Touristicité et urbanité. Pour une évaluation de la qualité des lieux.( Télécharger le fichier original )par Mathieu SOMBRET Université Paris VII - Denis Diderot - Master Géographie " Tourisme, Espace, Société" 2007 |
Deuxième partie : La qualité des lieux. Mise en place d'un travail de rechercheAprès avoir étudié les travaux existant sur le thème du tourisme et de la ville, et désigner leurs lacunes, à nous de proposer un plan de travail de recherche. Sur les différents travaux étudiés, très peu s'intéressent à l'impact et surtout aux transformations qu'entraîne le tourisme sur et dans la ville. Outre les effets, le tourisme engendre t-il des nouvelles caractéristiques de la ville, c'est-à-dire une nouvelle qualité ? Car étudier les transformations, c'est aussi analyser la qualité même du lieu. Si le tourisme modifie la ville, il modifie sa qualité, ses caractéristiques. Quelle est cette qualité ? Utiliser cette approche permet d'éviter des positions trop tranchantes sur le sujet (comme le préconisent Fainstein et Glastone, 2004). Nous n'avons pas trouvé un article ou un chapitre qui met en place une méthodologie pour évaluer ces transformations. Bien souvent nous restons à des jugements de valeurs, qui dénigrent à la fois le tourisme et l'espace urbain transformé par celui-ci. Etant donné que ces travaux n'ont pas de méthodologie (résultent-ils d'une recherche ?), nous les mettrons dans le monde des opinions, que l'on peut opposer à la science. Pourtant ces opinions sont aussi une forme de savoir qu'il faut questionner, pour voir leur pertinence. Ce travail sur la pertinence se fera par une méthodologie avec des outils et concepts adaptés à cette évaluation. Bien sûr il faudra dépasser cette évaluation pour arriver à des questions plus générales sur le tourisme et la ville. Comment évaluer le tourisme ? Comment éviter d'avoir des positions « tranchantes » sur cette question ? Pour cela il faut reprendre les mots, être au point avec eux pour éviter d'être flou dans nos concepts. C'est ce que nous verrons dans une première partie. Puis, nous mettrons en place le lien entre urbanité et touristicité pour définir la notion de qualité. Dans une dernière partie, nous essayerons de montrer l'intérêt d'une mise en relation entre tourisme et ville. I. Des mots pour une rechercheDéfinir clairement les concepts sur lesquels notre travail de recherche s'appuie est indispensable. Nous définirons aussi bien le tourisme que l'urbain, ainsi que les deux notions qui en découlent, la touristicité et l'urbanité. A. Tourisme et touristicité
Définir le tourisme est un travail que de nombreux chercheurs et professionnels ont déjà fait. On peut distinguer deux types de définition : les « officielles » et celle des chercheurs. Les définitions « officielles » sont celle de l'OMT ou de l'INSEE. Nous ne reviendrons pas dessus, Isabelle Sacareau et Mathis Stock ont fait un travail convainquant de déconstruction de ces définitions9(*). Certains chercheurs préfèrent utiliser les définitions officielles du tourisme, en invoquant la difficulté de ce dernier à être définit. D'autres, dont l'Equipe MIT, fournissent une définition basée sur une recherche de plusieurs années sur le sujet. Le terme de tourisme renverra directement aux travaux de l'Equipe MIT, dont la définition est : « Système d'acteurs, de lieux et de pratiques permettant aux individus la recréation par le déplacement et l'habiter temporaire de lieux autres »10(*).
On aura compris que le tourisme est un déplacement physique, un « changement de place », comme dirait l'Equipe MIT. Il n'y a donc pas (eu ?) de tourisme virtuel, comme le prédisait Jean-Michel Dewailly en 199711(*), puisque le tourisme s'inscrit dans un lieu et une pratique du hors-quotidien.
Par conséquent, un touriste sera définit comme « un être humain qui se trouve dans une situation particulière, à savoir dans un lieu autre pour une pratique de recréation »12(*). Ainsi, un touriste va dans d'autres lieux qui lui permettent d'assouvir ses pratiques. Ce pose la question des voyages d'affaires, qui semblent être exclus de notre définition. En effet, le tourisme est le résultat d'un choix personnel, non subi, au contraire des voyages d'affaires. Pourtant, et c'est ici une difficulté de choix et de définition pour certains auteurs, les touristes et les hommes d'affaires utilisent les mêmes lieux (hôtels, restaurants, aéroports). Doit-on pour autant les inclure dans une même définition ? Non, car une personne dans un lieu ne fait pas d'elle ce qu'elle est. C'est la qualité de la personne qui donne la qualité du lieu selon cette même personne. Ainsi, cela n'aura pas la même signification pour un parisien de prendre le métro, que pour un touriste qui le prend pour la première fois de sa vie. Par conséquent il faudra s'attacher à bien identifier, lors de notre travail de recherche, ce qui relève des pratiques touristiques13(*) ou non. Le tourisme étant une diversité de plus dans la ville.
Dans une approche spatiale du phénomène touristique en ville, il nous faut une notion qui s'y rapporte. Celle de touristicité convient bien à notre travail. Cette notion est peu employée dans les études sur le tourisme et la ville. Néanmoins, nous pouvons citer deux auteurs.
D'abord celle que donne Gabriel Wackermann dans un dictionnaire de Géographie sous sa direction. Il considère la touristicité comme « le caractère touristique fonctionnel du territoire et non potentiel »14(*). Cela signifie l'utilisation touristique d'un espace, c'est-à-dire que sans touriste il n'y a pas de touristicité. Quand à l'Equipe MIT, elle propose une définition plus développée dans leur premier ouvrage collectif, Tourismes 1, Lieux communs : « La touristicité d'un lieu exprime son degré de mise en tourisme. Le taux de fonction touristique (rapport du nombre de touristes pouvant être accueillis au nombre des habitants permanents) en constitue une approche statistique. Toutefois, l'existence des lits ne renseigne pas sur la qualité (touriste ou non) de l'utilisation » (2002, p.301). Le taux de fonction touristique n'est effectivement qu'un indicateur de la touristicité du lieu. Il faut donc réfléchir à un ensemble d'indicateur pour la touristicité. L'Equipe MIT propose quelques indicateurs de la mise en tourisme des lieux dans un article15(*). Le but de cet article est de « déterminer les conditions susceptibles de déboucher sur la réussite de la mise en tourisme d'un espace jusque-là non touristique » (p.2). Dix critères sont retenus, divisés en trois classes. Premièrement sur la fréquentation touristique générale : le taux de fonction touristique, la fréquentation touristique (en nombre de visiteurs) et la présence de résidences secondaires. Dans une deuxième classe, la situation de l'espace en tant que lieu de vie : la dynamique économique et l'évolution de la population active tertiaire. Enfin, le changement d'usage du lieu : l'évolution du solde migratoire, le rôle des élus, l'attitude de la population locale, la situation géographique et l'ouverture paysagère du lieu. Ces critères sont utilisés pour essayer d'analyser les conditions de réussite de la mise en tourisme des lieux. Les lieux étudiés dans l'article (l'Isle-Crémieu, Pierrefonds, la vallée du Loing, etc.) sont des lieux qui « attendent » leur mise en tourisme. Pour un travail de recherche sur les métropoles, est-il pertinent d'utiliser ces indicateurs ? C'est à nous dans l'avenir d'analyser cela pour essayer d'apporter des indicateurs fiables et pertinents pour la notion de touristicité. Après avoir définit le tourisme et la touristicité, étudions l'urbain. Pourquoi ? Parce que comme le tourisme, l'urbain est la base de notre travail et nous devons de le définir, tout comme la ville. De plus, en parlant de l'urbain, nous arrivons à la notion d'urbanité qui sera utile pour la notion de qualité. B. Urbain et urbanité
Ecrire sur l'urbain n'est pas une tâche facile, le définir non plus ! Nous avons derrière nous une masse colossale de travaux et de théories sur le sujet. Il faut avouer qu'à l'heure actuelle, il est assez difficile de me faire une place et de maîtriser toutes ces connaissances. J'espère que le lecteur me pardonnera de ne pas avoir, pour le moment, toute la culture et la maturité pour interpréter toute la subtilité et la densité des textes comme La question urbaine de Manuel Castells ou L'espace légitime de Jacques Lévy. Ce travail conceptuel, qui est encore en pleine construction, devra être poursuivit lors de la thèse.
Actuellement, et à la lecture des différentes définitions16(*), une seule nous semble être la plus cohérente sur la question urbaine. C'est celle que propose Michel Lussault dans le dictionnaire de Géographie sous sa direction avec Jacques Lévy (2003). L'urbain est définit comme le « système sociétal regroupant l'ensemble des géotypes caractérisé par le couplage spécifique de la densité et de la diversité » (p.949). Il n'est plus question ici de définir l'urbain par opposition avec le rural, mais de partir du postulat que l'urbain est toujours plus dense et divers que le non-urbain. Même si aujourd'hui nous pouvons relativiser l'existence du non-urbain, par exemple en Europe, puisque la transition urbaine est achevée. Nous devons davantage parler d'urbain à des degrés d'intensité divers selon le couplage densité/diversité. Pour cela, la notion d'urbanité est à utiliser.
L'urbanité comme qualité Le sens commun d'urbanité est la politesse, la civilité, la courtoisie. Ne dit-on pas, en langage soutenu, « vous êtes bien urbain » pour une personne courtoise. On remarque que tous ces substantifs renvoient à la ville : civilité du latin civis (le citoyen) et civitas (la cité) ; politesse de polis, la ville ainsi que urbain de urbs (ville). La ville est vue comme le lieu de la qualité de vie, de la courtoisie, des valeurs. L'urbanité c'est la qualité des hommes à vivre tous ensemble en ville. René Schoonbrodt17(*) définit l'urbanité comme « l'éthique de la coexistence grâce à laquelle il est possible de vivre les rapports sociaux en ville de manière positive » (p.37). Cette définition plutôt utopique de l'urbanité, en tant que qualité de vie en ville, est davantage répandue en littérature et chez les spécialistes de la ville qui ne sont pas géographes. Il manque souvent une approche spatiale dans ces définitions. L'architecte Nicolas Soulier entame une vision plus spatiale de l'urbanité : « le terme d'urbanité désigne communément cette qualité d'un espace habité et partagé, qui permet d'être dans des relations de voisinage, de côtoiement, et de rencontres courtoises et civiles les uns avec les autres. »18(*). Il reste toujours l'idée de qualité de vie, mais les notions d'espace et de distance entre les hommes sont ici rajoutées. Car derrière cette idée d'utopie de la ville (l'urbanité), se cache la vision d'une ville compacte, dense, avec une vie de quartier. L'urbanité comme définition Le géographe Jacques Lévy définit plus simplement l'urbanité, c'est « ce qui fait d'une ville une ville »19(*). Nous ne sommes pas en présence d'une redondance, mais devant l'essence même de la ville, c'est-à-dire l'urbanité. Pour comprendre cette définition la plus simpliste, il faut savoir ce qu'est une ville. Lévy la définit comme « une situation spatiale caractérisée par la concentration d'une société en un lieu (d = 0) en sorte d'y maximiser la densité et la diversité des interactions sociales »20(*). La ville c'est l'objet spatial qui concentre au mieux le couple densité/diversité. Cela suppose qu'il n'existe pas une urbanité, mais un degré d'urbanité. En effet, selon l'intensité de la densité et/ou de la diversité, l'urbanité du lieu est plus ou moins forte. Le maximum d'urbanité se concentre dans la ville, c'est la centralité (« phénomène cumulatif - dont la situation n'est pas à penser comme nécessairement géographiquement centrale - résultant de la maximisation de l'urbanité »)21(*) et le minimum se trouve dans l'infra-urbain, qui cumule les deux déficits de densité/diversité. Ainsi lorsque Lévy écrit que l'urbanité c'est la ville, on devrait davantage dire que l'urbanité c'est l'urbain. Cela correspondrait à la définition proposé par Michel Lussault pour l'urbanité, comme étant le « caractère proprement urbain d'un espace » (2003, p.966). * 9 M. Stock (dir), 2003, pp.7-32 * 10 Equipe MIT, 2005, p.342 * 11 Jean-Michel Dewailly, « L'espace récréatif : du réel au virtuel ? », L'Espace Géographique, 1997, n°3 * 12 Equipe MIT, 2005, p.342 * 13 Une doctorante, Amandine Chapuis, commence un travail très prometteur sur l'expérience touristique de la ville à travers les pratiques touristiques. Amandine Chapuis, 2006, L'expérience touristique de la ville. Une forme originale d'habiter géographique, Mémoire de Master 2 Université Paris 7, 91p. * 14 Gabriel Wackermann (dir.), 2005, Dictionnaire de Géographie, p.384 * 15 Equipe MIT, « La mise en tourisme des lieux : un outil de diagnostic », Mappemonde, 2000, vol.57, pp. 2-6 * 16 Nous allons mettre ici une bibliographie non exhaustive des lectures sur le sujet (se rapporter à la bibliographie) : G. Chabot, 1948 ; P. George, 1952 ; H. Lefebvre, 1970 ; M. Castells, 1972. Pour les dictionnaire : R. Brunet (ss dir.), 1993 ; R.J. Johnston et alii, 2000 ; P. Merlin et Ch. Choay (ss dir.), 2005 ; G. Wackermann (ss dir.), 2005 ; D. Pumain et alii, 2006. * 17 Schoonbrodt R., 1997, « La ville, rien que la ville », Poïesis, n°6, p. 33-48 * 18 Cité par Huet M., 1998, Le droit de l'urbain : de l'urbanisme à l'urbanité, Paris, Economica, p.211. * 19 Lévy J., 1999, p.199. * 20 Op. ci. P.199. * 21 Lussault M. in Paquot T., Lussault M., Body-Gendrot S., 2000, p.32. |
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