale
d'électricité, tous secteurs confondus.
Nous constatons également une multi-causalité au
niveau de l'évolution de l'intensité énergétique
:
· Les fluctuations du marché du pétrole
influent largement sur l'évolution de l'intensité
énergétique. Ainsi, les courbes de tous les secteurs tendent
à baisser suite aux deux chocs pétroliers, soit durant les
périodes 1974-75 et 1980-82, tandis que vers la fin des années
80, l'effet du contre-choc pétrolier sur les prix stabilise la baisse
pour l'industrie, et infléchit la tendance pour le résidentiel -
tertiaire et les transports (graphique 7 b). Les secteurs où le volume
de consommation par unité consommatrice (industrie/centrale/logement -
commerce/véhicule) est important, et qui par conséquent subissent
le plus de pertes avec l'augmentation des prix du pétrole,
présentent les meilleurs résultats au niveau de
l'efficacité énergétique (voir infra).
· La chute de l'intensité
énergétique du secteur de la sidérurgie (graphique 7 b)
est liée à la mutation structurelle du secteur
industriel.47(*)
· La relance de la politique de l'énergie mise en
oeuvre par les pouvoirs publics a favorisé le maintien d'une nouvelle
tendance globale à l'amélioration de l'efficacité
énergétique, qui se dessine à partir de 1996 (graphique 7
a).48(*) La tension sur
les prix en 1999-2000 a également contribué à
réactiver les efforts de maîtrise de l'énergie.
Graphique 5
Source des données : Ministère de
l'Économie, des Finances et de l'Industrie.
2.3.2. Agriculture
La France se distingue des pays voisins par un basculement
plus tardif de la société rurale à la
société urbaine et industrielle. Nous décelons ici
une cause du poids des intérêts agricoles, mais aussi de la
structuration très forte de l'Etat d'après-guerre autour de
l'idéal « modernisateur et reconstructeur »
(Barraqué et Theys 1998 : 21-22) et, par évolution, de la
centralisation institutionnelle.
En transition depuis la fin des années 50,
l'agriculture accélère son évolution au tournant des
années 70, notamment avec l'instauration d'une Politique agricole
commune (PAC) en Europe. Nous résumons ci-dessous les principales
tendances des quarante dernières années, réparties
selon trois niveaux :
· Au niveau socio-économique :
o la diminution de la part des emplois agricoles : de 22%
en 1960 à 5,2 en 2001 (Insee) ;
o la diminution de la part du PIB provenant de
l'agriculture : de 7 % en 1980 à 3,5 %
aujourd'hui (Ministère de l'agriculture et de la pêche) ;
o la formation d'un lobby soudé et influant,
la Fédération Nationale des Exploitants Agricoles (FNSEA), par
ailleurs secondé par un lobby aux intérêts croisés,
l'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) [via l'utilisation
de pesticides].
· Au niveau du système de production :
o la mécanisation et l'intensification, suivie d'une
augmentation du rendement ; ainsi,
« si l'on estime qu'un agriculteur français
nourrissait 7 personnes en 1960 et 44 en 1985, il en nourrit 90
aujourd'hui » ! (Science & Vie 2000 : 60)
o la diminution de la surface agricole utilisée (SAU),
de 65 000 ha par an depuis 1970 (Ifen 2006 : 64) ;
o la concentration des exploitations : leur nombre
diminue tandis que leur surface augmente (Ifen 2006 : 64) ;
o l'augmentation de l'irrigation, qui se poursuit encore
aujourd'hui (Science & Vie 2000 : 63) ;
o l'augmentation de l'utilisation des intrants durant les
années 70 et 80, liée au faible coût relatif des
fertilisants et produits phytosanitaires par rapport au gain de récolte
correspondant (Ifen 2006 : 66) ;
o la diminution de l'utilisation des fertilisants
azotés (-9 %) et surtout des pesticides
(-24 %) à partir du début des années 90
(OCDE 2005 : 116), liée à la baisse des prix des
denrées alimentaires, au renforcement de la réglementation
environnementale et à la conditionnalité de la deuxième
PAC (Ifen 2006 : 20).
· Au niveau de la perception :
o une mutation de l'image de l'agriculteur : de celle de
héros de l'autosuffisance alimentaire d'après-guerre à
celle, vers la fin des années 90, de coupable des dommages causés
à l'environnement et des crises alimentaires ;
o un changement de rapport entre les acteurs : la crise
de confiance de la société conduit à une crise
d'identité du monde agricole, qui se traduit par un renfermement du
groupe mais aussi, à un niveau certes minoritaire, par un début
de modification des pratiques.
Ajoutons deux remarques à ces grandes
tendances :
Tout d'abord, il est intéressant de percevoir que
l'avènement de la modernité signifie la disparition d'un
équilibre essentiel du monde agricole traditionnel :
l'épandage du lisier pour fertiliser les champs. Une situation aberrante
en découle, par laquelle les agriculteurs achètent des engrais
synthétisés à partir de pétrole - une ressource
onéreuse, non-renouvelable et sous dépendance extérieure -
tandis que de leur côté, les éleveurs ne savent que faire
du lisier de leurs élevages. Or la pollution agricole des eaux provient
précisément de ces deux niveaux : diffusion (culture) et
problèmes d'assainissement (élevage). Mais le modèle
dominant - concentration des exploitations, éloignement des cultures et
des élevages - créé des obstacles organisationnels -
stockage, transport - à la revalorisation d'une ressource qui,
rappelons-le, sert jusqu'à construire les murs des maisons dans les
pays défavorisés !
Deuxièmement, il ressort un paradoxe entre la
diminution de la position socio-économique (emploi et PIB)
occupée par les agriculteurs et l'influence de leur lobby. Un
élément de réponse est certes identifié au travers
du développement tardif de la France. Mais au-delà de cet aspect
culturel, l'importance des moyens accordés au pays par la PAC - un
cinquième des subventions - constitue certainement un enjeu de taille.
La France a d'ailleurs placé la réforme de la PAC après
2013 (troisième PAC) comme une des priorités de la
Présidence de l'UE, de juillet à décembre 2008. Et sous le
signe de l'environnement, SVP ! En façade du moins... car de
manière plus discrète, le Président Sarkozy assure
à la FNSEA qu'il croit en une « agriculture de
production ». Le terme productivisme n'est pas
employé, mais sa signification est sous-entendue. (Représentation
permanente de la France auprès de l'UE, 02/04/08)
2.3.3. Déchets
La hausse de la consommation va de pair avec une augmentation
des rebuts à traiter. Nous mettons à contribution les graphiques
de l'ADEME (voir annexe n° 9) pour rendre compte de l'évolution sur
le moyen terme.
La croissance des déchets ménagers sur quarante
ans (graphique 8 a) est exponentielle, quoiqu'en baisse depuis 2002. Depuis le
début des années 70, les volumes de déchets augmentent
parallèlement à la croissance du PIB.
En réponse, les collectivités locales ont
poursuivi un colossal effort de collecte et d'équipement. Le parc
d'installations de traitement des déchets (graphique 8 b) a
augmenté en nombre jusqu'au début des années 90 environ.
Par la suite, « la montée de l'intercommunalité et les
contraintes technico-économiques ont eu pour effet de concentrer les
installations. » (ADEME 2007 : 7) Ainsi, le nombre
d'installations diminue mais les conditions environnementales et la
capacité unitaire augmentent.
Face aux limites du système pour absorber les volumes
croissants de déchets, le tri pour recyclage se met timidement en place
vers le début des années 90 mais atteint des taux
inférieurs à ceux des pays voisins. La part importante de
l'incinération (graphique 8 c) place la France en tête de ce mode
de traitement, en 1990, par rapport aux autres pays européens (ME
1990 : 171).
Cette tendance vers une gestion curative plutôt que
préventive reflète schématiquement deux
intérêts contradictoires à ceux de la protection de
l'environnement. Premièrement, la croissance de la consommation est
considérée par les pouvoirs publics comme un indice de la
santé économique d'un pays. Or, pour l'instant, une
réduction des volumes de déchets devrait passer par une
réduction parallèle de la consommation matérielle.
Deuxièmement, toute une économie des déchets
dépend, si ce n'est de la croissance, tout au moins du maintien des
volumes, que ce soit au niveau de la collecte que du traitement des
déchets. Ceci rejoint notre remarque concernant le développement
relativement rapide des améliorations technologiques au sein de secteurs
proposant des services de dépollution (voir supra).
2.3.4. Tourisme
Dans un contexte d'augmentation des revenus, de
généralisation des congés payés, de
dégagement du temps libre et de développement des modes et des
infrastructures de transport, le tourisme et les loisirs ont connu un essor
fulgurant. En France, au niveau international (flux de touristes
non-résidents) comme au niveau national (flux des touristes
résidents), la croissance du tourisme dépasse celle du PIB,
quoiqu'elle maintienne une progression similaire : très rapide
jusqu'à la fin des années 80, elle progresse lentement par
après.49(*)
La France maintient sa place de premier pays récepteur
mondial depuis 1990. Entre 1975 et 2006, le nombre d'arrivées de
touristes aux frontières a été multiplié par trois
(passant de 25 à 79 millions).50(*)
Au niveau du tourisme national, entre 1975 et 2004, le nombre
de séjours a été multiplié par quatre. Le taux de
départ (voyages de quatre nuitées et plus pour motif personnel)
est passé de 45 % en 1969 à 64 % en 2007 (voir annexe n° 10
a).
Hormis les pressions croissantes liées à
l'augmentation et à la concentration des flux dans les zones
touristiques (eau, déchets, nature, ...) certaines tendances
sociétales amplifient l'impact du tourisme et des loisirs sur
l'environnement.
Le tableau 10 b (en annexe) résume l'évolution
des comportements de tourisme et fait ressortir le fractionnement des vacances
(augmentation du nombre et décroissance de la durée moyenne de
séjours51(*),
développement des excursions et des loisirs de proximité). Or, ce
facteur augmente largement le nombre de déplacements (lié au
nombre de départs) par jour de vacances.52(*) D'autres causes de l'augmentation de la
mobilité loisir-tourisme sont fournies dans le tableau 10 c (en
annexe).
Autre tendance ayant cette fois un impact sur les sites
préservés : « Le tourisme s'est massifié et
n'est plus réservé à une élite. Un
phénomène géographique a vu le jour qui perdure :
l'abandon par les plus riches de sites (à la mode) et d'habitudes
touristiques trop démocratisées et encombrés. Les
élites lancent sans arrêt de nouvelles pratiques en des lieux
toujours plus protégés, ... souvent plus lointains. »
(Potier 2006 : 7)
En France, le tourisme représente un enjeu de taille au
niveau social - environ 43% des emplois des régions
côtières (AEE 2005 : 149) - et économique - 6,4 % du
PIB en 2005 -, ce qui laisse peu de place pour le niveau environnemental.
2.3.5. Transport
Nous focaliserons notre attention sur le transport routier car
il absorbe les 4/5 de la consommation finale d'énergie par la
mobilité et produit la majeure partie des polluants
atmosphériques émanant du secteur.
Nous avons déjà constaté un accroissement
important de la part de responsabilité provenant du transport routier
par rapport aux autres secteurs économiques quant aux niveaux des
émissions de CO2, des émissions acidifiantes et de la
consommation finale d'énergie. Ces développements au niveau des
pressions sur l'environnement s'expliquent par les évolutions au niveau
de la croissance du secteur.
Les graphiques de l'OCDE (voir annexes n° 11 et n°
12) témoignent en effet de la croissance soutenue du trafic du transport
routier (marchandises et voitures particulières). Globalement
couplé à la croissance économique pendant les
années 70 et 80, le trafic routier dépasse clairement le PIB
à partir des années 90. Une note d'espoir cependant :
« Depuis 1999, la croissance du PIB est légèrement plus
forte que celle des transports intérieurs.53(*) » (Ifen 2006 :
134)
En parallèle à l'augmentation du trafic, le
graphique 6 témoigne du doublement de la consommation de produits
pétroliers entre 1973 et 2006. Si les chocs pétroliers de 1973 et
1979 ont légèrement atténué sa croissance, le
contre-choc pétrolier et la résultante baisse des prix du
carburant l'ont fortement relancée. On assiste cependant depuis 2000
à la stagnation de la consommation de produits pétroliers suite
à l'augmentation des prix, au ralentissement de la hausse de la
circulation routière et à l'accentuation de la baisse de la
consommation unitaire moyenne (Ifen 2006 : 141).
Le transfert de l'essence vers le gazole à partir des
années 90 est une particularité du parc automobile
français, reflétant une différence de taxation54(*). Plus économes en
carburant, les moteurs diesel contribuent à la réduction de la
consommation kilométrique. Au niveau des émissions polluantes,
les moteurs diesel produisent moins de CO2 et de CO, mais plus de
particules fines et de NOx.
Graphique 6
Source des données : Insee, Bilan de
l'énergie en France.
Après avoir tracé les tendances du transport
routier depuis 1970, nous présentons brièvement les causes de la
croissance selon l'origine de la mobilité (passagers ou marchandises),
et développons les causes générales.
Causes liées au transport routier de
véhicules particuliers :
· augmentation du nombre de ménages et du nombre
de voitures par ménage55(*), liée à l'individualisation, à
l'élévation du niveau de revenu et à l'augmentation de
l'emploi féminin56(*)
· augmentation du nombre de déplacements,
liée au phénomène d'acculturation et à
l'accélération des modes de vie
· allongement du parcours moyen57(*), lié à
l'étalement urbain et à la structure spatiale des infrastructures
(bureaux58(*),
écoles, centres commerciaux, ...)
· développement du tourisme et des
loisirs59(*)
Causes liées au transport routier de
marchandises :
· développement du marché
européen
· situation géographique qui fait de la France un
pays de transit de marchandises
· stratégies d'approvisionnement et de
distribution des sociétés
· spécialisation des véhicules
· chute des autres modes de transport intérieur
(rail, voies navigables)
Causes générales :
1) intérêts économiques et sociaux en jeu
(secteurs de l'automobile, de la construction, du pétrole, du fret,
...)
2) développement des infrastructures
routières
3) prix n'intégrant pas les coûts pour
l'environnement
4) au niveau de la surconsommation kilométrique de
carburant : augmentation de la taille et du poids des véhicules
1) Knoepfel fait ressortir le poids des intérêts
économiques dans la politique française des transports :
« La négligence des sources mobiles de
pollution a des racines plus profondes que l'on doit chercher dans la
promotion, poussée par l'Etat français, de la mobilité
individuelle et de la production automobile. En dehors de quelques initiatives
urbaines par le gouvernement français, l'observateur étranger
cherche en vain des mesures efficaces dans le domaine des sources mobiles,
reflets d'une véritable politique de lutte contre la pollution
atmosphérique. La voiture individuelle reste un véritable Veau
d'or, et le manque de mesures sur la circulation routière (...) semble
être une des lacunes les plus importantes de la politique de lutte contre
la pollution atmosphérique de la France depuis les années 80 et
jusqu'à aujourd'hui. » (1998 : 167)
2) Face à l'augmentation du parc et du trafic
automobile, la politique de la plupart des pays industrialisés a
été de répondre par une offre massive en infrastructures
routières. C'est tout particulièrement le cas pour la France, qui
occupait le troisième rang mondial pour le réseau autoroutier
dans les années 90 (OCDE 1995 : 172). Le graphique 7
témoigne d'une augmentation d'environ 700 % de la longueur du
réseau autoroutier entre 1970 et 2003 ! Or, « sans un
retour directement donné par les prix, la demande rattrape et absorbe
souvent rapidement la nouvelle capacité » (OCDE 1997 :
113).
3) Les prix à divers niveaux n'intègrent
globalement pas les coûts pour l'environnement :
« L'évolution des prix correspondant aux différents
modes du transport de voyageurs a été plutôt favorable aux
modes les plus polluants. Entre 1990 et 2004, le prix des automobiles et du
carburant a augmenté moins vite que l'indice des prix à la
consommation. » (Ifen 2006 : 137)
4) Les effets des améliorations technologiques acquises
au niveau de la réduction de la consommation kilométrique de
carburant ont globalement été atténués par les
perfectionnements technologiques au niveau de la sécurité, du
confort et de l'équipement, qui ont conduit à une augmentation de
la taille et du poids des véhicules.60(*)
Graphique 7
Sources des données :
- OCDE (1995), Examens des performances environnementales,
p.171,
- Ifen (2006), L'environnement en France, p.136.
En guise d'évaluation :
Législations et améliorations technologiques ont
permis de réduire les émissions polluantes par véhicule et
les problèmes de smog et de pluies acides d'il y a trente ans (voir
infra). Cependant, compte tenu de l'accroissement du volume des transports, les
concentrations de polluants restent élevées et sont souvent
supérieures aux objectifs fixés. (AEE 2005 : 18)
Les problèmes de particules et d'ozone
troposphérique61(*)
sont deux problèmes soulignés par les rapports internationaux.
Depuis 1990, législations et améliorations technologiques ont
conduit à des réductions substantielles des émissions de
particules et d'un tiers des précurseurs d'ozone. Mais, suite
essentiellement à l'augmentation du trafic routier, les
réductions des émissions et les portées de la technologie
stagnent. Ainsi, « Une innovation technologique en fin de
cycle consistant par exemple à installer des filtres à
particules sur les véhicules diesel ne suffit pas à suivre cette
croissance de la demande. »
Cependant, l'inquiétude face à ces pollutions,
qui vont du spectre local à régional, a largement laissé
place à l'inquiétude face aux émissions de CO2
et à leurs conséquences globales sur le climat. En effet, les
transports représentent le secteur où la demande d'énergie
et les émissions de gaz à effets de serre augmentent le plus
rapidement (en Europe, et plus particulièrement en France étant
donné la part relativement faible de la production d'énergie dans
les émissions) et où les changements sont les plus difficiles
à mettre en oeuvre.
Ainsi, les efforts engagés par l'industrie automobile
pour réduire les émissions moyennes de CO2
générées par les voitures particulières neuves
à 140 grammes/kilomètre d'ici à 2008/2009 ont
été plus que compensés par l'augmentation des volumes de
trafic et le nombre croissant de véhicules plus grands, plus lourds et
plus puissants. (AEE 2005 : 221)
Cette difficulté a gérer la croissance du trafic
est propre aux pays de l'OCDE en général : « Il
ressort de la première série de communications nationales
soumises au titre de la CCCC, que c'est le secteur des transports qui pose l'un
des problèmes les plus ardus aux gouvernements qui étudient des
politiques en vue de réduire les émissions de GES au plan
national. » (OCDE 1997 : 159)
3. Incidence du progrès
technologique
Au tournant des années 70, une foie quasi-religieuse
anime les technocrates, qui croient principalement en deux solutions
pour résoudre le gros des problèmes d'environnement : la
réglementation et le progrès technologique. Nous
présenterons les principales forces motrices qui ont porté les
avancées technologiques, après quoi nous nous pencherons sur les
applications technologiques aux problèmes de pollution
atmosphérique par les émissions acidifiantes.
De nouveau, les rapports sur l'état de l'environnement
ont guidé nos recherches. Concernant la pollution de l'air, deux
articles d'experts ont été consultés :
· Knoepfel (1998), Remarques d'un observateur
étranger sur la lutte contre la pollution atmosphérique en
France ;
· Larrue (1998), La lutte contre la pollution de
l'air en France.
3.1. Forces motrices
Trois forces motrices majeures nous semblent avoir
progressivement motivé le secteur privé à investir dans la
recherche de solutions viables aux problèmes d'environnement :
· De nouvelles législations, notamment suite
à la retranscription de directives européennes, ont
favorisé une hausse des normes de santé. Ainsi, au début
des années 90, l'UE a instauré des normes concernant l'essence
sans plomb, résultant à des améliorations
conséquentes au niveau de la santé. De façon
générale, « Une voiture commercialisée
aujourd'hui émet dix fois moins de polluants qu'une voiture
commercialisée dans les années 70. » (Ifen 1999 :
369)
· L'augmentation des prix des matières
premières et de l'énergie primaire a également
motivé les entreprises à diminuer l'intensité de leur
consommation. « À la fin de la décennie 80, la notion
d'éco-efficacité a été introduite dans l'industrie,
comme moyen de réduire l'impact sur l'environnement tout en accroissant
la rentabilité. » (PNUE 2002)
· L'investissement de l'Etat dans les
procédés de dépollution (eau, déchets)
représentait - et représente toujours - une manne
économique susceptible de mener à de nouvelles techniques. Ainsi,
une évaluation sur 20 ans d'environnement en France constate que
« c'est essentiellement dans les domaines où l'environnement
réussira à acquérir un certain poids économique que
les progrès réalisés seront les plus rapides ».
(Theys 1998 : 29)
Le fruit de cette évolution sur 20 ans - au niveau
technologique ainsi qu'au niveau de la perception - et l'inclusion de
l'économie dans la notion de développement durable par le rapport
Brundtland mènent à l'acceptation publique de la sphère
environnement par le secteur privé.62(*) Cependant, malgré la disponibilité de
technologies propres, celles-ci prennent parfois des années à
outrepasser les multiples obstacles économiques, politiques ou
sociaux63(*). Par exemple,
les petites et moyennes entreprises mettront globalement plus de temps que les
grandes entreprises à moderniser leurs installations du fait des
coûts élevés et/ou de législations moins
contraignantes à leur égard.
Autre exemple : « Les technologies disponibles
permettent d'envisager la construction de voitures consommant entre un quart et
un tiers de carburant en moins. Ces voitures pourraient coûter moins cher
à l'automobiliste sur la durée de vie complète du
véhicule (frais de carburant compris), mais seraient un peu plus
chères à l'achat, si bien que les constructeurs y voient un
risque excessif. » (Ifen 1999 : 21)
3.2. Application à la lutte contre la pollution
atmosphérique
Nous tenterons de déterminer le rôle des
avancées technologiques dans la diminution des émissions
atmosphériques de SO2 et de NOx, principaux
composés acidifiants. Décelé vers la fin des années
60 par l'acidification des lacs scandinaves, le problème des pluies
acides est intéressant en cela qu'il représente le premier cas de
pollution transfrontalière et qu'il a abouti à une gestion
globalement efficace.
Nous avons choisi de mettre à profit les graphiques 13
a et 13 b (en annexe) émis par le Centre Interprofessionnel Technique
d'Etudes de la Pollution Atmosphérique (CITEPA) car ils mettent en
lumière le poids marqué de certains secteurs sur les
émissions, à savoir l'énergie et l'industrie pour le
SO2 et le transport pour le NOx.
En France, les émissions de SO2 croissent
jusque vers le milieu des années 70 ; se stabilisent et se
découplent du PIB entre 1975 et 1980 ; plongent de manière
spectaculaire entre 1980 et 1985 et continuent à baisser par
après. Les émissions ont ainsi diminué de 60 % entre 1980
et 1990 et de 65 % entre 1990 et 2005.
Les émissions de NOx diminuent et se
découplent temporairement du PIB vers le milieu des années 80,
mais la baisse prononcée débute véritablement vers le
milieu des années 90. La réduction se chiffre à 38 % entre
1980 et 2005 (dont 35 % entre 1990 et 2005), soit environ quatre fois moins que
la réduction des émissions de SO2 sur la même
période.
En Europe de l'ouest comme en France, les émissions de
SO2 et de NOx présentent aujourd'hui un net
découplage par rapport à la croissance du PIB. Les progrès
technologiques ont joué un rôle majeur dans cette
évolution. La mise en place d'équipements de désulfuration
des gaz de combustion et le recours à des combustibles à teneur
en soufre moindre représentent les principales améliorations
technologiques qui ont permis de réduire les émissions de SO2.
Concernant la baisse des émissions de NOx,
l'équipement progressif du pot d'échappement à
convertisseur catalytique a éliminé près de 90 % des
rejets de NOx par véhicule. De manière
générale, le développement des économies
d'énergie a également largement contribué à la
réduction des émissions des secteurs énergétique et
industriel.
La France se distingue de la moyenne européenne
principalement au niveau de l'évolution des émissions de
SO2. Débutant avec un léger retard par rapport
à plusieurs pays qui affichaient une baisse des émissions
dès le milieu des années 70 (OCDE 1991 : 21), la France
s'est rapidement rattrapée par la combinaison de trois facteurs
primordiaux :
· les économies d'énergie
· le développement rapide du programme
électronucléaire
· la mise en place d'équipements de
désulfuration des gaz de combustion au sein des centrales thermiques
maintenues
Entre 1974 et 1985, les économies de combustibles
liquides ont en effet contribué pour environ 25 % aux réductions
totales de SO2 (ME 1990 : 145).
Quant à la substitution énergétique, le
graphique 3 témoigne d'une multiplication par trois du pourcentage
d'énergie nucléaire en parallèle à une division par
deux du pourcentage d'énergie thermique entre 1980 et 1990. Ainsi, en
1994, les centrales thermiques ne contribuaient plus qu'à 19 % des
émissions nationales de SO2 comparé à 55 % pour
l'UE-12 en 1993 (Ifen 1997 : 25).
Propres à l'Europe en général,
« les progrès les plus récents résultent des
actions développées par les exploitants industriels favorisant
l'usage de combustibles moins soufrés. » Il est
intéressant de noter que le PNE appréhendait une stabilisation
des émissions de SO2 autour de 1,4MT au cours des
années 1990-95. (ME 1990 : 27) Or le développement de la
technologie a permis à la France de maintenir la baisse des
émissions et de continuer à figurer parmi les bons
élèves. En 2000, les émissions de SO2 de
la France étaient ainsi de 0,4 kg/1000 unités de PIB
comparé à une moyenne de 1 pour les pays de l'OCDE Europe (OCDE
2005 : 43). Notons qu'en France, la principale réglementation
appliquée au niveau de la pollution industrielle est le BATNEC,
ou meilleures technologies disponibles n'entraînant pas de coûts
excessifs. (Chabason et Larrue 1998 : 76)
Le développement du programme
électronucléaire explique la légère baisse des
émissions de NOx en France vers le milieu des années
80. Cependant, dans l'ensemble, la France ne se démarque pas de la
moyenne européenne. Compte tenu du poids important du transport routier
dans la provenance des émissions de NOx, l'intensification du
trafic routier et l'augmentation du parc de véhicules fonctionnant au
diesel (particulièrement important en France, puisqu'il a triplé
au cours des années 90) ont largement modéré les effets
des progrès technologiques (pot catalytique pour le cas du
NOx).
L'exemple des émissions de SO2 et de
NOx met en lumière une corrélation plus forte entre la
disponibilité de techniques plus propres et la prise d'action pour
réduire la pollution, qu'entre l'urgence environnementale et la prise
d'action. Ainsi, « le NOx est plus agressif et plus
dangereux [que le SO2] pour la santé du fait de sa
transformation en ozone sous l'influence de la lumière du
soleil ». (Knoepfel 1998 : 167) Or les efforts se sont d'abord
concentrés sur les émissions de SO2, pour lesquelles
des technologies plus propres étaient disponibles dès les
années 70.
Ces cas d'étude nous apprennent également que,
si les avancées technologiques mènent à un début de
réduction de la pollution, l'évolution sur le moyen terme
dépend largement de politiques dont la finalité n'est pas
essentiellement environnementale (développement du nucléaire et
efficacité énergétique dans le cas du SO2) ou
d'évolutions structurelles profondément ancrées
(augmentation du trafic routier dans le cas du NOx).
La réduction des émissions de SO2
représente le succès le plus notable de coopération
internationale en vue de réduire la pollution de l'air dans les pays
industrialisés. Combinée aux réductions de NOx,
elles ont permis d'éliminer la majeure partie du smog et des pluies
acides.
Cependant, malgré une diminution des gaz acidifiants de
plus de 40 % dans l'UE-15, des problèmes persistent suite à
l'effet retard des polluants. Ainsi, quarante ans après avoir
suscité l'attention de la communauté internationale, bon nombre
de lacs suédois demeurent affectés par l'acidification du
passé. De même, plus d'un cinquième des forêts sont
toujours considérées comme endommagées. Et
conséquence des émissions récentes, quelque 10 % des
écosystèmes européens ont dépassé leur seuil
critique de dépôts acides en 2004.64(*) (AEE 2005 : 97)
Au niveau des réponses à ces problèmes de
pollution, nous constatons que les secteurs économiques n'ont pas
contribué de manière homogène à réduire
leurs parts d'Aeq65(*).
Alors que les secteurs de la transformation d'énergie et de l'industrie
manufacturière y ont largement contribué par la baisse des
émissions de SO2, les actions entreprises par le secteur des
transports pour diminuer les émissions de NOx n'ont pas suffi
à contrecarrer l'augmentation du trafic routier, et enfin, le secteur
agricole66(*) n'a
pratiquement pas contribué à réduire ses émissions
de NH4. Cette hétérogénéité des
actions explique l'évolution dépeinte par le graphique 13 c (en
annexe) : entre 1980 et 2005, la part des émissions de
SO2 contribuant à l'Aeq baisse de 36 %, tandis que celles des
émissions de NOx et de NH4 augmentent
respectivement de 9 % et 27 %.
« Si jusque-là la pollution de l'air
était essentiellement considérée par les pouvoirs publics
comme une pollution d'origine industrielle, la loi sur l'air de 96 introduit
une nouvelle perspective en recentrant l'action de prévention de la
pollution atmosphérique sur la pollution des véhicules
automobiles. » (Larrue 1998 : 137)
Notons cependant que, dans le cas du S02, la
pollution industrielle est encore dominante aujourd'hui ! Ainsi,
Lascoumes et Le Galès appliquent leur hypothèse selon laquelle
« l'instrument induit une problématisation particulière
de l'enjeu » au cas de la pollution de l'air :
« L'orientation principale vers l'information grand public a
progressivement orienté l'essentiel du contenu des messages
diffusés vers la question des seuls effets de la circulation automobile.
(...) Par contrecoup, l'autre dimension plus ancienne, celle de la pollution
industrielle qui continue à constituer le fond de la pollution
atmosphérique tend à disparaître de
l'information. » (Lascoumes et Le Galès 2004 : 33-34)
En guise de conclusion, citons le dernier rapport du
PNUE :
« L'attention de la politique environnementale de
l'UE s'est déplacée de l'utilisation de mesures correctives dans
les années 70, à des solutions de réduction de la
pollution en fin de chaîne dans les années 80 puis, dans les
années 90, à une prévention et un contrôle de la
pollution intégrés, tirant profit des meilleures techniques
disponibles. Aujourd'hui, les politiques vont au-delà de ces solutions
techniques afin d'agir également sur les modèles et moteurs d'une
consommation et d'une demande non durables, et se dirigent vers une approche
intégrée de ces questions se concentrant sur la
prévention. » (PNUE 2007 : 227)
III - Evolution des instruments de gestion de
l'environnement
La particularité et la complexité des
problèmes d'environnement suscitent en soi un degré
élevé d'expérimentation des politiques d'action publique.
(Lascoumes 2008) En regard de l'évolution sur quarante ans, la
multiplication des sources d'impact, des stakeholders et la
globalisation des enjeux conduit à une complexification des instruments
d'intervention. Cette complexité/complexification des problèmes
et des réponses justifie une approche des politiques publiques par les
instruments.
Nous commencerons par décrire les grandes tendances de
changement des instruments sur quarante ans, puis nous nous pencherons sur le
changement du rôle de l'Etat qui en résulte. Nous nous
intéresserons ensuite à l'influence extérieure, plus
particulièrement européenne, sur les politiques environnementales
françaises, et nous terminerons par un regard sur les évaluations
des experts et sur les défis à relever.
Les publications d'experts, notamment Lascoumes, Halpern
(2007), Szarka (2001), Larrue (1999), Theys (1998), Chabason et Larrue (1998)
et les grands rapports internationaux (AEE 2005, OCDE 1997, PNUE 2002 et 2007)
représentent nos principales sources. Nous regrettons de ne fournir le
point de vue que d'un seul expert étranger (Szarka, 2001) sur la
situation française. Notons cependant que l'analyse de Chabason et
Larrue est publiée en anglais dans un ouvrage sur les politiques
européennes.
1. Des instruments de contrainte aux instruments de
concertation
Nous commencerons par préciser la typologie
employée pour étudier les instruments, puis nous nous pencherons
sur l'évolution française, et nous terminerons par une
présentation nuancée de l'analyse par Lascoumes de la lutte
contre la pollution atmosphérique.
1.1. Questions de typologie
Depuis le milieu des années 80, les publications sur
les instruments d'intervention publique proposent de nombreuses classifications
et typologies. Inspirée de l'ouvrage de Christopher Hood, The Tools
of Government (1986), la typologie de Lascoumes et Le Galès
(2004 : 361 ; tableau récapitulatif en annexe n° 14)
présente l'avantage de différencier les instruments en fonction
de leur ancienneté. Tandis que les instruments de première
génération (législatif et réglementaire,
économique et fiscal) sont caractérisés par leur parcours
d'élaboration légale, les instruments de deuxième
génération (conventionnel et incitatif, informatif et
communicationnel, normes et standards) présentent des formes de
régulation moins dirigistes. Enfin, les instruments de troisième
génération ou méta-instruments
(planification, schéma d'organisation, convention cadre) servent
à coordonner les instruments traditionnels. (Lascoumes et Le
Galès 2004 : 359-362)
Notons que c'est sous cette dernière catégorie
que nous rangeons le PNE et les textes législatifs émanant du
Grenelle (voir supra) - le Grenelle étant en soi considéré
comme un processus. Ainsi, un méta-instrument
répond à ce que Rumpala nomme un
méta-problème, « autrement dit un
problème qui vient englober et dépasser des situations
problématiques déjà installées tout en contribuant
à les redéfinir par rapport à cette perspective
élargie. » (Rumpala 1999 :188-189) Les
méta-instruments perpétuent l'innovation au travers de la
particularité des modalités d'intervention qu'ils coordonnent. De
plus, ils s'intègrent parfaitement dans les justifications qui
accompagnent généralement l'annonce d'une
« nouveauté instrumentale » : un geste
politique cherchant à produire un effet de rupture ; une solution
à l'échec des instruments d'action antérieurs ;
l'introduction de valeurs censée renouveler ou enrichir l'action
publique, par exemple l'ouverture au marché [cas du PNE] et la
participation [cas du Grenelle]. (Lascoumes et Le Galès 2004 :
358)
1.2. Evolution des instruments en France
Nous basant sur la « liste des instruments de la
politique française de l'environnement depuis 1971 classés en
fonction des types d'instruments identifiés par Lascoumes et Le
Galès » par Charlotte Halpern (2007 : 26-27) (voir annexe
n° 15), nous présentons ci-dessous les principales tendances.
Notons que les méta-instruments ne sont pas pris en compte dans ce
tableau.
· L'émergence des instruments de première
génération ou de contrainte, en particulier de type
législatif et réglementaire, essentiellement de 1975 à
1977.
Cette constatation est confortée par le
témoignage d'un ancien haut fonctionnaire : « Le travail
de création ou de remise en ordre législatives et
réglementaires des premières années du ministère
fut inouï. A peu près tout y passa : en 1978, tout
était fait. (...) Nous avons bénéficié d'une arme
puissante : l'article 6 du décret de création du
ministère nous permettait d'intervenir dans toute matière ayant
des effets sur l'environnement. » (Saglio 2007 : 35)
Ainsi, le décret de création du ME peut
être considéré comme un instrument de conquête de
pouvoir (voir supra), mais il ouvre également la voie au
« recyclage67(*) » des politiques des administrations
anciennes (Lascoumes 1994 : 16).
· Une période de creux de la fin des années
70 à la fin des années 80, liée à des facteurs
économique (suites des crises pétrolières) et
politique.
· L'essor des instruments de deuxième
génération ou de concertation, vers le début des
années 90.
La recherche de nouveaux outils68(*) découle notamment de la
perception des limites des instruments réglementaires. « Pour
certains observateurs, le droit relatif à l'environnement apparaît
alors hétéroclite et morcelé. De fait, les règles
produites sur ce sujet croisent dans l'ordre juridique plusieurs codes (Code
rural, Code de l'urbanisme...) avec lesquels elles peuvent entre en
contradiction, et ce d'autant plus facilement que derrière ces codes se
profilent des territoires administratifs jalousement gardés. Le volume
croissant de textes est également mis en cause, même si certains
aspects paraissent encore lacunaires. Tous ces symptômes sont
combinés de telle sorte qu'ils tendent à produire une vision dans
laquelle le caractère problématique de la situation tient pour
une part non négligeable aux embarras rencontrés pour appliquer
les mesures disponibles. (Rumpala 1999 : 185-186)
Notons cependant que la France a expérimenté
très tôt les instruments de type contractuel. Ainsi, les contrats
de branche se mettent en place dès 1972. « Cette voie
concertée, abandonné à la fin des années 70 [la
Commission européenne y voit les germes de distorsion de concurrence],
renaîtra de ses cendres une dizaine d'années plus tard, sous une
forme différente, et ce, avec la bénédiction
ex-post de la Commission européenne qui, dans le
cinquième programme communautaire environnement, reconnaît la
nécessité de ce type d'accords. » (Lavoux 1999 :
87-88)
1.3. Le cas de la lutte contre la pollution
atmosphérique
Pierre Lascoumes applique l'approche par les instruments aux
« transformations de la lutte contre la pollution
atmosphérique en France » de 1961 à 2003. (2007 :
73-90) Son postulat est qu' « En une dizaine d'années (du
début des années 90 au début des années 2000)
l'enjeu de la pollution atmosphérique a ainsi été
radicalement reconfiguré par la prise en compte de son impact
sanitaire. Les dimensions de l'enjeu, les instruments de sa mesure, le
champ des acteurs concernés et le type de décision publique ont
connu des déplacements majeurs. » Précisons
synthétiquement ces déplacements :
· les dimensions de l'enjeu :
des risques industriels et de la recherche de technologie
propre ? santé publique
· les instruments de sa mesure :
loi sur l'air (1961) ? taxe fiscale (1985) ? directives
information et valeurs limites ou guides + indices de qualité de l'air
(début 90) ? évaluations d'impact sanitaire (mi 90)
· le champ des acteurs concernés :
coalition bureaucratico-économique (années 60) ?
réseaux de surveillance constitués d'environnementalistes et de
scientifiques (épidémiologistes) (1973) ? inter-réseau,
puis fédération
· le type de décision publique :
hiérarchie ? concertation
Nous proposons de nuancer les conclusions de cette
analyse au travers de quelques remarques :
Premièrement, notons que le ministère de la
Santé Publique était chargé de la pollution
atmosphérique depuis la loi de 1961. Ce lien institutionnel entre
problème et niveau d'impact signifie que l'enjeu sanitaire de la
pollution de l'air existait bien avant la reconfiguration des années 90.
L'action restreinte, pour ne pas dire inopérante, du ministère de
la Santé Publique a permis au ME de conquérir cette
compétence entre 1971 et 1972. (Bazin 1973 : 349-352) Dès
lors, l'appropriation de l'enjeu par la société civile n'est-elle
pas plutôt liée à des facteurs contextuels, tels que la
mutation de la perception de la problématique et la montée des
préoccupations environnementales (voir supra) ?
Deuxièmement, il nous semble intéressant
d'observer un renversement de tendances au niveau des types de risques
sanitaires. Depuis les années 70, les risques à court terme sont
en régression tandis que les impacts à long terme ont aujourd'hui
pris le devant de la scène. (Ifen 2006 : 393-394) Cette
constatation conduit à se pencher sur la cause des
améliorations : la réduction des pics de pollution. Mais
cette réduction de la pollution est-elle liée aux mesures
environnementales ou à d'autres évolutions
socio-économiques ? Analyser cet aspect permettrait
d'évaluer l'efficacité de tel ou tel instrument.
Subséquemment, quels sont les blocages à la résolution des
impacts sanitaires à long terme? L'approche sectorielle - pour mettre en
lumière l'impact des transports - nous parait primordiale, ou tout au
moins complémentaire, par rapport à l'approche par les
instruments.
Troisièmement, si l'acteur-réseau - ou
association de groupes distincts partageant un intérêt en commun -
agit certes sur la définition des instruments, inversement, la mutation
des instruments fait également intervenir de nouveaux acteurs. Notons
que la place de chaque acteur - proche du centre de décision ou en
périphérie - dépend notamment des dimensions
économique et sociale de l'enjeu. Le rôle de l'Etat, quant
à lui, demeure central.
2. De l'Etat dirigiste à l'Etat
coordonnateur
En définitive, le glissement des types d'instruments
provoque un glissement de mode de gouvernance : « L'Etat
dirigiste est dès lors censé faire place à un Etat
animateur ou coordonnateur, non-interventionniste et menant principalement des
actions de mobilisation, d'intégration et de mise en
cohérence. » (Lascoumes et Le Galès 2004 :
362-363)
Un dossier sur la politique industrielle entre 1945 et 2006
décrit l'évolution de « l'Etat entrepreneur »
vers « l'Etat facilitateur » au travers de quatre
phases :
· 1945-1973 : mise en place d'instruments
d'intervention active de l'Etat ;
· 1974-1985 : inflexion de l'action de l'Etat
;
· 1985-2000 : adoption de mesures pour le respect du
fonctionnement du marché
· 2000-2006 : actions ciblées en faveur de
l'innovation (R&D, haute technologie)
(La Documentation française 2006)
Cependant, le glissement du rôle de l'Etat ne signifie
pas la disparition, mais plutôt la complexification de l'action publique.
(Bauler 2008)
Ainsi, le modèle français69(*) de l'Etat-providence semble
toujours d'actualité. Si le processus de décentralisation du
début des années 80 accroît certes les compétences
environnementales des régions et des collectivités locales, elle
a surtout pour effet de réorganiser le mode de pouvoir en
intégrant ces nouveaux stakeholders. Et si les mutations des
enjeux modifient les types d'instruments utilisés et uniformisent la
politique nationale, force est de constater que les technocrates maintiennent
les rênes du pouvoir (voir supra).
Ainsi, « le corps des Mines et le corps des Ponts -
surtout le corps des Mines, avaient, au départ, comme priorité de
protéger et de développer l'industrie. Et, lorsqu'ils se sont mis
à aborder les problèmes d'environnement, c'est notamment à
travers l'industrie et la Recherche. Ils l'ont fait toujours dans des
conditions qui ne puissent pas gêner l'Industrie. Par exemple, la
politique de l'air, qu'ils étaient les seuls à maîtriser, a
été très adaptée. On s'est gardé de pousser
les industries à aller ailleurs. On a plutôt travaillé par
zones spéciales, en agglomération et sur des interdictions
temporaires d'utiliser tel ou tel produit, tel ou tel procédé, au
lieu de fixer des normes catégoriques générales sur les
émissions comme cela a été fait davantage en Allemagne et
aux Pays-Bas. Il y a eu, pendant des années, une politique très
respectueuse de l'industrie. Cette politique est restée valable tant que
les phénomènes de pollution atmosphérique restaient des
phénomènes de proximité. Dans ce cas, la cheminée
permet de régler la question. Mais quand on dérive vers des
problèmes tels que ceux de l'ozone, des pluies acides, du
réchauffement de l'atmosphère, ou autres, on ne peut plus
combattre la pollution par des interdictions temporaires. On est obligé
de prendre des mesures plus énergétiques, de fixer des normes, de
supprimer des produits. Il y a eu un tournant dans la politique gouvernementale
en matière d'air avec la globalisation et l'internalisation de cette
politique. » (Chambolle 1994-95 : 8)
En définitive, la spécificité
étatique de la France influe sur la façon d'appliquer les
normes environnementales : « le style
français est toujours dominé par le rôle
prégnant de l'administration et plus précisément de ses
découpages, ses tensions internes et ses grands corps. Ce poids
institutionnel filtre et reformate de façon décisive les
impulsions extérieures. » (Szarka 2001, repris par Lascoumes
2008 : 9-10)
3. Influence de la réglementation
internationale et européenne
L'influence internationale, et plus particulièrement
européenne, sur les politiques environnementales françaises est
édifiante. De nos jours, environ 80 % des textes émanant du ME
sont la retranscription en droit français des directives
européennes et des traités régionaux ou internationaux
(Hulot 2007 : 199), et environ 70 % sont d'origine européenne (OCDE
2005 : 136).
Illustrons ce double phénomène au travers du cas
de la pollution de l'air par les émissions acides, entamé dans le
dernier chapitre. L'AEE cite les principales réglementations
extérieures qui ont eu un impact décisif sur les politiques
intérieures en Europe :
· Au niveau international :
o la Convention CEE/NU sur la pollution atmosphérique
transfrontière à longue distance (1979) et ses
Protocoles ;
· Au niveau européen :
o la directive sur les grandes installations de combustion
(1988, révisée en 2001) ;
o le Protocole relatif à la réduction de
l'acidification, de l'eutrophisation et de l'ozone
troposphérique (1999) ;
o la directive concernant les plafonds d'émission
nationaux (2001).
(AEE 2005 : 94)
Sans rentrer dans le détail des limites du droit
international, nous nous devons de souligner l'influence
prééminente du droit européen sur l'élaboration, la
modification et la mise en oeuvre des politiques environnementales
françaises. Les réglementations européennes se distinguent
en effet des réglementations internationales par leur caractère
plus contraignant, notamment au travers de deux facteurs : le transfert de
la souveraineté70(*)
des Etats membres de l'UE en ce qui concerne certaines politiques et le
recours en sanction pécuniaire71(*) pour non-exécution, exécution
incorrecte ou incomplète d'un arrêt de la Cour de justice des
Communautés européennes (CJCE). De plus, les engagements
internationaux concernent en général des problèmes
mondiaux ou transfrontaliers (Ifen 1996-97 : 11), laissant les
problèmes locaux au droit national et européen.
Rappelons brièvement les épisodes clés de
la construction européenne en rapport à l'environnement, de la
naissance d'une préoccupation au Sommet de Paris (1972), à celle
d'une véritable politique avec l'Acte Unique (1987), à
l'inscription du principe de précaution avec le Traité de
Maastricht (1993), à l'instauration d'une approche horizontale de la
politique de l'environnement avec le processus de Cardiff (1998), à
celle du développement durable avec le Traité d'Amsterdam (1999).
En poussant la rétrospective jusqu'à la
création de la première instance supranationale
européenne, à savoir la Communauté économique du
charbon et de l'acier en 1952, nous observons que les préoccupations
glissent de l'instauration d'un marché commun pour la ressource (le
charbon) à l'intégration d'un marché commun pour les
émissions polluantes provenant notamment de cette même ressource
(le dioxyde de carbone).
Après ces considérations
générales, penchons-nous sur l'influence des
réglementations européennes sur la politique française de
l'environnement, et vice-versa.
3.1. Influence de l'Europe sur la politique
française de l'environnement
Corrine Larrue (1999 : 187-188) démontre que la
politique européenne de l'environnement affecte la mise sur l'agenda
politique des problèmes et le contenu des politiques, contribue à
définir les moyens spécifiques pour protéger
l'environnement et modifie profondément le jeu institutionnel interne et
la place des acteurs dans la décision publique. Reprenons ces
différents niveaux d'influence :
Dans le cas de la pollution acide, c'est la Conférence
de Stockholm qui a placé le problème sur l'agenda politique
européen. Ultérieurement, le passage du niveau supranational au
niveau national a modifié le contenu des politiques en fixant des
valeurs limites d'immission. « A ce titre, c'est sans aucun doute
dans le domaine de la pollution de l'air que la politique de la CEE a le plus
bouleversé la politique française. En effet,
l'introduction de ces valeurs limites s'opposait à la philosophie
d'intervention développée jusque là par l'administration
française. »72(*)
La fixation de normes au niveau européen ne lie
généralement pas les Etats membres à l'usage d'un type
d'instrument spécifique. Notons cependant que la France a
été le premier Etat à imposer une taxe directe sur la
pollution en mai 1990, au travers de la taxe sur le SO2. (WRI
1992-93 : 201) Au niveau des moyens, « L'introduction de la
voiture propre, c'est-à-dire l'imposition de normes
sévères d'émission pour les véhicules automobiles,
conduisant à équiper ces véhicules de pots catalytiques
(...), constitue l'exemple même de la politique française qui
n'aurait pas eu lieu (ou plus tardivement) sans l'intervention du niveau
européen. » (Larrue 1999 : 188-189)
Nous observons que le thème de la voiture propre
illustre bien la théorie sur les reconversions-adaptations
d'instruments. (Lascoumes et Le Galès 2004 : 359) En effet, si le
« Programme voiture propre » du début des
années 90 était censé résoudre le problème
des émissions de NOx, le « Plan
véhicule propre » de 2003 doit pourvoir la France avec la
technologie adaptée pour réduire les émissions de
CO2. Rappelons que l'augmentation du trafic routier a largement
compensé la réduction des émissions de NOx
résultant des progrès technologiques. Face à cet
échec, on est en droit de se demander si les 40 millions d'euros,
octroyés par le plan de 2003 aux programmes de R&D des constructeurs
automobiles français73(*), n'auraient pas mieux servi à
l'essai d'autres types d'instruments, intégrant la dimension
d'aménagement durable du territoire. (ME 1991-1992 : 164 et Ifen
2006 : 149)
Enfin, « les directives européennes apportent
un soutien à l'administration de l'Environnement, tant vis-à-vis
des acteurs extérieurs représentant les intérêts
touchés, que vis-à-vis des autres ministères
concernés. (...) Les ministres français successifs de
l'Environnement ont d'ailleurs bien compris cet enjeu, et ont
généralement intégré cet échelon
international, comptant sur ce niveau pour renforcer leurs propres positions.
(...) A ce titre, la politique de Brice Lalonde à la tête du ME
fut exemplaire. » (Larrue 1999, 189)
Notons enfin que la transposition des directives
européennes met souvent la France en situation de manquement, voir
exposée à des sanctions financières, notamment en ce qui
concerne les directives nitrates, eaux usées urbaines, habitats et
oiseaux. (OCDE 2005 : 136) Il s'agit souvent de domaines où des
groupes traditionnels influents (agriculteurs, chasseurs) émettent de la
résistance au changement (voir infra).
3.2. Influences croisées
Il convient de souligner que « les influences entre
politique européenne et politique française de l'environnement
sont croisées74(*) ». (Larrue 1999 : 185) Aux
débuts des années 70, la CEE prend exemple sur les
expériences de certains pays européens pour élaborer ses
politiques naissantes en matière d'environnement. Ainsi, selon un ancien
fonctionnaire - certes très franco-français -,
« Le premier programme d'action des Communautés pour
l'environnement fut la transposition du nôtre. » (Saglio
2007 : 41) Le droit communautaire s'étoffant, l'intégration
s'opère davantage au niveau des Etats membres. Mais le croisement
d'influence demeure.
Ainsi, dans le cadre des négociations post-Kyoto, le
gouvernement français soumet l'idée d'instaurer une taxe carbone,
aussi bien au niveau national par l'intermédiaire du Grenelle, qu'au
niveau supranational par l'intermédiaire de la présidence de l'UE
par la France de juillet à décembre 2008 (voir supra). Notons que
la taxe carbone avait été avancée au début des
années 90 et, n'ayant pas suscité de consensus européen,
avait fini par être délaissée au profit du Système
d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre. On
peut cependant déceler un aspect novateur dans l'initiative
française, comme le souligne un diplomate75(*) de la Représentation
Permanente de la France auprès de l'UE.
En effet, affirmant son souci de lutter contre les
« fuites de carbone »76(*) liées à une telle taxe, la France
propose la mise en place d'un « mécanisme d'ajustement aux
frontières » à l'égard des importations en
provenance des pays qui refuseraient de contribuer à l'effort mondial de
réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les
Etats-Unis sont évidemment les premiers visés, de même que
la Chine ou l'Inde. Si la Commission européenne refuse que le
mécanisme soit actuellement intégré au « paquet
énergie-climat », elle laisse la porte ouverte pour la
période post-2012. Ainsi, le « mécanisme d'ajustement
aux frontières » représente à la fois un
instrument financier, un instrument de pression sur les partenaires de l'Europe
pour qu'ils adhèrent pleinement à un accord mondial de lutte
contre le réchauffement climatique, un instrument de
crédibilité à l'égard des entreprises
européennes, et un instrument d'accession à une position de
leadership économique dans les domaines de la technologie et
des instruments de réduction des émissions de gaz à effet
de serre.
En vue de l'hostilité face à la proposition
française, provenant de pays extérieurs mais aussi de l'OMC et de
certains Etats membres, l'enjeu est de former un front européen commun
avant la conférence de Copenhague (décembre 2009).
De manière plus globale, tandis que Sarkozy souhaite
placer la France « à la tête de la politique
environnementale européenne »77(*), force est de constater que la loi d'orientation
Grenelle 1 représente pour une large part une mise à
niveau aux textes européens.
Au-delà des influences, la France n'en conserve pas
moins une politique environnementale qui lui est propre, avec ses
qualités et ses défauts. Le point suivant nous permettra d'en
ébaucher les contours, et de voir à quels niveaux elle
répond aux défis environnementaux de demain.
4. Evaluations et défis
Nous proposons une lecture simultanée de
l'évaluation et des défis de la politique environnementale
française afin de mettre grossièrement en lumière
l'écart entre ce qui a été fait et ce qui devrait
l'être.
4.1 Evaluations de la politique environnementale
française
Nous récapitulons ci-dessous les points qui ressortent
de deux évaluations de la politique environnementale
française : celle de Theys (1998) sur la politique (politics)
et les politiques (policies) qui couvre la période
1970-1990 et celle de Chabason et Larrue (1998) sur la mise en oeuvre qui se
poursuit jusqu'à la fin des années 90.
· La politique (politics)
o une construction politique en creux
o la modestie des ambitions
o un droit d'ingénieurs, sans principes
généraux et sans moyens réels de contrôle
o conservatisme institutionnel et innovations
périphériques
o une politique de compromis économique
o les paradoxes de la centralisation : un système
de gestion sans normes [nationales]
o une politique de rattrapage plus que de prévention
o des préoccupations trop longtemps hexagonales
· Les politiques (policies) :
o des politiques globalement coût efficace à
court terme
o un traitement très inégal des
problèmes
o une faible attention portée aux aspects sociaux des
politiques
o un modèle de politique trop fragile pour assurer sa
reproduction à long terme
(Theys 1998 : 24-40)
· La mise en oeuvre :
o une mise en oeuvre basée sur le consensus, le
partenariat et la négociation
o une mise en oeuvre variable au niveau local
o une compétition croissante entre les gouvernements
central et décentralisé
(Chabason et Larrue 1998 : 72-79)
Trois impressions ressortent globalement de cette
lecture :
o une résistance à l'élaboration de
politiques (politics et policies)
o une souplesse - voir un laxisme, selon le point de vue -
dans la mise en oeuvre
o une forte centralisation conduisant à une tension
entre les différents acteurs (entre niveaux gouvernementaux ;
étatique/associatif ; économiques/associatif)
Au travers de l'analyse de la loi de la protection de la
nature (1976), de la loi montagne (1985), de la loi littoral (1986) et de la
loi sur l'eau (1992), Lascoumes démontre que les politiques
d'environnement sont souvent des « politiques de compromis non
résolus ». Ainsi, « en matière
d'environnement plus que dans les autres domaines, les choix politiques
effectués instaurent davantage un ajustement inégalitaire des
différents objectifs qu'une véritable conciliation ou mise en
équilibre stable. En fait, les dispositifs qui cadrent les
interventions publiques combinent, avec plus ou moins d'équité,
la défense de ces intérêts et valeurs environnementaux avec
d'autres, radicalement distincts voire contraires (défense de la
propriété individuelle, du développement industriel,
agricole, scientifique ou touristique, de l'aménagement du territoire,
etc.). » (Lascoumes 1994)
Notons que la politique de mise en oeuvre n'est pas
intrinsèquement liée au type d'instrument utilisé. Ainsi,
le début des années 70 est le théâtre d'une
politique de consensus malgré l'usage d'instruments globalement
contraignants. La même remarque peut être faite au niveau des
formes d'élaboration des politiques, avec de nos jours une permanence de
sous-systèmes de type corporatiste malgré l'usage d'instruments
de type informatif et communicationnel. (Halpern 2007 : 12, 20) Nous en
concluons que l'évolution des instruments en France s'inscrit dans le
cadre global des mutations constatées au niveau des pays de l'OCDE (voir
supra), tandis que le caractère de ses politiques est davantage
lié à son héritage institutionnel.
Ainsi, « L'introduction de nouveaux
instruments n'aurait pas donné lieu à un changement de la
politique française de l'environnement. Leur diffusion serait moins
rapide, leur institutionnalisation plus faible et leurs effets sur les formes
de production de l'action publique seraient limités. » (Szarka
2001, cité par Halpern 2007 : 7)
4.2. Les défis globaux
« La panoplie de moyens d'action la plus efficace
pour des secteurs et problèmes particuliers n'a pas encore
été identifiée. » (OCDE 1997 : 70)
Par contre, les grands rapports internationaux (AEE 2005, OCDE
1997, PNUE 2002 et 2007) s'accordent globalement sur les défis et
les clés pour s'orienter vers un développement durable. Nous en
avons extrait les principaux éléments :
· nécessité d'une volonté politique
et d'une structure institutionnelle fortes
· davantage intégrer économie et
environnement
· agir sur les secteurs clé : énergie,
transports, agriculture
· agir sur les facteurs socio-économiques
(aménagement du territoire)
· combiner et articuler les différents instruments
(méta-instruments)
· optimiser les mécanismes du marché
o internalisation des externalités
o suppression des aides financières
défavorables
· sensibiliser et informer les consommateurs ?
valeurs !
Commentons brièvement les domaines où la France
marque de bons points :
· Le Grenelle de l'environnement affiche une
volonté politique forte et le nouveau méga-ministère est
une structure institutionnelle édifiante.
· Le secteur de l'énergie émet
proportionnellement peu d'émissions atmosphériques par rapport
aux autres pays européens en raison du choix du nucléaire (voir
supra).
· La combinaison des différents
instruments s'est faite très tôt en France. « Ce
qui est peut-être le plus original dans la politique française de
l'environnement, c'est le couple réglementation-incitation. »
(Chambolle 1994-1995 : 9) Il en est de même pour les instruments
contractuels (voir supra) et les méta-instruments (PNE de 1991, Grenelle
de 2007) permettant d'articuler les instruments sectoriels (voir supra).
· Les procédures d'information, tels que les
consultations pour l'élaboration de la Charte de l'environnement (2002)
et de multiples débats nationaux et locaux, ont été
largement développées depuis les années 2000. (Boy
2007 : 10)
C'est déjà un début, mais le chantier
semble encore immense ! Notons que si les intentions exprimées
avaient toujours été réalisées, la France serait un
exemple de développement durable. Mais entre la théorie et la
pratique, le pas à faire est gigantesque.
IV - Etude thématique : l'eau
Une première lecture des évaluations d'experts
sur les politiques de l'eau durant ces quarante dernières années
fait grossièrement ressortir trois paradoxes :
· Dans un Etat traditionnellement centralisé, ce
sont principalement les acteurs décentralisés qui
contrôlent l'eau. Au niveau de la gestion publique, le ME joue ainsi
un rôle modeste tandis que les Agences de l'eau, établis par
bassin hydrographique, jouent un rôle prépondérant. Au
niveau de la gestion technique, c'est le secteur privé qui assure une
mainmise dominante.
· Toujours au niveau national, de nombreux experts
dénoncent le décalage entre les moyens mis en oeuvre et les
résultats constatés au regard de l'état des eaux.
· Au niveau supranational, la popularité du
modèle français de gestion de l'eau présente un contraste
surprenant par rapport aux multiples manquements face au droit
européen.
Nous tenterons de présenter les rapports de force entre
les trois protagonistes en charge de la gestion de l'eau en France, et de
clarifier le paradoxe apparent de leur coexistence, dans les points 1 et 2. Au
travers de deux techniques d'analyse particulières, le modèle
Pressions - Etat - Réponses (PER) et l'évaluation des politiques,
les points 3 et 4 nous donneront l'occasion de préciser les deux
dernières contradictions.
Nous commencerons cette étude en confrontant le
thème de l'eau aux deux premiers chapitres de notre recherche. Les
tableaux synthétiques 1 (p. 11) et 2 (p. 30) nous serviront de fils
conducteurs pour présenter les grandes lignes des contextes de
l'institutionnalisation de l'eau en France et des mutations de la
problématique.
L'application du modèle PER78(*) à l'évolution de
la problématique de l'eau en France délimitera les pressions et
les réponses en fonction des principaux acteurs/secteurs de l'eau -
industrie, collectivités locales et agriculture.
Notre évaluation finale des politiques de l'eau nous
permettra enfin d'aborder les questions posées à l'introduction
de notre recherche, concernant les objectifs, leur mise en oeuvre et
l'efficacité de la réponse publique.
Nous basons notre étude générale sur des
analyses spécifiques d'experts, tels que Barraqué ou Meublat,
ainsi que sur des rapports d'information du Sénat ou des revues
spécialisées, comme un Sciences & Vie sur le Bilan de
l'eau en France. L'analyse PER est construite à partir de
données provenant des rapports sur l'état de l'environnement en
France.
1. Contextes d'institutionnalisation
Nous tenterons de définir l'évolution des
rapports entre les thématiques de l'eau et de l'environnement au sein
des contextes globaux de l'institutionnalisation de l'environnement. Nous
définirons par après les principales phases de
l'institutionnalisation de l'eau.
1.1. L'eau construit l'environnement
Comme la plupart des politiques que l'environnement a
regroupées, la politique française de l'eau existe bien avant la
création du ME et constitue une activité majeure des
administrations publiques :
« Qu'il s'agisse des grands travaux hydrauliques ou
hydroélectriques, des adductions, de l'alimentation en eau et de
l'assainissement des villes, des canaux, des barrages, etc., elles s'y
consacraient avec méthode et disposaient de moyens nécessaires.
En revanche, elles ne s'intéressaient guère aux ressources en
eau, c'est-à-dire aux rivières et aux nappes souterraines, sinon
pour les employer. Des réseaux d'observation éparses et
disparates pour les débits, les niveaux et la qualité, pas de
plan de gestion collectif, pas d'objectifs à long terme dans les bassins
hydrographiques, une police des eaux, c'est-à-dire un dispositif
d'ensemble d'autorisations de prises et de rejets, incohérente et
complexe, faite de règlements et de droits anciens (divers dataient de
Charles V), superposés avec le temps et au demeurant, peu
respectés. Les résultats étaient
déplorables... » (Saglio 2007 : 34)
La DATAR, l'administration qui organisera l'élaboration
du premier programme pour l'environnement en 1969 (voir supra), se charge de la
coordination de la politique de l'eau (traditionnellement traitée par
une demi-douzaine de ministères, résultant à un
chevauchement des compétences), notamment au travers d'une mission
interministérielle. Ainsi, si l'eau et l'environnement ont une matrice
commune (la DATAR), l'eau représente l'un des enjeux justifiant
l'invention de l'environnement.
Des problèmes, tels que des conflits entre l'amont et
l'aval (voir infra) ou le coût de la dépollution des eaux,
créent le besoin d'une gestion localisée faisant intervenir les
divers acteurs. En 1964, la loi-cadre sur l'eau réorganise la
juridiction et instaure les Agences Financières de Bassin -
rebaptisées Agences de l'eau par la suite - selon la logique originale
des circonscriptions écologiques (Prieur 1991 : 252). Les
Agences se développent et sont vite considérées comme un
modèle institutionnel. D'aucuns affirment qu'il serait souhaitable
d'étendre le système aux déchets industriels et à
la pollution de l'air (Garnier-Expert 1973 : 272 ; Barraqué
1999 : 116).
La compétence de l'eau représente un enjeu de
taille, comme le souligne Robert Poujade dans ses mémoires sur le
Ministère de l'impossible (1975). L'impossible se
réalise pourtant : d'une politique uniquement centrée sur la
gestion de la ressource, l'eau devient une politique environnementale.
1.2. L'environnement reconstruit l'eau
L'intégration des diverses thématiques dans la
politique environnementale en 1971 s'opère par
« recyclage » des politiques des administrations anciennes.
(Lascoumes 1994 : 16) Si la loi de 1964 et les Agences de l'eau sont
certes maintenues, nous soutenons qu'une nouvelle politique de l'eau advient
rapidement de l'intégration à l'environnement. Comme point de
départ à notre démonstration, citons ce court
témoignage d'un ancien haut fonctionnaire du ME : « Les
rejets de rivières régressaient à partir de
1974 »... (Saglio 2007 : 39) ...soit trois ans après la
naissance du ministère !
Au-delà de son avance naturelle de
thématique précédant l'environnement, comment la politique
de l'eau intègre-t-elle le contexte évolutif de la politique
environnementale ?
Les années 1971 à 1978 sont fastes pour
l'environnement (voir supra) ainsi que pour la politique de l'eau. Pour ne
citer que deux exemples : les contrats de branche (dès 1972) et la
loi relative aux installations classées et le contrôle
intégré de la pollution (1976).
La crise de l'environnement qui fait suite aux chocs
pétroliers est également d'application dans le domaine de
l'eau : « les prix de l'eau et les redevances ont
été bloqués de 1978 à l'arrivée de Michel
Rocard et de Brice Lalonde » (Barraqué 2007 : 78). De
plus, « La crise économique a conduit les forces politiques a
privilegier les mesures les plus efficaces à court terme et à
différer le traitement de problèmes moins visibles ou à
long terme, comme la contamination des nappes phréatiques. »
(Theys 1998 : 26) Ce dernier point influera sur l'enchaînement des
priorités d'action, allant des points noirs ponctuels de la pollution
industrielle aux émissions diffuses de la pollution agricole.
Le lancement du PNE en 1991 inscrit des objectifs ambitieux
pour les divers domaines de l'environnement, dont l'eau (voir infra), et
propulse la loi sur l'eau de 1992 (voir infra).
Par contre, force est de constater que l'eau représente
l'un des enjeux délaissés par le Grenelle, qui ne lui consacre
pas de table ronde mais juste un petit programme. Parmi les mesures
annoncées, les trois premières concernent soit l'application de
directives européennes pour lesquelles la France a du retard - mise aux
normes totales des stations d'épuration d'ici 2009 ; protection des
500 captages d'eau potable les plus menacés d'ici 2012 -, soit
l'achèvement des plans définis par la loi sur l'eau de 1992 -
achèvement des Schémas directeurs d'aménagement et de
gestion des eaux (SAGE) en 2009. Rien de vraiment révolutionnaire.
L'annonce, sous le programme Agriculture, de réduire de moitié
les pesticides d'ici dix ans, semblerait plus engageante si elle n'avait
été édulcorée par les lobbies agricoles FNSEA et
UIPP, avec la réserve de la mise au point d'alternatives (Boy
2007 : 12, 14). La thématique locale de l'eau (au niveau national)
semble s'effacer devant l'enjeu mondial que représente le changement
climatique au sein d'un processus certes national, mais affichant un
leadership international conséquent.
1.3. Principales étapes de
l'institutionnalisation de l'eau
Face aux conflits de type amont/aval, « le SPEPE
[Secrétariat permanent pour l'étude des problèmes de
l'eau], localisé à la DATAR, a répondu d'une part en
important, ou en réimportant, d'Angleterre la gestion
systématique par bassins (les River boards), et d'Allemagne le
syndicat coopératif de la Ruhr (Genossenschaft), avec les
comités d'usagers composés d'industriels et d'élus des
villes ; et d'autre part en inventant la notion de travaux
d'intérêt commun... ». (Barraqué 1999 :
110)
La loi-cadre de 196479(*) sur le régime, la répartition
des eaux et la lutte contre leur pollution crée une gestion de
l'eau « par bassin, partenariale et utilisant les instruments
économiques (redevances de prélèvement et de
pollution) ». (OCDE 1997: 63) Chacun des six grands bassins
hydrographiques est géré par une Agence Financière de
Bassin - rebaptisée ultérieurement Agence de l'eau. Le
Comité de bassin, qui regroupe les représentants de l'Etat, des
collectivités locales et des usagers de l'eau, précisent les
orientations de la politique de l'eau et le niveau des redevances.
« Avec la loi de 1992, les missions des agences
dépassent celles de simples instruments financiers, incitatifs et
redistributeurs. En effet, les agences et comités vont devoir
systématiquement établir une planification des ressources en eau
par bassin. » Les principaux documents de planification sont le
Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et
le Schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE).
« Le rôle des comités va être
considérablement accentué puisque ce sont ces comités qui
vont élaborer les schémas. » (Brouin 1994-95 :
101-102)
Troisième grand texte législatif, la loi sur
l'Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA) de 2006 reprend les objectifs de la
directive-cadre européenne sur l'eau.
2. Mutations de la problématique de
l'eau
Nous adapterons certaines des mutations constatées dans
le domaine de l'environnement (voir ch. 2) au cas de l'eau :
l'évolution du niveau géographique des enjeux, le rapport entre
eau et économie, et les origines de la perception de l'eau.
2.1. Primauté de l'enjeu
géographique
Au tournant des années 70, l'avance de la
thématique de l'eau sur celle de l'environnement peut être
justifiée par sa primauté en tant qu'enjeu à dimension
régionale. « Considéré comme une
découverte en 1968, au moment de l'adoption de la Charte
européenne de l'eau, aujourd'hui, le fait que, comme l'eau,
l'environnement ne connait pas de frontière est une
banalité. » (Kiss 1999 : 57) La géographie des
fleuves, charriant les polluants ou exposant des niveaux d'eau bas
résultant de prélèvements extra-frontaliers, n'est pas
absente de ce phénomène. Notons que la thématique de l'eau
partage cette particularité avec celle de la pollution
atmosphérique. De nos jours, l'eau est souvent perçue comme un
enjeu mondial au regard de la pénurie de la ressource - cf.
références à « l'or bleu ». Notons
cependant que le thème de l'environnement, par la multiplication des
enjeux internationaux qu'il renferme, dépasse aujourd'hui largement le
thème de l'eau en tant qu'enjeu mondial.
2.2. Rapports entre eau et
économie
De manière schématique, avant les années
90, environnement et économie sont antinomiques, l'environnement
représentant une contrainte pour l'économie et l'économie
constituant une menace pour l'environnement. Les années 90 voient
émerger une double prise de conscience : d'un côté,
les répercussions négatives d'une croissance sans limite sur les
ressources, et finalement sur l'économie, sont pointées du
doigt ; de l'autre, le bénéfice économique de la
gestion des problèmes environnementaux est apprécié. (voir
supra) L'eau s'intègre-t-elle dans ce cadre d'analyse ? La
réponse nous parait contrastée, en raison de l'historicité
de la gestion privée de l'eau.
Ainsi, l'eau représente une source de revenus
dès le XIX° siècle, époque où la
Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux débutent leur
implantation sur les marchés de la distribution et de l'assainissement
des eaux. Leur expertise technique et gestionnaire en feront de
véritables empires mondiaux (dénomination courante : Veolia
et Suez), leaders dans le domaine de l'eau, mais aussi globalement
dans le domaine de l'environnement - ce qui est révélateur de
l'influence de la problématique eau sur celle de l'environnement dans le
domaine de l'économie en France. Au niveau national en l'an 2000, le
secteur privé dessert en eau environ 77 % de la
population ! (Science & Vie : 56) Notons que les contrats
signés avec les collectivités locales - concession, affermage,
gérance - représentent des outils particulièrement
puissants.
Par contre, en dehors du secteur économique
spécifique de l'eau, la prise de conscience du bénéfice
lié à une gestion propre de la ressource s'installe
conjointement à celle du bénéfice lié à la
gestion de l'environnement. Le facteur décisif de perception semble
davantage s'axer autour des acteurs/secteurs. (voir supra) Pionnière en
la matière, l'industrie est suivie par les collectivités locales,
et en dernier lieu par l'agriculture - dont la mutation de la perception est
toujours en cours. (voir infra)
Ainsi, selon le témoignage d'un cadre d'une grande
industrie, « les industriels qui avaient envisagé le recyclage
[de l'eau] d'un point de vue environnemental, l'adoptent pour les
économies qu'il génère ». « Tout
à la fois des économies d'eau, de peinture et de redevance
à la pollution. Le recyclage s'avère très rentable
dès lors que la molécule à récupérer est
chère. C'est le cas pour les solvants en chimie, les teintures dans le
textile, les métaux lourds de l'industrie électrique ou encore le
lactosérum produit dans l'industrie laitière. »
(Science & Vie 2000 : 74)
2.3. Fondements de la perception de l'eau
C'est également autour de ces deux niveaux d'influence
- privé et public - que l'on retrouve les racines de la perception de la
ressource eau : l'hygiénisme du milieu du XIX° siècle
et la planification des Trente glorieuses.
Edifiées à l'époque de Pasteur, la
Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux répondent aux
nouvelles attentes en termes de santé publique : la distribution et
l'assainissement de l'eau. (voir supra)
Synonyme de reconstruction et de rattrapage industriel (voir
supra), la période d'après-guerre est orchestrée par un
Etat gaullien central et dirigiste (voir supra). Dès 1946, le
Commissariat Général au Plan (CGP), organe rattaché au
chef du gouvernement, élabore des plans quinquennaux80(*) au sein desquels sont
notamment tracées les grandes orientations de la gestion nationale de
l'eau. Vingt ans plus tard, « le lancement du programme
nucléaire symbolisait une industrialisation qui nécessitait une
gestion plus poussée de l'eau, et de grands investissements dans les
barrages et dans les stations d'épuration » (Barraqué
2007 : 77).
Ces perceptions anthropocentriques de la ressource se
vérifient par la nature des premiers investissements consentis :
« les communes et les industriels non raccordés aux
réseaux publics ont obtenu des aides pour s'équiper en
réseaux d'assainissement, et ainsi protéger les conditions de
santé publique sur place, mais ce faisant ils ont multiplié les
points de rejets de pollution concentrée dans les rivières, avec
des conséquences de plus en plus graves pour l'aval. Mais ils ne
voulaient pas réaliser des investissements qui
bénéficieraient à l'aval. » (Barraqué
1999 : 110)
Même si la loi-cadre sur l'eau de 1964 définira
des objectifs de qualité par tronçon de rivière, le
problème se pose davantage en termes de solidarité des usagers
qu'en termes de viabilité écologique - si ce n'est pour les
pêcheurs, parmi les premiers usagers à alerter la
société concernant les problèmes de dégradation des
milieux aquatiques. Il faut cependant attendre la loi sur l'eau de 1992 pour
que soit affirmée la priorité à accorder à la
protection écologique des milieux aquatiques au même titre
qu'à la satisfaction des usagers. (OCDE 1997 : 63) A ce titre, la
directive-cadre sur l'eau (2000/60/CE) fixe un objectif ambitieux de bon
état de l'ensemble des eaux de l'UE en 2015.
Notons que les structures institutionnelles des usagers de
l'eau, à savoir les Agences de bassin, sont elles-mêmes
portées par les deux particularités françaises
exprimées ci-dessus : le modèle de l'Etat centralisateur
(voir supra) et la gestion technique privée de l'eau. Ainsi,
« la dichotomie public/privé tend à faire place
à un jeu triangulaire dans lequel intervient un tiers qui n'est ni
public, ni privé, mais quelques chose de l'ordre du communitas
(plutôt que du societas), c'est-à-dire de la
communauté d'usages de l'eau organisée localement autour d'une
même ressource. » (Barraqué 2007 : 77)
3. Application du modèle PER à
l'évolution de la problématique de l'eau
L'analyse ci-dessous représente une synthèse
d'un document de travail (non-inclus dans ce mémoire) que nous avons
construit selon les échelons suivants : par décennie, par
pressions, état et réponses, par type d'acteur impactant
(divisé en fonction des impacts qualitatifs ou quantitatifs sur la
ressource en eau), type de milieu impacté et type de mesure prise.
3.1. Pressions
Au niveau des impacts sur la qualité de l'eau,
« Si l'industrie a depuis 1971 divisé ses rejets polluants par
plus de dix (en cinq ans ses rejets étaient déjà
divisés par deux), si les communes les ont divisés par trois,
l'agriculture a largement augmenté les siens, directs ou
indirects. » (Saglio 2007 : 39)
Industrie
Trois paramètres généraux, suivis de
longue date, montrent que les rejets industriels dans l'eau après
épuration81(*) ont
nettement baissé : les matières en suspension (MES), les
matières oxydables (MO) et les matières inhibitrices (MI).
« Entre 1974 et 1991, les rejets nets de l'industrie ont chuté
de 46% pour les MES, 44,6% pour les MO et 55% pour les MI. » (Ifen,
1996-97 : 52) Sur une échéance plus proche, entre 1980 et 2000,
les rejets ont diminué de 56 % pour les MES, 47 % pour les MO et 70 %
pour les MI. (Ifen 2006 : 103) (voir graphique 8)
L'industrie a également diminué ses
prélèvements à usage industriel de 39 % depuis 1970 (Ifen
2006 : 203).
Graphique 8
Collectivités locales
Ne disposant que de peu de données concernant les
rejets des collectivités locales, nous présentons
l'évolution du taux de raccordement à une station de traitement
des eaux usées (voir graphique 9). L'augmentation progressive du taux de
raccordement depuis 1970 s'accélère brutalement au début
des années 90, avec une montée en flèche de 25 % de la
population raccordée en 5 ans, et se stabilise par après.
Il faut cependant tenir à l'esprit que le taux de
dépollution (taux de collecte x rendement des stations) est bien
inférieur au taux de raccordement. Ainsi, au début des
années 90, « la mauvaise collecte des effluents se traduit par
le non-acheminement vers les stations d'épuration de la moitié de
la pollution domestique brute (en MO). (...). En ajoutant à
cela les limites dues au fonctionnement des stations elles-mêmes, c'est
bien les 2/3 de la pollution domestique qui se retrouvent directement dans les
cours d'eau. » (Meublat 1991 : 34)
Quant aux prélèvements à usage
domestique, ils croissent jusqu'en 1989 et se stabilisent par la suite. (Ifen
2006 : 46 et OCDE 1997 : 60)
Graphique 9
Sources des données :
- OCDE (1991), Indicateurs d'environnement, une
étude pilote,
- OCDE (1997), Examens des performances
environnementales ; France,
- OCDE (2005), Examens environnementaux ;
France.
Agriculture
Nous avons vu que l'utilisation des intrants agricoles a
augmenté de 1970 à 1990 pour se stabiliser et diminuer
légèrement par la suite. Par comparaison,
« L'utilisation d'engrais azotés et de pesticides,
ramenée au km², reste largement supérieure à la
moyenne de l'OCDE et de l'OCDE Europe. Le bilan de l'azote à la surface
du sol présente un excédent de 21 kg/hectare en moyenne
nationale. » (OCDE 2005 : 80)
En comparant les données de 1986 et de 2006, on
constate que les prélèvements bruts pour l'irrigation on
été multipliés par 1,7 pour les eaux superficielles et par
5,1 pour les eaux souterraines. Après une croissance de 66 % des
surfaces irriguées entre 1988 et 1997, l'utilisation de l'eau
d'irrigation82(*) semble
actuellement se stabiliser (Ifen 2006).
3.2. Etat
L'amorce d'un renversement de tendances
apparaît vers la fin des années 80 et se confirme
aujourd'hui : les grands fleuves s'assainissent suite à la
réduction des points noirs de pollution industrielle, tandis que les
petits cours d'eau se dégradent sous l'impact combiné de la
sécheresse et de l'agriculture intensive. Globalement, « les
dégradations, bien que moins spectaculaires qu'autrefois, ont pris un
caractère chronique et les améliorations ont atteint une phase
asymptotique qui n'est pas le bon état des milieux
aquatiques. » (Ifen 2006 : 193)
Les données du système d'évaluation de la
qualité des eaux en France (SEQ-Eau) rendent compte de
l'évolution constatée au niveau des pressions :
« Depuis une vingtaine d'années, la
qualité des cours d'eau s'est nettement améliorée pour
toutes les pollutions ponctuelles de type organique liées aux rejets des
stations d'épuration des collectivités et pour les phosphates
d'origine urbaine mais aussi agricole. Les eaux rejetées sont beaucoup
moins consommatrices d'oxygène. (...) Les apports diffus d'origine
agricole, nitrates et pesticides, polluent de façon significative une
grande partie des cours d'eau et des nappes. Même si rien ne permet
encore de constater une décroissance des nitrates, il semble que la
tendance de ces dernières années soit à la stabilisation
des concentrations trouvées dans les eaux de surface.83(*) » (voir graphique
10).
Par contre, les concentrations en nitrates et en pesticides
continuent d'augmenter dans les nappes phréatiques, en raison du temps
de percolation des produits présents dans les sols.
« La qualité des eaux distribuées en
France s'est globalement améliorée ces dernières
années, grâce à la mise en place de traitements de l'eau
plus poussés et une meilleure sélection des sources
d'approvisionnement en eau potable.» (OCDE 2005 : 65)
Cependant, le dépassement du seuil de 50 mg/l de
nitrates dans les captages ont maintes fois placé la France en situation
de manquement face une directive des années 70 (!) : la Directive
« Qualité des eaux superficielles » (75/440/CEE). Ce
problème est propre à la Bretagne, qui rassemble 50 % des porcs,
50 % des volailles et 30 % des bovins sur 7 % de la surface agricole
française.
Enfin, signe de la résorption des points noirs, la
qualité des eaux de baignade s'est beaucoup améliorée,
passant d'environ 70 % de points conformes au début des années 80
à environ 90 % à la fin des années 90.
Graphique 10
3.3. Réponses
Industrie
Les améliorations au niveau de la pollution et des
prélèvements d'eau par l'industrie s'expliquent par la
combinaison d'instruments conventionnels (contrats de branche84(*)), économiques
(redevances et aides à l'investissement) et législatifs (loi
relative aux installations classées et le contrôle
intégré de la pollution en 1976), ainsi que par le
développement de technologies propres et l'effet de la crise
industrielle (faisant disparaître bon nombre d'unités de
production qui employaient un capital productif ancien, utilisant les
techniques les plus polluantes).
En fonctionnant par branche d'activité, la distorsion
de concurrence, résultant des coûts d'investissements en
technologies propres, est évitée (au niveau national). La double
incitation économique - qui pollue paie et qui dépollue est
aidé - permet d'annuler les frais de l'Etat ainsi que de l'industrie
(les aides étant puisées dans les recettes des redevances), voir
même de procurer à l'industrie un avantage concurrentiel par
rapport à ses voisins européens. (Barraqué 2007 : 78)
Nous verrons cependant que des effets pervers ressortent de l'emploi de ces
instruments de type économique.
L'objectif de la loi de 1976 relative aux installations
classées et le contrôle intégré de la pollution
(1976) est de mettre en place les meilleures technologies disponibles
à un coût économiquement acceptable. »
(Theys 1998 : 29)
Au niveau des prélèvements l'augmentation du
prix de l'eau contribue, avec les redevances, à instaurer le recyclage
des effluents dans les processus de production. (voir infra)
Collectivités locales
La combinaison d'instruments conventionnels (contrats
d'agglomération85(*)) et d'instruments économiques (doublement des
redevances) résultant de l'application de la législation
européenne (directive « Eaux Résiduaires
Urbaines » (91/271/CEE)) propulse le taux de raccordement des
collectivités locales au début des années 90.
Au début des années 90, l'application de la
directive européenne « Eaux Résiduaires
Urbaines » pousse les agences à doubler les montants des
redevances, afin de pouvoir réinvestir ces revenus en technologies de
dépollution (même principe que pour l'industrie).
Venant contrer les effets de l'augmentation de la population
et du niveau de confort, une synergie de causes (Ifen 2006) explique la
stabilisation des prélèvements à usage domestique.
Agriculture
« Suite au rapport Hénin86(*) de 1980 une stratégie
commune des Ministères de l'agriculture et de l'environnement a
été mise en oeuvre [en 1984] » (Prieur 1991 :
477). Notons cependant que les priorités d'intervention définies
par le V° programme des agences de bassin (1987-1991) ne concernent pas
l'agriculture. (Secrétariat d'Etat 1990 : 99)
Les politiques d'intervention au niveau agricole se mettent
surtout en place à partir des années 90. Le Programme de
Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole (PMPOA) (1993) fournit des
aides aux investissements (stockage du fumier et du lisier). L'OCDE note ainsi
une réorientation des dépenses agricoles, consacrées pour
l'essentiel dans les années 80 au développement des irrigations,
en faveur des PMPOA. (OCDE 1997 : 68) Créée en 2000, la taxe sur
les pesticides (TGAP-pesticides) est transformée en redevance par la loi
sur l'eau de 2006 (LEMA), au lieu d'instaurer un double dividende selon
l'idée formulée par Alain Lipietz et d'autres économistes
de l'environnement (Commission des affaires économiques du
Sénat). Quant à l'idée d'instaurer une redevance azote
spécifique aux cultures intensives, elle est finalement
abandonnée par la LEMA suite aux pressions du lobby agricole.
Au-delà de la politique nationale, la PAC et l'impact
minoritaire de ses réformes sont remises en cause : « la
faible part des aides agro-environnementales dans les budgets, la dispersion
des mesures sur le territoire et l'utilisation au sein d'une même
politique d'instruments aux objectifs et effets antagonistes n'ont finalement
pas permis d'inverser significativement les tendances par rapport à
l'environnement » (ME 2006). (voir graphique 11)
Graphique 11
Au niveau de la stabilisation des prélèvements
d'eau par l'agriculture, « d'une part, les charges financières
correspondantes sont de plus en plus élevées par rapport au gain
obtenu sur la vente des récoltes ; d'autre part, les outils de
pilotage se développent pour optimiser les apports d'eau. Enfin, les
restrictions de plus en plus fréquentes par arrêté
préfectoral limitant, voir interdisant les prélèvements
pour l'irrigation incitent les agriculteurs à modifier leurs assolements
pour mieux tenir compte du risque de crise » (Ifen 2006 : 68).
4. Evaluation des politiques de l'eau
Nous différencierons l'évaluation de la
politique globale de l'eau (politics) de celle des politiques
spécifiques (policies), suite à quoi nous nous
pencherons sur les questions du PNUE, soulevées à
l'introduction.
4.1. La politique de l'eau
Deux critiques de la politique française de l'eau que
l'on retrouve de façon persistante dans les évaluations d'experts
ont trait aux deux paradoxes soulevés à l'introduction, et que
nous développons ci-dessous.
· Le décalage entre les moyens mis en oeuvre et
les résultats constatés au regard de l'état des
eaux :
o Ce paradoxe peut être exprimé en termes de
protagonistes de la gestion de l'eau :
« Cela fait plusieurs décennies que nos
responsables prétendent que nous avons le meilleur système de
gestion de l'eau au monde, comprenant les agences de l'eau pour la
programmation, le financement et l'incitation, et la délégation
des services publics incombant aux collectivités territoriales à
des entreprises qui sont les leaders mondiaux des services liés à
la fourniture et à l'assainissement des eaux. Pourtant, le
diagnostic de l'état des eaux dans le milieu naturel est mauvais :
une fois de plus, la France ne sera vraisemblablement pas au rendez-vous, en
2015, des objectifs de restauration de la qualité des eaux de surface
définis par la directive européenne sur l'eau d'octobre 2000.
» (Godard 2007 : 42)
o Ce paradoxe peut également être exprimé
en termes de moyens financiers :
Au cours de la période étudiée, les
politiques de l'eau représentent environ la moitié des
dépenses en matière de politiques environnementales !
(Theys, 1998 et Ifen 2006 : 436). A titre indicatif, pour la
période 1992-1996, le budget des Agences de l'eau représentait 35
milliards de francs, par rapport à 1,65 milliards pour le budget du
ME ! (Bouin 1994-95 : 101) L'Ifen prend acte de l'écart entre
moyens et résultats : « Malgré les investissements
considérables réalisés dans le domaine de l'eau,
près de deux millions de personnes reçoivent une eau
dépassant les valeurs limites en nitrate, près de sept une eau
non conforme pour les pesticides. La qualité de la plupart des grandes
rivières reste médiocre et on reste très souvent dans
l'incertitude quant aux performances réalisées dans
l'assainissement collectif faute d'indicateurs fiables. »
(1999 : 10)
o Enfin, ce paradoxe peut être exprimé en termes
d'instruments (voir infra) :
La liste des instruments de la politique française de
l'environnement par Halpern (voir annexe n° 15) révèle
l'usage d'instruments de troisième génération (voir supra)
dans le domaine de l'eau dès la fin des années 50. Il s'agit
d'instruments de type informatif et communicationnel (comités
consultatifs en 1959 et 1964) et de type conventionnel et incitatif (accords de
branche en 1971).
· Le contraste entre la popularité du
modèle français de gestion de l'eau et les multiples manquements
face au droit européen :
Soulignons en premier lieu le caractère pionnier de la
loi-cadre sur l'eau de 1964 sur le régime, la répartition des
eaux et la lutte contre leur pollution :
o Par cette loi, « la France est le premier pays de
l'OCDE à avoir adopté un système
décentralisé de gestion intégrée de la ressource au
niveau du bassin hydrographique, système dont s'inspire la
directive-cadre européenne sur l'eau » (OCDE 2005 :
71) ;
o elle repose sur l'application de la responsabilité,
assortie de deux principes complémentaires, « qui pollue,
paye » (redevances) et « qui dépollue est
aidé » (aides) (Bazin, 1973 : 304 et OCDE, 1997 : 73) ;
de la sorte, elle préfigure le principe du pollueur-payeur avant qu'il
ne soit formulé par l'OCDE (1970) ;
o elle introduit le concept de qualité des eaux par
type d'usage, qui sera repris dans les premières directives
européennes sur l'eau.
Notons que « La lutte contre la pollution des eaux
est le domaine le plus ancien et le plus développé de la
politique communautaire de l'environnement. » (Prieur 1991 :
462) « A l'origine, la législation communautaire sur l'eau
s'est focalisée sur la protection des masses d'eau
utilisées par l'homme (eau potable, eaux de baignade...).
Puis une série de directives a été adoptée dans les
années 1990 pour réglementer les sources de pollution (rejets
d'origine urbaine, agricole et industrielle). » (Commission des
affaires économiques du Sénat 2000)
Si l'UE a certes notamment puisé son inspiration dans
l'exemple français, les influences croisées (voir supra) sont
d'application dans le domaine de l'eau. Pour ne citer que les directives les
plus influentes :
o la directive « Qualité des eaux
superficielles » (75/440/CEE),
o la directive « Eaux Résiduaires
Urbaines » (91/271/CEE),
o la directive « Nitrates »
(91/676/CEE),
o la directive-cadre sur l'Eau (2000/60/CE).
Hors, les trois directives citées ci-dessus, qui
auraient dû être d'application nationale depuis des dizaines
d'années, ont suscité des recours en manquement envers la France
par la CJCE. De manière plus globale, Betina Laville, Conseiller pour
l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier
Ministre, constate que « par rapport à la qualité de
l'eau, nous ne satisfaisons pas à nos obligations internationales tant
sur le plan européen que sur le plan des conventions de l'ONU issues de
Rio. Et si la France devait être condamnée dans une juridiction
internationale, nous n'aurions plus aucune arme pour défendre notre
point de vue par rapport à la directive-cadre et l'objectif de
2010. » (Commission des affaires économiques du Sénat
1998)
En plus de ces deux grands paradoxes, les principales
critiques adressées à la politique de l'eau par les experts sont
les suivantes :
· selon Betina Laville, « Le principe
pollueur-payeur n'a jamais été parfaitement appliqué par
les agences de l'eau, simplement parce que des domaines entiers sont
restés non traités. » (Commission des affaires
économiques du Sénat 1998) Ainsi, l'élargissement du
système au domaine agricole se fait à tous petits pas. Depuis la
loi sur l'eau de 2006, la taxe sur les pesticides est devenu une redevance,
mais il n'y a toujours pas eu d'accord concernant une redevance nitrate (voir
infra) ;
· « un déséquilibre entre les
moyens consacrés à la pollution chimique traditionnelle et ceux
consacrés aux autres problématiques, notamment les inondations et
les pesticides » (OCDE 2005 : 77) ;
· l'insuffisante implication des agences et de
l'incitation économique dans le domaine des prélèvements
d'eaux souterraines (Barraqué 1999 : 119) ;
· la subsidiarité des Agences/Etat :
« Aujourd'hui, par exemple, les Agences de l'eau peuvent
répondre à leurs détracteurs que leur inefficacité
vient de leur manque de pouvoir, notamment en ce qui concerne
l'élargissement du champ des redevances qui conditionne leur
action ». (Barraqué 2007 : 74)
4.3. Les politiques de l'eau
Nous regroupons ci-dessous les principales critiques
adressées par les experts aux politiques environnementales de types
réglementaire, économique et contractuel.
Au niveau des limites du droit de l'eau et de son
application, selon Meublat :
« Il n'existe pas en France (...) d'obligation
juridique à ne pas polluer (...) et notre droit continue à se
fonder sur la propriété plus que sur l'usage,
un penchant dont les juristes de l'environnement ont montré les
implications négatives. La notion de responsabilité est, d'autre
part, inopérante dans le cas de la pollution diffuse où le
pollueur ne peut être clairement identifié. (...) La police de
l'eau est presque unanimement dénoncée comme la faiblesse la plus
marquante du système français (...) et, conséquence
logique, les poursuites sont peu nombreuses et leur rendement faible.
Tous ces éléments négatifs mettent en cause le
caractère incitatif (même s'il s'agit d'une incitation à ne
pas faire) des dispositions réglementaires à vocation
large. »
Meublat confère par contre une évaluation plus
positive à la loi de 1976 sur les installations
classées :
« La réussite de la législation sur
les installations classées (comme dangereuses pour la
sécurité, la santé des populations ou pour
l'environnement) tient peut-être justement de sa
spécificité : elle ne s'applique, en fait, qu'à une
population restreinte et bien définie (les industriels de
certaines branches, principalement) et recourt à un corps particulier de
contrôleurs - les inspecteurs des installations classées - qui
dépend des DRIR et du ministère de l'Industrie. » (Meublat
1991 : 39-40)
Sur ce plan, l'OCDE loue également les résultats
remarquables de cette loi, malgré la recherche au plan local d'un accord
et d'un consensus dans toute la mesure du possible. (OCDE 1997 : 74)
Au niveau des incitations économiques, Meublat
critique la base du système des redevances ainsi que son
évolution :
« L'application en France du système des
redevances s'est accompagné de l'énoncé d'un autre
principe, assez étrange, celui de la mutualité entre
pollueurs : les ressources collectées doivent servir exclusivement
à subventionner les investissements de dépollution de ceux qui
ont payé la redevance - c'est pour cela que l'on parlera de redevance
nette - et non dédommager les victimes (...). Cette pratique
est tellement entrée dans les moeurs, que personne ne semble
s'apercevoir que ce principe n'a d'autre légitimité que
celle de son pragmatisme initial. (...) Le système n'a donc
pas, au bout de 20 ans environ, atteint le niveau d'incitation prévu (ou
plutôt espéré) par ses pères et
recommandé par la théorie économique. » (Meublat 1991
: 43)
De plus, les taux des redevances ne sont pas assez
dissuasifs : « Il peut être moins cher pour un pollueur de
rejeter ses effluents, de payer la redevance, puis de recevoir l'aide pour
investir dans la dépollution plutôt que de faire seul l'effort de
ne pas polluer. » (Science & Vie 2000 : 59)
Les instruments économiques engagent Alain Lipietz
à « une réflexion sur le sens qu'il fallait donner au
principe pollueur-payeur. Il y a derrière trois conceptions assez
différentes - on paye la réparation, la remise en état, et
c'est l'idée de la redevance ; on paye le dommage, et c'est plutôt
une indemnisation ;- et enfin le signal prix : il est adressé à
l'éventuel pollueur pour que, si possible, il ne pollue pas et c'est
plutôt l'idée de la pollutaxe. (...) C'est un peu ce
problème du hasard moral qui amène aujourd'hui à
tempérer la première conception du principe pollueur-payeur, que
certains appellent payeur-pollueur, c'est-à-dire : j'ai payé une
cotisation et j'ai le droit de polluer comme je l'entends. (...) Il faut donc
ajouter, à une taxe de remise en état (la redevance, qui
continuera à exister), une pollutaxe. » (Commission des
affaires économiques du Sénat 1998)
Venant compléter les mesures réglementaires et
économiques, toute une série de mesures contractuelles
voient le jour : contrats de branche, de rivières,
d'agglomérations.
Ces contrats sont généralement loués pour
leur caractère volontaire et spécifique : Ainsi,
« à l'échec de la démarche rationnelle
des objectifs de qualité inscrite dans la loi de 1964 a
répondu le succès des contrats de rivière, qui
s'inscrivent davantage dans la logique mutualiste des agences. »
(Barraqué 1999 : 104)
Le rapport Agriculture et Environnement du ME
résume l'exploitation des diverses mesures et leurs limites dans le
domaine agricole :
« La réglementation est
nécessaire mais elle a montré certaines limites dans le domaine
agricole : sa mise en oeuvre butte souvent sur une insuffisance des
contrôles (par exemple pour l'épandage d'azote organique) ;
elle n'affecte pas les activités proportionnellement à leurs
impacts, et de par sa manière de répartir les efforts entre les
agents, elle n'assure pas une efficacité optimum d'un point de vue
économique. Ses contournements possibles limitent aussi son
efficacité ; ainsi dans certains bassins versants aux productions
d'effluents d'élevages particulièrement importantes, des
extensions d'élevages ont été constatées, alors
même qu'elles venaient contrecarrer les actions engagées. La
réglementation peut enfin s'avérer peu adaptée pour
prévenir l'apparition de situations de crise, en matière de
ressources en eau par exemple.
Il existe aussi des instruments économiques tels
que les taxes ou redevances environnementales qui peuvent inciter les
agriculteurs à modifier leurs comportements. Mais ces taxes sont pour
l'instant limitées aux produits phytosanitaires et aux
prélèvements d'eau et leurs taux sont faibles au regard des
dommages occasionnés, ce qui limite leur impact sur les
comportements.
Par ailleurs, des mesures contractuelles basées
sur une coordination des agriculteurs et sur des contrats d'adoption volontaire
de modification des pratiques ont dans certains cas donné des
résultats encourageants sur le plan environnemental : pouvant
être plus facilement adaptées aux problématiques locales,
elles nécessitent toutefois pour être efficaces qu'un nombre
suffisant d'agriculteurs adhère à la
démarche. »
(ME 2005)
4.3. Politique curative versus mesures
préventives
La prépondérance d'une politique curative, qui
traite les conséquences indésirables d'une activité
humaine sur l'environnement, sur la voie préventive, qui remonte dans la
chaîne des causalités, est une tendance qui se maintient
jusqu'aujourd'hui. Elle se confirme au niveau des moyens consentis :
« 40 % des investissements des agences de l'eau concernent des mises
en place de technologies propres et 60 % de la dépollution »
(Science & Vie 2000 : 74). Force est de constater que la technologie
propre est le domaine exclusif de l'industrie.
La politique curative se répercute au niveau de la
perception des principaux usagers - les industriels, les collectivités
locales et les agriculteurs - en les déresponsabilisant dès lors
qu'ils auront payé pour avoir pollué ou prélevé
l'eau. (voir infra) Ainsi, l'une des principales critiques formulées
envers l'agriculture est qu'elle ne participe pas aux frais alors qu'elle
contribue largement aux problèmes.
Le premier rapport sur l'état de l'environnement de
1976 préconisait pourtant la mise en place de mesures préventives
et non plus seulement curatives, orientation à nouveau annoncée
par le PNE en 1991. Mais en 2002, François Guérold,
hydrobiologiste membre du Comité de veille écologique de la
Fondation Nicolas Hulot, critique encore l'insuffisance de la
prévention. (Hulot 2002 : 63-64)
Meublat met en cause la culture technique
ainsi que les intérêts économiques liés à une
dépollution synonyme de profits :
« La lutte contre la pollution de l'eau est avant
tout une affaire d'ingénieurs, d'installateurs de tuyaux et de
bâtisseurs de stations d'épuration, de
béton87(*) pour
simplifier. Cette culture technique (...) n'évolue que très
lentement. On peut pourtant s'interroger sur l'intérêt qu'il y a
à développer des procédés coûteux de
dénitrification ou de déphosphoration, alors qu'une politique de
taxation (les engrais) ou de normalisation (les lessives) permettrait
probablement de freiner l'émission des polluants en question. Mais il
est aussi vrai que la prévention ne rapporte pas grand-chose à
l'exportation... » (Meublat 1991 : 48)
Derrière les profits du secteur privé, se
profile toute la batterie des enjeux socio-économiques - installation de
nouvelles entreprises, emploi, croissance, ... - à laquelle les
décideurs sont particulièrement sensibles :
« La composante éco-industrielle des
programmes d'action publics destinés à prendre en charge les
problèmes environnementaux n'est pas sans ambigüités. Dans
la sphère politico-administrative comme dans le monde des affaires, il
n'est pas rare de voir les préoccupations environnementales s'effacer
derrière la possibilité de développer de nouveaux secteurs
susceptibles de soutenir ou de relancer la dynamique économique. »
(Rumpala 1999 : 394)
Notons que cette tendance semble se vérifier au niveau
des domaines de l'environnement dont la gestion technique est mise entre les
mains du secteur privé : eau, mais aussi déchets ou
énergie. Ainsi, le choix de la voie curative semble être
étroitement lié à son intégration dans la logique
socio-économique.
4.4. Evaluation de l'efficacité des politiques
de l'eau
Confrontons les politiques de l'eau aux questions
élaborées par le PNUE et que nous avons présentées
à l'introduction :
1) Les problèmes environnementaux ont-ils
été définis ?
Sur une rétrospective de quarante ans, force est de
constater que les pressions causant les problèmes de l'eau n'ont pas
été définies en même temps. Dans les années
70, les pouvoirs publics se sont concentrés sur les points noirs de
pollution, causés par les industriels et par les collectivités
locales. Le problème de la pollution par l'agriculture a
été défini plus tard, au début des années 80
par le rapport Hénin.
2) Des objectifs chiffrés ont-ils été
formulés ?
Les premiers objectifs ne sont pas très ambitieux.
« Il est significatif, par exemple, que les objectifs fixés en
1969 par le premier programme des agences de bassin (retour en 1985 à
une qualité de l'eau considerée comme acceptable, avec une
élimination de 80% des pollutions classiques) sont les même que
ceux (...) proposés pour 2005-2010 » ! (Theys,
1998 : 26)
Même en 1991, les objectifs du PNE pour l'an
2000 n'incluent pas l'agriculture :
- rendre toutes les eaux utilisées par le public
conformes aux normes européennes
- inciter au rejet zéro des toxiques dans l'eau et
poursuivre l'effort de dépollution industrielle
- faire passer de 1/3 à 2/3 le taux effectif de
dépollution des eaux domestiques
- faire évoluer de 15 à 80 % le taux de
traitement de la pollution azotée ou phosphatée dans les zones
les plus vulnérables (Chabason et Theys 1990 : 86)
La directive « Nitrates » (91/676/CEE)
posera les premiers objectifs en la matière. Même aujourd'hui,
l'objectif de réduction de la moitié des pesticides d'ici 10 ans,
annoncée dans le cadre du Grenelle, est édulcorée par la
réserve de la mise au point d'alternatives (voir supra).
3) Les intentions exprimées ont-elles eu une
suite ?
Au niveau des rejets industriels, certainement. Au niveau des
collectivités locales, cela dépend de quels objectifs. Ainsi,
« l'objectif fixé par le PNE de réduire de 60 % les
rejets domestiques avant 2000 devrait être atteint » (OCDE 1997
: 69). Par contre, l'objectif de la directive « Eaux
Résiduaires Urbaines », transcrit en droit français,
n'est toujours pas atteint.
4) Cette suite a-t-elle eu des effets positifs sur
l'environnement ?
Globalement, les points noirs de pollution ont
été éliminés, ce qui a permis d'assainir les grands
fleuves.
5) Ces effets sont-ils suffisants ?
C'est à ce niveau d'interrogation que l'on
découvre les véritables obstacles de la politique
française de concertation et de consensus. Ainsi, le renversement de
tendances constaté à la fin des années 80, à savoir
l'assainissement des grands fleuves en parallèle à la
dégradation des eaux les plus pures, relève-t-il
l'incapacité de la France à réagir au niveau des pressions
provenant de l'agriculture.
Notons qu'au niveau des secteurs où les mesures ont
été appliquées, la situation n'est malgré tout pas
idéale. L'assainissement effectivement mis en place par les
collectivités locales est encore insuffisant en raison des fuites des
réseaux et des dysfonctionnements des stations d'épuration. La
dangerosité de la pollution nette d'origine industrielle est
également mise en cause. « Après avoir diminué
pendant plusieurs années, le niveau de pollution industrielle a tendance
à se stabiliser. Pour progresser et réduire ce seuil, il faut
agir sur la performance et la sécurité de fonctionnement des
installations. » (Science & Vie 2000 : 68) L'industrie
idéale au niveau de l'eau serait bien entendu celle qui fonctionnerait
en cycle fermé !
Conclusion
Nous proposons d'apprécier nos hypothèses de
départ, soulignées au travers de l'étude, au regard de
l'optique globale que nous avons dégagée lors de notre recherche.
Les politiques environnementales inscrivent ainsi leur réussite ou
échec relatifs dans l'évolution de trois niveaux
interactifs : les institutions, le type de problématique et les
instruments publics.
Confrontons notre première hypothèse, à
savoir l'impact du contexte socio-économique porté par des
acteurs/secteurs sur la réussite d'une politique, à l'analyse
détaillée que nous venons de parcourir. Le point commun entre les
secteurs étudiés qui présentent une multiplication ou une
intensification de leurs sources d'impact semble être leur place dans le
circuit de la consommation. L'acteur-consommateur exerce une pression trop
forte par rapport à la disponibilité en ressources et à la
capacité d'absorption de la planète. Alors que certains pays
européens ont commencé à découpler leur
empreinte écologique de leur croissance économique,
celle de la France continue à croître. (AEE 2005 : 205) Agir
au niveau de la consommation est compliqué car cela implique une remise
en question des modes de vie et, en définitive, des valeurs des
citoyens. En tant que secteur prioritairement producteur, l'agriculture se
place à part. L'agriculteur, acteur-producteur, s'est par contre
organisé au sein d'un groupe de pression particulièrement
puissant. Intervenir à ce niveau exige une volonté politique
forte et une Europe unie dans ses intentions. Les instruments de communication
et d'information semblent particulièrement utiles pour dépasser
le rapport de force hostile avec le monde agricole (voir supra).
Notre deuxième hypothèse sous-entend la
nécessité d'une gestion intégrée des politiques
environnementales, d'une politique préventive versus curative et d'une
vision à long terme des politiques, par opposition à la vision
à court terme - en fonction des mandats - des politiciens. La notion de
seuil optimal d'intervention implique la notion de seuil de tolérance du
milieu récepteur, souvent mal connu.
Notre troisième hypothèse prend acte de la
multiplication et de l'intensification de la majorité des sources
d'impact liées à la poursuite d'un modèle de croissance
fondé sur la consommation. Outre la constatation que les
améliorations au niveau de l'environnement résultent souvent
davantage du contexte global (chocs pétroliers pour les économies
d'énergie) et de politiques sectorielles (choix du
nucléaire/diminution des émissions de gaz à effet de
serre), force est de constater que ces améliorations sont
généralement soit compensées par l'augmentation des
sources d'impact, soit remplacées par un autre problème d'ampleur
et de gestion encore plus complexe.
L'exemple de la pollution atmosphérique soutient nos
trois hypothèses : passage de la responsabilité des secteurs
de la production (industrie et énergie) au domaine de la consommation
(transports) ; intervention postérieure au seuil de
tolérance du milieu récepteur (impacts sanitaires, pluies acides,
changement climatique) ; compensation, voir dépassement des
améliorations (diminution des émissions unitaires de NOx
résultant des améliorations de la technologie
automobile, globalement dépassées par la croissance du
trafic routier).
L'eau présente le même type d'évolution
sur quarante ans : mutation de la responsabilité imputée au
secteur industriel à celui de l'agriculture; interventions des pouvoirs
publics postérieures à l'altération de la ressource par
les pollutions ponctuelles provenant de l'industrie, puis par les pollutions
diffuses provenant de l'agriculture ; uniformisation de la qualité
médiocre des eaux les plus pures par la multiplication des sources
d'impact provenant du secteur agricole.
Pour garder une note d'optimisme, notons que la combinaison de
mesures choisies par la France a tout de même conduit à un
assainissement relatif des eaux dans les domaines visés, à savoir
l'industrie en premier lieu, suivie des collectivités locales. Les
manquements, et par conséquent les principaux défis à
aborder à ce stade de l'évolution de la politique de l'eau, sont
à traquer aux niveaux de l'application du droit de l'environnement et
des redevances, de la performance des ouvrages d'assainissement (réseaux
et stations) et des pressions provenant de l'agriculture.
Les problématiques d'environnement d'il y a quarante
ans semblent fondamentalement différentes de celles d'aujourd'hui. Au
niveau des sources d'impact : facilement identifiables à
l'époque, elles sont beaucoup plus nombreuses et plus
diversifiées aujourd'hui. Au niveau des enjeux : touchant alors
principalement l'environnement immédiat, ils s'étendent
aujourd'hui à la planète, voire à l'espace (cas des
déchets satellites). Au niveau des solutions : la foi dans la
technologie et les instruments de gestion traditionnels ne suffisent plus
aujourd'hui, et il s'agit d'inventer de nouveaux outils, de les combiner avec
les anciens, de créer de nouveaux rapports de force, etc. Au niveau de
la responsabilité, avec le passage de la production à la
consommation, et par conséquent à la nécessité de
modifier les valeurs...
Ces changements d'échelle ont pris place tandis qu'en
parallèle, la confrontation de l'environnement à
l'économie s'est mutée en intégration réciproque.
Mais à y regarder de plus près, l'économie ne se plie
vraiment à l'environnement qu'en cas de bénéfices
avérés. En usant de l'image de cellules, l'économie semble
plutôt avoir phagocyté l'environnement.
Dans ce contexte de Croissance à tout prix, un
processus ouvert comme le Grenelle aura-t-il la force d'impulsion pour ne
serait-ce que faire dévier la machine infernale de sa
trajectoire ? D'autant plus que la menace d'une crise économique
mondiale risque de focaliser l'attention et de faire passer aux oubliettes les
promesses de changement. Pour éviter que ne s'essouffle à nouveau
une phase institutionnelle inscrite dans le temps politique court, l'Enjeu doit
maintenant être approprié par le citoyen.
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Annexes
1. Intitulés des ministres et secrétaires
d'Etat
2. Indicateurs de découplage d'environnement
(IDE)
3. Conjoncture socio-économique
4. Evolution des problématiques environnementales au
niveau mondial
5. Le Programme des cent mesures pour l'environnement
6. Graphiques relatifs aux émissions de CO2
7. Influence du mode de vie des ménages sur
l'environnement
8. Graphiques relatifs à l'énergie
9. Graphiques relatifs aux déchets
10. Graphiques et tableaux relatifs au tourisme
11. Graphiques relatifs aux transports (1970 - 1995)
12. Graphiques relatifs aux transports (1990 - 2002)
13. Graphiques relatifs à la pollution acide de
l'air
14. Typologie des instruments
15. Liste des instruments de la politique française de
l'environnement
1. Intitulés des ministres et secrétaires
d'Etat
7 janvier 1971
|
Ministre délégué chargé de la
Protection de la Nature et de l'Environnement
|
Robert Poujade
|
1er mars 1974
|
Ministre des Affaires Culturelles et de
l'Environnement Secrétaire d'Etat chargé des Affaires
Culturelles et de l'Environnement
|
Alain Peyrefitte Paul Dijoud
|
28 mai 1974
8 juin 1974
|
Ministre de la Qualité de la Vie Secrétaire
d'Etat chargé de la Qualité de la Vie Secrétaire
d'Etat chargé de la Qualité de la Vie
|
André Jarrot Gabriel Perronet Paul
Granet
|
12 janvier 1976
|
Ministre de la Qualité de la Vie Secrétaire
d'Etat chargé de la Qualité de la Vie
|
André Fosset Paul Granet
|
27 août 1976
|
Ministre de la Qualité de la Vie
|
Vincent Ansquer
|
30 mars 1977
|
Ministre de la Culture et de l'Environnement
|
Michel d'Ornano
|
5 avril 1978
|
Ministre de l'Environnement et du Cadre de Vie
Secrétaire d'Etat chargé de l'Environnement et du Cadre de
Vie
|
Michel d'Ornano François Delmas
|
22 mai - 24 juin 1981
|
Ministre de l'Environnement Secrétaire d'Etat
chargé de l'Environnement
|
Michel Crépeau Alain Bombard
|
24 mars 1983
|
Secrétaire d'Etat chargé de l'Environnement et de
la Qualité de la Vie
|
Huguette Bouchardeau
|
19 juillet 1984
|
Ministre de l'Environnement
|
Huguette Bouchardeau
|
1984 - 1986
|
Secrétaire d'Etat chargé de la Prévention
des Risques Technologiques et Naturels Majeurs
|
Haroun Tazieff
|
20 mars 1986
|
Ministre délégué chargé de
l'Environnement
|
Alain Carignon
|
13 mai 1988
|
Secrétaire d'Etat chargé de l'Environnement
|
Brice Lalonde
|
29 mars 1989
|
Secrétaire d'Etat chargé de l'Environnement et de
la Prévention des Risques Technologiques et Naturels Majeurs
|
Brice Lalonde
|
2 octobre 1990
|
Ministre délégué chargé de
l'Environnement et de la Prévention des Risques Technologiques et
Naturels Majeurs
|
Brice Lalonde
|
1991
|
Ministre de l'Environnement
|
Brice Lalonde
|
2 avril 1992
|
Ministre de l'Environnement
|
Ségolène Royal
|
30 mars 1993
|
Ministre de l'Environnement
|
Michel Barnier
|
18 mai 1995 - 7 novembre 1995
|
Ministre de l'Environnement
|
Corinne Lepage
|
4 juin 1997
|
Ministre de l'Aménagement du Territoire et de
l'Environnement
|
Dominique Voynet
|
11 juillet 2001
|
Ministre de l'Aménagement du Territoire et de
l'Environnement
|
Yves Cochet
|
15 mai 2002
|
Ministre de l'Ecologie et du Développement Durable
Secrétaire d'Etat au Développement Durable
|
Roselyne Bachelot-Narquin Tokia Saïfi
|
31 mars 2004 - 3 juin 2005
|
Ministre de l'Ecologie et du Développement Durable
|
Serge Lepeltier
|
4 juin 2005 - 16 mai 2007
|
Ministre de l'Ecologie et du Développement Durable
|
Nelly Olin
|
18 mai 2007 - 18 juin 2007
|
Ministre d'Etat chargé de l'Ecologie, de
l'Aménagement et du Développement Durables Secrétaire
d'Etat chargé des Transports
|
Alain Juppé
Dominique Bussereau
|
19 juin 2007
|
Ministre d'Etat chargé de l'Ecologie, de l'Energie, du
Développement Durable et de l'Aménagement du Territoire
Secrétaire d'Etat chargé du Développement de la
Région Capitale Secrétaire d'Etat chargé des
Transports Secrétaire d'Etat chargé de l'Aménagement du
Territoire Secrétaire d'Etat chargée de l'Ecologie
|
Jean-Louis Borloo
Christian Blanc Dominique Bussereau Hubert
Falco Nathalie Kosciusko-Morizet
|
Source : Ministère de l'Ecologie, de
l'Energie, du Développement Durable et de l'Aménagement du
Territoire,
http://www.ecologie.gouv.fr/Liste-des-ministres-ou-secretaires.html
2. Indicateurs de découplage
d'environnement (IDE)
« On parle de découplage relatif lorsqu'une
pression sur l'environnement (émissions de CO2, artificialisation,
consommation d'eau...) croît moins vite qu'une variable
représentant une force motrice (croissance, production,
démographie...).
On parle de découplage absolu lorsque la pression
décroît alors que la variable représentant une force
motrice augmente.
On parle de couplage lorsque la pression évolue au
même rythme ou plus vite que la force motrice. »
Source : Ifen (2006), L'environnement en
France, p. 168.
3. Conjoncture socio-économique
a)
b)
Source des données : INSEE, Indicateurs
de conjoncture,
http://www.insee.fr/fr/indicateur/indic_conj/liste_indice.asp
c)
4. Evolution des problématiques
environnementales au niveau mondial88(*)
Vers la fin des années 60, l'impact sur l'environnement
du boom économique d'après-guerre, couplé à un
niveau de vie élevé, créent un climat propice à
l'émergence des préoccupations environnementales dans le monde
occidental. La Conférence de Stockholm en 1972 marque leur
internationalisation, et il semble emblématique que cette
conférence ait été accueillie par la Suède,
« qui venait de constater les graves dommages causés aux
milliers de lacs du pays par la pluie acide, résultat d'une grave
pollution de l'air en Europe de l'Ouest » (PNUE 2002). Ce premier
constat de pollution transfrontalière dévoilait en effet
l'ampleur que pourraient prendre les problèmes environnementaux et la
nécessité d'une coopération internationale pour les
gérer. L'impulsion de la Conférence de Stockholm engendre
rapidement des avancées significatives aux niveaux législatif et
institutionnel (voir partie I).
Cependant, suite aux chocs pétroliers et au
ralentissement de la croissance économique, les questions d'ordre social
supplantent les questions environnementales.
Vers le milieu des années 80, une série
d'accidents catastrophiques (Bhopal, Tchernobyl, Exxon Valdez) replace
l'environnement à l'ordre du jour. La Commission Brundtland met en avant
« des problèmes d'environnement tels que le
réchauffement mondial et l'épuisement de la couche d'ozone, des
problèmes qui à l'époque étaient tout à fait
nouveaux » (PNUE 2002) et conçoit la notion de
développement durable. Si le Sommet de Rio en 1992 réitère
les principes énoncés à Stockholm vingt ans plus
tôt, l'environnement a cependant changé de paradigme.
« Il est désormais admis que la
réduction de la pauvreté, le développement
économique et la stabilité de l'environnement sont des objectifs
qui doivent se soutenir mutuellement. Cela constitue une révision
déchirante par rapport aux conceptions qui prévalaient durant les
années 70 et 80, qui considéraient la protection de
l'environnement et le développement économique comme des
objectifs contradictoires. » (PNUE 2002)
Cette évolution est notable au travers de l'analyse des
rapports d'experts au niveau international. Alors qu'en 1972 le Club de Rome
dénonce Les limites de la croissance, en 1987 le rapport
Brundtland Notre avenir à tous intègre la sphère
économique à la résolution des problèmes
environnementaux (et inversement).
« C'est également au cours des années
90 que, pour la première fois, des sociétés mondiales ont
pris sérieusement en compte, et de concert, l'agenda environnemental
émergent, comme le montre le rapport du Conseil mondial des entreprises
pour le développement durable de 199289(*). » (AEE 2005 : 32)
L'intégration de la sphère économique
dans la gestion des problèmes environnementaux aura un impact au niveau
des instruments utilisés pour solutionner ces mêmes
problèmes (voir partie I).
Alors que la mondialisation s'accélère durant
les années '90, l'environnement n'est à nouveau plus
considéré comme une priorité.
Les années 2000 voient renaître
l'intérêt porté à l'environnement. Le Sommet de
Johannesbourg (2002) sert par exemple de théâtre à la
consécration du Président français Jacques Chirac sur la
scène internationale environnementale avec sa fameuse tirade
« La maison brûle et nous, nous regardons ailleurs ».
Comme cela aura été le cas avec la couche
d'ozone pendant les années 80, le changement climatique catalyse et
médiatise les problématiques environnementales. Le succès
du film Une vérité qui dérange avec Al Gore
(2006) en témoigne et amplifie le phénomène.
Pour résumer l'impact des sommets des Nations Unies, si
Stockholm représente une prise de conscience de l'ampleur des
problèmes, Rio consacre l'intégration de l'économie dans
la sphère environnementale, et Johannesbourg est un cuisant rappel de
l'inaction des gouvernements sur des thématiques majeures.
5. Le Programme des cent mesures pour
l'environnement
Dans son ouvrage L'invention de l'environnement en
France : Chronique anthropologique d'une institutionnalisation
(2003), F. Charvolin analyse la construction du premier programme pour
l'environnement. Nous exposons les points qui dévoilent les origines du
domaine politico-administratif impartie au ministère en 1971 - soit
l'année suivant l'adoption du programme. Pour rappel, le Premier
ministre charge la DATAR de coordonner l'élaboration du programme en
octobre 1969.
Charvolin applique le concept de transcodage90(*) des politiques publiques,
défini par P. Lascoumes, à l'examen de la lettre de mission du
Premier ministre, qui présente l'environnement, encastré d'une
« énumération de formules »
hétérogènes, comme un « terrain
d'exploration ».
« Protection des sites et des paysages
renvoie à la loi du 2 mai 1930 sur les sites naturels et les monuments
historiques ; destruction des déchets réfère
au décret du 13 avril 1962 relatif aux épaves automobiles et aux
déchets ; ou encore protection des parcs naturels renvoie
à la loi de 1963 sur les parcs nationaux, etc. Par ces labels, la
lettre de mission va contribuer à orienter l'enquête uniquement en
signalant les domaines administratifs qui devront être inclus et en
conséquence les audiences administratives qui devront être
consultées, montrant que derrière le discours de la
nouveauté se glisse en fait le recyclage des politiques publiques
existantes. »
Serge Antoine constitue son équipe principalement au
sein de la DATAR mais également au sein des autres domaines
administratifs d'intérêt pour la mission. Fort de son «
réseau relationnel », « elle contacte les
ministères qui avaient déjà acquis une
légitimité dans des champs qui semblaient concerner
l'environnement. »
Les premières ébauches de mesures subissent les
négociations interministérielles d'attributions de
compétences. « L'environnement n'était pas
spécifié au départ, il le devient uniquement à la
fin, en fonction des impératifs de la mise en oeuvre (...) notamment
l'estimation chiffrée du coût de chaque mesure, son affectation
à une ligne budgétaire ministérielle et par suite une
réflexion sur la façon dont elle prend place dans la politique
des ministères concernés. (...) Chacune des sept
premières rubriques de la liste finale de juin 1970 renvoie
implicitement à une administration différente. »
6. Graphiques relatifs aux émissions de
CO2
a)
b)
Source : Centre Interprofessionnel Technique
d'Etudes de la Pollution Atmosphérique (CITEPA), Emissions dans
l'air en France métropole ; Substances relatives à
l'accroissement de l'effet de serre (mise à jour 2007),
http://www.citepa.org/emissions/nationale/index.htm
7. Influence du mode de vie des ménages sur
l'environnement
Les modes de vie des ménages ont des incidences
directes et indirectes sur la qualité de l'environnement, et donc sur la
qualité de leur cadre de vie (air, eaux, sols...). Les ménages
sont partie prenante de la stratégie nationale de développement
durable. Ils peuvent agir pour la résolution des problèmes
environnementaux, soit de manière directe par leurs pratiques
domestiques et l'usage de leur voiture par exemple, soit par leur choix de
consommation.
On entend par ménage l'ensemble des occupants d'une
résidence principale. En 2004, on compte 25 millions de
ménages en France, c'est-à-dire 78% de plus qu'en 1960. En
comparaison, la croissance démographique n'est que de 32% sur la
même période. La structure des ménages a également
évolué : un ménage était constitué de
3,2 personnes en moyenne en 1960, contre 2,4 en 2004. Sur la même
période, la moyenne d'âge de la population a augmenté et le
partage de l'emploi entre hommes et femmes s'est modifié. Ces
évolutions ont influencé les changements de modes d'habitat, de
mobilité, de consommation courante des ménages.
L'habitat est devenu l'un des premiers postes
de dépenses des ménages : il représente 24% des
dépenses totales en 2004 (soit 8 650 € courants/ménage),
contre 11% en 1960. L'acquisition de biens et équipements de la maison a
de plus été multipliée par 3,6 en 40 ans (prix constants).
L'accès à la propriété, l'individualisation de
l'habitat, l'agrandissement des surfaces habitées, l'amélioration
du confort, contribuent à l'accroissement des émissions de gaz
à effet de serre et sont en partie responsables de l'artificialisation
des sols.
La mobilité
quotidienne motorisée concerne plus de ménages
qu'auparavant et les dépenses qui lui correspondent ont
été multipliées par 5 (prix constants) pour l'ensemble des
ménages. Cependant, la part des dépenses consacrées au
transport (achat du véhicule, entretien, carburant) a peu
évolué dans la structure de consommation d'un ménage :
elle est de 9% en 1960 contre 13% en 2004. Les distances parcourues globales se
sont considérablement accrues (+49% entre 1988 et 2004) et sont
synonymes de pollution de l'air et d'émissions de gaz à effet de
serre.
Les dépenses de consommation
alimentaire des ménages ont doublé à prix
constants sur 40 ans et se sont accompagnées d'un changement des modes
alimentaires : plus de produits "prêts à l'emploi", de
produits laitiers et carnés... Cependant, la part du budget
consacrée à l'alimentation par les ménages a
diminué par rapport à celle consacrée à l'habitat,
notamment du fait de l'industrialisation de la chaîne de production
alimentaire. Les impacts environnementaux directs, comme la production de
déchets, s'accentuent. Les impacts indirects, tels que la production de
gaz à effet de serre, sont liés à l'assujettissement de la
chaîne de production alimentaire à la consommation
d'énergie et à sa dépendance vis-à-vis des
transports.
Source : Ifen,
http://www.ifen.fr/acces-thematique/societe/menages/menages.html?taille
8. Graphiques relatifs à
l'énergie
a) Croissance économique et consommation
d'énergie par habitant
Source : Observatoire de l'énergie
b) Evolution de l'intensité
énergétique91(*) par secteur
Source : Ministère de l'Économie,
des Finances et de l'Industrie, Tableaux des consommations d'énergie
en France - Édition 2000,
http://www.industrie.gouv.fr/energie/statisti/tcef2000.htm
9. Graphiques relatifs aux déchets
a) Progression de la production de déchets en
provenance stricte des ménages
b) Le parc des installations de traitement
c) Le devenir des ordures ménagères
Source : ADEME, Les déchets en chiffres
- Edition 2007, pp. 5-7,
http://www2.ademe.fr/servlet/getDoc?cid=96&m=3&id=45128&p1=00&p2=05&ref=17597
10. Graphiques et tableaux relatifs au
tourisme
a) Evolution du taux de départ des personnes
résidant en France
Source : Ministère du Tourisme,
Vacances des Français ; les générations se
suivent et se ressemblent... de plus en plus, In Tourisme Infos Stat
n° 2007 - 6,
http://www.tourisme.gouv.fr/fr/z2/stat/tis/att00015987/TIS_2007-6.pdf
b) Evolution des comportements de tourisme
1- Avant 1984 : forte augmentation des départs
en vacances. Le modèle de vacances : « un mois entier
à la même place » ;
2- 1984-1990 : fragmentation des séjours avec
décroissance de la durée moyenne de séjours. Le
modèle : « plus souvent, plus loin, moins longtemps » ;
3 - Après 1990 : développement des
courts séjours et du tourisme urbain, diversification des
destinations. Le modèle : « plus souvent, plus
diversifié, plus culturel » ;
4 - Depuis 2000 :
développement des excursions et des loisirs de «
proximité » tout au long de l'année. Certains
Français deviennent des zappeurs du tourisme.
c) Pourquoi l'augmentation de la mobilité
loisir-tourisme ?
- des plages plus larges et plus fréquentes de temps
libérés ;
- une augmentation du nombre de célibataires et des
couples sans enfant surtout dans les grandes agglomérations, avec des
revenus plus élevés;
- des retraités plus jeunes, plus urbains et
éduqués à la culture des loisirs pendant leur vie active
;
- une diminution importante du pourcentage d'actifs depuis 20
ans
- une offre marchande de loisir et de culture qui se
développe rapidement et qui tente de capter une clientèle de
proximité. Notamment, la politique des promoteurs et des
aménageurs des grands centres commerciaux est orientée dans cette
direction en remplaçant la locomotive « hyper marché »
par le multiplexe, le parc de loisir ou la reconstitution du terroir.
Source b et c : Potier Françoise (2006),
« Problématique des flux de transport : Mobilité
Loisir-Tourisme », in Démarche prospective transports
2050, pp. 7 et 17,
http://64.233.183.104/search?q=cache:__kpMRz2IHIJ:www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/prosp.tr.2050_-_rapp.tourisme.31.mars.06_cle792d62.pdf+Probl%C3%A9matique+des+flux+de+transport+:+Mobilit%C3%A9+Loisir-Tourisme&hl=fr&ct=clnk&cd=1&gl=fr
11. Graphiques relatifs aux transports (1970 -
1995)
Source : OCDE (1997),
Examens
des performances environnementales ; France, OCDE, Paris.
12. Graphiques relatifs aux transports (1990 -
2002)
Source :
OCDE (2005),
Examens environnementaux ; France, OCDE, Paris.
13. Graphiques relatifs à la pollution acide de
l'air
a)
b)
c)
Source : Centre Interprofessionnel Technique
d'Etudes de la Pollution Atmosphérique (CITEPA), Emissions dans
l'air en France métropole ; Substances relatives à
l'acidification, l'eutrophisation et à la pollution photochimique (mise
à jour 2007),
http://www.citepa.org/emissions/nationale/index.htm
14. Typologie des
instruments
Type d'instrument
|
Type de rapport politique
|
Type de légitimité
|
Législatif et réglementaire
|
Etat tuteur du social
|
Imposition d'un intérêt général par
des représentants mandatés élus ou des hauts
fonctionnaires
|
Economique et social
|
Etat producteur de richesse,
Etat redistributeur
|
Recherche d'une utilité collective
Efficacité sociale et économique
|
Conventionnel et incitatif
|
Etat mobilisateur
|
Recherche d'engagement direct
|
Informatif et communicationnel
|
Démocratie du public
|
Explicitation des décisions et responsabilisation des
acteurs
|
Normes et standards
Best practices
|
Ajustements au sein de la société civile
Mécanismes de concurrence
|
Mixte : scientifico-technique et démocratiquement
négociée et/ou concurrence, pression des mécanismes de
marché
|
Source : Lascoumes Pierre et Le Galès
Patrick (dir.) (2004), Gouverner par les instruments, Presses de la
Fondation nationale des Sciences Politiques, Paris, p. 361.
15. Liste des instruments de la politique
française de l'environnement
(classés en fonction des types d'instruments
identifiés par Lascoumes et Le Galès)
Source : Halpern Charlotte (2007), La
politique de l'environnement : comparaison et transferts. Les effets
limités de l'innovation instrumentale pour analyser le changement de
l'action publique en France et dans l'UE, sous la dir. de Le Gales
Patrick, in NEWGOV, New Modes of Governance, Integrated Project,
Priority 7 : Citizens and Governance in the Knowledge-based Society,
Project 9 : Choice and Combination of Policy Instruments, pp. 26-27.
* 1 Ministère de
l'Ecologie, de l'Energie, du Développement Durable et de
l'Aménagement du Territoire, créé en 2007.
* 2 Parmi les multiples
appellations qu'aura connues le ministère de l'Environnement (voir
annexe n° 1) depuis sa création en 1971, nous utiliserons cette
formule générique, raccourcie par les initiales ME, lorsque le
contexte ne nécessite pas plus de précision.
* 3 Ainsi, le rapport
français sur l'Etat de l'environnement pour l'année 1989
ne compare que les émissions de SO2 au PIB (ME
1990 : 132) - choix par ailleurs significatif vu qu'il s'agit sans doute
du découplage le plus spectaculaire.
* 4 Extrait de la
Déclaration du G7 à l'issue du Sommet de Houston, 1990 :
« Il est particulièrement important de mettre au point
rapidement des indicateurs en matière d'environnement et de concevoir
des approches tenant compte du marché, qui puissent être
utilisés pour réaliser les objectifs en matière
d'environnement. » (OCDE 1991 : 11)
* 5 Selon
l'Eurobaromètre 2008, 74 % des Français estiment que le
progrès national devrait être évalué sur base
d'indicateurs sociaux, environnementaux et économiques, contre 11 % qui
n'optent que pour les indicateurs économiques. (TNS Opinion & Social
2008 : 111)
* 6 « Premier principe : tous les
grands projets publics, toutes les décisions publiques seront
désormais arbitrées en intégrant leur coût pour le
climat, leur coût en carbone. Toutes les décisions
publiques seront arbitrées en intégrant leur coût pour la
biodiversité. Très clairement, un projet dont le coût
environnemental est trop lourd sera refusé.
Deuxième principe, nous allons renverser la charge de
la preuve. Ce ne sera plus aux solutions écologiques de prouver leur
intérêt. Ce sera aux projets non écologiques de prouver
qu'il n'était pas possible de faire autrement. Les décisions
dites non écologiques devront être motivées et
justifiées comme ultime et dernier recours. »
(Discours du Président de la République à
l'issue des premières conclusions du Grenelle, 25 octobre 2007)
* 7 La
référence aux Accords de Grenelle de mai 1968 souligne cette
intention d'ouverture aux différents acteurs.
* 8 A son adoption en octobre
2008, la loi d'orientation Grenelle 1 comprend la mise en place d'une
trame verte et bleue mais retarde par contre l'instauration de la taxe carbone,
qui demeure à l'étude.
* 9 Les Trente
Glorieuses est une expression inventée en 1979 par
l'économiste français Jean Fourastié pour désigner
la période d'expansion économique continue de 1945 à 1973.
(Wikipédia)
* 10 La FFSPN regroupe la
Société nationale de protection de la nature, la Ligue de
protection des oiseaux et des dizaines d'autres associations à vocation
locale ou régionale.
* 11 L'Alliance pour la planète
rassemble environ 80 organisations membres, dont
France
nature environnement,
Les Amis de la
Terre,
Greenpeace,
WWF,
Réseau
Action Climat et, à sa fondation, la
Fondation
Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme et le
Réseau
Sortir du Nucléaire.
* 12 Hulot obtient 10 %
d'intention de vote, dans un contexte de voix serrées entre le candidat
de droite Nicolas Sarkozy et la candidate de gauche Ségolène
Royal.
* 13 Le Pacte
écologique dénonce l'évolution de
l'inter-ministérialité : « Ce qui pouvait
être la force de ce ministère, à savoir sa
transversalité, est devenu sa faiblesse. » Afin de
dépasser le rapport de force inégal avec les ministères
plus puissants, Pour Nicolas Hulot et le Comité de veille
écologique proposent de placer l'environnement sous la direction d'un
vice-Premier ministre chargé du Développement durable
qui serait responsable de l'insertion de l'impératif
écologique dans l'ensemble des politiques de l'Etat. (Hulot 2007 :
199-208)
* 14 En 1981, Brice Lalonde
publie un livre intitulé Sur la vague verte. Mais l'expression,
qui s'applique mieux à l'époque où Lalonde est
secrétaire d'Etat chargé de l'Environnement, sera reprise par les
commentateurs de 1989.
* 15 Les investitures
précédentes de candidats écologistes comprennent celle de
Brice Lalonde dans le gouvernement de gauche de Michel Rocard (1988-1992) et
celle de Corine Lepage (CAP 21) dans le gouvernement de droite d'Alain
Juppé (1995-1997).
* 16 Certains critiques blâment
l'intervention politique de Nicolas Hulot, qui aurait fait de l'ombre aux
Verts. Hulot a certes prôné une écologie au
delà des clivages politiques, symboliquement cautionnée par les
candidats au travers de la signature du Pacte écologique. Cependant, il
ne faut pas perdre de vue la forte polarité de l'élection
présidentielle de 2007 : les deux principaux candidats sont des
primo-accédants, ce qui les oblige à défendre leurs
programmes respectifs avec plus de puissance. Cette
particularité a sans doute conduit, dès le premier tour, à
une polarisation parallèle de l'électorat. De plus,
l'expérience de ministre de l'Environnement de la candidate socialiste
Ségolène Royal (1992-1993) avait le potentiel d'attirer
l'électorat hésitant entre le vert et le rose.
* 17 Le cheminement de Brice Lalonde
est symptomatique de ce processus d'intégration. Soixante-huitard, il
débute sa carrière d'écologiste au sein des Amis de la
Terre ; vingt ans plus tard, il intègre le gouvernement ; en
2007, il est nommé Ambassadeur chargé des négociations sur
le changement climatique. (Le Monde, 26/09/07). Notons que son retour sur la
scène politique est lié à la nomination au ME de
Jean-Louis Borloo, avec qui il avait fondé Génération
Ecologie au début des années 90.
* 18 Notons par ailleurs que
les associations de consommateurs bénéficient en France d'une
confiance presque aussi importante que les associations
environnementales ! (Eurobaromètres 2002 et 2008)
* 19 Apparu en 1948 dans
Théorie mathématique de la communication.
* 20 Un sondage de
l'Eurobaromètre 2008 sur les principales sources d'information
environnementale indique qu'en France, les films et les reportages à la
télévision en représentent pas moins de 45 %, arrivant en
deuxième position derrière le JT, contre seulement 6 % pour les
livres ! (TNS Opinion & Social 2008 : 109)
* 21 Par prudence en regard
du thème actuellement très politisé, l'interviewé a
préféré que nous n'enregistrions pas l'entretien.
Construit sur base de notes et d'articles provenant du site de la
Représentation Permanente de la France auprès de l'UE, le texte
ne constitue par conséquent pas les propos exacts du diplomate.
* 22 Crée en juillet
1969, « Le ministère du développement industriel et
scientifique, dont le seul nom porte témoignage d'une volonté
politique précise, étend considérablement les attributions
du département de l'industrie tel qu'il existait au cours du premier
semestre de 1969, et il doit animer une triple politique de l'industrie et du
commerce, de la technologie et de la recherche. » (Bazin 1973 :
427)
* 23 Si les premières
expériences de parcs naturels régionaux en offrent
l'illustration, l'effort le plus achevé d'harmonisation par la DATAR
concerne la politique de l'eau (voir infra).
En avril 1969 se forme au sein de la DATAR un groupe de
travail informel « pour explorer les perspectives d'une action
interministérielle dans le domaine de l'environnement ».
(Bazin 1973 : 53-55, 68)
* 24 « La DATAR
présente enfin l'avantage de ne pas être rattachée à
l'un ou à l'autre des divers ministères mais, par
l'intermédiaire d'un ministre délégué, au Premier
ministre. Cette situation évite d'accorder à un
département ministériel en particulier un rôle
privilégié qui pourrait être difficilement reconnu par les
autres ministères - ce qui paralyse souvent la coordination
interministérielle. » (Bazin 1973 : 69)
* 25 Direction
générale de la protection de la nature au sein du
ministère de l'Agriculture, direction de la technologie, de
l'environnement industriel et des mines au sein du ministère du
Développement Industriel et Scientifique, mission permanente de
l'environnement au sein du ministère de l'Equipement et du Logement.
* 26 Voir dernière
note.
* 27 F. Charvolin relate l'analyse de
Jacques Belle, premier directeur de cabinet de Robert Poujade :
« Ministre délégué, ça dénote
à la fois subordination mais également vocation
interministérielle, puisque placé auprès du Premier
ministre. Cette vocation était très importante au départ.
Il fallait démarrer sur la base interministérielle, puisqu'il
fallait rassembler les éléments, les compétences,
liés à certaines administrations. » (Charvolin
2003 : 87)
* 28 « Dire que
l'on met dans le même ministère, voire dans la même
direction, à la fois les intérêts de ceux qui pèsent
quelques milliards et ceux qui défendent des impératifs moins
matériels, c'est possible mais ce n'est pas facile... »
(Comité d'histoire du ministère 2007 : 82)
* 29 Notons cependant que le
nouveau ministre de l'Agriculture, Michel Barnier, a rempli avec
efficacité le poste de ministre de l'Environnement de 1993 à
1995.
* 30
« L'urbanisation de la France, qui a eu lieu beaucoup plus
tardivement que celle de ses voisins européens, s'est achevée
à la fin des années 70. A cette époque, une aspiration
à la qualité commençait à naître après
une période consacrée essentiellement à la
quantité. » (Comité d'histoire du ministère
2007 : 74)
* 31 De façon plus
générale, la problématique du développement durable
a été intégrée tardivement dans la politique
française. A peine évoquée par le PNE, il faut attendre la
loi Barnier relative au renforcement de la protection de l'environnement (1995)
pour que l'Etat intègre cette perspective comme objectif directeur.
(Rumpala 1999 : 274-276)
* 32 Bien que le budget du ME
représente une part minoritaire (environ 30 % en 2005) des
dépenses publiques pour l'environnement, nous nous limitons à
l'analyse de son évolution car il est représentatif de
l'engagement du gouvernement.
* 33 « Le
véritable budget de l'environnement provient de crédits
dégagés par les autres ministères. » (Chevallier
1999 : 41)
* 34 Organisée de
manière opportune le 15 février 2007, la journée
d'étude sur « l'expérience du ministère de
l'Environnement et du Cadre de vie » peut être comparée
à une agora pour les fonctionnaires en période de débats
sur la réorganisation du ME. Ce ministère, sous la direction de
Michel d'Ornano de 1978 à 1981, est globalement considéré
comme un exemple de grand ME. Notons que ce n'est pas le ME mais le
ministère des Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer qui
organise cette journée d'étude !
* 35 Notons que la première
théorisation sur le changement climatique date de 1896 ! Le
chimiste suédois Svante A. Arrhenius publie l'article De l'influence
de l'acide carbonique dans l'air ... Sur la température de la
terre, dans lequel il estime qu'un doublement du taux de CO2
causerait un réchauffement d'environ 5° C. (Wikipédia)
* 36 « De plus,
les projets de surgénérateurs se sont développés
sur la base de leur capacité supposée à réutiliser
le plutonium, sous-produit des centrales classiques. (...) L'impasse est faite
tant sur les activités plus discrètes, mais continues, du
nucléaire militaire que sur les risques qui demeurent non
maîtrisés [la sécurité et les
déchets]. » (Lascoumes 1994 : 304)
* 37 Concernant la part de
l'espace protégé en France, « En trente ans, on est
passé de 0,1 % à près de 10 % ». (Antoine
1994-95 : 16)
* 38 Nous entendons le
terme « social » par le rapport aux individus de la
société et non à la dimension du travail. Dans notre
analyse, le pilier social du développement durable est
intrinsèquement lié à la perspective économique.
* 39 Extrait du discours du
Président Georges Pompidou à Chicago en 1970.
* 40
« Organisé par le PNUE et par la Commission des Nations Unies
pour le commerce et le développement (CNUCED), le colloque de Cocoyac a
dressé la liste des facteurs économiques et sociaux qui
entraînaient une détérioration de
l'environnement. » (PNUE 2002)
* 41 « Du fait du
caractère immatériel de sa production, le développement du
tertiaire est présenté comme une
dématérialisation de l'économie qui n'est pas
censée engendrer de nuisances importantes. La croissance des
activités de services est supposée réduire l'impact
relatif de la croissance économique sur l'environnement. »
« Cependant, les connaissances manquent pour dresser un bilan des
pressions réellement exercées par les services. »
Ainsi, « ce constat en faveur des économies
tertiarisées est moins évident si l'on prend en compte l'ensemble
des flux indirects associés. » (Ifen 2006 : 153, 168)
* 42 « Cette
tendance résulte de l'individualisation des modes de vie, de
l'accroissement des divorces, du vieillissement, de l'effritement des modes
traditionnels de cohabitation et de la fécondité
réduite. » (Ifen 2006 : 31)
* 43 « Après le boom
des années soixante et soixante-dix, la consommation pour
l'équipement des ménages s'est ralentie. La quasi-totalité
des ménages, même les plus modestes, possède aujourd'hui un
lave-linge, un réfrigérateur, un four à micro-ondes ou une
télévision. En outre, le multi-équipement,
c'est-à-dire le fait de détenir plusieurs exemplaires d'un
même équipement, progresse que ce soit pour la voiture, la
télévision ou le micro-ordinateur. » (Ifen 2006 :
32)
* 44 Nous observons une
évolution similaire au niveau des ressources : un
découplage absolu entre l'intensité ressources (DCM/PIB) et le
PIB et un découplage relatif entre la consommation de ressources par
habitant et le PIB. Néanmoins, les valeurs de ce dernier indicateur
restent globalement stables depuis 1970, ce qui s'explique par une relative
maîtrise de la consommation des produits pétroliers liée au
développement de l'électronucléaire. (Ifen 2006 :
167)
* 45 « La consommation totale
du secteur se subdivise dans des proportions voisines de 2/3 pour les
bâtiments d'habitation et 1/3 pour le tertiaire (bureau, commerces,
hôpitaux, établissement d'enseignement, hôtels). »
(Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie 2006)
* 46 La part du secteur des transports
dans les consommations énergétiques est passée d'un
cinquième en 1970 à presque un tiers en 2005. (Ministère
de l'Économie, des Finances et de l'Industrie 2006)
* 47 L'OCDE constate au
niveau de ses pays membres la même corrélation entre baisse de
l'intensité énergétique et aléas
économiques. D'une part, au niveau des conséquences des chocs
pétroliers. Et d'autre part, au niveau de la délocalisation des
activités industrielles à forte intensité
énergétique : « La croissance de la production
industrielle totale a été très forte dans les pays de
l'OCDE (...), mais s'est concentrée dans l'industrie
légère et dans les secteurs de haute technologie. Nombre de
branches d'activité à forte intensité
énergétique, comme la sidérurgie, ont en fait connu une
baisse. » (OCDE 1997 : 97)
* 48 « On
enregistre en effet une amélioration moyenne annuelle de 1,2 % entre
1996 et 2005. Une telle décroissance n'avait pas été
enregistrée depuis plus de 20 ans. »
(Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie 2006)
* 49 Au niveau national, la
forte croissance jusqu'à la fin des années 80 est
« essentiellement due au comportement générationnel,
les nouvelles générations partant systématiquement plus
que leurs aînées au même âge. Ainsi, la
génération née entre 1940 et 1944 est la première
à connaître un taux de départ moyen supérieur
à 60 % sur l'ensemble de sa vie. Toutes les générations
suivantes ont un taux de départ moyen au cours de leur vie compris entre
60 % et 65 %. (...) Avec la fin du rattrapage générationnel,
le taux de départ se stabiliserait structurellement autour de 65
%. » (Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi
2007 : 2)
* 50 « A ces séjours
touristiques, il faut aussi ajouter les flux des étrangers qui viennent
en France sans passer de nuit, soit ils transitent, soit ils viennent faire une
excursion touristique. On estime que ces flux sont au nombre de 100 millions en
2002, plus de 5 fois plus qu'il y a 30 ans. » (Potier 2006 :
10)
* 51 « En 1964,
les séjours duraient en moyenne 19,6 jours contre 11,7 jours en
1999. » (Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi
2007 : 4)
* 52 De nos jours,
l'automobile est le moyen de transport de 80 % des séjours touristiques
en France.
* 53 « À
l'échelle européenne, le volume de transport de passagers
augmenterait moins vite que le PIB depuis 1998. » (Ifen 2006 :
134)
* 54
« L'écart de prix entre le diesel et l'essence en France est
parmi les plus élevés de l'UE. » (OCDE 2005 :
48)
* 55 Le taux de motorisation a
pratiquement doublé entre 1970 et 2005, passant de 25 à 49
voitures particulières pour 100 habitants.
* 56 « Le nombre de couples
bi-actifs est devenu supérieur au nombre de couples mono-actifs en 1973.
Aujourd'hui, 80% des femmes en âge de travailler,
travaillent. » (Potier 2006 : 15)
* 57 A ce sujet, il nous semble
intéressant de noter que « l'accroissement du trafic
constaté dans les pays de l'OCDE au cours des cinquante dernières
années peut être attribué davantage à l'allongement
des trajets qu'à l'augmentation du nombre de
déplacements ». (OCDE 1997 : 115)
* 58 De 1970 à 1990,
les distances domicile-travail ont été multipliées par
deux. (ME 1990 : 162)
* 59 Potier développe
cette corrélation dans Problématique des flux de transport :
Mobilité Loisir-Tourisme : « Le tourisme s'inscrit
dans le mouvement général d'accroissement de la mobilité.
Il en est même le moteur principal. (...) En 2003, la mobilité
loisir-tourisme des Français représente 55 % de l'ensemble des
kilomètres parcourus en France. » Ainsi, en 30 ans, le moteur
prépondérant de la mobilité locale quotidienne est
passé de la mobilité liée au travail à celle
liée aux loisirs. (2006 : 4)
* 60 « Entre 1996 et 2002, le
poids moyen des petites voitures citadines s'est accru d'environ 100 kg. Par
ailleurs, la structure du parc a évolué et la part des
véhicules tout terrain, très lourds, n'a pas cessé
d'augmenter dans les ventes de véhicules particuliers (VP) : de 1,3 % du
marché VP en 1996, elle est passée à 5,1 % en
2004. » (Ifen 2006 : 142) Ceci a également un impact au
niveau de la consommation de ressources - matières.
* 61 Les impacts de ces
pollutions sur la santé et sur les écosystèmes sont
graves. Les particules sont les principaux polluants à l'origine des
décès actuels en Europe, et environ un quart de la population
européenne est aujourd'hui exposée à des niveaux au dessus
des valeurs limites pour les deux problématiques. L'ozone dans l'air
retarde la croissance des cultures et nuit au feuillage des arbres. (AEE
2005 : 98-103)
* 62 A titre
d'exemples :
- la création du Conseil mondial des entreprises pour
le développement durable en 1995
- la création d'ISO 14000, norme volontaire pour les
systèmes de gestion environnementale dans l'industrie, en 1996
- la tendance auprès des grandes entreprises de
présenter des rapports sur leur action environnementale
(PNUE 2002)
* 63 « L'Union
européenne adopte un plan d'action pour promouvoir les
écotechnologies (technologies ayant moins d'effets négatifs sur
l'environnement que d'autres techniques appropriées) afin de
réduire la pression sur les ressources naturelles, d'améliorer la
qualité de vie des européens et de favoriser la croissance
économique. Ce plan d'action cherche à éliminer les
obstacles à l'exploitation de tout le potentiel des
écotechnologies, à faire en sorte que l'Union joue un rôle
dominant dans leur application et à mobiliser toutes les parties
concernées dans la poursuite de ces objectifs. » (UE)
* 64 Nous avons choisi de
traiter des impacts des pluies acides au niveau européen étant
donné qu'il s'agit d'un enjeu régional. De plus, le territoire
français n'est que partiellement affecté par les pluies acides
(essentiellement le nord-ouest).
* 65 « L'indicateur "acide
équivalent" (Aeq) vise à caractériser la quantité
globale de substances rejetées dans l'atmosphère qui contribuent,
à des échelles géographiques et temporelles variables, aux
phénomènes d'acidification des milieux terrestres, aqueux et
aériens. » (CITEPA)
* 66 « Les
émissions d'ammoniac [NH4] de l'agriculture sont difficiles à
calculer et encore plus compliquées à contrôler. Elles
devraient s'être largement stabilisées en même temps que le
nombre de têtes de bétail des exploitations agricoles
européennes. » (AEE 2005 : 93-97)
* 67 « La notion a
souvent été entendue négativement (faire du neuf avec du
vieux...) alors qu'il faut l'entendre positivement dans un sens
économique comme « la création de nouvelle valeur ».
(Lascoumes 2008 : 2)
* 68 Cette tendance
s'exprime également aux niveaux de l'Europe et de l'OCDE.
* 69 L'expression est notamment
employée par
Pascal Gauchon dans
son ouvrage Le modèle français depuis 1945 (2006) pour
décrire le fonctionnement du
modèle
économique dans lequel l'État joue un rôle très
important. (Wikipédia)
* 70 Notons que le
Conseil
constitutionnel français réaffirme que la France est
pleinement souveraine, distinguant transferts de compétences et
transferts de souveraineté. (Wikipédia)
* 71 À l'origine, existait
seulement la constatation en manquement mais sans sanction. Du fait de la
multiplication des manquements sur manquement, la CJCE a appelé à
une réforme du recours en manquement ; réforme qu'elle a
obtenu lors de l'adoption du Traité de Maastricht (1993) qui a
institué cette procédure de l'article 228§2.
(Wikipédia)
* 72 Ainsi, en France,
« pour ce qui concerne le programme de réduction du
SO2, jusqu'à la mise en oeuvre de la directive 80/779 CEE, il
n'y avait pas vraiment d'objectif de qualité en termes de milligrammes
de SO2 par mètre cube d'air ». (Chabason et Larrue 1998 :
73)
* 73 Notons qu'en d'octobre
2008, le gouvernement annonce un budget de 400 millions d'euros pour favoriser
la R&D des « véhicules propres », soit dix fois
plus qu'en 2003. Cette large augmentation est à lier à la place
grandissante de l'enjeu climatique sur la scène politique.
* 74 Il existe
également une « osmose entre les différents ordres
juridiques dans le domaine de l'environnement ». Si l'influence
extérieure sur la France est évidente, l'inverse l'est moins.
Ainsi, la législation française sur les installations
classées, dont l'origine remonte à 1810, a
pénétré dans le droit international, puis dans le droit
européen. (Kiss 1999 : 58-59)
* 75 Par prudence en regard
du thème actuellement très politisé, l'interviewé a
préféré que nous n'enregistrions pas l'entretien.
Construit sur base de notes et d'un article d'EurActiv, le texte ne constitue
par conséquent pas les propos exacts du diplomate.
* 76 « Les menaces
de « fuite de carbone », c'est-à-dire la
délocalisation des industries européennes les plus polluantes
vers des pays tiers, n'auraient pas seulement des conséquences
néfastes en terme de compétitivité et d'emploi. Elles
pourraient également rendre totalement inefficace le plan
européen de lutte contre le réchauffement climatique, puisque les
émissions de gaz à effet de serre, simplement
déplacées, continueraient à être nocives au niveau
mondial. » (EurActiv, 29/01/08)
* 77 Extrait du discours du
Président de la République à l'issue des premières
conclusions du Grenelle, 25 octobre 2007.
* 78 Le modèle PER de
l'OCDE présente l'avantage d'être plus succinct que le
modèle DPSIR (Driving Force, Pressure, State, Impact, Response)
développé par l'AEE.
* 79 Le système ne devient
opérationnel qu'à partir de 1970 car, dix ans après le
vote de la loi, un certain nombre de décrets d'application n'ont pas vu
le jour. (Poujade 1975 : 74 ; Vallet 1975 : 197-198 ; Prieur
1991 : 463)
* 80 L'intégration
des concepts d'environnement et de développement durable devra attendre
le plan quinquennal de 1993-1997 !
* 81 La majorité de
la dépollution est prise en charge par les établissements
industriels, même si une progression importante du taux de raccordement
aux stations d'épuration assure une dépollution
supplémentaire non négligeable pour les MO et les MES. (Ifen 1996
: 52-53)
* 82 « Les volumes
destinés à l'irrigation n'étant pas mesurés de
façon exhaustive, il est difficile d'en dégager des
tendances. » (Ifen 2006 : 199)
* 83 Cette tendance
s'observe de manière globale sur l'ensemble de l'Europe. (AEE 2005 :
127)
* 84 « Par ces contrats,
passés entre l'Etat et une branche industrielle, la profession s'engage
à réaliser un programme de réduction de pollution selon un
échéancier et des modalités précises. En
contrepartie, des aides exceptionnelles sont consenties, sans que le total du
financement puisse dépasser 80 % du montant des investissements. »
(Vallet 1975 : 197-198)
* 85 Créés au
milieu des années 80, les contrats d'agglomération
s'adressent principalement aux grandes communes présentant de faibles
taux de dépollution. « Par ces contrats, les villes s'engagent
sur des programmes pluriannuels de dépollution bénéficiant
de garanties de financement des agences de bassin. Le succès
enregistré par cet outil de programmation tient au fait que,
adaptée à la décentralisation, cette formule laisse aux
collectivités locales l'entière responsabilité des choix,
garantit une cohérence technique globale et permet détaler les
engagements et les paiements sur plusieurs périodes. »
(Secrétariat d'Etat 1990 : 101)
* 86 Le rapport Hénin, du nom
d'un chercheur à l'INRA, démontre la pollution des eaux par
l'agriculture en s'appuyant sur les relevés de teneur en nitrate dans
les cours d'eau.
* 87 Souligné dans le
texte.
* 88 Les rapports du PNUE
(2002 et 2007), de l'OCDE (1997) et de l'AEE (2005) ont servi de base à
cette analyse.
* 89 Changement de cap :
point de vue des entreprises mondiales sur le développement et
l'environnement, rédigé par 46 sociétés de
premier plan, ce rapport introduisait également le concept
d'éco-efficacité que les sociétés jugeaient
essentiel dans la communication sur le développement durable.
* 90 Emprunté au
vocabulaire de l'électronique, le terme
« transcodage » désigne ici « l'ensemble
de ces activités de regroupement et de traduction d'informations et de
pratiques dans un code différent » (Lascoumes 1994 :
22).
* 91 L'intensité
énergétique par secteur est définie comme le ratio de la
consommation d'énergie finale du secteur sur le PIB total, elle est
exprimée en indice base 100 en 1973.
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