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Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal

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par Moussa MBOW
Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004
  

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DÉRIVES DES JOURNALISTES OU TENTATIVES DE MUSELLEMENT DES « PUISSANTS » ?

« Si la conscience du devoir d'informer et la liberté devenue

effective d'informer ont donné une presse qui passe pour un

des piliers de l'édifice démocratique dans nos Etats, cela ne

mène pas toujours au triomphe du bien. On peut faire plus

mal encore en usant de cette liberté » Mouhamadou Tidiane KASSE,

journaliste, Institut PANOS, Ne tirez pas sur les Médias, Harmattan, Paris 1996

Quelques précisions s'imposent avant d'aborder les « manquements » aux principes éthiques dont les journalistes seraient responsables. L'élaboration d'une recherche sur le thème choisi aurait été moins fastidieuse et surtout plus fructueuse si nous avions été sur le terrain. La consultation sur place des articles concernés et la rencontre avec les principaux instigateurs auraient été très bénéfiques. Mais grâce aux technologies de l'information et de la communication (certains journaux sont disponibles sur Internet), ces difficultés ont été en partie balayées. Ayant de toute façon l'ambition de mener des études ultérieures beaucoup plus approfondies dans le domaine, nous ne prétendons pas pour le moment à l'exhaustivité. Nous ne retiendrons donc ici que les faits marquants de par l'intérêt que les observateurs et les professionnels eux-mêmes leur ont accordé.

Dérives ou pas, certains événements qui se sont produits ces dernières années ont interpellé les observateurs du paysage médiatique sénégalais. Concernant la presse indépendante dite sérieuse ce n'est pas vraiment une nouveauté. L'affaire Sud-CSS (compagnie sucrière sénégalaise) de 1996 est là pour nous le rappeler. Cet épisode avait fait couler beaucoup d'encre et de salive. A cette époque la presse indépendante fut accusée par le pouvoir étatique d'être devenue très puissante, incapable de s'autoréguler ce qui pourrait mener à toutes sortes de dérives. Quant aux journalistes, ils se sont naturellement ralliés à leurs confrères de Sud Quotidien dénonçant de concert une entrave à la liberté de presse. Par contre ce qui peut porter un intérêt particulier concernant les dérives ou les manquements aux principes éthiques c'est cette nouvelle presse dite populaire qui, en quelques années a battu tous les records de par le nombre d'affaires portées devant les tribunaux. Pour ce qui est du quotidien gouvernemental, après l'alternance, le peuple sénégalais était dans le droit d'attendre de Abdoulaye WADE qu'il supprime ou privatise Le Soleil, média public mais au service du parti au pouvoir. Ce journal qui lui avait causé tant de mal alors qu'il était dans l'opposition, il semble s'en accommoder aujourd'hui qu'il est arrivé au pouvoir.

Comme base de notre analyse, nous nous sommes référés aux travaux de Laurence BARDIN101(*). Selon elle, l'analyse de contenu s'organise autour de trois pôles chronologiques que sont la pré-analyse, l'exploitation du matériel et le traitement des résultats. La première phase nous amènera à relever quelques « dérives » des journalistes. La deuxième phase sera pour nous l'occasion de nous interroger sur l'explication de ces dérives. Enfin la dernière phase consistera à voir la position des journalistes et les conséquences de ces « dérapages » sur la profession.

Chapitre 1er


Inventaire de quelques « manquements » à l'éthique et à la déontologie

Nous allons tenter de relever les événements susceptibles de donner un aperçu général des entraves aux principes d'éthique dont les journaux sénégalais seraient responsables. Selon Laurence BARDIN, la pré-analyse suppose un choix des documents à analyser selon quatre règles : l'exhaustivité, la représentativité, l'homogénéité, la pertinence. Pour des raisons que nous avons déjà évoquées nous avons choisi la dernière tout en prenant en compte la mise en garde de Laurence BARDIN : « les documents doivent être adéquats comme source d'information pour correspondre à l'objectif qui suscite l'analyse »102(*).Sans tarder, nous nous intéresserons d'abord à l'autocensure des journalistes du Soleil avant d'aborder « le parti pris » de la presse indépendante dite sérieuse. Nous terminerons par « les risques du métier » de la presse people qui, incontestablement remporte la palme d'or des procès en tout genre.

