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Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal

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par Moussa MBOW
Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004
  

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II Le recrutement au rabais

Selon plusieurs spécialistes, les dérives notées ces dernières années seraient dues à la présence dans la profession de gens qui n'y ont pas leur place. Ceux-ci seraient peu instruits (à peine le bac) et ignoreraient royalement les règles de base de l'éthique journalistique tels que le recoupement, la vérification des faits, la distinction entre faits et commentaires etc.

Au Sénégal, comme un peu partout ailleurs, le journalisme est l'un des métiers les plus ouverts. N'importe qui peut se prévaloir du titre de journaliste et obtenir les droits et devoirs y afférant sans forcément avoir suivi la moindre formation dans le domaine. Ceci est le fruit d'un des nombreux legs hérités de la tradition française. On sait qu'en France, à ses débuts le journalisme n'était pas souvent la seule fonction du journaliste. D'où la définition du mot à une époque comme étant celui qui écrit dans un journal. C'est ainsi qu'un instituteur, un écrivain... pouvait collaborer avec des journaux en y publiant ses articles. A cette époque l'écriture d'un papier peut relever d'un engagement idéologique, ou de loisir dilettante et récréatif mais rarement à but lucratif. C'est à partir du dix neuvième siècle que la profession a commencé à être codifiée, avec notamment la fameuse loi du 29 juillet 1881. Aujourd'hui en France, « le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale régulière et rétribuée l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs quotidiens ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources »140(*). Cette définition est, à quelques détails près, semblable à celle de la loi sénégalaise sur la presse du 22 février 1996. Celle-ci, en son article 23 définit comme étant journaliste : « toute personne diplômée d'une école et exerçant son métier dans le domaine de la communication, toute personne qui a pour activité principale et régulière l'exercice de sa profession dans un organe de communication sociale une école de journalisme, une entreprise ou un service de presse et en tire le principal de ses ressources ». Tout compte fait, ces deux définitions font du journalisme un métier très ouvert, à la différence d'autres comme le barreau, la médecine ... où on est obligé d'avoir un certain nombre de diplômes pour pouvoir exercer. Même si au Sénégal il y a une commission chargée d'établir des cartes professionnelles, le premier mot (si l'on peut dire) revient aux patrons de presse qui recrutent les employés de leur choix. Le hic, c'est qu'ils n'ont justement pas souvent le choix et sont contraints parfois de recruter le premier venu.

En dehors des organes de presse confirmés comme Le Soleil, Sud et Walfadjri, rares sont les journaux sénégalais constitués à majorité de journalistes professionnels. S'ils ne sont pas recrutés « sur le tas », ils sont souvent des pigistes141(*). Certains d'entre eux ont à peine le bac, d'autres, crédités d'études supérieures respectables (souvent littéraires) ont investi le secteur foisonnant de l'information, à défaut d'avoir mieux dans une société gangrenée par une conjoncture qui limite l'accès à l'emploi. Pour cette catégorie, ce n'est pas la remise en cause de l'instruction dont il s'agit, mais par exemple de l'aptitude d'une personne ayant suivi des études littéraires -sous prétexte qu'il a une bonne plume- à diriger la rubrique politique ou économie d'un journal. Des questions qui auraient mérité une connaissance pointue dans ces domaines, mais dont elle n'a que des bribes. Ajouté à cela le manque de connaissance des règles d'éthique et de déontologie, nous voilà en présence de tous les ingrédients propices à toutes formes de dérives. C'est l'avis de Tidiane KASSE, ancien rédacteur en chef de Walfadjri, il pense que : « l'apprentissage sur le tas est une des causes de dérapages car, avant de s'aguerrir, la plupart du temps, sont commis des dégâts qui auraient pu être évités par quelqu'un ayant suivi une formation. »142(*). Bara DIOUF pense de la même manière, l'ancien responsable du Soleil affirme que la floraison de journaux avec l'ouverture démocratique n'a pas été suivi de suffisamment de journalistes formés143(*).

Pourtant, ce ne sont pas des journalistes formés qui manquent actuellement sur le « marché » avec la confirmation du CESTI (Centre d'études des sciences et techniques de l'information) comme la plus grande école de journalisme de l'Afrique de l'Ouest et surtout avec la naissance de l'ISSIC (Institut supérieur des sciences de l'information et de la communication), première école privée au Sénégal. Créé en 1965, le CESTI a formé plusieurs générations de journalistes aussi bien sénégalais qu'africains de la presse écrite et audiovisuelle. Profondément en accord avec une société en pleine mutation, cette école offre un enseignement avec plusieurs déclinaisons du métier : journalisme politique, sportif, scientifique, juridique, économique...Quant à l'ISSIC, il fut créé en 1996 par le groupe Sud-Communication. Tout comme le CESTI, cet institut offre une formation adaptée à l'exercice du métier avec des spécialisations aussi diverses que variées. De toute évidence, il ne manque pas de journalistes bien formés, mais ceux-ci ne sont pas aussi malléables et corvéables que la plupart de ceux qui n'ont pas suivi de formation. Les patrons de presse les trouvent « gourmands » pour ce qui est du traitement salarial et trop exigeants concernant les conditions de travail144(*). Pour les sortants des écoles de journalisme, la durée de la période d'essai ne peut excéder deux mois. Après le recrutement, ils perçoivent un salaire au moins équivalent à celui correspondant au salaire de la fonction publique pour un emploi de même niveau145(*). Quant aux journalistes formés sur le tas, la rémunération « se fait de commun accord avec l'employeur » jusqu'à la fin de la période fatidique de « formation théorique et pratique de deux ans consécutifs au sein d'une rédaction »146(*). C'est dire la vulnérabilité de ces nouveaux venus mais aussi la tentation qui peut guetter certains patrons de presse. Vu sa situation, cette catégorie de journalistes est la plus exposée aux éventuels dérapages. Ils sont plus répandus dans les journaux people, où « la dizaine, voire la vingtaine, de journalistes que comptent un journal sont en majorité des pigistes impécunieux, parce que souvent mal payés. De là, découle, semble-t-il, leur propension à céder à une certaine forme de journalisme `alimentaire et mercenaire', ainsi qu'on le susurre généralement » rapporte A. AGBOTON147(*). Ces journalistes ignoreraient le plus souvent les règles de base du journalisme, ils « ont généralement le baccalauréat ou un niveau correspondant, poursuit M. AGBOTON, sont formés sur le tas et trahissent par conséquent, des lacunes qui engendrent, regrette-t-on, des « écarts parfois graves » aux plans déontologique et professionnel »148(*). Cette réflexion n'est pas uniquement applicable aux seuls « journalistes sans formation » mais également aux jeunes diplômés qui arrivent dans le métier souvent « la tête pleine de clichés de preux redresseurs de torts, porte flambeau de la démocratie »149(*). Toutefois, pour encourager les patrons de presse à professionnaliser leur personnel, le gouvernement à consacrer en 2004 les 10% du fonds d'aide à la presse à la formation des journalistes. Dorénavant, seuls les organes de presse totalisant au moins 20% de professionnels dans leur rédaction pourront prétendre à cette aide150(*).

Le recrutement de personnes n'ayant pas la formation requise est un des facteurs de dérapages. Ce fléau frappe surtout les journaux à faible budget, les grands groupes tels que Walfadjri, Sud Quotidien semblent en être épargnés. Toutefois, même si la formation est une présomption de professionnalisme, cela n'exclut pas que la jeune recrue soit victime de quelques atermoiements avant de se coucher dans le moule établi par les principes déontologiques. Là encore, ce sont les petites entreprises qui trinquent, les grands groupes recrutent des journalistes chevronnés qui ont acquis de l'expériences dans d'autres journaux. Finalement, pour faire du journalisme de qualité, une bonne santé financière semble inéluctable, mais justement, la course au profit ne serait-elle pas un autre facteur de dérives ?

* 140 Francis BALLE, Médias et sociétés, Paris Montchrestien, 1994

* 141 Ce constat s'applique particulièrement à la presse people. A en croire Babacar DIOP du Soleil, dans ce secteur, il arrive que la seule personne ayant reçu une formation soit le rédacteur en chef ou le directeur de publication.

* 142 Cité par Mamadou NDAO, Institut PANOS, Ne tirez pas sur les médias, Harmattan, Paris 1996 p.172

* 143 Idem, p.172

* 144 La convention collective prévoit un certain nombre de conditions pour les sortants des écoles alors que ceux qui se sont formés sur le tas ne bénéficient de ces avantages que deux années après avoir exercé dans un organe de presse. Cf. art. 24 et 27 ; chapitre 8 ; Convention collective CEDEAO/UJAO

* 145 Convention collective CEDEAO/UJAO, chapitre 5, art 19

* 146 Idem, chapitre 8, art 27

* 147 Op. cit. pp. 43-44

* 148 Idem, p. 44

* 149 Cf. Institut PANOS (1996), p. 202

* 150 Site Médiafrique, « trois cents millions ça s'arrose ! », www.médiafrique.com

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry