Les limites de l'application du droit sur les ressources naturelles: le cas des territoires palestiniens et du sahara occidental( Télécharger le fichier original )par Sandrine DAVANTURE Université du Québec à Montreal - LLM 2006 |
Sous-section II Le problème de l'eau.Les ressources en eau au Proche-Orient sont le principal point d'achoppement entre d'une part la puissance occupante qu'est Israël et, d'autre part les territoires occupés que sont les territoires palestiniens. Pour mieux comprendre les enjeux de l'eau dans le conflit israélo-palestinien, nous allons d'abord étudier la configuration hydrologique de la région (I), avant d'étudier les différentes violations dont se rend coupable Israël en tant que puissance occupante et en tant que coriverain d'eaux internationales (II). I. La configuration hydrologique de la Région. De nombreuses zones du Proche-Orient souffrent d'une forte pénurie d'eau due à plusieurs facteurs tels que l'accroissement de la population, l'utilisation du sol, les méthodes d'agriculture et les conditions météorologiques, ce qui crée certaines tensions entre les différents États du Proche-Orient. Toutefois, les territoires occupés par Israël, que ce soit la Cisjordanie ou la bande de Gaza, jouissent de ressources en eau abondantes et renouvelables par rapport à la majeure partie du Proche-Orient. En effet, il y a trois grandes zones aquifères dans ces territoires et qui sont une des causes du conflit israélo-arabe. Il y a d'abord le bassin du Jourdain, situé au nord de la Cisjordanie, il y a ensuite les eaux souterraines de la Cisjordanie, et enfin il y a l'eau des nappes littorales y compris celle de Gaza, situées à l'ouest du territoire Israélien. Le Jourdain est situé dans une zone aride et semi-aride appelée par les hydrologues «water stress zone» ou «tranche critique», c'est-à-dire une zone de fort déficit hydrique. Il trouve sa source dans trois affluents : le fleuve Hasbani au Liban, le fleuve Banias du Golan, et enfin le fleuve Dan d'Israël, les trois fleuves se rejoignant dans le bassin de Huleh. De là, le Jourdain poursuit son chemin en territoire israélien avant de se jeter dans le lac de Tibériade. A sa sortie du lac, le Jourdain est rejoint par son principal affluent le Yarmouk, qui vient de Syrie et qui forme une frontière naturelle entre la Jordanie et la Syrie d'abord, et ensuite une frontière naturelle entre Israël et la Jordanie. Du point où il est rejoint par le Yarmouk, le Jourdain constitue la frontière entre Israël et la Jordanie. Avant 1967, le Jourdain poursuivait son cheminement en territoire jordanien pour terminer son cours dans la Mer Morte. Depuis la guerre des Six Jours en 1967, il constitue la frontière entre la Jordanie, et les territoires occupés. Outre le fleuve lui-même et ses affluents, le bassin du Jourdain comprend d'autres sources d'eau : le lac de Tibériade et le fameux Aquifère de la Montagne situé au coeur de la Cisjordanie. On distingue trois zones dans cet aquifère : l'aquifère occidental, qui s'écoule en Israël. Il est alimenté à 70% par des pluies qui tombent en Cisjordanie occupée ; l'aquifère nord oriental qui part de Naplouse et qui s'écoule vers la vallée de Jezreel. Il est alimenté en totalité par les précipitations tombant en territoire occupé ; et l'aquifère oriental qui est en totalité alimenté par les pluies de Cisjordanie et qui s'écoule vers le Jourdain76(*). En plus de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, les Israéliens occupent depuis 1967 le Golan syrien. Cette région est riche en eau puisque s'y écoule le Banias, l'un des confluents du Jourdain. L'eau a toujours été une préoccupation pour le mouvement sioniste. En effet, dès 1919, le président de l'Organisation mondiale sioniste, Haïm Weizmann, adressait au Premier Ministre britannique Lloyd George la lettre suivante : « Tout l'avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau. Nous considérons qu'il est essentiel que la frontière Nord de la Palestine englobe la vallée du Litani sur une distance de près de 25 miles, ainsi que les flancs ouest et sud du mont Hermon »77(*). Quelques années après la création de l'État d'Israël, en 1964, le gouvernement d'alors entreprend la construction d'une conduite partant du lac de Tibériade jusqu'au désert du Néguev afin de favoriser l'agriculture dans cette région désertique, il s'agit du National Water Carrier. Ceci a pour conséquence de détourner les eaux du Jourdain et d'ainsi diminuer le débit naturel du fleuve à son arrivée dans la mer morte. Toutefois, en raison de sa position géographique, le Jourdain ainsi que les eaux souterraines situées en Cisjordanie, ne sont pas considérés comme des eaux appartenant à l'un ou l'autre des territoires qu'ils traversent. En effet, le Jourdain et la montagne aquifère cisjordanienne sont considérés comme des eaux internationales et ce, en vertu de la théorie du bassin hydrographique (ou de drainage) amorcée par les Règles d'Helsinki de 196678(*). Cette notion est fondée sur le fait qu'une unité géographique correspond à une solidarité et à une communauté d'intérêts. De ce fait, les États coriverains des eaux du Jourdain et de son bassin hydrographique ont des obligations les uns envers les autres79(*). C'est pourquoi Israël est tenu, en vertu de cette riveraineté, à respecter certaines règles. Or nous allons voir qu'Israël s'octroie des droits au détriment de ceux des territoires occupés. II. Les violations par Israël de ses obligations en tant que puissance occupante et en tant qu'État coriverain du Jourdain. En tant que puissance occupante, Israël a des devoirs et des obligations à respecter en vertu du droit international humanitaire concernant les ressources en eau des territoires qu'elle occupe (A). Elle a aussi des obligations à remplir en tant que coriveraine du bassin du Jourdain et de son bassin de drainage (B).
En tant que puissance occupante des territoires palestiniens et du Golan syrien, nous l'avons déjà évoqué, Israël a des obligations à respecter et ce, en vertu du droit international humanitaire que constituent les Conventions de La Haye de 1907 et de Genève de 1949. En effet, selon ces conventions, il y a quatre règles qu'Israël est censée respecter concernant les ressources en eau des territoires qu'elle occupe mais qu'en fait elle ne respecte pas. 1. Les obligations liées à l'administration des territoires occupés. Selon l'article 43 de la IVème Convention de La Haye de 1907, la puissance occupante a interdiction de changer la législation du territoire qu'elle occupe « sauf empêchement absolu ». Or dès qu'Israël a envahi, en 1967, la Cisjordanie et la Bande de Gaza, l'eau a été classée comme « ressource stratégique sous contrôle militaire » en vertu d'une législation israélienne étendue aux territoires occupés. Selon un décret militaire de 1967, « il ne sera permis à aucune personne de mettre en place, d'assembler, de posséder, ou de faire fonctionner une installation d'eau à moins qu'elle n'ait obtenu au préalable un permis du commandant de la région » 80(*). Pour le gouvernement israélien, il est très important de contrôler l'utilisation des eaux souterraines en Cisjordanie étant donné que les 40% de l'eau qu'Israël utilise sont fournis par les aquifères situés dans ce territoire. De 1967 à 1982, le système hydraulique de la Cisjordanie et de la bande de Gaza a été géré par les autorités militaires. Ensuite, la gestion est passée à la compagnie hydraulique israélienne, Mekorot. Depuis 1982, la plupart des services hydriques dans les territoires occupés est fournie par la Mekorot et selon des estimations, en 1994, 50% de l'eau étaient distribués par cette compagnie en Cisjordanie et dans la bande de Gaza81(*). Les ressources en eau dans les territoires occupés ont donc été intégrées dans le système légal administratif d'Israël, limitant ainsi sérieusement la capacité des Palestiniens d'exploiter leurs ressources puisque désormais il leur faut une autorisation de la part des autorités israéliennes pour l'utiliser82(*). Le gouvernement israélien justifie cette nouvelle législation en matière d'eau dans les territoires occupés par la pénurie d'eau dans la région. En raison de cette pénurie, selon ce gouvernement, il est nécessaire d'imposer des limitations dans son utilisation. Selon l'article 43, l'État occupant ne peut changer la législation du territoire occupé « sauf empêchement absolu ». L'expression « sauf empêchement absolu » peut faire l'objet de différentes interprétations. Selon Antonio Cassese, l'article 43 doit être lu en considérant les caractéristiques particulières de l'occupation israélienne, notamment sa longue durée83(*). Cette interprétation est soutenue par la jurisprudence de la Cour suprême israélienne qui affirme dans l'affaire The Christian Society for the Holy Places v. Minister of Defence que « a prolonged military occupation brings in its wake social economic and commercial changes which oblige the occupant to adapt the law of the changing needs of the population »84(*). Même si cette approche évolutive de l'article 43 est utilisée afin d'adapter la législation existante dans les territoires occupés aux besoins actuels de la population civile, les nouvelles lois introduites en matière d'eau ne répondent pas à cet objectif. Les modifications législatives introduites telles que la limitation des permis de forage des puits ainsi que la loi permettant le transfert des eaux d'un bassin à un autre ne répondent pas aux conditions fixées par le règlement de La Haye. 2. Les obligations liées aux biens des territoires occupés. Selon l'article 52 du règlement de La Haye, Israël doit répondre à deux exigences quant aux réquisitions qu'il effectue dans les territoires occupés. D'une part, les réquisitions doivent être limitées aux besoins de l'armée, d'autre part, elles doivent être « en rapport avec les ressources du pays ». L'article 55 de la IVème Convention de Genève reprend cette réglementation. Tandis que l'article 52 du texte de La Haye affirme que les réquisitions ne peuvent avoir lieu que pour les besoins de l'armée d'occupation, l'article 55 de la IVème Convention de Genève y ajoute ceux de « l'administration d'occupation ». Selon ce même article, l'occupant « devra tenir compte des besoins de la population ». Cette Convention consacre le principe déjà énoncé par l'article 52 du règlement de La Haye, selon lequel les réquisitions seront en rapport avec les ressources du pays. La IVème Convention de Genève confirme donc les limites imposées par le texte de La Haye en matière de réquisitions. Or, on constate que les prélèvements hydriques effectués par Israël sur les territoires occupés et notamment dans la montagne aquifère de Cisjordanie sont sans rapport avec les besoins de l'armée et dépassent de loin les ressources du territoire. En effet, Israël utilise les ressources hydriques de la Cisjordanie et de la bande de Gaza pour les besoins de sa population ainsi que pour approvisionner les implantations situées dans les territoires occupés85(*). De plus, des études du PNUE affirment que les prélèvements des eaux souterraines en Cisjordanie et à Gaza sont supérieurs aux ressources disponibles. Elles soutiennent que le taux de reconstitution naturelle de la nappe aquifère est estimé à 50 à 65 millions de m par an. Or, les taux d'extraction sont évalués de 80 à 130 millions de m par an86(*). Sur la base de ces considérations, on peut affirmer qu'Israël exploite les ressources hydriques de la Cisjordanie et de Gaza au-delà des ressources disponibles dans ces territoires. Enfin selon l'article 53 de la Convention de Genève, la puissance occupante a interdiction de détruire les biens mobiliers ou immobiliers appartenant aux personnes privées, à l'État et aux collectivités. Or l'armée israélienne détruit régulièrement des puits situés dans les villages palestiniens afin d'empêcher la population d'avoir accès à cette eau87(*). De plus, on peut se demander si du fait de la surexploitation par Israël des nappes d'eaux souterraines de Gaza, qui entraîne la salinisation de ces eaux, ne constitue pas une « destruction » de ce bien au sens où l'entend l'article 53 de la IVème Convention de Genève ? La salinité croissante de l'aquifère situé dans la bande de Gaza est confirmée par les données de B'Tselem qui, dans un rapport, affirme que le niveau de salinité dépasse les 500mg/l alors que la norme maximale préconisée par l'Organisation Mondiale de la Santé est de 250mg/l88(*). Il devient donc urgent que l'État d'Israël cesse de surexploiter l'aquifère situé dans la bande de Gaza pour ne pas causer de dommages qui pourraient être irréversibles. 3. Les obligations liées aux résidents des territoires occupés. La Convention de Genève interdit enfin, à travers son article 27, à la puissance occupante d'établir une discrimination entre les résidents du territoire occupé. On sait qu'en Cisjordanie ainsi qu'à Gaza des colons israéliens se sont installés, rendant ainsi l'évacuation de ces territoires plus problématique que jamais. Or, le volume d'eau fourni aux colonies israéliennes situées en Cisjordanie et à Gaza est beaucoup plus élevé que celui fourni aux Palestiniens. En effet, 70 à 80% des villes et des villages palestiniens ne reçoivent que quelques heures d'eau par semaine, alors que les colonies israéliennes sont alimentées 24 heures sur 2489(*). De plus, lorsque les résidents de Cisjordanie et de Gaza ont besoin d'acheter de l'eau, la Compagnie israélienne des eaux, Mekorot, leur vend à un prix différent selon qu'ils sont colons israéliens ou palestiniens. En effet, si un colon israélien veut acheter de l'eau, il paiera 0,50 USD le m alors qu'un Palestinien devra débourser 1,20 USD pour la même quantité d'eau90(*). A travers cette première série de règles, on voit déjà à quel point la souveraineté permanente des Palestiniens sur leurs ressources naturelles est bafouée. Cette règle est pourtant une norme de jus cogens qui ne souffre normalement d'aucune dérogation91(*). Malheureusement, les règles de droit international humanitaire ne sont pas les seules règles violées par Israël. En effet, en tant que coriverain du bassin intégré, Israël a également un certain nombre d'obligations à respecter afin de ne pas entraver la souveraineté de ses coriverains et d'assurer à chacun une exploitation optimale des ressources communes en eau.
Le droit international régissant les droits et obligations des États en matière de ressources d'eau communes est la résultante de plusieurs textes internationaux, depuis le Congrès de Vienne de 1815 jusqu'à la Convention de New York de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation92(*). En 1815, l'Acte final de la Convention de Vienne définissait le fleuve international comme un cours d'eau naturellement navigable, qui sépare ou traverse des territoires de deux ou plusieurs États93(*). Les fleuves internationaux sont dits successifs quand ils traversent successivement plusieurs États, et contigus quand ils séparent les territoires de ces États. La Conférence de Barcelone du 20 avril 192194(*) modifie significativement cette première définition en lui adjoignant la notion « d'intérêt économique », ne faisant plus exclusivement dépendre l'internationalisation d'un fleuve de sa navigabilité95(*). Dorénavant, un État peut demander que tout en conservant son statut de fleuve international un cours d'eau sur lequel il n'exerce pas ab initio sa souveraineté soit fermé à la navigation et ainsi en disposer, « (...) si la navigation y est peu développée et s'il justifie d'un intérêt économique manifestement supérieur à celui de la navigation... »96(*). Cette évolution du droit fluvial international, motivée par des réalités économiques nouvelles privilégiant une gestion concertée des ressources sera directement à l'origine de la « théorie du bassin intégré » que nous avons déjà étudiée (cf. Sous-section 2, I) En 1966, l'Association du Droit international réunie à Helsinki publie les « Règles d'Helsinki » qui apparaît comme la synthèse juridique de longs travaux menés par l'Association sur l'ensemble des problèmes hydrologiques qui se posent en droit international. L'Association définit la notion de « bassin de drainage international » (ou bassin intégré) comme « une zone géographique s'étendant sur deux ou plusieurs États et déterminée par les limites de l'aire d'alimentation du système hydrographique, eaux de surface et eaux souterraines comprises, s'écoulant dans un collecteur commun » 97(*). Le fondement de la théorie du bassin intégré repose sur « l'utilisation complète et intégrale des ressources et des possibilités du bassin géographique à des fins multiples dans une perspective d'intégration économique »98(*). On recouvre ainsi l'ensemble des usages de l'eau. La théorie du bassin de drainage correspond à la théorie de la souveraineté territoriale limitée. Ceci signifie qu'aucun coriverain ne peut prétendre à la souveraineté absolue sur ces ressources d'eau communes même sur celles s'écoulant sur son propre territoire. Or nous verrons qu'Israël se considère non seulement comme le souverain absolu sur les eaux qui s'écoulent sur son territoire mais également sur les eaux s'écoulant sur un territoire autre que le sien, c'est-à-dire celui des territoires palestiniens. De ce fait, Israël nie la souveraineté territoriale limitée qu'ont les Palestiniens sur leurs propres ressources en eau. En 1970, l'Assemblée générale de l'ONU a chargé la Commission du Droit International (CDI) d'entreprendre « l'étude du droit relatif aux utilisations des voies d'eaux internationales à des fins autres que la navigation, en vue du développement progressif et de la codification de ce droit »99(*). Les travaux sont difficiles. Un premier projet a été présenté en 1992 avec l'énoncé des principes suivants : - La définition du bassin de drainage : « un bassin de drainage international est une zone géographique s'étendant sur deux ou plusieurs États et déterminée par les limites de l'aire d'alimentation du système hydrographique, eaux de surface et eaux souterraines comprises, s'écoulant dans un collecteur commun ». - « Tous les États du bassin ont droit, sur leurs territoires, à une part raisonnable et équitable dans l'utilisation des eaux du bassin de drainage international ». - « La détermination de ce qu'est une part raisonnable et équitable se fait à la lumière de tous les facteurs pertinents dans chaque cas particulier ». En 1997, les Nations Unies ont adopté le projet final de la CDI. Désormais la Convention de New York de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation régira le partage international des eaux quand elle aura été ratifiée par 35 États au moins. Pour le moment, seuls 16 États l'ont signée et 12 l'ont ratifiée dont la Jordanie et le Syrie100(*). Selon l'article 2 alinéa b) de cette Convention, un cours d'eau international « s'entend d'un cours d'eau dont les parties se trouvent dans des États différents ». Sachant que le Jourdain traverse le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et les territoires palestiniens, il s'agit bien d'un cours d'eau international, auquel les règles édictées par la Convention de New York peuvent s'appliquer. En effet, pour certains auteurs, la Convention de New York, même si elle n'est pas encore entrée en vigueur, constitue le droit international coutumier concernant l'utilisation des cours d'eau à des fins autres que la navigation, droit applicable à tous101(*). Il y a un aspect important des règles d'Helsinki et de la Convention de New York qu'il faut souligner. En effet, celles-ci définissent les cours d'eau internationaux comme un « système d'eaux de surface et d'eaux souterraines constituant, du fait de leurs relations physiques, un ensemble unitaire et aboutissant normalement à un point d'arrivée commun »102(*). Cette définition exclut toutefois les eaux souterraines non liées aux eaux de surface de leur champ d'application. Cette exclusion est une lacune grave de ces textes puisque les 97% d'eau douce disponibles dans le monde sont fournis par des ressources hydriques souterraines. Or le principal point de discorde entre Palestiniens et Israéliens est l'utilisation par ces derniers des nappes aquifères cisjordaniennes et de la bande de Gaza, nappes qui ne sont pas liées physiquement avec le Jourdain. L'Association de droit international, qui est à l'origine des règles d'Helsinki, a paré à cette lacune en 1986 en proposant une résolution formée de quatre articles consacrés aux eaux souterraines103(*). Le premier article de ce texte dispose que les aquifères situés entre plusieurs États constituent un bassin international (ou part de celui-ci) au sens des règles d'Helsinki, même en l'absence d'un lien avec les eaux de surface104(*). L'idée maîtresse de ces dispositions est que les eaux souterraines internationales constituent une ressource naturelle partagée105(*). La Commission de droit international s'est elle aussi rendue compte de la nécessité de combler cette lacune. C'est pourquoi en 1994, elle a adopté une résolution visant les eaux souterraines non liées à un cours d'eau international106(*). Dans ce texte, la Commission proclame la nécessité de développer des règles juridiques dans ce domaine et qu'en l'absence de dispositions spécifiques, les États doivent être guidés par les normes qui régissent l'utilisation des eaux de surface. La CDI déclare ainsi l'applicabilité des principes affirmés dans la Convention de 1997 aux nappes souterraines non liées aux cours d'eau internationaux. De ce fait, les normes régissant les cours d'eau internationaux édictées par les règles d'Helsinki et par la Convention de New York sont applicables aux eaux souterraines non liées à un fleuve international, ce qui signifie dans notre cas d'espèce, que ces règles s'appliquent non seulement au Jourdain, mais également aux nappes aquifères cisjordaniennes et de la bande de Gaza. Ces instruments comportent essentiellement quatre normes auxquelles tout État sur le territoire duquel se trouve des eaux internationales doit se soumettre. Il y a tout d'abord l'obligation de ne pas causer un préjudice sensible (1), vient ensuite l'interdiction de polluer les eaux fluviales internationales (2), puis l'utilisation raisonnable et équitable (3) et enfin l'obligation de coopérer (4). 1. L'obligation de ne pas causer un préjudice sensible. Selon le droit international, tout État a l'obligation de s'abstenir de nuire aux autres. Ce préjudice doit être sensible, c'est-à-dire d'une certaine importance et non une incommodité mineure107(*). Par exemple, le droit international interdit la modification du cours d'un fleuve, de son débit, du volume de ses eaux ou de la qualité de celles-ci de manière propre à causer un préjudice sensible. Cette obligation de ne pas porter de préjudice sensible est devenue une norme de droit international général108(*). Elle est matérialisée dans la Convention de New York par l'article 7 intitulé « Obligation de ne pas causer de dommages significatifs » et qui dispose : « lorsqu'ils utilisent un cours d'eau international sur leur territoire, les États du cours d'eau prennent toutes les mesures appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux autres États du cours d'eau ». Lorsque l'on sait, par exemple, qu'Israël détourne les eaux du Jourdain à hauteur de 75% avant que celles-ci n'atteignent la Cisjordanie109(*) et qu'en raison de l'importance de ces prélèvements opérés en amont, le Jourdain, n'est qu'un mince filet d'eau au sortir du Lac de Tibériade, on peut affirmer qu'Israël cause un préjudice sensible aux coriverains du Jourdain et notamment aux Palestiniens. Dès 1964, Israël a construit une conduite, le National Water Carrier, amenant l'eau du Lac de Tibériade jusqu'au nord du désert du Néguev. De ce fait, le débit « naturel » du fleuve qui est estimé à 500 millions de m/an, n'est en réalité que de 70 millions de m/an. En aval, les faibles apports du Jourdain ne compensent plus l'évaporation de l'eau et le niveau de la mer Morte baisse110(*). Par conséquent, les Territoires palestiniens ont une consommation d'eau beaucoup plus réduite que les Israéliens qui, eux, bénéficient du détournement des eaux du Jourdain. De plus, Israël s'étant approprié les ressources en eau de la Cisjordanie et de Gaza puisqu'elle leur a étendu une législation israélienne faisant des ressources en eau la propriété de l'État, il revient donc à Israël d'entretenir le réseau hydrologique situé sur les territoires palestiniens. Or il apparaît qu'Israël néglige le réseau hydrologique dans les territoires occupés, ce qui entraîne une perte de 40% du volume d'eau s'écoulant dans les territoires111(*). Il est certain que ce comportement de la part d'un coriverain du Jourdain et du bassin de drainage viole l'obligation qui lui est faite de ne pas causer de préjudice sensible à ses voisins. Or nous allons voir que cette violation n'est pas la seule. 2. L'interdiction de polluer les eaux fluviales internationales. Selon l'article 9 des règles d'Helsinki, la pollution des eaux fluviales signifie toute modification nocive dans la composition, le contenu ou les qualités naturelles des eaux d'un bassin hydrographique due à une activité humaine. La Convention de New York reprend cette même définition à l'article 21 alinéa 1 du texte. Dans cette convention, l'interdiction de polluer est énoncée plus comme une obligation d'abstention que comme une interdiction de faire quelque chose. Les États coriverains d'un cours d'eau international doivent s'abstenir de polluer celui-ci en préservant et protégeant les écosystèmes des cours d'eau internationaux (article 20 de la Convention de New York). Parfois la pollution n'est pas due à l'introduction dans l'eau d'éléments nocifs mais à des ouvrages hydrauliques qui, en modifiant la vitesse de l'eau, provoque une augmentation des sédiments que charrie le fleuve. Il n'existe aucune décision relative à la pollution des fleuves internationaux dans la jurisprudence internationale. Néanmoins, on fait parfois référence, par analogie, dans cette matière à l'arbitrage sur la Fonderie de Trail112(*). Cette sentence s'occupe d'un cas de pollution transfrontalière, mais il est intéressant de souligner que le Tribunal a marqué expressément une analogie entre la pollution de l'air et celle des eaux fluviales et qu'il a pris sa décision sur la base de certains précédents juridiques internes relatifs à cette matière. La sentence a appliqué à la pollution atmosphérique la règle générale qui prescrit qu'un État ne peut agir à l'intérieur de ses frontières de façon à causer des effets préjudiciables sensibles à l'État voisin. De plus, l'avis consultatif de la Cour Internationale de Justice relatif à la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires déclare que « l'obligation générale qu'ont les États de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l'environnement dans d'autres États fait maintenant partie du corps de règles du droit international de l'environnement »113(*). Cette règle a été affirmée par le principe 21 de la Déclaration de la Conférence de Stockholm qui dispose que « les États ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources » mais « ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l'environnement dans d'autres États ou dans des régions ne relevant d'aucune juridiction nationale »114(*). A Gaza, l'unique source locale est l'aquifère qui longe le littoral et qui fournit 96% de toute la consommation d'eau dans la bande. Gaza partage cet aquifère littoral avec Israël. Il s'agit d'une ressource naturelle partagée entre les deux territoires. De ce fait, en vertu du droit international, Israël et la bande de Gaza doivent respecter des obligations mutuelles quant à l'utilisation et la gestion de l'eau provenant de cet aquifère. Or, depuis les années 1950, une pollution et une salinisation de cet aquifère sont constatées du fait du pompage massif de l'aquifère115(*). Entre 120 et 130 millions de m/an seraient pompés de cette nappe par Israël et les colons israéliens de la bande alors que la reconstitution naturelle de la ressource n'est que de 60 millions m/an116(*). Ceci entraîne dans les nappes du littoral la pénétration d'eau de mer. L'eau pompée n'est plus, dans certains cas, propre à la consommation humaine, ce qui peut provoquer des maladies pour les personnes qui la consomment. Certains auteurs soutiennent que l'interdiction de causer des dommages significatifs se réfèrent à une obligation générale de « due diligence » selon laquelle les États ont le devoir de protéger, à l'intérieur du territoire, les droits des autres États117(*). On peut également rapprocher cette interdiction de polluer aux relations de bon voisinage entre les États qui trouve son origine dans la maxime latine sic utere tuo ut dienum non laedas118(*) et qui signifie l'obligation pour un État de ne pas abuser de ses droits. 3. L'utilisation équitable et raisonnable de l'eau. Selon le principe d'utilisation équitable et raisonnable de l'eau, les États doivent utiliser les cours d'eau internationaux de façon telle d'obtenir un maximum de bénéfices avec un minimum d'inconvénients et agissent de telle sorte que chacun des participants puisse satisfaire ses besoins de manière compatible avec celle des autres. Cette norme est considérée comme une norme de droit international coutumier tant son importance est grande quant à la gestion des eaux internationales119(*). Cette règle a d'abord été énoncée par les règles d'Helsinki de 1966 dans son article 4. Celui-ci énonce: «Each basin state is entitled, within its territory, to a reasonable and equitable share in the beneficial uses of the waters of an international drainage basin»120(*). La Conférence de Stockholm sur l'environnement de 1972 mentionne la règle de l'utilisation équitable dans une de ses recommandations. Ainsi elle recommande que «les avantages nets résultant d'activités menées dans des régions hydrologiques communes à plusieurs pays doivent être répartis équitablement entre les pays en cause »121(*). Cette règle a été reprise et consacrée par la Convention de New York de 1997 dans son article 5 qui dispose : 1. Les États du cours d'eau utilisent sur leurs territoires respectifs le cours d'eau international de manière équitable et raisonnable. En particulier, un cours d'eau international sera utilisé et mis en valeur par les États du cours d'eau en vue de parvenir à l'utilisation et aux avantages optimaux et durables -compte tenu des intérêts des États du cours d'eau concernées- compatibles avec les exigences d'une protection adéquate du cours d'eau. 2. Les États du cours d'eau participent à l'utilisation, à la mise en valeur et à la protection d'un cours d'eau international de manière équitable et raisonnable. Cette participation comporte à la fois le droit d'utiliser le cours d'eau et le devoir de coopérer à sa protection et à sa mise en valeur, comme prévu dans les présents articles . La distribution des eaux entre États coriverains doit être faite de façon telle que chacun d'eux puisse satisfaire ses besoins en eau sans porter préjudice aux autres. Il ne s'agit pas de faire une distribution mathématique égale pour tous les coriverains mais que cette distribution se réalise selon les besoins de chaque État. L'importance de la règle de l'utilisation équitable et raisonnable a été affirmée dans l'arrêt de la Cour internationale de justice dans l'arrêt Gabcìkovo-Nagymaros où la Cour a cité l'article 5 de la Convention de New York122(*). La Cour a considéré que « la Tchécoslovaquie, en prenant unilatéralement le contrôle d'une ressource partagée, et en privant la Hongrie de son droit à une part équitable et raisonnable des ressources naturelles du Danube (...) n'a pas respecté la proportionnalité exigée par le droit international »123(*). Le concept de l'utilisation équitable et raisonnable est directement inspiré de la théorie de la souveraineté territoriale limitée que nous avons développée un peu plus haut124(*). Il cherche à concilier le droit souverain des États à utiliser les eaux situées sur leur territoire avec l'obligation de ne pas exercer cette souveraineté de manière préjudiciable à un autre. Elle s'oppose donc à la doctrine Harmon qui fait référence à la souveraineté absolue et qui donne à l'État un droit absolu pour utiliser l'eau de son territoire comme bon lui semble125(*). C'est pourtant la doctrine que semble avoir adopté Israël quant à la façon dont elle gère et utilise l'eau mise à sa disposition. Selon la Banque mondiale, 90% de l'eau de la Cisjordanie est utilisée au profit d'Israël, les Palestiniens ne disposant que des 10% restants126(*). Ainsi Israël absorbe 86% de l'eau issue de l'aquifère cisjordanien, les Palestiniens de Cisjordanie 10% et les colons 4%127(*). Cette disproportion dans l'exploitation de l'eau révèle une autre vérité : un Israélien consomme quatre fois plus d'eau qu'un Palestinien128(*). Tous les chiffres que nous avons rencontrés concernant la consommation d'eau par an et par habitant en Israël montrent une consommation excessive par rapport à l'aridité de la région. Ainsi, alors qu'un Palestinien ne dispose que 70 litres d'eau par jour, un Israélien lui, en aura 282 litres129(*). L'État hébreu fait une surconsommation d'eau. Alors que les agriculteurs palestiniens ont à peine de quoi arroser leurs cultures deux jours par semaine, les agriculteurs israéliens peuvent arroser les leurs situées en plein désert quand ils le désirent130(*). L'État d'Israël fait fi du principe de l'utilisation équitable et raisonnable et de la solidarité qu'il est tenu d'avoir envers ses coriverains et notamment envers les territoires qu'il occupe. 4. Le devoir de coopérer et l'obligation de notification. Afin qu'un État soit en mesure de déterminer si une exploitation ou un ouvrage projeté par un pays voisin aura des conséquences préjudiciables pour lui, ou s'il implique une utilisation équitable et raisonnable de la ressource, il doit connaître son projet. Il est donc indispensable, pour satisfaire cette exigence, que les États traversés par un cours d'eau international communiquent les mesures projetées susceptibles d'avoir des effets négatifs sur les États concernés, ainsi que d'échanger les données et les informations sur l'utilisation du cours d'eau. L'importance de la coopération entre les États en matière de gestion des eaux a été déclarée par la CIJ dans l'affaire Gabcìkovo-Nagymaros qui affirme « le rétablissement du régime conjoint reflétera aussi de façon optimale le concept d'une utilisation conjointe des ressources en eau partagées pour atteindre les différents objectifs mentionnées dans le traité et, conformément au paragraphe 2 de l'article 5 de la Convention de New York (...) »131(*). L'article 8 de la Convention de New York établit une obligation générale de coopération à la charge des États, en disposant que « les États du cours d'eau coopèrent sur la base de l'égalité souveraine, de l'intégrité territoriale, de l'avantage mutuel et de la bonne foi en vue de parvenir à l'utilisation optimale et à la protection adéquate du cours d'eau internationale ». Il semblerait toutefois que l'approvisionnement en eau soit un des rares secteurs pour lequel la coopération entre Israël et la Palestine ait survécu à l'Intifada actuelle132(*). Face au problème de l'eau au Proche-Orient qui dure depuis plusieurs décennies, les dirigeants palestiniens et israéliens ont tenté, dans les années 1990, de trouver une solution politique afin de résoudre cette question. Il s'agit des accords d'Oslo conclus sous l'égide américaine. III. Les accords d'Oslo. Les accords d'Oslo s'articulent en deux temps. Il y a tout d'abord la Déclaration de principes (Oslo I) du 13 septembre 1991, puis l'Accord intérimaire (Oslo II) du 28 septembre 1995. Depuis la Déclaration de principes, les Israéliens et les Palestiniens se sont référés au principe coutumier de l'utilisation équitable et raisonnable en affirmant que l'une des tâches du Comité permanent israélo-palestinien de coopération économique133(*) est de déterminer l'utilisation équitable des ressources en eau communes134(*). La Déclaration affirme aussi le devoir de coopération en matière d'eau entre les parties. Dès le début du processus de paix, les Israéliens et les Palestiniens ont déclaré que leurs relations en matière d'eau seront guidées par deux importantes règles coutumières du droit des cours d'eau internationaux, à savoir le principe de l'utilisation équitable et la nécessité de coopérer dans la gestion des eaux partagées. Les textes successifs à la Déclaration de principes, notamment l'Accord sur la bande de Gaza et la zone de Jéricho de 1994135(*) et l'Accord intérimaire de 1995136(*) contiennent des dispositions plus précises en matière d'eau. Ces deux textes ne se réfèrent pas directement au principe de l'utilisation équitable et raisonnable entre les parties. Néanmoins, ce principe doit être considéré comme le principal guide des relations hydriques entre les Israéliens et les Palestiniens, étant donné son statut coutumier et son affirmation par la Déclaration de principes. L'article II à l'Annexe II de l`Accord sur la bande de Gaza et la zone de Jéricho de 1994 ainsi que l'article 40 de l'Annexe III à l'Accord intérimaire prévoient que les ressources en eau situées dans ces territoires sont gérées et développées par les autorités palestiniennes de manière à ne pas causer de dommages aux ressources hydrauliques. On peut en conclure que ces articles se réfèrent à l'un des principes coutumiers du droit des cours d'eau internationaux, c'est-à-dire la règle de l'interdiction de polluer les cours d'eau137(*). A la lumière de l'article II de l'Accord de 1994, les Palestiniens peuvent déterminer la quantité d'eau pompée par les ressources en eau situées dans la bande de Gaza. Cette disposition laisse une bonne marge de manoeuvre aux Palestiniens. En effet, l'État d'Israël est située en amont de la nappe souterraine de Gaza ; c'est pourquoi, les Israéliens ne craignent pas une surexploitation de ces eaux138(*). L'article II ajoute toutefois que les quantités en eau destinées à approvisionner les implantations israéliennes ainsi que les camps militaires ne peuvent pas être modifiées par l'Autorité palestinienne, bien que la consommation des colons soit cinq fois supérieure à la consommation palestinienne139(*). Dans le cas des aquifères situés en Cisjordanie, l'Accord intérimaire reconnaît les droits palestiniens sur ces eaux souterraines mais il laisse leur définition aux négociations finales. Il établit le maintien des quantités d'utilisation des eaux en ne prenant en considération que les quantités d'eau supplémentaires destinées aux Palestiniens140(*). Ce maintien viole d'une part le principe de l'utilisation équitable et de l'autre les dispositions du droit international humanitaire. Aux termes du principe de l'utilisation équitable, les parties doivent utiliser « les eaux de façon telle d'obtenir un maximum de bénéfices avec un minimum d'inconvénients »141(*). Cependant, les dispositions de l'Accord intérimaire, en ne mettant pas en oeuvre une nouvelle distribution des eaux entre les parties maintiennent la différence très large dans la disponibilité des eaux entre les Palestiniens et les Israéliens 142(*): les premières disposeraient de 125-130 m d'eau par an, en revanche les Israéliens de 580-650 m d'eau143(*). Le pompage massif des eaux de la Cisjordanie et de la bande de Gaza a conduit à une baisse de la qualité des eaux et si ce pompage se poursuit, il pourra entraîner des dommages irréversibles. D'après l'Accord intérimaire, les parties estiment les besoins futurs des Palestiniens à environ 70-80 millions de m d'eau par an144(*). Aux termes de l'Accord, ces quantités doivent pourtant dériver uniquement des sources non exploitées et non pas d'une redistribution des eaux. Pour les Israéliens, il est très important de contrôler la quantité des eaux prélevée par les Palestiniens, étant donné que les eaux de ces aquifères situés en Cisjordanie s'écoulent vers Israël. Une partie des 70-80 millions de mètres cubes d'eau prévue pour les palestiniens (28,6 millions de mètres cubes d'eau) doit leur être fournie pendant la période intérimaire afin de répondre à leurs besoins immédiats. De cette quantité d'eau, 18,6 millions de mètres cubes sont réservés à la Cisjordanie et 10 millions de mètres cubes à Gaza. L'Accord intérimaire prévoit entre les deux parties un partage de responsabilité afin de fournir les quantités d'eau additionnelles. Israël doit fournir, selon l'Accord, 4,5 millions de mètres cubes d'eau, le reste étant de la compétence palestinienne145(*). Selon B'Tselem, l'Autorité palestinienne n'est pas en mesure de fournir toute la quantité d'eau prévue au titre de l'Accord intérimaire en raison de problèmes de distribution et de l'inexistence d'un système hydraulique reliant les villages palestiniens. C'est pourquoi, les autorités palestiniennes doivent souvent recourir à l'eau fournie par la compagnie israélienne Mekorot, dont les prix sont très élevés. L'Accord intérimaire prévoit aussi la mise en place d'un Comité mixte pour l'eau, dont le but est de contrôler la quantité d'eau pompée ainsi que de garantir la sauvegarde de la qualité des eaux des aquifères146(*). La création de ce Comité est un pas important dans la gestion commune des ressources en eau entre Israël et la Palestine. Toutefois, l'Accord intérimaire limite l'action du Comité aux ressources hydrauliques situées en Cisjordanie sans comprendre les ressources israéliennes. Ainsi l'Accord instaure un régime inégalitaire entre les deux parties et viole le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles appartenant au peuple palestinien, étant donné que toute utilisation des eaux par les Palestiniens en Cisjordanie est soumise au droit de veto israélien147(*). Ces accords, conclus en 1993, stipulent que le Conseil palestinien doit établir, durant les cinq années de la période intérimaire, une Autorité palestinienne de l'eau. Ils prévoient également une coopération dans la gestion et le développement des ressources aquifères de Cisjordanie et de Gaza, et prétendent instaurer des allocations équitables qui satisferont les besoins de chacun. Ainsi, les accords d'Oslo II augmentent de façon significative les quotas d'eau alloués à l'Autorité palestinienne. Celle-ci peut désormais utiliser 70 à 80 millions de mètres cubes supplémentaires tirés de l'aquifère de Cisjordanie, et reçoit 28,6 millions pour les besoins domestiques de sa population (10 millions à Gaza et 18,6 millions en Cisjordanie), dont 9,5 millions de la part d'Israël (5 à Gaza et 4,5 en Cisjordanie). Avec le début de l'Intifada en septembre 2000 et la construction du mur, la situation hydrique des Territoires occupés s'est aggravée. Le mur rend la vie de la population impossible en de nombreux endroits, séparant des milliers de Palestiniens de leurs terres et des puits d'eau. Dans ce contexte, la tâche des mécanismes de coopération mis en place par l'Accord intérimaire n'est pas facile. Les accords d'Oslo auraient pu laisser entrevoir une éventuelle amélioration des relations entre Palestiniens et Israéliens du point de vue hydraulique, toutefois, ces accords renvoyant aux négociations finales le soin de définir leurs droits réciproques en matière d'eau, le problème de l'eau au Proche-Orient est loin d'être résolu. * 76 Voir carte « l'eau dans les territoires palestiniens » en Annexes. * 77 Jean-Michel Staebler, « Bataille pour l'or bleu en Palestine » (22 décembre 2000), en ligne : Medintelligence.free.fr <http://medintelligence.free.fr>; Sandrine Mansour, « La question de l'eau en Palestine-Israël » (Printemps 2003), en ligne : France-palestine.org < http://www.france-palestine.org>. * 78 Voir supra la partie II B p.45 et s. pour la définition de cette expression. * 79 Ibid. * 80 Décret militaire n°92 du 15 août 1967 et Décret militaire n°158 du 30 octobre 1967 amendant la loi sur l'eau concernant la Cisjordanie. * 81 Comité des Nations Unies sur l'exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, Les ressources en eau du territoire palestinien occupé, New York, Nations Unies, 1992 à la p.26. * 82 Georges Mutin, L'eau dans le monde arabe : enjeux et confits, Paris, Ellipes, 2000, à la p.93-94. * 83 Antonio Cassese, «Powers and Duties of an Occupant in Relation to Land and Natural Resources», in Emma Playfair dir., International Law and the Administration of Occupied Territories: Two Decades of Israeli Occupation of the West Bank and Gaza Strip, Oxford, Clarendon Press, 1992, à la p. 423. * 84 Dans cette affaire, il s'agissait de définir la légalité d'une modification législative qui portait sur la création d'une procédure de recours arbitral dans le règlement des différends dans le domaine du droit du travail. La Cour a affirmé la non violation de l'article 43 du règlement de La Haye ; Supreme Court of Israël, The Christian Society for the Holy Places v. Minister of Defence, 1972, Israel Yearbook on Human Rights, vol. 2, à la p.354. * 85 B'Tselem, Thirsty for a Solution. The Water Crisis in the Occupied Territories and Its Resolution in the Final-Status Agreement, Jerusalem, Juillet 2000, en ligne: Btselem.org <http://www.btselem.org>. B'Tselem est le centre israélien d'information sur les droits de l'homme dans les territoires occupés. Il s'agit de la principale organisation israélienne de contrôle, de documentation et de défense du respect des droits de l'homme dans la Cisjordanie et la bande de Gaza. Fondée en 1989, B'Tselem publie des rapports, s'engage dans la défense des droits de l'homme et sert de source d'information. * 86 Programme des Nations Unies pour l'Environnement, L'avenir de l'environnement mondial 2000 : GEO-2000 : rapport du PNUE sur l'environnement, Bruxelles, De Boeck Université, 2000 à la p. 166. * 87 B'Tselem « Des eaux de discorde : La responsabilité d'Israël quant à la pénurie d'eau dans les territoires occupés » (5 août 2001), en ligne : Paix-en-palestine.org < http://www.paix-en-palestine.org>. * 88 B'Tselem, Thirsty for a Solution (...), supra note 85. * 89 Sandrine Mansour, « La question de l'eau en Palestine-Israël », 7 août 2003, en ligne : France-palestine.org < http://www.france-palestine.org>. * 90 Institut Européen de Recherche sur le Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe, « Eau, Palestine » (Novembre 2001), en ligne : Medea.be < http://www.medea.be> * 91 Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit international public. Nguyen Quoc Dinh, Paris, LGDJ, 6ème ed., 1999, à la p.515. * 92 Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, Rés. AG A/RES/51/229, Doc.Off. AGNU, 51ème session, supp. n°49, Doc. NU A/51/869 (1997), 7 (Convention de New York). * 93 Acte final du Congrès de Vienne, article 108: «Les puissances dont les États sont séparés ou traversés par une même rivière navigable s'engagent à régler d'un commun accord tout ce qui a rapport à la navigation de cette rivière. Elles nommeront à cet effet des commissaires qui se réuniront au plus tard six mois après la fin du Congrès et qui prendront pour base de leurs travaux les principes établis dans les articles suivants. Dans G. F de Martens, ed. Nouveau recueil des traités, Gottingue, Dieterich, 1887, Tome II, (1814-1815), p.427. * 94 Convention et Statut sur le régime des voies navigables d'intérêt international, 20 avril 1921, R.T.S.N, Vol. VII, 1921-1922, n°172, p.36 (Convention de Barcelone). * 95 Gaël BORDET « L'eau et le droit : quel cadre juridique pour une gestion commune et équitable des eaux du bassin jordanien ? » en ligne : Irenees.net < http://www.irenees.net>. * 96 Convention de Barcelone, article 10 Paragraphe 6, supra note 94 à la p.58. * 97 The International Law Association, Helsinki Rules on The Uses of The Waters of International Rivers, London, The International Law Association, 1967. Traduit par Patricia Burette, « Genèse d'un droit fluvial international général (utilisations à des fins autres que la navigation) », (1991) R.G.D.I.P, à la p.21. * 98 Nile Countries Hydromanagement Project, « Gestion des eaux partagées » (16 septembre 2004), en ligne : Nchp.epf.fr <http://nchp.epf.fr>. * 99 Développement progressif et codification des règles de droit international relatives aux voies d'eau internationales, Rés. AG 2669 (XXV), Doc. Off. AGNU, 25ème sess., supp. n°28, Doc. NU A/8202 (1970), 137. * 100 État de la ratification au 31 décembre 2003 dans « Traités multilatéraux déposés auprès du secrétaire général », Nations Unies, New York, 2003. * 101 Mara Tignino, L'eau dans le processus de paix au Proche-Orient : éléments d'un régime juridique, Institut Universitaire de Hautes Études Internationales, Genève, Mai 2004, p. 7, en ligne : Hei.unige.ch <http://hei.unige.ch/publ/workingpapers/04/wpaper2.pdf>. * 102 Article 2 alinéa a) de la Convention de New York. * 103 The International Law Association, Report of the Sixty-Second Conference Held at Seoul, London, International Law Association, 1986, 251. * 104 «The waters of an aquifer that is intersected by the boundary between two or more States are international groundwaters and such an aquifer with its waters forms an international basin or part thereof». * 105 Robert D. Hayton, «The Law of International Groundwater Resources», in The International Law Association, Report of the Sixty-Second Conference Held at Seoul, London, International Law Association, 1986, à la p.240-241. * 106 «Droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation », (Doc. NU A/CN.4/462) dans Annuaire de la Commission du droit international 1994, vol.2, partie 1, New York, NU, 2000 à la p. 119 (Doc. A/CN.4/SER.A/1994/Add.1). * 107 Julio A. Barberis, « Bilan de recherches de la section de langue française du centre d'étude et de recherche de l'Académie » dans Académie de droit international de La Haye, Centre d'étude et de recherche de droit international et de relations internationales, Droits et obligations des pays riverains des fleuves internationaux, La Haye, Martinus Nijhoff, 1990, à la p.32. * 108 Ibid, p.34. * 109 Abdel Rahman Tamini, « Palestine, la question de l'eau », (2003) en ligne : H2o.net < www.h2o.net>. * 110 Ibid. * 111 B'Tselem, Thirsty for a Solution (...), supra note 85 ; Institut Européen de Recherche sur la Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe, « Eau, Palestine », novembre 2001, en ligne : Medea.be <http://www.medea.be> * 112 United States of America c. Canada [1941], Recueil des sentences arbitrales, 1905 (Arbitres : Charles Warren, Robert A. E. Greenshields, Jan Frans Hostie). * 113 Liceité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Avis consultatif du 8 juillet 1996, Recueil CIJ 1996, à la p. 242, paragraphe 29. * 114 La règle de l'utilisation non dommageable du territoire est reprise par le principe 2 de la déclaration de Rio. Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, Rio de Janeiro, 1992, Doc. A/CONF.15/5/Rev.1. * 115 B'Tselem, Thirsty for a Solution (...), supra note 85. * 116 Georges Mutin, supra note 82, à la p. 95. * 117 Stephen C. McCaffrey, The Law of International Water Courses- Non Navigational Uses, Oxford University Press, Oxford 2001, pp.365-370; Attila Tanzi et Maurizio Arcari, The United Nations Convention on the Law of international Watercourses. A Framework for Sharing, Kluwer Law International, La Haye, 2001, p.151-160. * 118 Mara Tignino, L'eau dans le processus de paix au Proche-Orient, supra note 101, à la p. 14. * 119 Julio A. Barberis, « Bilan de recherches de la section de langue française du centre d'étude et de recherche de l'Académie » dans Académie de droit international de La Haye, Centre d'étude et de recherche de droit international et de relations internationales, Droits et obligations des pays riverains des fleuves internationaux, La Haye, Martinus Nijhoff, 1990, 38. * 120 Helsinki Rules, supra note 97, à la p. 9. * 121 Rec. 51 iii) dans La Conférence des Nations Unies sur l'Environnement, «Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement, Stockholm, 5-16 juin 1972 », New York, NU, 1973 à la p. 19 (Doc. A/CONF.48/14/Rev.1). * 122 Affaire relative au Projet Gabcìkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), [1997], C.I.J. rec. 7 à la p. 80. * 123 Ibid, à la p. 53, par. 85. * 124 Voir supra Sous-section 2, II, B. * 125 La « doctrine Harmon » vient du nom d'un procureur général américain qui a soutenu, à partir d'un confit entre les États-Unis et le Mexique à propos de la diversion du Rio Grande, qu'un État peut faire, sur le tronçon d'un cours d'eau international traversant son territoire ce qu'il désire. Il s'agit en fait d'un unilatéralisme avec une assimilation de l'intérêt de l'État à celui d'un groupe d'intérêt et l'idée que l'État doit prendre aux autres États pour s'enrichir. * 126 Philippe Rekacewicz, « L'eau convoitée », Le Monde Diplomatique, (Juin 2000), en ligne : Monde-diplomatique.fr <http://www.mondiplomatique.fr.>; voir également Georges Mutin, supra note à la p. 94. * 127 Georges Mutin, supra note 82 à la p. 96. * 128 B'Tselem, Thirsty for a Solution (...), supra note 85. * 129 Ibid. * 130 Ibid. * 131 Affaire relative au Projet Gabcìkovo-Nagymaros, supra note 122. * 132 Fred Pearce, «Israel Lays Claim to Palestine's Water», (mai 2004) en ligne: Newscientist.com <http://www.newscientist.com>. * 133 La création de ce comité figure à l'annexe III de la déclaration de principes du 13 septembre 1993 intitulée «Protocole sur la coopération israélo-palestinienne concernant des programmes économiques et de développement ». Elle dispose : « Les deux parties conviennent d'établir un comité permanent israélo-palestinien de coopération économique dont les travaux seront axés, entre autres, sur les domaines suivants : 1. La coopération dans le domaine de l'eau, notamment un programme de mise en valeur des ressources en eau élaboré par des experts des deux parties, qui précisera également les modalités de coopération dans la gestion de ces ressources en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et présentera des propositions d'études et de plans sur les droits en matière d'eau de chaque partie, ainsi que l'utilisation équitable des ressources en eau communes, pour application au cours de la période intérimaire et après. * 134 Article I, Annexe III de la Déclaration de Principes sur les arrangements intérimaires d'autogouvernement, Israël-Organisation de libération de la Palestine, 13 septembre 1993, 32 International Legals Materials, à la p.1535 : «The two sides agree to establish an Israeli-Palestinian Continuing Committee for Economic Cooperation , focusing, among other things, on the following: 1. Cooperation in the field of water, including a Water Development Program prepared by experts from both sides, which also specify the mode of cooperation in the management of water resources in the West Bank and Gaza Strip, and will include proposals for studies and plans on water rights of each party, as well as on the equitable utilization of joint water resources for implementation in and beyond the interim period». * 135 Accord sur la bande de Gaza et la zone de Jéricho et Protocole sur les affaires civiles, Le Caire, 4 mai 1994, en ligne : Un.org <http://www.palestine.un.org>. * 136 Accord intérimaire sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, Israël-Organisation de libération de la Palestine, 28 septembre 1995, 36 Interntional Legals Materials, à la p. 551. * 137 En effet, selon l'article 40 par.3 (e), annexe III, Accord intérimaire, ibid. à la p.625 : «Both sides agree to coordinate the management of water and sewage resources and systems in the West Bank during the interim period, in accordance with the following principles : (...) b. Preventing the deterioration of water quality in water resources. (...) e. Taking all necessary measures to prevent any harm to water resources, including those utilized by the other side». * 138 Au contraire dans le cas des eaux souterraines situées en Cisjordanie, l'État d'Israël est en aval. * 139 B'Tselem, Thirsty for a Solution (...), supra note 85. * 140 Article 40 par.3 (a) de l'Annexe III à l'Accord intérimaire : «a. maintaining existing quantities of utilization from the resources, taking into consideration the quantities of additional water for the Palestinians from the Eastern Aquifer and other agreed sources in the West Bank as detailed in this article» * 141 Julio A. Barberis, supra note 107, à la p. 38. * 142 Abdel Rahman Tamini, «Palestine, la question de l'eau », supra note 109. * 143 Gamal Abouali, «Continued Control : Israel, Palestinian Water and the Interim Agreement», (1996-1997) 9 The Palestine Yearbook of International Law 70. * 144 Article 40 par.6 de l'annexe III de l'Accord intérimaire : «both sides have agreed that the future needs of the Palestinians in the West Bank are estimated to be between 70-80 mcm/year». * 145 Mara Tignino, supra note 101, à la p. 50. * 146 Article 40.11, annexe III de l'Accord intérimaire: «in order to implement their undertakings under this Article, the two sides will establish, upon the signing of this Agreement, a permanent Joint Water Committee (JWC) for the interim period». * 147 Toute décision sur les ressources hydriques de la Cisjordanie, y compris le forage de nouveaux puits doit être adoptée à l'unanimité par le Comité mixte sur l'eau. Schedule 8, Annexe III de l'Accord intérimaire. |
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