I L'autocensure des journalistes du Soleil

Les reproches faits au quotidien Le Soleil sont inhérents à son statut de quotidien gouvernemental qui altère sa neutralité. Ce journal est comme une sorte de journal interne (à l'échelle nationale) qui assure le relais entre gouvernants et gouvernés. Ses journalistes donnent une vision unilatérale de l'information qui doit, à tout pris adopter le point de vue des gouvernants. N'est-ce pas là une aliénation de leur liberté, principe fondateur du journalisme dans toute démocratie ?

Jadis, les journalistes des médias d'Etat étaient amenés à oeuvrer pour « l'union nationale », ou encore « l'intégration nationale ». Il faut reconnaître que juste après les indépendances, la construction du pays supposait la participation de toutes les forces vives de la nation. Cette urgence expliquait la dimension éducative des médias (particulièrement la radio et la télévision). A la fin des années 1960 une émission comme « disoo » (débats) donnait la parole au monde rural. En 1963, le président SENGHOR en accord avec l'UNESCO, lançait la télévision qu'il voulait exclusivement éducative. D'après les ordonnances du 31 octobre 1960, un des premiers textes réglementant les médias, les journalistes sont considérés « avant tout comme des patriotes au service de l'idéal et des objectifs définis par la constitution de la République »103(*). Pas étonnant qu'à cette époque on ne puisse pas parler d'une quelconque emprise de la presse, à fortiori de quatrième pouvoir que SENGHOR récusait d'ailleurs.

De nos jours, seules les appellations ont changé mais les pratiques restent en conformité avec celles d'il y a quarante cinq ans. Les médias d'Etat deviennent des « médias publics » tandis que le terme « journalisme de développement » est supplanté par celui jugé plus approprié de « journalisme de service public ». Aux journalistes de ces médias, l'Etat fourni presque toutes les informations nationales par le biais de la Présidence, des Ministères, des services publics et parapublics. Ces informations se manifestent sous forme de comptes rendus de réunions, d'annonces de communiqués, de décisions : politiques ou économiques et même, parfois, de demandes de reportages. Les instances gouvernementales sont dotées de service de communication ou d'attachés de presse véritables relais entre l'Etat et la presse. Pour diffuser des informations, l'Etat dispose aussi de L'APS (agence de presse sénégalaise). Créée en 1959, cette agence est une propriété de l'Etat sénégalais, elle est financée par ce dernier par des subventions en plus des ressources perçues des abonnés (la presse indépendante sénégalaise et la presse internationale). Dans l'article 3 de l'ordonnance n°59-054 instituant sa création, il est dit que «la tutelle de l'agence est confiée au ministre de la communication »104(*). Son directeur est nommé par décret sur proposition du ministre de tutelle (article 6). L'agence compte une vingtaine de journalistes inévitablement fonctionnaires comme les journalistes du Soleil. Même si dans les textes, sa neutralité est affirmée105(*), cela ne se traduit pas vraiment dans la pratique.

Etre journaliste dans les médias d'Etat suppose une totale compromission, une adhésion à la politique du gouvernement qu'il ne faut pas remettre en question. Cette règle doit être observée pour quiconque veut garder son travail, évoluer dans la profession, sous peine de sanctions immédiates. Cela fut le cas pour un journaliste présentateur du journal télévisé de 20 heures dans les années 1980.Au Sénégal, la règle veut que le journal télévisé commence par une lecture de la feuille d'audience du chef de l'Etat. C'est une occasion de rappeler les activités du Président avec une présentation des audiences accordées à diverses personnalités. Après avoir observé la sacro-sainte règle d'usage, le présentateur eut l'outrecuidance d'introduire les autres titres du journal par la phrase suivante : « passons maintenant aux choses sérieuses ». Du côté de la Présidence on prit mal cet affront, c'était comme si les activités du chef de l'Etat étaient d'importance moindre et ne devaient pas toujours faire les premiers titres du journal télévisé. L'issue de cette affaire était prévisible, le journaliste fut immédiatement démis de ses fonctions de présentateur. Il n'a pas été « viré », mais rétrogradé dans d'autres services de la RTS où il n'eut plus l'occasion d'afficher ouvertement « sa position » anti-gouvernementale. C'était du temps du régime du PS (au pouvoir entre 1960 et 2000), les pratiques de l'actuel gouvernement semblent avoir épousé la même logique. En août 2002, Matar Sylla, nommé après l'alternance de 2000 a été démis de ses fonctions de directeur de la RTS par le président WADE. L'explication est simple, il lui serait reproché une gestion de la RTS non-conforme avec les exigences d'un pouvoir qui voudrait tout contrôler.

Pour ce qui est du média qui nous intéresse particulièrement, la démission du directeur du Soleil au lendemain de la défaite de DIOUF montre, comme nous l'avons souligné, une complicité entre les deux hommes. La couverture de la campagne électorale fut marquée par une prise de position manifeste du quotidien national car les journalistes souhaitaient la réélection de l'homme qui les faisait vivre. L'ancien rédacteur en chef du journal ne le nie pas. « En tirant le bilan de la campagne, on s'est rendu compte que c'était indépendant de notre volonté dans la mesure où il y a un contrôle politique. Lequel a pris le dessus sur notre professionnalisme »106(*) reconnaît Elhadj Bachir SOW. Avec l'arrivée de l'opposition au pouvoir, la situation n'a guère changé. Ce qui a changé, c'est l'équipe dirigeante du Soleil, mais la ligne éditoriale reste la même. Une analyse d'un échantillon de quelques numéros que nous avons consultés montre une grande importance d'articles consacrés au chef de l'Etat et à ses ministres. Paradoxalement, celui qui disait ne pas aimé qu'on lui fasse des « éloges dithyrambiques à longueur de colonnes» semble bien apprécié sont statut de nouvelle star du quotidien national. Dans un article publié à l'occasion du quatrième anniversaire de l'alternance, le 19 mars 2004, WADE y est présenté comme « un président énergique et visionnaire ». Celui qui, « en amenant le PDS au pouvoir, en formant une nouvelle élite pour gouverner à ses côtés le Sénégal... a rendu crédible le PDS qui, qu'on le veuille ou non, est devenu un véritable parti de gouvernement qui enrichit l'échiquier politique du vieux pays de Léopold-Sédar SENGHOR »107(*).

Pourtant, les journalistes de la presse publique bénéficient, au même titre que leurs confrères de la presse indépendante de la liberté de mener des enquêtes sur n'importe quels sujets. Mais pour des raisons déjà évoquées, ils préfèrent volontairement en occulter quelques-uns pour ne pas heurter la sensibilité du « grand patron ». Parmi eux, il y a ceux qui s'accommodent de cette situation de compromission et de soumission. Il y a ceux qui, avec le pluralisme quittent le quotidien gouvernemental pour les médias privés plus indépendants. Il y a aussi ceux qui restent tout en collaborant (parfois anonymement) avec les journaux indépendants dans lesquels ils écrivent des articles. Cela fut le cas de Mame Less CAMARA qui signait avec un pseudonyme des chroniques pour le journal Walfadjri alors qu'il était un des journalistes vedettes de la RTS.

En définitive, on peut retenir que l'autocensure constitue la principale source de dérives des journalistes du Soleil. Contrairement aux journalistes de la presse indépendante, les affaires de dérives concernant Le Soleil sont rarement amenées devant la justice. Pour des raisons que nous évoquerons plus tard, les principaux plaignants en matière de délits de presse se trouvent être les dirigeants politiques qui ne sont pas écorchés par les journalistes des médias publics. Quant aux journalistes de la presse indépendante, il semblerait qu'ils abusent de cette liberté, ce qui expliquerait leurs dérives que nous allons aborder dans la partie suivante.

* 101 Laurence BARDIN, L'analyse de contenu, Paris, PUF, 2001

* 102 L. BARDIN, op.cit.p. 127

* 103 A.-J. TUDESQ, Feuilles D'Afrique, étude de la presse de l'Afrique Subsaharienne, MSHA, Talence, 1995

* 104 Ordonnances n°59-054, Titre I

* 105 « L'Agence ne peut en aucune circonstance tenir compte d'influence ou de considérations de nature à compromettre l'exactitude ou l'objectivité de l'information, elle ne doit en aucune circonstance passer sous contrôle ...d'un groupement politique, idéologique ou économique ». Ordonnances n°59-054, Titre I, article 2

* 106 Institut PANOS, Médias et élections au Sénégal, NEAS, Dakar, 2002, p.47

* 107 Badara DIOUF, journaliste au Soleil, « Le Sénégal a repris confiance en lui-même », publié le 19 mars 2004, www.lesoleil.sn

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon