Thouvenel-Avenas Adrien
Mémoire de Master 2 d'Histoire contemporaine Directrice de
mémoire : Mme Enders Armelle
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L'alternance politique au
Sénégal :
1980-2000
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Abréviations
ADS : Alliance Démocratique Sénégalaise
AFP : Alliance des Forces de Progrès
AJ/PADS : And Jëf / Parti Africain pour la Démocratie
et le Socialisme BCG : Bloc des Centristes Gaïndé
BDS : Bloc Démocratique Sénégalais
BPS : Bloc Populaire Sénégalais
CENI : Commission Electorale Nationale Indépendante
CDP/Garab Gui : Convention des Démocrates et des Patriotes
Garab Gui CNTS : Confédération Nationale des Travailleurs du
Sénégal COSU : Coordination de l'Opposition
Sénégalaise Unie
FAL : Front pour l'Alternance
FMI : Fonds Monétaire International
FRTE : Front pour la Régularité et la Transparence
dans les Elections GER : Groupe d'Etude et de Recherche
HCRT : Haut Conseil de la Radio-Télévision
LD/MPT : Ligue Démocratique / Mouvement pour le Parti du
Travail MFDC : Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance NPA :
Nouvelle Politique Agricole
NPI : Nouvelle Politique Industrielle
ONEL : Observatoire National des Elections
OUA : Organisation de l'Unité Africaine
PAI : Parti Africain de l'Indépendance
PDS : Parti Démocratique Sénégalais
PIT : Parti de l'Indépendance et du Travail
PLS : Parti Libéral Sénégalais
PS : Parti Socialiste
RADDHO : Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de
l'Homme RND : Rassemblement National Démocratique
SUDES : Syndicat Unique et Démocratique des Enseignants
Sénégalais UPS : Union Progressiste Sénégalaise
URD : Union pour le Renouveau Démocratique
Sommaire
Introduction
Chapitre préliminaire : Le Sénégal avant
1981
1. Du cahier de doléance de 1789 à la loi Lamine
Guèye
2. L'avènement de l'hégémonie
senghorienne
3. Le Présidentialisme senghorien
4. L'ouverture politique
5. L'ouverture démocratique
6. Le départ du "Père de la nation"
Chapitre 1 : L'état de grâce d'Abdou Diouf
(1981-1983)
1. La mise en place d'un gouvernement "d'attente"
2. Abdou Diouf et la "réconciliation politique
nationale"
2.1 Le désamorcement de la crise étudiante 2.2
L'avènement du multipartisme intégral 2.3 La loi sur
l'enrichissement personnel
3. Abdou Diouf et la politique internationale 3.1 L'homme de
Taïf
3.2 La formation de la Confédération de
Sénégambie
4. La Basse-Casamance en ébullition
5. Les élections de 1983
5.1 Des élections plus démocratiques 5.2 Les forces
en présence
5.2.1 L'opposition
5.2.1.1 L'absence d'un véritable front commun
5.2.1.2 Le PDS, un parti en crise mais toujours champion de
l'opposition 5.2.2 Abdou Diouf et le Parti socialiste, des vainqueurs connus
à l'avance
5.3 Un raz de marée socialiste
Chapitre 2 : Le temps des incertitudes (1983-1988)
1. Le retour à un régime présidentiel
2. La fin de l'Etat providence
3. Un PS remanié, une opposition retrouvée
(1983-1985) 3.1. Un PS remanié
3.2. Une opposition désordonnée
3.3. Les élections municipales et communales de 1984 3.4.
L'ADS
4. Une trêve politique (1985-1986)
5. Les élections de 1988
5.1. Une précampagne agitée
5.2. Une campagne électorale très tendue
5.2. Une "victoire" socialiste, une défaite pour la
démocratie
Chapitre 3 : Abdou Diouf reprend la main (1988-1993)
1. Un monde politique en quête d'apaisement
2. Le procès d'Abdoulaye Wade et ses
conséquences
3. Le PS, un parti à reconstruire
4. Le Sénégal 88-90, un pays en crise
permanente
4.1. La crise économique 4.2. Les crises universitaires
4.3. Les crises diplomatiques
4.4. La crise politique : le boycott des élections
municipales
5. Le gouvernement à majorité
présidentielle élargie (avril 1991 - octobre 1992)
6. L'élection présidentielle de 1993 7. Les
élections législatives de 1993
Chapitre 4 : Un Sénégal "dévalué"
(1993-1998)
1. Une période troublée (1993-1995)
1.1. Le nouveau gouvernement à majorité
présidentielle élargie 1.2. L'affaire Babacar Sèye
1.3. Le Sénégal face à la
dévaluation
2. Le retour du PDS au gouvernement
3. Les élections régionales, municipales et
rurales de 1996 3.1. Les objectifs de la décentralisation
3.2. Une confrontation inédite Tanor Dieng - Wade 3.2.1.
Un PS "tanorisé"
3.2.2. Le "troisième tour" d'Abdoulaye Wade 3.3. Les
autres enjeux de ce scrutin
3.4. Une confiance rompue
4. Abdou Diouf : un Président consensuel ?
4.1. "La CENI sinon rien"
4.2. La crise rénovatrice
5. Les élections législatives de 1998
5.1. Le départ des ministres PDS
5.2. Des élections plus transparentes
5.3. La campagne législative
5.4. Les résultats des élections
législatives de 1998
Chapitre 5 : La chute d'Abdou Diouf (1998-2000)
1. En attendant les présidentielles
1.1. Un gouvernement remodelé et
féminisé
1.2. Une chambre parlementaire plurielle et active 1.3. Un
Sénat boudé par l'opposition
2. Le Sénégal : une vitrine craquelée
2.1. L'intervention militaire en Guinée-Bissau
2.2. La visite officielle d'Abdou Diouf à Paris (octobre
1998)
3. Vers une opposition unifiée et forte
3.1. Le départ de Moustapha Niasse du Parti socialiste
3.2. L'exil volontaire d'Abdoulaye Wade
3.3. Un cadre d'action, le FRTE
3.4. L'opposition : un groupe de pression efficace 3.4.1.
Changement à la tête de l'ONEL 3.4.2. L'affaire des cartes
israéliennes 3.4.3. La crise ivoirienne
4. Abdou Diouf, une branche sur laquelle le PS est assis 4.1. La
recherche d'une cohésion socialiste autour d'Abdou Diouf 4.2. Ousmane
Tanor Dieng : un homme omniprésent... et impopulaire 4.3. Abdou Diouf
à la recherche d'un bilan
5. Le déracinement du baobab
5.1. Les candidats et la campagne du premier tour 5.2. Les
résultats du premier tour
5.3. Un entre-deux tour mouvementé
5.4. Les résultats du second tour
5.5. La victoire d'Abdoulaye Wade
Conclusion
Sources
Bibliographie
Introduction
Après vingt ans de pouvoir, Abdou Diouf est battu le 19
mars 2000 par son adversaire de touj ours, Abdoulaye Wade. Dès le
lendemain matin, le Président sénégalais appelle au
téléphone l'heureux vainqueur, le félicite, reconnaissant
ainsi sa défaite. Dans le monde entier, on salue la dignité
dioufiste et l'exemplarité sénégalaise. Quelques semaines
à peine après le coup d'Etat militaire en Côte-d'Ivoire,
cette alternance politique réconcilie l'Afrique avec la vie
démocratique. Le Sénégal justifie alors son titre de
"vitrine démocratique de l'Afrique".
Cette expression tire son origine de la présidence de
Léopold Sédar Senghor. Bien que le pays connaisse durant plus
d'une décennie un régime de parti unique (1962-1974), le
"verrouillage pacifiste" du système et le retour rapide au
multipartisme, à une époque où la majorité des pays
africains sont des Etats autocratiques et autoritaires, favorisent la
propagation de l'idée que le Sénégal est un pays
avant-gardiste, "une oasis de démocratie".
Cette impression positive est toutefois à nuancer. Le
Sénégal ressemble à bien des égards à ses
voisins africains. Il connaît la corruption, les bourrages d'urnes, les
monopoles étatiques, un parti gouvernemental omniprésent et
omnipotent, une justice partisane etc.
Le pays mélange donc les genres, tiraillé entre
deux modèles politiques. Un modèle français, dont les
fondements sont l'Etat jacobin, le pluralisme politique, la liberté de
la presse et la laïcité. Et un "modèle africain",
hérité de la période coloniale, qui fait la part belle au
clientélisme, à la corruption et aux relations étroites
entre gouvernants et chefs religieux locaux.
Le Sénégal est de ce fait un pays politiquement
complexe, d'une surface de 196.722 km² . Il comprend environ
5,5 millions d'âmes au début des 1980 mais connaît au cours
des vingt ans d'étude une forte progression de sa population.
Situé à la pointe de l'Afrique occidentale, il a pour voisin la
Mauritanie, le Mali, la Guinée et la Guinée-Bissau, sans oublier
l'enclave gambienne. La capitale du Sénégal est Dakar, mais il y
a d'autres villes importantes. On peut citer Thiès, Kaolack, l'ancienne
capitale Saint-Louis ou encore la capitale mouride, Touba. Le territoire est
quant à lui divisé entre 1983 et 2000 en dix régions :
Dakar - Diourbel - Fatick - Kaolack - Kolda - Louga - Saint Louis - Tambacounda
- Thiès et Ziguinchor. La langue officielle est le français,
selon une volonté de Senghor, mais la langue la plus parlée est
le wolof (qui est aussi l'ethnie majoritaire), à hauteur de 60-65 %,
contre à peine 10% pour le français.
Le pays est à plus de 90 % musulman, principalement des
sunnites de rite malékite. On compte diverses confréries -
associations laïques dirigées par des religieux - ayant une grande
importance dans la vie quotidienne des Sénégalais. Les deux
principales sont les confréries Mouride (région de Diourbel) et
Tidjane (région de Kaolack et Thiès), dirigées par des
Khalifes généraux, descendants directs des fondateurs des
confréries.
Si les Tidjanes sont deux fois plus nombreux que les Mourides,
ces derniers jouent un rôle économique très important. En
effet, la valorisation du travail et de l'effort, ainsi que l'insertion des
membres mourides dans les tissus économiques sénégalais,
est l'une des bases du mouridisme. Que ce soit dans l'agriculture ou le
commerce, les Mourides sont omniprésents et incontournables. Le Khalife
général des Mourides est donc une personne relativement
courtisée par le palais présidentiel.
Il y a néanmoins dans ce pays fortement islamisé
une minorité chrétienne, principalement catholique, qui
représente 5 % de sa population. Léopold Sédar Senghor,
catholique pratiquant, a fait appliquer dans la Constitution de 1960 une
laïcité "à la française" dans le but d'éviter
tout
affrontement à caractère religieux, chose
récurrente en Afrique. La filiation entre l'Etat et les religieux est
tout de même ostensible, la solidité du régime senghorien
reposant en partie sur un "contrat social" avec les confréries
musulmanes. Outre le fait d'avoir une influence spirituelle, les marabouts sont
indispensables au pouvoir car ils quadrillent le pays. Ils détiennent
une bonne partie des leviers de production de la principale culture du pays,
l'arachide. Faisant la richesse du Sénégal entre 1960 et 1980,
cette monoculture est mise à mal par les sécheresses successives
de la fin des années 1970 et l'effondrement de son cours international.
L'affaiblissement de l'arachide et l'incapacité des dirigeants
sénégalais à trouver une culture de substitution rentable
explique en partie les graves difficultés économiques que
connaît le pays à partir de 1979.
Incapable de faire face à cette récession,
Léopold Sédar Senghor passe la main volontairement à son
dauphin putatif Abdou Diouf à la fin de l'année 1980. En
décidant de ne pas s'accrocher éternellement au pouvoir, le
"Père de la nation" transgresse les habitudes africaines et contribue
à la bonne réputation de la République
sénégalaise. Si cette passation de pouvoir est louée par
l'opinion internationale, elle est très vivement critiquée par
l'opposition sénégalaise, qui exige la démission
immédiate de Diouf et la tenue de nouvelles élections. Ainsi,
dès sa prise de fonction, Abdou Diouf est aux yeux d'une partie de la
population un usurpateur, un homme "qui a triché".
La rupture entre le peuple et le Président n'est
cependant pas effective durant les premières années de
l'ère dioufiste. Le pouvoir promeut le multipartisme total, maintient
"les acquis sociaux senghoriens" et tient un discours consensuel. Entre 1981 et
1985, Diouf est un chef d'Etat moderne, qui comble les attentes de son peuple.
Si Abdoulaye Wade représente dès cette période une
alternative, son action politique est étouffée par le discours
novateur dioufiste.
Les choses changent après 1985 et l'adoption des
nouvelles politiques économiques. A partir de cette période,
Diouf n'est plus l'homme du changement, mais l'homme de la
paupérisation. De plus, le chef de l'Etat refuse d'aller plus loin en
matière de démocratie en ne reformant pas le code
électoral. Il ne peut donc plus s'approprier la cause
démocratique, qui lui est reprise par Abdoulaye Wade, via son cri de
ralliement, le sopi ("changement" en wolof).
Dès 1988, Diouf est dans une position relativement
inconfortable. Les régions qui ont le plus souffert durant son
quinquennat, Dakar et la Casamance, lui tournent déjà le dos. Les
violences urbaines qui suivent l'annonce de la réélection
dioufiste attestent le désamour naissant entre le Président et
son peuple.
Après avoir cru au cours de son "état de
grâce" pouvoir se passer d'une filiation avec Léopold Sédar
Senghor, Diouf se résout après 1988 à ramener sur le
devant de la scène l'héritage senghorien. Il redevient un second,
un homme dans l'ombre du "Père de la nation". Ce retrait relatif lui
permet d'opérer un rapprochement significatif avec Abdoulaye Wade. En
s'associant avec son principal concurrent, Diouf brise l'élan de
l'opposition et assoit son pouvoir. Les gouvernements à majorité
présidentielle élargie, qui deviennent récurrents
après 1991, ont pour but à la fois de garantir "la paix civile"
mais aussi d'empêcher une quelconque alternance politique. En effet, en
participant à différents gouvernements socialistes, Wade brouille
son image auprès de l'opposition et du peuple. Dans son essai sur le
multipartisme sénégalais, Antoine Tine résume la situation
par ces mots :
"les Sénégalais sont des spectateurs
apathiques et complètement désabusés, qui se contentent de
regarder Abdoulaye Wade qui surfe avec Habib Thiam (et Abdou Diouf), Habib
Thiam (et Abdou Diouf) qui surfe avec l'autre"
Durant presque une décennie, on ne sait pas où
situer le PDS : dans le camp dioufiste ou dans le
camp de l'opposition "pure et dure" ? L'attitude wadiste
correspond-t-elle à une improvisation totale ou à un plan de
conquête du pouvoir ?
Abdou Diouf fragilise ainsi Wade et repousse à plus
tard l'espoir d'une alternance politique. Tout au long des années 1990,
le chef de l'Etat cultive le paradoxe de vouloir se maintenir au pouvoir tout
en oeuvrant en faveur de l'ouverture du régime. Il se démarque
par conséquent de l'héritage "démocratique" senghorien
pour façonner sa propre oeuvre politique. Il encourage l'ouverture des
médias d'Etat, favorise la pluralisation de la vie politique nationale
et locale, autorise les radios privés et permet la création d' un
organisme indépendant de contrôle des élections. Le
Président de la République du Sénégal, par
l'intermédiaire de ses actions, affiche sa volonté d'être
à présent le Président de tous les
Sénégalais et non plus du parti gouvernemental. Après
1993, il prend ses distances avec le PS, qu'il délègue à
son homme de confiance, Ousmane Tanor Dieng.
Grâce à cette ouverture, l'opposition obtient une
place de plus en plus conséquente dans les assemblées, les
médias et le gouvernement. Elle devient une vraie force de contestation
reconnue, capable de s'organiser pour contester l'hégémonie
socialiste. L'alternance politique devient alors véritablement possible
puisque les opposants ont des moyens légaux pour se faire entendre et
"s'opposer". Abdoulaye Wade saisit l'opportunité et entre après
1996 dans un véritable rapport de force, tout d'abord avec le PS, puis
peu à peu avec Abdou Diouf lui-même. En reprenant la tête du
front anti-dioufiste, il arrive à se constituer un comité de
soutien suffisamment solide, capable d'annihiler "la machine électorale
socialiste".
Abdou Diouf est ainsi dépossédé de son
oeuvre. Au lieu d'être présenté comme le "Père de la
démocratie sénégalaise", il est dépeint comme un
monarque autocratique et autoritaire, prêt à tout pour conserver
les rênes du pouvoir. De plus, alors que le Sénégal n'a
jamais été aussi démocratique, l'opinion internationale
s'est presque totalement désintéressée de la vie politique
du pays. A la fin des années 1990, le Sénégal a tout
simplement "perdu de sa superbe ", supplanté par d'autres
régimes africains - en Zambie ou au Bénin - qui ont
déjà connu une alternance politique démocratique.
En dépit d'énormes efforts de
démocratisation, le Sénégal n'est pas reconnu à
l'orée des élections présidentielles de 2000 comme
étant une démocratie achevée. Le régime
sénégalais est "semidémocratique ", selon les
termes de Christian Coulomb. Nonobstant la pluralité politique, le code
électoral "presque parfait", l'Observation National des Elections,
l'absence de bourrages d'urnes, la présence d'isoloirs de vote et
d'observateurs internationaux, la non-intervention de l'armée dans les
scrutins etc. Qu'est-ce qu'une démocratie sans alternance politique ?
Pas grand chose, semblent répondre les contemporains.
Dans leur esprit, l'alternance doit marquer la réussite
des réformes démocratiques entamées depuis 1974 et briser
une hégémonie socialiste qui accapare une très grande
partie des ressources de l'Etat depuis le début des années
1950.
Pour le peuple, elle a également un sens particulier.
Dans toute démocratie, nouvelle ou ancienne, l'alternance politique
constitue un mythe, une douce illusion, voire un mirage. Elle suscite
l'enthousiasme, l'espoir de voir naître un monde meilleur et
prospère. Ces sentiments sont décuplés dans un pays qui
n'a jamais connu l'alternance. Après 50 ans de pouvoir socialiste, la
population a besoin d'innovations, d'un changement de discours, d'attitude et
de fonctionnement, en rupture avec le précédent régime. En
outre, les Sénégalais désirent en votant pour
l'alternative se "réapproprier" l'Etat, confisqué depuis bien
longtemps par une seule formation politique, incapable depuis deux
décennies de résoudre la crise économique et sociale que
traverse le pays. Devant ce constat d'échec, l'alternance politique
devient non plus un souhait populaire, mais une
nécessité démocratique.
L'alternance du 19 mars 2000 est un événement
historique indéniable, l'aboutissement d'un long processus de
démocratisation au Sénégal. Comme va tenter de le
démontrer ce mémoire, on croit que divers facteurs - politiques,
économiques, sociaux et extérieurs - ont permis la victoire
wadiste. Voici ci-dessous les plus notables :
- la dévaluation du franc CFA de 1994, qui offre la
possibilité à l'économie sénégalaise de
repartir sans pour autant stopper la paupérisation
accélérée de la population, ce qui dresse une grande
partie de l'électorat sénégalais contre le PS
- l'incapacité socialiste à adapter ses
réseaux clientélistes à une population de plus en plus
jeune et urbaine, acquise à la cause wadiste
- la création par le chef de l'Etat d'organismes de
contrôle indépendants, tels que l'ONEL, qui assurent la
transparence du scrutin de 2000
- l'implosion du camp socialiste, causée en grande
partie par l'entêtement d'Abdou Diouf à maintenir Ousmane Tanor
Dieng à la tête du PS, qui permet à l'opposition
d'élargir le front antidioufiste en "récupérant" les
dissidents Niasse et Kâ
- la mise en place autour de Wade et Niasse d'une
véritable union de l'opposition, capable de faire chuter le
régime socialiste
- la crainte d'une post-campagne violente, similaire à
celle de 1988, et d'une intervention militaire calquée sur le
modèle ivoirien, en cas d'une victoire dioufiste
- le profond désir de changement de la population,
lassée d'une hégémonie socialiste vieille de plus de 50
ans
- l'attitude légaliste d'Abdou Diouf, reconnaissant sa
défaite aussitôt les premiers résultats connus
Comment est-on passé en l'espace de vingt ans d'un
régime fermé et hégémonique à une passation
de pouvoir consensuelle entre Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ? Quelles
ont-été les grandes étapes de la démocratisation
sénégalaise sous Abdou Diouf ? Comment juger la relation
Diouf-Wade au cours de la période ? Quelle part de
"responsabilité" à l'implosion du PS dans l'alternance politique
de 2000 ? Peut-on croire enfin que celle-ci débouche sur le sopi
tant espéré par les Sénégalais ? Voici
quelques questionnements soulevés par le thème de ce
mémoire : l'alternance politique au Sénégal.
Pour l'étudier, on a choisi un cadre chronologique
restreint : 1980-2000. Pourquoi ne pas avoir débuter l'étude en
1974, avec comme point de départ la fin du "parti unifié" au
Sénégal ? On explique cette décision par une
volonté de privilégier l'analyse d'un ensemble homogène.
Le changement de Président qui s'opère à la fin de
l'année 1980 constitue une telle rupture, politique et
idéologique, que ne pas commencer par cet événement
nuerait à la démonstration d'ensemble. On insiste donc sur la
présidence d'Abdou Diouf, qui favorise dans ses premiers mois de
gouvernance le pluralisme politique intégral. En effet, même si
Léopold Sédar Senghor laisse entrevoir une ouverture
démocratique dès 1974, la notion d'alternance politique renvoie
à l'idée de formations partisanes autonomes et plurielles,
capables de faire vivre l'espace démocratique en proposant des
programmes alternatifs.
Or, jusqu'en 1981, l'opposition est restreinte par une loi
limitant son nombre. Elle est en conséquence plus ou moins
subordonnée au Parti Socialiste, puisque les deux/trois partis
d'opposition doivent leur légalité aux choix du Président
en place. Même si la quantité de partis
n'est pas le baromètre du niveau de démocratie
d'un pays, il parait spécieux de prétendre que l'alternance
politique puisse être possible dans le régime tripartite puis
quadripartite de Senghor. Le départ de ce dernier et la loi
promulguée en avril 1981, garantissant le pluralisme politique, assurent
dans les textes une possible alternance politique. Il est ainsi logique de
commencer l'étude au moment où débute :
- Pour le Parti Socialiste et Abdou Diouf, une période
d'adaptation face au multipartisme.
- Pour l'opposition, une tentative d'organisation face
à la "machine électorale PS".
Si la première décennie d'Abdou Diouf à
la tête de l'Etat sénégalais ressemble à s'y
méprendre à la présidence de son
prédécesseur quant à la gestion des
échéances électorales (bourrages d'urnes, monopolisation
des médias d'Etat, code électoral favorisant clairement le parti
majoritaire etc.), la place de l'opposition s'accroît dans le
débat politique. Il n'y a plus, comme au temps de Senghor, de voix
unique et centralisée. Ensuite, après 1991, on note la
volonté dioufiste d'adapter le pays et le PS aux exigences d'une
démocratie "moderne". L'année 2000 s'impose donc
d'elle-même pour clore le sujet, puisqu'elle voit l'aboutissement des
progrès démocratiques avec la victoire dans le calme d'Abdoulaye
Wade aux élections présidentielles.
L'objectif de ce mémoire est donc de mettre en relief
les conditions de démocratisation du régime dioufiste. Au moment
de l'alternance, de trop nombreux travaux ont eu la volonté d'assombrir
les vingt années de pouvoir d'Abdou Diouf. Ils ont réduit la
portée "de l'oeuvre démocratique dioufiste" et ne l'ont pas
suffisamment intégré dans les éléments qui ont
contribué aux événements du 19 mars 2000. Sans vouloir
adopter une attitude complaisante à l'égard du second
Président de la République sénégalaise et mettre de
coté d'autres facteurs explicatifs, l'auteur de ce mémoire
désire réhabiliter le travail d'ouverture réalisé
par Abdou Diouf.
En insistant sur les mesures entreprises dès 1981,
cette étude veut démontrer qu'il y a avant 2000 des
élections disputées, grandement couvertes par les médias
privés et d'Etat, qui ont des enjeux. Il s'agit en quelque sorte de
"démystifier" l'alternance politique sénégalaise. Sans
renier l'importance de l'événement, il ne constitue pas,
contrairement à ce qui a été écrit dans de nombreux
ouvrages, véritablement une "surprise", car dès les
législatives de 1998, le PS l'emporte d'une courte tête : il
entrevoit la possibilité d'une prochaine défaite. L'alternance de
2000 n'est donc pas une révolution dans la vie politique
sénégalaise, un fait inattendu et surprenant, mais simplement
l'aboutissement d'un processus de démocratisation entamé 20 ans
auparavant.
Ainsi, en élaborant un travail articulé autour
d'une organisation chronologique, on désire montrer que les
événements politiques, sociaux et économiques qui ont
jalonné l'histoire du Sénégal ont permis à ce pays
d'acquérir une véritable culture démocratique bien avant
le 19 mars 2000.
Pour étudier les vingt années de
présidence dioufiste, on a utilisé essentiellement des sources
imprimées, étant donné que la période
étudiée se situe encore dans l'histoire du temps présent.
On a cependant dans un premier temps consulté des ouvrages
consacrés à la vie politique africaine et
sénégalaise. Ils ont été trouvés facilement
à la Bibliothèque Nationale Française François
Mitterrand. On souligne ici la quantité et la qualité des
ouvrages fournis dans l'espace dit "haut de jardin". On y a trouvé des
ouvrages essentiels traitant de la vie politique sénégalaise.
Pour ce qui est des sources, principalement des journaux
sénégalais, africains ou français, on s'est rendu à
la Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine (BDIC),
établie à Nanterre. La rapidité pour trouver tout type
d'information est à relever, ainsi que l'immense base
de données dont dispose ce centre d'archives, qui se
considère comme "l'établissement pilote pour l'histoire et
l'historiographie du monde contemporain ".
Grâce à l'apport de ces deux
bibliothèques, on a pu consulter les principaux livres traitant du
Sénégal. On retient l'apport d'un ouvrage tel que "Le
Sénégal sous Abdou Diouf" de MomarCoumba Diop et Mamadou
Diouf, sorti en 1990. Il propose de faire un bilan des dix premières
années de l'ère dioufiste. Il met en évidence le sentiment
de frustration que connaissent les Sénégalais au cours de la
période, qui atteint son paroxysme en février 1988. Ce livre est
important car il analyse une époque décisive dans le processus
d'ouverture démocratique mené par Diouf. Le tome deux de "La
vie politique sénégalaise" de François Zuccarelli est
aussi indispensable puisqu'il aborde les aspects majeurs de la vie politique du
pays entre 1960 et 1988. Les propos de l'auteur sont néanmoins à
prendre avec la plus grande vigilance, puisque Zuccarelli a été
pendant de nombreuses années un des proches collaborateurs de
Léopold Sédar Senghor.
Toutefois, ces deux livres, écrits juste après
la crise de 1988, n'ont pas eu forcement le recul nécessaire pour livrer
une parfaite analyse de la situation, contrairement à un autre ouvrage
de Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, rédigé cette fois-ci en
collaboration avec l'irlandais Donal Cruise O'Brien : "La construction de
l'Etat au Sénégal", paru en 2002. Publiant diverses
études plus ou moins récentes - certaines ayant été
réalisées pour la revue Politique africaine - cet
ouvrage dresse non plus un bilan à mi-parcours, mais un bilan global de
la présidence dioufiste. La plus marquante de ces études est
certainement celle de Momar-Coumba Diop, Mamadou Diouf et Aminata Diaw, "le
baobab a été déraciné ". Elle analyse la
campagne présidentielle de 2000, qui sonne le glas de l'ère
dioufiste et socialiste.
D'autres livres méritent également d'être
évoqués, même si pour certains d'entre eux, le temps a fait
son effet. "The passive revolution" de Robert Fatton, daté de
1986, n'a plus la même aura que lors de sa publication. En effet,
l'auteur juge dans son ouvrage que le Sénégal de 1985 est un pays
stable, démocratique, qui n'a plus rien de semblable avec le
Sénégal du début des années 70. Malheureusement
pour l'américain, les événements de 1988 sont venus
contredire sa théorie. Ils ont montré que le pays était
loin de la "passive revolution" décrite et qu'il était
touj ours régi par un PS omnipotent et impopulaire.
Mar Fall, dans "le Sénégal d'Abdou Diouf,
le temps des incertitudes", s'attaque au Président Diouf.
Publié en 1985, le sociologue fait un premier bilan du successeur de
Senghor. Il lui reproche notamment de ne pas avoir su, ou pu, se dégager
des manigances socialistes. L'auteur prône, dès 1985, la formation
d'un gouvernement d'union nationale.
Enfin, on peut citer certaines études publiées
dans Politique africaine. Les nombreuses contributions d'auteurs tels
que Donal Cruise O'Brien, "Les élections sénégalaises
du 27 février 1983 (1983)" ; Christian Coulon, "La
démocratie sénégalaise: bilan d'une expérience
(1992)" ou encore Momar-Coumba Diop, Mamadou Diouf et Aminata Diaw,
"Le baobab a été déraciné. L'alternance au
Sénégal (2000) " sont tout simplement incontournables.
L'ensemble de ces ouvrages, qui abordent pour la plupart la
première partie de la présidence dioufiste (1980-1991),
fournissent des renseignements précieux pour maîtriser une
décennie riche en évènements et en bouleversements.
Concernant la période 199 1-2000, la bibliographie se réduit
considérablement. On s'est donc appuyé presque exclusivement sur
les sources, sans avoir aucune autre "aide extérieure"
Comme dit précédemment, ces sources ont
été consultées au centre d'archives de Nanterre. Elles
sont la base même du travail historique. Le sujet de ce mémoire
étant situé dans l'histoire du temps présent, on a
employé principalement des sources imprimées : des hebdomadaires
ou mensuels sénégalais, africains ou français. La
principale difficulté a été de dégager les bonnes
des mauvaises informations, étant donné que des milliers
d'articles ont été épluchés, soit sur place, en
consultant les archives disponibles à la BDIC ; soit sur Internet, via
les moteurs de recherche des archives en ligne.
La principale source imprimée consultée pour
les périodiques français a été celle du Monde.
Le Monde, journal de référence pour une grande partie de
l'opinion publique en France, est réputé pour son très
grand sérieux. Le journal, crée en 1944 après la
libération de Paris, constitue depuis un carrefour des opinions
où se retrouvent intellectuels, responsables politiques et lecteurs. Le
choix de ce quotidien a aussi été motivé en raison des
liens privilégiés qui unissent Le Monde et le
Sénégal. En effet, c'est l'article de Pierre Biarnès du 21
octobre 1980, "Le chasseur qui guette ne tousse pas", qui annonce
à la France, mais aussi aux Sénégalais, le prochain
départ de Léopold Sédar Senghor. Si les rapports
qu'entretiennent Senghor et les correspondants du Monde ne sont
peut-être pas aussi étroits par la suite avec Abdou Diouf, Le
Monde continue de 1980 à 2000 à s'intéresser de
très près à la vie politique sénégalaise.
De plus, la consultation des archives de ce journal a
été d'une grande simplicité. Une bonne partie des anciens
articles du Monde sont disponibles en ligne via le moteur de recherche
du site internet. On retrouve également l'intégralité de
la collection du journal à la BDIC, en accès libre. Tous les
articles traitant des deux décennies dioufistes sont de ce fait
aisément consultables.
On a obtenu par conséquent une vision claire et juste
de la vie politique au Sénégal, grâce aux
évènements marquants qui y sont relatés. Toutefois, pour
plus de précisions, il a été nécessaire de
consulter directement des périodiques africains et
sénégalais, mieux renseignés sur les faits
abordés.
Les journaux sénégalais sont le plus souvent
les relais de courants de pensée pro ou anti gouvernementaux, les
rédactions étant la plupart du temps affiliées très
clairement à un parti politique. Le principal problème a
été d'avoir accès aux archives de ces différents
journaux, car la plupart d'entre eux n'ont pas eu un écho suffisant pour
avoir un réel intérêt aux yeux des archivistes. Seule la
consultation du journal gouvernemental le Soleil a pu être
réellement effective.
Longtemps le Paris-Dakar, publié entre 1933
et 1961, est le quotidien phare au Sénégal. Après
l'indépendance, il est renommé pour devenir le Dakar-matin,
tout en gardant la même aura. Mais en 1970, Léopold
Sédar Senghor émet le souhait de voir naître un journal
sénégalais fait par des Sénégalais. Ainsi
naît le Soleil, dont le nom est choisit par le Président
en personne. On devine aisément les liens très étroits qui
existe depuis entre la rédaction du journal et le Parti Socialiste. On
sait en outre qu'en 1980, l'Etat détient encore 54 % de son capital :
Le soleil est donc considéré comme un média
d'Etat.
Tiré à hauteur de 20 000 - 25 000 exemplaires
par jour, Le soleil est le quotidien numéro un dans le pays au
début des années 1980. Il s'adresse aux personnes très
alphabétisées. Les termes employés sont volontairement
techniques, écrit dans un français parfait, la rigueur
littéraire de ce journal facilitant l'utilisation de ses articles.
Le soleil est incontournable lorsque l'on souhaite faire un travail
sur le Sénégal. C'est pourquoi la BDIC dispose d'un stock
d'archives de ce quotidien relativement complet.
Une lecture approfondie du Soleil a permis de mesurer
l'évolution du PS et de la démocratie
sénégalaise entre 1980 et 2000, le journal
étant le miroir d'une société sénégalaise
vue et/ou voulue par le pouvoir. Si en 1980, le journal gouvernemental est
exclusivement au service de la propagande socialiste, on remarque
déjà sa volonté d'ouverture lors des élections
locales ou nationales, en suivant très rigoureusement les campagnes de
l'opposition. Parallèlement aux initiatives présidentielles, on
note que Le soleil adopte une ligne éditoriale moins partisane
suite au premier gouvernement d'union nationale de 1991. Le quotidien "ouvre
ses portes" à l'opposition et fait de nombreuses interviews
avec des opposants tels que Abdoulaye Wade, Landing Savané ou
Abdoulaye Bathily, chose impensable dans les années 1980. Peu à
peu, l'actualité de l'opposition est mieux suivie et traitée avec
plus d'objectivité. Toutefois, la ligne éditoriale du Soleil
reste résolument pro-socialiste, ceci jusqu'à l'alternance
de mars 2000.
Les autres partis politiques sénégalais ont
leur propre journal afin de pouvoir exposer leur programme et critiquer
ouvertement les socialistes. Le PDS a Le démocrate qui devient
après 1988 Sopi. Il connaît un très grand
succès. A un degré moindre, Taraw, le journal du RND ou
Jaay Doole bi d'And Jef ont une certaine influence dans le pays.
La presse dite "indépendante" joue quant à elle
un rôle de plus en plus conséquent dans la vie politique
sénégalaise après 1980. Des journaux comme Sud
Quotidien, Wal Fadjri ou le Cafard Libéré
s'imposent sur la scène sénégalaise et jouissent
d'une grande popularité auprès de la population. Ils
n'hésitent pas à relayer des "affaires" et à défier
aussi bien l'opposition que le pouvoir, s'attirant parfois les foudres de la
justice. Leur poids s'accroît au milieu des années 1990, lorsque
Sud et Wal Fadjri s'installent sur la bande FM en
créant leur propre radio privée. Les médias
indépendants contribuent ainsi à la démocratisation du
Sénégal et constituent des sources d'informations
précieuses.
Comme dit précédemment, la consultation de la
presse indépendante ou d'opposition a été plus que
limitée, en l'absence d'archives à la BDIC. Ces manques
représentent l'une des principales faiblesses de ce mémoire.
Néanmoins, cette lacune a été compensée par une
lecture approfondie de l'hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, dont
le siège est en région parisienne. Journal politique et
économique de référence sur le continent africain, ses
reportages et ses entretiens sont lus avec attention par les dirigeants
sénégalais. Ils ont parfois des répercussions très
importantes sur la vie politique du pays (on pense au limogeage de Djibo
Kä en 1995 et à la dissidence de Niasse en 1999). Contrairement aux
médias d'Etat, Jeune Afrique donne régulièrement
la parole aux opposants sénégalais dès 1980. De ce fait,
on peut suivre l'évolution de la pensée politique de l'opposition
tout au long de la période dioufiste.
On désire souligner la grande qualité des
articles produits par Jeune Afrique entre 1980 et 1995. On regrette
que cette qualité se soit nettement détériorée
après cette période, suite notamment au départ d'un des
rédacteurs en chef délégués, le journaliste Sennen
Andriamirado. Jeune Afrique perd alors son caractère de journal
d'investigation pour devenir progressivement un simple hebdomadaire
d'information. Sa lecture reste cependant très utile pour comprendre les
dernières années du régime socialiste.
D'autres bi-hebdomadaires ont été
consultés, en l'occurrence Lettre du continent et Le Nouvel
Afrique-Asie. Malheureusement, on déplore le manque de
sérieux de certains articles, trop subjectifs ou tout simplement trop...
médiocres. Ces journaux oscillent ainsi entre le bon et le relativement
mauvais, et servent simplement à compléter certaines informations
récoltées soit dans un quotidien, soit dans Jeune
Afrique.
Les écrits d'anciens acteurs de la vie politique
sénégalaise sont également considérés comme
des sources. On a retiré des mémoires publiées par Habib
Thiam, Assane Seck ou Jacques Foccard des données précieuses qui
ont aidé à mieux comprendre les vingt années de pouvoir
dioufiste. Elles ont permis de recouper des informations capitales, notamment
au sujet du départ précipité de Léopold
Sédar Senghor en 1980.
Toutefois, ces sources ont leurs limites : Habib Thiam, ami
fidèle d'Abdou Diouf, n'a pas le recul nécessaire pour livrer un
témoignage objectif sur la présidence dioufiste ; le
témoignage d'Assane Seck, vieux compagnon du "Père de la nation",
n'est utile pour ce mémoire que lorsqu'il s'étend sur le
départ de Senghor et la "radiation des barons" en 1984 ; enfin, les
mémoires de Jacques Foccard livrent quelques anecdotes
intéressantes mais aucune n'est véritablement essentielle.
Abdou Diouf n'a quant à lui pas voulu pour l'instant
écrire ses mémoires politiques. Homme d'une grande
timidité, n'aimant que très modérément s'adresser
à la presse, l'ancien chef d'Etat s'est rarement exprimé depuis
le 19 mars 2000 au sujet de ses deux décennies à la tête du
Sénégal.
Néanmoins, Abdou Diouf a accordé en octobre
2005 un entretien autobiographique en cinq parties à la chaîne de
radio française RFI. Il est revenu dans l'émission "Livre
d'or" de Philippe Sainteny sur son enfance, ses premiers pas en politique,
la difficulté qu'il a eue à s'imposer comme le successeur de
Léopold Sédar Senghor, sa relation avec Abdoulaye Wade etc.
Cet entretien radiophonique constitue une source de tout
premier plan , car le Président Diouf, considéré comme
"l'un des hommes les plus secrets d'Afrique", livre d'importantes informations
sur sa jeunesse et sa conception du pouvoir, chose qu'il n'avait jamais fait
auparavant. Ayant eu accès à cette source à la BDIC, on a
pu mieux comprendre et apprécier l'homme central de la période
étudiée par ce mémoire.
Pour analyser l'alternance politique au
Sénégal, on a divisé ce travail en six temps. Hormis le
premier chapitre, la délimitation des parties s'est effectuée
selon les différentes législatures qui jalonnent la
présidence dioufiste.
Le premier chapitre est en dehors du cadre chronologique
défini dans l'intitulé du mémoire. Il présente un
laps de temps assez long, qui va de 1789, date "imaginaire"
régulièrement citée par les politiques
sénégalais pour situer le début de la vie politique au
Sénégal, à 1980, année où Senghor
délègue peu à peu la totalité de ses pouvoirs
à son successeur Abdou Diouf.
Cette grande introduction insiste sur les
spécificités politiques sénégalaises,
constatées dès l'époque coloniale. Ce premier chapitre
relate aussi la genèse de l'omnipotence socialiste, l'ouverture du
régime après 1974, la fin du règne de Senghor et la mise
en place de sa succession. Le Président-poète choisit Abdou
Diouf, son Premier ministre depuis 1970, pour reprendre la tête de
l'exécutif. Léopold Sédar Senghor quitte ainsi le pouvoir
de son plein gré le 31 décembre 1980.
De 1981 à 1983, Abdou Diouf connaît un
véritable "état de grâce". Jeune et dynamique, le
nouveau Président démocratise le régime, autorise une
pluralité politique totale, utilise des thèmes novateurs. Il est
considéré comme "l'homme du changement". L'opposition,
désarçonnée par le personnage, n'arrive pas à
s'organiser pour les élections de 1983. L'alternance politique est ainsi
inenvisageable, d'autant plus les fraudes électorales sont à
cette époque généralisée. Seul Abdoulaye Wade
obtient un score honorable à la présidentielle, contrairement aux
"anciens" Mamadou Dia et Majhemout Diop. Abdou Diouf triomphe. Il a à
présent une légitimité venue des urnes. Il n'est plus
l'homme de Senghor.
Entre 1983 et 1988, le pouvoir mène une nouvelle
politique économique et sociale pour endiguer
la crise qui touche le Sénégal depuis le
début des années 1980. La cote de popularité du chef de
l'Etat décline fortement, l'électorat commence à se
tourner vers Abdoulaye Wade : c'est "le temps des incertitudes".
Après avoir supprimé le poste de Premier ministre, Diouf est
en première ligne et essuie rapidement les critiques de l'opposition. Le
fondateur du PDS devient pour une partie de la population une alternance
crédible au pouvoir socialiste. Le climat des élections de 1988
est tendu, voir violent. La jeunesse des agglomérations urbaines
réclame le sopi, et surchauffée par les
déclarations wadistes, n'hésite pas à jeter des pierres
sur différents cortèges présidentiels. Après la
réélection dioufiste, entachée d'importantes fraudes
électorales, le peuple mécontent descend dans la rue. Dakar
s'embrase. Le Sénégal, "oasis de démocratie", se
discrédite aux yeux du monde entier.
Cet épisode pousse le Président à
reprendre le chemin des réformes démocratiques, quelque peu
délaissé lors de son précédent quinquennat. Peu
à peu, "Diouf reprend la main" entre 1988 et 1993. Il limoge son
homme de confiance Jean Collin, se rapproche d'Abdoulaye Wade en
l'intégrant au gouvernement en 1991, ouvre les médias,
délaisse la gouvernance du PS, réforme le code électoral
etc. Avec ces mesures, qui marquent une nouvelle étape dans la
démocratisation du pays, il favorise l'éclatement de
l'opposition, le PDS étant dorénavant associé aux
initiatives gouvernementales. En réduisant le pouvoir de contestation
des opposants, le chef de l'Etat éloigne le spectre d'une alternance
politique en 1993. Diouf remporte donc assez facilement les élections
présidentielles, mais Wade est pour la première fois majoritaire
dans la région dakaroise. Toutefois, la formation libérale est
affaiblie à la suite de l'assassinat du vice-président du Conseil
constitutionnel, Babacar Sèye. Abdoulaye Wade, accusé d'avoir
commandité le meurtre, est mis en détention. Le pays replonge
dans une longue crise politique.
En plus de cette affaire, la législature 1993/1998 est
marquée par la dévaluation de 50 % du Franc CFA en janvier 1994.
Le mécontentement de la rue est à son paroxysme, Wade est une
nouvelle fois arrêtée à la suite d'une émeute dans
la capitale, l'inflation grimpe en une année de 30 % : Abdou Diouf est
à la tête d'un "Sénégal dévalué".
La situation s'apaise en 1995, quand Abdou Diouf et Abdoulaye Wade renouent
le dialogue. Ceci aboutit à l'entrée de ministres PDS dans un
nouveau gouvernement à majorité présidentielle
élargie. Néanmoins, le chef de l'Etat doit faire face à
l'implosion de son parti, les cadres socialistes n'acceptant pas à la
tête du PS l'homme de confiance du Président : Ousmane Tanor
Dieng. L'affaiblissement de la formation gouvernementale profite à
l'opposition, qui regroupée derrière Wade, demande la mise en
place de garde-fous pour assurer la transparence des législatives de
1998. Cette requête est acceptée finalement par Diouf. Il
crée l'ONEL, organisation indépendante chargée de veiller
au bon déroulement des élections. Aidée par la
société civile et les médias indépendants, l'ONEL
enraye "la machine à fraude socialiste". Le PS l'emporte avec simplement
50,19 % des suffrages. La possibilité d'une alternance politique en 2000
devient bel et bien envisageable.
La dernière partie de ce mémoire est
consacré à "la chute d'Abdou Diouf". Le Président
de la République se heurte entre 1998 et 2000 à un front
anti-dioufiste très bien organisé, composé des membres
historiques de l'opposition et renforcé par l'arrivée des
dissidents socialistes Djibo Kâ et Moustapha Niasse. Nonobstant les
nombreux efforts d'Ousmane Tanor Dieng, le candidat socialiste n'arrive pas
à tisser un réseau d'électeurs suffisamment solide pour
s'assurer la victoire au premier tour. Au second tour, le candidat socialiste
est emporté par la vague sopiste et perd face à Abdoulaye Wade le
19 mars 2000. Sans attendre la proclamation des résultats officiels,
Abdou Diouf félicite le Président élu. L'alternance
politique est devenue une réalité, "le baobab a été
déraciné".
Chapitre préliminaire : Le Sénégal
avant 1981
1. Du cahier de doléance de 1789 à la loi
Lamine Guèye :
Contrairement à ses voisins africains, le
Sénégal est très rapidement rattaché à la
sphère politique du pays colonisateur. En 1789, un cahier de
doléance est envoyé au Roi de France Louis XVI dans le cadre de
l'organisation des Etats généraux. Si ce document réclame
le maintien de la traite négrière - ce qui exclu par
conséquent les intérêts de la population noire - il
démontre qu'un cadre politique actif, même sommaire, est
déjà en place à Saint-Louis. Ainsi, 1789 est restée
dans l'imaginaire collectif la date fondatrice d'une existence politique dans
le pays. C'est pourquoi les dirigeants sénégalais contemporains
n'hésitent pas à évoquer cet événement pour
justifier l'exemplarité politique du Sénégal en
Afrique.
Cependant, il faut attendre 1848, et la proclamation de la
IIème République, pour voir les populations locales prises en
compte. Les habitants des Quatre communes (Rufisque, Gorée, Saint-Louis,
Dakar) sont déclarés citoyens français1.
Même si le multipartisme - dans un premier temps sous la domination
palpable des blancs et des métis - est instauré dans quelques
zones privilégiées, le reste du Sénégal est encore
soumis à la règle de l'indigénat. En effet, les "sujets"
de l'Afrique Occidentale Française (A.O.F) peuvent se voir infliger des
travaux forcés, n'ont aucun représentant à
l'Assemblée nationale et dépendent de la justice des
administrateurs coloniaux.
La position des "assimilés" est par conséquent
privilégiée. Ils ont la possibilité d'accéder
à des établissements scolaires plus renommés (le
lycée Faidherbe ou Van Vollenhoven ), de former des associations et de
publier des périodiques. Cette acculturation à la vie politique
permet à Blaise Diagne d'accéder, en 1914, à
l'Assemblée nationale. Il est le premier noir à être
élu député, mettant fin à l'hégémonie
blanche et métisse. Cet événement marque la
première "alternance politique" de l'histoire du
Sénégal2. Le programme de Diagne est toutefois bien
peu différent de celui de ses prédécesseurs, prônant
une assimilation absolue à l'Etat français. Son principal
opposant au cours des élections suivantes est Galandou Diouf, qui
parvient finalement à être élu député du
Sénégal de 1934 à 1941. Ce dernier se heurte ensuite
à Lamine Guèye, maire de Saint-Louis (qui est encore la capitale
de l'espace sénégalais à cette période) depuis
1925. Ce docteur en droit, également chantre de l'assimilation et
affilié à la SFIO, est l'homme fort du Sénégal des
années post-seconde guerre mondiale. Il s'appuie sur le Parti Socialiste
Sénégalais (PSS), fondé en 1934, qui prend ensuite le nom
de Fédération socialiste SFIO du Sénégal. Son
électorat est constitué de notables, rassemblant les couches
aisées des Quatre communes. Guèye invite aussi les jeunes
intellectuels sénégalais à se rallier à lui, dont
un certain Léopold Sédar Senghor, qui le rejoint en 1945.
Léopold Sédar Senghor est né en 1906
à Joal, d'une famille sérère commerçante.
Catholique
1 Durand Barthélémy Valentin, un mulâtre,
est élu premier député du Sénégal à
l'Assemblée française de 1848 à 1851. "Liste des
députés du Sénégal", Le soleil, 6 janvier
2000.
2 Même si le terme d'alternance peut paraître
exagéré, il souligne la rupture symbolique que provoque la
victoire de Blaise Diagne face au mulâtre François Carpot, 1910
voix contre 675. "Blaise Diagne et la révolution du 10 mai 1914",
Le soleil, 6 janvier 2000.
pratiquant, il bénéficie de l'aisance
financière de son père pour aller en hypo-khâgne au
lycée Louis le Grand à Paris, en 1928. Après un
échec aux concours d'école normale supérieure, il est
reçu à l'Agrégation de grammaire en 1935. Il devient alors
professeur de Lettres à Tours puis à Saint-Maur. Mobilisé
pendant la deuxième guerre mondiale, il est fait prisonnier jusqu'en
1942. Il entame ensuite une carrière de politique - en même temps
qu'il embrasse celle de poète avec la parution de Chants d'ombre -
après sa rencontre avec Lamine Guèye. Elu aux deux
Assemblées constituantes chargées de rédiger la
Constitution de la IVème République, Senghor assiste à
l'adoption de la loi Guèye le 25 avril 1946, qui offre à tous les
habitants d'outre-mer la citoyenneté française. Le corps
électoral sénégalais passe en l'espace d'une année
de 45 000 à plus d'un million d'électeurs. Même si ce
changement favorise presque immédiatement l'ascension politique de
Senghor, cet aspect assimilateur déplait à l'homme de Joal. Il se
démarque très vite de son mentor socialiste.
2. L'avènement de l'hégémonie
senghorienne :
Critiquant l'aspect élitiste et "français" du
parti de Guèye, Senghor et son compagnon de route Mamadou Dia fondent un
véritable parti de masse, le Bloc Démocratique
Sénégalais (BDS), capable d'attirer les nouveaux citoyens
"français", essentiellement des ruraux. Les victoires électorales
sur Guèye sont alors récurrentes : 1948, 1951, 1952, 1956 et
1957. Le BDS devient la grande formation politique du Sénégal.
Léopold Sédar Senghor, fort de cette suprématie et de son
statut de ministre français3, lance un premier appel à
l'unité, qui aboutit à la formation d'un nouveau parti en
collaboration avec l'Union démocratique sénégalaise (UDS)
: le Bloc populaire sénégalais (BPS). Il n'inclue cependant pas
la Fédération socialiste SFIO du Sénégal, Lamine
Guèye réorganisant son parti sous le sigle du MSA (Mouvement
socialiste africain) pour l'élection de l'Assemblée territoriale
de mars 1957. Ce scrutin est d'une extrême importance, puisqu'il est le
premier à prendre en compte les changements initiés par la loi
Defferre de 1956, qui abrogent le double collège et instaurent le
suffrage universel. Mais cette tentative s'avère être un
échec cuisant. Le MSA récolte 13 sièges alors que le BPS
en obtient 47.
Ces scores médiocres sonnent le glas des ambitions de
Lamine Guèye. Ce dernier se résout à "se faire avaler" par
la machine senghorienne4. En 1958, le BPS et le MSA fusionnent,
donnant naissance à l'Union Progressiste Sénégalaise
(UPS). Ce nouveau parti possède la totalité des 80 sièges
de l'Assemblée nationale. Il promeut dès ses premiers mois
d'existence le ralliement à la Communauté de De Gaulle,
contrairement au Parti Africain de l'Indépendance (PAI). Le "Oui" massif
du Sénégal (70.362 voix contre 21.901 de non) renforce
l'idée que l'UPS est devenue incontournable. L'échec de la
Fédération du Mali et l'indépendance acquise le 4 avril
1960 permettent quant à elles l'adoption d'une Constitution
sénégalaise, qui voit le jour le 25 août 1960.
Il y est stipulé que le Président de la
République (Senghor accède à la tête de l'Etat le 5
septembre 1960) est élu pour sept années par un collège
électoral limité, composé de députés et de
délégués
3 Il est secrétaire d'Etat à la présidence
du Conseil dans le gouvernement Edgar Faure du 1er mars 1955 au 1er
février 1956. Il sera ensuite ministre conseiller du gouvernement Michel
Debré, du 23 juillet 1959 au 19 mai 1961.
4 Lamine Guèye devient alors un fidèle... de
Senghor. En guise de récompense, il occupe le poste honorifique de
Président de l'Assemblée nationale de 1960 jusqu'à sa mort
en 1968.
des conseils municipaux et régionaux. La plus haute
magistrature du pays assure la continuité de l'Etat et sa
représentation à l'étranger. Elle désigne le
Président du conseil, qui nomme les ministres et coordonne la politique
intérieure. Il est investi par les députés qui peuvent le
démettre en adoptant une motion de censure. Ils votent également
le budget et les lois.
La séparation des pouvoirs est respectée dans
cette Ière République sénégalaise. On constate que
le binôme Senghor-Dia a une répartition à peu près
égale des pouvoirs. Ce couple politique, qui fonctionne depuis la
formation du BDS en 1948, cumule l'intelligence dialectique de Senghor et le
pragmatisme de Mamadou Dia 5. Mais cet équilibre
des forces est bientôt mis à mal par les luttes partisanes. Le 14
décembre 1962, le député Théophile James reproche
à l'Assemblée nationale le maintien de l'Etat d'urgence depuis
août 1960, date à laquelle le Sénégal a
décidé de mettre fin à sa collaboration avec l'ancien
Soudan français. Une motion de censure est aussitôt adoptée
à l'encontre de Mamadou Dia par une quarantaine de parlementaires. Se
sentant trahi, le Président du conseil fait entrer la gendarmerie place
Tascher le 17 décembre 1962 et ordonne l'arrestation des quatre
députés qui lui sont les plus hostiles 6 .
L'Assemblée nationale donne alors solennellement à Senghor les
pleins pouvoirs. Mamadou Dia est mis en détention le soir même.
Cet événement marque la fin du bicéphalisme de
l'exécutif au Sénégal.
3. Le Présidentialisme senghorien :
Une nouvelle Constitution est votée le 3 mars 1963. Le
thème de la campagne, "une seule tête pour un seul bonnet"
7 exprime l'idée que le Président de la
République devient à la fois le chef de l'Etat et du
gouvernement. Il est élu pour cinq ans au suffrage universel, le
même jour que les députés, pour montrer le lien
indéfectible qui existe entre l'action présidentielle et l'action
gouvernementale. En plus d'avoir l'initiative de la loi, il peut dissoudre
l'Assemblée nationale suite à une loi constitutionnelle
votée le 20 juin 1967. Les parlementaires n'ont eux aucun moyen de
pression sur lui.
Initiateur de cette réforme constitutionnelle, Senghor
remporte sans surprise - avec un score "africain" de 99% des voix - les
élections présidentielles du 1er décembre 1963 (UPS
"gagne" les législatives avec 94% des voix). Cette victoire s'inscrit
dans une période où, peu à peu, l'opposition s'efface.
Soit par obligation, soit par cooptation avec l'UPS.
- Le PAI de Majhemout Diop disparaît officiellement en
1960, accusé d'avoir été l'instigateur de troubles lors
des élections municipales de 1960.
- Le Bloc des masses sénégalaises (BMS) de
Cheikh Anta Diop est interdit en 1962. Ce dernier reforme un parti, s'appuyant
sur les partisans de Mamadou Dia. Le Front National Sénégalais
(FNS) prend toutefois fin en 1964
- Seul le PRA Sénégal tient tête à
l'UPS après la victoire de Senghor en 1963. Mais en échange de
postes gouvernementaux pour Abdoulaye Ly, Amadou Mokhtar Mbow et Assane Seck,
le dernier parti indépendant cesse d'exister après 1966. Le
Sénégal connaît alors un régime à parti
unique, ou comme aime le dire Senghor, à parti "unifié".
5 François Zuccarelli, La vie politique
sénégalaise (1940-1988), Paris, Publication du Cheam,
1988.
6 Abdoulaye Fofana, Ousmane Ngom, Magatte Lô et Moustapha
Cissé
7 François Zuccarelli, La vie politique
sénégalaise (1940-1988), Paris, Publication du Cheam,
1988.
Le durcissement du régime permet la mise en place d'un
syndicat unique, favorable à l'UPS : L'Union Nationale des Travailleurs
Sénégalais (UNTS). De plus, le code des obligations civiles et
commerciales de 1965 offre la possibilité au gouvernement d'interdire
toute association menaçant l'ordre public. La formation d'un "Etat
jacobin" atteint son paroxysme en 1966 avec la création de l'ONCAD,
chargée de contrôler l'ensemble des coopératives agricoles.
L'Etat désire par ces mesures annihiler toute forme de contestation,
quelle soit politique, économique ou sociale.
Alors que le Présidentialisme sénégalais
semble devoir perdurer, les dessins de Senghor sont modifiés par "la
pression sociale". L'opposition, devenue clandestine, cherche par
l'intermédiaire des enseignants, des ouvriers et des étudiants
à déstabiliser l'Etat senghorien. En outre, la situation
économique du pays commence à montrer des réels signes de
faiblesse. La monoculture arachidière, qui représente 78% des
exportations du Sénégal 8 , connaît une forte
baisse de sa production suite aux sécheresses de 1967. La récolte
annuelle passe d'un million à 835 000 tonnes. Il s'ensuit une forte
inflation et une baisse généralisée du pouvoir d'achat, la
population sénégalaise étant aux deux tiers
constituée de ruraux. Le chômage et la politique de blocage des
salaires sont autant de facteurs générateurs de tensions. L'UNTS,
syndicat affilié normalement à l'UPS, sort de son devoir de
réserve le 1er mai 1968 en critiquant la politique de Senghor. Le 27
mai, l'Université de Dakar apporte son soutien aux manifestants
français qui défient le pouvoir gaulliste avant d'entamer une
tentative de blocage des cours. La réaction du pouvoir ne se fait pas
attendre : le ministre de l'Intérieur fait dégager le campus le
jour même. Suite à ces évènements, la
fédération de l'UNTS du Cap Vert proclame la grève
générale. En réaction, Senghor déclare
l'état d'urgence le 30 mai. On assiste à des pillages, incendies
et attaques de résidences de dirigeants de l'UPS, sans pour autant que
l'insurrection s'étende à l'ensemble du pays. Le climat de
violence est surtout perceptible en milieu urbain et prend fin assez
rapidement, aux alentours du 4 juin. Une réunion le 18 juin 1968 entre
le gouvernement, le patronat et le syndicat aboutit à un
relèvement du SMIG de 15%, la "sénégalisation" des emplois
etc.
Contrairement à son homologue français, le
gouvernement sénégalais n'arrive pas à tirer les
conséquences politiques de ces graves événements. Tant et
si bien que la grève reprend en février 1969. Le conflit social
s'éternise et Senghor est dans l'obligation de décréter un
second état d'urgence le 11 juin 1969. Le calme revient presque
aussitôt. Ce deuxième avertissement est le bon pour le
Président sénégalais, qui mesure l'étendu de la
crise sociale. Des réformes politiques sont nécessaires pour
rétablir un climat de confiance entre les Sénégalais et le
pouvoir. La nouvelle Constitution sénégalaise, adoptée le
22 février 1970 par référendum, marque les
prémisses d'une ouverture politique.
4. L'ouverture politique :
La principale nouveauté de cette Constitution est la
création - ou plus exactement le retour - du poste de Premier ministre.
Responsable devant le Président de la République et les
parlementaires, il coordonne la politique intérieure en ayant à
sa charge le gouvernement. Le Président de la République retrouve
dans les textes une fonction "à la française", en concentrant
l'essentiel de son action sur la diplomatie internationale. Le 26
février 1970, un "inconnu",
8 François Zuccarelli, La vie politique
sénégalaise (1940-1988), pp. 113, Paris, Publication du
Cheam, 1988.
Abdou Diouf, est nommé Premier ministre du
Sénégal 9.
Abdou Diouf est né le 7 septembre 1935 à Louga,
vieux bassin arachidier de la région du Cayor, localisé à
25 kilomètres de Dakar 10. Son père, qui
fait parti "de la moyenne élite administrative" du
Sénégal, envoie le jeune Abdou à l'age de 2 ans chez sa
grand-mère paternelle à Saint-Louis. Il suit dans la capitale
sénégalaise une double scolarité, à l'école
française et à l'école coranique. Cette dernière,
passage obligé pour tout bon musulman sénégalais, lui
enseigne le Coran. Cependant, estimant avoir "assez appris de Coran pour
faire ses prières ", il quitte l'école coranique
après son entrée au lycée Faidherbe. Il y obtient son
baccalauréat en 1955.
Cette jeunesse à Saint-Louis lui permet aussi de
rentrer en contact indirectement avec Léopold Sédar Senghor. Sa
grand-mère paternelle, héberge chez elle sa nièce, qui
s'avère être "la grande amazone de Senghor" à
Saint-Louis. Celle-ci s'occupe du comité des femmes senghoriste de
Saint-Louis, qu'elle réunit tous les soirs. Etant le seul lettré
de la maison, Abdou Diouf se charge durant cette période de faire
quotidiennement une revue de presse, qu'il relate au comité. Il s'occupe
également de rédiger les lettres envoyées à Senghor
et de lire ses réponses 11.
Après ce long passage à Saint-Louis, Abdou
Diouf gagne Dakar pour y suivre des études de droit public et de
sciences politiques. Etudiant brillant, il rentre en 1958 à l'Ecole
nationale de la France d'outre-mer, située à Paris. Il se destine
alors à intégrer à terme l'administration publique. Au
cours de ce séjour parisien, il fait la rencontre de deux personnes qui
vont fondamentalement changer sa vie : Elisabeth, qui devient sa femme en 1962,
et Habib Thiam. Abdou Diouf reste toutefois studieux. Il finit Major de sa
promotion.
Diplômé en juin 1960, il retourne au
Sénégal au moment même où le pays accède
à l'indépendance. Il intègre l'administration et se
retrouve nommé en décembre 1961 gouverneur de la région du
Sine Saloum. Néanmoins, il est rapidement démis de ses fonctions,
s'étant distingué des autres gouverneurs en refusant de faire
acte d'allégeance à Senghor lors de la crise de 1962. Sa
traversée du désert ne dure que très peu de temps,
puisqu'il intègre le cabinet du ministre des Affaires
étrangères, Assane Seck, en 1962 avant de rejoindre le cabinet
présidentiel de Léopold Sédar Senghor en mai 1963. Cette
progression rapide dans la hiérarchie montre qu'en dépit de
l'affront qui lui a été fait, le Président de la
République sénégalaise maintient sa confiance à
Abdou Diouf et lui réserve une destinée exemplaire. Devenu en
février 1964 secrétaire général de la
présidence de la République, le jeune technocrate apparaît
au sein du gouvernement en mars 1968, en tant que ministre du Plan et de
l'Industrie. Il conserve ce poste jusqu'à sa nomination à la
Primature.
Son physique tout en longueur - il mesure 1m 96 - qui lui donne
un air emprunté, ainsi que son visage juvénile, ne le servent pas
auprès du grand public. Il doit s'affirmer et montrer qu'il est
9 A cette occasion, Senghor aurait déclaré
à Abdou Diouf : "J'ai décidé de vous nommer Premier
ministre. Je ne vous ai pas choisi parce que j'ai une affection
particulière pour vous, mais parce que j'ai considéré que
vous êtes le meilleur de tous". Abdou Latif Coulibaly, Le
Sénégal à l'épreuve de la démocratie ou
L'histoire du PS de la naissance à nos jours, pp. 92, Paris
Montréal, L'Harmattan, 1999.
10 Contrairement à ce qui a été
longtemps soutenu par la propagande officielle, Abdou Diouf n'a jamais
véritablement vécu à Louga. Dès l'age de 3 mois,
Abdou Diouf quitte Louga pour Bakel en raison d'une mutation de fonctionnaire
de son père, receveur des PTT. Il affirme d'ailleurs : "Je connais
beaucoup mieux Saint-Louis du Sénégal que Louga ". Abdou Diouf :
entretiens avec Philippe Sainteny, Emission livre d'or, RFI, 2005.
11 Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005.
plus qu'un technocrate sous la coupe du "Père de la
nation". Pour se défaire de cette impression, Senghor lui confie des
responsabilités locales. Diouf prend la tête de l'instance
dirigeante de sa ville natale, Louga, et succède à un "historique
de l'UPS", Moustapha Cissé. Ce rajeunissement des cadres locaux est
perceptible dans d'autres régions : Alioune Sène,
secrétaire d'Etat à l'Information, prend place à Fatick
tandis que Babacar Bâ, directeur du cabinet de Senghor, s'installe
à Kaolack. Ces changements s'étendent au bureau politique de
l'UPS : Abdoulaye Fofana, instigateur de la chute de Mamadou Dia en 1962, et
Doudou Thiam, ancien ministre des Affaires Etrangères, sont
remplacés par Jean Collin et Abdou Diouf, qui accèdent
respectivement après 1972 aux postes de secrétaire et
secrétaire adjoint de l'UPS. On assiste aussi à l'entrée
d'Ousmane Camara (liaisons avec les comités d'entreprises), Moustapha
Niasse (secrétaire à la Jeunesse) et Babacar Bâ
(secrétaire aux Affaires Economiques).
Le milieu syndical, principal responsable des troubles de
1968 et 1969, connaît lui-aussi des restructurations. L'UNTS est affaibli
par le départ de son dirigeant Doudou N'Gom, nommé à la
présidence d'un nouveau syndicat, la Confédération
Nationale des Travailleurs du Sénégal (CNTS), crée le 14
juin 1969. Très clairement rattaché au parti senghorien, "la
CNTS est intégrée dans l'UPS et dotée d'un statut
organisationnel identique à celui d'une section régionale du
parti. L 'adhésion devient obligatoire pour tous les salariés
affiliés à l'UPS et vice versa" 12 . Cette
filiation est renforcée avec l'arrivée au gouvernement de
syndicalistes CNTS - Doudou N'Gom à l'Enseignement Technique et à
la Formation Professionnelle et Adama Mawa N'Diaye en tant que
secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères - et par
l'élection en 1973 d'une dizaine de députés UPS
appartenant à la CNTS.
Avec cette "participation responsable", le pouvoir tend
à mettre fin au malaise social et à "éliminer" l'agitateur
UNTS. Celui-ci rend les armes dès juillet 1971.
Les larges victoires du 28 janvier 1973 de Senghor et de
l'UPS - ils obtiennent 99,1 % et 98,9% des suffrages - ne reflètent
cependant en rien la popularité du pouvoir. La CNTS, payant sa relation
privilégiée avec l'Etat, n'est pas considérée par
la population comme "un défenseur" et voit sa stratégie de plus
en plus critiquée. Senghor doit trouver un nouveau moyen pour calmer
l'insatisfaction grandissante des Sénégalais, qui commencent de
surcroît à ressentir les premiers signes de la crise
économique. C'est pourquoi on constate, à partir de
l'année 1974, une ouverture démocratique dans le pays qui se
manifeste par la fin du régime à "parti unifié" et
l'instauration du tripartisme.
5. L'ouverture démocratique :
La libération de Mamadou Dia le 27 mars 1974 marque le
début d'un changement d'époque au Sénégal.
L'opposition, qui réclame depuis 1966 le droit à la libre
expression, voit un premier parti homologué par le ministre de
l'Intérieur le 31 juillet 1974. Il s'agit du Parti Démocratique
Sénégalais (PD S) d'Abdoulaye Wade.
Ce dernier est né le 21 mai 1926 à
Kébémer, dans la région de Louga. Il effectue ses
études en France, où il obtient une Licence et un Doctorat en
droit et en sciences économiques. Très marqué à
gauche durant sa jeunesse, il est responsable des étudiants d'Afrique
à Besançon et
12 G. Martens, "Révolution ou participation :
Syndicats et partis politiques au Sénégal", Le mois en
Afrique, octobrenovembre 1983.
participe au Vème congrès de l'Union
Internationale des étudiants à Varsovie en septembre 1953.
Après avoir plaidé quelques années au barreau de
Besançon, il rentre au Sénégal et ouvre un cabinet
d'avocat à Dakar. Il poursuit en parallèle son cursus
universitaire et reçoit, en décembre 1970, l'Agrégation de
sciences économiques. Il devient maître de conférence. De
plus, il est élu Doyen de la faculté de droit et de sciences
économiques de Dakar. Il quitte néanmoins bien vite ces
fonctions, préférant se consacrer à sa carrière
politique. Un temps proche de l'UPS, il fonde le PDS pour en faire, selon ses
propres dires, "un parti de contribution" 13.
Senghor ne l'entend cependant pas de cette oreille, et
"oblige" le PDS à se placer dans l'opposition. Le succès du
nouveau parti est indéniable : il compte environ 90 000 adhérents
en moins de deux ans. D'autres formations se forment au cours de la
période. On note la création du Rassemblement National
Démocratique (RND) de Cheikh Anta Diop en février 1976 ou encore
la renaissance du PAI de Majhmout Diop. L'émergence de nouveaux partis
sert le pouvoir en place, car les opposants, autrefois clandestins, agissent
dorénavant à découvert pour défendre leurs
idées. Ils perdent leur force subversive et assurent paradoxalement la
survie de l'Etat senghorien. Le Président de la République refuse
toutefois que cette ouverture démocratique se transforme en
véritable anarchie. Il limite à trois le nombre des partis
officiels, "chacun devant représenter respectivement les trois
courants de pensée suivants : libéral et démocratique,
socialiste et démocratique, marxiste-léniniste ou
communiste".
Si le PDS accepte de prendre le courant libéral -
malgré une doctrine socialiste clairement exprimée - et le PAI le
courant marxiste-léniniste, le RND refuse de se soumettre à la
volonté senghorienne. N'ayant pas obtenu le
récépissé du ministère de l'Intérieur, le
parti d'Anta Diop reste officiellement dans la clandestinité. La
doctrine socialiste est quant à elle adoptée par l'UPS,
puisqu'elle est admise en novembre 1976 à l'Internationale socialiste,
grâce à une recommandation appuyée du premier
secrétaire général du PS français de
l'époque, François Mitterrand.
L'UPS, fraîchement renommée Parti Socialiste
Sénégalais, s'organise pour appréhender les
élections plurielles de 1978. Autour de Léopold Sédar
Senghor, un conseil de dix membres est instauré. On y recense Abdou
Diouf, Amadou Cissé Dia, Magatte Lô, André Guillarbert,
Alioune Badara Mbengue, Assane Seck, Jean Collin, Babacar Bâ, Moustapha
Niasse et Djibo Kâ. Le Président de la République forme
ainsi un groupe chargé de préparer à terme sa succession,
constitué des "historiques" de l'indépendance et d'hommes
appartenant à "la génération Abdou Diouf", tels que Niasse
ou Kâ.
Les élections pluripartites du 26 février 1978
concernent la présidence de la République, les 100
députés de l'Assemblée nationale, 26 des 35 conseillers
municipaux et 107 conseils ruraux. Contrairement aux autres opposants,
Abdoulaye Wade ne boycotte pas les élections. Il se présente
à la présidentielle et place des candidats dans toutes les
communes sénégalaises.
La campagne présidentielle est marquée par la
polémique née de l'adoption par le Parlement de la loi 76-27 du 6
avril 1976, qui modifie l'article 35 de la Constitution
sénégalaise. Il y est stipulé
13 Il semble que Wade est pris à son propre
piège en menaçant Senghor de créer son parti s'il
n'obtient pas un poste ministériel. "En 1974, quand il est
allé dire à Senghor qu 'il avait l'intention de créer un
parti politique, le Président de la République l'avait pris au
mot, mais il était convaincu, et je crois qu 'il avait raison, que
l'intention de Wade était de se faire offrir un portefeuille de
ministre". Foccard parle, tome II, p 346-347, Paris, Fayard, 1997.
"qu'en cas de décès ou de démission
du Président de la République, ou lorsque l'empêchement est
déclaré définitif par la Cour suprême, le Premier
ministre exerce les fonctions de Président de la République,
jusqu'à l'expiration normale du mandat en cours. Il nomme un Premier
ministre et un nouveau gouvernement dans les conditions fixées à
l'article 43". Ne faisant aucun doute que Léopold Sédar
Senghor laissera le pouvoir en cours de mandat à son Premier ministre,
Abdoulaye Wade déploie toute son énergie pour dénoncer ce
prévisible "coup d'état constitutionnel". Pour contrecarrer cette
agitation, le PS remet en route "sa machine électorale", au point mort
depuis 1966. Les dirigeants socialistes activent leurs réseaux
clientélistes et favorisent le soutien implicite des marabouts
grâce à de généreuses donations, souvent
octroyées par l'intermédiaire des coopératives agricoles
arachidières détenues par l'Etat. Ils quadrillent de ce fait
l'électorat rural, très respectueux à l'époque des
consignes de vote données.
Les résultats n'offrent par conséquent aucune
grande surprise : Senghor gagne avec 82,5% des suffrages contre 17,4% pour
Wade. Le PS remporte 82 sièges et le PDS en obtient 18. L'opposition
n'acquiert qu'une seule commune (Oussoye, en Casamance maritime) et deux
communautés rurales (Taïf et Taïba Ndiaye). Même si
l'hégémonie socialiste est restée presque intacte, pour la
première fois depuis 1960, un parti d'opposition siège au sein de
l'hémicycle sénégalais. Senghor peut dorénavant,
après vingt années de pouvoir, préparer sa succession.
6. Le départ du "Père de la nation" :
Le PDS joue son rôle d'opposant parlementaire
dès 1978 en contestant la victoire de Senghor. Abdoulaye Wade s'appuie
sur les irrégularités constatées pendant le scrutin,
concernant notamment l'absence d'isoloir dans les bureaux de vote. Pour les
mêmes raisons, il demande l'annulation d'une trentaine de mandats de
députés socialistes. La Cour suprême ne donne pas suite
à ces requêtes. Le passage dans l'isoloir demeure facultatif.
Senghor apparaît usé par ces querelles
incessantes et désireux de retourner à ses compositions
poétiques. Grâce à l'article 35, il sait qu'il peut quitter
le pouvoir à tout moment. Il tient néanmoins à parfaire
"sa" démocratie sénégalaise en autorisant un
quatrième parti, à connotation "conservatrice" cette fois-ci.
Cette volonté, votée par le Parlement le 28 décembre 1978,
bénéficie au Mouvement républicain
sénégalais (MRS), fondé en juillet 1977 par Boubacar
Guèye, descendant de l'illustre Lamine Guèye.
L'homme de Joal est confronté à une
dernière difficulté : le choix de son dauphin putatif. Si son
choix s'est depuis longtemps porté sur Abdou Diouf 14 ,
l'émergence de son ministre de l'Economie Babacar Bâ remet en
cause son idée initiale. Par l'intermédiaire de son
ministère, Bâ s'est constitué une importante
clientèle. En outre, il dispose d'un soutien de choix en ayant à
ses cotés le neveu du Président, Adrien Senghor 15.
Son style, plus politique et moins technocratique que celui
d'Abdou Diouf, séduit de nombreux
14 Abdou Diouf affirme que Léopold Sédar Senghor a
songé dès 1964 à son Premier ministre pour lui
succéder. Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005.
15 Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à
l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance
à nos jours, pp.101, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.
chefs d'Etat étrangers, notamment Félix
Houphouët-Boigny et Valéry Giscard D'Estaing 16. Sentant
sa chance, Babacar Bâ mène une grande campagne de presse contre
Abdou Diouf. Le Premier ministre est accusé d'être impliqué
dans une affaire de trafic d'influence, via un prêt de l'Union
Sénégalaise des Banques.
Il se forme alors un groupe de soutien à Diouf,
articulé autour du trio Jean Collin - Moustapha Niasse - Djibo Kâ.
Ils usent de leur influence respective auprès de Senghor pour le
persuader de maintenir en place Abdou Diouf. Avec succès, puisque ce
dernier reste à la Primature après les élections de 1978.
Bâ est quant à lui muté aux Affaires Etrangères, de
façon à l'éloigner des deniers publics. Le danger reste
toutefois réel. Bâ doit être définitivement
écarter de la voie successorale.
Jean Collin profite d'un "incident diplomatique" entre Diouf
et Bâ 17 pour le rapporter à Senghor, alors en vacances
à Verson. Le Président rentre précipitamment de Normandie
et convoque le comité central du PS le 18 septembre 1978. Le trio
Collin-Niasse-Kâ discréditent de nouveau Babacar Bâ au cours
du rassemblement. Senghor conclut alors la réunion du comité par
ces quelques mots : "Il sera procédé à un remaniement
ministériel, Abdou Diouf me proposera une liste de ministres ".
Babacar Bâ est renvoyé du gouvernement le lendemain. La voie
présidentielle est libre pour Abdou Diouf.
La fin du règne de Senghor est passablement difficile.
Le pays est placé en 1979 sous la tutelle du Fond Monétaire
International (FMI) et de la Banque mondiale, pour faciliter la mise en oeuvre
d'un plan de réajustement économique à moyen terme. De
surcroît, l'agitation universitaire qui débute après des
échauffourées à Ziguinchor en janvier 1980
révèle l'importance qu'a prit dans le monde enseignant le
Syndicat Unique et Démocratique des Enseignants Sénégalais
(SUDES), crée après l'ouverture démocratique de 1976. Sa
principale revendication est la mise sur pied d'états
généraux de l'éducation, de manière à
aborder les différents problèmes du monde scolaire et
universitaire. Le programme du syndicat insiste sur "une scolarisation
totale, l'utilisation des langues nationales ainsi que la revalorisation de la
fonction enseignante" 18 . L'aura de ces thèmes dans le
monde étudiant souligne l'échec total de l'incorporation de la
CNTS dans la machine politique socialiste.
C'est sur ces faits que le premier Président de la
République se retire progressivement des affaires,
déléguant au fur et à mesure de l'année 1980 ses
prérogatives à son Premier ministre. Toutefois, l'entourage de
Diouf, notamment Jean Collin, craint un revirement de Léopold
Sédar Senghor. Pour l'éviter, Jean Collin remet au
Président un rapport, "Notes sur les risques politiques dans la
sphère africaine", faisant état d'un possible coup d'Etat au
Sénégal "si des changements radicaux et en profondeur n
'étaient pas apportés dans la conduite des affaires du pays"
19 . Dans un contexte de multiplication des renversements
politiques sanglants dans la région (Libéria,
Guinée-Bissau), ces conclusions inquiètent grandement Senghor. Il
hâte son
16 "A une réunion du bureau politique du Parti
socialiste, Senghor n'hésite pas à rapporter tout le bien qu'un
Président de la République française avait dit sur Babacar
Bâ. Comme Senghor ne parle jamais gratuitement, le fait n 'était
donc pas fortuit". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.
47, Paris, Rocher, 2001.
17 Dans son fief politique de Kaolack, Babacar Bâ
refuse de serrer la main d'Abdou Diouf lors d'une visite de ce dernier. Abdou
Latif Coulibaly, Le Sénégal à l'épreuve de la
démocratie ou L'histoire du PS de la naissance à nos jours,
pp.103, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.
18 François Zuccarelli, La vie politique
sénégalaise (1940-1988), pp. 151, Paris, Publication du
Cheam, 1988.
19 Abdou Latif Coulibaly, "Retrait programmé",
Sud quotidien, 2 octobre 1996.
départ du pouvoir, prévu en novembre 1981, pour
l'avancer en décembre 1980.
Jean Collin décide alors de rendre officielle la
nouvelle, de manière à mettre Senghor devant le fait accompli. Il
prend contact avec le journaliste du Monde Pierre Biarnès, qui
publie l'information le 21 octobre 1980 sous le titre : "Le chasseur qui
guette ne tousse pas" 20 . Cette
révélation est confirmée le 2 décembre 1980 par un
second papier, "Le Président Senghor annonce qu'il quittera le
pouvoir à la fin de l'année". Ces deux articles prennent de
court Senghor. Il précipite son annonce et rend officiel son
départ le 4 décembre 1980 par le biais du journal gouvernemental
Le Soleil. Il n'oublie pas à cette occasion de critiquer la
déontologie journalistique de Pierre Biarnès : "un principe
de droit nous dit : "est coupable celui a qui cela
profite". Manifestement, les indiscrétions que
voila ont, d'abord, profité au journaliste du Monde et a son journal"
21.
C'est ainsi qu'en cette fin d'année 1980,
Léopold Sédar Senghor se présente de manière
solennelle devant le Président du Conseil constitutionnel, M.
Kéba Mbaye, et lui lit ce texte très laconique, où chaque
mot est doté d'un sens capital :
"Après y avoir mûrement
réfléchi, j'ai décidé de me démettre de mes
fonctions de Président de la République. La cour suprême
est la gardienne vigilante de notre Constitution. C'est pourquoi j'ai l'honneur
de remettre ma démission entre vos mains. Je vous prie d'en tirer les
conséquences et de recevoir le serment de M. Abdou Diouf, l'actuel
Premier ministre, qui me remplace" 22.
Le 31 décembre au soir, Léopold Sédar
Senghor s'adresse une dernière fois en tant que Président de la
République au peuple sénégalais, à travers une
allocution radiotélévisée. Plus chaleureux que dans son
message retranscrit ci-dessus, il explique tout d'abord les raisons de son
départ. Il met en avant la rudesse du travail de Président,
inadaptée pour un homme de 74 ans. Il se doit ainsi de passer la main
à son "dauphin constitutionnel" plus jeune, doté "d'un
caractère plus ferme qu'on ne le croit". Il défend ensuite
le bilan de ses vingt années de pouvoir. Il affirme que les revenus du
Sénégal ont triplé depuis 1960 et que le pays est devenu
l'Etat d'Afrique noire francophone le plus industrialisé. Une
fierté pour un progressiste tel que Senghor. D'un point de vue social,
le désormais ex-Président constate avec joie que sa nation se
situe en troisième position derrière la Côte d'Ivoire et le
Gabon pour ce qui est du Salaire Interprofessionnel Minimum Garanti (SMIG).
Enfin, il se félicite d'avoir favorisé une nette progression de
la scolarisation dans le pays, les enfants scolarisés étant
passés de 107 789 en 1960 à 400 000 en 1980. Le pays a donc pour
lui des perspectives d'avenir, et peut compter sur des ressources en voie
d'aménagement, telles que le pétrole off-shore dont
l'exploitation est prévue pour 1983.
20 "La bonne source" dont il est question dans l'article est
Jean Collin. Pierre Biarnès, "Le chasseur qui guette ne tousse pas",
Le Monde, 21 octobre 1980.
21 Pierre Biarnès répondra quelques semaines
plus tard aux "attaques" de Senghor. "Le Président Senghor nous a
reçus le 28 novembre dernier, à notre demande, comme il avait
coutume de le faire une ou deux fois par an depuis vingt ans. Comme à
l'ordinaire, nous avons rendu compte de cet entretien. Contrairement à
ce qu 'il laisse entendre aujourd'hui, pour des raisons qui lui appartiennent,
le chef de l'Etat ne nous avait pas prié de faire le silence sur les
intentions qu 'il nous a révélées. Au demeurant, nous
avions déjà présenté sa démission comme
très probable (le monde 21 octobre) sur la base d'informations qui
circulaient dès cette époque dans les milieux gouvernementaux. ".
Pierre Biarnès, "M.Senghor appelle ses compatriotes à
faire confiance au Président Abdou Diouf", Le Monde, 2 janvier
1981.
22 Pierre Biarnès, "M.Senghor appelle ses
compatriotes à faire confiance au Président Abdou Diouf", Le
Monde, 2 janvier 1981.
Senghor s'est voulu pour cette dernière intervention
télévisée optimiste, préférant mettre de
coté les difficultés économiques causées par la
crise arachidière et la hausse de la facture
pétrolière.
La nouvelle de la retraite politique de Senghor crée
une véritable onde de choc dans le monde. L'ensemble de la classe
politique internationale salue cette décision sage, pleine de
bonté de la part du "Président-poète", qui contraste avec
l'attitude "despotique" de la plupart de ses homologues africains. Toutefois,
ce départ est interprété par quelques observateurs comme
étant la conséquence des divers troubles qui ont secoué le
Sénégal depuis 1968. Il ne serait ainsi pas le fait voulu de
Senghor mais une obligation causée par la "pression sociale"
23.
S'il est fort probable que celle-ci joue un rôle dans
la décision de Senghor, ce retrait définitif repose plus sur des
motivations personnelles, mais également - voire surtout - sur la
volonté des collaborateurs d'Abdou Diouf de ne pas voir leur
protégé être limité dans ses initiatives par son
prédécesseur. En effet, si Senghor désire depuis longtemps
mettre fin à son mandat présidentiel, il est beaucoup moins
résolu à abandonner la tête du PS 24.
Il faut toute la force de persuasion de ses compagnons de la
première heure pour que Senghor laisse définitivement le champ
libre à son successeur 25.
Le Président-poéte est âgé en 1980
de 74 ans. Il vient de consacrer plus de trente années à la vie
politique. En quittant la tête de l'Etat, Léopold Sédar
Senghor aspire à voir d'autres choses, à mettre en avant ses
écrits et sa pensée, à acquérir un statut auquel il
accédera en 1983 : celui d'immortel 26 . Les qualités
intellectuelles indéniables du "chantre de la négritude" laissent
croire que sa démission est le fruit d'une réflexion profonde,
d'une véritable conception de la vie politique en Afrique. "Le chef"
abandonne son fauteuil présidentiel de son plein grès, sans
aucune volonté de le reprendre ultérieurement. De Verson, jamais
- ou presque - il ne commentera l'action gouvernementale
sénégalaise ou la présidence de son successeur Abdou
Diouf. Le "Père de la nation sénégalaise" s'éclipse
le 31 décembre 1980, pour ne plus jamais réapparaître.
23 Théorie de Christian Coulomb, défendue par
Mar Fall dans l'Etat d'Abdou Diouf ou le temps des incertitudes, pp
15, Point de vue l'Harmattan, 1986.
24 Cette impression est confirmée par un extrait de
l'article du Monde du 2 décembre 1980 : "le Président Senghor
nous a confirmé vendredi 28 novembre (1980) au cours d'un entretien, son
intention de renoncer prochainement à ses fonctions de Président
de la République du Sénégal, tout en continuant à
jouer pendant un temps, un rôle apparemment important au sein du PS".
Pierre Biarnès, "le Président Senghor annonce qu 'il
quittera le pouvoir à la fin de l'année", le Monde, 2
décembre 1980.
25 "Lorsque Senghor prit la décision de
démissionner, il voulut, à un moment continuer sinon à
avoir la main sur le parti, du moins à y conserver certaines positions.
Cela n 'était pas raisonnable mais Abdou était très mal
placé pour le dire à Senghor. Ce sont les "barons", y compris
Jean Collin, qui allèrent le voir et lui expliquèrent qu 'une
telle attitude serait source de conflits et de difficultés
ultérieures et qu 'il falla it soit rester, soit s 'en aller totalement
et donner ainsi à Abdou toutes ses chances. Senghor, devant cette
position unanime de ses premiers compagnons, finit par s'incliner et se
retirer". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.62, Paris,
Rocher, 2001. Foccart a sensiblement la même version : "(Senghor) Il
a eu la grande sagesse (...) d'écouter ceux qui l'ont dissuadé de
rester secrétaire général de son parti et ensuite, de
s'abstenir d'exprimer publiquement ses critiques à l'égard des
nouvelles orientations adoptées par son successeur". Jacques
Foccart, Foccart parle, entretiens avec Philippe Gaillard, tome 2,
pp.291, Paris, Fayard, 1997.
26 Nom accordé aux pensionnaires de l'Académie
française. Il prend le 16ème fauteuil en 1983, succédant
à Antoine de Lévis Mirepoix.
Chapitre 1 : L'état de grâce d'Abdou
Diouf (1981-1983)
1. La mise en place d'un gouvernement "d'attente"
:
Abdou Diouf, Premier ministre depuis dix années,
succède à Léopold Sédar Senghor le 1er janvier
1981. Cette date a pour avantage de permettre à Diouf de se faire
accepter par la population sénégalaise avant les élections
couplées de 1983. En présence du premier président de la
Cour constitutionnelle, M. Kéba Mbaye, qui l'invite à
"l'ouverture démocratique et (...) à la justice sociale ",
il affirme au cours de son discours d'investiture, "qu 'il sera
l'homme de la fidélité (à Senghor) mais qu'il sera aussi
l'artisan du changement". Le lendemain, il nomme un nouveau Premier
ministre.
Il choisit à la surprise générale Habib
Thiam, âgé de 47 ans, qui est certainement son plus grand ami
1 . Celui-ci n'est cependant pas un inconnu, puisqu'il est
considéré à l'époque comme l'un des principaux
doctrinaires du PS. Tout comme Diouf, il a été formé en
France, à l'Ecole nationale d'outre-mer, avant de rentrer au
Sénégal en 1960. Il est nommé alors directeur du cabinet
du ministre des Affaires Etrangères puis de la Justice. Un temps
à la tête du secrétariat d'Etat à la
présidence de la République, il est élu
député UPS/ PS à partir de 1973. En 1977, Thiam est choisi
pour devenir le président du groupe parlementaire socialiste à
l'Assemblée nationale.
Ce choix déplait fortement à Léopold
Sédar Senghor. En effet, Habib Thiam est tombé en disgrâce
en 1973 sur décision du Président-poète, qui lui reproche
à cette époque des manquements graves dans sa gestion du
département du développement rural 2 . Avant son
départ, seul Moustapha Niasse est recommandé par Senghor pour
accéder à la Primature. D'ailleurs, un accord tacite semble avoir
été conclu entre le Président-poète et son dauphin
constitutionnel pour que le ministre des Affaires Etrangères devienne le
chef du gouvernement après la passation de pouvoir 3.
La nomination de Thiam est donc le premier acte d'affranchissement
d'Abdou Diouf à l'égard de son prédécesseur.
Outre le fait d'avoir à ses cotés son plus
fidèle ami, Abdou Diouf renforce par ce choix la position
présidentielle. Moustapha Niasse, réputé frondeur et
"forte tête", est nettement moins malléable qu'Habib Thiam. Or, le
Président Diouf tient à avoir d'immenses prérogatives et
conduire les affaires du pays. C'est ainsi qu'il décide seul la
composition du nouveau gouvernement, sans consulter au préalable le
Premier ministre 4.
Abdou Diouf table sur la continuité et la prudence. Il
maintient une grande partie de son ancienne équipe. Il n'y a que sept
entrées pour seulement quatre sorties sur vingt membres. Parmi les
entrants, on compte Médoune Fall, Falilou Kane, Djibo Kâ et Oumar
Velé. On note aussi que quatre ministres sont nommés ministre
d'Etat. Parmi eux, on distingue deux fidèles de Senghor (Seck et Badara
Mbengue), un ancien soutien de Babacar Bâ (Adrien Senghor) et un homme
1 Pour Habib Thiam, la constitution de ce binôme à
la tête de l'Etat est la réalisation "d'un rêve
d'adolescent". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp. 16,
Paris, Rocher, 2001.
2 Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à
l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance
à nos jours, pp. 106, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.
3 Niasse est également persuadé de cette issue.
"Un jour, Moustapha Niasse, alors ministre des Affaires Etrangères,
sûr de sa nomination comme futur Premier ministre, m 'annonce que je
serai son rempla çant. Il l'avait même dit à l'Ambassadeur
de France". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.15,
Paris, Rocher, 2001
4 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.18,
Paris, Rocher, 2001.
désavoué par Abdou Diouf (Niasse). Ces titres
honorifiques ont donc pour but de faire taire les rancoeurs et les
critiques.
Voici ci-dessous la composition du premier gouvernement Thiam de
janvier 1981 5 : - Premier ministre : Habib Thiam
- Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Culturelles : Assane
Seck
- Ministre d'Etat, Ministre de la Justice : Alioune Badara
Mbengue - Ministre d'Etat, Ministre de l'Equipement : Adrien Senghor
- Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères :
Moustapha Niasse
- Ministre de l'Intérieur : Médoune Fall
- Ministre des Forces Armées : Daouda Sow
- Ministre de l'Economie et des Finances : Ousmane Seck
- Ministre de l'Enseignement Supérieur et Recherches
Scientifiques : Djibril Sené - Ministre de l'Urbanisme, Habitat et
Environnement : Oumar Wele
- Ministre de l'Education Nationale : Abdel Kader Fall
- Ministre déléguée auprès du Premier
ministre : Caroline Diop
- Ministre du Plan et de la Coopération : Louis
Alexandrenne
- Ministre du Développement Rural : Sérigne Lamine
Diop
- Ministre du Développement Industriel et Artisanat :
Cheikh Amidou Kane - Ministre du Commerce : Falilou Kane
- Ministre de l'Information et des
Télécommunications : Djibo Kâ
- Ministre de la Santé Publique : Mamadou Diop
- Ministre de l'Action Sociale : Babacar Diagne
- Ministre de la Fonction publique, de l'Emploi et du Travail :
Alioune Diagne
Quant à Jean Collin, on lui confie le poste
stratégique de secrétaire de la présidence de la
République. Il est désigné plus ou moins officiellement
numéro deux du gouvernement Thiam, et obtient lui aussi le titre de
ministre d'Etat. C'est à partir de 1981 que le cabinet du
Président devient le carrefour incontournable de la politique
sénégalaise. Jean Collin, l'homme de l'ombre, fait et
défait les carrières au sein du PS, en cultivant le
mystère autour de sa propre personne.
On sait juste qu'il est né le 19 septembre 1924
à Paris, et qu'il opte assez rapidement pour une carrière dans
l'administration coloniale. D'abord au Cameroun, puis au Sénégal.
En poste dans le pays lors de l'indépendance du 4 avril 1960, il est
l'un des rares blancs à opter pour la nationalité
sénégalaise. Sa formation française, sa rigueur et son
sens de la discrétion en font très vite un homme indispensable
pour Senghor. Ses origines et sa couleur de peau, l'écartant de
facto d'un destin présidentiel, renforcent son image d'allié
sûr et incorruptible. Ministre des Finances de 1964 à 1971, il
passe ensuite dix années au ministère de l'Intérieur. Il
se construit au cours de ses longues magistratures une importante
clientèle et un très efficace réseau de renseignement,
qu'il bonifie avec sa montée progressive dans l'organigramme PS, au
même rythme qu'Abdou Diouf. Cette nomination apparaît donc comme
une récompense, au vu du rôle joué par Jean Collin dans le
départ "précipité" de Senghor 6.
5 Pierre Biarnès, "La plupart des ministres
reconduits ", Le Monde, 4 j anvier 1981 et "Abdou Diouf va jouer
l'ouverture", Jeune Afrique, n° 1045, 14 janvier 1981.
6 Cette nomination confirme qu'Habib Thiam n'a pas
été consulté pour la composition de "son" gouvernement. En
effet, Collin et Thiam se détestent ouvertement depuis le début
des années 1970, époque durant laquelle Collin était aux
Finances et Thiam au ministère du Plan. Habib Thiam, Par devoir et
amitié, pp.45, Paris, Rocher, 2001.
En outre, le nouveau Président de la République
a besoin d'avoir à ses cotés son "éminence grise" et des
hommes fidèles, appartenant comme lui à la première
génération des technocrates de 1970 - tels que Thiam, Niasse ou
Djibo Kâ - pour mettre en place une véritable "politique du
changement" de manière à ne plus être
considéré comme le simple "successeur de Senghor". Abdou Diouf
n'a en effet aucune légitimité électorale et il lui est
bien difficile de justifier auprès de l'opposition la non-tenue
d'élections anticipées. Cependant, alors que des voix
s'élèvent pour condamner ce "coup d'Etat constitutionnel", Diouf
ne se démonte pas et adopte la même attitude politique que son
prédécesseur. Dès le 14 janvier 1981, soit à peine
deux semaines après son arrivée au palais présidentiel, il
cumule le rôle de chef d'Etat et de parti en se faisant nommer
secrétaire général du PS 7. Il
perpétue la tradition sénégalaise - qui est aussi celle de
l'Afrique politique dans sa grande majorité - de "l'Etat-parti". Le
même jour, on accorde à Léopold Sédar Senghor un
poste sans aucune valeur décisionnelle : il devient Président
d'honneur du PS.
Nonobstant sa position dominante, "le dauphin
constitutionnel" cherche à légitimer sa présence à
la tête de l'Etat. Aussi bien vis-à-vis des opposants,
désireux de voir l'avènement d'un véritable pluralisme
politique, que des historiques socialistes, qui ont accompagné Senghor
depuis la création du BDS en 1948. En effet, "les barons" ont
été quelque peu irrités par le choix de l'ancien
Président, qui a privilégié les compétences
technocratiques de "la génération de 1970" à la
filière partisane traditionnelle. Abdou Diouf n'a donc pas l'appui
unanime du PS et doit se former une clientèle stable et solide pour
sortir de son isolement. Il la bâtit grâce à un jeu de
séduction politique, reposant sur des décisions novatrices, qui
tranchent avec celles de son prédécesseur.
2. Abdou Diouf et la "réconciliation
politique nationale" :
2.1 Le désamorcement de la crise étudiante
:
Comme on l'a vu précédemment, la fin de la
présidence de Senghor est marquée par l'avènement du
SUDES, syndicat indépendant d'enseignants crée en 1976, qui
réclame principalement une amélioration des salaires et des
conditions d'étude. Devant le manque d'ouverture du gouvernement, le
syndicat déclenche une première grève, dite
d'avertissement, le 13 mai 1980, suivie à hauteur de 70 % par le
personnel enseignant. Le mouvement perdure et se durcit. Il prône un
boycott total des notes et l'annulation de l'année scolaire. Le pouvoir
en place réagit et prend des sanctions à l'encontre des
grévistes, renvoyant notamment 29 syndicalistes.
Mais la crise continue, le SUDES se présentant comme
le principal opposant au régime senghoriste. Il mène deux
journées d'action, le 25 octobre 1980 et le 21 décembre, qui
obtiennent des succès assez conséquents au niveau de la
participation. Ces réussites révèlent la place qu'ont pris
les groupes à doctrine marxiste au sein de l'opposition. En effet, les
milieux universitaires, et plus généralement intellectuels, sont
réputés pour être des foyers de l'extrême gauche. Il
n'est donc pas étonnant de constater que les deux premiers dirigeants du
SUDES sont affiliés à des partis marxistes, non reconnus par le
pouvoir senghorien. Magatte Thiam, secrétaire général du
SUDES jusqu'en 1979, est membre du PAI-Sénégal. Son successeur,
Mamadou Ndoye, fait parti de la Ligue Démocratique. L'affiliation d'un
syndicat à un courant politique n'est cependant pas
7 "Senghor président d'honneur, Diouf
secrétaire général", Le Soleil, 16 janvier 1981.
une spécialité communiste. La CNTS,
malgré son détachement officiel du PS après 1976, reste
ostensiblement pro-socialiste tandis que l'Union des Travailleurs Libres du
Sénégal (UTLS) de Mamadou Puritain Fall, reconnue le 5 janvier
1977, parait avoir des liens plus ou moins privilégiés, suivant
les périodes, avec le PDS d'Abdoulaye Wade.
Dans son souci de fédérer autour de sa personne
un maximum de Sénégalais, Abdou Diouf affirme rapidement sa
volonté de résoudre la crise universitaire. Dans son premier
message à la nation du 1 er janvier 1981, il signale que "le secteur
de l'éducation est une priorité pour le gouvernement du
Sénégal ". Il expose ensuite ses intentions à
très court terme :
"Des correctifs immédiats vont être
apportés en ce qui concerne les jeunes universitaires
diplômés qui ne trouvent pas de travail (...) Le temps est venu de
faire un bilan exhaustif de la loi d'orientation en matière
d'éducation (...) le gouvernement provoquera, rapidement, sous
l'égide du ministre de l'Education Nationale, une large concertation sur
ces problèmes essentiels. Participeront à ces Etats
généraux de l'éducation les ministres et administrations
concernés, les syndicats d'enseignements, les associations de parents
d'élèves, le secteur privé (...) ils auront pour seul
souci le bien public, le progrès de l'école
sénégalaise, le développement de la nation".
Le terme d'Etats généraux est symbolique. Il
ouvre le chemin du dialogue. La rhétorique présidentielle est
séduisante, et plait au principal intéressé par cette
annonce, le SUDES. Le syndicat approuve et la réunion est
organisée dans un laps de temps record, puisque "les états
Généraux de l'Éducation et de la Formation" se
déroulent du 28 janvier au 1er février 1981. Comme promis par
Abdou Diouf, ce sommet historique rassemble l'ensemble des personnes et
organisations intéressées par le processus éducatif. On
constate la présence d'enseignants, chercheurs, membres du gouvernement,
syndicats, parents d'élèves, religieux et étudiants.
Chargés de définir les lacunes du
système éducatif sénégalais, les Etats
généraux évoquent les moyens de créer "une
école nouvelle, démocratique et populaire", adaptée aux
réalités sénégalaises, quelles soient sociales ou
économiques. La volonté de promouvoir l'utilisation des langues
nationales, telles que le wolof, parlé par plus de 70 % de la
population, est au centre de tous les débats. La "décolonisation
de l'université et de la recherche" est aussi souhaitée.
L'omniprésence de "l'assistance technique française" est de ce
fait clairement condamnée. L'objectif avoué de cette
"sénégalisation" de l'enseignement est d'offrir des postes
à de nombreux diplômés sans travail. Les Etats
généraux portent ainsi un message d'espoir à une jeunesse
sénégalaise frappée de plein fouet par la crise
économique de la fin des années 1970.
Les différents membres présents sont satisfaits
des conclusions tirées de cette réunion, qui doit aboutir
à la création d'une "école nouvelle". Le SUDES affiche son
optimisme quant à la volonté de la Commission Nationale de
Réforme (CNREF) de modifier en profondeur l'enseignement
sénégalais, pendant que le gouvernement se félicite
d'avoir débloquer une situation tendue. Abdou Diouf arrive donc, en
l'espace d'un mois, à amadouer des mouvements situés "à
l'extrême gauche", généralement hostiles au pouvoir
socialiste. Il prouve qu'il est capable d'entamer un dialogue constructif avec
des opposants, en respectant les règles du jeu démocratique.
L'avènement du multipartisme intégral s'inscrit dans cette
logique. C'est Habib Thiam qui l'annonce le 30 janvier 1981, le jour de sa
déclaration de politique générale.
2.2 L'avènement du multipartisme intégral
:
La limitation des partis était l'une des principales
critiques adressées par l'opposition à Léopold
Sédar Senghor. Dans un souci de démocratisation totale, son
successeur en prend acte et l'abroge. Cette réforme fait
également sortir de l'ombre les multiples partis clandestins,
relativement actifs dans la région de Dakar, qui se sont
appropriés les non-votes et les abstentions lors de l'élection de
1978. Il s'agit pour Diouf de "démystifier" leur importance 8
. La réforme constitutionnelle est expéditive, étant
décidée le 24 avril 1981. Voici ce que stipule la modification de
l'article 3 :
"Les partis politiques concourent à l'expression
du suffrage. Ils sont tenus de respecter la Constitution ainsi que les
principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Il
leur est interdit de s 'identifier à une race, à une ethnie,
à un sexe, à une religion, à une secte, à une
langue, à une région"
Pour les contemporains, cette ouverture politique doit
bénéficier en priorité au RND de l'égyptologue
Cheikh Anta Diop. Ce parti, qualifié de masse et nationaliste, peut
gêner dans un proche avenir l'hégémonie socialiste en
récupérant une partie de son électorat, notamment dans les
milieux urbains. Cette officialisation fait également de l'ombre au PDS,
qui craint de devoir céder sa place d'opposant numéro un. Outre
le RND, on note l'arrivée sur les devants de la scène politique
d'une nébuleuse marxiste. Cette dernière est composée de
nombreux petits partis qui tentaient de déstabiliser autrefois le
pouvoir en infiltrant les syndicats d'opposition.
La balkanisation de l'extrême gauche n'est pas due
à des luttes idéologiques entre les diverses organisations -
même si certaines se réclament du trotskisme, d'autres du
maoïsme, de Moscou ou Tirana - mais à des luttes de personnes,
chacun fondant son parti pour en obtenir la préséance. On pense
ici au PAI, qui implose en 1976 lorsque Majhmout Diop, opposant historique
à Senghor, revient de son exil. Seydou Cissokho, vexé d'avoir
été débarqué de sa présidence, le scinde en
fondant le PAI-Sénégal. Cet exemple parmi tant d'autres est
symbolique du "mal communiste", rongé par les querelles partisanes. Ce
manque de cohésion nuit dès 1981 à la percée d'un
front marxiste dans le débat politique sénégalais, en
dépit de l'effort de rassemblement effectué par Mamadou Dia, via
la Coordination de l'Opposition Sénégalaise Unie (COSU). On
reviendra sur ce fait ultérieurement dans ce chapitre.
Les formations politiques qui émergent de cette
ouverture démocratique ont donc des sensibilités diverses et
variées. On les classe en suivant le triptyque français "gauche",
"centre" et "droite". Ce choix, héritage de la période
senghorienne, ne gêne pas outre mesure les hommes politiques
sénégalais, la majeure partie d'entre eux ayant été
formés... en France. Il n'en va pas de même pour
l'électorat de base, puisqu'il est bien évident que ces
dénominations n'ont aucune pertinence vis-à-vis du quotidien
sénégalais. On juge que cette répartition
idéologique n'est finalement qu"un "emblème administratif pour
obtenir un récépissé". Par exemple, on voit depuis 1976
une très grande similitude entre les programmes PS et PDS. Ils se
réclament pourtant de deux courants antagonistes : le socialisme
progressiste et le libéralisme.
8 "Politiquement, c'était contre productif, car
chaque fois qu'il y avait une élection, et qu'il y avait par exemple 50%
de votants, ce qui n 'est pas étonnant dans un pays
sous-développé, ceux qui n 'étaient pas là disait :
"Vous voyez, ils sont minoritaires. Les 50% restants, c 'est nous ". Alors, on
a aussi voulu démystifier. C'est pourquoi j'ai pris cette
décision là. Mais le Président Senghor, à ce moment
là, n 'était pas content de cette décision que j'ai
prise". Abdou Diouf : entreti ens avec Philippe Sainteny, Emission livre
d'or, RFI, 2005.
On estime ainsi qu'être de "droite", du "centre" ou de
"gauche" au Sénégal n'a de vertu qu'au moment où un
candidat cherche à obtenir des soutiens ou à former des
alliances. L'idéologie française n'est qu'un "critère
d'efficacité clientéliste et de performance électorale ".
Cette impression est confirmée par l'attitude des militants de
base. Bien souvent, ils adhèrent à un parti non pas pour les
thèmes qui y sont développés mais pour le charisme du
secrétaire général. L'aspect idéologique n'a qu'une
part mineure dans le succès d'un parti. Par conséquent, on
répartit généralement les formations
sénégalaises selon leur volonté ou non de coopérer
avec les instances dirigeantes socialistes. En choisissant cette
délimitation, on dispose d'une lisibilité meilleure et plus
réaliste des affinités politiques au Sénégal.
Qu'elles soient de "gauche", "centre" ou "droite", les
formations partisanes sont au nombre de quatorze à la veille des
élections de 1983. Voici la liste exhaustive des nouvelles organisations
qui apparaissent après l'abolition du quadripartisme.
- Le RND obtient son récépissé de la
part du ministre de l'Intérieur le 18 juin 1981. Les deux hommes forts
du parti sont Cheikh Anta Diop et Babacar Niang. Ils militent pour une
"sénégalisation" accrue du pays, avec le développement de
l'utilisation des langues nationales dans les débats publics.
- Le Mouvement Démocratique Populaire (MDP) de Mamadou
Dia voit le jour le 6 juillet. Il se réclame d'un socialisme
autogestionnaire et rallie des compagnons politiques de l'ancien
Président du Conseil, comme Valdiodio Ndiaye, autrefois ministre de
l'Intérieur.
- And Jëf / Mouvement Révolutionnaire pour la
Démocratie de Landing Savané - qui s'est fait remarquer au
début des années 1980 en infiltrant une partie de l'UTLS - est
reconnu aussi le 6 juillet. Il dispose d'un journal officiel, Jaay
Doolé Bi, et revendique un attachement au communisme chinois.
- La Ligue Démocratique de Babacar Sané est
officialisée le 9 juillet.
- Le Parti de l'Indépendance et du Travail - ancien
PAI-Sénégal - de Seydou Cissokho (9 juillet), est à
consonance marxiste-léniniste. Proche du PC de Moscou et Paris, le parti
compte de nombreux sympathisants syndicalistes, tels que Marguette Thiam et
Samba Diouldé Thiam, connus pour avoir dirigé, avec Mamadou Dia,
le journal d'opposition Ande Sopi (Union pour la lutte en wolof).
- L'Union pour la Démocratie Populaire d'Hamdine Racine
Guissé (20 juillet) est issue d'une filiale d'And Jëf. Elle s'en
démarque en accordant sa préférence pour
l'idéologie marxiste albanaise.
- Le Parti Populaire Sénégalais d'Ousmane Wone
(12 octobre)
- L'Organisation Socialiste des Travailleurs (4 février
1982)
- La Ligue Communiste des Travailleurs (8 juillet 1982)
- Le Parti Africain de l'Indépendance des Masses (30
juillet 1982)
En plus de favoriser cette ouverture démocratique,
Abdou Diouf joue la carte de la transparence. Il fait voter la loi sur
l'enrichissement personnel au cours du mois de juillet 1981. Elle vise
principalement non pas les membres de l'opposition, mais bel et bien ceux de la
majorité gouvernementale.
2.3 La loi sur l'enrichissement personnel :
Le Sénégal est à l'arrivée de
Diouf un Etat paralysé économiquement par la corruption et les
pots de vin. Comme le démontre J.P Oliver de Sardan, dans son
étude sur "l'économie morale de la corruption en Afrique ",
ces procédés ont pour caractéristique - que ce soit
au Sénégal ou dans la très grande majorité des pays
d'Afrique noire francophone - d'être communément employés
dans les rapports commerciaux, l'administration ou les milieux politiques. Ce
"sport africain" met à mal par sa pratique tout investissement public,
augmente les coûts du moindre projet, favorise l'inflation à
l'intérieur du pays et contribue à la dette extérieure du
Sénégal.
Pour relancer la machine sénégalaise, Diouf
estime que les mentalités doivent changer. Il veut "moraliser" la vie
politique et économique de la nation, pour soulager les finances de
l'Etat et satisfaire les bailleurs de fonds. Le PS a pour impératif, en
tant que parti au pouvoir depuis presque trente ans, de montrer l'exemple.
La loi contre l'enrichissement personnel souhaite lutter
contre toutes les formes de "gaspillages du patrimoine national".
L'enrichissement illicite devient un délit, notifié par
l'article 163 bis du Code pénal. Dorénavant, un homme
accusé de fraude est dans l'obligation de justifier l'origine de la
totalité de ses revenus, sous peine de poursuite. La délation est
même encouragée pour débusquer les malfaiteurs :
"Toutes les personnes qui révèlent des faits de corruption
sont exemptées de toute poursuite" 9.
Pour mener à bien la volonté d'Abdou Diouf, on
donne un rôle accru aux agents de l'Etat, chargés de rechercher et
de constater les délits. Ils sont aidés dans leur mission par une
cour de répression de l'enrichissement illicite - composée d'un
Président et de quatre assesseurs - spécialement crée pour
l'occasion. Mais leur travail s'avère rapidement bien difficile, les
faits rétrospectifs à la loi étant "amnistiés".
Néanmoins, la nouvelle législation recherche,
en traquant les corrupteurs ou les corrompus, "à éviter la
paralysie du développement qui sape l'économie du pays"
10 . Abdou Diouf espère de cette façon
déstabiliser - et même annihiler - les réseaux
clientélistes des "barons" du PS, ces derniers étant trop
indépendants à son goût. En contrôlant les flux
économiques de ces personnes, il veut réduire leur puissance de
contestation et s'affirmer comme le dirigeant incontesté du parti. C'est
pourquoi le secrétaire général socialiste prend un ton
menaçant dans son discours prononcé le 26 juillet 1981, lors du
conseil national du PS : "je veillerai personnellement à ce que la
loi soit appliquée sans faiblesse, quelles que soient les personnes
mises en cause".
En théorie, cette loi marque la fin de la corruption
politique généralisée au Sénégal. En
théorie seulement, puisque la loi est très peu appliquée
11. Le Sénégal n'a pas les moyens - ni une
volonté réelle - de s'attaquer à cette pratique largement
répandue, qui touche l'ensemble de la société
sénégalaise. La gangrène étant
générale, l'effet de cette loi ne peut avoir que des
résultats limités, voire insignifiants 12.
Finalement, toute la propagande faite autour de cette moralisation de la
vie économique et partisane n'a pour seul but que de rappeler à
l'ordre certains cadres politiques, sans pour autant avoir une quelconque
intention de les soumettre à la justice. Cette mesure participe
toutefois au prestige du nouveau Président. Il donne à l'ensemble
du pays l'image d'un politique droit et honnête. Il profite aussi, comme
on l'a dit antérieurement, de la division de la contestation politique
provoquée par l'avènement du multipartisme intégral le 24
avril 1981. Abdou Diouf jouit par conséquent d'un "état de
grâce". Il le bonifie à l'aide de prestations internationales
9 "L'enrichissement illicite. L'esprit de la loi", Le Soleil,
1er juillet 1981.
10 "La loi sera appliquée sans faiblesse", Le
Soleil, 27 juillet 1981.
11 Cette loi ne condamnera que ... trois personnes, toutes au
début de la présidence dioufiste. Pour certains, cette loi n'a
été qu'un prétexte pour intimider les adversaires d'Abdou
Diouf, notamment les sympathisants de Babacar Bâ. Abdou Latif Coulibaly
note que l'inculpation la plus lourde a été portée contre
Bécaye Sène, ancien directeur de la Banque de l'habitat du
Sénégal, considéré comme un proche de Bâ.
Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à l'épreuve
de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance à nos jours,
Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.
12 "Je voulais moraliser et je voulais plus de justice,
plus de solidarité, plus d'équité. Il y avait des choses
qui me choquaient, auxquelles je voulais mettre fin (...) j'ai crée le
tribunal d'enrichissement illicite. Ca a été un échec, je
le dis tout de suite. Je n 'ai pas été suivi ". Abdou Diouf :
entretiens avec Philippe Sainteny, Emission livre d'or, RFI, 2005.
choisies et convaincantes.
3. Abdou Diouf et la politique internationale :
3.1 L'homme de Taïf :
Abdou Diouf est convié dans les premières
semaines de sa présidence au troisième sommet islamique de
Taïf. Cette institution, crée en 1972, marque la solidarité
et la coopération entre les Etats musulmans dans les domaines
économique, social et culturel. Le Sénégal, composé
à 90% de musulmans, est le pays d'Afrique noire le plus islamisé.
Il mérite par conséquent une place de choix dans cet
événement malgré le fait que l'Etat soit laïc et que
son premier Président était... chrétien.
En tant que musulman convaincu, Diouf arrive aisément
à se faire accepter par ses "frères". La dévotion du
Président offre une nouvelle image de l'islam au Sénégal,
à la fois sincère - Abdou Diouf se rend
régulièrement à la mosquée, le plus souvent
accompagné de son Premier ministre et... de quelques photographes - et
tolérant , Abdou Diouf étant, comme Abdoulaye Wade ou Habib
Thiam, lié maritalement à une catholique.
Il reçoit donc un accueil chaleureux en terre
saoudienne. Malgré la présence du Roi du Maroc Hassan II ou du
Président l'Autorité nationale palestinienne Yasser Arafat, le
Président sénégalais a l' honneur suprême de
répondre, au nom de l'ensemble de la communauté islamique, au
discours du Roi d'Arabie Saoudite Khaled. Cette attention laisse à
penser que le Sénégal est définitivement rentré
dans le cercle des grandes nations du monde musulman. Aussitôt
surnommé "l'homme de Taïf" par la propagande étatique, Abdou
Diouf est pour Le Soleil la grande vedette de ce troisième
sommet islamique 13.
Ce succès, que l'on qualifie de diplomatique, lui est
bénéfique à deux niveaux. Sur le plan international, il
offre à Abdou Diouf la possibilité de se rapprocher des riches et
puissants pays du Moyen-Orient. Les alliés historiques du
Sénégal - qu'ils soient saoudiens, koweïtiens ou irakiens -
sont contactés pour aider économiquement le pays. Dès le
lendemain du sommet, ils offrent plus de 200 milliards de FCFA, qui vont
principalement à l'Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve
Sénégal (OMVS). Sur le plan intérieur, Diouf montre
à la communauté musulmane, et plus particulièrement aux
membres des confréries mouride et tidjane, que l'Etat ne renie plus le
fait que "l'islam soit la religion de la majorité des
Sénégalais". Il espère séduire un électorat
musulman tenté parfois de se détourner de la vie politique au
profit d'une vie associative sous le contrôle des religieux. Son
intérêt est bien évidemment d'éviter la formation
d'un parti à caractère religieux, tel qu'a pu l'être
l'éphémère Hizboulahi (Parti de Dieu) d'El Hadj
Ahmed Khalifa Niasse.
A travers Taïf, Abdou Diouf apparaît comme un
être pieu, désireux de s'afficher en compagnie des "têtes
d'affiche" du monde musulman. L'image de "l'homme de Taïf" fait partie
intégrante de la propagande qui fait le succès du
Président de la République entre 1981 et 1983. Un autre
évènement international assoit l'autorité de Diouf : le
coup d'Etat manqué en Gambie dans la nuit du 29 au 30 juillet 1981. Il
favorise la formation de la Confédération de
Sénégambie.
13 "Succès personnel pour Abdou Diouf", Le
Soleil, 30 janvier 1981.
3.2 La formation de la Confédération de
Sénégambie :
La Gambie est une enclave au sein du Sénégal,
exceptée sur sa façade atlantique, large d'une cinquantaine de
kilomètres. Ancienne colonie britannique jusqu'en 1965, elle est
peuplée en 1981 d'environ 600 000 habitants. Sa population est semblable
à celle du Sénégal, puisque outre les mandingues, on
compte de nombreux wolof. Sur le plan économique, les similitudes sont
aussi frappantes, les Gambiens vivant eux-aussi quasi exclusivement de
l'arachide. Les rapports entre les deux pays sont donc forcément
très étroits.
Après une première intervention militaire en
novembre 1980, le Sénégal franchit de nouveau la frontière
le 30 juillet 1981 pour remettre au pouvoir le Président Dawda Jawara,
présent à la tête de l'Etat depuis 1974. Kukoï Samba
Sanyang, diola de 28 ans, formé de longues années en URSS, a
renversé le Président gambien alors que celui-ci était en
visite officielle en Angleterre à l'occasion... du mariage de Charles et
Diana. Aidé par la seule force militaire du pays, les Fields Forces,
le chef des putschistes crée dans la foulée un Conseil
suprême de la révolution pour instaurer en Gambie un socialisme
révolutionnaire.
Respectant l'accord bilatéral de
sécurité et de défense signé le 18 février
1965 à Banjul, et sur demande du Président Jawara, Abdou Diouf
ordonne à son armée d'entrer à Banjul. Dans cette
opération, le Sénégal perd 24 hommes et compte une
quarantaine de blessés. Après avoir pacifié le pays, les
militaires sénégalais retrouvent des armes et des
véhicules importés du bloc soviétique. La filiation entre
les putschistes et Moscou apparaît de ce fait possible 14 .
Ceci explique la vive réaction de l'opposition marxiste
sénégalaise, qui condamne unanimement l'ingérence du
Sénégal chez son voisin. Abdou Diouf, dans une allocution
radiotélévisée adressée à la nation le 2
août 1981, déclare ne pas prendre en compte les remarques
"d'une certaine opposition" et affirme que "l'action militaire
était légitime et nécessaire " , la menace marxiste
et le respect des engagements pris auprès de Jawara étant pour
lui des motifs suffisants pour s'immiscer dans les affaires gambiennes
15.
Un rapprochement entre les deux nations s'opère alors.
On remarque que c'est Jawara qui prend l'initiative d'entamer les
négociations avec Abdou Diouf, voulant garantir le maintien de
l'armée sénégalaise dans son pays. Après avoir
annoncé le 10 août 1981 une intégration des services de
sécurité des deux pays, il demande solennellement le 20
août 1981 la formation d'une Confédération. Si le PDS ne
l'approuve qu'à demi mot, le RND, par la voix de Cheikh Anta Diop, se
félicite de ce dénouement : "nous pensons également
que l'avenir bien compris de la Gambie réside dans une
fédération avec le Sénégal"
16. Quant à la France, par
l'intermédiaire de Pierre Bérégovoy, secrétaire
général de l'Elysée, elle déclare "qu 'entre la
France attachée au progrès et à la démocratie et le
Sénégal qui construit une société moderne, il ne
peut y avoir l'ombre d'un nuage" 17 . Paris approuve ainsi
l'entreprise commune de Diouf et Jawara, tout comme Londres.
Dès le 14 novembre 1981, un accord est trouvé. La
Confédération comprend une union militaire,
14 La plus grande crainte du Sénégal est que
l'armée cubaine, stationnée en Guinée-Bissau, s'immisce
très rapidement dans les affaires du nouveau pouvoir gambien. Habib
Thiam, Par devoir et amitié, pp.73, Paris, Rocher, 2001.
15 "Abdou Diouf : Notre action est légitime, elle
était nécessaire", Le soleil, 4 août 1981 et "Que
font les Sénégalais en Gambie ?", Jeune Afrique, n°
1076, 19 août 1981.
16 "Conférence de presse de Cheikh Anta Diop", Le
Soleil, 12 août 1981.
17 "La Confédération de
Sénégambie est entrée en vigueur le 1er février",
Le Monde, 2 février.
économique et monétaire. Les relations
extérieures et la communication sont également jumelées.
La Sénégambie souhaite s'inspirer de la réussite
tanzanienne - qui a vu la fusion rapide du Tanganyika et de l'archipel de
Zanzibar - et au contraire éviter l'échec que connu Senghor avec
la Fédération du Mali. De nombreux projets sont envisagés,
mais les deux protagonistes choisissent d'opérer de façon
graduelle, de manière à ne pas heurter les "sensibilités
nationalistes" des deux populations. En décidant de mettre fin à
une absurdité géographique causée par les
intérêts coloniaux, Diouf et Jawara veulent "oeuvrer à
l'unité africaine" et espèrent être imités par
d'autres Etats africains dans un futur proche. Le traité
définitif est signé à Dakar le 17 décembre 1981,
avant d'être ratifié par les deux parlements le 29 décembre
de la même année. Après une première
expérience "sénégambienne" de 1763 à 1783, la
Sénégambie redevient une réalité.
Le Sénégal, pays beaucoup plus riche et
peuplé que la Gambie (6 millions d'habitants contre 600 000), a une
certaine prééminence dans la Confédération mise en
place. Le Président de l'organisation est Abdou Diouf, tandis que Jawara
est nommé Vice-Président. De surcroît, l'Assemblée
confédérale comprend deux tiers de députés
sénégalais, choisis parmi les membres de l'hémicycle de
Dakar. Il est prévu qu'elle soit rassemblée tous les deux ans ou
sur demande du Président sénégalais ou gambien. Le premier
cabinet confédéral, formé le 4 novembre 1982, est
constitué quant à lui de cinq sénégalais et quatre
gambiens. Les postes clés sont cependant équitablement
répartis, comme on peut le constater ci-dessous 18 :
- Président de la Confédération : Abdou
Diouf (Sénégal)
- Vice-Président de la Confédération :
Dawda Jawara (Gambie)
- Ministre confédéral des Relations
extérieures : Moustapha Niasse (Sénégal)
- Ministre confédéral délégué
auprès du Ministre confédéral des Relations
extérieures : Lamin Kiti Jabang (Gambie)
- Ministre confédéral de la Défense :
Daouda Sow (Sénégal) - Ministre confédéral de la
Sécurité : Medoune Fall (Sénégal)
- Ministre confédéral délégué
auprès du Ministre confédéral de la Sécurité
: Alieu E.W. Badji (Gambie)
- Ministre confédéral des Finances : Sherif Saikula
Sisay (Gambie)
- Ministre confédéral des Affaires
étrangères : Momodou S.K. Manney (Gambie)
- Ministre confédéral des Transports : Assane Seck
(Sénégal)
- Ministre confédéral de l'Information et des
Télécommunications : Djibo Kâ (Sénégal)
A cette liste, on rajoute le rôle important de Pierre
Diouf. Il cumule les fonctions de secrétaire exécutif du
comité sénégalo-gambien et secrétaire
général de la Confédération
sénégambienne. Il est considéré comme l'homme fort
de la coordination entre les deux pays.
La formation de cette institution - oeuvre de paix -
contribue grandement à la renommée de Diouf, aussi bien en
Afrique qu'en Occident. Concernant Jawara, elle lui permet - par la
présence de troupes sénégalaises sur le sol gambien -
d'assurer la pérennité de son pouvoir. Les deux pays doivent
également tirer des bénéfices économiques, puisque
divers accords sont trouvés pour mettre en valeur les fleuves
Sénégal et Gambie. Abdou Diouf est au summum de sa
popularité. Il a offert à son peuple l'image d'un chef des
armées efficace et d'un Président responsable. Toutefois, les
problèmes en Basse-Casamance, qui émergent à partir de
1982, viennent ternir ce tableau idyllique.
18 "Sénégambie : Neuf ministres dans le
cabinet confédéral", Le Soleil, 5 novembre 1982.
4. La Basse-Casamance en ébullition :
Le 26 décembre 1982 à Ziguinchor, capitale de
la Casamance, une manifestation séparatiste menée par
l'abbé Augustin Diamacoune Senghor est "écrasée" par les
autorités sénégalaises. Le meneur et des journalistes de
la revue Kemilak (l'heure est grave), sont arrêtés. Ils
ont essayé de remplacer le drapeau sénégalais par un
étendard casamançais. Cette initiative est
considérée comme inacceptable par l'Etat, qui tente depuis
l'indépendance de maintenir l'unité de la Nation et de nier
toutes les exceptions culturelles régionales ou ethniques. Pour endiguer
l'agitation dans la région, le dispositif militaire aux alentours de
Ziguinchor est immédiatement renforcé tandis que l'abbé
Senghor et une cinquantaine de sympathisants du Mouvement des Forces
Démocratiques de Casamance (MFDC) sont présentés devant la
Cour de sûreté de l'Etat.
En réaction, le PS organise le 29 décembre 1982
à Ziguinchor une contre-manifestation pour montrer l'attachement des
habitants de la région à l'unité
sénégalaise. On observe à travers cet
événement une certaine "union sacrée", le PDS se
déclarant solidaire de l'action socialiste et participant même au
défilé. Quant à Abdou Diouf, il réitère au
cours de son message de fin d'année sa volonté "de maintenir
l'unité du pays" 19.
Pourquoi une telle révolte dans un pays
réputé depuis son indépendance sage et unifié ? La
Casamance n'a été rattachée à l'espace
sénégalais que le 12 mai 1866, suite à un échange
territorial entre le Portugal et la France. Outre l'aspect colonial, la
Basse-Casamance se différencie du reste du territoire par sa population
(on compte des diolas, baïnocks, mandingues, mancagnes etc..) et sa
religion (animiste ou chrétien). Elle est constituée d'immenses
forêts et de rivières, rendant son climat presque similaire
à celui de la Guinée-Bissau. Enfin, son particularisme est
accentué par sa géographie. Effectivement, la Basse-Casamance
n'est que très peu reliée au reste du Sénégal,
étant prise en étau entre l'enclave gambienne anglophone et la
Guinée-Bissau lusitanophone.
Regroupant des communautés solidaires, vivant en
autarcie grâce à la culture intensive du riz, la Basse-Casamance
subit après la seconde guerre mondiale les "contrecoups" de la
poussée démographique du nord et du centre. Des "pauvres"
sérères, toucouleurs et wolofs s'installent dans la région
dans le but d'y cultiver l'arachide, plus rentable que le riz. Il y a alors une
déforestation intensive, qui nuit peu à peu aux cultures
traditionnelles des casamançais de souche. Ils se sentent de ce fait
"coloniser". Le pouvoir PS, qui ne dispose d'aucun dirigeant originaire de la
contrée, n'a pas d'intermédiaire capable d'infléchir sur
ce malaise. Ce désarroi socialiste, on le remarque dans les propos tenus
par l'un des cadres du parti , Boubacar Obèye Diop.
"Il ne faut pas se dissimuler. La réalité de
la spécificité casamançaise est une donnée
permanente de notre histoire politique. Il faudra être très
attentif aux perturbations psychologiques que peuvent véhiculer dans
notre belle et prometteuse région du sud des sentiments de frustration,
de peur ou de doute, exploitables à des fins malsaines"
20.
Ce sentiment de "colonisation" est
récupéré par des intellectuels. Ces derniers, qui
n'hésitent pas à prôner l'indépendance, viennent des
hautes sphères de la population. Il n'est donc pas étonnant que
ce soit un ecclésiastique qui prenne la tête de la
rébellion, en l'occurrence l'abbé Diamacoune
19 Pierre Biarnès, "Dakar reste confronté
à l'irrédentisme casamançais",Le Monde, 4 janvier
1983.
20 Le Soleil, 31 décembre 1982.
Senghor. Si la légitimité de la présence
sénégalaise, et par conséquent l'autorité d'Abdou
Diouf, est remise en cause en Casamance à partir de 1982, ceci
n'altère en rien les chances de victoire des socialistes pour les
élections de 1983.
5. Les élections de 1983 :
5.1 Des élections plus démocratiques :
Les dirigeants socialistes s'attèlent, pendant les
deux premières années de pouvoir de Diouf, à
préparer les élections de 1983. Ils décident, pour montrer
leur bonne foi démocratique, de reformer le code électoral et
l'accès aux médias pendant la future campagne. Ces changements
sont étudiés dès 1981 par l'Assemblée nationale,
avant d'être votés le 3 mai 1982 21.
Dorénavant, la Cour suprême veille sur le bon
déroulement des dépouillements électoraux, à
présent centralisés à Dakar. "Pour favoriser la
formation d'une majorité parlementaire stable", le nombre de
députés est augmenté, passant de 100 à 120. Un
double scrutin est instauré, copié sur le modèle
ouest-allemand, très largement favorable au maintien d'une
hégémonie PS. La moitié des députés est
élue au niveau départemental grâce à un scrutin
à liste majoritaire à un tour, tandis que l'autre moitié
est désignée par l'intermédiaire d'un scrutin
proportionnel au niveau national.
Concernant les médias, les socialistes prennent acte
de l'ouverture politique. Après de nombreux débats
parlementaires, le texte suivant est adopté : "pendant la campagne
électorale, tout parti présentant des candidats en vue des
élections législatives, utilisera les services de l'Office des
Radiodiffusions Télévisions du Sénégal. Le temps
mis à la disposition des partis politiques est divisé en deux
séries égales, l'une étant affectée aux partis,
appartenant à la majorité, l'autre à ceux qui ne lui
appartiennent pas" 22 . Le PS dispose donc pendant la campagne
électorale de 1983 - d'une durée totale de 21 jours - de la
moitié du temps d'antenne alors que les treize partis d'opposition se
partagent le temps restant. Pour ce qui est de l'élection
présidentielle, l'article 27 de la loi fondamentale se veut toutefois
beaucoup plus juste. La Cour suprême annonce qu'il y a
"égalité des candidats pour l'utilisation des moyens de
propagande dans les conditions déterminées par une loi
organique".
L'opposition, par la voix du PDS - on rappelle que ce parti
est la seule formation opposante présente place Tascher entre 1978 et
1983 - indique que ce code électoral est "une nouvelle preuve d'un
antidémocratisme réel" de la part des dirigeants PS. Outre
le double scrutin, la nonprésence de membres de l'opposition lors des
dépouillements et l'interdiction formelle d'organiser des alliances, le
PDS déplore que le ministère de l'Intérieur ait les pleins
pouvoirs au sujet des inscriptions et distributions des cartes
électorales, le risque de trucage étant fort prévisible.
De surcroît, Wade regrette que la présence d'isoloirs dans les
bureaux de vote soit facultative. Le PS, pour justifier cette absence bien peu
démocratique, répond que "l'électeur
sénégalais a touj ours affiché ses opinions". On sent
à travers cette réflexion que le parti gouvernemental n'a pas
concilié en 1983 sa volonté de démocratisation et
l'application sur le terrain. Il conserve encore
21 Momar Seyni N'Diaye, "Le nouveau code électoral
adopté", Le Soleil, 3 mai 1982.
22 Ibrahima Fall, "Nouvelle rédaction sur
l'utilisation des médias en campagne électorale", Le Soleil,
9 juillet 1982.
des vieux réflexes de parti unique.
Si beaucoup de points portent encore à contestation,
le code électoral favorise toutefois une campagne électorale
beaucoup plus ouverte que les précédentes. L'accès aux
médias offert à tous les partis d'opposition est un
véritable progrès pour la démocratie
sénégalaise. On comprend mieux les louanges adressées par
les observateurs étrangers, qui se réjouissent de la très
bonne tenue de "cette campagne exemplaire" 23,
qui voit l'affrontement entre une opposition très affaiblie et une
formation gouvernementale solidaire, mais aussi bénéficiaire, de
l'action présidentielle.
5.2 Les forces en présence :
5.2.1 L'opposition :
5.2.1.1 L'absence d'un véritable front commun :
L'Etat sénégalais compte à l'aube des
élections de 1983 treize partis d'opposition. Il souffre de ce qu'on
appelle communément "un trop plein démocratique"
24. En effet, cette nébuleuse opposante ne
remplit pas son rôle contestataire. Elle n'a aucun plan d'action commun
et, semble-t-il, aucune volonté réelle d'en avoir un. Pourtant,
aux alentours des années 1978 -1979, quelques personnalités
politiques ont tenté d'éviter cet éparpillement. En 1978,
Mamadou Dia essaie en créant la COSU de former un véritable
"rassemblement national démocratique et populaire"
d'extrême gauche.
Basant sa doctrine sur le pluralisme politique
intégral, une refonte totale du système économique
sénégalais et un rejet du "néo-colonialisme
français", Dia attire rapidement des formations clandestines telles
qu'And Jëf, la LD/MPT, le PAI-Sénégal et l'UDP. La COSU
n'arrive cependant pas à ratisser au-delà des formations
marxistes. Ce fait est principalement imputable à Mamadou Dia
lui-même. En effet, ce dernier croit en son "destin national" et refuse
l'entrée d'hommes comme Wade ou Anta Diop, qui pourraient
immanquablement lui faire de l'ombre. Mais l'ascension de la COSU prend bien
vite fin, suite à l'ouverture politique décidée par Abdou
Diouf en avril 1981. Dépossédée de son thème majeur
et fédérateur, la COSU ne subsiste que peu de temps avant de
disparaître dans l'indifférence générale.
Toutefois, l'approche des élections amène les
opposants à émettre le souhait de s'unir. Abdoulaye Wade
déclare, à l'annonce de sa candidature à la
présidence le 26 novembre 1982, que "l'union de toutes les forces
démocratiques en vue du changement doit être effectué
autour d'un programme minimum, en écartant les discutions
d'écoles, les querelles byzantines et les idéologies, pour s
'arrêter que sur les objectifs concrets" 25 .
Quant à Mahjemout Diop et Ousmane Wone, ils laissent entendre
qu'ils pourraient se retirer des présidentielles au profit d'un candidat
unique choisi par les différents partis d'opposition 26.
23 Pierre Biarnès, "Veille d'élections au
Sénégal : Un trop plein démocratique", Le Monde, 25
février 1983 et D.Cruise O'brien, "Les élections
sénégalaises du 27 février 1983", PoA 11, 1983.
24 Pierre Biarnès, "Veille d'élection au
Sénégal : Un trop plein démocratique", Le Monde, 25
février 1983.
25 "Abdoulaye Wade candidat à l'élection
présidentielle", Le Soleil, 26 novembre 1982.
26 "Ousmane Wone, candidat du PPS", Le Soleil, 1er
décembre 1982.
L'espoir est donc de mise lorsque huit partis
établissent "une plate-forme d'unité d'action des partis de
l'opposition" en janvier 1983. Ils adoptent une déclaration commune qui
impute "les souffrances du peuple sénégalais" aux anciens
colonisateurs et aux 22 années de mauvaise gérance socialiste.
Ils prônent aussi un changement à court terme en
établissant "un programme de salut national" 27 . Mais
très vite, la flamme unitaire s'éteint. Le groupe des huit se
divise au sujet du choix d'un candidat unique. Si Mamadou Dia est
plébiscité par la LD/MPT, la LCT, le MPT et l'UDP ; le PAI, le
PPS, le PDS et le PIT refusent de soutenir l'ancien Président du
Conseil, privilégiant leur propre leader.
Pour les législatives, la situation est encore plus
anarchique. Alors qu'une liste commune faciliterait la présence d'un
contingent de députés appréciable place Tascher, les
formations d'opposition choisissent la carte individuelle contre toute logique.
Voici ci-dessous un récapitulatif sommaire des différentes
stratégies suivies.
- Le RND adopte une attitude paradoxale. Si le parti de
Cheikh Anta Diop ne présente pas de candidat aux présidentielles,
certainement pour favoriser une entrée dans le gouvernement de ses
dirigeants, il constitue une liste pour les législatives. Lorgnant vers
Abdou Diouf tout au long de la campagne, cette erreur stratégique
déstabilise l'électorat du RND et marque le début d'un
déclin irrémédiable. A partir de 1983, le RND n'incarne
plus la possibilité d'une alternance politique auprès du grand
public.
- Le PIT prend le parti de Wade en déclarant
officiellement soutenir sa candidature, "étant trop réaliste
pour faire la politique de l'autruche" 28. Il
s'estime trop peu influent pour prétendre à la magistrature
suprême. Cette alliance étonne puisqu'elle réunit un parti
dit libéral à une formation marxiste, très proche de
Moscou. Cependant, Seydou Cissokho rétorque que le PDS n'a de
libéral que son statut, décidé à l'époque du
tripartisme senghorien. Pour lui, le PDS est une formation populaire, qui a su
"rallier les masses". Cependant, le PIT présente une liste aux
législatives.
- Le MDP et surtout Mamadou Dia effectuent un dernier baroud
d'honneur. Le candidat tente de justifier ses agissements passés,
laissant une sorte de testament politique. On note une rancoeur palpable
à l'égard de ses anciens amis socialistes, contre qui il
désire mener "un véritable "jihad". Agé de 71
ans, atteint d'une cécité presque totale, l'homme n'oublie
cependant pas de défendre les intérêts des trois partis qui
se sont ralliés à sa candidature. Ils forment selon eux un "cadre
d'unité anti-impérialiste". Néanmoins, la LD/MPT et le MDP
vont en ordre dispersé aux législatives. Les deux autres partis
ralliés à Dia, à savoir la LCT et l'UDP, ne se
présentent pas... n'ayant pas la possibilité de payer la caution
de 3 millions de FCFA, nécessaire pour obtenir l'autorisation de dresser
une liste.
- Le PAI de Mahjemout Diop aborde ces élections de
façon solitaire en créant le "Front Boksarew". Affaiblie
par des scissions à répétition, notamment avec le PIT, la
formation historique du marxisme au Sénégal apparaît en
retrait lors des débats. Comme le souligne fort justement Donal Cruise
O'Brien, "l'extrême gauche s 'est vu offrir la corde
électorale pour se
27 "Huit partis d'opposition d'accord sur une plate forme",
Le Soleil, 6 janvier 1983.
28 "Le PIT soutient Abdoulaye Wade", Le Soleil, 28
janvier 1983.
pendre" 29.
- Le PPS est certainement le parti le moins en vue durant les
21 jours de campagne. Néanmoins, son secrétaire
général Ousmane Wone s'invente un destin présidentiel.
Outre le fait de dénoncer avec virulence le régime
néo-colonialiste de Diouf, il déclare le 13 janvier 1983 que
"le peuple sénégalais le choisira" 30.
Prévoyant, l'homme nomme par avance son futur Premier ministre.
L'heureux élu est Landing Savané, le secrétaire
général d'And Jëf. Mais les observateurs ne sont pas dupes,
n'hésitant pas à qualifier le PPS de "petit parti sans
importance".
La multiplication des candidatures ne bénéficie
bien évidemment pas à l'opposition. Elle l'affaiblit et
discrédite l'action générale menée par les quelques
dirigeants "responsables". Seul surnage dans cette nébuleuse
contestataire le parti d'Abdoulaye Wade, en dépit des graves agitations
qui ont secoué le PDS entre 1981 et 1983.
5.2.1.2. Le PDS, un parti en crise mais toujours champion
de l'opposition :
Le PDS connaît de multiples troubles à
l'occasion des deux premières années de pouvoir du
Président Diouf. Mamadou Fall Puritain, président de l'Union des
Travailleurs Libres Sénégalais (UTLS), élu
députés PDS lors des législatives de 1978, quitte la
formation en janvier 1982. Ses fonctions syndicales et ses nombreuses
divergences d'opinions avec Wade le poussent à devenir un
député indépendant. Il reproche au secrétaire
général PDS son discours trop virulent à l'égard du
nouveau Président. Il entraîne avec lui d'autres
députés, mécontents de la stratégie adoptée
ou séduits par le discours novateur de Diouf 31 . Le nombre
de députés PDS passe, entre 1978 et 1983, de dix-huit à
dix. La formation libérale perd son groupe parlementaire, n'ayant plus
la quinzaine de députés requise.
Une autre affaire discrédite le PDS. Le 28 août
1981, Mamadou Fall, ancien officier, est arrêté pour une simple
histoire d'escroquerie. Lors d'une perquisition, on retrouve chez lui des
photos en tenue militaire ; deux cahiers d'instruction militaire
rédigés en arabe, expliquant la mise au point de techniques de
sabotage et un cahier décrivant la vie militaire de militants PDS dans
des camps libyens. L'affaire prend très rapidement une tournure
politique, puisqu'on lève l'immunité parlementaire de Doudou
Camara - député PDS - pour le placer en examen. Abdoulaye Wade se
réfugie alors en France. Ses proches refusent de parler d'exil et
évoquent un départ lié à "une affaire
strictement interne au parti" 32 . Pour se défendre, le
secrétaire général PDS affirme subir une "machination
visant son parti ", fomentée soit par le gouvernement, soit par le
Parti socialiste. Toutefois, il reconnaît le 7 novembre 1981 l'existence
de ces voyages, mais déclare que le seul but de ces expéditions
étaient de former des gardes du corps, de manière à le
protéger contre des menaces de mort venues du Sénégal.
29 Donal Cruise O'Brien, "Les élections
sénégalaises du 27 février 1983", PoA 11, 1983.
30 "Ousmane Wone maintient sa candidature", Le Soleil,
14 janvier 1983.
31 "Famara Mané s'explique", Le Soleil, 25 mai
1982.
32 "Wade rentrerait bientôt", Le Soleil, 10
décembre 1981 et Sylviane Kamara, "Une si longue absence",
Jeune Afrique, n° 1098, 20 janvier 1982.
Finalement, lors du procès tenu en septembre 1982,
seul Mamadou Fall est condamné à quinze mois d'emprisonnement.
Bien qu'acquitté, Doudou Camara n'est pas lavé de tout
soupçon. Pour preuve, les députés socialistes refusent en
janvier 1983 qu'il intègre la nouvelle Assemblée
confédérale de Sénégambie. En réaction, les
députés PDS boycotteront unanimement celle-ci.
Ce feuilleton judiciaire handicape fortement la
préparation électorale du PDS. Cependant, la mauvaise
organisation des autres partis d'opposition lui permet de conserver la
primauté de la contestation au cours de la campagne. Comme dit
précédemment, Wade se déclare candidat le 26 novembre
1982. Il refuse de céder sa place à un candidat unique - par
exemple Mamadou Dia - arguant que son bon score face à Léopold
Sédar Senghor en 1978 le consacre chef de l'opposition
sénégalaise. Pour faire taire les sceptiques, Wade
présente rapidement un programme économique, capable selon lui de
résoudre la crise traversée par le pays. Il propose "un plan
de restauration économique " , subdivisé en trois
sous-phases 33 :
- Un plan à court terme (1983-1985) qui restaurerait
l'économie du pays et proposerait une aide substantielle aux paysans par
la distribution gratuite d'engrais et de semences.
- Un plan à moyen terme (1983-1990) qui miserait sur une
politique déflationniste et d'assainissement des finances publiques.
- Un plan à long terme (1983-1995) qui tablerait sur la
mise en valeur agricole et matérielle, avec la réalisation de
grands projets nationaux.
Il ne s'agit pas là de juger si cette politique est
réalisable ou non. On constate simplement que Wade expose des
propositions concrètes, ayant des répercutions sur le long terme.
Il envisage ainsi - du moins dans ses discours - la possibilité d'une
alternance politique dès 1983, en dépit de toutes les affaires
qui ont secoué son parti. Il promeut aussi un programme "de restauration
politique", qui incorporerait des personnes nouvelles, "entourées de
toutes les bonnes volontés sans exclusive... socialistes inclus ".
Le secrétaire général du PDS reprend ici un
thème très à la mode pendant la campagne
présidentielle : celui "d'union nationale". Nonobstant le fait que
l'opposition désire se l'approprier, seul Abdou Diouf l'utilise à
bon escient, l'englobant dans une logique politique perceptible depuis janvier
1981.
5.2.2 Abdou Diouf et le Parti Socialiste, des vainqueurs
connus à l'avance :
Abdou Diouf indique très tôt que son
élection pourrait avoir comme conséquence l'arrivée
d'hommes neufs, situés en dehors de la sphère socialiste, pour
créer une véritable "union nationale". Ce terme
fédérateur doit favoriser le ralliement à un autre concept
utilisé abondamment : "le sursaut national". Il est évoqué
pour la première fois au cours du message annuel de Diouf, le 1er
janvier 1982. Le Président exhorte à cette occasion le peuple
à "rompre avec le laxisme, le goût de la facilité et de
la futilité, la mentalité d'assisté et le mythe de l'Etat
providence" 34. Il souhaite "tuer le vieil homme
qui somnole confortablement" en chaque Sénégalais.
33 "Abdoulaye Wade candidat à l'élection
présidentielle", Le Soleil, 26 novembre 1982.
34 "Abdou Diouf appelle à un sursaut national",
Le Soleil, 4 janvier 1982.
Ces idées, qui sont presque des thèmes de
campagne avant l'heure, préparent la population à des lendemains
qui déchantent. Pourtant, le contexte économique
s'améliore quelque peu au Sénégal entre 1981 à
1983. La production d'arachide, qui était passée sous la barre
des 300 000 tonnes en 1980, revient à un niveau à peu près
normal, aux alentours de 800 000 tonnes, grâce aux pluies abondantes de
1981 et 1982. La situation reste néanmoins précaire.
La santé économique du pays n'a pourtant pas
une grande influence sur le choix des électeurs en 1983. Abdou Diouf, en
deux ans de présence au Palais présidentiel, est devenu l'homme
du changement. En prenant des mesures contre la corruption, en adoptant des
remises de dettes anciennes aux paysans, en ouvrant le pays aux autres partis,
il accapare la sympathie de toutes les couches sociales du
Sénégal. La passive revolution, décrite par
Robert Fatton, est à son apogée 35.
L'intelligentsia des grands milieux urbains, autrefois en marge de la
politique ou affiliée à des groupuscules marxistes, est
séduite par cet homme novateur. On assiste à l'érection de
multiples groupes de soutien qui militent pour l'élection du
Président sortant, soit dans les journaux, soit dans des débats
publics. On peut dresser une liste non-exhaustive de ces organisations :
- Le Groupe des 1 500
- Le Groupe de rencontres et d'échanges pour un
Sénégal nouveau (GRESEN)
- Mouvement national de soutien (MNS)
- Association nationale de soutien à l'action des
pouvoirs publics (ANSAPP)
- Union nationale de soutien à l'action du
Président Abdou Diouf (UNSAPAD)
- Comité national des griots du PS pour le soutien
à l'action du Président Abdou Diouf (CONAGRISAPAD)
Ces groupes se caractérisent par leurs
diversités. On retrouve des technocrates, des paysans, des femmes, des
religieux, des infirmes, des pêcheurs, des sportifs etc. Ils sont d'une
grande importance pour Abdou Diouf : ils établissent un lien entre la
société civile et lui-même, consolidant son image
populaire.
Le Président de la République assure
définitivement sa victoire en obtenant l'appui explicite des
confréries maraboutiques. Il se justifie par la dévotion
affichée par Diouf depuis 1981 et surtout par les rapports très
étroits qu'entretiennent l'Etat et "les marabouts de l'arachide". A
travers les organisations agricoles étatiques, il existe une sorte
d'interdépendance économique entre les deux parties, puisque le
marabout fournit l'arachide tandis que l'Etat lui assure son train de vie en le
rémunérant. De plus, le gouvernement s'appuie sur les religieux
pour quadriller et gérer plus facilement les régions. Cette
tradition, qui remonte à la période coloniale et reprise sous
Senghor, n'a pas été abandonnée par Diouf.
Les marabouts, qui ont une influence sur 80% de la
population, sont ainsi indispensables pour s'assurer la fidélité
des communautés rurales, traditionnellement fidèles aux
ndiguël prononcés. Après un démarchage
effectué par le Premier ministre Habib Thiam, les Khalifes mouride et
tidjane appellent à voter Diouf en décembre 1982 36 .
Abdou Lahat Mback - chef des Mourides - explique son choix en soutenant que
"le Président a oeuvré pour la promotion de Touba et des
Mourides. Il demande par conséquent à tous les talibés en
retour de lui donner plus que ce qu'il a
35 Robert Fatton, The making of a liberal democracy :
Senegal Passive Revolution, 19 75-1985, Boulder, Lynne Rienner, 1987.
36 "Soutien à Abdou Diouf", Le Soleil, 7
décembre 1982 et "Soutien du khalife général des
tidjanes à Abdou Diouf", Le Soleil, 29 décembre 1982.
donné à Touba".
Fort de ces interventions, Abdou Diouf est choisi le 11
décembre 1982 par le bureau politique socialiste pour représenter
le PS. Au cours de son discours d'investiture, le secrétaire
général invite l'administration à adopter une totale
impartialité lors des prochaines élections pour qu'elles ne
soient entachées d'aucune irrégularité. De surcroît,
il confirme sa volonté d'ouvrir son prochain gouvernement, en cas
d'élection, à des hommes nouveaux : "notre parti ne peut
ignorer toutes les forces de progrès, tous ces hommes de bonne
volonté qui pensent que les Sénégalais peuvent se
rassembler autour d'idéaux communs, pour trouver des solutions aux
problèmes nationaux ". On remarque dans cette déclaration
qu'Abdou Diouf met en avant son désir de combattre les pratiques
jacobines de certains dirigeants socialistes. En éliminant les
réfractaires à cette ouverture politique, il veut "allumer la
nouvelle flamme du parti" 37.
C'est pourquoi les intérêts de Diouf et du PS
diffèrent. Le Président, pratiquement assuré d'être
élu au premier tour, désire faire preuve d'ouverture. Son
intention est durant la campagne "de ne dire du mal de personne, de ne pas
faire des injures et de ne pas polémiquer" 38 .
L'attitude du PS est tout autre. Mis sous pression par leur propre
secrétaire général, les dirigeants PS sont aussi
visés par une opposition qui dénoncent leurs manigances
clientélistes. Habib Thiam, tête de liste pour les
législatives, lassé de ces accusations, rétorque 39
:
"les partis d'oppositions ne sont même pas
arrivés à s 'entendre entre eux. Comment peuvent-i ls
prétendre diriger le Sénégal et assurer son
développement ?"
La victoire du PS n'est cependant jamais réellement
mise en doute par les observateurs, tant l'élection du couple Diouf-PS
parait être une évidence. La pression morale, initiée par
les ndiguël des religieux, l'interdiction faite aux partis de se
coaliser et la non-présence d'isoloir de vote garantissent une large
avance socialiste aussi bien aux présidentielles qu'aux
législatives. Dans le "doute" d'une quelconque désillusion, Abdou
Diouf prétend dans son dernier meeting de campagne "que
quel que soit le verdict des urnes, il le respectera" 40.
Mais personne n'est dupe en 1983. Abdou Diouf est un Président
assuré de l'emporter 41.
5.3 Un raz de marée socialiste :
La victoire socialiste ne s'apparente pas à un
triomphe, mais plutôt à un véritable
raz-de-marée42. Conformément au code électoral,
Abdou Diouf est élu au premier tour, après avoir obtenu la
majorité absolue des voix, soit 51 %, et des suffrages
représentant au moins le tiers du corps électoral.
37 "Abdou Diouf candidat du PS", Le Soleil, 11-12
décembre 1982.
38 "Abdou Diouf : Ni injure, ni polémique", Le
Soleil, 7 février 1983
39 "L'irresponsabilité de l'opposition fustigée
par Habib Thiam", Le Soleil, 9 février 1983.
40 "Dernier meeting de Dakar", Le Soleil, 25
février 1983.
41 Pierre Biarnès, "Veille d'élections au
Sénégal : Un Président assuré de l'emporter",
Le Monde, 26 février 1983 et D.Cruise O'brien, "Les
élections sénégalaises du 27 février 1983",
PoA 11, 1983.
42 "Le vainqueur", Le Soleil, 28 février
1983.
L'avance de Diouf est considérable lors de ce scrutin.
Voici les résultats décrétés par la Cour
suprême le 6 mars 1983 43 :
- Electeurs : 1 928 257
- Votants : 1 093 244 (56,70 % de participation)
- Bulletins nuls : 4 169
- Nombre de suffrages exprimés : 1 089 075
- Abdou Diouf (PS) : 908 879 soit 8 3,45 %
- Abdoulaye Wade (PDS) : 161 067 soit 14,79 % - Mamadou Dia
(MDP) : 15 150 soit 1,39 % - Oumar Wone (PPS) : 2 146 soit 0,20 % - Majhemout
Diop (PAI) : 1 833 soit 0,17 %
On constate que la bipolarisation de la vie politique
sénégalaise. La victoire sans surprise de Diouf est
accompagnée du bon score d'Abdoulaye Wade, même si ses 14,79 %
apparaissent dérisoires face au plébiscite que reçoit le
candidat PS. Bien que ces résultats doivent être analysés
avec une très grande précaution - vu l'ampleur des fraudes - on
s'aperçoit qu'Abdou Diouf fait son meilleur score dans la région
du Fleuve avec 90,05% (région qui comprend notamment la ville de
Saint-Louis), tandis qu'on localise ses plus mauvaises performances dans les
régions de Diourbel avec 77,90% (région de la capitale mouride,
Touba) et du Cap Vert avec 78,55% (région de Dakar). Logiquement,
Abdoulaye Wade fait son meilleur pourcentage dans le Diourbel avec 20,96%, en
dépit des ndiguel prononcés en faveur de Diouf
44.
Derrière eux, les petits scores de Mamadou Dia et de
Majhemout Diop, deux "historiques" de la politique sénégalaise,
discréditent totalement leur action et les condamnent presque de
facto à se rallier au camp PDS. Enfin, la faiblesse du score
d'Oumar Wone n'étonne presque personne.
Les législatives offrent le même type de panorama
:
- Electeurs inscrits : 1 928 257
- Votants : 1 083 681 (56,20 % de participation) - Bulletins
nuls : 4 511
- Nombre de suffrages exprimés : 1 079 170
- PS : 8 62 713 soit 79, 94 % (111 sièges) - PDS : 150
785 soit 13, 97 % (8 sièges) - RND : 29 271 soit 2,71 %. (1
siège) - MDP : 13 030 soit 1,21 %
- LD/MPT : 12 053 soit 1,12 %
- PIT :
|
5
|
910 soit 0,54
|
%
|
- PAI
|
: 3
|
269 soit 0,30
|
%
|
- PPS
|
: 2
|
139 soit 0,20
|
%
|
|
4 3 "L'élection d'Abdou Diouf proclamée par la
Cour suprême", Le Soleil, 7 mars 1983. 44 Le Soleil du 3
mars 1983.
Ces résultats surprennent, dans la mesure où
beaucoup d'électeurs avaient déclaré vouloir voter pour
Diouf, mais en aucun cas pour le PS. On relève que les scores d'Abdou
Diouf et de son parti sont à peu près semblables.
Néanmoins, dans aucune des huit régions
sénégalaises, le score du PS dépasse celui de son
secrétaire général. Le plus grand écart en
pourcentage entre Diouf et le PS est observé dans la région de
Thiès (82,94% pour Diouf, 78,56% pour le PS). Ceci s'expliquent par le
"bon" résultat obtenu par le RND dans la région (4,04% contre
2,71% de moyenne
nationale). Tout comme Diouf, le PS fait son meilleur score
dans la région du Fleuve avec 88,29%, mais obtient son plus grand nombre
de voix dans la région du Sine Saloum, 187 917 voix 45.
A l'instar de Wade, le PDS fait son meilleur pourcentage dans le Diourbel
avec 21,58%, soit 7,61 % de plus que sa moyenne nationale. Par contre, le PDS
ne profite pas du score médiocre du PS dans la région de Dakar.
Le parti de Wade ne récolte que 14,59% des suffrages, devant un RND qui
obtient dans la région du Cap Vert son meilleur résultat
régional (7,39%) : la formation de Cheikh Anta Diop confirme son statut
de parti politique urbain.
Alors que le corps électoral de l'opposition est
supérieur à celui de 1978, les formations nongouvernementales
perdent la moitié de leurs députés place Tascher (9 contre
18 en 1978). Cela s'explique par l'instauration du double scrutin, qui favorise
le PS. En effet, les socialistes disposent d'une telle assise sur l'ensemble du
territoire qu'ils raflent les 60 sièges mis en jeu par le scrutin
départemental. Les partis de l'opposition se contentent ainsi des bons
scores acquis à la proportionnelle. On peut souligner que si ces
élections législatives avaient été
effectuées sur le modèle de 1978 - c'est-à-dire une
proportionnelle totale - l'opposition aurait eu entre 22 et 24
députés au Parlement.
Le PS est donc loin devant tous ses autres concurrents. Il
confirme son hégémonie vieille de trente années. Le PDS
récolte un score honorable, même s'il compte 10 sièges en
moins par rapport à 1978. Ce déficit est d'autant plus grand
lorsque l'on sait que le nombre de députés était à
l'époque de 100. Le grand perdant de ce scrutin est bien
évidemment le RND. Qualifié de "parti de masse" lors de son
officialisation en 1981, la formation de Cheikh Anta Diop sort de ces
élections décrédibilisée, voire humiliée.
Son nombre infime de député l'empêche de revendiquer le
moindre ministère. Par obligation, le RND doit dorénavant
s'aligner sur les positions prises par le PDS. La LD/MPT crée quant
à elle un court instant la surprise. Les premiers résultats la
placent en quatrième position et lui donnent un siège à
l'Assemblée nationale 46 . Elle déchante cependant
bien vite, puisque le MDP obtient un meilleur score sans avoir le moindre
député. Pour ce qui est des trois autres formations en lice,
elles confirment les mauvais résultats enregistrés par leur
candidat aux présidentielles et montrent, pour Pierre Biarnès,
leur inutilité47 .
Si dans l'ensemble la bonne tenue de ces élections est
saluée par l'opinion publique, les opposants de Diouf crient au
scandale. Abdoulaye Wade n'hésite pas à dire, en parlant du
scrutin de 1983, "que ce ne sont pas des élections et qu 'elles ne
méritent même pas le nom d'élections
4 5 Le Sine Saloum, fortement peuplé avec des villes
telles que Kaolack ou Kaffrine, est la région qui a le plus grand nombre
de votants en 1983. Abdou Diouf y obtient notamment 193 351 voix. Le
Soleil, 3 mars 1983. 46 "Le vainqueur", Le soleil, 28
février 1983.
4 7 Pierre Biarnès, "Victoire électorale sans
surprise du Président Diouf et du Parti socialiste", Le Monde, 1er
mars 1983.
frauduleuses" 48 . D'autres partis
n'accordent aucun crédit à ces résultats, comme la LD/MPT,
le MDP ou encore l'UDP. Abdou Diouf ne cache pas quant à lui sa
déception : "je dois avouer que mon voeu aurait été de
voir l'opposition bien représentée à l'Assemblée
nationale ".
En effet, le Président dispose d'une "chambre
introuvable", qui n'arrange nullement ses affaires. Il a axé toute sa
campagne sur l'ouverture politique, la transparence des élections et sa
disposition à incorporer dans son futur gouvernement des opposants. Mais
la faible représentation à l'Assemblée nationale de
l'opposition l'en empêche. Il se retrouve discrédité et
isolé, face à un parti qu'il ne maîtrise pas encore
totalement. Très vite, les regards désapprobateurs des dioufistes
se tournent vers ceux que l'on appelle communément les "barons",
accusés d'avoir trafiqué les résultats électoraux
pour se maintenir au pouvoir.
Quels que soient les coupables, la falsification des
résultats a tout d'abord été favorisée par
l`absence d'isoloir de vote. Dans le milieu rural, très dépendant
des organismes agricoles étatiques, l'intérêt pour
l'électeur était de montrer son affiliation au PS, pour
récolter quelques bénéfices ultérieurement. Dans ce
cas là, il n'avait aucun motif qui justifiait son passage dans
l'isoloir. Ainsi, celui qui s'y rendait était forcement un dissident. Sa
démarche s'avérait de ce fait suicidaire, du moins
financièrement. Le principe de précaution a été
donc de voter socialiste, ou tout simplement de ne pas se déplacer au
bureau de vote. Outre cet aspect, les dispositions prises en 1982 pour
contrecarrer les fraudes, quoique louables, ont été
incomplètes. En effet, les agencements assurant la présence
d'observateurs issus de l'opposition dans les bureaux de vote ont
été rendus inutiles par... la non-présence de ces
mêmes observateurs au moment des dépouillements des bulletins,
centralisés à Dakar. Sans la moindre contrainte, les
falsifications de résultats ont pu être nombreuses. D'autres faits
litigieux, comme la possibilité de voter sans carte d'identité,
n'ont pas servi la cause d'élections qui se voulaient
irréprochables.
Ces faits sont longuement commentés après les
élections. Il en va de même pour le taux d'abstention
constaté. En dépit des nombreux appels incitant à voter,
que ce soit lors des meetings politiques ou dans la presse, seulement
55 % des inscrits sur les listes électorales sont allés aux
urnes, soit à peine deux tiers des électeurs potentiels. En
réalité, 60 % des Sénégalais n'ont pas pris part
aux votes 49. Alors que les politiques ont fait de
véritables efforts de communication - en revêtant notamment les
habits traditionnels et en prononçant la plupart de leurs discours en
wolof, peul ou mandingue - le désintéressement de la population a
été encore plus important qu'en 1978. On l'explique par le
caractère élitiste de la consultation. Seules les grandes villes,
très urbanisées comme Dakar, ont eu un vif intérêt
pour les débats. Le milieu rural, désorienté par
l'utilisation excessive de termes technocratiques peu en rapport avec le
quotidien paysan, n'a pas adhéré à la rhétorique
employée par les candidats.
Alors que le PS comptaient compenser ces absentions par une
forte participation de la communauté mouride en sa faveur, on a vu
qu'Abdou Diouf et le PS ont enregistré leurs plus mauvais
résultats... dans "le pays mouride". Le PDS y fait quant à lui
son meilleur résultat régional, avec 21,58 %. Ces pourcentages
laissent entrevoir un changement de comportement
48 "Wade : Une comédie grotesque", Le Soleil,
1er mars 1983 et Pierre Biarnès, "L'opposition qualifie de mascarade
les élections du 27 février", Le Monde, 3 mars 1983.
4 9 Pierre Biarnès, "Victoire électorale sans
surprise du Président Diouf et du Parti socialiste", Le Monde, 1er
mars 1983 et Siradiou Diallo, "Abdou Diouf ne sera plus le même",
Jeune Afrique, n°1 157, 9 mars 1983.
électoral chez les fidèles, visiblement
désireux de ne plus respecter à la lettre les consignes
énoncées par le Khalife général. Une
différenciation entre le religieux et le politique commence donc
à s'opérer dans l'esprit de la communauté mouride à
partir des années 1980 50.
Abdou Diouf sort néanmoins renforcé de ces
élections. Grâce à l'onction populaire reçue, il
n'est plus considéré comme le simple dauphin constitutionnel de
Senghor. Ce dernier a d'ailleurs été informé avant les
élections que sa présence n'était pas souhaitée au
cours de la campagne électorale, afin de ne pas détériorer
l'image du chef que s'était façonnée Abdou Diouf. Le
second Président de la République sénégalaise a
ainsi pu imposer son style et prendre contact avec la population. Face à
un adversaire doté d'une redoutable machine électorale,
l'opposition n'a jamais eu l'espoir de l'emporter. Elle peut néanmoins
se réjouir des avancées démocratiques qui ont
été entreprises depuis 1981 par le gouvernement, en dépit
des grossières fraudes constatées le 27 février 1983. Le
pays est sur la bonne voie. Après ce scrutin, il semble que "rien ne
sera plus jamais comme avant dans le Sénégal de demain"
51.
50 Donal Cruise O'Brien, "Les élections
sénégalaises du 27 février 1983", PoA 11, 1983.
51 Le Président sénégalais aurait
prononcé ces paroles à sa sortie de l'isoloir le 27
février 1983. Anecdote rapportée par Pierre Biarnès lors
de l'interview d'Abdou Diouf dans le Club-presse du Tiers-monde.
"Abdou Diouf s 'exprime dans le club-presse du Tiers-monde", Le
Soleil, 10 mars 1983.
Chapitre 2 : Le temps des incertitudes (1983-1988)
1
1. Le retour à un régime
présidentiel :
Abdou Diouf sort grand vainqueur des élections, avec
un PS largement majoritaire à l'Assemblée nationale. Les deux
autres partis présents place Tascher, le PDS et le RND, refusent
cependant de reconnaître les résultats prononcés et de
prendre place dans l'hémicycle. Le dialogue est rompu avec l'opposition,
et toute entrée de celle-ci dans le gouvernement est inenvisageable. Le
chef de l'Etat se tourne donc vers la société civile, qui s'est
largement impliquée dans la campagne électorale dioufiste
à travers les groupes de soutien. On retrouve ainsi dans le gouvernement
trois membres actifs du GRESEN, à savoir Alioune Diagne Coumba Aita,
Ibrahima Fall et surtout Iba der Thiam, fondateur du mouvement. Cette
dernière nomination marque une volonté de rupture, puisque Thiam
a été l'un des grands leaders syndicalistes de la
période senghorienne et connu même la prison 2.
L'impression de "désenghorisation" de la vie
politique est accentuée par le départ des "barons". Les
compagnons du "Père de la Nation" se retrouvent relégués
à des postes secondaires. L'ancien président de
l'Assemblée nationale, Amadou Cissé Dia, devient président
d'honneur du Parlement, tandis que les ministres d'Etat du
précédent gouvernement, Assane Seck et Alioune Badara Mbengue,
sont "mis à la disposition" du bureau de l'Assemblée
nationale.
Toutefois, la décision la plus spectaculaire,
présentée au peuple sénégalais par Diouf dans son
allocution radiotélévisée du 4 avril 1983, est sans
conteste la suppression du poste de Premier ministre 3.
Le premier surpris par la nouvelle est Habib Thiam, averti que
très tardivement du projet 4. Pour mettre en place
cette suppression, Abdou Diouf "épargne" Habib Thiam, qu'il replace au
perchoir de l'Assemblée nationale. Le chef de l'Etat désigne
comme "Premier ministre intérimaire"... Moustapha Niasse. Ce choix n'est
pas anodin. Chacun sait que Niasse rêve depuis bien longtemps de la
Primature. Cette promotion est par conséquent un honneur rendu à
un homme qui a autrefois aidé Diouf. Néanmoins, cette nomination
est aussi un crève coeur pour le ministre des Affaires
Etrangères, ayant pour mission de mettre fin à un poste qu'il
convoite depuis la fin des années 1970. Il s'agit ainsi - certainement
involontairement - du premier faux pas commis par Diouf à l'égard
de Moustapha Niasse.
Toutes ces décisions - reclassement des "barons",
suppression du poste de Premier ministre - sont prises lors de la
réunion du Parti socialiste du 31 mars 1983. Il existe deux versions
concernant celle-ci. En 1983, on la présente comme une victoire
personnelle d'Abdou Diouf sur les "barons". Jeune Afrique relaie cette
version du "coup d'Etat au sein du parti" 5, qui
met fin au "pacte secret des seigneurs" 6 . Bien des
années plus tard, As sane Seck, l'un des barons en question, relate
d'une manière bien différente les événements. Il
soutient qu'une position commune sur un retrait progressif des barons est
trouvée entre ces derniers et Abdou Diouf le 31 mars 1983, dans le but
de laisser la place aux jeunes cadres du PS. Pour l'ancien ministre
1 Mar Fall, l'Etat d'Abdou Diouf ou le temps des
incertitudes, Point de vue l'Harmattan, 1986.
2 Pierre Biarnès, "Abdou Diouf amorce la prochaine
suppression du poste de Premier ministre et remanie le gouvernement", Le
Monde, 5 avril 1983.
3 "Le changement", Le Soleil, 6 avril 1983.
4 Après l'annonce de cette décision, Habib Thiam
tente de dissuader Abdou Diouf. Sans résultat. Habib Thiam, Par
devoir et amitié, pp. 63, Paris, Rocher, 2001.
5 Sennen Andriamirado, "Diouf prend le pouvoir", Jeune
Afrique, n° 1162, 13 avril 1983.
6 Siradiou Diallo, "Les frondeurs vont-ils payer ?",
Jeune Afrique, n° 1160, 30 mars 1983.
d'Etat, Diouf s'est par conséquent
"libéré des aînés avec leur consentement et sans
fâcherie aucune" 7.
Cette théorie du départ progressif et volontaire
des barons semble rationnelle. En consultant la
liste des députés socialistes pour les
élections législatives de 1983, on remarque que les "barons" les
plus influents sont tous présents, sans exception, sur la liste
nationale 8 . Au
contraire, les "jeunes loups" socialistes, soucieux de se
construire des bastions électoraux, sont inscrits sur les listes
départementales 9. Ces faits montrent que les
"barons" ne risquent
pas en 1983 de perdre leurs privilèges, puisqu'ils sont
placés aux avants-postes de la liste nationale PS. A moins d'un
cataclysme électoral, impossible à l'époque, ils sont
assurés de
conserver leur siège de député. Il parait
donc plausible que les "barons", en échange de cette "assurance", aient
sciemment abandonné la vie politique locale et passé la main
à la nouvelle
génération.
Ceci explique le nouveau visage du gouvernement
présenté par Moustapha Niasse le 5 avril 1983. On compte 13
sortants (dont 3 des 4 ministres d'Etat de 1981) et 14 entrants. Parmi eux,
il y a des membres de la société civile, comme
Doudou Ndoye, Thierno Bâ ou Iba der Thiam. Toutefois, le caractère
socialiste du gouvernement est maintenu, contrairement à la promesse
faite par Abdou Diouf 10. Enfin, seuls Moustapha Niasse,
Mamadou Touré, Djibo Kâ et Mamadou Diop conservent le poste qu'ils
occupaient antérieurement 11.
- Moustapha Niasse : Premier Ministre intérimaire et
Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères
- Médoune Fall : Ministre des Forces Armées
- Doudou Ndoye : Ministre de la Justice Garde des Sceaux
- Ibrahima Wone : Ministre de l'Intérieur
- Mamadou Touré : Ministre de l'Economie et des
Finances
- Robert Sagna : Ministre de l'Equipement
- Abdel Kader Fall : Ministre de la Culture
- Ibrahima Fall : Ministre de l'Enseignement Supérieur
- Iba Der Thiam : Ministre de l'Education Nationale
- Cheikh Amidou Kane : Ministre du Plan et de la
Coopération
- Bator Diop : Ministre du Développement Rural
- Serigne Lamine Diop : Ministre du Développement
Industriel et de l'Artisanat
- Moussa Daffé : Ministre de la Recherche Scientifique et
Technique
- Hamidou Sakho : Ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat
- Abdourahmane Touré : Ministre du Commerce
- Djibo Kâ : Ministre de l'Information, des
Télécommunications et des Relations avec les Assemblées
- Mamadou Diop : Ministre de la Santé Publique
- Samba Yéla Diop : Ministre de l'Hydraulique
- André Sonko : Ministre de la Fonction Publique, de
l'Emploi et du Travail
- Maïmouna Kane : Ministre du Développement
Social
- François Bop : Ministre de la Jeunesse et des Sports
- Cheikh Cissoko : Ministre de la Protection de la Nature
7 Assane Seck, Sénégal, émergence
d'une démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique,
pp.188, Paris, Karthala, 2005.
8 La tête de liste aux législatives de 1983 est
réservée logiquement à celui qui mène la campagne,
c'est à dire Habib Thiam. On retrouve ensuite Amadou Cissé Dia,
Magatte Lô, André Guillabert, Alioune Badara Mbengue, Assane Seck.
Soit cinq "barons" aux six premieres places. "Les députés PS,
PDS et RND provisoirement élus", Le Soleil, 8 mars 1983
9 Il y a notamment Mamadou Diop, Lamine Diack, Abdourahim
Agne, Moustapha Niasse, Christian Valentin, Abdoul Aziz Ndao, Daouda Sow.
"Les députés PS, PDS et RND provisoirement élus",
Le Soleil, 8 mars 1983.
10 "Le gouvernement que je vais nommer sera le
gouvernement non d'un parti, fut-il majoritaire, mais de tous les
Sénégalais". Pierre Biarnès, "M.Diouf annonce la
prochaine suppression du poste de Premier ministre et remanie le gouvernement",
Le Monde, 5 avril 1983.
11 "Le changement", Le Soleil, 6 avril 1983.
- Fabaye Fall Diop : Ministre délégué
chargé des Emigrés
- Momar Talla Cissé : Ministre chargé du
Tourisme
- Landing Sané : Secrétaire d'Etat auprès
du Ministre de l'Intérieur chargé de la
Décentralisation
- Marie Sarr Mbodj : Secrétaire d'Etat auprès du
Ministre de l'Education Nationale chargé de l'Enseignement Technique et
de la Formation Professionnelle
- Bocar Diallo : Secrétaire d'Etat auprès du
Ministre du Développement Rural chargé de la Pêche
Maritime
- Thierno Bâ : Secrétaire d'Etat auprès du
Ministre de la Fonction Publique, de l'Emploi et du Travail
Moustapha Niasse se penche très rapidement sur la
mission qui lui a été confiée. En moins de
trois semaines, il supprime la Primature. En mai 1983, le
Président de la République est officiellement le chef du
gouvernement. Ce changement majeur dans la Constitution
sénégalaise est accompagné par la fin du
droit de motion de censure octroyé aux députés. En
compensation, le droit de dissolution du chef de l'Etat est abrogé. Pour
Le Soleil, ces
suppressions réciproques "participent à la
séparation des pouvoirs et à l'équilibre qui est l'un des
fondements de la démocratie" 12 . Cependant, avec la
réinstauration d'un régime
présidentiel, le Sénégal se trouve
dorénavant dans l'incapacité de répondre à toute
crise politique majeure.
Autre changement de taille : le président de
l'Assemblée nationale redevient le deuxième personnage de l'Etat.
Mais contrairement à l'article 35 de la Constitution senghorienne,
qui
"offrait" la présidence au deuxième personnage
de l'Etat, le président de l'Assemblée nationale est à
présent tenu d'organiser de nouvelles élections dans les soixante
jours suivants un retrait définitif du chef de l'Etat 13.
La disparition de la Primature ne choque pas outre mesure les
médias étrangers. Dans les années 1980, les Premiers
ministres africains sont rares, et souvent confinés à des
rôles très
secondaires 14 . Abdou Diouf n'a de ce fait aucun
mal à justifier sa décision. Il explique que "le
gouvernement, qui a la charge de conduire la politique du renouveau en cette
période difficile
doit être en mesure de remplir sa mission avec
encore plus de rapidité et de simplicité. De ce point de vue, il
s 'avère nécessaire qu 'il agisse sous l'autorité directe
du chef de l'Etat" 15.
Abdou Diouf revient donc à un régime
présidentiel, analogue à celui des années 1962-1970, qui
correspond à la période noire du Sénégal en terme
de démocratie. C'est pourquoi ce choix
est critiqué par sa propre famille politique 16
, et par les chefs de l'opposition, qui refusent d'assister à sa
prestation de serment le 4 avril 1983. Au vu de la décision d'Abdou
Diouf, on
pense que la recréation du poste de Premier ministre en
1970 par Senghor n'avait pour seul but que de préparer le dauphin
putatif à prendre les rênes du pays 17.
Le Président de la République n'a aucun mal
à faire passer ces multiples changements constitutionnels. Pour
valider ses initiatives, il bénéficie d'une chambre parlementaire
qu'il lui est largement favorable et dévoué. En se penchant sur
la composition de l'Assemblée
nationale, on s'aperçoit que celle-ci à bien du
mal à incarner la population sénégalaise. Dans un pays
composé aux trois quarts de paysans, le Parlement n'en compte... aucun
18 . Ceci
s'explique par le fait que les populations rurales sont
généralement analphabètes, alors que la
12 Momar Seyni Ndiaye, "Retour au régime
présidentiel', Le Soleil, 1er mai 1983.
13 "Révision constitutionnelle : il n'y aura plus de
Premier ministre", Le soleil, 1er mai 1983.
14 Siradiou Diallo, "A quoi sert un Premier ministre en
Afrique ? ", Jeune Afrique, n° 1167, 18 mai 1983.
15 Pierre Biarnès, "Abdou Diouf amorce la prochaine
suppression du poste de Premier ministre et remanie le gouvernement", Le
Monde, 5 avril 1983.
16 On pense aux "barons" et à Habib Thiam.
17 Pierre Biarnès, "Abdou Diouf amorce la prochaine
suppression du poste de Premier ministre et remanie le gouvernement", Le
Monde, 5 avril 1983.
18 Sophie Bessis, "Qui sont les députés ?",
Jeune Afrique, n° 1171, 15 juin 1983.
plupart des députés sont des lettrés et
officient dans la fonction publique 19.
Si l'Assemblée nationale n'est pas "paysanne", elle
n'est pas non plus composée de notables. Seule une dizaine de
médecins, avocats et hommes d'affaire occupent les travées de
l'hémicycle. Toutefois, tous les députés ont un point
commun : ils ont tous été scolarisés 20. Mieux,
une cinquantaine d'entre eux ont suivi des études supérieures ou
sont allés à l'université21.
Autre fait marquant, la moyenne d'age de l'Assemblée
est de 51 ans (43 ans pour les députés PDS), alors que
l'expérience de vie au Sénégal est de... 44 ans et que les
jeunes de moins de 20 ans constituent 55% de la population
sénégalaise. Les femmes - dont la moyenne d'age est de 47 ans -
forment 11% du corps législatif (13 femmes sur 120
députés), travaillant la plupart du temps comme sage femme,
institutrice, ménagère etc. Les hommes sont donc relativement
majoritaires, et près d'un tiers d'entre eux sont... polygames.
Par conséquent, la chambre des députés
n'est pas le miroir de la société. C'est pourtant sur elle
qu'Abdou Diouf s'appuie pour mener une nouvelle politique économique et
industrielle, vivement encouragée par les bailleurs de fonds,
censée endiguer la crise qui touche le Sénégal depuis le
second choc pétrolier. En proclamant dès septembre 1983 la fin de
l'Etat providence22, le PS rompt définitivement avec le
progressisme senghorien.
2. La fin de l'Etat providence :
En 1983, la situation économique
sénégalaise est terriblement mauvaise. La Banque mondiale et le
FMI exigent des mesures drastiques. Ils préconisent une diminution des
effectifs pléthoriques de la fonction publique, une augmentation du prix
des denrées de première nécessité, la
libéralisation de certains secteurs industriels et la fin d'une
agriculture ultrasubventionnée pour réduire un déficit
extérieur creusé par la montée de la facture
pétrolière et la chute de la valeur arachidière.
Paradoxalement, ce sont les bonnes récoltes
arachidières qui endettent l'Etat. Malgré la chute des cours de
l'arachide 23 , le gouvernement socialiste a maintenu entre 1981 et
1983 des prix d'achat au producteur relativement haut dans le but de ne pas
mécontenter son électorat paysan. Pour la seule année
1982, l'Etat a déboursé plus de 15 milliards de Francs CFA pour
combler les déficits 24.
Après un premier plan d'ajustement en 1979 - le
Plan à court terme de stabilisation, qui préconise la
montée des prix des denrées, une généralisation de
la TVA, le blocage des salaires et des effectifs de la fonction publique
25 - un deuxième programme d'ajustement, le Plan de
redressement économique et financier, est conclu entre le
gouvernement sénégalais et les bailleurs de fonds en 1980. Il
prend cependant véritablement effet après les élections
de
19 On dénombre 30 enseignants, 50 membres de
l'administration, sans compter les anciens ministres et secrétaires
d'Etat. Sophie Bessis, "Qui sont les députés ?", Jeune
Afrique, n° 1171, 15 juin 1983.
20 En 1983, 80% de la population est analphabète. Lors
des législatives, des analphabètes figurent bien sur des listes,
notamment d'opposition... mais dans les bas fonds de celles-ci. Ils n'ont donc
aucune chance d'être élu. Sophie Bessis, "Qui sont les
députés ?", Jeune Afrique, n° 1171, 15 juin 1983.
21 40% des enfants sénégalais en 1983 vont au
primaire (51% de garçons, 39% de filles), 10% au secondaire... 2% font
des études supérieures. Sophie Bessis, "Qui sont les
députés ? ", Jeune Afrique, n° 1171, 15 juin 1983.
22 Christian Valentin, "La fin de l'Etat providence", Le
Soleil, 1er septembre 1983.
23 Entre 1981 et 1982, le prix de l'arachide est passé de
1 043 $ à 585 $ la tonne. Sennen Andriamirado, "Vers un sursaut
national", Jeune Afrique, n° 1178, 3 août 1983.
24 Le Monde, 20 juillet 1983.
25 Momar-Coumba Diop, Gouverner le Sénégal,
entre ajustement structurel et développement durable, Paris,
Karthala, 2004.
1983. Le 19 août 1983, les premières mesures
tombent : l'électricité, le riz, le sucre, l'huile et les
produits pétroliers augmentent de plus de 10 %, alors qu'une retenue de
10 FCFA est dorénavant effectuée sur chaque kilo d'arachide. Ces
choix, politiquement difficiles à assumer, sont facilités par le
soutien tacite des deux chefs de l'opposition, Cheikh Anta Diop et Abdoulaye
Wade 26.
Pour contrer l'impopularité de ces décisions,
Abdou Diouf multiplie entre 1983 et 1985 les appels au consensus et au sursaut
national. La lutte contre la désertification devient l'un des
thèmes majeurs de la propagande présidentielle. Les inaugurations
de forages faites par le chef de l'Etat sont largement relayées par les
médias d'Etat. Il se rend régulièrement en milieu rural
pour planter des arbres ou récompenser "les meilleurs planteurs qui
se sont brillamment distingués dans les efforts nationaux de promotion
de reboisement" 27. Dans ses discours, il insiste
sur l'autosuffisance alimentaire, le reverdissement des campagnes et la lutte
contre "la tutelle présente et contraignante de la
pluviométrie" 28 . Pour mettre fin à cette
tutelle, Diouf favorise les projets onéreux, tels que le barrage
anti-sel de Diama, afin de relancer l'agriculture dans les zones
touchées par la désertification. Le Président lance
également une campagne de mobilisation nationale en faveur du monde
paysan. L'aspect spectaculaire et symbolique de l'aide -
prélèvement de deux mois de salaire du chef de l'Etat - cache mal
les limites d'un effort censé soutenir une agriculture qui a perdu en 10
ans 50 % de sa productivité. Malgré tout, cette mobilisation
rapporte en trois mois 1,5 milliards Francs CFA, en dépit du refus des
dirigeants PDS d'y participer 29.
Néanmoins, le mécontentement augmente. Il est
général, comme en témoigne les pancartes du 1er mai 1984
fustigeant la politique gouvernementale et la cherté de la vie
30. Le pouvoir tente de répondre à la
grogne en vantant les mérites de "la sénégalisation ".
Abdou Diouf prône la consommation de la nourriture locale 31
et invite les entreprises à se détourner des
employés étrangers, arguant du fait qu'un occidental coûte
quatre à cinq fois plus cher qu'un sénégalais 32
. Les entreprises, françaises pour la plupart, peu
réceptives à sa requête, condamnent la position
présidentielle et louent les mérites d'un recrutement
extérieur, mieux formé et plus adapté à l'esprit
d'entreprise occidental.
Devant ces blocages, Abdou Diouf négocie avec les
bailleurs de fonds un troisième programme d'ajustement en 1985,
appelé le Plan d'ajustement économique et financier à
moyen terme. Plusieurs chantiers sont ouverts : "nouvelle politique
agricole, nouvelle politique industrielle, restructuration du secteur
parapublic, redressement des finances publiques" 33.
26 Abdou Diouf raconte : "Quand on était dans une
crise grave (...) je donne l'exemple de l'ajustement. La banque mondiale me
disait : "le prix du riz est trop bas, le prix du sucre est trop bas, vous
subventionnez, ce n 'est pas normal, il faut faire la vérité des
prix". J'étais obligé de le faire, sinon je n 'avais pas les
crédits dont j'avais besoin pour faire fonctionner mon Etat, pour
financer mes projets. A ce moment là, d'une façon très
subtile, très confidentielle, très secrète, je parlais
avec mon principal opposant. Dans un jeu de rôle, il venait, il me disait
qu 'il comprenait ma position, qu 'il ne ferait rien pour mettre de l'huile sur
le feu, qu 'il ne pouvait pas sortir dans la rue pour dire qu 'il était
d'accord avec moi mais que je pouvais compter sur lui pour que la rue ne bouge
pas. Et là, il y avait donc un consensus fort et on avançait, et
on sortait de la crise". Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005.
27 "Mobilisation", Le Soleil, 21 novembre 1985.
28 Sammy L. Chaupin, "Deux jours sous le signe de l'eau",
Le Soleil, 14 mai 1984.
29 Djibril Diallo, "Une mobilisation avec des
limites",Jeune Afrique, n° 1226, 4 juillet 1984.
30 Le Soleil, 2 mai 1984.
31 "Le prix du manger sénégalais", Le
Soleil, 19 février 1985.
32 "Priorité emploi : que fait l'Etat ? ", Le
Soleil, 18 juillet 1984.
33 Makhar Diouf, La crise de l'ajustement, pp.66, PoA
45, mars 1992.
La Nouvelle Politique Industrielle (NPI) et la Nouvelle
Politique Agricole (NPA) sont les deux "fleurons" de ce nouvel ajustement. La
propagande étatique présente largement leurs bienfaits
supposés lors de leur mise en application respective en 1984 et 1985.
Concernant l'agriculture, l'Etat cherche par tous les moyens
à limiter le déficit gigantesque de la filière
arachidière, qui se creuse annuellement. Diouf décide avec la NPA
de mettre un terme à la distribution par l'Etat d'engrais et de semences
aux paysans. L'annonce est faite le 4 avril 1985 lors d'un discours
radiotélévisé fêtant le 25ème anniversaire de
l'Indépendance. Cette intervention surprend par son ton très
sévère à l'égard du monde rural, le chef de l'Etat
déclarant ne plus vouloir soutenir aveuglement la filière
arachidiére 34. Les ruraux sont à
présent invités à se débrouiller seuls. Mais sans
moyens financiers et sans réelle formation adaptée, les
agriculteurs voit leur contribution financière multipliée par
quatre. De l'aveu même du Président de la République, la
NPA sera un échec 35.
Pour ce qui est de l'industrie, l'Etat
sénégalais tente d'assouplir avec la NPI son code du travail; de
se débarrasser des entreprises peu rentables, dotés d'effectifs
surabondants ; d'encourager son industrie à l'exportation et de mettre
fin au protectionnisme excessif, en baissant les tarifs douaniers et en
supprimant les restrictions quantitatives 36 . L'Etat, en pleine
"sénégalisation", souhaite en parallèle lancer des
entreprises sénégalaises "concurrentielles" par le biais d'aides
étatiques. Mais le peu de compétitivité de ces
entreprises, le faible soutien des investisseurs privés locaux et des
banques sénégalaises au bord de la banqueroute, la
fiscalité galopante et... le non-respect des engagements de l'Etat ne
favoriseront pas l'émergence d'une véritable industrie
sénégalaise 37.
La NPA et la NPI ne laisseront donc pas un grand souvenir
dans l'histoire économique sénégalaise. Les
décisions gouvernementales, pilotées par les bailleurs de fonds,
sont la plupart du temps trop hâtives et mal adaptées aux
réalités africaines. Le "réaganisme" 38
de Diouf coûte sous son quinquennat des dizaines de milliers
d'emplois. Il naît durant ces années difficiles la nostalgie du
progressisme senghorien, adepte du plein emploi mais aussi du plein
déficit.
Le slogan "mieux d'Etat, moins d'Etat" 39,
qui promeut à partir de 1985 les nouvelles politiques, ne convainc
finalement personne : l'opposition condamne la paupérisation du pays,
une franche du PS critique l'abandon de la politique senghorienne et la
population sénégalaise voit son pouvoir d'achat chuter
vertigineusement 40. Même le FMI et la Banque
mondiale sont sceptiques. Alors que le programme d'ajustement de 1985 devait
permettre au Sénégal "un retour à l'équilibre
des finances publiques et des comptes courants en 1992", on repousse
dès fin 1986 ces objectifs à... 1995 41.
Les bailleurs de fonds affirment que ces difficultés sont
dues en partie à "des éléments
34 "L 'épreuve de responsabilité ", Le
Soleil, 5 avril 1985. En lisant Mar Fall, on constate que les contemporains
sont très surpris par l'attitude dioufiste : "Abdou Diouf n'est pas
content du monde rural, comme l'indique le ton de son discours du 4 avril
dernier, date anniversaire de l'Indépendance sénégalaise
de 1960". Mar Fall, "Cacahuètes connexion", PoA 19,
octobre 1985.
35 Abdou Diouf dit au sujet de la NPA en 1999 : "Nous
avions pensé, à l'époque (...) que c'était la
meilleure manière de mieux motiver les paysans d'autant que nous
étions arrivés à une période où plus
personne ne remboursait les dettes de semences, ni de maté riel
agricole, ni d'engrais malgré tous les efforts du gouvernement. Ce pari
n'a pas été réussi, il faut le dire". "Conférence
de presse du président Abdou Diouf", Parti socialiste
sénégalais, 1999.
36 Gilles Duruflé, Le Sénégal peut-il
sortir de la crise? : douze ans d'ajustement structurel au
Sénégal, pp.123, Paris, Karthala, 1994.
37 Idem.
38 Philippe Gaillard, "Diouf est-il reaganien?, Jeune
Afrique, n° 1268, 24 avril 1985.
39 "Fonction publique : moins et mieux", Le Soleil, 5
novembre 1985.
40 Makhar Diouf, La crise de l'ajustement, pp.76, PoA
45, mars 1992.
41 "Satisfecit mitigé de la Banque mondiale",
Lettre du continent, 7 janvier 1987.
exogènes négatifs non contrôlables"
(la pluviométrie et les cours internationaux des
matières d'exportation notamment). Ils ne dédouanent toutefois
pas le gouvernement de toutes ses responsabilités. Ils lui reprochent le
manque de restructuration du secteur parapublic et son échec quant au
redressement des finances publiques 42.
Outre les charges de la dette extérieure, qui ont
augmenté de 300% entre 1980 et 1985, les finances publiques comprennent
les dépenses de personnel. Or, entre 1981 et 1988, celles-ci
augmentent de 87%.
"L 'explication officielle est que, même avec la
stabilisation des effectifs et des salaires nominaux, la masse salariale
continuera à augmenter à cause des avancements
catégoriels; le phénomène a toutes chances de persister au
cours des prochaines années, compte tenu de la jeunesse de la grande
majorité des agents de l'Etat. Cette explication n'est pas sans
fondement, mais elle reste incomplète (...) En réalité,
jusqu'a l'exercice budgétaire 1987/88, on comptabilisait dans les
dépenses de personnel des rubriques telles que : indemnités de
logement, frais d'hospitalisation, frais de transport des agents de l'Etat
(...) Les dépenses publiques ont aussi augmenté pour d'autres
raisons : le rythme de renouvellement du gouvernement a été trop
rapide (...) un ministre qui quitte le gouvernement continue pendant 6 mois
à bénéficier de son salaire et de son logement de fonction
etc." 43.
On comprend pourquoi le gel du recrutement des fonctionnaires
et les mesures de départs à la retraite anticipés prises
entre 1983 et 1988 n'ont absolument pas réglé la question
épineuse des fonctionnaires, qui représentent 65 000 emplois et
plus de 50% des dépenses de l'Etat sénégalais. Les
désaccords sont si importants entre le Sénégal et le
Club de Paris que ce dernier tente en 1986 d'imposer des conditions
extrêmement dures. Il faut l'intervention de la France, par
l'intermédiaire du Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac,
pour qu'une solution intermédiaire soit trouvée 44.
La France a encore dans les années 1980 une immense
influence au Sénégal. En 1985, l'aide française est
évaluée à 1 milliard 358 millions FF, ce qui
représente un tiers des aides reçues par le Sénégal
cette année-là. La France constitue le premier partenaire
économique et 70 % du secteur privé sénégalais
provient de capitaux français 45. On compte
également un millier de coopérants, 800 enseignants et 200
assistants techniques français, sans oublier les 3 000 militaires
stationnés continuellement sur le sol sénégalais 46
. Le Sénégal bénéficie donc d'un grand
soutien de la France, ceci étant justifié par les liens
historiques entre les deux pays mais aussi par l'excellente image
démocratique dont jouit Dakar à Paris.
Cette réputation offre aussi à Diouf la
possibilité de multiplier les aides multilatérales, venues du FMI
et de la Banque mondiale, de la Banque Africaine de Développement (BAD),
des Etats-Unis d'Amérique ou des principales capitales occidentales
47. Concernant les riches pays arabes, Abdou Diouf met en
avant la dévotion musulmane de son pays, comme il avait pu le faire
à Taïf en 1981, pour obtenir des financements.
42 Makhar Diouf, La crise de l'ajustement, PoA 45, mars
1992.
43 Idem.
44 "Satisfecit mitigé de la Banque mondiale",
Lettre du continent, 7 janvier 1987.
45 Ces rapports très étroits entre la France et
le Sénégal engendrent certains "dérapages", les trafics
d'influence atteignant parfois les plus hautes sphères de l'Etat. Les
rapports franco-sénégalais sont "faits
d'intérêts croisés, d'attachements symboliques et de
relations occultes". Collectif "Survie", "France-Sénégal
: une vitrine craquelée", Paris Montréal, l'Harmattan,
1997.
46 "La visite du Président du Sénégal
à Paris", Le Monde, 26 novembre 1985.
47 A une époque où le communisme est encore
très présent en Afrique, l'aspect géostratégique du
Sénégal est également très important, car bien que
"non-aligné", le pays penche largement en faveur du camp occidental,
comme l'a démontré l'intervention sénégalaise en
Gambie de 1981.
De ce fait, le Sénégal connaît un
traitement de faveur. Il est le pays le plus assisté d'Afrique. Son aide
par tête d'habitant (21 000 FCFA) est deux fois supérieure
à celle de la Côte d'Ivoire - alors que cette dernière est
en grande difficulté économique à partir des années
1980 - et trois fois supérieure à celle du Ghana
48. Pourtant, cette "ultra assistance" n'a pas que des
effets bénéfiques, puisqu'elle contribue à "une
mobilisation des énergies et des ressources humaines pour satisfaire les
donateurs et les bailleurs (...), à acquiescer du bout des lèvres
à des trains de mesures imposés de l'extérieur qui ne
bénéficient pas de l'adhésion nécessaire pour
garantir le succès de leur mise en oeuvre (...) et à
déresponsabiliser les acteurs sociaux" 49. Le
Sénégal continue ainsi à vivre au-dessus de ses moyens,
sans véritablement se soucier du lendemain. En 1987 par exemple, bien
que le pays bénéficie de 40,8% de l'aide publique au
développement de la sous-région ouest-africaine
50, le budget sénégalais connaît un
trou de... 13 milliards FCFA 51.
La situation économique n'est donc pas favorable
à Diouf au cours de son quinquennat. Il compose avec un
mécontentement qui s'amplifie au fil des années, relayé
par une opposition qui peu à peu, se fédère et s'organise.
Abdou Diouf doit également "tenir son parti", qui connaît
après 1983 de fortes dissensions internes. Le secrétaire
général PS tente alors de remettre ses lieutenants au pas lors du
Congrès extraordinaire socialiste de 1984.
3. Un PS remanié, une opposition
retrouvée (1983-1985) :
3.1. Un PS remanié :
Comme l'a vu précédemment, les "barons"
deviennent après les élections de 1983 des cibles
privilégiées. Une violente campagne de presse se développe
à leur encontre. Elle axe ses attaques sur deux thèmes : leur
grande implication dans les fraudes constatées au cours des
dernières élections et le manque d'entrain des compagnons de
Senghor vis-à-vis de la nouvelle politique dioufiste. Ils sont
soupçonnés de faire bande à part et de constituer un grave
danger pour la cohésion du parti. Chaque initiative des "barons",
installés depuis 1983 au bureau de l'Assemblée nationale, est par
conséquent considérée comme un outrage fait au
Président. Ceci est le cas lorsque ceux-ci militent pour la suppression
de l'article 35 face à un gouvernement désireux de substituer le
Premier ministre par le Président de l'Assemblée nationale dans
le rôle du "dauphin constitutionnel". La guerre est définitivement
déclarée entre les "barons" et les "jeunes loups" après le
refus des premiers de maintenir le droit de dissolution au Président de
la République 52.
48 Gilles Duruflé, Le Sénégal peut-il
sortir de la crise? : douze ans d'ajustement structurel au
Sénégal, pp.123, Paris, Karthala, 1994.
49 Idem.
50 "En 1987, la population sénégalaise
représentait 1,5% de la population subsaharienne et attirait 40,8% de
l'ensemble de l'aide publique au développement de la sous-région
". Mouhamet Fall, "La problématique de l'aide budgétaire au
Sénégal".
51 Pour un budget estimé de 345 milliards FCFA.
"Dérapage financier", Lettre du continent, 15 avril 1987.
52 Selon Assane Seck, Abdou Diouf désire supprimer le
droit de motion de censure du Parlement tout en conservant le droit de
dissolution. Il se voit opposer une fin de non-recevoir des "barons". "Nous
proposâmes soit un retour à l'impossibilité de dissolution
qui figurait dans des Constitutions passées, soit en cas de dissolution
le renvoi de tous, Assemblée et Président, devant les
électeurs. La première formule fut adoptée ". Assane
Seck, Sénégal, émergence d'une démocratie moderne
(1945-2005) : un itinéraire politique, Paris, Karthala, 2005.
Abdou Diouf sent alors qu'il est temps d'asseoir son
autorité sur les siens. Avec l'aide de Jean Collin, il organise un
Congrès extraordinaire PS le 21-22 janvier 1984, soit 13 mois
après le dernier. Bien aidé par une intensification de la
campagne de presse contre les "barons" 53, le
secrétaire général PS n'a aucun mal en 1984 à
imposer des hommes qui lui sont dévoués. Il explique qu'il
désire des meilleures relations entre le PS et sa base et qu'il souhaite
écarter les personnes qui bloquent ses projets d'ouverture
54. Il entend abattre le clientélisme politique en
changeant le mode de désignation des responsables, de la base au sommet
du PS.
Ainsi, seul Abdou Diouf, reconduit dans ses fonctions par...
acclamations, a le pouvoir lors de ce Congrès de nommer le bureau
politique du parti, auparavant désigné par le comité
central. Pour faire bonne figure, les principaux visés par Diouf
démissionnent à la fois du bureau politique et de leur poste de
coordinateur régional 55. Cette fonction, qui
assurait le lien entre la base et la cime du parti, est à cette occasion
supprimée, afin d'éviter la constitution de nouveaux fiefs
politiques autonomes mais aussi les jalousies.
Par conséquent, tous les "barons" quittent le bureau
politique - mais reste au comité central - tandis que les dioufistes,
tels que Djibo Kâ, Mamadou Diop, Daouda Sow, Moustapha Niasse,
François Bob, André Sonko, Momar Talla Cissé etc...
s'installent 56. La hiérarchisation au sein du
bureau est supprimée, mais un ordre "protocolaire" est très vite
instauré. Avec sa fonction de secrétaire national chargé
des règlements des conflits, Jean Collin prend de facto les
rênes du bureau politique, qu'il dirige à chaque réunion.
Habib Thiam, secrétaire national chargé de la vie politique, et
Moustapha Niasse, secrétaire national chargé des questions
internationales, sont ses seconds dans cette hiérarchie officieuse .
En outre, le bureau politique - à l'instar du
gouvernement - s'ouvre à la société civile. Doudou Ndoye,
ancien du PDS, devient secrétaire national chargé des questions
administratives et Thierno Bâ, ancien du PAI, est nommé
secrétaire national chargé de la propagande 57.
D'autres représentants de la société civile
intègrent le PS. Les comités de soutien d'Abdou Diouf durant la
campagne présidentielle de 1983, qui se déclaraient jusque
là apolitiques, sont invités à rejoindre le parti
gouvernemental.
Si la COSAPAD accepte, le GRESEN hésite et se
disloque. Des hommes comme Moustapha Kâ - à l'époque
directeur de cabinet du Président Diouf - intègre officiellement
le PS et son centre de réflexion nouvellement crée, le Groupe
d'Etude et de Recherche (GER), qui a pour but "d'ouvrir et apporter une
contribution à la réflexion pour un PS meilleur et au service des
préoccupations des populations". Iba der Thiam néglige quant
à lui cette proposition d'intégration et tente, tant bien que
mal, d'assurer la pérennité du GRESEN. Il faut attendre le
53 "Une campagne systématique était
orchestrée, de rumeurs calomnieuses, non fondées, même sur
des semblants de preuves concrètes, contre ces "barons" en chute libre,
parmi lesquels étaient fréquemment cités des noms de
personnalités comme Amadou Cissé Dia, Maguette Lô, Alioune
Badara Mbengue, André Guillabert, Assane Seck etc." Assane Seck,
Sénégal, émergence d'une démocratie moderne
(1945-2005) : un itinéraire politique, Paris, Karthala, 2005.
54 Pierre Biarnès, "le Président Abdou
Diouf entend rénover et démocratiser la formation
gouvernementale", Le Monde, 21 janvier 1984.
55 Un des "barons", Magatte Lô, déclare
après cette décision : "Les anciens se retirent, puisque le
congrès est d'accord pour le rajeunissement du parti". Sennen
Andriamirado, "Les barrons, c 'est fini? ", Jeune Afrique, n°
1204, 1er février 1984. Puis, "conséquence logique du
congrès extraordinaire, les "barons" eux-mêmes votè rent
leur sortie du bureau de l'Assemblée nationale". Assane Seck,
Sénégal, émergence d'une démocratie moderne
(1945-2005) : un itinéraire politique, Paris, Karthala, 2005.
56 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ?
Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut
d'études politiques de Paris, 1996 et François Zuccarelli, La
vie politique sénégalaise (1940-1988), pp.1 70, Paris,
Publication du Cheam, 1988.
57 Sennen Andriamirado, "Les barrons, c 'est fini ? ",
Jeune Afrique, n° 1204, 1 er février 1984.
13 juillet 1985 pour que le comité de soutien
"apolitique" retrouve un semblant de vie 58 . Il fustige à
cette occasion ceux qui se sont servis du GRESEN comme tremplin pour aboutir au
GER 59. .Le ministre de l'Education Nationale maintient
donc sa différence, en se démarquant du PS et de son très
influent secrétaire national chargé des règlements des
conflits, Jean Collin.
La prédominance de Jean Collin est de plus en plus
palpable après 1983. Il détient à présent les
clés du parti et se pose en arbitre incontournable, aussi bien au PS
qu'au sein du gouvernement. Il est devenu un "censeur tout puissant"
60 . Cette omnipotence agace certains fidèles de Diouf,
en particulier Habib Thiam. Les conflits entre les deux hommes, bien
antérieurs à l'ascension de Diouf à la présidence,
se multiplient lorsque l'ancien Premier ministre est "muté" à
l'Assemblée nationale. Très rapidement, Thiam constate avec
amertume que les manigances de Collin à son encontre sont
tolérées par le chef de l'Etat. Alors qu'il est dans les textes
le deuxième personnage du Sénégal, Habib Thiam n'est par
exemple pas consulté lors de la composition du bureau de
l'Assemblée nationale 61.
Tout comme les "barons", Thiam proteste contre la
dérive présidentialiste du régime. Il refuse de ce fait
à faire voter la loi autorisant la dissolution de la Chambre par le
Président sans contrepartie 62 . De plus, l'attitude
singulière de l'ancien Premier ministre dérange. Il s'autorise
à descendre de son "perchoir" pour participer aux débats
parlementaires, à donner son avis sur les lois votées, allant
parfois jusqu'à les critiquer. Jean Collin, adepte des hommes politiques
disciplinés, veut mettre fin à ces "provocations". Par
l'intermédiaire d'Ibrahima Wone, ministre de l'Intérieur, tous
les députés socialistes sont "conviés" à voter une
loi portant sur la réduction du mandat du président de
l'Assemblée nationale de cinq à un an. Prenant exemple sur... le
Cameroun, les députés justifient cette loi en affirmant vouloir
uniformiser les mandats - les membres du bureau du Parlement étant
élus pour une durée d'un an - et éviter "d'être
désarmé face au président de l'Assemblée nationale,
au cas où les intérêts de la majorité seraient
menacés" 63.
La loi, est votée le 15 mars 1984 107
députés sur 114 présents. Le PDS vote contre, estimant
qu'il s'agit là "d'un règlement de compte entre clans du
parti au pouvoir". Habib Thiam, "tout simplement
dégoûté" 64 , démissionne le 11
avril 1984 avec fracas de ses fonctions de président de
l'Assemblée nationale, député, secrétaire
général de la coordination départemental de Dagana,
secrétaire général adjoint de l'union régionale de
la région du Fleuve, membre du bureau politique PS ainsi que du conseil
national. En dépit du silence officiel de son ami, Habib Thiam ne quitte
pas le PS à la demande d'Abdou Diouf. Il est remplacé à la
tête du Parlement par Daouda Sow, et quitte le milieu politique, le chef
de l'Etat l'ayant nommé à la présidence du conseil
d'administration de la Banque Internationale pour le
58 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
59 Moustapha Mbodj, "GRESEN : nouveau départ",
Le Soleil, 15 juillet 1985.
60 Sennen Andriamirado, "Les barrons, c 'est fini? ",
Jeune Afrique, n° 1204, 1er février 1984.
61 "Ce n 'était pas tant les changements
intervenus qui me choquaient que la procédure suivie et ce que je
supposais avoir été le rôle de Jean Collin (...) la
manière ressemblait trop à la façon dont le
condamné à mort était, brusquement au petit matin,
réveillé et conduit, dans l'air glacial de l'aube, à
l'échafaud". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.
64, Paris, Rocher, 2001.
62 Habib Thiam s'autorise dans ses mémoires cette
réflexion :"N'y avait-il pas une dérive du pouvoir
vers l'autoritarisme, vers le pouvoir personnel ? ". Habib Thiam, Par
devoir et amitié, Paris, Rocher, 2001.
63 "Démission du Président de
l'Assemblée nationale", Le Monde, 13 avril 1984.
64 Thiam écrit dans ses mémoires :
"j'étais tout simplement dégoûté". Habib
Thiam, Par devoir et amitié, pp. 81, Paris, Rocher, 2001.
Commerce et l'Industrie du Sénégal. Le
Président de la République n'a donc hésité pas
à sacrifier son ami Habib Thiam - qu'il avait nommé à la
surprise générale à la Primature contre l'accord de
Senghor - en faveur de Jean Collin. Ce fait souligne toute l'influence qu'a le
"toubab" 65 sur Diouf au cours des années 1980.
Celle-ci semble également jouer un rôle lors du
renvoi de Moustapha Niasse en octobre 1984. Ministre influent du gouvernement
Diouf - il est le seul ministre d'Etat avec Jean Collin - Moustapha Niasse
commet l'erreur le 19 septembre 1984, en plein bureau politique PS,
d'envoyer... un coup de poing à son collègue Djibo Kâ. Les
deux hommes se connaissent pourtant bien, puisque l'un (Niasse) a formé
l'autre (Kâ) au secrétariat de la présidence de la
République dans les années 1970, avant d'oeuvrer ensemble pour
porter Abdou Diouf au pouvoir. Cette dissension ne parait donc pas
irréversible, mais très rapidement, l'affaire s'ébruite
dans la presse internationale 66 . On peut lire dans
différents journaux que Niasse est un senghoriste convaincu, peu enclin
à travailler avec le dioufiste Djibo Kâ. Le 10 octobre 1984, sans
aucune explication, Le soleil annonce le départ de Moustapha
Niasse, remplacé aux Affaires Etrangères par Ibrahima Fall
67 . L'opacité entourant cet événement
paraît être frappé du sceaux de Jean Collin.
Abdou Diouf s'est de ce fait coupé durant
l'année 1984, plus ou moins volontairement, d'une partie du PS. Sa
gestion interne du parti, ainsi que sa politique économique, lui sont
reprochées. Des tracts, publiés entre 1985 et 1988, sous le nom
de "Parti socialiste authentique", interpellent Diouf sur sa conduite des
affaires. Il s'emploie alors à rappeler son attachement au "socialisme
démocratique", concept qu'il définit par cette simple phrase :
"Avoir le sens de l'Etat, c'est aussi avoir le sens des limites de son
intervention" 68.
Par conséquent, c'est à partir de 1984 qu'Abdou
Diouf connaît des difficultés récurrentes quant au
contrôle du PS 69. C'est pourquoi il
délègue la gestion interne du parti à Jean Collin, dont
l'autorité et le charisme limitent bien souvent les revendications des
détracteurs internes. Le secrétaire national chargé des
règlements des conflits peut donc faire et défaire les
carrières politiques à sa guise, avec la
bénédiction du secrétaire général PS.
Alors que le PS est en proie à des luttes
intérieures, l'opposition demeure quant à elle
désordonnée suite à sa déroute électorale.
Si le PDS capitalise une partie du mécontentement populaire en jouant sa
propre carte, le RND se scinde et perd le crédit qu'il avait
capitalisé durant ses années de clandestinité, tandis
qu'une constellation de partis d'extrême gauche, réunie sous la
bannière du Suxxali Rewni (sauver le peuple en wolof), tente
vainement d'exister sous l'autorité de Mamadou Dia.
65 "L 'homme blanc" en wolof.
66 Sennen Andriamirado, "Diouf se fâche", Jeune
Afrique, n° 1242, 24 octobre 1984.
67 "Moustapha Niasse quitte le gouvernement", Le Soleil,
10 octobre 1984.
68 "L 'ancrage socialiste intangible", Le Soleil, 8 mai
1985.
69 Abdou Diouf soutient néanmoins dans son
intervention radiophonique de 2005 que les premières contestations sont
apparues dès sa prise de fonction. "J'avais l'habitude de dire qu
'il mettait plus facile de gouverner l'Etat que de diriger mon parti". Abdou
Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny, Emission livre d'or, RFI,
2005.
3.2. Une opposition désordonnée :
L'opposition adopte suite à l'élection d'Abdou
Diouf une position cohérente. Elle crée un "front du refus" en
mars 1983, articulé autour du PDS et du RND. Il a pour principale
revendication l'annulation des élections et l'organisation d'un nouveau
scrutin transparent. Pour manifester leur opposition au régime
dioufiste, les partis élus place Tascher annoncent leur intention de ne
pas siéger au Parlement. Cependant, le front se fissure en juillet 1983,
lorsque Abdou Diouf annonce sa disposition à recevoir les chefs de
l'opposition pour trouver un dénouement à cette crise. Si Cheikh
Anta Diop refuse de négocier, Abdoulaye Wade, après une entrevue
avec le chef de l'Etat, accepte que le PDS revienne siéger à
l'Assemblée nationale 70. Ce retour offre à
Diouf une accalmie politique, puisque Me Wade cesse alors sa campagne
"d'information" sur le véritable état de la démocratie
sénégalaise dans les médias étrangers.
Une fois de retour dans l'hémicycle, le PDS maintient
une certaine pression sur le PS et Diouf. A plusieurs reprises, Wade
dénonce les discriminations que subissent les électeurs PDS
71 et les nouvelles politiques dioufistes. Ces prises de position,
toujours a contre-courant de la politique socialiste, engendrent les diatribes
du journal gouvernemental Le soleil 72.
Le secrétaire général du PDS manie
également avec un certain succès l'exil politique volontaire.
Cette attitude consiste à se retirer, après une crise politique
majeure, de la scène politique sénégalaise pendant un
lapse de temps plus ou moins long. Il prive ainsi Abdou Diouf de son principal
interlocuteur et fait de chaque retour un événement politique
majeur. C'est ce qu'il fait en 1984, en stationnant plusieurs mois en France.
La fin de cette période d'abstinence politique est marquée par un
long entretien accordé à Jeune Afrique. Wade qualifie
à cette occasion Abdou Diouf "de dictateur, en particulier depuis
qu'il a supprimé le poste de Premier ministre" 73,
mais chose nouvelle, ses propos les plus acerbes sont
réservés à Jean Collin 74. Face
à ce duo "dictatorial", Wade se pose en candidat du peuple : "je ne
les (les populations) inciterai pas à l'émeute, mais je ne les
freinerai pas non plus ".
Il mène après cette interview de
nombreuses actions populistes, qui renforcent son aura parmi les couches les
plus défavorisées. Il demande en mai 1985 à tous ses
partisans de cesser le travail le mardi, jour de réunion du conseil des
ministres, "pour aller à la mosquée et demander à Dieu
de mettre un terme à l'actuel pouvoir" 75. Si
dans un premier temps, la propagande socialiste répond mollement aux
provocations wadistes - la formule "tout ce qui excessif est insignifiant"
76 est utilisée presque quotidiennement par Le
Soleil - les dirigeants socialistes se résolvent ensuite à
réagir plus fermement aux déclarations de "l'oublié
des Sénégalais ". Le Soleil fustige alors "le farceur du
changement" qui crée selon le journal un désordre
intentionnel qui va à l'encontre de l'ordre et de la paix sociale. Abdou
Diouf, jusque là magnanime avec les opposants, change lui aussi de ton
:
70 Voir Le Soleil du 25, 26 juillet et 4 et 7
août 1983.
71 Il affirme en août 1983 que les agriculteurs votant
pour le PDS ne reçoivent pas correctement leurs engrais et leurs
semences. "Wade s'explique", Le Soleil, 4 août 1983.
72 "Le riz du PDS : une escroquerie politique", Le
Soleil, 30 septembre 1983.
73 Mohamed Selhami, "Me Wade rompt le silence", Jeune
Afrique, n° 1233, 22 août 1984.
74 "Il se comporte en super Premier ministre. Ses
attributions empiètent sur tous les ministres. Non seulement, il est le
chef de la sécurité, mais sa qualité de secrétaire
général du bureau politique du PS chargé des conflits le
place au-dessus de tout le monde. Sachez-le, les fonds du Sénégal
ne sont pas gérés par le ministre des Finances mais par Jean
Collin, et ce, par décret présidentiel". Mohamed Selhami,
"Me Wade rompt le silence", Jeune Afrique, n° 1233, 22 août 1984.
75 Abdelaziz Dahmani, "Comment sortir de la crise ? ",
Jeune Afrique, n° 1275, 12 juin 1985.
76 Djibo Kâ, "Tout ce qui est excessif est
insignifiant", Le Soleil, 24 avril 1985.
"Comme si le pouvoir divin n 'était pas en mesure
d'identifier lui-même les fossoyeurs de la nation et distinguer le grain
de l'ivraie... il faut être deux pour réaliser un minimum de
consensus. Le PS se battra désormais contre l'agitation, le
spectaculaire et le mensonge (...) ils (les opposants) ne sauraient franchir un
certain seuil sans
appeler de sa part une réaction ferme (...) ce
n'est pas une menace, mais une mise en garde" 77.
Le Président de la République n'a cependant pas
à se soucier d'une quelconque action subversive du RND. Le parti de
Cheikh Anta Diop connaît après son score très
décevant des législatives d'importants remous internes. Cette
situation s'explique par les conditions de création de la formation
nationaliste dans les années 1960. Au cours d'une époque
marquée par le démantèlement de tous les partis
opposés à Léopold Sédar Senghor, Anta Diop,
égyptologue dont la réputation est grandissante dans les milieux
intellectuels panafricains, lie dans un même rassemblement clandestin les
membres issus de son engagement nationaliste et des marxistes provenant du PAI.
Dès son origine, l'organisation politique de Cheikh Anta Diop
s'apparente plus à un rassemblement politique, militant pour une
démocratisation du régime senghorien, qu'à un parti
fondé sur une idéologie cernée et cohérente
78.
Le RND s'appuie de très nombreuses années sur
son opposition au régime de Senghor pour maintenir sa cohésion.
On parle alors "d'ivresse militante ". Mais le départ du
"Père de la Nation", conjugué à l'abolition du
quadripartisme, met à mal la "cohabitation" entre les nationalistes et
les marxistes. Les divergences d'opinion éclatent au grand jour
après le soutien officiel de Cheikh Anta Diop au candidat Abdou Diouf.
"Le parti martyr" des années Senghor s'est mué en un parti de
collaboration. Le faible score obtenu par la liste RND aux législatives
(29 271 voix) et les fraudes généralisées
constatées convainquent les "marxistes" que Cheikh Anta Diop a fait le
mauvais choix. Le divorce est inévitable.
En juin 1983, 10 membres du bureau politique du RND,
considérés comme faisant parti de l'aile marxiste, quittent le
rassemblement pour former le Parti pour la Libération du Peuple (PLP).
Son secrétaire général, Babacar Niang, égratigne
quelque peu Anta Diop à l'occasion de sa première
conférence de presse, en déclarant avoir crée "un
parti sain avec des hommes sains, décidés à lutter pour un
Sénégal nouveau, réellement indépendant,
démocratique, non aligné et prospère ". Pour lui, le
RND ne représente "plus un cadre de lutte valable"
79.
Babacar Niang n'oublie cependant pas l'essentiel, puisque
profitant du refus de Cheikh Anta Diop de siéger à
l'Assemblée nationale, il s'installe au Parlement en tant que...
numéro deux de la liste nationale du RND. L'égyptologue ne
s'oppose pas à cette initiative, et délaisse peu à peu la
vie politique, déçu par les "procédés
électoraux" qu'il a observé en 1983. Pour preuve de son
désintéressement, lors de son dernier entretien accordé au
journal Le soleil, publié le 9 et le 10 mars 1985, il ne fait
aucune référence à son action politique passée
80 . A sa mort, le 7 février 1986, Cheikh Anta Diop laisse un
RND cliniquement mort.
La situation est aussi très pénible pour les
partis à consonance marxiste. La LD/MPT change de secrétaire
général, Abdoulaye Bathily remplaçant Babacar Sané,
tandis que les autres partis d'extrême gauche tentent timidement de
former en août 1983 une nouvelle alliance, Suxxali Rewni (Sauver
le pays). Ce front anti-impérialiste regroupe la Ligue Communiste
Révolutionnaire, le MDP, le PAI et le PPS. La présidence est
assurée par le seul Mamadou Dia, alors que la LD/MPT avait fixé
comme condition d'entrée une présidence tournante 81.
Cet effort louable d'unité est très vite condamné à
l'insuccès, suite au refus du PIT mais surtout du PDS d'intégrer
ce cadre de lutte.
77 "Les mises en garde du chef de l'Etat : l'agitation ne
passera pas", Le Soleil, 13 mai 1985.
78 Babacar Sine, "Ou va le RND ? Ou la dialectique d'un
parcours" Le Soleil, 14 juin 1983.
79 "Des dissidents du RND veulent créer le 15eme
parti", Le Soleil, 21 juin 1983.
80 "Entretien avec le Pr Cheikh Anta Diop", Le Soleil,
9-10 mars 1985.
81 Chérif Elvalide Seye, "Une unité
improbable", Le Soleil, 10 août 1983.
Nonobstant cet échec, la majeure partie de
l'opposition décide après concertation de ne pas participer aux
élections municipales et communales de 1984, le PS ayant refusé
de modifier le code électoral. Seuls le PIT, le PLP et la LD/MPT
prennent part aux consultations dans certaines communes aux cotés de la
formation gouvernementale.
3.3. Les élections municipales et communales de
1984 :
La précampagne est marquée par des
réformes administratives importantes. Le Sénégal a
dorénavant dix régions (124)- contre huit auparavant - une
Casamance divisée en deux (Ziguinchor et Kolda), 31 départements,
90 arrondissements, 37 communes et 319 communautés rurales. La
région du Cap Vert, renommée Dakar, est aussi profondément
modifiée, étant à présent éclatée en
trois communes : Dakar, Pikine et Rufisque-Bargny, auxquelles il faut rajouter
deux communautés rurales, Sébikhotane et Sangalkam 82
. Cette réforme répond à l'accroissement de
l'agglomération dakaroise, causé par l'exode rural.
Pour ces élections, le PS se retrouve seul en lice
dans 26 communes, 16 départements et 285 communes. Le ministre de
l'Intérieur, certainement avec une pointe de cynisme, affirme pourtant
que "rien n'est joué d'avance" 83 . Les autres
partis, par manque de moyens mais aussi de candidats, sont beaucoup moins
représentés. La LD/MPT et le PLS sont présents dans 4
communes et 22 communautés rurales alors que le PIT privilégie
les grandes localités, en s'alignant dans 2 communes et 12
communautés rurales.
De ce fait, seules 3 communes sont prisées par les 4
partis en compétition : Dakar, Pikine et Saint-Louis. Rufisque a droit
à trois partis (PS, PIT et LD/MPT), tout comme Thiès (PS, PIT et
LD MPT). Le choix des petits partis s'oriente donc vers les villes ayant un
poids historique et/ou démographique important. La campagne
électorale est quant à elle limitée à 15 jours, la
propagande étant assurée par des meetings ou des
affiches. La persuasion électorale via la télévision ou la
radio est quant à elle catégoriquement... prohibée. Ces
interdictions sont gênantes car les petits partis, sans réels
moyens financiers, s'appuient le plus souvent sur la
radiotélédiffusion pour faire passer leurs messages auprès
des électeurs.
Les objectifs diffèrent selon les partis. Pour le PS,
la victoire étant quasiment partout acquise avant même le coup
d'envoi de la campagne, les luttes électorales ont commencé
durant le renouvellement des instances de base du PS. Chacun voulant s'assurer
une place dans le futur conseil municipal, on assiste parfois à des
luttes sanglantes 84.
Pour les autres partis, il s'agit surtout, comme le souligne
Abdoulaye Bathily (LD/MPT), "de contester au PS le monopole du discours
électoral" 85 . Il est vrai qu'ils profitent d'une
couverture médiatique assurée par Le Soleil
incomparablement supérieure à celle qu'ils connaissent
habituellement. Ils peuvent donc pendant ces 15 jours de campagne exposer leurs
idées mais surtout critiquer largement la politique menée par le
parti au pouvoir. Le PLP stigmatise ainsi le code électoral en vigueur
dans les colonnes du journal gouvernemental et souligne "les graves risques
qui pèsent sur les institutions et sur l'embryon de démocratie
qui
82 "La campagne est ouverte", Le Soleil, 1er novembre
1984.
83 Idem.
84 Entre le 15 septembre et le 6 octobre 1984, période
de renouvellement des instances de base du PS, on dénombre deux morts,
à Kaffrine et à Bignona. François Zuccarelli, La vie
politique sénégalaise (1940-1988), pp.171, Paris,
Publication du Cheam, 1988.
85 "La LD/MPT en lice", Le Soleil, 21 octobre 1984.
existe" 86 . Les trois partis
d'opposition se plaignent également des coûts de
l'élection, du nonremboursement de l'impression des bulletins de vote -
au frais des partis engagés - du changement des cartes
électorales de 1983 annoncé au dernier moment et de
l'impossibilité pour eux d'avoir accès aux médias d'Etat.
Ces multiples contraintes aboutissent au retrait du PIT dans certaines villes
87.
Les questions généralement soulevées par
l'opposition sont le plus souvent d'ordre national et non local. Lorsqu'ils se
rendent dans les communes, les petits partis promettent aux électeurs de
"rendre aux villes leur dignité et leur splendeur d'antan"
88, sans jamais proposer des programmes clairement
définis. Ce flou politique profite aux dirigeants socialistes. Sereins,
ils se permettent de déclarer à Kébémer, commune
où ils sont les seuls en liste : "camarades, la victoire serait
acquise même s'il n'y avait pas de meeting" 89.
Cette décontraction n'atteint pas Babacar Niang qui affirme :
"si tout se déroule normalement (...) nous pouvons l'emporter
quelque part".
En dépit de cette déclaration, le PS l'emporte
dans toutes les communautés 90,contrairement à 1978.
La participation est faible : elle se situe en dessous des 50%. Seules les
villes de Saint-Louis et Kaolack réussissent à avoir une forte
participation, entre 55 et 70%. Le PS recueille 97,77 % des voix, le PLP 1,40
%, la LD/MPT 0,80% et le PIT... 0,02%. Le PS est aussi très largement
devant si on ne prend en compte que les résultats communaux. Le PS
dispose alors de 95,39 % des voix, le PIT 4,36 %, le PLP 3,15% et la LD/MPT
2,89 %.
Ces scores, en plus de nuire à l'image
démocratique du pays 91 , ne révèlent pas grand
chose, excepté que sans l'indispensable PDS, le PS n'a pas d'adversaire
à sa mesure. Paradoxalement, ces résultats ne sont donc
bénéfiques qu'à un parti absent du scrutin. A partir de
fin 1984, il devient évident pour l'opposition que la présence
d'Abdoulaye Wade est requise pour assurer le succès d'une alliance
politique. C'est dans ces conditions que née l'ADS dans les premiers
mois de l'année 1985.
3.4. L'ADS :
L'Alliance Démocratique Sénégalaise
(ADS) se forme dans le courant du mois de juillet 1985. Elle se compose de huit
partis, mais s'articule autour du trio PDS - And Jëf - LD/MPT. Lors de sa
première conférence de presse, Abdoulaye Bathily la
présente en quelques mots.
"L'ADS est une alliance dont le degré et la forme
d'organisation paritaire respectent l'égalité de toutes ses
composantes autant que leur identité et choix politique respectif"
92.
En définissant l'ADS de la sorte, le leader de la
LD/MPT clôt la polémique naissante sur l'association contre nature
du parti libéral PDS avec des formations d'extrême gauche.
L'absence d'une prédominance partisane est également vivement
soulignée, même si la très nette influence du parti de Wade
est indéniable. On se souvient que c'est l'absence d'une
présidence tournante au sein des coalitions formées par Mamadou
Dia qui avait déplu à des
86 "Quatre partis à Kaolack" Le Soleil, 25
octobre 1984.
87 "Le PIT se retire des municipales", Le Soleil, 16
novembre 1984.
88 Ibrahima N'diaye, "Rendre à la ville sa
dignité", Le Soleil, 21 novembre 1984.
89 Babacar Dieng, "Même sans campagne
électorale", Le Soleil, 20 novembre 1984.
90 "Raz de marée socialiste", Le Soleil, 27
novembre 1984.
91 Sophie Bessis, "Trois défis pour Diouf", Jeune
Afrique, n° 1254, 16 janvier 1985.
92 "Cinq partis d'opposition forment l'Alliance
démocratique sénégalaise ", Le Soleil, 26 juillet
1985.
partis tels que le PDS ou la LD/MPT. Me Wade, Bathily mais
aussi Landing Savané, jeune leader de la formation marxiste And
Jëf, ont dorénavant un cadre pour mener des actions contre le
gouvernement d'Abdou Diouf.
Ils s'approprient alors un thème largement
employé par Abdou Diouf, récemment élu à la
tête de l'OUA : la lutte contre l'apartheid. Une marche est
organisée à ce sujet le 22 août 1985. Les opposants
prévoient à la fin de cette journée de remettre au chef de
l'Etat une motion pour protester contre le régime sud-africain
93.Abdou Diouf, qui reçoit le même jour le
Maréchal Mobutu, juge inopportune cette marche. La manifestation est de
ce fait interdite, par décret du gouverneur de Dakar. Abdoulaye Wade
prend acte de cette décision et tient à la place une
conférence de presse.
Toutefois, quelques opposants outrepassent l'interdiction.
Ils effectuent la marche et distribuent des tracts critiquant... à la
fois Diouf et le régime politique zaïrois. Le Soleil ne se
prive pas le lendemain pour vilipender l'initiative de l'ADS. On peut lire dans
les colonnes du journal que le but noble de cette marche n'était en fait
qu'un acte de diversion pour mettre à mal le Président Diouf sous
les yeux d'un homologue africain 94. Les médias
d'Etat jouent ainsi sur la confusion de la situation pour muer une
manifestation d'une cinquantaine de personnes en un rassemblement pro-PDS avec
à sa tête Abdoulaye Wade.
L'action policière et judiciaire emboîte le pas.
Le 26 août 1985, une vingtaine de personnes, dont Abdoulaye Wade, sont
arrêtés pour "trouble en flagrant délit sur la voie
publique" 95. Pour la première fois depuis la prise de
fonction d'Abdou Diouf, des hommes politiques sont emprisonnés, ce qui
confirme le raidissement du pouvoir à l'égard de l'opposition
constaté depuis mai 1985 96 . "L'embastillement" de Wade dure
une semaine. Il est suivi d'une deuxième vague d'arrestation, suite
à une manifestation pour... la libération de Wade. On compte
parmi les nouveaux locataires de la prison de Rebeuss Doudou Ndoye,
numéro deux du PDS, et Abdoulaye Bathily.
Pour son procès, Abdoulaye Wade fait appel à ses
relations françaises. Le RPR lui fournit ainsi des avocats
français pour assurer sa défense. Grâce à ces
soutiens, Wade met très vite en évidence les faiblesses du
dossier. Le PS n'a pour seul argument... "qu'Abdou Diouf n'a de
leçon à recevoir de personne concernant la lutte anti-apartheid"
97, tandis que le commissaire de police qui a
rédigé le procès verbal de Wade reconnaît au cours
de son intervention à la barre... que le secrétaire
général du PDS n'a jamais été présent sur
les lieux du "délit". Dès le 30 août 1985, le verdict du
tribunal innocente tous les prévenus. Il conclut qu'il n'y a jamais
eu... une quelconque manifestation de l'ADS 98.
Cette décision grandit la justice
sénégalaise, Elle démontre à cette occasion une
certaine indépendance. Le jugement bénéficie surtout
à l'ADS, qui a réussi, sans véritablement s'employer,
à montrer aux yeux du monde entier le raidissent du régime
dioufiste. L'ADS se
93 "Me Wade arrêté", Le Soleil, 27
août 1985.
94 Idem.
95 "Le trouble en flagrant délit sur la voie publique
", article 97 du Code pénal sénégalais, est le seul
moyen de passer outre l'immunité parlementaire. "Me Wade
arreté", Le Soleil, 27 août 1985.
96 "Le PS se battra désormais contre l'agitation,
le spectaculaire et le mensonge (...) ils (les opposants) ne sauraient franchir
un certain seuil sans appeler de sa part une réaction ferme (...) ce n
'est pas une menace, mais une mise en garde" (113). "Les mises en
garde du chef de l'Etat : l'agitation ne passera pas", Le Soleil, 13 mai
1985.
97 Elisabeth Nicolini, "Un grand procès pour pas
grand chose",Jeune Afrique, n° 1288, 11 septembre 1985.
98 "Tous relaxés", Le Soleil, 1er septembre
1985.
sent donc "pousser des ailes" et propose au cours d'une
conférence de presse la formation d'une alliance avec le Suxxali
Rewni, le PLP et le PIT car "la dynamique unitaire de l'opposition est
devenue aujourd'hui une donnée irréversible de la vie politique
sénégalaise"99. Abdoulaye Wade annonce
alors "son divorce total avec le PS" et rend par la même
occasion sa carte de député.
Cette période d'emprisonnement a donc tissé des
liens entre les différents membres de l'opposition. En outre, les
opposants ont pu au cours de leur passage à Rebeuss nouer des liens
directs avec les séparatistes casamançais et notamment
l'abbé Diamacoune, condamné à cinq ans de prison lors de
son procès en décembre 1983 100.
En dépit d'une accalmie des violences dans la
région casamançaise à la fin de l'année 1985, l'ADS
demande... une libération immédiate des tous les détenus
casamancais. Les revendications gênantes de l'ADS poussent le PS à
faire dissoudre la coalition.
L'espace de quelques mois, l'opposition a goûté
aux avantages certains de l'unité. Quelques tentatives sont alors mises
en oeuvre pour conserver une certaine cohésion. L'opposition organise en
mars 1986 une table ronde sur "les libertés publiques au
Sénégal", abordant à cette occasion les tares du code
électoral sénégalais. Néanmoins, l'absence d'enjeux
électoraux proches dilue l'esprit unitaire et combatif des opposants.
Cette passivité relative contribue à l'instauration d'une
trêve politique.
4. Une trêve politique (1985-1986) :
La trêve politique sénégalaise s'engage
lorsque Abdou Diouf, chef de l'Etat et du gouvernement, est élu à
l'unanimité par les chefs d'Etat africain le 18 juillet 1985 à
AddisAbeba, président de l'Organisation de l'Unité Africaine
(OUA). Cette élévation au rang de "Président de
l'Afrique"101 n'est pas le fruit du hasard.
Tout comme Senghor en son temps, Diouf est un fervent
militant de l'unité africaine. Lorsque l'OUA est au bord de l'implosion
en 1983 - l'organisation est divisée entre les pro et les antisahraouis
- Abdou Diouf fait figure de modéré. Il révèle lors
de cette crise, en plus de ses talents de négociateurs, un réel
attachement à l'OUA. Leader du groupe des
"modérés", le Président sénégalais arrive en
1983 - en proposant un calendrier sur l'autodétermination des Sahraouis
- a débloqué une situation figée depuis 1978. A son retour
du sommet, la propagande gouvernementale insiste sur le fait que "Abdou
Diouf a été la véritable cheville ouvrière d'une
rencontre historique sanctionnée par un éclatant succès
".
Cette élection à la tête de l'OUA
à l'unanimité parait donc être une sorte de remerciement
pour le travail accompli autrefois par le Président Diouf. Il est
également choisi pour "son pragmatisme et sa modération,
ainsi que son esprit de conciliation" 102 . Il appelle dès sa prise
de fonction à une nouvelle stratégie pour isoler l'Afrique du
Sud, dont les émeutes raciales récurrentes émeuvent le
monde entier. Il apporte aussi son soutien aux peuples palestiniens - le
Sénégal n'a plus de relations diplomatiques avec Israël
depuis la guerre du Kippour - et désire impliquer l'OUA dans la crise
tchadienne.
99 "L 'ADS fait le bilan ", Le Soleil, 8 septembre
1985.
100 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.217, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
101 "Abdou Diouf à la tête de l'OUA : le
Président de l'Afrique", Le Soleil, 19 juillet 1985.
102 "Abdou Diouf à la tête de l'OUA : le
Président de l'Afrique", Le Soleil, 19 juillet 1985.
Encouragé par la position française, qui a
été l'un des premiers pays à avoir
décrété un embargo commercial vis-à-vis de
l'Afrique du Sud, Abdou Diouf axe très largement sa présidence de
l'OUA sur le problème de l'apartheid. Il invite dès sa
prise de fonction les pays occidentaux à prendre des sanctions
économiques et commerciales à l'égard de l'Afrique du Sud
, "seules capables de ramener les tenants de l'apartheid à la
raison" 103 . Abdou Diouf mène aussi des actions symboliques au
Sénégal en changeant les noms de l'avenue Courbert et de la place
Tascher (lieu où siège l'Assemblée nationale), qui
deviennent respectivement l'avenue Nelson Mandela et la place Soweto.
Autre fait marquant : Abdou Diouf s'engage dans une
tournée des pays frontaliers de l'Afrique du Sud. Il se rend au
début du mois d'octobre 1985 en Zambie, au Zimbabwe, au Botswana, au
Lesotho, au Swaziland, au Mozambique, en Angola et en Tanzanie. Dans les
discours qu'il prononce, il fait à de multiples reprises le
parallèle entre l'apartheid et le nazisme et adresse au Président
sud-africain Pieter Botha quatre exigences : la fin de l'apartheid, la
libéralisation de Mandela, la reconnaissance des partis politiques tels
que l'ANC et la levée de l'état d'urgence 104 . Sa tournée
africaine est l'occasion pour Diouf de rencontrer des membres de l'ANC et la
SWAPO (parti indépendantiste namibien) et de survoler Johannesburg le 5
octobre 1985 en se rendant dans l'enclave du Lesotho. La photo d'Abdou Diouf
regardant par un hublot le township de Soweto restera d'ailleurs le
symbole de cette grande tournée à travers "les pays du front".
La deuxième partie de son mandat à la
tête de l'OUA est beaucoup moins engagée. Après avoir
laissé "les clefs de l'Etat" à Jean Collin, Abdou Diouf reprend
les rênes du pays, comme l'atteste l'important remaniement
ministériel de janvier 1986 qui touche un tiers des ministres. On
assiste à l'arrivée de Mantoulaye Guene au Développement
Social, Seydou Madani Sy à la Justice, Famara Ibrahima Sagna au
Développement Rural et de Makhily Gassana à la Culture. Du
coté des départs, on note celui de Doudou Ndoye, Maïmouna
Kane, Bator Diop, Hamidou Sakho, Abdel Kader Fall et de Moussa Daffé. Le
gouvernement de 1986 passe de 28 à 25 membres 105.
L'OUA est laissée définitivement de coté quand Abdou
Diouf annonce en février 1986 qu'il ne briguera pas un deuxième
mandat. Le chef de l'Etat sénégalais clôt, en quittant
cette présidence, "l'age d'or de la diplomatie
sénégalaise" 106.
Outre la présidence de l'OUA, la période
1985-1986 est marquée par les difficultés internes du PDS,
à la grande satisfaction des médias d'Etat 107.
Certains membres du parti libéral, dont le numéro trois
officiel Serigne Diop, remettent en cause la prépondérance
d'Abdoulaye Wade et tentent de le renverser. Serigne Diop publie une
déclaration le 13 octobre 1985 où il affirme que le fondateur du
PDS est "en rupture manifeste avec les principes fondamentaux qui ont servi
de fondement à la création du PDS" 108.
Après s'être étonné que
l'information soit parue si vite dans les médias d'Etat, Me Wade exclu
Serigne Diop le 27 octobre 1985 pour "activité fractionnelle visant
à déstabiliser et à paralyser le PDS" 109 . On compte
parmi les scissionnistes que... cinq individus. La faiblesse
103 "Abdou Diouf demande l'isolement de Pretoria", Le
Soleil, 20 août 1985.
104 "L'apartheid, c'est le nazisme", Le Soleil, 3
octobre 1985.
105 "Remaniement ministériel", Le Soleil, 3
janvier 1986.
106 Lamine Tirera, Abdou Diouf : biographie politique et
style de gouvernement, pp.166, Paris, l'Harmattan, 2006.
107 Durant les années 1980, il n'est pas courant pour
Le Soleil de relater avec une grande assiduité la vie politique
interne du PDS. Pourtant, la scission du parti libéral qui débute
en octobre 1985 est suivie par le journal gouvernemental avec un
intérêt "suspect". Voir Le Soleil du 18, 22, 28 et 29
octobre 1985.
108 "Remous au PDS", Le Soleil, 18 octobre 1985.
109 "Serigne Diop exclu du PDS", Le Soleil, 28 octobre
1985.
de ce nombre ne reflète pas l'ardeur que mettent les
"insurgés" pour s'octroyer le statut légal du PDS. Très
vite, Abdoulaye Wade dénonce le rôle tenu par le PS dans cette
contestation venue de nulle part. On a par conséquent pendant quelques
mois deux partis PDS, qui réclament leur appartenance au même
sigle, au même journal politique, à la même date de
création etc. Seules les adresses du siège politique
diffèrent. Finalement, "la guerre des deux épis" (le mil
étant l'emblème du PDS) tourne logiquement à l'avantage
d'Abdoulaye Wade, après une décision rendue par la justice
sénégalaise en mars 1986. La formation de Serigne Diop, vaincue
dans cette bataille "fratricide", se fait enregistrer par le ministère
de l'Intérieur sous le nom de PDS... Rénovation et prend ses
distances avec une certaine opposition "qui n'a que l'injure à la
bouche" 110.
Cette histoire convainc Abdoulaye Wade qu'un nouvel exil
volontaire lui serait salutaire. Il quitte alors un an le sol
sénégalais. Dès son retour au premier plan, lors du
congrès PDS du 15-16 janvier 1987, le fondateur du PDS est accusé
par la justice de "diffusion de fausses nouvelles" et "d'offense au chef de
l'Etat" pour des propos tenus... un an et demi auparavant111.
Après une trêve politique qui a duré plus d'une
année, "le point lumineux vers lequel se fixent les regards et qui
fait battre les coeurs de tous les hommes épris de
liberté
et de démocratie" 112 est
rentré de plein pied en précampagne électorale.
5. Les élections de 1988 :
5.1. Une précampagne agitée :
Le climat social est à l'approche des élections
1988 extrêmement pesant. Les nouvelles politiques menées depuis
1985 ont apporté leur lot de licenciements et d'échecs. Les
investisseurs sénégalais, appelés à investir dans
le pays, ont été aux abonnés absents. Les initiatives
entreprises par l'Etat, comme la création d'une zone franche
industrielle à Dakar, n'ont pas eu les effets escomptés. La dette
du pays est évaluée à 800 milliards FCFA, soit 60- 70 % du
PIB. Le service de la dette absorbent donc 50% des recettes budgétaires.
Le problème ne risque pas d'être endigué en 1987, puisque
la dett e extérieure augmente depuis 1981 annuellement de... 15 à
20% 113 . Les risques d'une implosion sociale, tant redoutée par les
observateurs internationaux, sont de plus en plus tangibles.
C'est ainsi qu'éclate en janvier 1987 à
l'Université de Dakar une grogne étudiante de grande importance,
suite à un retard dans le paiement des bourses d'étude. Le
ministre de l'Education Nationale Iba der Thiam, qui jouit d'une bonne
réputation dans le milieu étudiant grâce à son
passé de syndicaliste, est en voyage à l'étranger et n'est
pas prévenu dans un premier temps de la situation. Ibrahima Wone,
ministre de l'Intérieur, se charge alors du dossier et décide...
de faire rentrer la police dans le campus universitaire le 21 janvier 1987. Le
bilan est lourd : 27 blessés parmi les étudiants. Cette
initiative peu heureuse n'améliore pas le "prestige" du gouvernement
socialiste aux yeux de la jeunesse sénégalaise et de la
communauté étudiante, qui vote immédiatement la
grève. Pour éviter le renouvellement de heurts, Abdou Diouf
fait
110 "Le PDS-R : 17ème parti", Le Soleil, 9 juin 1987.
111 Wade déclare en août 1985, dans le journal
Promotion : "la famille d'un chef d'Etat ne rend pas service à ce
dernier en se lan çant dans un trafic qui heurte la conscience
populaire, car le peuple, qui a faim et soif, qui vit dans les taudis, est
quand même intelligent". Francis Kpatindé, "Diouf
attaqué sur deux fronts", Jeune Afrique, n° 1364, 26
février 1987.
112 Siradiou Diallo, "Menace sur la démocratie
sénégalaise ?", Jeune Afrique, n° 1356, 31
décembre 1986.
113 Laurent Zecchini, "Le mal vivre
sénégalais", Le Monde, 9 avril 1987.
fermer l'université tandis qu'Iba der Thiam entame des
négociations avec les syndicats étudiants. Leurs revendications
ne sont pas, comme en 1968, politiques mais matérielles. Ils demandent
le retrait des forces de l'ordre, le dédommagement des victimes, le
règlement des bourses et la rénovation des bâtiments 114 .
Ces requêtes reflètent l'état de délabrement de
l'enseignement public sénégalais, qui était
considéré à l'indépendance comme le meilleur du
continent ouest-africain francophone. L'action estudiantine
bénéficie d'un élan de sympathie auprès de la
population sénégalaise, celle-ci se reconnaissant dans les
difficultés quotidiennes décrites par les syndicats
étudiants.
Le PS oscille entre une volonté d'ouverture à
l'égard des élèves, avec la création d'un groupe de
réflexion pour veiller à l'amélioration des conditions de
logements et restauration des étudiants, et un désir
incontrôlable de trouver des responsables autres que le PS. C'est
pourquoi Babacar Waly Diom, membre du GER, explique dans un article daté
du 20 février 1987, que la crise universitaire a été
causée par la volonté des étudiants
sénégalais de "singer" leurs homologues français
115.
De surcroît, il déclare dans ce même
article que la grève est un "avertissement pour l'avenir", puisqu'elle a
été encouragée par l'opposition et par... le
ministère de l'Education Nationale. Diom soutient en effet que "le
département de tutelle (...) est infiltré par des politiciens en
mal de tensions sociales". Sans le nommer, Iba der Thiam est clairement
visé. L'attaque est si ostentatoire que le ministre use de son droit de
réponse deux jours plus tard 116 . Cet événement
révèle les grandes tensions qui existent entre le PS et le
ministre "rebelle", qui se situe depuis 1983 en marge des réseaux
traditionnels socialistes.
Largement court-circuité par les compagnons de Jean
Collin, Iba der Thiam ressort affaibli de ce conflit étudiant, en
dépit de son règlement relativement rapide. Après la
grève, le ministre perd la liberté de ton qui était la
sienne depuis le début du quinquennat.
La crise universitaire est reléguée au second
plan médiatique suite à la fronde policière du 14 avril
1987. Cette colère est déclenchée par la condamnation de
deux policiers à deux ans de prison, accusés de torture à
mort sur un détenu. Les causes de ce malaise policier sont multiples.
Les agents se plaignent de leurs conditions de travail, des retards sur les
salaires etc. La lassitude est générale, ce qui explique que la
manifestation des policiers de Dakar s'étendent à des villes
comme Thiès, Diourbel ou Kaolack 117. Ce 14 avril
1987, des cris de ralliement au sopi sont entendus ainsi que des
slogans réclamant la démission du ministre de l'Intérieur,
Ibrahima Wone. Pis, on assiste dans les rues de Dakar à des
affrontements entre policiers et gendarmes. Cette révolte surprend le
pouvoir et le choque. Le Soleil qualifie cette journée comme
étant "la crise la plus grave depuis 1962" et réclame
des sanctions exemplaires 118.
Le quotidien voit son voeu exaucé puisque quelques
heures seulement après les échauffourées, 6 225 policiers
sont radiés la fonction publique 119 . On les invite à rendre
leur arme, à ne pas porter l'uniforme et... à rester chez eux. Le
lendemain, une loi est votée au Parlement pour permettre la
réintégration au cas par cas des policiers radiés. La
police est alors remplacée
114 Véronique Cissoko, "L'idéologie est morte
sur le campus", Jeune Afrique, n°1366, 11 mars 1987.
115 Pour Waly Diom, les troubles de Dakar trouvent leurs
origines dans une crise universitaire partie de... Villetaneuse le 17 novembre
1986. Il dit à ce sujet : "Nous savons que les
Sénégalais aiment la France et aiment singer les Français
(...) nous nous étions attendus à en subir les contrecoups comme
(...) en mai 1968". Babacar Waly Diom, "Pourquoi ? ", Le Soleil,
20 février 1987.
116 Iba der Thiam, "Réponse à M. Babacar Waly
Diom", Le Soleil, 22 février 1987.
117 Francis Kpatindé, "Une police hors la loi",
Jeune Afrique, n° 1373, 29 avril 1987.
118 Bara Diouf, "Plus jamais ça", Le Soleil, 16
avril 1987.
119 Fermeté opportune, Le Soleil, 16 avril
1987.
temporairement, en particulier dans les rues de Dakar, par la
gendarmerie, qui prend notamment en charge la circulation.
L'autre victime de cette fronde est le ministre Ibrahima Wone.
Mêlé à une affaire d'escroquerie, son départ est
annoncé par la presse étrangère depuis plusieurs mois 120
. De surcroît, sa mauvaise appréciation de la crise
étudiante en janvier 1987 n'a pas contribué à restaurer
son aura auprès d'Abdou Diouf. Les appels au départ de Wone
prononcés le 14 avril 1987 ne font que précipiter sa chute. Pour
le remplacer, le chef du gouvernement nomme Jean Collin ministre de
l'Intérieur temporaire. Sa grande expérience, ses réseaux
diverses et sa relative popularité au sein de la police font de lui
l'homme le plus apte à apaiser cette situation délicate.
Jean Collin est le héraut de la
réintégration au cas par cas. Il appuie donc la loi votée
au Parlement le 15 avril 1987 121 . Le parti libéral juge au contraire
ces mesures "démesurées et excessives". Alors qu'il n'a fait
aucune déclaration négative le 14 avril - par crainte de se voir
reprocher une quelconque implication dans ce mouvement de fronde - le PDS vote
contre la loi proposée par le PS. Il s'oppose ainsi à la
radiation de 94 commissaires de police, 14 officiers de paix supérieurs,
201 officiers de police, 42 officiers de la paix, 383 inspecteurs de police,
101 sous-officiers de la paix et 5 430 gardiens de la paix .
La réincorporation des policiers radiés
débute en juin 1987. Sur 6 028 dossiers de demande de
réintégration, 1 246 sont rejetés, soit plus de 20% des
dossiers. Les recalés sont bien souvent mis à l'écart non
pas à cause de leur participation à la marche du 14 avril, mais
pour des faits antérieurs, sans aucun rapport avec la fronde. Jean
Collin peut ainsi "nettoyer" l'institution policière 122 . Le pouvoir
reste toutefois méfiant vis-à-vis d'elle. La
réintégration d'un policier à Dakar est
conditionnée par une première reprise de service en province.
Pour s'assurer une docilité maximale, l'Etat exige aussi des futures
recrues une formation militaire, gage de fidélité au chef de
l'Etat. Toutes ces difficultés de réintégration poussent
les radiés à se regrouper au sein d'une association, "la
coordination des policiers radiés ". Elle revendique le droit
à la reprise du travail, mais se heurte jusqu'en 1993 à
l'indifférence du pouvoir gouvernemental et de la population
123.
C'est dans cette atmosphère sociale tendue que
débute la précampagne électorale en 1987. En plus de la
grève estudiantine et de la fronde policière, Abdou Diouf fait
face à une opposition bien plus unie qu'en 1983. Les réactions
des partis non-gouvernementaux aux problèmes judiciaires de Wade du
début d'année 1987 sont les premiers signes de cette nouvelle
unité.
Dès l'annonce de son inculpation, 11 des 15 partis
d'opposition annoncent dans les médias étrangers "une
résistance coordonnée à une politique de violence"
124 . Pour mettre un terme à toutes ces "perturbations", Abdou
Diouf reçoit officiellement son principal opposant au palais
présidentiel le 17 février 1987. La rencontre est un
échec, elle ne dure qu'une vingtaine de
120 Lettre du continent révèle
qu'Ibrahima Wone aurait participé à une escroquerie
estimée à 500 millions de FCFA, ainsi qu'au trucage du concours
de recrutement des commissaires de police. Cette deuxième affaire
explique peut-être son impopularité au sein de l'institution
policière. "Vers un prochain remaniement ? ", Lettre du
continent, 17 décembre 1986.
121 Jean Collin déclare que "les policiers n'ont pas
à se plaindre" car les décisions prises sont
"indulgentes". Fermeté opportune, Le Soleil, 16 avril 1987.
122 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.292, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
123 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.292, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
124 "L'opposition annonce une résistance
coordonnée à une politique de violence", Le Monde, 16
février 1987.
minutes 125.
Pour donner de l'ampleur à cette "reprise politique",
Abdoulaye Wade accorde un entretien à Jeune Afrique en mars
1987. Comme lors de son interview de 1984, ses principales critiques
ne s'adressent pas à Abdou Diouf, mais à Jean Collin. Le chef de
l'Etat est décrit au cours de cet entretien comme un personnage
politique de second plan, sans réelle influence ni réel pouvoir.
En l'espace de trois ans, Jean Collin est passé du statut de "super
Premier ministre" à celui de "vrai président de la
République sénégalaise" 126 . Abdoulaye Wade, sans
jamais le dire clairement, s'interroge sur la présence d'un toubab
au sommet de l'Etat. Pour contrer toutes accusations de racisme, il
rétorque que le véritable raciste est... Abdou Diouf, soutenant
que si Jean Collin était noir, le chef de l'Etat l'aurait
installé depuis bien longtemps à la Primature.
Dans le but de parer l'offensive préélectorale
wadiste, Abdou Diouf met en avant son intégrité... et par
conséquent remet en cause celle d'Aboulaye Wade. C'est ce qu'il fait au
cours d'un entretien accordé au Monde, où il soutient
que le leader PDS est financé par la Libye du colonel Kadhafi
127.
"La guerre des petites phrases" fait rage alors
qu'officiellement, Wade déclare durant toute la première
moitié de l'année 1987 qu'il ne se présentera pas en cas
de non-modification du code électoral. Constatant l'impassibilité
de Diouf face à cette menace, Wade change d'avis et se déclare
candidat à l'élection présidentielle. Il l'annonce avec
faste... à Nice, le 23 mai 1987. Pour justifier sa volte-face, il
explique que "la crise politique, économique et sociale n 'a jamais
été aussi aiguë avec toutes ces grèves qui se
succèdent, l'autorité de l'Etat qui n 'est plus respecté.
C'est pour cela que le PDS a décidé de répondre
présent" 128.
Sa candidature bénéficie d'un large soutien de
l'opposition, puisque hormis Babacar Niang (PLP) et Landing Savané (And
Jëf), les autres candidats potentiels se rallient à sa candidature.
Me Wade bâtit ainsi un programme électoral en concertation avec
ses soutiens, largement inspiré des revendications
proférées par l'opposition tout au long du quinquennat d'Abdou
Diouf. Il comprend la formation d'un gouvernement d'union nationale, la
restauration du poste de Premier ministre, une loi pour rendre le gouvernement
responsable devant l'Assemblée nationale, l'instauration d'un
Sénat et surtout la refonte complète du code électoral
.
Une fois sa candidature déclarée, Abdoulaye
Wade sillonne le Sénégal dans le cadre de sa précampagne.
Aux villes, il promet la baisse des prix des denrées de première
nécessité. Aux campagnes, la gratuité des semences lors
des trois premières années de son mandat . Durant la
deuxième conférence nationale des femmes PDS, le 11 juin 1987, il
multiplie les déclarations démagogiques... qui accrois sent sa
popularité. Il annonce par exemple la nomination d'une femme au
ministère des Finances en cas d'élection, les femmes étant
selon Wade ... meilleures gestionnaires que les hommes 129 . Il demande aussi
le même jour, contre tout bon sens politique, la mise en place
d'élections anticipées et immédiates.
Les gesticulations populistes de Wade n'ont pour seul but que
de contrecarrer la propagande dioufiste, qui via les médias d'Etat,
occupe largement l'espace médiatique. Abdou Diouf est
125 "Abdoulaye Wade change d'avis", Jeune Afrique,
n° 1 379, 10 juin 1987.
126 "(Jean Collin) Il filtre, contrôle, dirige le
gouvernement, annule des décisions prises en conseil des ministres (...)
c 'est en réalité le vrai Président de la
République sénégalaise". "Me Wade reprend la
lutte",Jeune Afrique, n° 1365, 4 mars 1987.
127 Laurent Zecchini, "Un entretien avec le chef de l'Etat
sénégalais", Le Monde, 24 mars 1987.
128 "Abdoulaye Wade change d'avis", Jeune Afrique,
n° 1379, 10 juin 1987.
129 "Me Wade réclame des élections
immédiates", Le Soleil, 12 juin 1987.
de ce fait dès la précampagne pris à la
gorge quotidiennement par son principal opposant. Parmi les membres influents
du PS, seul Jean Collin vient véritablement "au secours" du chef de
l'Etat.
Depuis sa nomination "temporaire" au ministère de
l'Intérieur, Collin multiplie les déclarations officielles, alors
qu'auparavant, seuls "les amis de Jean Collin" - son groupe de soutien
- se manifestaient régulièrement dans les colonnes du Soleil.
L'homme de l'ombre apparaît à présent en pleine
lumière, pour le plus grand bonheur... de l'opposition. Celle-ci
pratique en effet une pression constante sur l'homme de main d'Abdou Diouf, en
menant d'innombrables campagnes de presse ou en répandant des rumeurs
sur son compte 130.
Jean Collin, pourtant adepte de ces procédés
douteux, a bien du mal à cacher son exaspération. A la fin
août 1987, durant un meeting de précampagne à
Thiès, le ministre de l'Intérieur accumule les critiques à
l'encontre de Wade. Pour lui, le sopi n'est qu'une illusion, car
"le changement n'est pas en soi un programme de société". Il
va plus loin lorsqu'il soutient à la fin de son discours que Wade, ne
pouvant battre Abdou Diouf par la voie électorale, prévoit au
terme de la campagne de graves désordres. En guise d'avertissement, le
ministre d'Etat conclue son intervention par ces mots : "Wade est un homme
dangereux. Il n 'a qu 'une idée, c 'est de devenir Président, il
est prêt à tout sacrifier à cette idée. Il n 'est
pas l'homme d'un programme mais l'homme d'une ambition personnelle" 131 .
Ce meeting a les répercussions espérées, puisque
les paroles de Collin sont largement reprises par la presse internationale,
comme le montre un article de Jeune Afrique du 2 décembre 1987
132.
Le discours de Thiès d'août 1987 n'est pas le
seul prononcé par Jean Collin à l'encontre d'Abdoulaye Wade, mais
il demeure le plus célèbre. Son implication dans la campagne
accroît les critiques de l'opposition à son égard. Abdou
Diouf préfère alors mettre en retrait son éminence grise,
en le remplaçant au ministère de l'Intérieur par
André Sonko, un fidèle... de Jean Collin.
Le Président de la République
bénéficie d'un autre soutien de poids : celui de sa femme,
Elisabeth Diouf. Discrète - elle ne prend jamais la parole en publique -
celle-ci occupe pourtant largement l'espace médiatique
sénégalais durant la précampagne électorale de
1988. Elle fait à de multiples reprises "les gros titres" du Soleil
133 . Ses apparitions, qu'elle effectue le plus généralement
sans la compagnie du Président de la République, mettent en avant
le soutien qu'elle accorde aux plus faibles : les personnes âgées,
les enfants malades, les femmes etc. La première dame du
Sénégal est ainsi présente sur le terrain social, ce qui
contribue à améliorer son image mais également celle de
son mari. Elle renforcera son statut de "femme de charité" en 1992 avec
la création de sa fondation Elisabeth Diouf :
Solidarité-Partage.
Ce soutien n'adoucit cependant pas l'atmosphère
pesante qui règne au Sénégal à la fin de
l'année 1987. Abdoulaye Wade n'interrompt pas sa stratégie "de
harcèlement du pouvoir" tandis que le chef de l'Etat n'arrive pas
à trouver un thème alternatif au sopi. C'est dans ces
conditions que s'ouvre la campagne présidentielle officielle en
février 1988.
130 L'opposition sénégalaise cherche par
exemple à discréditer Jean Collin dans les milieux
français, avec un certain succès, d'après les dires de
Jacques Foccart : "le fait est que tous ceux qui n'osaient pas attaquer
Diouf de front s 'en prenaient à Collin, qui a subi mille calomnies
extravagantes (...) il était maintenant dépeint comme un
redoutable communiste de toujours et un agent de Moscou parmi les plus actifs !
Chirac m 'a interrogé un jour sur ces rumeurs, qui commençaient
à courir avec insistance pendant la cohabitation (de 1986 à
1988). Je l'ai rassuré". Jacques Foccart, Foccart parle,
entretiens avec Philippe Gaillard, tome 2, pp.292, Paris, Fayard, 1997.
131 "Jean Collin à Thiès : "Wade, l'ambition
démesurée"", Le Soleil, 31 août 1987.
132 Francis Kpatindé, "La campagne électorale
bat déjà son plein" , Jeune Afrique, n°1404, 2
décembre 1987.
133 "Mme Diouf fête l'école à
l'hôpital", Le soleil, 14 juin 1987 et "Beaucoup plus
d'attention : goûter annuel du troisième age", Le Soleil, 26
juin 1987.
5.2. Une campagne électorale très tendue
:
Les formations d'opposition ralliées à Abdoulaye
Wade exigent avant les élections l'adoption d'un nouveau code
électoral qui comprendrait les dix points suivants 134 :
- Une neutralité absolue du président du bureau de
vote
- La présence d'un assesseur de l'opposition dans le
collège de direction de chaque bureau de vote
- Le passage obligatoire des électeurs dans un isoloir
- La prise en charge des dépenses électorales par
l'Etat
- Le passage de la majorité de 21 à 18 ans
- Le droit de vote aux Sénégalais de
l'étranger
- Une meilleure répartition du temps d'antenne pendant
les élections dans les médias d'Etat
- La non-subordination de l'armée au PS le jour des
élections
- Des conditions normales de scrutin
- La publication des résultats par bureaux de vote
Comme en 1983, le PS refuse de toucher au code
électoral. Abdou Diouf maintient que l'isoloir ne peut être
obligatoire, puisque la tradition sénégalaise pousse à
montrer ostentatoirement ses choix politiques, "à porter les
couleurs de son candidat" 135 . Si ces explications sont de plus en plus
mal perçues par les observateurs internationaux, ces derniers notent
tout de même des améliorations notables quant à la
couverture générale des élections.
L'Etat sénégalais attribue 280 millions FCFA
aux médias pour qu'ils puissent suivre correctement la campagne : 180
millions pour l'ORTS (Office de Radiodiffusion et Télévision
Sénégalaise), 50 millions pour Le Soleil et 50 millions
à la direction de l'information et à l'APS (Agence de presse
sénégalaise) 136 . Si tout n'est pas parfait dans le traitement
de l'information, les médias d'Etat affichent une réelle
volonté de couvrir tous les meetings des candidats, dans le but
de recueillir leurs déclarations mais aussi leurs critiques à
l'égard du régime et... des médias d'Etat
137.
Abdou Diouf profite toutefois du couplage des
élections présidentielles et législatives pour avoir un
plus grand temps d'antenne que ses concurrents. Il jouit, en plus des 5 minutes
quotidiennes octroyées à chaque candidat, des 15 minutes
accordées au PS pour les législatives, alors que les autres
partis en lice n'ont que 3 minutes chacun (soit un total de 15 minutes pour
l'ensemble des partis de l'opposition). Durant la campagne, Abdou Diouf a donc
de façon "tout à fait légale" 12 minutes quotidiennes de
plus qu'Abdoulaye Wade pour expliquer son programme à la
télévision et à la radio. Malgré ces
problèmes récurrents, déjà présents en 1983,
les "petits candidats" à l'élection présidentielle ont la
possibilité de faire passer leur message à la population
sénégalaise. On en compte deux en 1988 : Landing Savané
d'And Jëf et Babacar Niang du PLP.
Landing Savané est présenté comme "le
candidat des laissées pour compte" 138 . Relativement jeune - il est
né en 1945 à Bignona (Casamance) - il fonde le parti marxiste And
Jëf en 1975 (Agir ensemble en wolof). Emprisonné un an sous Senghor
pour avoir distribué des tracts subversifs et publié un journal
clandestin, Xare Bi (La lutte en wolof), il est défendu au
cours
134 Francis Kpatindé, "La campagne électorale
bat déjà son plein" , Jeune Afrique, n°1404, 2
décembre 1987.
135 Jean De la Gueriviere, "Le Sénégal, oasis
de démocratie", Le Monde, 23 février 1988.
136 Sennen Andriamirado et Francis Kpadinté, "Les
élections au jour le jour", Jeune Afrique, n° 1415, 17
février 1988.
137 On peut lire dans Le Soleil du 15 février
1988 que Landing Savané compare les journalistes au Soleil à
"des perroquets au service de Diouf".
138 Elimane Fall et Francis Kpatindé, "Le candidat des
laissés pour compte", Jeune Afrique, n° 1412, 27 janvier
1988.
de son procès par Maître... Babacar Niang (240).
Statisticien de profession, Savané a un projet "alternatif" qu'il
résume en 18 points 139 . Voici ci-dessous les points les plus
significatifs :
Point 1 : Formation d'un gouvernement révolutionnaire
provisoire
Point 4 : Dénonciation des accords militaires avec la
France. Retrait des troupes françaises et démantèlement de
leurs bases militaires
Point 5 : Retrait des troupes sénégalaises de
Sénégambie
Point 6 : Amnistie générale pour les
détenus, en particulier ceux de Casamance
Point 7 : Dénonciation des accords avec le FMI et la
Banque mondiale
Point 13 : Mise en place d'une réforme agraire
Point 16 : Sénégalisation des emplois
occupés par les expatriés
Comme on s'en aperçoit, son appartenance au marxisme
révolutionnaire ne fait aucun doute. De plus, ses origines le poussent
à s'investir sur le terrain casamançais. Même s'il
condamne
les violences perpétrées par le MFDC, le PS est
pour lui l'unique responsable de la situation sanglante dans la région.
Il critique aussi au cours de sa campagne la confiscation des médias
d'Etat par la formation socialiste. A la tête d'un parti
peu implanté sur l'ensemble du territoire sénégalais - And
Jëf ne s'aligne d'ailleurs pas aux législatives - Landing
Savané profite des
présidentielles pour se faire connaître du grand
public. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre son slogan : "je suis un
candidat sans illusion" 140.
Contrairement au fondateur d'And Jëf, Babacar Niang nourrit
de grandes ambitions en 1988. Depuis son installation à
l'Assemblée nationale, l'avocat de profession s'est fait remarquer par
son port récurrent du boubou - le costume de ville est habituellement
d'usage au Parlement - et
son emploi quasi-exclusif du wolof lors des débats
parlementaires. Cette attitude singulière agace, d'autant plus que Niang
est un fervent partisan d'une remise en cause de la laïcité
"senghorienne". Il souhaite en effet un enseignement
religieux dans les écoles publiques, car "les chefs religieux
exercent des fonctions sociales et d'encadrement et de protection des masses"
141 . Si comme Landing Savané, Babacar Niang a connu la prison
après la dissolution
du PAI en 1964, on retient surtout de son passé
politique sa rupture avec Cheikh Anta Diop.
Or, ce dernier connaît depuis sa mort en 1986 une
popularité croissante au Sénégal, relayée par les
politiques, les médias d'Etat et son adversaire d'autrefois...
Léopold Sédar Senghor 142.
La réputation de Babacar Niang décroît ainsi
fortement après 1986 143 , l'image du "traître" lui collant
à la peau.
D'autres formations d'opposition se manifestent au cours des
trois semaines de campagne. En dépit de leur soutien à Wade,
la LD/MPT et le PIT s'inscrivent aux législatives dans le but de
profiter de la couverture des médias. Le parti d'Abdoulaye Bathily
présente la liste jallarbi pour "permettre de traduire les
différences qui font la richesse de l'opposition" 144 .
Toutefois,
la plupart des meetings des deux partis se font en
commun, le plus souvent en compagnie du
PDS. Ils critiquent la chute du pouvoir d'achat, la nouvelle
politique agricole, la "dictature" du FMI et de la Banque mondiale et les
ndiguel prononcés en faveur de Diouf. Ils s'opposent
également aux "partis bidons" favorisés
par le PS, notamment le PDS/R, seul parti
139 Ideam.
140 Le Soleil, 15 février 1988.
141 Francis Kpatindé, "Babacar Niang, le cow-boy
solitaire", Jeune Afrique, n° 1413, 3 février 1988.
142 Voir l'hommage rendu par Senghor à Cheikh Anta Diop
dans Le Soleil du 8 février 1986.
143 Le PLP a connu des scores satisfaisants lors des
élections municipales de 1984. Dans certaines communautés
rurales, le parti de Babacar Niang a atteint 25% des suffrages. Ces scores
soulignent la bonne renommée du PLP avant la mort de Cheikh Anta Diop.
"Résultats définitifs et officiels des élections
municipales et rurales du 25 novembre 1984", Le Soleil, 28 novembre
1984.
144 "La LD/MPT/ soutient Wade", Le Soleil, 10 septembre
1987.
d'opposition inscrit aux législatives soutenant
ouvertement la candidature d'Abdou Diouf. Abdoulaye Wade lorgne quant à
lui vers le palais présidentiel et croit en ses chances. Grâce
à une campagne soigneusement préparée et coordonnée
par un jeune sénégalais de 28 ans,
Idrissa Seck, le fondateur du PDS adopte la même
attitude provocatrice que lors de la précampagne. Il tourne notamment en
dérision le couple présidentiel, qu'il surnomme "monsieur
forage et madame moulin ", en référence à la
propagande étatique qui a lourdement mis en avant les inaugurations de
puits au cours du quinquennat. Face au refus d'Abdou Diouf d'organiser un
face-à-face télévisé avec lui, il s'esclaffe :
"si Diouf ne veut pas débattre, qu 'il envoie
trois de ses ministres contre moi tout seul, je suis sûr que je gagnerai"
145.
De plus, Abdoulaye Wade emballe les foules avec de nombreuses
propositions jugées fantaisistes par le gouvernement PS : prix du riz
baissé de moitié à 60 FCFA, réintégration
des policiers radiés, semences et engrais gratuits pendant deux ans,
chômage des jeunes totalement résorbés, forages à
l'énergie solaire construits... 30 fois moins chers que ceux de Diouf
etc. Abdou Diouf est donc présenté par le camp libéral
comme un autocrate, mais aussi un mauvais gestionnaire, responsable d'avoir
contracté 615 milliards de dette rejetés sur les
générations futures à cause du
rééchelonnement 146.
Face à un adversaire surmotivé, Abdou Diouf
table sur ses qualités premières : modération, calme et
consensus. Le Président mise aussi sur les recettes de 1983, à
savoir un appui prononcé des confréries religieuses - en
dépit des "faibles" scores enregistrés en 1983 dans le Diourbel -
et un soutien sans faille de ses groupes de soutien.
Nonobstant le ndiguel du Khalife
général des Mourides, Serigne Abdou Lahat Mbacke,
l'unanimité autour de la candidature dioufiste n'est plus de mise au
sein de la confrérie. Pis, certains membres de la communauté
mouride appellent explicitement à voter Abdoulaye Wade, comme Serigne
Khadim Mbacke, Serigne Dame Mbacke (inscrit sur la liste PDS) et Dady Faty
Mbacke. Le premier nommé fait une déclaration fracassante
à la télévision le 9 février 1988 :
"quant à Abdou Diouf, il nous a privés de
travail et si Dieu veut le bonheur du peuple sénégalais, Abdou
Diouf ne sera pas réélu. Inutile de continuer à prier s
'il est réélu puisque Dieu nous aura abandonnés."
147.
Cependant, suite à de fortes pressions, il retire son
soutien officiel au candidat libéral le 13 février 1988. Cette
volte-face reflète le malaise mouride vis-à-vis du ndiguel
officiel. Certains fidèles s'en désolidarisent, comme en
témoigne "des lettres anonymes jetées par-dessus le mur
extérieur de la résidence du Khalife général des
Mourides" 148 . L'opposition profite de cette situation confuse pour
révéler une filiation entre Serigne Touba et... le père
d'Abdoulaye Wade. Le front en faveur du candidat PDS peut ainsi soutenir que
"ne pas voter Diouf ne cause en rien quelque dommage que ce soit aux
talibés dans ses rapports avec Serigne
145 Sennen Andriamirado, "La grande messe", Jeune
Afrique, n° 1417, 2 mars 1988.
146 "Je suis prêt à sacrifier ma vie", Le
soleil, 22 février 1988 et "Tout contrevenant à la
vérité n'est pas musulman", Le Soleil, 9 février
1988.
147 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ?
Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut
d'études politiques de Paris, 20 p., 1996.
148 Hamad Jean Stanislas Ndiaye, "La communication politique
dans les élections au Sénégal: l'exemple du PS(Parti
Socialiste) et de l'AFP(Alliance des Forces de Progrès) en l'an 2000",
Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal).
Touba" 149.
L'effritement du ndiguel est de ce fait manifeste
pour les contemporains. Les autres grandes communautés religieuses -
tidjane et chrétienne - moins liées économiquement
à l'Etat socialiste, choisissent de ne pas donner de consignes
officielles de vote pour ne pas provoquer de mécontentements. Pour
contrer les méfaits électoraux de cette relative
désaffection des religieux, Abdou Diouf compte sur la vitalité de
ses comités de soutien.
Contrairement à 1983, ces associations sont plus
politisées, les tentatives de rapprochement entre Diouf et la
société civile ayant été peu concluantes. C'est
pourquoi le GRESEN, exemple type du groupe de soutien apolitique, se mue avant
les élections de 1988 en un mouvement politisé, Abdoo nu
dooy. Lors de son acte de naissance, le 12 septembre 1987, il compte 1 450
adhérents. Il y a des membres du gouvernement, des religieux, des
universitaires et... des anciens compagnons de Senghor 150.
Le groupe de soutien souhaite jouer un rôle dans la
campagne, et se donne les moyens d'occuper le terrain médiatique : il
crée un journal officiel, un film de campagne, un service publicitaire,
des sections dans des villes telles qu'Abidjan, Paris, Marseille ou Le Caire
etc. Abdoo nu dooy axe sa propagande sur la stabilité du
régime dioufiste, sa stature d'homme d'Etat et de confiance. Finalement,
il emploie les mêmes thèmes que la propagande socialiste, sans
pour autant se référer au PS. L'engagement d'hommes tels que
Habib Thiam, Alioune Badara Mbengue, Assane Seck, Babacar Bâ, Abdoulaye
Fofana, ou Iba der Thiam - fondateur d'Abdoo nu dooy - tous plus ou
moins bannis des zones d'influence socialistes, n'est pas le fruit du hasard.
Le comité de soutien a pour vocation d'aider Abdou Diouf sans pour
autant appuyer les initiatives socialistes. Les personnes qui composent
Abdoo nu dooy cherchent de ce fait à créer de nouvelles
filières clientélistes, sans passer par le parti gouvernemental
151. Il tente donc de s'approprier Abdou Diouf, et sa
future victoire, au dépend du Parti Socialiste. Ces "soutiens
mercenaires" irritent le PS qui, face à l'omniprésence
d'Abdoo nu dooy dans les médias, est relégué au
second plan lors la précampagne électorale.
Néanmoins, Abdoo nu dooy connaît un
terrible coup d'arrêt en janvier 1988, lorsque la Cour constitutionnelle
interdit toute campagne déguisée durant les trois semaines de
campagne officielle. Le comité de soutien se voit alors dans
l'obligation de laisser la main au PS. Abdou Diouf est ainsi privé d'un
des éléments qui a favorisé son plébiscite de 1983.
En lieu et place d'une organisation acquise à sa cause, le
Président sortant compose avec un PS incapable de répondre aux
attaques wadistes. Daouda Sow, président du Parlement et tête de
liste PS aux législatives, n'a pas le charisme nécessaire pour
venir "au secours" de son candidat. Sans appui unanime des Mourides et en
l'absence d'une organisation capable de le seconder, Abdou Diouf sombre
à l'approche du scrutin présidentiel "face à la furie
des dictateurs en herbe" 152.
Les sopistes misent en effet sur l'escalade verbale
en fin de campagne. L'image d'Abdou Diouf, autrefois en marge de
l'impopularité du PS, est en 1988 pleinement assimilé au
régime socialiste. Pis, ce n'est plus le socialisme qui est responsable
des maux du pays, mais le Président de la République
lui-même. Wade ne s'attaque donc plus à un parti, mais à un
homme. Diouf est notamment accusé d'avoir détourné des
fonds, placé des biens à l'étranger
149 Le soleil, 20 février 1988.
150 "Naissance d'un mouvement "Abdoo nu dooy" : occupation
du terrain politique", Le soleil, 12-13 septembre 1987.
151 M-C. Diop et M. Diouf, Le Sénégal sous
Abdou Diouf. Etat et société, Dakar, Codesria, Paris,
Karthala, 1990.
152 Terme employé par Le soleil pour
désigner les opposants au Président Diouf. "Abdou Diouf
candidat du PS : mobilisation pour préserver la démocratie",
Le soleil, 11 janvier 1988.
et mené... une politique ultra-libérale. Plus
grave, le PDS prône la violence physique en cas de fraudes
constatées. Boubacar Sall, numéro deux du PDS en 1988,
déclare aux militants libéraux : "ne faites pas de
provocations mais tuez tout comité d'action qui vous provoquera, j'en
prends l'entière responsabilité. Le changement est à ce
prix" 153, tandis que Wade préconise
"l'autodéfense ". Le Président sortant répond
à ces menaces en renchérissant : "si on m'offense, je
pardonne. Mais si on touche aux institutions de l'Etat, à l'unité
nationale, à l'intégrité nationale, on me rencontrera"
154 . La tension est à son paroxysme. Les permanences socialistes
deviennent les cibles des vandales et le cortège du couple
présidentiel est régulièrement attaqué par des
sympathisants PDS, le plus souvent à peine âgés de 18
ans155.
Pour retrouver un "état de grâce"
évaporé au cours de son quinquennat, Abdou Diouf essaie de
récupérer un semblant de popularité. Contrairement
à 1983, il tente de se présenter en héritier de
Léopold Sédar Senghor. Il multiplie les références
et les hommages au "Père de la nation". Le chef de l'Etat s'appuie aussi
lors de ses meetings sur des personnalités populaires et
connues au Sénégal. Il fait appel à Manga II,
véritable star de la lutte sénégalaise.
Pour ne vexer personne, le Président souligne aussi
tout au long de sa traversée du Sénégal - il tient en
moyenne trois meeting par jour, tout comme son concurrent libéral - sa
reconnaissance envers Jean Collin, "à qui il doit tout". Ce
dernier "honore" la confiance présidentielle en cherchant à
déstabiliser le PDS.
A quelques jours des élections, deux personnes
d'origine libyenne sont arrêtées avec des faux papiers à
l'aéroport de Dakar, en compagnie d'Ahmed Khalife Niasse,
surnommé "l'ayatollah de Kaolack" 156 . Celui-ci s'est rendu
célèbre en créant en 1979 l'éphémère
parti de Dieu, Hizboulahi, et en brûlant un drapeau
français lors de la visite officielle de François Mitterrand en
1982. L'image subversive du personnage, couplée à l'arrestation
d'hommes suspectés d'être en relation avec Wade - il est de
notoriété publique que le fondateur du PDS entretient des
rapports très étroits avec Kadhafi - jette le trouble sur les
intentions post-électorales du camp libéral. L'affaire est
cependant très vite étouffée par les médias d'Etat,
Wade réussissant à démontrer que les billets d'avion des
deux "agents libyens" ont été payés par... Jean Collin en
personne 157.
Cette affaire accentue le climat pesant qui règne au
Sénégal, d'autant plus que le pays connaît au cours des
trois semaines de campagne une nouvelle crise scolaire. En effet, à neuf
jours des élections, sur 26 établissements lycéens, un
seul est ouvert. Les jeunes sortent alors dans les rues, se rallient au
sopi et participent au désordre ambiant. Le 26 février
1988, à Thiès, durant un meeting d'Abdou Diouf, une
manifestation interdite dégénère. Les jeunes utilisent des
cocktails Molotov, des pierres et des haches, les forces de l'ordre
répondant à coups de gaz lacrymogène. Ainsi, "pendant
qu'Abdou Diouf parle, retentit de temps en temps la déflagration
violente de grenades offensives dans les quartiers périphériques
de la cité du rail" 158 . Le Président de la
République, excédé par ce climat apocalyptique, tient des
propos
153 Le Soleil du 15 février 1988.
154 Sennen Andriamirado, "La grande messe", Jeune
Afrique, n° 1417, 2 mars 1988.
155 "Pis, agités et encadrés par les nervis,
(les sympathisants PDS) ils se mettent à saboter les meetings et
manifestations du candidat au pouvoir et de son parti, le Parti socialiste
(Ps). Partout, le candidat Abdou Diouf essuie quolibets et jets de pierre".
Abdoulaye Ndiaga Sylla, "Voter Sénégal", Sud Hebdo, 25
février 1988.
156 "Arrestation d'agents libyens porteurs d'armes", Le
soleil, 22 février 1988 et "Interpellation d'Ahmed Khalife Niasse",
Le Soleil, 25 février 1988.
157 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.305-306, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
158 Le Soleil, 28 février 1988.
particulièrement durs à l'égard de la
jeunesse libérale 159 . Il parle de mauvaise herbe, de bandits de grand
chemin, et d'une pseudo jeunesse malsaine. Sa sortie de meeting est ce
jour là extrêmement difficile. Il subit la colère et les
jets de pierres de nombreux riverains.
Les discours qui clôturent la campagne
présidentielle s'apparentent à de véritables
déclarations de guerre. Devant 50 000 personnes, Wade propose de
refermer "une parenthèse de l'histoire du Sénégal"
le 28 février, alors que Diouf, qui déclare s'être
tromper sur les hommes avec qui faire la démocratie, menace ceux qui
"tentent de manipuler les enfants pour en faire de la chair à canon"
de les tenir pour seuls responsables en cas de violences
postélectorales 160.
La campagne pour les législatives n'a quant à
elle jamais véritablement débuté. Daouda Sow a
été incapable de s'affirmer en tant que tête de liste PS ;
Abdoulaye Wade, à la fois candidat au palais présidentiel et
tête de liste PDS, a largement plus insisté sur son utilité
au sommet de l'Etat et les partis uniquement inscrits aux législatives
n'ont eu qu'un rôle de militant, soit en faveur de Wade, soit en faveur
de Diouf. Les "lieutenants" des deux grands candidats n'ont ainsi pas pu, ni
voulu, tempéré un climat électoral violent,
engendré par la paupérisation accélérée de
la population depuis 1981, les provocations politiques, les craintes de fraude
et l'absence d'observateurs internationaux 161.
5.2. Une "victoire" socialiste, une défaite pour la
démocratie :
Abdou Diouf remporte l'élection présidentielle
de 1988 avec une importante avance sur son second, Abdoulaye Wade (536 432 voix
d'écart). Les deux autres candidats, Landing Savané et Babacar
Niang, obtiennent des résultats représentatifs du manque d'assise
de leur parti sur le territoire national 162.
- Electeurs inscrits : 1 932 265
- Votants : 1 135 501 (58,76 % de participation)
- Bulletins nuls : 4 033
- Nombre de suffrages exprimés : 1 131 468
- Abdou Diouf (PS) : 828 301 soit 73,20 %
- Abdoulaye Wade (PDS) : 291 869 soit 25,80 %
- Babacar Niang (PLP) : 8 449 soit 0,79 %
- Landing Savané (And Jëf) : 2 849 soit 0,25 %
Abdou Diouf recueille plus de 80% des voix dans trois des dix
régions sénégalaises : dans son bastion de Louga (90,07
%), dans la région du ndiguel mouride, Diourbel (87,65%), et
dans un autre bastion socialiste, Saint-Louis (85,85%).
159 Le jeune électorat PDS n'est pas le seul
visé par la critique dioufiste. Quelques jours auparavant, le
Président de la République déclare que le cortège
de Wade est composé "de drogués et d'ivrognes". "Vibrant
hommage a M. Forage", Le Soleil, 26 février 1988
160 "Sévère mise en garde à
l'opposition", Le Soleil, 28 février 1988.
161 Abdou Diouf refuse la présence d'observateurs
internationaux en 1988, estimant qu'il n'a "de leçons à
recevoir de personne", les élections au Sénégal
étant "démocratiques et transparentes". "Nous
n'avons leçons à recevoir de personne", Le Soleil, 25
novembre 1987.
162 Le Soleil, 4 mars 1988.
Contrairement à 1983, Diouf fait donc un très
bon résultat dans le Diourbel. Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf
expliquent que ce score est dû à un fort taux d'abstention dans la
région de Diourbel. Or, en regardant les taux de participation, on note
que celui de Diourbel est tout à fait correct (58.12 % pour 58,55 % de
moyenne nationale), comparé au taux de la région de Dakar, qui
est seulement de 52, 66 %. La théorie des deux sociologues
sénégalais vacille un peu plus lorsque l'on se penche sur les
résultats du département de la ville sainte mouride de Touba,
Mbacke. On s'aperçoit alors de la très forte participation
départementale (67,32%) 163 ainsi que du score "senghorien",
95,64%, fait par Diouf. Le Président sortant obtient ainsi à
Mbacke son meilleur score départemental, devant celui de Louga (94,19
%). Pour expliquer ce raz-de-marée dans une région qui avait
"renié" cinq ans auparavant le chef de l'Etat, on peut évoquer
l'implication du Khalife général des Mourides, qui a plus d'une
fois rappelé sa volonté de voir élire Abdou Diouf, ainsi
qu'une grande application de l'administration locale socialiste pour
"favoriser" un bon score de son candidat dans cette région
symbolique.
Par contre, Abdou Diouf n'a pas enrayé sa baisse de
popularité dans la région de Dakar. Il ne récolte que 58,
19 % des suffrages, contre 40.67 % pour Abdoulaye Wade. Cependant, le
secrétaire général du PS fait son plus faible pourcentage
à Ziguinchor, avec 52,18% des voix. Diouf est de ce fait
sanctionné dans les deux régions qui ont le plus souffert au
cours de son quinquennat. En effet, c'est Dakar et ses environs qui ont connu
les plus grands méfaits de la paupérisation, du chômage et
de l'exode rural entre 1983 et 1988. Le pouvoir montre donc déjà
des signes d'incapacité à attirer dans ses réseaux
clientélistes une population dakaroise jeune et urbaine.
La région de Ziguinchor, malgré un apaisement
du conflit casamancais depuis 1986, vit dans l'angoisse permanente d'une
reprise des violences. Ce score souligne également que le malaise diola
n'a pas été résolu au cours du quinquennat, en
dépit d'un d'intérêt croissant du gouvernement quant au
sort des populations établies au sud du pays. On rajoute que ce n'est
pas uniquement la Basse-Casamance qui lance un avertissement à Abdou
Diouf puisque la seconde région casamançaise, Kolda, "offre"
à Diouf son troisième plus mauvais résultat
régional avec 60,46%.
Abdoulaye Wade voit pour sa part ses résultats en net
progrès. Il recueille 130 802 voix de plus par rapport à 1983,
alors que dans le même temps, Diouf a perdu 80 578 voix. On
répartit ses scores régionaux en trois catégories : hormis
le cas spécifique de Diourbel (12,15 %), Wade ne fait des scores
médiocres que dans les véritables bastions socialistes, c'est
à dire Louga (9, 67%) et Saint-Louis (13,49 %) ; dans les régions
fortement rurales, terreau du socialisme sénégalais, Wade oscille
entre 22,5% et 28 % ; dans les régions contestant fortement le
régime socialiste, Wade représente une véritable
alternative : il fait 35,92% à Kolda, 40,67 % à Dakar et surtout
47,06% à Ziguinchor. Cette percée en Casamance se confirme avec
les résultats législatifs.
163 On reconnaît néanmoins que dans les autres
départements de la région de Diourbel, le taux de participation
est nettement inférieur à la moyenne nationale. Il est ainsi de
54, 41 % à Bambey et de 53,52 % à Diourbel. Le soleil, 4
mars 1988.
Les résultats des élections législatives
de 1988 :
- Electeurs inscrits : 1 932 265
- Votants : 1 118 246 (57,87 % de participation)
- Bulletins nuls : 4 511
- Nombre de suffrages exprimés : 1 113 746
- PS : 794 559 soit 7 1,34 % (103 sièges)
- PDS : 275 532 soit 24,74% (17 sièges)
- LD/MPT : 15 664 soit 1,41%
- PLP : 13 184 soit 1,18%
- PIT: 9 304 soit 0,84%
- PDS/R : 5 481 soit 0,40%
Pour ces élections, PS et PDS abandonnent des
électeurs au profit des petits partis, entre 0 et 4% chacun dans toutes
les régions du pays. Ces pertes n'ont toutefois pas une grande influence
sur la bipolarisation effective de ce scrutin. Le scrutin législatif
s'étant déroulé le même jour que celui de la
présidentielle, les scores des partis se calquent sur ceux des candidats
à la magistrature suprême. Le PS fait ses meilleurs scores
à Louga (88,68 %) et à Diourbel (86,25%) ; le PDS à
Ziguinchor (45,85%)et à Dakar (38,38 %).
Si le PS gagne largement les législatives, le PDS
réussit à briser l'hégémonie socialiste en
remportant une liste départementale, celle de Bignona (région de
Ziguinchor) avec 55,8 % des voix. Cette victoire est en partie due à une
alliance tacite entre le parti libéral local et... des socialistes
dissidents, vexés d'avoir été évincés de la
course à la place Soweto 164 . Le PDS remporte donc 15 sièges de
députés grâce à la proportionnelle et 2
sièges via sa victoire à Bignona. Si les élections
législatives avaient été uniquement proportionnelles, le
parti de Wade aurait disposé de 35 sièges. Les petits partis qui
avaient profité de la scission de leur leader politique - tels
que le Babarcar Niang (PLP) et Serigne Diop (PDS-R) - pour siéger
à l'Assemblée, voient quant eux leur espoir d'être
reconduit annihilé.
Ces résultats passent cependant bien vite au second
plan. Des violences éclatent à Dakar et ses environs après
l'annonce des premiers résultats en faveur d'Abdou Diouf. La jeunesse
dakaroise, qui a appuyé Abdoulaye Wade tout au long de la campagne, se
barricade, brûle des cars, affronte les forces l'ordre et attaque les
résidences de dirigeants socialistes 165 . Pour les sopistes,
la victoire du fondateur du PDS ne fait aucun doute. Les limites du code
électoral, l'absence d'observateurs internationaux, les fraudes, la
subjectivité des médias... autant d'éléments qui
ont contribué au hold-up de Diouf dans l'esprit de cette
"pseudo jeunesse malsaine ".
Le Président de la République n'a plus les
cartes en main pour raisonner "son peuple". Lui qui a appelé le jour du
scrutin à "voter dans la paix et l'ordre ",
décrète conformément à l'article 58 de la
Constitution l'état d'urgence et un couvre-feu allant de 21 heures
à 6 heures du matin. Les blindés rentrent dans Dakar, un
périmètre de sécurité s'instaure autour du palais
présidentiel. Les libertés de presse, de réunion et
d'association sont temporairement
164 A noter que Bignona est la seule commune où
Abdoulaye Wade bat Abdou Diouf (57,05 % contre 42,25 %). Le Soleil, 4
mars 1988.
165 Le bilan des nuits d'émeutes est lourd : 300
personnes arrêtées en flagrant délit, 90 autobus
saccagés, 10 stations services pillées, plusieurs villas de
proches du pouvoir dépouillées etc. Jean de la
Guérivière, "Libération du chef de la Ligue
démocratique", Le Monde, 4 mars 1988.
restreintes. Pis, s'appuyant sur un article publié
dans le journal pro-PDS Sopi la veille du scrutin - qui demande aux
sympathisants de Wade de s'opposer physiquement à tout fraudeur et en
cas d'irrégularités de "faciliter" la formation d'un gouvernement
de transition - la justice fait arrêter pour "flagrant délit
de trouble à l'ordre public" les opposants suivants : Abdoulaye
Wade, son porte-parole Ousmane Ngom, le député PDS de
Thiès Boubacar Sall, Abdoulaye Bathily et Amath Dansokho (PIT)
166.
L'image démocratique du Sénégal est
particulièrement atteinte. Abdou Diouf tente de sauver les apparences en
accordant au journal télévisé de TF1 un entretien
où il déclare en autre que ses adversaires ont été
"de très mauvais perdants qui ont utilisé une masse d'enfants
pour essayer de semer le désordre" 167 . Si les
événements de Dakar sont perçus avec inquiétude en
France, les difficultés sénégalaises provoquent les
railleries des régimes monopartites d'Afrique francophone. Au Gabon, on
déclare : "voyez où cela mène (...) l'exemple
sénégalais de multipartisme (...) nous sommes pour la
démocratie de nos Etats, mais pas pour la multiplication de
l'anarchie"168 tandis que le journal gouvernemental
ivoirien "Fraternité matin" écrit un véritable
pamphlet contre la vie démocratique : "plus que les
expériences de multipartisme (...) c 'est la libéralisation
progressive des règles du jeu politique et la décrispation
sociale qui semblent avoir été les raisons majeures de ce
phénomène" 169.
Toutefois, les violences urbaines dakaroises ne se
répandent pas au reste du pays. Abdou Diouf rassure alors l'opinion
internationale en déclarant ne pas vouloir remettre en cause les
principes démocratiques qu'il défend depuis sa prise de fonction
170 . Pour apaiser les esprits, il incite l'administration à
entreprendre des mesures d'annulation de procès verbaux
"douteux"171. Mais en dépit d'une gestion "pacifiste" des
évènements - il est bon de rappeler que les forces de l'ordre
n'ont tiré aucun coup de feu lors de cette crise - l'opinion
internationale concentre son intérêt sur "l'embastillement" de
Wade et ses conséquences. En l'espace de quelques jours, une ombre s'est
abattue sur la démocratie sénégalaise 172
166 Jean de la Gueriviere, "Ombres sur la démocratie
sénégalaise", Le Monde, 2 mars 1988. et "Me Wade
interpellé", Le Soleil, 2 mars 1988.
167 Jean de la Guérivière, "Les suites des
élections du 28 février : L 'extension des troubles de la
capitale à la province parait avoir été
évitée", Le monde, 3 mars 1988.
168 "Bongo félicite Abdou Diouf et dit non au
multipartisme", Le Soleil, 1er mars 1988.
169 Le Soleil, 2 mars 1988.
170 "Je ne veux pas d'une démocratie sous
surveillance. Je veux une démocratie totale ". "Le
président Diouf veut une démocratie totale", Le Monde, 6
mars 1988.
171 Contrairement à ce que soutiennent Momar-Coumba
Diop et Mamadou Diouf dans Le Sénégal sous Abdou Diouf. Etat
et société, l'annulation des 100 000 bulletins non
signés par des présidents de bureaux de vote n'a pas de
répercussions sur le score des partis marxistes, puisque plus de 75 %
des voix annulées sont... socialistes. En se basant sur la même
source que celle des deux sociologues sénégalais - à
savoir Le Soleil du 14 mars 1988 - on arrive aux résultats
suivants : sur 79 234 bulletins non comptés, 61 330 appartiennent au PS
(77,30 %), 16 700 au PDS (21,08 %), 1 734 aux différents partis
marxistes (2,19 %) et 186 au PDS-R (0,23 %). Sachant qu'en cumulant les scores
obtenus par les partis marxistes aux présidentielles et aux
législatives, on arrive à un total de 49 450 voix, on
s'aperçoit qu'avec l'annulation des procès verbaux douteux, le
"front marxiste" perd 3,51 % de ses voix, soit un pourcentage similaire
à celui du PS, qui est de 3,78 %. "Etats des annulations", Le
Soleil, 14 mars 1988.
172 Référence à l'article de Jean de la
Guérivière, "Ombres sur la démocratie
sénégalaise", Le Monde, 2 mars 1988.
Chapitre 3 : Abdou Diouf reprend la main
(1988-1993)
1. Un monde politique en quête d'apaisement
:
C'est dans un climat de forte tension que commence le
deuxième quinquennat d'Abdou Diouf. Après sa prestation de
serment le 4 avril 1988, il forme une nouvelle équipe gouvernementale,
largement renouvelée (13 rentrées, 11 sorties), qui s'articule
autour des principaux ministres restés en place : Ibrahima Fall
(Affaires Etrangères), Medoune Fall (Forces Armées), Seydou
Madani Sy (Justice) et André Sonko (Intérieur), tous plus ou
moins liés à Jean Collin, qui siège lui-même au
gouvernement en tant que ministre d'Etat et secrétaire
général de la présidence.
Les départs les plus remarqués sont ceux de la
société civile. Ils tournent définitivement la page du
"consensus national", thème largement employé par le chef de
l'Etat entre 1983 et 1988, dont les ministres de la société
civile étaient les symboles. Devant l'impopularité de la
politique économique gouvernementale, les deux promoteurs de la
politique d'ajustement - Mamadou Touré, ministre des Finances, et Cheikh
Kane, ministre du Plan et de la Coopération - servent de "fusibles".
Cette initiative a pour "avantage" de désigner des coupables et
dédouaner le PS des choix économiques décidés
durant le précédent quinquennat.
Iba der Thiam quitte également le gouvernement.
Pourtant, il s'est largement impliqué dans la campagne dioufiste. Il
paie en fait l'agitation scolaire et universitaire des années 1987-1988,
le ralliement très visible de la jeunesse à Abdoulaye Wade mais
surtout son entêtement à vouloir rester en marge du PS et de Jean
Collin. Le ministère de l'Education Nationale et de l'Enseignement
Supérieur, qui avait été mis sur pied en 1986 pour
permettre à Iba der Thiam d'avoir les pleins pouvoirs sur
l'enseignement, est scindé en deux après 1988. L'Education
Nationale revient à Ibrahima Niang et Sahir Thiam hérite de
l'Enseignement Supérieur. Les deux ministres, deux enseignants de
formation - l'un professeur certifié de mathématique, l'autre
professeur agrégé de mathématique - ont pour
première mission... de mettre fin à la grève qui a
débuté au cours de la campagne électorale. Ils y
arriveront au bout... de 7 mois 1.
Quelques autres membres du gouvernement sont peu
marqués politiquement, comme El Hadj Malick Sy (inspecteur des
impôts) ou Ndioro Ndiaye (professeur agrégé de
médecine). Cependant, la grande majorité des ministres sont issus
du sérail socialiste, comme on le constate ci-dessous 2 :
- Jean Collin : Ministre d'Etat, Secrétaire
Général de la Présidence de la République
- Médoune Fall : Ministre des Forces Armées
- Seydou Madani Sy : Ministre de la Justice Garde des Sceaux
- Ibrahima Fall : Ministre des Affaires Etrangères
- André Sonko : Ministre de l'Intérieur
- Serigne Lamine Diop : Ministre de l'Economie et des
Finances
- Djibo Kâ : Ministre du Plan et de la
Coopération
- Robert Sagna : Ministre de la Communication
1 Après avoir annulé l'année scolaire
1987-88, l'Etat fait de considérables efforts pour mettre fin à
cette grève. Le gouvernement d'Abdou Diouf promet l'augmentation des
bourses, la création de lycées, la réfection de nombreux
bâtiments et le déblocage de 10 milliards FCFA pour la seule
université de Dakar. Mais faute de moyens, ces promesses ne sont pas
tenues, ce qui provoque une nouvelle crise scolaire et universitaire...
l'année suivante. Francis Kpatindé, "Rentrée scolaire
incertaine", Jeune Afrique, n° 1448, 5 octobre 1988.
2 Elimane Fall, "Le gouvernement de la décrispation
?", Jeune Afrique, n° 1424, 20 avril 1988.
- Sakhir Thiam : Ministre de l'Enseignement Supérieur
- Ibrahima Niang : Ministre de l'Education Nationale
- Alassane Djaly Ndiaye : Ministre de l'Equipement
- Cheikh Abdoul Khadre Cissokho : Ministre du
Développement Rural
- Ibrahima Famara Sagna : Ministre du Développement
Industriel et de l'Artisanat
- Seydina Omar Sy : Ministre du Commerce
- Samba Yéla Diop : Ministre de l'Hydraulique
- Mme Thérèse King : Ministre de la Santé
Publique
- Abdoulaye Mactar Diop : Ministre de la Jeunesse et des
Sports
- Moussa Ndoye : Ministre de la Fonction Publique, de l'Emploi
et du Travail
- El Hadj Malick Sy : Ministre du Tourisme
- Moustapha Kâ : Ministre de la Culture
- Ndioro Ndiaye : Ministre du Développement Social
- Abass Bâ : Ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat
- Cheikh Cissoko : Ministre de la Protection de la Nature
- Mme Fatou Ndongo Dieng : Ministre délégué
auprès du Président de la République chargé des
Emigrés
- Mme Farba Lô : Ministre délégué
auprès du Président de la République chargé des
Relations avec les Assemblées
- Moussa Touré : Ministre délégué
auprès du Ministre de l'Economie et des Finances
- Mbaye Diouf : Ministre délégué
auprès du Ministre du Développement Rural chargé des
Ressources animales
- Moctar Kébé : Ministre
délégué auprès du Ministre du Développement
Rural chargé de la Protection de la Nature
A l'instar du gouvernement, le Parlement est à
très forte coloration verte 3. Les socialistes
sont au nombre de 103 et n'ont face à eux que 17 opposants, tous issus
du PDS. Cette faible
présence ne favorise pas une opposition qui n'a pas vu une
seule de ses propositions de loi aboutir lors de la précédente
législature 4. Toutefois, le parti libéral,
disposant de plus de 15
députés, peut à présent former un
groupe parlementaire, siéger au bureau de l'Assemblée nationale,
participer aux commissions parlementaires etc.
La composition de la chambre est assez similaire à celle
de 1983. On note touj ours l'absence de députés issus de la
paysannerie, alors que l'on trouve un ouvrier de travaux public et un
conducteur d'autobus dans la liste des députés
socialistes. Le PDS a quant à lui fait élire pour la
première fois un marabout, de surcroît mouride. L'élection
de Serigne Dame Mbacke, placé
dixième sur la liste nationale du PDS, défie donc
le ndiguel prononcé en faveur d'Abdou Diouf par le Khalife
général des Mourides 5.
Comme en 1983, l'Assemblée consacre "la
République des enseignants". On en dénombre 24 dans les
travées de la place Soweto, 19 faisant partis du PS. La deuxième
profession la plus
représentée est celle des administrateurs civils,
mais on en compte que 9 (6 au PS, 3 au PDS). La représentation des
femmes est quant à elle en très légère
augmentation, puisqu'on recense
18 femmes en 1988, contre 13 en 1983. Alors que le PDS a
été un pionnier en matière de féminisation de
l'Assemblée lors de sa première législature - il y avait 4
femmes sur 18
députés PDS en 1978, contre 3 femmes pour 82
députés PS - le parti d'Abdoulaye Wade n'a en 1988... que deux
femmes parmi ses 17 députés. Ceci est d'autant plus surprenant
qu'Abdoulaye Wade avait fait de la féminisation du monde
politique l'un des thèmes centraux de sa précampagne
électorale 6 . Quant aux 16 femmes socialistes, on compte
notamment 6
3 Le vert est la couleur du Parti socialiste
sénégalais.
4 Jean de la Guérivière, "Le
Sénégal, oasis de démocratie", Le Monde, 23
février 1988.
5 Francis Kpatindé, "Deux partis sur six sont
représentés", Jeune Afrique, n° 1420, 23 mars 1988.
6 Il critique notamment lors du deuxième
congrès des femmes PDS le fait "qu'Abdou Diouf réduise la
femme au rôle de décor folklorique et d'applaudimètre de
meetings politique ". Marie-Roger Biloa, "Promesses électorales
à tout va", Jeune Afrique, n° 1381, 24 juin 1987.
institutrices, 2 secrétaires, 2 sages femmes et 1
coordinatrice régionale 7.
Le paysage parlementaire sénégalais reste donc
assez stable. Il est néanmoins amputé du chef
de l'opposition parlementaire, Abdoulaye Wade, emprisonné
à Rebeuss et dans l'attente avec ses compagnons de cellule d'être
jugé pour son rôle dans les débordements
post-électoraux
dakarois.
2. Le procès d'Abdoulaye Wade et ses
conséquences :
L'arrestation d'Abdoulaye Wade ne fait pas les gros titres
des médias d'Etat, Le Soleil annonçant la nouvelle par
l'intermédiaire d'un petit encadré 8.
Pourtant, cet événement entraîne la formation d'une
large coalition de l'opposition appelée "les 11". Après sa
libération
le 2 mars 1988, Abdoulaye Bathily coordonne ce front de
résistance et tient le 5 mars une plate-forme "des 11" à
Thiès, devenue quelques jours auparavant la ville-symbole de la
"résistance" face à Abdou Diouf. Les partis
formulent à cette occasion plusieurs exigences 9 :
- La libération d'Abdoulaye Wade, d'Amath Dansokho et des
autres compagnons de lutte
- La levée de l'état d'urgence et du couvre feu
à Dakar
- L'organisation de nouvelles élections
- Le respect des libertés et des droits de
l'opposition
- La réouverture des établissements scolaires et
universitaires
- La prise en compte des volontés de la jeunesse
- La diminution immédiate des prix des produits de
première nécessité
Face à ces revendications, Abdou Diouf reste inflexible.
Lors d'une conférence de presse en avril 1988, il maintient que les
élections ont été "claires et transparentes"
10 et qu'ainsi, sa
reconduction à la tête de l'Etat ne souffre
d'aucune contestation possible. Concernant l'arrestation d'Abdoulaye Wade,
Diouf se défend maladroitement. Bien qu'il clame qu'il ne
peut rien faire pour son principal opposant, s'abritant
derrière la sacro-sainte séparation des pouvoirs, le chef de
l'Etat emploie le pronom personnel "je" en évoquant
l'interpellation du leader libéral 11.
L'implication tacite du Président de la
République dans l'arrestation de Wade accroît la tension dans le
pays. L'armée sénégalaise, "la grande muette",
songe à intervenir pour mettre
fin à ce climat délétère et
violent 12, qui connaît une recrudescence à
l'approche du jugement. Les sopistes redescendent dans les rues
dakaroises, les attentats à la voiture piégée
fleurissent,
les manifestations dégénèrent dans tout le
pays etc.
Le procès débute le 25 avril 1988. Les
prévenus - Abdoulaye Wade, Ousmane Ngom,
Boubacar Sall et Abdoulaye Fall, qui ont demandé en vain
le statut de prisonnier politique 13 - se présentent devant
la Cour de sûreté de l'Etat "accompagnés" de... 38 avocats,
certains
7 Francis Kpatindé, "Deux partis sur six sont
représentés", Jeune Afrique, n° 1420, 23 mars 1988.
8 "Me Wade interpellé", Le Soleil, 2 mars
1988.
9 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.217, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
10 Abdou Diouf rajoute : " une illustration que les
élections se sont passées très régulièrement
(...) nous avons perdu à Bignona". "Abdou Diouf face à la
presse", Le Soleil, avril 1988.
11 "Pensez bien que cela n'a pas été de
gaieté de coeur que j'ai fait arrêter Abdoulaye Wade". "Abdou
Diouf face à la presse", Le Soleil, avril 1988.
12 A ce sujet, voir Le soleil du 20 avril et 19 mai
1989, Jeune Afrique du 3 mai 1989, Lettre du continent du 30
mars et 8 juin 1989 et Le Monde du 22 avril 1989.
13 "Me Wade et ses codétenus demandent le
régime politique ", Le Soleil, 15 mars 1988.
rétribués depuis Paris. Au cours des
débats, les accrochages sont nombreux. Les avocats de la défense
se plaignent de ne pas avoir à leur disposition toutes les pièces
du dossier et critiquent les manigances socialistes. La défense
démontre notamment que le maire de Dakar, le socialiste Mamadou Diop, a
fait acheminer le premier jour du procès des centaines de militants
socialistes dans les travées de la salle du tribunal pour "perturber"
les débats 14.
Durant ce procès, Abdoulaye Wade obtient un soutien de
poids avec l'intervention comme témoin de Mamadou Dia, l'incarnation du
prisonnier politique au Sénégal. Au cours de son
témoignage, il prononce des paroles extrêmement
sévères à l'encontre du pouvoir, responsable selon lui des
troubles post-électoraux : "il ne faut pas vous laisser abuser, M.
le Président. Un code électoral qui légalise la fraude est
un code de désordre" 15.
Nonobstant cet avertissement, la justice
sénégalaise montre d'inquiétants signes de laxisme, ce qui
exaspèrent les avocats de Wade. Par exemple, le témoignage du
directeur de la police judiciaire, Diaraf Farba Raye, très fortement
soupçonné par la défense d'avoir encouragé la
création de faux procès verbaux pour justifier la "prise en
flagrant délit", est tout simplement annulé par le
président de la cour. Les 38 avocats, jugeant la cour trop partisane, se
retirent alors symboliquement. Dans une salle laissée vide par la
défense, le commissaire du gouvernement requiert alors... cinq ans de
prison à l'encontre d'Abdoulaye Wade, Ousmane Ngom et Boubacar Sall.
Finalement, la cour rend son verdict le 11 mai 1988. La justice choisit la voie
de l'apaisement. Wade n'obtient "que" un an avec sursis, tandis qu'Ousmane Ngom
et Abdoulaye Faye sont acquittés. Seul Boubacar Sall, pour son
"implication" dans les évènements de Thiès du 26
février 1988, est condamné à deux ans de prison ferme
16.
En dépit de la condamnation de Sall, ce verdict est
perçu par les contemporains comme relativement "clément". Il suit
la logique de l'appel à la réconciliation lancé par Abdou
Diouf le 1 er mai 1988, jour de la Korité. La date de cet appel n'est
pas le fruit du hasard, puisque la Korité - Aïd el Fitr
pour les Arabes - représente le dernier jour du ramadan au
Sénégal et marque pour les Musulmans un temps de pardon. Dans ce
discours radiotélédiffiusé, Abdou Diouf aborde plusieurs
thèmes.
Tout d'abord, il annonce des baisses sur le prix du sucre (12
%), de l'huile d'arachide (24 %) et du riz (18,25 %) 17.
La baisse la plus appréciée est celle du riz, étant
l'aliment le plus consommé - et importé - au
Sénégal. Le Président reprend ainsi une des promesses de
campagne d'Abdoulaye Wade - qui garantissait lui une baisse de 50 % - avec pour
objectif d'adoucir le climat social. Il essaie de cette façon de
satisfaire à la fois les citadins, une baisse du prix du riz engendrant
une augmentation du pouvoir d'achat, et les ruraux, qui voient le maintien de
débouchés pour leurs produits locaux (mil et sorgho notamment)
18 . Cette baisse a néanmoins des conséquences pour
les producteurs d'arachide, puisque l'Etat, pour compenser les pertes
financières dues au riz, renonce à leur verser un prix
très supérieur au cours mondial. Le kilo d'arachide passe donc
après mai 1988 de 70 à 90 FCFA, "ce qui montre que les
groupes de populations les plus vulnérables sont ceux qui ne sont pas
organisés, et qui ne disposent pas de groupes de pression
spécifiques pour défendre leurs intérêts"
19.
14 "Le calcul d'Abdou Diouf", Jeune Afrique,
n°1427, 11 mai 1988.
15 Idem.
16 Jean De la Guérivière,"Un an de
prison avec sursis pour M. Wade", Le Monde, 12 mai 1988.
17 Maktar Diouf, "La crise de l'ajustement", pp.77, PoA
45, mars 1992.
18 Jean De la Guérivière, "Après des
réquisitions maximales contre Me Wade, tension persistante à
Dakar", Le Monde, 5 mai 1988.
19 Maktar Diouf, "La crise de l'ajustement", pp.77, PoA
45, mars 1992.
Le chef de l'Etat s'adresse aussi à la jeunesse,
principale force de résistance à Diouf durant la campagne
électorale. Il promet dans son message de placer l'emploi au premier
rang de ses priorités. Sur le plan politique, Abdou Diouf souligne sa
volonté de ne pas reconduire l'état d'urgence au-delà du
17 mai 1988 et déclare que le "chef de l'opposition parlementaire
(...) à son mot à dire sur les problèmes
économiques, ainsi que sur la consolidation démocratique".
Il rajoute ensuite : "j 'aime le Sénégal, Wade aussi
(...) je l'invite personnellement à s 'asseoir avec moi pour discuter
des moyens d'aider notre pays" 20 . Dans le prolongement de
"cet appel de la Korité", Diouf fait voter une loi pour amnistier
Abdoulaye Wade et Boubacar Sall.
Cette déclaration de paix s'apparente à une
victoire politique dioufiste. En effet, en acceptant cette main tendue,
Abdoulaye Wade reconnaît de fait sa condamnation en justice ainsi que
l'autorité et la clémence présidentielle 21 .
Diouf peut être donc présenté par la propagande
étatique comme un homme bon et juste, capable de pardonner. Il adopte
à présent une attitude mesurée et paternaliste, bien
éloignée de ses propos de fin de campagne. C'est pourquoi il
déclare en wolof à la fin de son intervention du 1 er mai 1988,
en retirant ses lunettes et en regardant le peuple "droit dans les yeux" :
"depuis que je suis Président de la
République, je me considère comme le Père de la Nation,
que ce soit vis-à-vis de mes aînés que vis-à-vis de
mes cadets" 22.
Suite à ce discours, les événements
s'enchaînent. Le 11 mai 1988, Abdoulaye Wade sort de prison après
72 jours de détention. Il joue immédiatement la carte de
l'apaisement. Il demande aux lycéens de reprendre les cours et aux gens
massés devant la permanence PDS de Dakar de regagner leur domicile dans
le calme. Le Président de la République lui propose alors une
entrevue au palais présidentiel. Elle a lieu le 26 mai 1988, en
présence d'Ousmane Ngom et... Jean Collin. L'ambiance est tendue, les
sourires sont de circonstance 23 . Contrairement à la
rencontre du 17 mars 1987, qui avait duré à peine 20 minutes,
celle-ci se prolonge pendant plus de deux heures. A la fin de l'entretien, des
commissions sont crées pour se pencher sur les difficultés
économiques et sociales du Sénégal. Abdou Diouf et
Abdoulaye Wade s'entendent pour que toutes les conclusions tirées par
les commissions soient traitées autour d'une table ronde. Elle doit
rassembler le PS, le PDS et tous les autres partis désirant se joindre
à eux.
La mise en place de ces "états généraux"
déplaisent fortement à une grande partie de l'opposition, car en
acceptant la proposition du duo Diouf-Wade, elle reconnaît implicitement
la légitimité du scrutin de 1988 et la bipolarisation effective
de la vie politique sénégalaise. Sur les seize formations
d'opposition, seule la moitié accepte finalement de participer à
la table ronde. "Les huit partis hostiles ont réclamé pour y
participer la démission du chef de l'Etat, la dissolution de
l'Assemblée nationale et l'organisation de nouvelles élections"
24 . Or, le Président est prêt à discuter
de tous les problèmes politiques du pays, mais refuse de remettre en
cause la légitimité de sa victoire, car pour lui, "il n'y a
pas de contentieux électoral (...) les élections sont
derrière nous" 25.
20 Jean De la Guérivière, "Après la
levée de l'état d'urgence : MM. Diouf et Wade se disent
prêts à dialoguer", Le Monde, 19 mai 1988.
21 Jean De la Guérivière, "Après la
levée de l'état d'urgence : MM. Diouf et Wade se disent
prêts à dialoguer", Le Monde, 19 mai 1988.
22 "Le calcul d'Abdou Diouf", Jeune Afrique,
n°1427, 11 mai 1988.
23 Francis Kpatindé, "Rien ne sera plus comme avant",
Jeune Afrique, n° 1432, 15 juin 1988 et "Table ronde nationale
dans 15 jours", Le soleil, 27 mai 1988
24 Jean de la Guérivière, "Prochaine table
ronde entre le gouvernement et l'opposition", Le Monde, 29 juin 1988.
25 Jean de la Guérivière, "Prochaine table
ronde entre le gouvernement et l'opposition", Le Monde, 29 juin 1988.
Pendant des semaines, la table ronde est sans cesse
repoussée, l'opposition étant incapable
d'élaborer une stratégie commune. Le
Président de la République profite de ces errements pour rappeler
à la scène internationale sa politique "de main tendue"
pratiquée depuis 1981,
cherchant à améliorer une image fortement
détériorée depuis le mois de février :
"je ne cesse de prêcher dans le désert
depuis 1981, je ne cesse de me répéter. A la faveur d'une crise,
j'ai dit : "vous voyez, j'avais raison de vous le dire. Parce que nous venons
d'avoir une campagne délirante, dévastatrice, et si nous avions
été habitués au dialogue démocratique, à la
pratique du consensus, nous n 'en serions pas là. Donc revenons à
ce que je vous avais proposé". Et j'ai retendu la main. Mais je ne fais
que cela..." 26.
La table ronde débute finalement le 4 juillet 1988. On
compte neuf partis présents : le PS, le
PDS, le PIT, la LD/MPT, l'UDS/R, le PAIM, le MSRS, le PDS-R et
le RND. Alors que les sujets devaient être divers et variés, les
discussions portent presque exclusivement sur le
domaine politique. L'opposition exige une réforme du code
électoral et un meilleur accès aux médias d'Etat, alors
que le PS prêche... le statut quo. Le PDS, le PIT et la LD/MPT
constatent
rapidement que les socialistes désirent "continuer
à faire systématiquement obstruction sur tous les points
importants, notamment sur l'organisation et le contrôle des
élections". Ils
quittent la table ronde le 19 juillet 1988, soit cinq jours
après le parti de Puritain Fall, l'UDS/R. Reconnaissant l'échec
de la table ronde, Abdou Diouf s'engage néanmoins à entamer
de profondes modifications du code électoral, via
"une charte de la démocratie élaborée avec des partis
politiques et la société civile" 27.
Abdoulaye Wade sort affaibli de cette tentative de rapprochement
avec le Président. Désireux
de mettre fin à l'agitation sociale, il avait
également pour objectif de se voir confier d'importantes
responsabilités par Abdou Diouf. Les tractations ont été
nombreuses entre le mois de mai et juillet 1988, mais aucune d'entre elles n'a
été concluante 28 . De plus, en
affichant sa volonté d'incorporer la sphère
gouvernementale, Wade s'est coupé des partis marxistes - tels que le PIT
ou la LD/MPT - qui l'avaient soutenu lors de son emprisonnement.
C'est pourquoi dès la rupture officielle de la table
ronde en octobre 1988, Wade redevient "un opposant de la première
heure", qui n'hésite à déclarer à propos de Diouf :
"je lui ai proposé de se retirer de façon
élégante, mais il n 'a pas su comprendre" 29 . Il
tente ainsi de remobiliser
le front anti-socialiste disloqué depuis l'appel de la
Korité. Mais le leader libéral a perdu un
temps précieux qui profite au chef de l'Etat. En
démobilisant "les 11", Abdou Diouf s'est offert un répit. Il se
concentre alors sur les maux du parti qu'il dirige, très affecté
par son
affaiblissement électoral de 1988.
26 "Abdou Diouf au club de la presse de RFI", Le
Soleil, 28 juin 1988.
27 Jean de la Guérivière,"Rupture de
la table ronde avec l'opposition", Le Monde, 6 octobre 1988.
28 Abdou Diouf donne un aperçu d'une de ces tractations :
"Dans les semaines qui ont suivi la crise de 1988, il y a beaucoup eu
d'allers et venues, beaucoup de personnes se sont mêlées de tout,
vous savez au Sénégal il y a touj ours des bonnes
volontés, des intermédiaires intéressés. (...) Il y
a quelqu'un qui m'a dit un jour, le Président Wade vous demande de
créer un Sénat et de lui en donner la présidence (...)
comme en France, il aura vocation à assurer le pouvoir si vous
démissionnez. J'ai dit à l'intermédiaire : je peux
l'accepter, si c'est pour ramener la paix dans mon pays (...) vous lui direz
d'accord. La personne va et revient et me dit : "maintenant que vous avez
accepté ça, quand est-ce que vous partez ? Quand est-ce que vous
démissionnez pour qu'il puisse devenir Président ? Alors j'ai dit
: "je crois qu'il y a maldonne". Ce n'est pas Wade qui me l'a dit mais ce sont
des gens qui sont venus me dire ça. Ca s'est arrêté
là". Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny, Emission
livre d'or, RFI, 2005.
29 Francis Kpatindé, "Abdoulaye Wade : Diouf doit
partir", Jeune Afrique, n° 1452, 2 novembre 1988.
3. Le PS, un parti à reconstruire :
En dépit de ses 71% obtenus aux législatives,
le PS est groggy. Les nets reculs constatés en Casamance mais surtout
dans la région dakaroise inquiètent les dirigeants du parti
gouvernemental. Comme en 1983, le PS se cherche des coupables. Les premiers
désignés sont les ministres de la société civile du
précédent gouvernement : Mamadou Touré, Cheikh Kane et Iba
der Thiam. L'ancien ministre de l'Education Nationale et de l'Enseignement est
particulièrement visé, en raison de son implication dans le
comité de soutien Abdoo nu dooy, qui a court-circuité
tout au long de la précampagne les initiatives socialistes. Les
critiques les plus virulentes proviennent du GER. Le groupe de recherche pointe
du doigt l'incapacité dont à fait preuve Abdoo nu dooy,
et les autres comités du soutien, pour fédérer la
population sénégalaise autour du projet dioufiste. Ceci s'est
manifesté pour le GER par "un discours resté trop classique
(...) qui renforce l'image d'un PS vieux parti, alors qu'en face l'opposition
montre un nouveau visage, qui fait preuve de sang neuf"
30. Le GER appelle la formation gouvernementale
à opter pour "une nouvelle voie", via des changements d'hommes, dans le
but de mettre fin au clientélisme et au conservatisme
idéologique. Le GER souhaite ainsi prendre la tête de la
"Rénovation" 31.
Abdou Diouf parait accorder sa confiance aux "jeunes loups".
Durant le congrès extraordinaire socialiste du 30 juillet 1988, il
insiste sur les changements qui doivent être menés par l'ensemble
des dirigeants socialistes : "il nous faut accorder une attention
particulière à la communication pour convaincre de la justesse de
nos options (...) il faut un langage de vérité vers les masses et
répudier les communiqués pour le dialogue" 32.
Profitant de ce "souffle nouveau", certains cadres PS
remettent en cause la prédominance de Jean Collin. Daouda Sow,
président de l'Assemblée nationale et tête de liste PS aux
législatives de 1988, suggère une réforme du bureau
politique. Il propose le rétablissement d'une hiérarchie au sein
du parti, afin que le secrétaire chargé de la vie politique -
généralement le président du Parlement
sénégalais - redevienne le numéro deux officiel et
reprenne en main les débats au sein du bureau politique. La fonction de
Jean Collin - secrétaire national chargé des règlements
des conflits - serait alors éclatée en... 15 corps, tous
coordonnés par le secrétaire général chargé
de la vie politique, via une commission de contrôle du parti
33. Abdou Diouf offre alors des garantis à Daouda
Sow pour mener à bien son projet. En donnant son approbation, le chef de
l'Etat tente de reprendre les rênes d'un parti qu'il a laissé
depuis 1984 à son fidèle ministre d'Etat. Pour confirmer sa
volonté de reprise en main, il affirme lors du congrès
extraordinaire PS être le seul chef du parti : "ce que le
secrétaire général proclame haut et fort (...) doit
être respecté" 34.
Face à la constitution d'un front anti-Collin, plus ou
moins toléré - voire appuyé - par le Président de
la République, Jean Collin réagit et se rapproche des ambitieux
membres du GER. Ces derniers, en manque de réseaux et de
clientèles, ont tout intérêt à s'allier avec
l'influent secrétaire général de la présidence de
la République. Un pacte est conclu entre les
30 Albert Bourgi, "Diouf et Wade peuvent s'entendre mais...
", Jeune Afrique, n° 1437, 20 juillet 1988.
31 Le terme de "Rénovation", déjà
employé en 1976 lors du Congrès qui installe les pro-dioufistes
au sein de l'UPS/PS, est utilisé par le parti pour annoncer non pas des
changements idéologiques majeurs, comme l'affirme la propagande
étatique, mais des changements ou des confirmations de monopole de
direction assuré par un groupe de personnes au dépend d'un
autre.
32 "Congrès extraordinaire du PS", Le Soleil,
1er août 88.
33 Momar-Coumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.375, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
34 "Congrès extraordinaire du PS", Le Soleil,
1er août 88.
deux partis pour s'assurer le contrôle du bureau
politique PS, au profit des "conservateurs", menés par Daouda Sow.
Jean Collin profite de ses nombreux soutiens à
l'Assemblée nationale pour déstabiliser le deuxième
personnage de l'Etat. Une soixantaine de députés accuse Sow
à partir de novembre 1988 de "mal gérer" les fonds
spéciaux du Parlement et de préparer un coup de force au sein du
bureau politique. La tension est si forte entre les deux camps que la vie
parlementaire sénégalaise est bloquée durant un mois. La
lutte est indécise et personne n'ose véritablement prendre
position au sein "des non-alignés", de peur d'en subir les
conséquences en cas de mauvais choix. C'est ainsi qu'on explique le
silence observé par Le Soleil, qui évoque pour la
première fois la crise parlementaire le... 11 décembre 1988, soit
cinq jours après la démission de Daouda Sow 35.
Le Président de l'Assemblée nationale n'a donc
pas résisté à l'action menée par les proches de
Jean Collin. En ayant tenté de s'opposer au puissant ministre d'Etat,
Daouda Sow a été victime du "syndrome Habib Thiam". Tête de
liste aux législatives, deuxième personnage de l'Etat, proche du
Président de la République, il n'a cependant pas pu
empêcher le ralliement massif des parlementaires à Jean Collin.
Après une rencontre avec Abdou Diouf le 6 décembre 1988, Sow
démissionne du perchoir de l'Assemblée nationale, mais
contrairement à Thiam en 1984, il conserve son mandat de
député. Pour le remplacer, Jean Collin choisit un allié
fidèle, inconnu du grand publique : Abdoul Aziz Ndaw 36 .
Député-maire de Mekhe, présenté comme un socialiste
de la première heure, il est élu par 86 députés le
10 décembre 1988. Sur les députés présents ce jour
là, seul... Daouda Sow ne vote pas en sa faveur. Les
députés PDS, agacés par cette guerre interne, quittent
l'hémicycle avant le vote en déclarant par l'intermédiaire
de Boubacar Sall : "nous ne sommes pas à la maison du PS"
37.
Jean Collin retrouve de ce fait sa prédominance.
Absent du bureau politique depuis avril 1988, le ministre d'Etat le
réintègre suite au départ de Sow. Il favorise
l'intégration du GER et prend la tête du bureau exécutif
chargé de préparer le Congrès extraordinaire PS dit de
"rénovation". Pour mettre fin "aux luttes de clan (...) qui
entraînent des blocages néfastes au détriment de la
cohésion du parti" 38 , Abdou Diouf a en effet dissout
le comité central. Jean Collin est par conséquent seul aux
commandes du PS. Parmi les dix autres membres du bureau exécutif, on
retrouve des "rénovateurs", tels que Moustapha Kasse, Khalilou Fall,
Madia Diop ou Babacar Sine. D'une manière générale, les
dix sont tous très étroitement liés au secrétaire
général de la présidence.
Pour favoriser le dialogue et "la rénovation", les
innovations socialistes prolifèrent. La première
université d'été du PS se tient en septembre 1989, le GER
multiplie les antennes régionales, Abdou Diouf se penche sur les
réformes du code électoral. Le PS change et désire le
montrer. Toutefois, Jean Collin pose problème. Dans les rangs
socialistes, on ne s'embarrasse plus d'aucune politesse :
35 "Un nouveau Président aujourd'hui", Le
Soleil, 11 décembre 1988.
36 Au contraire, Daouda Sow a un passé politique
conséquent. Député depuis 1963, il a été
ministre de la Santé (1970-1973), ministre de l'Information, des
Télécommunications et des Relations avec les Assemblées
(1973- 1980) et ministre des Forces Armées (1981-1983). "Un nouveau
Président aujourd'hui", Le Soleil, 11 décembre 1988.
37 "Abdoul Aziz Ndaw installé", Le Soleil 12
décembre 1988.
38 "Contribution préliminaire du camarade Abdou
Diouf" , Le Soleil, 16 février 1989.
"si le Président se sépare de Jean Collin, il
réglera 50% des problèmes. Il est devenu trop impopulaire.
Même les ministres font semblant de s'écraser, mais on ne l'aime
pas. Il a tout accaparé" 39.
Nombreux sont ceux qui conseillent à Abdou Diouf de
mettre fin à sa collaboration avec son éminence grise. En plus
d'être peu aimé, Collin incarne à lui seul l'image d'un PS
manipulateur et frauduleux dont Abdou Diouf tente
désespérément de se dissocier.
Au début du mois de mars 1990, rien ne laisse
présager "la révolution" qui est en cours de préparation.
Jean Collin préside l'assemblée générale du GER. Il
est à cette occasion très bien entouré, puisque toutes les
"étoiles montantes du parti" - Djibo Kâ, Ousmane Tanor Dieng,
Moustapha Kâ - s'arrangent pour figurer en photo à ses
cotés 40. La lecture du Soleil montre que
le quotidien relate toujours avec autant de frénésie ses
apparitions, ses discours, ses prises de positions et le soutien de ses "amis".
Son comité de soutien - "les amis de Jean Collin" - inonde en effet les
pages du journal gouvernemental. Une semaine avant la retraite forcée du
ministre d'Etat, le comité prône encore l'unité autour de
Collin 41.
Ces faits montrent que le sort du secrétaire
général à la présidence est scellé dans le
plus grand secret. Les réseaux sénégalais et les
connexions avec la France dont dispose Jean Collin inquiètent
l'entourage présidentiel. Abdou Diouf prend toutes les dispositions
nécessaires pour permettre une "transition" en douceur. Il s'assure
notamment auprès de Medoune Fall, ministre des Forces Armées, que
Jean Collin ne puisse avoir aucun moyen de riposte après "sa mise en
congés". Selon les contemporains, Jean Collin est à l'annonce de
son renvoi médusé par la "traîtrise" d'Abdou Diouf 42
. Il quitte ses fonctions le 27 mars 1990, avant d'être
"remercié" du PS en avril de la même année.
Plusieurs raisons sont évoquées pour expliquer
la chute brutale de Jean Collin. Certains écrits laissent entendre qu'il
était un frein à l'ouverture du gouvernement à
l'opposition. Si cette affirmation peut être considérée
comme exacte, on constate néanmoins qu'après mars 1990, Abdou
Diouf ne fait pas appel dans un premier temps au PDS. Il déclare
même dans une conférence de presse en mai 1990 qu'il ne songe pas
à une réinstauration de la Primature 43. Le
Président souligne au cours de la même période sa
volonté de voir une majorité qui gouverne et une opposition qui
s'oppose. On pense par conséquent que le revirement constaté avec
l'entrée du PDS dans le gouvernement en avril 1991 n'est pas dû
principalement au limogeage de l'ancien ministre d'Etat mais plutôt au
camouflet que connaît Diouf lors des municipales de 1990.
De ce fait, d'autres facteurs sont pris en compte pour
comprendre la destitution de Collin. On sait tout d'abord que le "toubab de
la négritude" 44 est un homme malade, qui se rend
régulièrement en France depuis le milieu des années 1980
pour se soigner. Outre sa santé déclinante, Jean Collin est
depuis son passage temporaire au ministère de l'Intérieur, une
cible presque quotidienne de l'opposition. Déjà malmené
depuis 1984, le ministre d'Etat est accusé
39 Sennen Andriamirado, "Petite fraude et combat des chefs",
Jeune Afrique, n° 1455, 23 novembre 1988.
40 Voir la photo de l'article "Le GER en Assemblée
générale", Le Soleil, 5 mars 1990.
41 "Les amis de Jean Collin prêchent l'unité ",
Le Soleil 20 mars 1990.
42 "Et puis un jour, il (Jean Collin) commit l'erreur de
présenter, une nouvelle fois, sa démission. Abdou avança
alors, et le mit "échec et mat" avec une telle rapidité et une
telle maîtrise que certains en furent comme foudroyés (...) le
ministère de l'Intérieur avait pris toutes ses
responsabilités. Une page de l'histoire du Sénégal venait
d'être tournée". Habib Thiam, Par devoir et amitié,
pp.101, Paris, Rocher, 2001.
43 "Abdou Diouf face à la presse des Etats-Unis : Pas
de Premier ministre", Le Soleil, 18 mai 1990.
44 Jean de la Guérivière, "Jean Collin, le
toubab de la négritude", Le Monde, 7 avril 1988.
après 1987 d'être le principal responsable des
maux qui touchent le pays (fraudes électorales, durcissement du
régime, relations tendues avec l'opposition, corruption
généralisée etc). Cette situation, si elle est
pénible pour Collin, décharge Diouf d'un poids, lui qui est sur
les devants de la scène politique intérieure en permanence depuis
la suppression de la Primature. Mais les cabales à
répétition nuisent à la bonne marche de l'Etat et
altèrent l'image d'homme droit et intègre dont a
bénéficié Collin autrefois. Les violences urbaines de
1988, ajoutées à la crise mauritanienne de 1989, font donc de
Jean Collin un bouc émissaire idéal. L'homme qui "fascinait
parce qu 'il ne disait rien, mais qui pour la plupart des
Sénégalais, pouvait tout et faisait tout", qui a fait Abdou
Diouf... est donc défait par sa création. Le mentor est devenu
fusible 45.
Après des "remerciements polis" de la part d'Abdou
Diouf, qui salue le travail effectué par son ancien bras droit, Jean
Collin quitte la scène politique sénégalaise. Son nom ne
réapparaît dans les médias officiels qu'après
l'annonce de sa mort, en octobre 1993. L'ancien ministre d'Etat est alors
enterré dans le village natal de sa seconde femme, à Ndaffate. Si
le conseil des ministres ne lui rend pas un hommage officiel, Abdou Diouf et
Habib Thiam - redevenu Premier ministre - l'accompagnent discrètement
jusqu'à sa dernière demeure, sans faire de déclarations.
La grande couverture des funérailles par le Soleil et les
titres élogieux qui accompagnent les articles - Digne fils du
Sénégal ; Grand commis de l'Etat ; Un sens aigu de l'Etat ;
Collin, venu en colon, colonisé par l'africain et adopté par le
Sénégal 46 - traduisent cependant l'énorme
influence qui a été celle de Jean Collin durant presque trois
décennies au Sénégal.
Une page se tourne donc avec la chute du secrétaire
général de la présidence. On croit alors que cette
destitution "provoque une importante restructuration au sein de la
direction politique et administrative de l'Etat" 47.
Si elle est exacte au sein du PS - comme le désirait Daouda Sow en
1988, le secrétaire national chargé de la vie politique reprend
la direction du bureau politique - il n'en va pas de même pour ce qui est
du gouvernement. En effet, on constate lors du remaniement ministériel
du 27 mars 1990 l'apparition d'Ousmane Tanor Dieng, qui se voit octroyé
la fonction de... ministre-directeur de cabinet. Même si André
Sonko succède officiellement à Collin au poste de "ministre,
secrétaire général de la présidence de la
République", c'est bel et bien Ousmane Tanor Dieng qui, petit à
petit et en toute discrétion, reprend à son compte les dossiers
auparavant confiés au toubab de la négritude.
Néanmoins, cette "substitution" est à peine
relevée par les contemporains, qui préfèrent insister sur
le départ de Collin et sur la création de cinq
"super-ministères" 48 . Les vedettes de ce remaniement sont
Moussa Touré, ministre de l'Economie et des Finances ; Djibo Kâ,
ministre de l'Education Nationale ; Robert Sagna, ministre de l'Equipement, des
Transports et du Logement ; Assane Diop, ministre de la Santé et de
l'Action Sociale et Moustapha Kâ, ministre de la Culture et de la
Communication.
Ces changements sonnent le glas de l'influence des
"rénovateurs" sur la vie politique sénégalaise. Ces
derniers, légions au bureau exécutif du PS, n'ont pas un seul
représentant au gouvernement. Quant au GER, qui milite depuis 1988 pour
une entrée massive de ses cadres
45 Jacques Foccart écrit à propos : "A-t-il
été le mentor de Diouf comme on l'a dit, ou surtout son fusible ?
Sans doute un peu des deux". Jacques Foccart, Foccart parle,
entretiens avec Philippe Gaillard, tome 2, pp.292, Paris, Fayard, 1997.
46 Voir Le Soleil du 19, 20, 24 et 25 octobre 1993.
47 M-C. Diop, M. Diouf et A. Diaw, "Le baobab a
été déraciné : L 'alternance au
Sénégal", PoA 78, juin 2000.
48 "Fenêtre sur quatre super-ministères",
Le Soleil, 30 mars 1990.
dans l'équipe ministérielle, ne voit incorporer
que ses membres les plus proches du Président, à savoir Moustapha
Kâ, ancien directeur de cabinet du Président (1981-1988), et
Jacques Baudin.
Avec ce gouvernement très "dioufiste", le
secrétaire général du PS a les moyens de "nettoyer" les
instances dirigeantes socialistes. La composition du bureau exécutif
provisoire, largement favorable à Jean Collin, est devenue caduque
depuis le départ de ce dernier. Les intellectuels du GER, sans base ni
réseaux, ne réussissent pas à s'imposer lors des
renouvellements dans les unions départementales PS.
En 1990, l'élection des dirigeants locaux socialistes
se veut plus démocratique que les précédentes. Selon les
désirs d'Abdou Diouf, les compositions des instances de bases doivent
refléter la volonté des militants. Les enjeux de ces
renouvellements sont cependant très importants, les personnes en lice
ayant la possibilité de se constituer une clientèle et
d'accéder aux ressources sociales et économiques du pays
49. Les débats sont donc houleux, heurtés
et parfois violents. Plusieurs rappels à l'ordre sont formulés
par le bureau politique pendant cette période, donc celui-ci,
daté de juin 1990 : "le bureau exécutif a tenu à
condamner les violences constatées dans certaines coordinations comme la
septième de Dakar et a demandé que toute la clarification leur
soit fait sur les auteurs et les commanditaires" 50.
Les blindages et blocages étant nombreux,
l'élection des unions régionales PS prend plusieurs mois de
retard. C'est en juin - juillet 1990 qu'on obtient finalement le nom des
présidents généraux d'union régionale PS 51 :
- Dakar : Lamine Diack
- Diourbel : Jacques Baudin
- Fatick : Moustapha Kâ
- Kaolack : Abdoulaye Diack
- Kolda : Amath Cissé
- Louga : Abdourahmane Sow
- St-Louis : Cheikh Amidou Kane
- Tamba : Cheikh Cissokho
- Thiès : Abdoul Aziz Ndaw
- Ziguinchor : Landing Sane
On s'aperçoit que les hommes élus sont
d'actuels ou d'anciens ministres. Si tel n'est pas le cas, on leur
reconnaît un solide passé de militant. Pour être
désigné, certains ont du faire campagne contre des hommes
politiques influents. C'est le cas à Dakar pour Lamine Diack,
opposé Mamadou Diop ou à Ziguinchor pour Landing Sané,
opposé à Robert Sagna. Dans un tel contexte, les
rénovateurs, fraîchement apparus dans le paysage socialiste et
sans véritable base, n'ont pas fait le poids.
En s'appuyant sur ces nouveaux présidents d'union
régionale, Abdou Diouf essaie de rassembler la famille socialiste pour
mettre fin aux clivages récurrents depuis sa prise de fonction en 1981.
Abdou Diouf choisit donc les membres du bureau politique, plaçant des
hommes de confiance et d'expérience. Les rénovateurs sont ainsi
les grands perdants du congrès socialiste de 1990, puisque la grande
majorité d'entre eux sont invités à rejoindre... les
centaines de membres du comité central. Les plus "chanceux"
accèdent à des postes de second rang. Le cas de Babacar Sine est
exemplaire. Considéré à la fin des années 1980
comme l'un
49 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ?
Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut
d'études politiques de Paris, 20 p., 1996.
50 "Préparation minutieuse du congrès",
Le Soleil, 1er juillet 1990.
51 "Les secrétaires généraux des unions
régionales", Le Soleil, 24 juillet 1990.
des principaux idéologues du GER, il fait parti du
prestigieux bureau exécutif provisoire de 1989. Toutefois, avec le
départ de Collin, il perd son principal promoteur. En 1990, Sine ne
figure plus qu'en... 26ème position dans le bureau politique PS, avec la
fonction peu glorieuse "d'adjoint du secrétaire national chargé
des questions scolaires et universitaires" 52.
En favorisant des dirigeants nommés par les militants
- les dix présidents d'union régionale siègent au bureau
politique - Abdou Diouf lance un message fort à la base. Il clame que le
PS s'est démocratisé et a compris ses erreurs passées.
Devant un tel discours, il est étonnant de noter que le
secrétaire général du PS est reconduit... par acclamation,
et non pas par la voie démocratique. De plus, si Abdou Diouf donne
à la base le pouvoir d'élire ses représentants au
congrès, les membres du bureau politique sont choisis uniquement par
Diouf. La hiérarchie étant une nouvelle fois supprimée -
elle avait été rétablie lors de la constitution du bureau
exécutif de 1989 - le secrétaire général retrouve
une toute puissance au sein de son parti qu'il avait délaissé
depuis 1984.
Cependant, Diouf délègue au numéro deux
officieux du PS - Abdoul Aziz Ndaw, secrétaire national chargé de
la vie politique - la présidence du bureau politique. Il s'appuie aussi
sur des personnes en qui il fait totalement confiance. On pense à Djibo
Kâ, secrétaire national chargé des élections,
Ousmane Tanor Dieng, secrétaire national chargé des relations
internationales et Moustapha Kâ secrétaire nationale chargé
de la formation permanente. D'autres fidèles d'Abdou Diouf composent ce
bureau politique : André Sonko, Lamine Diack, Jacques Baudin, Abdoul
Khadre Cissokho, Landing Sané, Robert Sagna, Cheikh Amidou Kane etc.
53
En s'entourant d'hommes dévoués, Abdou Diouf
s'offre un soutien sans faille dans son entreprise de "démocratisation",
qui doit être couronnée par la réussite des
élections municipales de 1990. Mais prenant conscience du risque
d'assister à la constitution d'un front hostile au sein du comité
central, Diouf appelle les "barons" à former "un corps de
contrôleurs composé d'hommes détachés des affaires
politiques de la base" 54. Les compagnons de
Senghor, présentés jadis comme corrompus et anti-dioufistes, sont
à présent loués pour leur sagesse et leur...
déontologie. Ce retour au passé n'est pas une première
pour Abdou Diouf, puisqu'en 1988, face à l'agitation grandissante de la
jeunesse, il n'a pas hésité à rendre hommage plusieurs
fois à Léopold Sédar Senghor.
Ce changement d'attitude n'est pas
désintéressé. A une période où le PS fait
face à une impopularité croissante, les années
senghoriennes ne sont plus assimilées à un temps où
régnait le monopartisme mais à une période heureuse, faite
de providence, de plein emploi et de bien-être. Abdou Diouf juge donc que
le parti gouvernemental n'a plus aucun intérêt à renier ce
passé. Au contraire, il doit l'entretenir et le louer. C'est pourquoi
après 1990, les "barons" deviennent... "les sages". Ils forment à
présent un cortège d'observateurs avisés de la vie
politique interne du comité central, rattachés directement
à Diouf. Au nombre de douze, on retrouve : Alioune Badara Mbengue,
Assane Seck, Aboubacry Kane, Ibra Mamadou Wane, Aboulaye Fofana, Adrien
Senghor, Babacar Bâ, Magatte Lô, Mme Caroline Diop, Moustapha
Cissé, Abdoul Aziz Diagne et Papa Amath Dieng.
Avec ce congrès, Abdou Diouf s'assure le
contrôle du PS. Il a installé ses hommes, et peut maintenant
compter sur le soutien de ses "camarades" pour remporter les élections
municipales de novembre 1990. Toutefois, privé de Jean Collin, Abdou
Diouf est dorénavant
52 Le Soleil, 27 juillet 1990.
53 "Le bureau politique", Le Soleil, 30 juillet
1990.
54 "Le PS dans le vent de l'histoire", Le Soleil, 30
juillet 1990.
en première ligne et prend le risque d'essuyer les
critiques de son propre camp. Il prend de surcroît la
responsabilité de devoir choisir assez rapidement un homme pour le
seconder, qui apparaîtra forcement tôt ou tard comme un successeur
potentiel, avec le risque bien évident de susciter des jalousies et des
dissensions internes.
Abdou Diouf ne voit pourtant après le congrès
que les bénéfices à court terme d'une telle reprise en
main. Il dispose d'un socle solide sur lequel s'appuyer pour mettre un terme
aux crises qui se sont multipliées au Sénégal entre 1988
et 1990.
4. Le Sénégal 88-90, un pays en crise
permanente :
4.1. La crise économique :
Les violences urbaines de 1988 ont
révélé à la communauté internationale les
terribles difficultés économiques auxquelles sont
confrontés les Sénégalais depuis le début des
années 1980. L'échec de l'ajustement sur le plan social parait
indéniable. Le développement n'a pas été l'axe
prioritaire des programmes du FMI et de la Banque mondiale, ce qui explique le
rejet massif de la politique dioufiste par la population. Pour enrayer ce
mécontentement, les bailleurs de fonds autorisent Abdou Diouf à
desserrer l'étau de l'ajustement :
"Après 1988, ce sont les instances de Bretton
Woods et les gouvernements des grandes puissances qui sont venus me voir pour
me dire : "nous avions tort, vous êtes allé trop loin sur nos
recommandations, vous devriez réduire maintenant le prix du riz,
réduire le prix de l'huile, réduire le prix du sucre". C'est ce
que nous avons fait" 55.
Durement chahuté par les 15/30 ans en 1988, Abdou
Diouf axe après sa réélection sa politique vers l'emploi
des jeunes. Un plan d'action pour la création d'emplois est mis
en place : il prévoit 70 000 emplois en trois ans. Cet effort est
néanmoins insuffisant, la croissance démographique étant
largement supérieure à la croissance économique du pays.
Les bailleurs fonds doutent de surcroît de la viabilité des
projets financés. Ce sentiment est renforcé par... les
commentaires de Djibo Kâ, qui écrit le 13 janvier 1989 que le plan
"devra créer un grand nombre d'emplois qui, même s'ils ne sont
pas nécessairement viables dans le moyen terme de deux à cinq
ans, produiront des justifications économiques et démontreront de
façon évidente l'engagement du gouvernement à
répondre aux préoccupations de sa population"
56.
La santé financière des banques
sénégalaises inquiète également les institutions
financières internationales. En 1987, on juge que sur les 14 banques
sénégalaises... seules 3 sont en relative bonne santé. Le
système bancaire est miné par des problèmes
récurrents : trop de banques ; nombre de retraits supérieurs aux
dépôts ; multiplication des mauvais payeurs etc. Les investisseurs
nationaux, trop fragiles et trop frileux, sont incapables de le reprendre en
main. L'Etat sénégalais décide donc de réouvrir les
banques... à leurs anciennes maisons mères occidentales. Cette
décision sonne le glas de la "sénégalisation". Par
exemple, l'Union Sénégalaise des Banques passe sous le
contrôle du Crédit Lyonnais après 1989 57.
Cette reprise, qui provoque 150 licenciements, contient un accord pour
que la banque française n'hérite que des créances saines.
Les créances douteuses, estimées à... 47 milliards FCFA,
sont "offertes" à un autre établissement... crée par
l'Etat 58.
Ces mauvais payeurs sont le plus souvent des marabouts mourides
ou tidjanes influents, très
55 Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005.
56 "Rivalité sur l'emploi", Lettre du continent,
2 mars 1989.
57 "Reprise de l'USB par le Crédit Lyonnais",
Lettre du continent, 22 juin 1988.
58 "Le Crédit lyonnais en main propre", Lettre
du continent, 28 juillet 1989.
bien implantés dans leur localité et quasiment
"intouchables". On estime que le seul marabout tidjane Cheikh Tidiane Sy a une
dette de plus de... 10 milliards FCFA 59.
La crise bancaire est représentative du marasme
économique qui touche le Sénégal. Le cours de l'arachide,
en continuelle chute, atteint un prix dérisoire en 1990 (800 $ la
tonne). L'arachide ne constitue plus que 13% du PNB en 1990 alors qu'elle
représente encore la moitié des exportations
sénégalaises 60.
La mort de la filière arachidière est amortie
par les bons chiffres de la pêche et du tourisme, ce secteur rapportant
en 1989 16 milliards FCFA au Sénégal 61 . Le tourisme
se concentre essentiellement sur la presqu'île du Cap Vert et sur le site
de Cap Skirring, situé au sud de la Casamance. Cette activité,
bien que rentable, a des désavantages : l'activité est
saisonnière, et ne permet pas l'octroie de salaires fixes aux
employés ; les infrastructures, généralement
françaises, n'ont que des relations limitées avec les commerces
locaux ; enfin, Cap Skirring est sous la constante menace d'une
détérioration de la situation casamançaise. Le tourisme,
deuxième apport en devise du pays, est par conséquent un secteur
particulièrement fragile.
L'économie sénégalaise est donc
chancelante. Pour la soulager, la France annule en 1990 - comme elle le fait
avec d'autres pays d'Afrique subsaharienne - l'énorme dette du
Sénégal (256 milliards FCFA) 62 . L'ancienne
métropole, elle aussi en grande difficulté financière, a
cependant de plus en plus de mal à soutenir financièrement "son
précarré africain". Le Sénégal est de ce fait plus
dépendant qu'autrefois du FMI et de la Banque mondiale. Ces institutions
ne cachent plus leur mécontentement après 1990.
Les reproches sont de plus en plus appuyés à
l'égard d'un des pays les plus assistés de la planète (300
millions FCFA d'aides annuelles en moyenne), doté d'une dette colossale
de 1000 milliards FCFA. Ils déplorent le trop grand nombre de
fonctionnaires (toujours estimé en 1990 à 67 000) et les
monopoles de certaines sociétés agroalimentaires qui accrois sent
le coût de la vie au Sénégal 63 . Selon eux, le
pays vit au-dessus de ses moyens. En dépit des baisses
budgétaires conséquentes, touchant particulièrement... la
santé et l'éducation, Abdou Diouf n'arrive pas à endiguer
le gouffre financier qu'est la fonction publique.
Nonobstant les départs à la retraite
anticipée, le blocage des salaires des fonctionnaires depuis 1983 ou
encore l'absence de recrutement, celle-ci représente touj ours plus de
50 % des dépenses ordinaires. Les chiffres sont
révélateurs : alors que les experts internationaux
réclament le départ de 15 000 fonctionnaires pour 1992, le chef
de l'Etat n'en promet que...
4300 64.
En 1991, les conclusions du rapport d'Elliot Berg, personne
influente au sein de la Banque mondiale, n'arrangent pas les relations entre le
Sénégal et les institutions internationales. Christian Coulomb
rapporte que "s'il (le rapport d'Elliot Berg) reconnaît que les
contraintes climatiques et énergétiques sont pour beaucoup dans
cette faillite (économique du Sénégal), il souligne aussi
l'inertie de l'Etat, sa pesanteur bureaucratique et sa faible capacité
de résistance aux pressions internes. Il note par ailleurs la
facilité avec laquelle le Sénégal obtient des aides
extérieurs qui lui permettent de faire face à l'immédiat,
mais au détriment
59 "Les débiteurs du secteur bancaire" , Lettre
du continent, 21 décembre 1988.
60 "Arachide cotée Sénégal", Le
Monde, 2 novembre 1992.
61 "Malaise social et crédibilité", Jeune
Afrique, n° 1 564, 1 er janvier 1991.
62 "Dette du Sénégal : le fardeau
allégé",Le Soleil, 9 octobre 1990.
63 Le monopole de la société Mimram sur le
sucre, encouragé par certains "amis" français, a pour
conséquence de rendre le sucre... trois fois plus cher au
Sénégal que le cours mondial. Elimane Fall, "Quand
l'économie va mieux", Jeune Afrique, n° 1438, 27 juillet
1988.
64 "Malaise social et crédibilité", Jeune
Afrique, n° 1564, 1er janvier 1990.
d'une réforme en profondeur de sa politique
économique" 65 . Cette défiance réciproque
est renforcée par la volonté du FMI de pousser la France à
accepter une dévaluation du Franc CFA, préconisée depuis
la mise en place des premiers ajustements au sein de zone CFA.
Le Franc CFA, qui a été instauré le 26
décembre 1945, est la monnaie de la plupart des anciennes colonies
françaises d'Afrique noire. La zone comprend 13 pays africains : le
Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger, le
Sénégal, le Togo, le Cameroun, la République
centrafricaine, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le
Tchad. Les avantages de cette monnaie sont nombreux : le Franc CFA a une
parité fixe, dispose d'une libre transférabilité et il est
convertible en Franc français (50 FCFA = 1 FF), ce qui le rend
échangeable dans le monde entier et permet de financer les importations
ou de couvrir les déficits.
Cependant, cette monnaie forte nécessite des
institutions financières solides. Or, comme on l'a vu, les banques
sénégalaises - et africaines en général - sont
ruinées et ne peuvent plus faire face aux importants retraits d'argent.
Les règlements financiers passant par des circuits parallèles se
multiplient ainsi que les fuites de capitaux vers des pays "plus sûrs"
comme la France, la Grande-Bretagne ou la Suisse 66 . En outre, la
zone CFA est devenue commercialement peu attractive. Elle possède une
monnaie surévaluée qui subit la concurrence de pays tels que le
Nigeria ou le Zaïre. Dotés d'une monnaie nationale, ces Etats
peuvent moduler le cours de leur monnaie à "tout instant" pour favoriser
leur commerce extérieur en vendant moins cher que dans la zone CFA.
Une dévaluation s'impose pour rendre la zone CFA
concurrentielle. Le principal héraut de cette solution est la Cote
d'Ivoire, qui représente à elle seule 44 % de la masse
monétaire de la zone. Le pays, depuis la chute du cours du cacao dans
les années 1980, est en cessation de paiement. Pis, elle ne rembourse
plus ses crédits. Une dévaluation permettrait à
Félix Houphouët Boigny de relancer ses exportations de cacao et
redonner "un peu d'air" à l'économie ivoirienne.
Mais les conséquences d'une dévaluation de
l'ordre de 50 % seraient terribles pour l'ensemble des pays concernés :
amputation de moitié du pouvoir d'achat de la population, risque
d'inflation très important, possibilité de révoltes
sociales etc. Le Sénégal, en proie depuis 1979 aux ajustements et
encore sous le choc des violences dakaroises de 1988 et 1989, ne désire
pas prendre un tel risque. C'est pourquoi Abdou Diouf s'oppose à la
dévaluation, ceci contre toute logique économique 67 .
C'est ce que soutient notamment... Abdoulaye Wade, qui milite depuis le milieu
des années 1980 pour une dévaluation franche.
Le Sénégal s'associe ainsi au "Non"
catégorique de la France prononcé en août 1992 lors d'une
réunion à Paris rassemblant Félix Houphouët Boigny
(Cote d'Ivoire), Omar Bongo (Gabon), Blaise Compaoré (Burkina Faso) et
Abdou Diouf. Paris privilégie les réformes de structures à
une réforme monétaire. Le FMI, perplexe devant l'attitude
française, garantit tout de même des crédits à la
Cote d'Ivoire jusqu'en 1993 pour que celle-ci relève son
économie. En cas d'échec du programme de relance, les
institutions internationales sont catégoriques : la dévaluation
sera inévitable 68 . En optant pour un refus clair, Abdou
Diouf repousse les problèmes à plus tard, s'octroyant un
répit qui lui permet de mieux faire face à des crises
65 Christian Coulon, "La démocratie
sénégalaise: bilan d'une expérience", PoA 45, mars
1992.
66 "Dévaluer le Franc CFA ou pas ? ", Le Monde,
20 mars 1990.
67 Abdou Diouf déclare : "Il n 'y a pas de
dévaluation, nous sommes contre une dévaluation ". "Paris
décide de ne pas dévaluer', 1er août 199, Le Monde.
68 "Bouffée d'oxygène pour le Franc CFA ",
Jeune Afrique, n° 1 608, 29 octobre 1991.
universitaires devenues endémiques.
4.2. Les crises universitaires :
Abdou Diouf a débuté en 1981 sa
présidence par la résolution d'une importante crise scolaire, en
organisant les "états généraux de l'éducation". La
propagande gouvernementale promettait alors la fin de tous les problèmes
répertoriés, l'instauration d'une "nouvelle école" plus
juste, mieux adaptée aux réalités
sénégalaises etc. En 1988, ce doux rêve n'est plus à
l'ordre du jour. L'éducation Nationale est touj ours l'un des
ministères les plus sensibles et les conditions de travail des
étudiants se sont détériorés. Le
mécontentement est général : les élèves, les
enseignants et les étudiants étrangers protestent. Les
grèves se multiplient, ainsi que les années blanches. En 1988,
l'année est annulée par le gouvernement après plus de cinq
mois de blocage. L'année suivante, alors que l'Etat adopte des
dispositions prenant en compte les souhaits des différents syndicats,
l'université sénégalaise se met trois mois de
grève.
A l'indépendance, l'université de Dakar est la
plus ancienne et la plus réputée d'Afrique noire francophone, la
plupart des dirigeants africains y ayant fait une partie de leurs
études. Trente ans plus tard, la situation est désastreuse. Alors
que l'université de Dakar - devenue en 1986 université Cheikh
Anta Diop - a été conçue pour accueillir 3 500
étudiants, on en compte en 1990... 24 000. Depuis 1960, les effectifs
ont été multipliés par 30. Il y a donc une surpopulation
universitaire, alors qu'à peine 2 % de la population
sénégalaise fait des études supérieures
69.
Le budget alloué à l'Education Nationale est
pourtant relativement important pour un pays d'Afrique noire (16,5 % du budget
total du Sénégal contre 15 % en moyenne pour ses voisins). Ce
sont les orientations budgétaires que conteste la Banque mondiale. Dans
un rapport, elle affirme que "l'université de Dakar dépense
vingt fois plus d'argent pour nourrir les étudiants que pour
acquérir des livres et des périodes de bibliothèques (...)
l'expansion quantitative a pris le pas sur les aspects qualitatifs ". La
bibliothèque "prestigieuse" de Dakar comprenait 400 000 livres en 1960.
Or, le budget pour le rachat de livres représente au début des
années 1990 à... 0,6 % du budget total de l'université,
contre les 5 % normalement requis70.
L'argent va par conséquent presque exclusivement dans
le paiement des bourses universitaires, qui fournissent leur lot de prestations
sociales (logement, nourriture, soins médicaux etc.). Le problème
est que les deux tiers des étudiants sénégalais disposent
d'une bourse. Ceci révèle pour l'ancien ministre de l'Education
Nationale Iba der Thiam "la mauvaise conscience de l'Etat". De plus,
la bourse n'est pas remise en cause en cas de redoublement, bien que le taux
d'échec des premières années soit de... 87 %, et que seuls
30% des élèves qui finissent leurs études n'ont
redoublé que deux fois 71.
Avec des bourses renouvelables à l'infini et un
chômage quasi certain après l'obtention d'un diplôme,
l'université Cheikh Anta Diop s'apparente pour la jeunesse
sénégalaise à un el dorado, ou pis, à "une
vache à lait". Face à des classes surbondées - entre 600
à 1 000 élèves par cours lors des deux premières
années - les enseignants n'ont pas les moyens de faire correctement leur
travail. En outre, ils sont moins bien formés et plus
inexpérimentés qu'autrefois. Pour des raisons d'économies
budgétaires, les maîtres assistants forment 58% du
69 Michèle Aulagnon, "L'angoisse d'une année
blanche au Sénégal", Le Monde, 7 janvier 1993.
70 Idem.
71 Michèle Aulagnon, "L'angoisse d'une année
blanche au Sénégal", Le Monde, 7 janvier 1993.
corps enseignant universitaire. Ils obtiennent leur
titularisation au bout d'une seule année, alors que cinq ans
étaient requis auparavant. L'Etat, qui voit dans l'université un
moyen de canaliser le mécontentement de sa jeunesse, tente à
peine de trouver des remèdes à cette situation critique. Pis, il
répond très souvent favorablement aux requêtes des
syndicaux, ce qui ne fait qu'accroître à long terme les
difficultés.
Les propositions de la Banque mondiale, condensées
dans un rapport de 1992, "Revitalisation de l'enseignement supérieur
au Sénégal" 72, sont pourtant
multiples : sélection à l'entrée de l'université ;
augmentation du niveau du baccalauréat ; amélioration de la
formation des enseignants ; valorisation des formations courtes, mieux
adaptés aux demandes du monde du travail ; limitation des reconductions
d'aides financières en cas de redoublement etc.
Ces propositions ne sont pas prises en compte par l'Etat,
effrayé à l'idée d'affronter une fronde estudiantine.
Abdou Diouf préfère céder à chaque crise
universitaire pour s'as surer une paix sociale relative. Cette politique
n'empêche pas la prolifération des conflits scolaires et
universitaires durant les années 1990, comme l'atteste... l'année
blanche de 1994 73. Le pouvoir contribue donc à
maintenir un système coûteux et improductif, qui n'apaise pas les
mécontentements. Une étincelle peut ainsi enflammer la
poudrière sociale à tout instant, comme le démontre les
événements tragiques qui opposent Sénégalais et
Maures en plein Dakar en avril 1989.
4.3. Les crises diplomatiques :
Déjà entamée par les
événements de 1988, l'image du Sénégal s'effondre
un an plus tard avec la crise sénégalo-mauritanienne. Tout au
long des années 1980, la propagande gouvernementale insiste pourtant sur
le "mariage sénégalo-mauritanien sans divorce possible"
74. En effet, les deux pays ont des liens
historiques (l'islamisation du Sénégal s'est faite par des tribus
venues de Mauritanie ; pendant la colonisation française, les
élites mauritaniennes ont été formées à
Dakar) ; des problèmes similaires (pauvreté,
désertification) ; des populations qui s'entremêlent (on compte
200 000 à 300 000 mauritaniens sur le sol sénégalais, dont
un tiers à Dakar) et des infrastructures communes, comme le barrage de
Diama sur le fleuve Sénégal, qui fait office de frontière
naturelle entre les deux pays. Inaugurée en 1985, ce projet modifie
considérablement les enjeux de la région. L'irrigation fixe des
populations autrefois nomades, attirées par les possibilités
économiques offertes par une agriculture irriguée. Le droit
coutumier permettant la transhumance des Sénégalais et des Maures
des deux cotés de la rive est donc remis en cause. La frontière
fluviale devient un enjeu économique et politique. Les frictions
prolifèrent entre les deux pays "frères".
Les relations entre le Sénégal et son voisin se
détériorent véritablement à partir de novembre
1988. A la suite d'une querelle mineure, les frontières sont
momentanément fermées, avant que ne soit proclamé en
janvier 1989 un embargo mutuel. Abdou Diouf, quelque peu agacé par
l'attitude belliqueuse mauritanienne, revendique alors comme partie
intégrante du territoire la rive mauritanienne du fleuve
Sénégal, s'appuyant sur un texte colonial de 1933.
De plus, le Président sénégalais -
indigné par la politique d'arabisation menée par la Mauritanie de
Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya au détriment des noirs, le plus souvent
72 Idem.
73 "Enfin une année blanche", Jeune Afrique,
n° 1754, 24 août 1994.
74 "Mohamed Abdellahi Ould Kharchi : entre le
Sénégal et la Mauritanie, c'est un mariage sans divorce
possible", Le Soleil, 29 octobre 1987.
originaire du Sénégal - apporte un soutien plus ou
moins affirmé aux Forces de Libération
Africaine de Mauritanie (FLAM), soupçonnées
d'avoir fomenté un coup d'Etat en octobre 1987 contre le régime
de Taya. Ce rapprochement n'arrange pas les relations
sénégalo-
mauritaniennes.
C'est dans ces conditions extrêmement tendues
qu'éclate à Diawara le 9 avril 1989 une rixe entre des paysans
sénégalais et des nomades maures. L'intervention des gardes
frontière
mauritaniens fait deux morts. Le ministre André Sonko
prend alors ouvertement position en déclarant : "trop c 'est trop"
75. Cette réaction déplait aux
autorités mauritaniennes, qui voient
d'un mauvais oeil l'érection d'une commission
parlementaire pour enquêter sur les conditions de l'accrochage.
L'opposition sénégalaise, par l'intermédiaire de la
presse, met aussi de l'huile
sur le feu, Sopi titrant à sa "une" :
"l'armée mauritanienne tire sur les populations de
Diawara : 2 morts, 15 blessés, 18 otages et 7 disparus", avant de
raj outer, quelques jours plus tard : "au nord, des bruits de bottes
inquiétantes se sont entendus de l'autre coté du fleuve. De
Saint-Louis à Matam, en passant par Dagana, les populations sont sur le
pied de guerre et ne dorment plus que d'un oeil, par crainte d'être
surprises dans leur sommeil par les belliqueux beydanes" 76
.
Ce climat pesant entraîne à la fin du mois
d'avril 1989 de violents pillages de boutiques
maures dans la capitale sénégalaise. Les
commerçant mauritaniens sont relativement présents dans la vie
économique dakaroise : ouverts 24 heures sur 24, ils sont
réputés pour leur facilité
de crédits et pallient souvent les pénuries
alimentaires en vendant au détail des produits coûteux. Ils
représentent ainsi une certaine forme de réussite sociale, qui
est parfois jalousée
77. Les pillages sont donc nombreux, les contemporains pouvant
lire sur quelques rideaux de fer de boutiques mauritaniennes pillées des
inscriptions à la gloire du sopi. Le journal
gouvernemental Le Soleil, contrairement aux journaux
d'opposition, joue alors la carte de l'apaisement :
"ce qui est arrivé hier est une honte. Les acteurs
de ces actes répréhensibles doivent être
châtiés (...) mais nous sommes optimistes. Nos deux chefs d'Etat,
sereins, comme d'habitude, ont su se mettre au-dessus des réactions
primaires pour aborder le problème en hauts responsables"
78.
Malgré cette condamnation sans équivoque, les
pillages sont perçus par la Mauritanie comme
une véritable déclaration de guerre. Les
autorités de Nouakchott laissent de ce fait les populations
mauritaniennes "se venger". La situation dégénère
rapidement. Pendant plusieurs
jours, on assiste dans les deux pays à des chasses
à l'homme racistes. L'horreur est à chaque coin de rue :
"A Dakar et à Nouakchott, les scènes de
pillage ont été accompagnées d'actes de sauvagerie
inouïe : corps mutilés, têtes coupées, femmes
éventrées, enfant égorgés etc."
75 "Commission d'enquête sur les
événements de Diawara : l'Etat prend ses responsabilités"
Le Soleil, 17 avril 1989.
76 "Mauritanie : au pays des Maures", Lettre du
continent, 1er juin 1989.
77 Cette jalousie vis-à-vis de la "réussite"
des mauritaniens est perceptible dans un communiqué publié par le
RND dans le Soleil... qui justifie les actes de vandalisme des
dakarois : "le RND regrette les vols commis par les bandits sur les biens
des mauritaniens, attitude qu 'il justifie cependant comme résultat d'un
mécontentement du désordre que les commerçants maures ont
jeté dans l'économie nationale par leurs pratiques
particulières. Désordre qui ne peut être
toléré dans aucun pays qui veut se développer". "RND :
déclaration officielle", Le Soleil, 7 mai 1989.
78 "Pillage de boutiques de Maures : la honte", Le
Soleil, 24 avril 1989.
Les chefs d'Etat décrètent un couvre feu tandis
que des camps de réfugiés se dressent dans les deux pays.
Parquées dans des zones exiguës, les populations attendent parfois
plusieurs jours avant d'être expulsées dans leur pays origine,
pays que bien souvent elles ne connaissent pas, ou peu. Ainsi, 70 000
sénégalais arrivent à Dakar en l'espace de quelques jours
alors que 170 000 mauritaniens quittent leur pays d'adoption. Si Abdou Diouf
tente de maintenir un semblant de fraternité entre le
Sénégal et la Mauritanie 79, le
Président Taya choisit la voie de la rupture définitive. Dans un
discours radio-télédiffusé, prononcé en
français, Taya accuse le Sénégal d'être l'unique
responsable de la situation.
Abdou Diouf délaisse alors son ton courtois, et oppose
le régime démocratique sénégalais au régime
autoritaire mauritanien. Il souligne que "la Mauritanie a toujours
bafoué les droits les plus élémentaires de l'homme et de
la dignité humaine" avant de rajouter que "la presse (au
Sénégal) exerce librement, sans entraves son métier, ce
qui est impensable en Mauritanie" 80.
Si les deux Etats se renvoient les responsabilités, le
très influent cardinal de Dakar Hyacinthe Thiandoum soutient que "le
fond de crise permanent au Sénégal a été un terrain
favorable à ces atrocités ". Pour lui, la violence a pris au
dépourvu les autorités gouvernementales, incapables de
réagir à temps pour éviter "l'expression anarchique
d'un mécontentement" 81.
Les deux pays gèrent de façon différente
la crise. Si Abdou Diouf ouvre les portes de son pays aux journalistes
étrangers, Taya adopte l'attitude inverse. Le Sénégal
profite de "cet avantage médiatique" pour exprimer sa version des faits
et obtenir le soutien de la plupart des médias, notamment
français.
Nonobstant cet appui international, Abdou Diouf refuse de
tenir une position belliqueuse, affirmant "qu 'il faudrait être fou
dans le monde actuel pour rechercher la guerre, surtout quand on est un pays
sous-développé et de surcroît sahélien" 82
. De plus, le chef de l'Etat sait que la Mauritanie compte parmi ses plus
fidèles amis l'Irak de Saddam Hussein, qui n'hésiterait pas
à appuyer fortement Taya en cas de conflit
sénégalo-mauritanien.
En cas de guerre, le Sénégal espère de
son coté avoir le soutien de la France. C'est pourquoi tout au long de
l'année 1989, Abdou Diouf et les médias d'Etat multiplient les
louanges à l'égard de l'ancienne métropole, notamment lors
du troisième sommet de la Francophonie en mai 1989,organisé...
à Dakar - sur les lieux même où quelques jours auparavant
stationnés encore des milliers de mauritaniens - ainsi qu'à
l'occasion du bicentenaire de la révolution française. On peut
lire dans Le Soleil du 11 juillet 1989 les propos suivants :
"bien avant la révolution française, une
importante colonie française s'était incrustée à
Saint-Louis du Sénégal. Elle s'est fait fort d'envoyer ses
cahiers de doléances au cours de l'année 1789. Au début de
1989, le Sénégal a par conséquent voulu participer
à la célébration du bicentenaire de la révolution
française en mettant sur pied un comité national dans cette
perspective, et il est donc tout à fait naturel que le Président
Abdou Diouf qui quitte Dakar pour Paris, soit présent dans la capitale
française pour prendre part aux festivités,
événement de portée universelle ".
Après leur rupture diplomatique du 21 août 1989, le
Sénégal et la Mauritanie entretiennent des rapports froids et
heurtés. La Mauritanie réclame la restitution des biens et le
décompte
79 En conseil des ministres, Abdou Diouf affirme que "de
tels actes sont intolérables et indignes du Sénégal, terre
d'accueil, de tolérance et de dialogue (...) la Mauritanie et le
Sénégal sont deux pays frères condamnés à
vivre ensemble solidairement tant leur destin et leurs intérêts
sont liés". "Sénégal Mauritanie : condamnés
à vivre ensemble", Le Soleil, 26 avril 1989.
80 Abdou Diouf rajoute : "la Mauritanie a toujours
bafouillé sur les droits les plus élémentaires de l'homme
et de la dignité humaine". "Appel à l'unité nationale",
Le Soleil, 9 mai 1989.
81 Jean de la Guérivière, "Les affrontements
entre Sénégalais et Mauritaniens : l'expression anarchique d'un
mécontentement", Le Monde, 27 avril 1989.
82 "Rupture diplomatique", Le Soleil, 23 août
1989.
officiel des morts mauritaniens tandis qu'Abdou Diouf
désire que soit traité devant une commission d'enquête
internationale la question de la frontière. Les accrochages frontaliers
sont réguliers, comme le 6 janvier 1990, où l'on assiste à
des échanges de tirs entre militaires. La tension est d'autant plus
extrême que certains rapatriés sénégalais,
établis dans la région du fleuve, tentent au péril de leur
vie de rejoindre la Mauritanie pour récupérer les biens dont ils
ont été dépossédés.
Le Sénégal et la Mauritanie retissent cependant
peu à peu des liens. C'est paradoxalement la guerre du Golfe de 1991 et
ses conséquences qui accélèrent "le processus de
réconciliation ". Pendant cette guerre, la Mauritanie accorde un
soutien sans faille à l'Irak, ce qui lui coûte ses amitiés
avec le reste des monarchies du Moyen-Orient. Le Sénégal s'aligne
quant à lui sur la position française et rejoint les
alliés, qui comptent dans ses rangs les Etats-Unis d'Amérique et
l'Arabie Saoudite.
La facile victoire de la coalition isole la Mauritanie,
dépourvue à présent de tout allié fiable, alors que
le Sénégal se rapproche des pays arabes - qui s'étaient
quelque peu détourné d'Abdou Diouf après 1989 suite
à une "campagne d'information" mauritanienne - et des EtatsUnis. Fort de
ses soutiens, Abdou Diouf négocie discrètement avec la
Mauritanie, par l'intermédiaire de la France.
La réconciliation officielle entre les
Présidents Diouf et Taya a lieu le 18 juillet 1991, en
Guinée-Bissau. Pour montrer sa bonne foi, le Sénégal
renonce à réclamer une rectification frontalière 83
. Grâce à son ton mesuré et un sens aigu de la
diplomatie, Abdou Diouf a évité la guerre et obtenu avec cette
réconciliation un succès personnel passé quelque peu
inaperçu en 1991.
L'année 1989 est ainsi pour Abdou Diouf une
année diplomatique difficile, puisque outre la Mauritanie, le
Sénégal s'oppose à la Guinée-Bissau, au sujet d'un
différent frontalier 84 , et surtout à la Gambie.
Alors qu'en 1981, la Sénégambie était
promise à un brillant avenir, on constate en 1989 que les
avancées ont été minimes. L'intégration
économique, enjeux majeur de la confédération, est
bloquée par la Gambie, frileuse à l'idée de lutter plus
efficacement contre la contrebande, qui fait la "richesse" du pays. Bien que
les institutions "tournent à vide", Abdou Diouf tient encore un discours
rassurant en avril 1989 85.
Les rapports entre Diouf et Jawara se
détériorent après l'entame de la crise
sénégalomauritanienne. En effet, le Président Taya
souligne à de multiples reprises qu'il bénéficie du
soutien du Président gambien, qui a mis notamment en place l'accueil de
ressortissants mauritaniens. Le positionnement de Jawara déplait
fortement à Diouf. La confiance entre les deux chefs d'Etat est
entamée. On note ainsi une baisse conséquente du budget de la
83 "Mauritanie Sénégal : logique de paix",
Jeune Afrique, n° 1 596, 6 août 1991.
84 Depuis les années 1970, la Guinée Bissau
réclame une modification de sa frontière maritime avec le
Sénégal pour bénéficier de soi-disant gisements
pétroliers. Le Sénégal porte l'affaire en 1985 devant la
Cour Internationale de Justice et obtient gain de cause le 2 août 1989.
Alors que les deux pays se sont engagés à respecter le verdict,
la Guinée-Bissau refuse de reconnaître la sentence. Cette attitude
offusque Abdou Diouf. Il le fait savoir au cours des semaines suivantes.
Néanmoins, la reprise du conflit casamançais favorise un retour
au dialogue entre les deux pays. Après la signature d'un accord de
collaboration le 29 mai 1990, le Sénégal et la
Guinée-Bissau trouvent un arrangement au sujet du litige frontalier en
1993 : il est décidé que 85 % de l'exploitation du sous-sol
maritime revient au Sénégal. Voir "Différent
frontalier dans l'impasse", Le Soleil, 7 août 1989, "Litige
frontalier avec Bissau : Dakar s'en tient au verdict", Le Soleil, 9
août 1989 et "Signature d'un accord de gestion et de
coopération ", Le Soleil, 15 octobre 1993.
85 "N'écoutez pas les vendeurs d'illusions", Le
Soleil, 14 avril 1989.
Confédération en juillet 1989, qui passe de 3 423
491 920 FCFA à 2 996 433 550 FCFA 86. Jawara tente alors de
modifier le traité de 1981. Il demande une présidence tournante
de la confédération, un nombre égal de ministres
sénégalais et gambiens au sein du cabinet
confédéral et un allégement de la présence
militaire sénégalaise en Gambie. Abdou Diouf, agacé par
l'attitude gambienne, prend au mot Jawara et retire la totalité de ses
soldats du sol gambien le 19 août 1989. Le 23 août, soit deux jours
après sa rupture diplomatique avec la Mauritanie, le Président
sénégalais annonce dans un message à la nation le gel des
institutions sénégambiennes, jugeant qu'il n'y a"aucune
perspective sérieuse de progrès vers l'intégration
sénégambienne au sein de la confédération"
87 . Il conclut amèrement son allocution :
"les stigmates de la colonisation sont beaucoup plus tenaces qu'ils n'y
paraissent".
Les rapports entre le Sénégal et la Gambie
demeurent de longues années distants après ces
événements, malgré la signature d'un traité
d'amitié le 25 mai 1991. Abdou Diouf se détourne des affaires
gambiennes, comme l'atteste son inaction lors du renversement de Daouda Jawara
par le capitaine Yahyah Jammeh en 1994.
Face à ces incidents diplomatiques majeurs, Abdou
Diouf bénéficie d'un certain soutien de l'opposition, surtout
lors de la crise mauritanienne. Les partis non gouvernementaux cessent
rapidement de prendre des positions "risquées" pour s'aligner sur celles
du Président, plus pacifiste et mesurées. "Les neuf" publient
ainsi un communiqué le 2 mai 1989 dans Le Soleil
réclamant "d'arrêter les distractions, d'épargner
les vies et d'éviter la guerre" 88 . Le PIT demande
même un entretien avec le chef de l'Etat pour discuter de la crise et
apporter une contribution positive 89 . Cependant, l'opposition a
une perception limitée de "l'union sacrée", puisque quelques
jours après cette audience, le PIT est exclu du front de l'opposition
pour avoir négocier avec le pouvoir sans avis préalable. Les
moments de fraternisation entre le pouvoir et les autres partis sont rares et
éphémères à la fin des années 1980.
Néanmoins, les difficultés rencontrées
en 1989 ont ressoudé quelque peu les liens entre le Président et
son peuple. A cette même période, Abdou Diouf annonce une
rénovation importante du code électoral, une amélioration
de la démocratie et le limogeage de Jean Collin. Tous ces signes
d'ouverture ne sont toutefois pas suffisant pour le front de l'opposition. Il
annonce durant l'hivernage 1990 son intention de boycotter les élections
municipales.
4.4. La crise politique : le boycott des élections
municipales :
Parti à l'étranger depuis l'échec de la
table ronde, Abdoulaye Wade montre sa force de mobilisation lors de son retour
à Dakar, le 7 mars 1989. Alors qu'une manifestation contre le
régime dioufiste est prévue ce jour-là, il y renonce pour
annoncer de façon prématurée... son entrée au
gouvernement. Abdou Diouf, surpris par cette déclaration, réfute
dans la journée la nouvelle. Humilié par cette volte-face du
pouvoir - certainement orchestré par Jean Collin 90 -
86 "Sénégambie : budget en baisse", Le
Soleil 9 juillet 1989.
87 "M. Abdou Diouf propose le gel de la
Confédération de Sénégambie", Le monde, 25
août 1989 et "Message à la nation", Le Soleil, 24
août 1989.
88 Le Soleil, 2 mai 1989.
89 Amath Dansokho est doublement concerné par la crise
mauritanienne puisque sa femme, d'origine roumaine, a failli se faire lyncher
en avril 1989. En effet, les personnes qui tentaient de l'agresser pensaient
qu'elle était mauritanienne... "Un nouveau duo Diouf-Niasse",
Lette du continent, 1er juin 1989.
90 Il semble que Jean Collin fasse "miroiter" à
Abdoulaye Wade une entrée au gouvernement par l'intermédiaire
d'Ahmed Khalifa Niasse. L'objectif est que le chef de l'opposition annule sa
grande manifestation et qu'il soit rapidement contredit par Abdou Diouf. Cet
épisode accentue les critiques de Wade à l'encontre des
procédés de Collin. "Me Wade et la stratégie du
recours", Le Monde, 16 mars 1989 ; "Je n'ai pas été un
émissaire du
le fondateur du PDS publie le 10 mars 1989, via le journal
Sopi, les "vrais résultats" des élections de 1988,
qui donne vainqueur Me Wade avec plus de 58,2 % des voix. A la suite de cette
parution, le chef de l'opposition réclame la dissolution de
l'Assemblée et la formation
d'un gouvernement d'union nationale pour préparer des
élections "libres et démocratiques".
En froid avec l'opposition, le chef de l'Etat annonce pourtant
le 4 avril 1989 sa volonté "d'approfondir la démocratie
sénégalaise" 91 . Ceci se matérialise par
des modifications
importantes du code électoral :
- la campagne électorale officielle est limitée
dorénavant à deux semaines, car "une durée plus longue
ouvre la voie des excès et des débordements"
- une plus grande part de proportionnelle est introduite pour
les législatives, "pour une plus grande représentation des
partis politiques"
- la carte d'identité devient obligatoire lors d'une
inscription au fichier électoral
- les cartes d'électeur ne sont plus à distribuer
pendant la campagne électorale mais avant
- un code de conduite des partis est crée pour
éviter les débordements verbaux constatés durant la
précédente campagne
De surcroît, dans son intervention du 4 avril, le
Président invite à présent les médias d'Etat
à publier les communiqués et couvrir les manifestations
statuaires des formations non
gouvernementales.
Si pour Abdou Diouf, "il s'agit incontestablement d'une
nouvelle étape dans l'approfondissement de la démocratie
multipartisane", les opposants sont plus sceptiques, la
question du passage obligatoire dans l'isoloir n'ayant pas
été traité. Pour mettre en place les réformes
annoncées, le Président de la République repousse les
élections municipales et
rurales, prévues pour 1989, à l'année
suivante.
L'Etat s'active pour faire appliquer rapidement ces changements.
La question la plus épineuse est celle de la pièce
d'identité, puisque qu'en 1989, sur 1 879 962 personnes inscrites sur
le
fichier électoral, seules 247 205 ont une carte. Une loi
est donc votée pour rendre la carte d'identité obligatoire
dès l'age de 15 ans 92 . Mais cette entreprise coûte
cher à l'Etat et les
risques de falsification sont nombreux, du fait que les cartes
sont faiblement sécurisées. Toutefois, en rendant la
présentation d'une carte d'identité obligatoire, Abdou Diouf
répond
favorablement à l'une des requêtes les plus
pressantes des opposants.
Nonobstant ces progrès, l'opposition n'est que faiblement
satisfaite par ce "toilettage" du code électoral. Elle laisse entendre
rapidement qu'elle pourrait refuser en bloc de participer au
scrutin municipal. Ce positionnement gêne
considérablement les socialistes, les municipales étant pour eux
"un test de crédibilité pour la démocratie pluraliste"
93.
Cependant, alors qu'il a tout intérêt à
dialoguer avec l'opposition, le PS reste inflexible. Dans les colonnes du
Soleil, Jacques Baudin reprend la rhétorique socialiste
habituellement
employée depuis 1981 : il déclare que le passage
obligatoire dans l'isoloir est un "faux problème" et que
l'administration est incontestablement neutre. Cette dernière ne peut
donc
pas être dissocier des élections "sous le
prétexte bien fallacieux que les agents de
gouvernement auprès de Wade", Le Soleil, 16 mars
1989 et Francis Kpatindé, "La folle journée du 14 mars",
Jeune Afrique, n° 1473, 29 mars 1989.
91 "La consolidation de notre démocratie et nos
efforts de réconciliation nationale seront poursuivis", Le Soleil,
5 avril 1989.
92 "Les lois du progrès", Le Soleil, 5 octobre
1989 et "Campagne pour la carte d'identité", Le Soleil, 16
août 1990.
93 "Municipales et rurales : le PS pour le triomphe de la
démocratie", Le Soleil, 14 septembre 1990.
l'administration seraient acquis à la cause du
parti au pouvoir" 94. En adoptant le même ton
condescendant que lors des précédentes élections, le PS
rompt de lui-même avec les opposants. Prenant acte de la position
socialiste, l'ensemble de l'opposition confirme son boycott des municipales.
L'objectif est alors pour le PS de lutter par tous les moyens
contre une forte abstention prévisible, afin de montrer la
popularité du parti et par conséquent, l'indifférence du
peuple vis-à-vis des opposants. Djibo Ka, très actif durant la
campagne, affirme :
"ça sera un test très important. Il nous
appartient de montrer notre capacité de mobilisation car l'opposition a
pris le parti de boycotter la consultation et d'appeler les gens à
s'abstenir" 95.
Le PS se présente dans les 48 communes et les 317
communautés rurales en jeu. Les investitures ont été
disputées, voire très violentes, au sein des coordinations
locales socialistes pour obtenir l'une des 1 987 places de conseillers et 5 500
places de conseillers ruraux. Parmi les personnes en lice, on compte 660
femmes, soit moins de 9 % de l'effectif socialiste.
Si le débat électoral est quasiment inexistant,
le PS étant assuré de l'emporter partout, les actions de
l'opposition occupent l'essentiel de l'actualité. Abdoulaye Wade, qui
désire un véritable "boycott-référendum", invite
les observateurs étrangers à venir sur le sol
sénégalais pour noter les faiblesses du code électoral. Il
organise aussi de grandes manifestations contre la confiscation des
médias d'Etat le 14 novembre 1990 dans plusieurs grandes villes du pays.
Bien évidemment interdit par le pouvoir, le rassemblement de Dakar se
termine par des scènes de violence et des arrestations.
Dans la presse internationale, on parle de chefs politiques
arrêtés puis relâchés, du "matraquage" du
député PDS Babacar Faye, de déploiements de forces de
l'ordre etc. Abdoulaye Wade arrive ainsi à mettre à mal le
régime dioufiste et craquèle un peu plus la vitrine
démocratique sénégalaise 96 . Abdou Diouf,
passablement énervé par l'attitude wadiste, déclare :
"il faut qu'ils en finissent avec cette politique de mouche coche. Nous
n'avons pas de temps à perdre" 97.
Les résultats des élections municipales du 25
novembre 1990 laissent perplexes. Si la victoire du PS - 99,45 % - n'est pas
étonnante, on est surpris par le taux de participation annoncé :
73,42 %. En effet, sur 1 951 280 personnes inscrites, 1 432 684 personnes sont
allées officiellement voter 98 . Ainsi, avec un nombre de
personnes inscrites à peu près identique, les élections de
1990 sans enjeux ont attiré... 318 938 électeurs de plus que les
élections présidentielles, "indécises" et disputées
de 1988. On peut ainsi penser que les fraudes ont été
grossières, d'autant plus qu'Abdoulaye Wade soutient de son coté
que le taux de participation n'a été que de 15% 99.
En évitant à tout prix un taux de participation
historiquement bas, le PS s'est épargné une crise interne
comparable à celle de 1988. La propagande faite autour de cette
"écrasante victoire" est assurée par les médias d'Etat
mais aussi... par Jeune Afrique. L'hebdomadaire relaie en effet, sans
aucune déontologie journalistique, les informations fournies par le
gouvernement
94 "A propos du code électoral par Jacques Baudin",
Le Soleil, 2 octobre 1990.
95 "Municipales : abstention danger", Jeune Afrique,
n° 1539, 14-20 novembre 1990.
96 "Vote ou pas : là est la question", Jeune
Afrique, n° 1560, 27 novembre 1990 et "Violents affrontements à
Dakar entre opposants et forces de l'ordre", Le Monde, 16 novembre
1990.
97 "Relaxe des interpellés", Le Soleil, 16
novembre 1990.
98 Voir Le Soleil du 26 novembre 1990 et des jours
suivants.
99 Lamine Tirera, Abdou Diouf : biographie politique et
style de gouvernement, pp.21 8, Paris, l'Harmattan, 2006.
sénégalais. On peut de ce fait lire que le fort
taux de participation s'explique par la faible représentation locale du
PDS - alors que le parti libéral a fait entre 20 et 25 % dans la plupart
des régions rurales sénégalaises et plus de 40 % dans la
capitale en 1988 - et l'absence d'influence des partis marxistes (qui
représentent quand même 5% de l'électorat). Albert Bourgui
n'hésite donc pas à parler de "vote sanction" contre...
l'opposition, sans jamais souligner les incohérences des chiffres
donnés par les autorités sénégalaises
100.
Toutefois, les commentaires dithyrambiques de Jeune
Afrique ne masquent pas la gêne du "Père de la nation" 101 ,
profondément humilié par le boycott de l'opposition. Ces
élections marquent en effet un recul pour la démocratie
sénégalaise. Jamais depuis 1973, un scrutin ne s'était
déroulée en présence que d'un seul parti. Alors que Abdou
Diouf n'a cessé de prôner l'ouverture et le dialogue avec les
opposants depuis son avènement, le Sénégal a offert en
1990 une parodie d'élection digne des régimes les plus
autocratiques du continent africain.
L'humiliation subie par le chef de l'Etat le fait subitement
changer de discours. Lui qui refusait l'idée pendant l'été
1990 de réinstaurer la Primature et d'appeler au gouvernement des
membres de l'opposition (164), laisse entendre dans son allocution du 31
décembre 1990 son désir de se concerter pleinement avec les
partis non gouvernementaux afin, comme l'indique la "une" du Soleil du
2 janvier 1991, de "décrisper" la situation politique du pays
102. L'organisation des "neuf", la CONACPO 103 , refuse dans un
premier temps toute négociation avec le pouvoir , mais les actions
entreprises par le Président Diouf, comme la nomination d'un Premier
ministre, séduisent le PDS. Le parti libéral n'hésite pas
à se couper de certains de ses fidèles alliés, comme la
LD/MPT, pour entamer un dialogue officiel avec Abdou Diouf. Ce rapprochement
aboutit à l'entrée d'Abdoulaye Wade au gouvernement en avril
1991.
5. Le gouvernement à majorité
présidentielle élargie (avril 1991 - octobre 1992) :
Après avoir annoncé sa volonté de
rénover une nouvelle fois le code électoral, Abdou Diouf consulte
son parti le 27 février 1991. Le PS, entièrement
dévoué à son chef depuis 1990, se plie de bonne
grâce aux requêtes de son secrétaire général,
qui exige "une révision de la Constitution pour déconcentrer
le pouvoir, mettre sur pied un gouvernement responsable de la gestion des
affaires, dirigé par un Premier ministre nommé et révo
qué par le Président, mais aussi comptable devant
l'Assemblée nationale" 104 . Il rétablit de fait le
régime qui fut en place de 1970 à 1983, l'article 35 en moins.
Cette initiative "intéresse" le PDS et le PIT, tandis
que les autres membres de la CONACPO sont nettement plus
réservés. Abdoulaye Wade brise finalement comme en 1988 le front
de l'opposition pour répondre favorablement à l'appel d'Abdou
Diouf. Cette attitude semble montrer que le fondateur du PDS accorde une
certaine confiance au chef de l'Etat et que le dialogue a été
maintenu entre les deux hommes depuis la rupture de la table ronde en 1988.
Malgré une certaine réticence de la base libérale, le PDS
vote la révision constitutionnelle de mars 1991 qui rétablit la
Primature, la motion de censure et le droit présidentiel de dissoudre
100 Albert Bourgui, "Une bonne longueur d'avance ",
Jeune Afrique, n° 1564, 1er janvier 1991.
101 Abdou Diouf réutilise cette expression le lendemain
des élections municipales. "Je suis élu par le peuple pour
régler ses problèmes. Je suis le Père de la nation". "Vote
massif", Le Soleil, 26 novembre 1990.
102 "Décrispation ", Le Soleil, 2 janvier
1991.
103 La CONACPO regroupe : And Jëf, la LD/MPT, le MSU, l'OST,
le PAI, le PDS, le PLP, le PPS et l'UDP. "Le PDS rej ette les propositions
du pouvoir", Le Soleil, 4 janvier 1991.
104 "Abdou Diouf prend du recul", Jeune Afrique, n°
1576, 19 mars 1991 et "Rétablissement du poste de Premier ministre :
appel au rassemblement", Le Soleil, 1 er mars 1991.
le Parlement 105.
Au contraire de la LD/MPT et d'And Jëf, Wade ne fixe
presque aucune condition d'entrée au gouvernement. Cette docilité
s'explique par le fait que le chef de l'opposition trouve son compte en
obtenant quelques ministères. Il concrétise une ambition
personnelle qui a rythmé sa vie depuis 1974. En outre, il pense qu'en
étant plus près des affaires de l'Etat, il peut convaincre le
peuple sénégalais et les influents chefs d'Etat étrangers
qu'il n'est pas un simple "agité" mais un homme politique
compétent, capable de diriger le pays. Il atteint donc une forme de
consécration lorsqu'il obtient la garantie de Diouf qu'il sera l'un des
hommes clés du prochain gouvernement.
Pour coordonner la future équipe ministérielle
PS-PDS, Abdou Diouf recrée un poste de Premier ministre. Cette fonction
est au début des années 1990 revenue à la mode en Afrique,
après avoir été laissée de coté au cours de
la décennie précédente. Le profil de la personne choisie
est souvent le même : un homme discret, relativement compétent et
doté d'une réputation d'homme intègre. On trouve ainsi
Alassane Ouattara en Cote d'Ivoire, Sadou Hayatou au Cameroun ou Casimir
Oyé-Mba au Gabon 106 . Ces nominations permettent aux dirigeants ou aux
régimes en place depuis plusieurs décennies de calmer pour un
temps les demandes populaires de démocratisation. De surcroît, le
présidentialisme africain à outrance, sans garde-fou, est de plus
en plus mal vu par les bailleurs de fonds.
Alors que le nom de Moustapha Niasse circule avec insistance
dans les rues de Dakar, Abdou Diouf désire avoir à ses
cotés un homme plus effacé et surtout plus fidèle. C'est
pour ces raisons qui rappelle à la Primature son ami de toujours, Habib
Thiam. Cependant, le chef de l'Etat propose à son ancien ministre des
Affaires Etrangères un super-ministère de l'Industrie... que
Niasse refuse 107.
Habib Thiam a pour tâche de diriger un gouvernement
à majorité présidentielle élargie qui comprend,
pour la première fois depuis presque quarante ans, des hommes
appartenant à un parti autre que le PS. Outre Abdoulaye Wade,
officieusement vice-Premier ministre avec sa fonction de ministre d'Etat...
sans portefeuille, le PDS obtient trois autres ministères. Ils sont
attribués à Ousmane Ngom (ministre du Travail et de la
Formation), Jean-Paul Dias (ministre de l'Intégration Economique
Africaine) et Aminata Tall (ministre délégué auprès
du ministre de l'Education Nationale). Le PIT, récompensé pour
son soutien à Diouf lors de la crise mauritanienne, obtient lui aussi un
ministère. Amath Dansokho, secrétaire général du
PIT, devient ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat.
On constate que les postes offerts à l'opposition ne
sont pas de première importance ou alors ils ont des contours mal
définis. C'est notamment le cas d'Abdoulaye Wade. Bien qu'il
dépende uniquement du Président de la République et qu'il
ait un droit de regard sur tous les dossiers, il ne bénéficie
d'aucun local et n'a à sa disposition qu'un seul assistant technique
108. La présence de ces ministres-opposants n'a donc pas une
influence directe sur la politique
105 "Le PS et le PDS votent la révision ", Le
Soleil, 22 mars 1991.
106 "Un nouvel acteur : le Premier ministre (...) personnage
providentiel chargé d'assurer la transition démocratique",
Le Monde, 8 juin 1991.
107 Lors d'un entretien accordé à Jeune
Afrique, Habib Thiam révèle que Moustapha Niasse a
exigé un statut de ministre d'Etat pour rentrer au gouvernement. Or,
l'accord passé entre Diouf et Wade prévoit que Abdoulaye Wade
soit le seul ministre d'Etat. Cette information, bien que fortement plausible,
est réfutée la semaine suivante par Moustapha Niasse. Albert
Bourgui, Siradiou Diallo et Hugo Sada, "Moustapha Niasse : "non, je ne
regrette rien"", Jeune Afrique, n° 1583, 7 mai 1991.
108 "Les assistants de Me Wade", Lettre du continent, 6
février 1992.
menée par le gouvernement, mais elle rassure l'opinion
publique. En effet, c'est un signe
d'ouverture politique envoyé par Abdou Diouf, qui
souligne la volonté de son parti de ne plus vouloir accaparer tous les
rouages du pouvoir.
L'ouverture aurait pu être plus prononcée, mais les
autres partis politiques sénégalais invités ont
refusé de participer à ce gouvernement, bien souvent à
cause de l'extrême réticence de leur
base.
La formation de ce gouvernement à majorité
présidentielle élargie offre la possibilité au
Sénégal "de conserver une longueur d'avance sur les autres
Etats africains". Depuis le
sommet France-Afrique de la Baule en 1990, et la critique
à peine voilée de François Mitterrand à l'encontre
des partis uniques africains, l'heure est au multipartisme sur le
continent. De nombreux observateurs pensent ainsi, suite
à ce discours, que c'est la France qui a imposé de fait au
Sénégal ce nouveau type de gouvernement 109 . Or, on pense que si
l'avis
français a bien évidemment eu une influence sur
le rapprochement Diouf-Wade, le gouvernement d'union nationale est avant tout
la concrétisation d'une volonté propre au Sénégal,
exprimée depuis le milieu des années 1980 110 et
favorisée par la fin de l'ère Collin et
"l'efficace boycott" par l'opposition des municipales de
1990.
Convaincus de la bonne volonté présidentielle,
les ministres PDS et PIT favorisent une
concertation avec les autres partis politiques afin de modifier
rapidement le code électoral. Les travaux sont placés sous la
responsabilité d'une commission nationale de réforme du
code
électoral, dirigé par l'impartial
Kéba Mbaye, qui bénéficie de la confiance des opposants.
Pour éviter l'échec de la table ronde de 1988, cette commission
consulte les requêtes des partis
un à un, mais aussi les avis de la société
civile et des associations. Sur les 17 partis recensés en 1991, 3
seulement refusent de participer à la consultation. Il s'agit du MSU, de
l'OST et du
PPS.
Les 14 partis qui travaillent sur le nouveau code
électoral trouvent rapidement une trentaine de points d'accord. Voici
ci-dessous les principaux 111 :
- La majorité passe de 21 à 18 ans
- Le vote des Sénégalais de l'étranger est
à présent autorisé
- Le passage dans l'isoloir devient obligatoire
- L'identification des électeurs par une pièce
d'identité le jour du vote devient obligatoire
- L'utilisation d'encre indélébile pour
éviter les votes multiples devient obligatoire
- La fonction présidentielle est à présent
limitée à deux mandats
- Les partis doivent être représentés
à présent au sein des bureaux de vote par des assesseurs
- La distribution des cartes doit dorénavant se faire en
présence de représentants des partis
- La durée des campagnes électorales passe de 14
à 21 jours
- Les contentieux électoraux sont à présent
de la compétence de la Cour suprême
- Les élections présidentielles et
législatives ne doivent plus être concomitantes
- Les coalitions politiques sont dorénavant
autorisées
- Les campagnes déguisées sont à
présent interdites
- Pour les élections législatives, on inclut 70%
de proportionnelle et 30 % de scrutin majoritaire
- Les candidats bénéficient dorénavant
d'une immunité tout au long de la campagne électorale
109 "La cohabitation à la française est
devenue le nec plus ultra de tous les politologues, professeur
d'université français, qui rédigent les nouvelles
Constitutions africaines. Dans les pays où les Présidents
sortants ont les attributs du pouvoir, l'armée et l'argent, il est
fortement recommandé aux chefs de l'opposition de se contenter des
postes de Premier ministre ou de président de l'Assemblée
nationale". Antoine Glaser et Stephen Smith, "Les nouveaux blancs aux
commandes de l'Afrique", Libération, 1er février 1994.
110 Mar Fall, l'Etat d'Abdou Diouf ou le temps des
incertitudes, Point de vue l'Harmattan, 1986. 111 Le Soleil du 21
et 23 mai 1991.
On note que la revendication majeure de l'opposition - le
passage obligatoire dans l'isoloir - est enfin acceptée par le pouvoir
socialiste.
Certains points de discorde subsistent néanmoins Le PS
refuse que soit inscrite dans la Constitution l'incompatibilité entre la
fonction présidentielle et la fonction de chef de parti. Cette position
est compréhensible, la vie politique interne du PS ayant une influence
directe sur la vie de l'Etat sénégalais. De plus, n'ayant
toujours pas trouvé en 1991 un bras droit susceptible de le remplacer,
Abdou Diouf ne peut pas se permettre d'abandonner sa position dominante au
PS.
La formation gouvernementale rejette aussi l'instauration
d'un Sénat - certainement à cause de l'échec des
négociations à ce sujet en 1988 - et la durée de 6 ans
proposée par l'opposition pour le mandat présidentiel, le PS
jugeant que pour "compenser" la limitation des mandats, le chef de l'Etat doit
pouvoir bénéficier de deux septennats 112.
Pour satisfaire l'ensemble des participants, les
requêtes socialistes sont acceptées. Le septennat renouvelable une
fois est instauré tandis que le nouveau code électoral ne fait
que "recommander" au Président de la République de mettre fin
à son rôle de chef de parti. Ces deux points ne paraissent pas
gêner outre mesure l'opposition, Abdoulaye Wade qualifiant même
à la fin des négociations le nouveau code électoral de
"presque parfait".
D'autres réformes importantes sont menées au
cours des premiers mois de "cohabitation". Abdou Diouf crée le 25 mai
1991 un Haut Conseil de la Radio Télévision (HCRT). Il est
chargé de faire respecter la diffusion hebdomadaire de la propagande des
partis dans les médias d'Etat, d'assurer une bonne retransmission des
débats parlementaires et de veiller à un certain "pluralisme" de
l'information. Cette "révolution" est accompagnée par la
création d'une grande émission politique contradictoire
mensuelle.
Cette ouverture des médias à l'opposition est
encourageante. En parallèle, on note dans les colonnes du Soleil
un plus grand intérêt quant à l'actualité et
aux idées des opposants. Après avril 1991, on peut lire en page
centrale du quotidien gouvernemental de longues interviews d'Abdoulaye
Wade, Amath Danshoko, Landing Savané, Babacar Niang etc... chose
inimaginable quelques mois auparavant 113.
L'impartialité des médias devient par
conséquent un objectif prioritaire du gouvernement. La loi signée
par Abdou Diouf le 3 septembre 1992 l'atteste :
"il est apparu nécessaire de rappeler les
conditions d 'un traitement objectif de l 'actualité politique, dans le
respect des règles déontologiques applicables à la
profession de journaliste. (...) A chaque fois que l 'importance de l
'événement le justifiera, les journaux
télévisés et radiophoniques rendront compte des
réunions des instances dirigeantes des partis politiques
légalement constitués et des manifestations à
caractère national que ceux-ci organiseront. Si un parti politique, un
syndicat, une organisation patronale ou une association représentative
de la société civile en font la demande, le Haut conseil pourra
éventuellement ordonner la diffusion de mises au point pour
rétablir l 'objectivité de l 'information ".
La justice, sévèrement critiquée depuis
1988, connaît elle aussi des réformes pour la rendre "plus
crédible, plus efficace, plus compétente et plus impartiale" 114
. La Cour suprême est divisée en trois juridictions : le
Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation.
112 " Réserves sur deux points", Le Soleil, 23
août 1991.
113 Voir l'entretien de Landing Savané du 21 août
1991 et celui de Babacar Niang du 3 septembre 1991.
114 Propos du ministre de la Justice, Serigne Lamine Diop.
"Réforme du système judiciaire ", Le Soleil, 29 mai
1992.
Cette vague d'ouverture correspond à une
période d'état de grâce dans le pays. Le conflit
sénégalo-mauritanien prend officiellement fin avec la
restauration des relations diplomatiques entre les deux pays ; la situation en
Casamance, pesante en 1990, s'apaise après la signature d'un accord de
paix ; les grèves universitaires sont moins nombreuses etc.
De surcroît, les déclarations amicales de Wade
envers Diouf foisonnent 115 . On surprend même le leader PDS... dansant
avec la première dame du Sénégal 116 . Les sopistes sont
ainsi sommés de respecter le consensus en vigueur. En août 1991,
Abdoulaye Wade n'hésite pas à licencier le directeur de
publication de Sopi et le secrétaire national de l'information
du PDS suite à un article critiquant le gouvernement 117 . Il oeuvre
donc pour la paix sociale, et permet au Sénégal de redevenir
"fréquentable". Abdou Diouf récolte les fruits de cette politique
en juin 1992 en étant reçu avec faste par la France,
François Mitterrand se déplaçant jusqu'à Roissy
pour accueillir son homologue sénégalais.
Cet état de grâce n'est même pas
contesté par les principales victimes de la cohabitation, à
savoir les partis non gouvernementaux. Abdoulaye Bathily reconnaît que
Diouf et Wade ont fait "une combinaison au sommet qui a
désamorcé la bombe sociale" 118 . Sonnés par le
départ du chef charismatique de l'opposition, les membres de l'ancienne
CONACPO sont à présent divisés. Dès la fin 1991,
trois personnalités de l'opposition - Landing Savané, Babacar
Niang et Abdoulaye Bathily - annoncent leur candidature... pour
l'élection présidentielle de 1993.
Ils tiennent pourtant sensiblement le même discours.
Ils dénoncent la traîtrise d'Abdoulaye Wade, qui a en quelque
sorte "pactisé avec le diable" ; se plaignent de la fermeture des
médias d'Etat aux partis non gouvernementaux et s'insurgent face... aux
prévisibles fraudes électorales de 1993 119.
Toutefois, Landing Savané est celui qui tire le mieux son
épingle du jeu au cours de la période. En effet, son parti And
Jëf arrive à créer une "union des gauches" en fusionnant
avec l'Organisation Social des Travailleurs (OST), l'Union pour les
Démocraties Populaires (UDP) et le cercle des lecteurs de Suxxuba.
Ce regroupement des différents partis de la gauche
révolutionnaire a pour objectif de "combattre le régime
Diouf- Wade" 120.
Dans ses interventions, Landing Savané s'attaque
principalement non pas au chef de l'Etat mais bel et bien au fondateur du PDS.
Il présente le parti libéral comme un parti bourgeois, qui
achète ses militants grâce à des allégeances. Face
à la multiplication de ce type de déclarations, Wade ironise et
affaiblit un peu plus ses amis d'hier en les invitant "à se joindre
(au gouvernement) (...) au lieu de ces inutiles coups d'épée
contre un adversaire si conscient de sa force et de son
invulnérabilité qu 'il se soucie finalement peu de cette vaine
agitation"121.
La force de caractère d'Abdoulaye Wade a des
répercussions sur les rapports qu'entretient le Sénégal
avec le FMI et la Banque mondiale. Il milite pour une renégociation des
programmes conclus et une remise en cause de la NPI et de la NPA. En
déclarant dès sa nomination "maintenant, c 'est fini les
contraintes et les conditionnalités" et en critiquant l'absence
de
115 "Je m'entends parfaitement avec Abdou Diouf, nous
faisons tout en commun (...) nous n'avons jamais eu la moindre divergence sur
le moindre problème ". "Diouf- Wade : le ticket gagnant ? ", Jeune
Afrique, n° 1 606, 15 octobre 1991.
116 Voir la photo d'Abdoulaye Wade et Elisabeth Diouf dansant
ensembles. "Soirée de gala de la Croix rouge", Le Soleil, 10
juin 1991.
117 Suite à cette affaire, Wade déclare : "le
Soleil et la radio essaient de s'adapter au changement, pas Sopi". "Affaire
Sopi", Le Soleil, 16 août 1991.
118 Marie-Pierre Subtil, "A la veille du sommet de la
Conférence islamique, "Etat de grâce" politique et "bombe sociale"
à Dakar", Le Monde, 8 décembre 1991.
119 Francis Kpatindé, "Opposition es-tu là ? ",
Jeune Afrique, 3 décembre 1991.
120 "Landing Savané, secrétaire
général", Le Soleil, 17 décembre
121 "Troisième conférence nationale des
anciens du PDS", Le Soleil, 30 décembre 1991.
distributions de semences et d'engrais, le ministre d'Etat
souhaite pousser Abdou Diouf à tenir tête plus
régulièrement aux bailleurs de fonds. Habib Thiam semble avoir la
même volonté, puisque dans un large entretien accordé au
Soleil le 26 juillet 1991, il désapprouve également la
NPA et la NPI.
Le chef de l'Etat suit l'avis de ses deux ministres. Il
prône à partir de la première moitié de
l'année 1991 un ajustement plus tourné vers le
développement et la croissance, et moins sur les équilibres
macroéconomiques 122 . La nouvelle position sénégalaise
heurte les bailleurs de fonds, déjà méfiants depuis la
parution du rapport Berg. Cette attitude détériore donc les
relations Sénégal-FMI, ce qui n'arrange pas la situation
économique du pays, bien mal en point entre 1991 et 1992.
Cependant, ces difficultés sont
reléguées au second plan derrière l'euphorisme
régnant durant les premiers mois du gouvernement d'union nationale. Cet
état de grâce est consolidé par les multiples
événements de portée mondiale organisés sur le sol
sénégalais entre décembre 1991 et février 1992.
L'espace de quelques semaines, le Sénégal est le centre de
l'Afrique.
Le premier évènement qui a lieu sur le sol
sénégalais est la réception de l'Organisation de la
Conférence Islamique (OCI). Premier pays subsaharien à recevoir
l'OCI, le Sénégal s'est doté d'importantes infrastructures
pour accueillir les délégations. Le pays, peuplé à
plus de 90% de musulmans, veut faire de cette réunion un
événement politique majeur. Mais les absences conjuguées
des chefs d'Etat marocain, égyptien et surtout saoudien font de la
conférence un semi-échec. Même s'il est élu à
cette occasion président de l'OCI pour trois ans, Abdou Diouf
n'égale pas sur le plan médiatique sa "performance" de 1981
à Taïf. Vexé par cet affront, le chef de l'Etat
déclare dans Le Monde du 10 décembre 1991 : "nous
respectons les Arabes plus qu 'ils nous respectent. Ce sixième sommet de
l'OCI en est l'illustration ".
La déception laisse cependant bien vite la place
à l'enthousiasme, puisque le Sénégal organise en janvier
la Coupe d'Afrique des Nations 1992. Cette compétition est l'occasion
pour Diouf de se rapprocher de "sa" jeunesse, qu'il tente
désespérément de reconquérir depuis 1988
123. Le chef de l'Etat mise sur une victoire du
Sénégal pour bénéficier d'un "effet Coupe
d'Afrique". Les proches du régime dioufiste pense qu'une victoire des
"Lions de la Téranga" pourrait jouer sur le moral des
Sénégalais et profiter au Président indirectement, le
football étant le sport national du Sénégal avec la lutte.
La jeunesse verrait en Diouf "un Sénégal qui gagne" et voterait
pour lui en 1993, la majorité ayant été abaissée
à 18 ans. Le gouvernement se donne donc les moyens pour réus sir
"sa" CAN. Il octroie 1,4 milliards FCFA pour l'organisation de
l'événement ; 1,3 milliards FCFA pour l'amélioration des
stades et 1 milliard FCFA pour les équipements de
télévision 124.
Les politiques, désireux de "rentabiliser" leur
investissement, troublent la préparation de l'équipe nationale en
se rendant sur le camp d'entraînement des joueurs. Lors de leur visite du
2 janvier 1992, les ministres se montrent, font de larges sourires en compagnie
des sportifs
122 Abdou Diouf soutient ainsi à RFI : "j'ai
pensé ces derniers mois à la dimension sociale de la politique de
l'ajustement. L 'ajustement sans la croissance, sans le développement n
'a pas d'avenir et ne conduit pas à la prospérité ". "Le
nouveau gouvernement marque un changement dans la continuité ", Le
Soleil, 11 avril 1991.
123 Son discours du 4 avril 1989 est particulièrement
révélateur. Dans son allocution, située entre deux crises
majeures (la contestation post-électorale et la crise
sénégalo-mauritanienne), Abdou Diouf rend hommage à la
jeunesse "force vive et incarnation de la nation en devenir" et
n'hésite pas à prendre cette position étonnante : "que
notre jeunesse soit contestatrice, je n'y vois pas une calamité
nationale". Il tente ainsi par tous les moyens de faire oublier ses propos
thièssois de 1988. Voir Le Soleil, 5 avril 1989.
124 "La valse des milliards", Jeune Afrique, n°
1615, 23 janvier 1992.
et... tirent des penaltys en costard-cravate 125 .
Outre Habib Thiam, on compte parmi les footballeurs d'un jour Ousmane Ngom.
Cette présence n'est pas anodine, le message politique est fort : les
photographes et les caméras doivent souligner la bonne ambiance qui
règne au sein du gouvernement.
Le Président reçoit quant à lui
l'ensemble de la sélection au palais présidentiel. Il accorde une
attention toute particulière à Jules-Francois Bocandé,
avec qui il n'hésite pas à poser longuement pour les photos 126 .
L'homme en question a de quoi attirer la convoitise présidentielle. Il
est considéré à l'époque comme le meilleur joueur
du pays (il a été le meilleur buteur du championnat de France en
1986), il a le brassard de capitaine et surtout, comme son nom l'indique, il
est d'origine casamançaise. C'est donc à lui que Abdou Diouf
offre un immense drapeau sénégalais. Le sport, le patriotisme et
la politique s'entremêlent durant la préparation des "Lions". Le
message du gouvernement est très clair : il faut gagner la coupe
127.
Après avoir lancé officiellement la
compétition, Abdou Diouf assiste au premier match des
sénégalais contre le Nigeria. A sa grande satisfaction, il est
applaudi par l'ensemble du stade, composé à majorité de
jeunes. Les débuts des "Lions" sont pourtant chaotiques, puisqu'ils
perdent 1-2 contre le Nigeria. La pression est donc déjà grande
lors de la deuxième rencontre contre le Kenya, seule une victoire
pouvant permettre au Sénégal de continuer la compétition.
Abdou Diouf, stressé... ou plus certainement
désintéressé par le match en lui-même, n'assiste pas
à la rencontre. La propagande gouvernementale met alors en avant la
présence dans les tribunes d'Elisabeth Diouf, Abdoulaye Wade et d'autres
ministres PS et PDS. Toutes ces personnes ne font pas dans la demi-mesure pour
se congratuler à la suite de la large victoire sénégalaise
3-0 128 , qui qualifie la sélection pour les quarts de finale. Les
premiers effets de la CAN se font ressentir : la Casamance est en fête -
suite notamment à une bonne prestation de Bocandé - et la
jeunesse s'associe à la joie exprimée par les ministres du
gouvernement d'union nationale. "L'effet CAN" parait prendre la tournure
souhaitée, mais cela est sans compter sur une élimination
prématurée de la sélection sénégalaise.
Les "Lions de le Téranga" sont en effet
éliminés le match suivant par le Cameroun 1-0, sans gloire... et
surtout sans coupe. Cette sortie prématurée est vécue
comme un drame national129. Elle constitue également une
humiliation, étant donné que c'est le "cousin" ivoirien qui
termine quelques jours plus tard champion d'Afrique. Le presse gouvernementale
cherche alors un coupable et en trouve un tout désigné en la
personne du sélectionneur national, le français Claude Leroy.
Le Soleil explique que "l'échec de l'équipe
nationale, c'est donc l'échec personnel de son entraîneur qui
avait en toute clarté et en toute responsabilité fait un choix.
Celui ci ne s'est pas avéré payant (...) finalement, il n'y a pas
de malédiction en sport. Tout a une base scientifique et rationnelle.
Tout peut s'expliquer scientifiquement" 130.
Comme souvent en Afrique, les commentaires sportifs des
journalistes sont accompagnés... par ceux des hommes politiques. Ces
derniers critiquent les mauvais choix de l'entraîneur mais aussi son
salaire, estimé sur quatre ans à 216 millions FCFA. On comprend
que le sort
125 "Habib Thiam à l'entraînement des Lions :
"nous vous faisons confiance"", Le Soleil, 3 janvier 1992.
126 "Abdou Diouf : allez les lions", Le Soleil, 6
janvier 1992.
127 Abdou Diouf déclare : "c 'est un message que
vous allez délivrer, un message de paix et de fraternité de la
jeunesse africaine a l'ensemble des jeunes du monde entier avec (...) comme
objectif la con quête de la Coupe africaine de football". "Abdou Diouf :
allez les lions", Le Soleil, 6 janvier 1992.
128 "Coupe d'Afrique des Nations : un ballon très
politique", Jeune Afrique, n° 1 620, 31 janvier 1992.
129 "Le camp sénégalais s'explique ", Le
Soleil, 26 janvier 1992.
130 "Choix incohérent.. échec logique",
Le Soleil, 21 janvier 1992.
du français est scellé quelques jours tard,
à la lecture d'un communiqué du conseil des ministres :
"Dans sa communication, le Président de la
République a évo qué le déroulement de la
dix-huitième CAN avec l'élimination prématurée de
l'équipe nationale du Sénégal en quart de finale. Il a dit
sa peine et celle de tout le peuple sénégalais devant cet
évènement, mais a estimé que "nos Lions se sont battus
même s'ils ont manqué de réussite. Ils sortent de cette
compétition la tête haute". Il convient dont de rendre hommage au
peuple sénégalais et a sa jeunesse pour leur mobilisation et leur
appui massif. Il faut redoubler d'effort a dit le chef de l'Etat qui a
demandé de penser dès maintenant aux échéances
futures et de les préparer par l'élaboration rapide d'un plan de
relance du football sénégalais par la base. Le Président
de la République a ensuite souligné la nécessité de
tirer toutes les leçons de notre participation à cette
compétition et de situer les responsabilités de façon
objective" 131.
La conférence de l'OCI et l'organisation de la CAN
sont donc des semi-échecs pour Abdou Diouf et son gouvernement d'union
nationale, le pouvoir n'ayant pas réussi à en tirer les
bénéfices escomptés. Le déplacement du Pape
Jean-Paul II clôture cette période de grands
événements internationaux au Sénégal.
Cette visite, importante pour ramener au calme une Casamance
très fortement christianisée, a été
organisée par Abdou Diouf et sa femme, de religion chrétienne,
contre la volonté de la confrérie mouride 132 . En dépit
de certains avis défavorables, le gouvernement d'union nationale -
notamment Habib Thiam, Abdoulaye Wade et Amath Dansokho - se presse autour du
chef de la chrétienté lors de son arrivée à Dakar,
le 18 février 1992. Les élections sénégalaises
approchant, il est de bon ton d'afficher son ouverture religieuse pour
séduire l'électorat chrétien.
Le principal objectif de Jean-Paul II au cours de ce voyage
est d'apaiser la situation casamançaise. Le conflit séparatiste
connaît entre 1989 et 1991 des périodes de fortes tensions, les
rebelles ayant trouvé en Guinée-Bissau une zone de repli
idéale. Les morts se comptent par centaines, voire milliers. Les
réponses de l'armée sénégalaise sont violentes, on
parle même d'arrestations et de rafles aveugles 133 . Pour mettre fin au
conflit, Abdou Diouf décide de faire un geste et gracie le 27 mai 1990
350 séparatistes casamançais. Dans la foulée, un accord de
paix est signé entre le MFDC et le gouvernement. Une commission de paix,
regroupant l'Abbé Diamacoune, des membres du MFDC et des
éléments du PS et du PDS, est crée. On croit le
problème casamançais en passe d'être résolu, mais en
décembre 1991, les violences reprennent avec l'assassinat d'un
député et d'un président de conseil rural 134 . Le chef de
l'Etat, qui prépare la visite symbolique de Jean Paul II à
Ziguinchor, met alors en place une commission de gestion de la paix en janvier
1992.
C'est dans ces conditions que le Pape prône durant son
séjour la paix. Il prononce notamment ces mots : "pendant de trop
longues années, vous avez connu des périodes de
déchirement, des familles divisées, des deuils, des villages et
des champs ravagés, tous, vous aspirez à la réconciliation
et à l'unité. Vous devez construire ici la demeure de la paix.
Vous ne pourrez le
131 "Relance du football par la base", Le soleil, 22
janvier 1992.
132 Abdou Diouf raconte : "Le Khalife
général des Mourides n 'a pas été enthousiaste
(...) j 'ai dit : "mon devoir est de vous informer, je vous informe. Il y a
deux raisons. Le Pape est un chef d'Etat, je dois recevoir un chef d'Etat.
Deuxièmement, nous avons une communauté chrétienne qui a
besoin de voir son guide. C'est ma responsabilité de la protéger
et de lui offrir ce cadeau de recevoir le guide spirituel de la
chrétienté". Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005.
133 "Amnesty International dénonce l'usage de la
torture en Casamance", Le monde, 13 janvier 1991.
134 "Un député tué en Casamance :
réactions après l'attentat", Le soleil, 25 décembre
1991.
faire que tous ensemble" 135 . L'abbé
Diamacoune Senghor, qui assiste à la messe pontificale à
Ziguinchor, déclare en guise de réponse : "la violence nous a
été imposée en Casamance et sans la justice, la
réconciliation ne serait construite que sur du sable. J'espère
que le Pape montrera la voie"
Rassuré par ces propos, le Pape quitte le
Sénégal en pensant qu'une solution de paix définitive peut
être prochainement trouvée. C'est l'inverse qui se produit,
puisque à partir de juillet 1992, on assiste à une très
grande intensification du conflit casamancais. Toutefois, la visite papale
reçoit un écho favorable dans l'ensemble du pays et panse quelque
peu les plaies ouvertes depuis 1988. Cet évènement clos "la
grande récréation"136 débutée avec la
conférence de l'OCI. Le quotidien reprend le dessus. Les
premières tensions au sein de la cohabitation apparaissent.
En effet, la présence des ministres libéraux au
gouvernement ne fait pas que des heureux. Certains socialistes n'acceptent pas
le fait de se retrouver en deuxième ligne derrière un Abdoulaye
Wade entreprenant et qui agit souvent de concert, du moins durant les premiers
temps de la cohabitation, avec le chef de l'Etat.
En outre, le conseil des ministres n'est plus pour la
formation dioufiste un lieu où circulent des renseignements secrets,
dissimulés aux autres partis. Les ministres socialistes font à
présent attention à ce qu'ils disent, cherchant à ne pas
dévoiler toutes leurs informations à leurs collègues PDS.
La méfiance générale aidant, tous les dossiers sont
extrêmement discutés, chacun essayant d'imposer à l'autre
ses idées 137 . Une fracture se crée au sein même du
gouvernement entre les membres socialistes et libéraux. Les ministres de
la société civile, en manque de base politique, sont quant
à eux plus enclins à soutenir les ministres PDS :
"très vite, on s'aperçut que les nouveaux
cultivaient ou essayaient au plus haut point de bonnes relations avec les
ministres chargés des finances ou de l'économie. Ces derniers,
souvent technocrates, sans base politique,
avaient aussi besoin de points d'appui."
138.
Par conséquent, les accrochages entre Thiam et Wade se
multiplient 139 . L'affrontement le plus net concerne le Fonds pour la
Promotion Economique (FPE) de 39 milliards FCFA, accordé par la BAD le
22 novembre 1991. Selon Habib Thiam 140, ce fonds doit
être raccordé à lui pour éviter tout
détournement d'argent (221). Abdoulaye Wade, qui n'a aucune sympathie
pour Thiam, dénonce cette appropriation. Le ministre d'Etat
débute alors une véritable campagne de presse pour que le FPE
soit ratt aché à Famara Ibrahima Sagna, ministre de l'Economie et
des Finances. Ce choix n'est pas anodin, puisque Sagna est un allié de
Wade - il a oeuvré pour son entrée au gouvernement - et il n'est
un secret pour personne qu'il lorgne sur la Primature. En lançant cette
polémique, Abdoulaye Wade essaie donc d'affaiblir le Premier ministre.
Cette tentative est un "succès", puisque jusqu'à son
départ du gouvernement, le FPE occupe l'espace médiatique
sénégalais.
135 Sennen Andriamirado, "Casamance c'est la guerre !",
Jeune Afrique, n° 1653, 16 septembre 1992.
136 Elimane Fall, "La récréation est finie au
Sénégal" , Jeune Afrique, n° 1624, 26 février
1992.
137 "Les débats, style parti politique, où
l'on pouvait passer toute une nuit à discutailler des points et des
virgules, envahirent notre réunion hebdomadaire du conseil". Habib
Thiam, Par devoir et amitié, pp.121, Paris, Rocher, 2001.
138 Habib Thiam, Par devoir et amitié,
pp.122-123, Paris, Rocher, 2001.
139 Habib Thiam raconte l'un de ces multiples accrochages
: "Abdoulaye Wade crut bon de m'appeler au téléphone pour me
dire sa conception sur la manière de gouverner. A cause du ton
employé, rogue et donneur de leçons, je l'ai envoyé sur
les roses en lui précisant qu'aussi longtemps que j'occuperais le poste
de Premier ministre, il en serait ainsi". Habib Thiam, Par devoir et
amitié, pp.123, Paris, Rocher, 2001.
140 Dans ses mémoires politiques, Habib Thiam consacre un
chapitre entier au FPE pour justifier son utilisation. Habib Thiam, Par
devoir et amitié, Paris, Rocher, 2001.
En dépit de ces frictions, le gouvernement d'union
nationale a tout de même dépassionné le débat
politique, favorisé une ouverture du régime et contribué
au retour d'une certaine paix sociale, excepté en Casamance. Certaines
personnalités, comme Amath Dansokho, suggèrent ainsi... une
candidature unique pour la présidentielle de 1993 141 . Si Abdou Diouf
semble tenter par cette idée - Habib Thiam soutient dans ses
mémoires que le chef de l'Etat propose à la fin de l'année
1992 le poste de Vice-Président à son ministre d'Etat 142 -
Abdoulaye Wade réaffirme sa volonté de conquérir le palais
présidentiel, "son devoir étant d'amener le PDS au pouvoir,
car le parti est majoritaire" 143. Le fondateur du
PDS annonce de ce fait sa candidature à la présidentielle au
cours de l'hivernage 1992 mais se prononce pour le maintien des ministres PDS
au gouvernement.
Suite à cette annonce, le climat gouvernemental
devient relativement pesant. Des conseils ministériels officieux se
tiennent sans la présence du PDS, les ministres libéraux
n'apparaissent plus dans les médias d'Etat, on assiste même
à un procès entre Le Soleil et le ministre Jean-Paul
Dias 144 . Pour mettre fin à l'isolement de sa formation, Abdoulaye Wade
propose à la fin du mois d'août 1992 aux autres partis
d'opposition de rentrer au gouvernement. Il essuie un refus
général. Le chef de l'Etat réappuit alors son soutien
à son ministre d'Etat et demande au gouvernement de ne pas se lancer
dans la campagne préélectorale bien que... ses propres
comités de soutien commencent déjà à faire leur
apparition dans les médias d'Etat 145.
Abdoulaye Wade quitte finalement le gouvernement le 18
octobre 1992, suite à un vote du bureau politique PDS. Pour justifier
son départ, il évoque la marginalisation dont il est victime
depuis l'annonce de sa candidature. Il indique néanmoins son intention
de retravailler avec Abdou Diouf après les élections, preuve que
les deux hommes ont appris à se connaître et à s'estimer
depuis avril 1991 146 . Ils se quittent ainsi en bons termes, ce qui laisse
penser que la campagne de 1993 va être nettement moins agitée que
la précédente.
6. L` élection présidentielle de 1993
:
Paradoxalement, les partis politiques s'adressent
principalement durant la précampagne aux... électeurs vivant hors
du Sénégal. Depuis la réforme du code électoral de
1992, les Sénégalais de l'extérieur ont le droit de vote.
Cette nouveauté engendre de nouveaux comportements chez les politiques,
qui tentent d'intéresser les expatriés aux enjeux de
l'élection.
Tous les partis font des démarches en ce sens à
partir de septembre 1992. Ils privilégient tous la France, ce choix
s'expliquant bien évidemment par les liens qui unissent les deux pays.
Pourtant les enjeux ne sont pas énormes : seulement 6 333 personnes sont
inscrites sur les listes électorales, alors qu'on recense
"officiellement" 45 000 sénégalais sur le sol français. On
explique ces chiffres par la faiblesse du nombre de bureaux de vote. En effet,
seules Paris et Le Havre, qui disposent de représentants diplomatiques
et consulaires, sont habilités à accueillir des centres
électoraux. Les Sénégalais de Marseille ou Bordeaux n'ont
donc pas la possibilité d'aller voter.
141 "Le PIT fidèle à ses positions", Le
Soleil, 7 septembre 1992.
142 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.151,
Paris, Rocher, 2001.
143 "Meeting régional du PDS : objectif la
conquête du pouvoir", Le Soleil, 6 juillet 1992.
144 "Plus malhonnête que Jean-Paul Dias, tu meurs !",
Le Soleil, 6 août 1992 et "Jean-Paul Dias
débouté", Le Soleil, 6 août 1992.
145 "COSAPAD à Thiès : Abdou Diouf le candidat
de l'avenir", Le Soleil, 7 octobre 1992.
146 "Le PDS quitte le gouvernement : Wade s'explique",
Le Soleil, 19 octobre 1992.
Si le réservoir électoral est faible en France,
les "amitiés" et les possibilités de financements de campagne
sont nombreuses. Wade inaugure un "quartier général du sopi"
à La Défense alors que les partis marxistes vont à la
rencontre des travailleurs émigrés. Bathily tient par exemple un
meeting à la bourse du travail de Montreuil 147 . Le PS
dépêche quant à lui son ministre des Affaires
Etrangères, mais aussi secrétaire national PS chargé des
élections, Djibo Kâ, pour qu'il promeuve la démocratie
sénégalaise. Il rend visite à des rédactions de
grands journaux installés à Paris, tels que Le Figaro,
Libération ou Jeune Afrique 148 . Il insiste lors de ces
entrevues sur la tradition démocratique sénégalaise et
l'ouverture du pays depuis 1988. Cette campagne de séduction
menée par le ministre vise avant tout à rassurer les bailleurs de
fonds et l'opinion publique française , sachant que contrairement
à 1988, Abdou Diouf appelle les observateurs internationaux à se
rendre nombreux au Sénégal pour le scrutin.
Sur le terrain sénégalais, le pouvoir met en
route sa propagande usuelle. Le chef d'Etat inaugure à tour de bras des
nouveaux bâtiments, organisant notamment un grand rassemblement... pour
l'inauguration d'un nouvel hôpital 149 . Aussi, les soutiens à
Diouf prolifèrent dans Le Soleil : on note la création
du comité de soutien Abdou Woor Corad, la réactivation
du COSAPAD, l'appui du très controversé Ahmed Khalifa Niasse ou
encore le "soutien massif" des chefs d'entreprises du Sénégal.
La presse gouvernementale insiste également sur le
ndiguel mouride accordé à Abdou Diouf en... 1988
150. En effet, les relations entre Abdou Diouf et le
Khalifat mouride se sont très nettement détériorés
depuis cette date. Le nouveau Khalife général des Mourides,
Serigne Saliou Mbacke, souhaite à présent "sauvegarder son
autonomie, préserver la confrérie des éventuels ravages du
factionnalisme politique, mais laisser aussi entendre que l'Etat n'est plus
à considérer comme la propriété d'un seul homme
politique, à savoir le Président toujours renouvelé" 151 .
On pense aussi que le Khalife fait payer à Abdou Diouf une certaine
liberté d'esprit, qui l'a notamment conduit à ne pas
écouter les désapprobations mourides au sujet du voyage papal en
1992 152.
La confrérie tidjane, première confrérie
en terme de fidèles, apporte quant à elle un soutien plus
marqué au Président, sans toutefois s'engager dans un ndiguel
formel. En fait, seuls les marabouts "secondaires" accordent des
consignes de vote en bon et du forme, ce qui assure tout de même à
Diouf une très bonne assise dans les campagnes
sénégalaises.
Abdoulaye Wade a lui aussi des soutiens religieux. Il compte
notamment à ses cotés des marabouts mourides et des associations
religieuses souvent composées très majoritairement de jeunes,
comme les Moustarchidines Wal Moustarchidates (les jeunes gens et
les jeunes filles gardiens de l'islam en wolof). Cependant, ces soutiens
ne sont pas relayés par la presse gouvernementale, ce qui tend à
montrer que le fondateur du PDS a encore des difficultés à se
faire entendre dans les médias d'Etat. En effet, depuis son
départ du gouvernement, il n'apparaît presque plus dans la presse
quotidienne, même si son congrès d'investiture à la
147 "Les leaders politiques à la conquête des
émigrés", Le Soleil, 10 septembre 1992 et "Les leaders
des partis politiques en France : campagne avant la lettre", Le Soleil, 2
décembre 1992.
148 Zyad Limam, "Les hommes de Diouf à Paris",
Jeune Afrique, n° 1672, 27 janvier 1993.
149 "Inauguration de l'hôpital El Hadj Ibrahim à
Niasse", Le Soleil, 25 octobre 1992.
150 "PS à Touba, le ndiguel ravivé", Le
Soleil, 16 novembre 1992 et "Le PS à Darou Mousty", Le Soleil,
1er janvier 1993
151 Hamad Jean Stanislas Ndiaye, "La communication
politique dans les élections au Sénégal: l'exemple du PS
(Parti Socialiste) et de l'AFP (Alliance des Forces de Progrès) en l'an
2000", Université Gaston Berger de Saint-Louis
(Sénégal).
152 Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005
présidence de décembre 1992 est relaté
correctement dans Le Soleil 153.
On peut ainsi lire que Abdoulaye Wade a le soutien de
quelques hommes politiques français, notamment Alain Madelin et Gilles
de Robbien, et qu'il organise un véritable show pour annoncer
sa candidature officielle, le meeting se tenant dans un stade
réunissant 15 000 personnes.
Outre les rassemblements préélectoraux,
l'actualité sénégalaise est centrée sur
l'intensification des troubles en Casamance. Depuis la visite de Jean Paul II,
la violence est réapparue.
Cette situation est due à la fragilisation interne du
MFDC, qui s'est scindé en deux suite au cessez-le-feu conclu à
Bissau en juin 1991. A partir de 1992, on compte deux, voire trois MFDC. Il y a
"le front nord", conduit par Sidi Badji, qui se déclare favorable
à la fin des hostilités et il y a le "front sud", qui rejette les
propositions formulées par le gouvernement. Les "sudistes" proclament la
fin de la trêve et se placent sous l'autorité de l'abbé
Diamacoune Senghor, même si ce dernier semble avoir de plus en plus de
mal à se faire entendre par "ses" troupes. Une troisième voix se
fait également entendre à partir des années 1990, une aile
radicale, localisée en France, qui se désolidarise de la position
prise par Badji et qui réclame la poursuite des hostilités
jusqu'à l'indépendance 154 . La multiplication des interlocuteurs
freine l'avancée des pourparlers. L'Etat ne sait plus avec qui
dialoguer, même si l'abbé Diamacoune Senghor apparaît touj
ours aux yeux du pouvoir comme la personne la plus écoutée au
sein du MFDC.
Le front sud reprend ses activités séparatistes
en mai 1992. Le 1 er septembre 1992, dans le village casamançais de
Kaguitt, on compte officiellement après un affrontement entre maquisards
et militaires 52 morts (2 soldats) et 69 blessés (dont 19 soldats)
155. La situation dégénère, la
Basse-Casamance devient une véritable zone de non droit. La
région est à présent le terrain de la contrebande, du
passage de drogue et "un partenaire commercial" privilégié pour
la Gambie. Le MFDC demande l'impôt révolutionnaire et des
cotisations sous forme de vivres à des populations soumises
également aux multiples pressions et actions de l'armée.
Face à cette dégénérescence de la
situation casamançaise, les politiques locaux n'ont aucune
possibilité d'action et risquent à tout moment la mort. Pour fuir
les violences, nombreux sont les habitants qui fuient en Gambien ou en
Guinée-Bissau 156.
En plus d'avoir des répercussions sur la vie politique
intérieure, cette intensification du conflit à une incidence sur
la vie économique sénégalaise, une localité
près du village touristique de Cap Skirring étant attaquée
le 26 octobre 1992. Si aucun touriste n'est touché par l'action
indépendantiste, on compte la mort d'une trentaine de locaux,
massacrés par les troupes du MFDC. Les répercussions sont
immédiates : les touristes pris de panique quittent la
région157. En quelques jours, le tourisme en Casamance est
bel et bien mort. Le secteur du tourisme sénégalais s'effondre,
ce qui entraîne de très graves pertes économiques pour le
Sénégal.
La Casamance pose de ce fait un problème politique et
économique majeur. Les contemporains se demandent s'il est bien
raisonnable d'organiser des élections dans une région aussi peu
tenue par le pouvoir central. Abdou Diouf, en tant que garant de
l'intégrité du territoire, ne peut pas se permettre la non tenue
d'élections dans une partie du Sénégal, "ce
qui
153 "Me Wade investi candidat", Le Soleil, 20
décembre 1992.
154 Assane Seck, Sénégal, émergence
d'une démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique,
Paris, Karthala, 2005.
155 Sennen Andriamirado, "Casamance c'est la guerre !",
Jeune Afrique, n° 1653, 16 septembre 1992 et "un an et demi
après la signature d'un cessez-le-feu : Des affrontements en Casamance
entre l'armée et les indépendantistes ont fait cinquante-deux
morts", Le Monde, 4 septembre 1992.
156 "L'attaque d'un village en Casamance a fait huit morts",
Le Monde, 8 août 1992.
157 "Habitants et touristes ont fui le Cap-Skirring",
Le Monde, 30 octobre 1992.
constituerait une reconnaissance de facto de la partition
du territoire" 158 . Il décide donc d'employer les grands moyens en
déployant une grande partie de l'armée sénégalaise
dans la région casamançaise durant les élections. Les 1
500 soldats déjà présents sont ainsi rejoint par 1500
autres militaires, venus du Liberia où ils assuraient auparavant une
mission dans le cadre de l'ECOMOG. Ce déploiement a pour but d'assurer
la sécurité des personnes désirant aller voter et de
permettre à Abdou Diouf de débuter sa campagne
présidentielle à Ziguinchor.
Son premier meeting de campagne est par
conséquent un événement aussi bien au
Sénégal qu'à l'étranger 159 . Le candidat expose
à cette occasion sa conception de l'intégrité du
territoire et réaffirme son refus de voir une Casamance
indépendante. Il se pose en "protecteur" de la région, en homme
de paix et de démocratie.
Lors de ce premier rassemblement, il présente
également son programme électoral. Il promet "un contrat pour
l'avenir" jusqu'en 2000 fondé sur : une croissance oscillant entre 6 et
10 %, ; la création de 20 000 emplois annuels ; une
décentralisation des institutions et de la vie économique ; une
alphabétisation portée à 90% de la population. Toutefois,
les mesures à entreprendre pour atteindre tous ces objectifs sont flous.
Ceci s'explique par la crainte du Président sortant d'annoncer des
réformes douloureuses à une population qui le rejette
déjà massivement dans certaines parties du territoire
160.
Pour cette campagne, Abdou Diouf met en avant les formations
politiques qui le soutiennent. Contrairement à 1988, où seul le
PDS-R était présent aux cotés du Président, le chef
de l'Etat dispose en 1993 du soutien du PIT d'Amath Dansokho, de l'UDS/R de
Puritain Fall ou encore du MRS de Demba Ba. La présence de Majhemout
Diop (PAI) dans le camp dioufiste est plus surprenante. Ce marxiste a en effet
tout au long de sa vie combattu le régime socialiste. Il a connu l'exil
sous Senghor et a été l'un des plus virulents opposants à
Diouf lors de son accession au pouvoir. Pourtant, le PAI ne participe plus aux
élections depuis 1983. On pense que Majhemout Diop connaît une
profond résignation, une sorte de "syndrome Cheikh Anta Diop ".
Devant les blocages et les difficultés de la vie politique
sénégalaise, Abdou Diouf n'apparaît pas pour Majhemout Diop
comme le meilleur des candidats mais... comme le moins pire. C'est pourquoi
lorsqu'il parle du Président sortant, Diop n'évoque pas ses
réalisations politiques, mais son intégrité, son discours
de paix et la bonne image qu'il renvoie du Sénégal à
l'extérieur du pays.
Le PS insiste aussi sur les qualités dioufistes pour
"masquer" le mauvais bilan économique de son candidat. Contrairement
à 1988, Abdou Diouf bénéficie lors de cette
élection d'une véritable équipe de campagne. Pour la
diriger, le chef de l'Etat a dû pour la première fois depuis 1990
choisir un second au PS. Habib Thiam, toujours en retrait vis-à-vis du
parti malgré son retour à la Primature, ne fait pas figure de
candidat idéal. Finalement, le choix de Diouf se porte sur Ousmane Tanor
Dieng, personnalité en pleine accession au début des
années 1990.
Ousmane Tanor Dieng est né 1948 à
Nguéniène (département de Mbour). Il obtient, comme la
majorité des hommes politiques issus de la "génération
post-coloniale", un diplôme à l'Ecole Nationale d'Administration
et de Magistrature (ENAM) de Dakar. Diplomate de formation, il rentre en 1976
au sein de l'administration sénégalaise. Il gravit rapidement les
échelons. Il occupe les fonctions de conseiller chargé des
affaires internationales au ministère des
158 Hassane Drame, "Les défis de l 'élection
présidentielle en Casamance ", PoA 51, 1993.
159 Marie Pierre Subtil, "Sous la protection d'un important
dispositif militaire, le Président Diouf défie les
séparatistes de Casamance ", Le Monde, 31 janvier 1993.
160 Jérôme Gerard, "Election
présidentielle du Sénégal (février 1993):
»Sopi» pour la jeunesse urbaine", PoA 50, 1993.
Affaires Etrangères (1976-78) puis devient conseiller
diplomatique auprès du Président Léopold Sédar
Senghor (1978-81). Lors du départ de ce dernier en 1981, il rencontre
pour la première fois Abdou Diouf. Selon les dires d'Ousmane Tanor
Dieng, le nouveau chef d'Etat lui aurait alors dit : "le Président m
'a beaucoup parlé de vous. Je crois que nous ferons du bon travail
ensemble " 161.
Ousmane Tanor Dieng devient pendant sept ans le conseiller
diplomatique d'Abdou Diouf. Les deux hommes sont proches, apprennent à
se connaître. Une confiance mutuelle s'installe. Logiquement, il est
nommé en 1988 directeur de cabinet du Président de la
République. Il accède aux dossiers les plus secrets de l'Etat. Il
signe par exemple les accords qui mettent fin à la grève
universitaire de 1988. Il entretient des contacts journaliers avec le
Président (il le voit entre cinq et six par jour) et des rapports
très étroits avec Jean Collin, "qui lui apprend le
métier". C'est donc tout naturellement qui lui succède
officieusement en 1990. Après son entrée au gouvernement, la
propagande socialiste commence à façonner le portrait d'Ousmane
Tanor Dieng : il est présenté comme un homme compétent,
serviable, musulman pieux, entièrement dévoué à
Diouf. Pour Le Soleil et Jeune Afrique, il a toutes les
caractéristiques de l'homme de l'ombre, sa discrétion
étant sa qualité la plus mise en avant 162.
S'il bénéficie de l'appui de Diouf et de
l'appareil propagandiste de l'Etat, Tanor Dieng n'est que très
modérément apprécié au PS, n'ayant pas connu une
ascension traditionnelle. Il n'a pas milité au sein du parti durant sa
jeunesse - contrairement par exemple à Djibo Kâ - et n'est
entré au comité central qu'en 1988. Il n'a par conséquent
pas de base, et donc pour "les socialistes de souche", pas de
légitimité pour diriger le parti 163 . Entré en politique
"les pieds et poings liés ", simple secrétaire national
PS chargé des relations internationales depuis 1990, Ousmane Tanor Dieng
est propulsé à la tête du comité directeur de
campagne sur la seule volonté d'Abdou Diouf. Ce "parachutage" fait
polémique parmi les socialistes, en dépit des paroles rassurantes
du ministre-directeur de cabinet, qui proclame à de multiples reprises
ne vouloir assurer que la "coordination de la campagne" 164 . L'opposition elle
aussi commence à se préoccuper du cas Tanor Dieng. Elle critique
"sa double casquette" de directeur de cabinet et de directeur de campagne.
La désignation d'un numéro deux officieux au PS
facilite la mise en action de la machine électorale socialiste. Le
directoire de campagne est composé de 35 personnes, toutes reconnues
comme des fidèles du Président Diouf. Il y a Abdoul Aziz Ndaw,
Moustapha Kâ, Jacques Baudin, Djibo Kâ, Landing Sané,
Mamadou Diop, Abdoulaye et Lamine Diack, Madia Diop, Daouda Sow, Babacar Sine,
Robert Sagna et André Sonko 165.
161 Elimane Fall, "Les hommes de Diouf", Jeune
Afrique, n° 1619, 23 janvier 1992.
162 On lit dans Le Soleil qu'Ousmane Tanor Dieng a
"une discrétion qui confine à l'effacement. Cette vertu qui
habite les hommes d'équilibre a crédité le directeur de
cabinet du chef de l'Etat d'une réputation loin d'être surfaite.
Il préfère l'ombre du Président aux lampes de
l'actualité ! Mais jusqu 'à quand ? ". "Premier conseil des
ministres, OTD ministre directeur du cabinet du chef de l'Etat", Le
Soleil, 11 avril 1991
163 Ousmane Tanor Dieng le reconnaît lui-même
à demi-mots à l'époque. "Je suis un directeur de
cabinet inattendu. Alors que mes prédécesseurs sortaient du
sérail socialiste, j'avais ma carte de militant, mais je n 'y menais pas
d'activités particulières". Elimane Fall, "Les hommes de
Diouf", Jeune Afrique, n° 1619, 23 janvier 1992.
164 Alioune Drame, "Ousmane Tanor Dieng : "un formidable
challenge"", Le Soleil, 10 novembre 1992. 165 Le Soleil, 13
novembre 1992.
Ces hommes sont reparties dans différentes sections du
directoire, subdivisé en cinq commissions :
- Moyen Technique et Logistique : Aziz Ndaw et André
Sonko
- Organisation et Mobilisation : Abdoulaye Diack et Lamine
Diack
- Emigrés : Mamadou Diop et Landing Sané
- Communication et Thématique : Moustapha Kâ et
Djibo Kâ
- Relations avec les Mouvements de Soutien et de la
Société Civile : Mamba Guirassy et Madia Diop
En plus de ces commissions, le directoire a des antennes dans
tous les départements et toutes
les localités du pays. Le parti quadrille l'ensemble du
territoire. Abdou Diouf peut également s'appuyer sur le Haut
comité de conseillers politiques spéciaux du directoire national
de la
campagne présidentielle, qui compte trois membres
situés en dehors des sphères de décision du PS : Habib
Thiam, Moustapha Cissé et Moustapha Niasse.
Le retour en politique de ce dernier est discret : aucun article
dans Le Soleil ne le mentionne. En dissimulant la nouvelle, le
quotidien, pro-tanor, tente de ne pas éclipser l'ascension du
ministre-directeur de cabinet. En effet, Moustapha Niasse
représente à court-terme une menace pour Ousmane Tanor Dieng.
Contrairement à lui, il est doté d'un solide passé au
PS
et dispose de multiples réseaux politiques et financiers.
Depuis son départ du gouvernement en 1984, Niasse a fait fortune dans le
milieu des affaires et a tissé avec les monarchies du
Moyen-Orient et les pays occidentaux des liens extrêmement
solides.
Le PS associe aussi à la campagne les "sages", remis au
goût du jour depuis 1990. Cette présence est à la fois
symbolique et nécessaire, étant donné que les anciens du
parti ont
toujours une certaine influence dans le pays. On retrouve parmi
"les contrôleurs du parti" Babacar Bâ, Ibra Mamadou Wane, As sane
Seck, Adrien Senghor, Abdou Ndiaye, Abdoul
Aziz Diagne, Papa Amath Dieng, Moustapha Touré, Moustapha
Cissé et Abdoulaye Fofana166.
Tous ces conseillers spéciaux sont placés sous
l'autorité directe d'Ousmane Tanor Dieng. A partir de 1992, ce
dernier prend une grande influence au PS, sur la volonté unique et
pressante d'Abdou Diouf. C'est ainsi que l'ensemble du parti gouvernemental
s'active pour défendre le
bilan du Président sortant et son programme, de
manière à assurer une victoire au premier tour.
La participation de ministres PDS au gouvernement a
indiscutablement affaibli la candidature d'Abdoulaye Wade. Même s'il
affirme n'avoir rien pu entreprendre face aux blocages socialistes, la
population sénégalaise garde l'image d'un homme dansant avec
madame Diouf
ou appuyant les discours du Président de la
République. Cependant, le sopi est toujours attractif pour la
jeunesse.
Assisté d'Ousmane Ngom et Idrissa Seck, Wade traverse le
Sénégal en voiture décapotable, promett ant la
construction d'un Sénégal nouveau, plus démocratique et
moins corrompu. Il
rappelle à chacune de ses rencontres avec la population
qu'il a été le véritable vainqueur en 1988 et que rien ni
personne ne pourra l'empêcher d'accéder en 1993 au palais
présidentiel.
166 "Haut comité des conseillers spéciaux du
PS", Le Soleil, 3 mai 1993.
Pour séduire les foules, il propose un programme
alternatif, que l'on peut résumer avec les points suivants 167 :
- Formation d'un large gouvernement de transition en attendant
les élections législatives de mai 1993
- Promesse d'un large gouvernement d'union nationale
après les législatives, mais sans le PS
- Etablissement d'un régime parlementaire
- Indépendance complète des magistrats
- Maintien des acquis du code électoral de 1992 (carte
d'identité obligatoire, passage obligatoire dans l'isoloir,
majorité électorale à 18 ans, mandat présidentiel
de 7 ans renouvelable qu'une seule fois etc.)
- Création d'un statut pour le chef de l'opposition, qui
deviendrait un interlocuteur reconnu et protégé par la
Constitution (268)
- Création d'un Sénat, "une assemblée de
sages", dont la présidence pourrait être confiée
à... Abdou Diouf
Avec son slogan, "le Sénégal
prospère", Abdoulaye Wade remet en cause la politique
économique menée par Diouf depuis plus de treize années.
Il n'hésite pas à dire "qu 'Abdou Diouf, élève
de Senghor, a dépassé son maître, car la dette sous son
régime a atteint 1 250 milliards FCFA" 168.
Il promet, comme lors de son passage au gouvernement, une rediscussion
des accords financiers conclus avec le FMI et la Banque mondiale pour
alléger le poids des souffrances du peuple, tout en assurant
l'application d'un programme intérimaire pour mettre fin aux
déséquilibres financiers (en particulier en limitant les
importations de riz). Il estime aussi avoir les solutions pour ramener la paix
en Casamance. Il soutient qu'à son arrivée au gouvernement, il a
été sur le point d'arriver à un accord avec les
séparatistes quand Diouf l'a destitué du dossier
169. En cas de victoire, il jure de faire du dossier
casamançais sa priorité.
La Casamance est un thème central dans la campagne
d'Abdoulaye Wade. Dans la brochure présentant le programme du candidat
libéral, on peut lire que "Abdoulaye Wade est à moitié
d'origine casamançaise du fait de son ascendance maternelle mandingue"
et que "le PDS est majoritaire en Casamance pour avoir gagné
aux dernières élections tous les sièges de
députés du département de Bignona, le coeur de la
Casamance, malgré le trucage électoral"170.
Le champion du sopi se donne ainsi les moyens de
rééditer ses bons scores obtenus dans la région lors de la
précédente présidentielle.
Outre la Casamance, Wade insiste dans sa brochure sur ses
relations avec les confréries religieuses sénégalaises,
l'Arabie Saoudite et la France . Ces liens sont bien mis en évidence
à travers un "roman photo" - rassemblant les clichés de toute sa
vie politique - publié à 500 000 exemplaires et distribué
à travers tout le Sénégal 171.
Abdoulaye Wade montre par cette opération publicitaire qu'il
dispose d'assez de moyens pour faire face à la machine électorale
socialiste, ce qui est loin d'être le cas des autres petits candidats.
Si en 1988, le nombre de candidats a été peu
élevé, on recense en 1993 huit candidats. Cette augmentation
s'explique par la rupture du front commun de l'opposition et la
possibilité offerte par le nouveau code électoral d'avoir des
candidats de la société civile. Seule une
167 "Abdoulaye Wade : "quand je serai Président",
Jeune Afrique, n° 1653, 16 septembre 1992.
168 "Remettre les Sénégalais au travail",
Le Soleil, 1er février 1993.
169 Il est vrai qu'entre 1990 et 1993, le PDS jouit d'une
meilleure réputation que le PS auprès du MFDC. Marcel
Bassène (PDS) est d'ailleurs l'un des médiateurs les plus
écoutés et respectés au cours de la période. Les
avancées obtenues par ce proche de Wade ont engendré certaines
jalousies et certains blocages de la part du PS. Il est donc probable qu'un
succès de Wade sur le dossier casamançais aurait
été particulièrement mal vécu dans les rangs
socialistes. Me Wade : "un contrat avec la Casamance"", Le Soleil, 12
février 1993.
170 Lettre du continent, 11 février 1993.
171 "Le roman photo de Wade", Lettre du continent, 11
février 1993.
personne non affiliée à un parti se
présente à cette élection : Mamadou Lô. Les autres
candidats sont à la tête d'une formation politique, que ce soit
Landing Savané (And Jëf), Babacar Niang (PLP), Madior Diouf (RND),
Abdoulaye Bathily (LD/MPT) ou d'Iba der Thiam (CDP /Garab-Gui).
Mis à mal par la bipolarisation effective de la
politique sénégalaise, les petits candidats tentent tant bien que
mal de se faire remarquer pendant la campagne. Ainsi, Iba der Thiam se
coiffe... d'un chapeau de cow-boy 172 et s'engage à donner un
réfrigérateur et des matelas en mousse à tous les paysans
en cas de victoire. Pour se décoller l'image du pro-dioufiste qu'il
était dans les années 1980 173 , l'ancien ministre de l'Education
Nationale insiste en 1993 sur son passé de syndicaliste opprimé
des années Senghor et sur sa foi musulmane. Dans son programme, il
propose que les animateurs de la télévision
sénégalaise traitant de l'islam soient choisis par des marabouts
et que l'Etat aide financièrement toutes personnes désireuses de
faire le pèlerinage à la Mecque. Cette nouvelle politique
religieuse, bien éloignée des principes senghoriens de
laïcité, aurait pour but selon Iba der Thiam de "revaloriser
l'islam et le marabout qui sont bafoués et utilisés à des
fins partisanes ". Avec ce type de discours, l'ancien ministre vise
plusieurs électorats : les paysans, les musulmans et les jeunes, trois
catégories qui ont particulièrement souffert au cours du
deuxième quinquennat dioufiste.
Les autres candidats croient également à leur
chance. Babacar Niang (PLP) se considère comme le "Bill Clinton
sénégalais" 174 . Il pense, à la manière du
candidat démocrate, pouvoir renverser une administration en place depuis
plus d'une décennie. Néanmoins, ses idées sont floues,
voire risibles, comme l'atteste son slogan de campagne : "un
Président qui bosse et des ministres qui bossent".
Landing Savané (And Jëf) et Abdoulaye Bathily
(LD/MPT) ne se sont touj ours remis quant à eux de la "trahison" wadiste
et adoptent sensiblement les mêmes thèmes de campagne. Ils axent
principalement leurs discours sur le manque de couverture médiatique de
l'opposition sénégalaise. Ils critiquent ainsi le texte
législatif de 1992 qui "offre" à tous les partis 5 minutes
à la télévision et 10 minutes à la radio... toutes
les trois semaines 175 . Ils demandent aussi à Abdou Diouf de faire un
bilan précis de son quinquennat. Mais, dans le même temps, les
deux candidats d'extrême gauche sont dans l'incapacité de
présenter une politique alternative claire, d'autant plus qu'ils n'ont
plus de modèle de société à défendre depuis
l'implosion de l'URSS, la LD/MPT ayant par exemple renoncé en 1991 dans
ses statuts... à la dictature du prolétariat.
Enfin, Madior Diouf (RND) et Mamadou Lô n'arrivent pas
à se faire entendre. Madior Diouf - qui a hérité en 1992
d'un parti en ruine, sans base, sans idéologie et sans presse - vit dans
le souvenir du RND "influent" du début des années 1980 tandis que
l'indépendant Mamadou Lô propose "un vrai changement"... sans
véritablement proposer de choses concrètes.
Comme en 1988, Abdou Diouf s'est engagé à ce
que les élections soient équitables et que chaque candidat
dispose d'une assez bonne couverture médiatique. Chaque soir, pendant
trois semaines, entre 19 heures et 21 heures, les candidats
bénéficient de 5 minutes à la télévision,
où sont montrées des images des meetings de la veille ou
des déclarations enregistrées.
Si ils sont presque tous égaux sur la RTS - Diouf a
tout de même un traitement de faveur indéniable - il n'en va pas
de même en ce qui concerne les moyens financiers dont disposent
172 Iba der Thiam se justifie : "je voulais que les
paysans puissent me distinguer facilement des autres candidats". Voir la
photo de l'article "La CDP oeuvre pour le bonheur des
Sénégalais", Le Soleil, 13 janvier 1993.
173 Dans son premier discours de campagne
télévisé, Iba der Thiam reconnaît qu'avoir soutenu
Abdou Diouf de 1983 à 1988 a été "la grosse erreur de sa
vie". Le Soleil, 1er février 1993.
174 "Je serai le Bill Clinton sénégalais",
Le Soleil, 19 janvier 1993.
175 "Le rallye palais Dakar", Jeune Afrique, n°
1675, 17 février 1993.
les candidats.
Pour ce qui est d'Abdou Diouf, le budget de sa campagne est
estimé à 17 milliards de FCFA176. Cet argent sert
à financer la campagne d'affichage, les distributions importantes de
casquettes et T-shirts à l'effigie du candidat socialiste,
l'organisation des meetings, l'utilisation d'essence etc. Si Wade ne
bénéficie pas des mêmes ressources financières, il
concurrence son adversaire sur le "terrain de l'affichage". En effet, Diouf et
Wade ont leur visage placardé partout, avec des affiches de
différents formats et en couleur. Les autres candidats - excepté
Abdoulaye Bathily - emploient des affiches plus modestes, plus petites et
uniquement en noir et blanc 177 . Ainsi, le slogan de Diouf "suuf sunu
kömköm" ("construisons ensemble notre avenir" en wolof) et de
Wade "Sopi avec Ablaye : Sénégal en avant" sont visibles
à peu près partout durant trois semaines, alors que les affiches
des autres candidats apparaissent peu ou pas du tout, surtout en ville
178.
La presse internationale décrit dans son ensemble une
campagne présidentielle sans intérêt et sans passion. "La
vitrine démocratique sénégalaise" ne fait plus
rêver, les louanges d'autrefois ont laissé place à des
critiques acerbes. On raille les propositions d'Iba der Thiam et ses matelas
pour les paysans, on juge Abdoulaye Wade "grillé définitivement"
179 , tandis que Abdou Diouf est critiqué pour son bilan "plutôt
médiocre" et ses promesses électorales jugées fantaisistes
(notamment la promesse de 6 à 10% de croissance annuelle). Le monde
résume le quinquennat dioufiste de la façon suivante :
"le bilan est loin d'être satisfaisant : le conflit
casamançais n 'a pas été résolu, et surtout, le
pays s'est enfoncé dans une crise économique sans
précédent. La sécheresse n'explique pas tout : laxisme,
corruption, inertie de l'Etat" 180.
La presse occulte par conséquent dans le bilan d'Abdou
Diouf l'amélioration du code électoral, le consensus politique
trouvé suite aux troubles de 1988 et 1989 ou encore l'ouverture
manifeste des médias d'Etat à l'opposition. Diouf
n'apparaît plus à l'étranger comme un démocrate
africain exemplaire mais comme un mauvais gestionnaire, à la tête
d'un pays corrompu semblable à ses voisins. Ce pessimisme est
accentué lorsque le Sénégal rencontre des
difficultés pour annoncer les résultats de l'élection
présidentielle.
Tout est pourtant fait le jour de l'élection pour que
les problèmes soient minimes. En dépit de quelques erreurs
d'application, la décision de marquer chaque électeur à
l'encre indélébile évite les votes multiples qui avaient
été constatés en 1988. Les 102 observateurs
étrangers présents jugent le scrutin relativement transparent.
Tout semble ainsi se passer de façon à peu près
correcte.
Toutefois, le nouveau code électoral
génère un imbroglio imprévu. La commission nationale
chargée de publier les résultats provisoires est
composée de magistrats mais aussi de représentants des candidats
en lice. Or, ces derniers sont incapables de se mettre d'accord quant aux
résultats du scrutin. Le plus souvent, Mamadou Diop, représentant
d'Abdou Diouf, s'oppose dans cette commission "au front du refus", mené
par Ousmane Ngom, bras droit
176 Géraldine Faes, "Catalogue de la fraude",
Jeune Afrique, n° 1678, 10 mars 1993.
177 "Campagne de tous les excès", Le Soleil, 12
février 1993.
178 C'est logiquement en ville que la perception des slogans est
la plus importante, puisque c'est en milieu urbain que l'on trouve le plus de
lettrés.
179 "Le rallye palais Dakar", Jeune Afrique, n°
1675, 17 février 1993.
180 Marie-Pierre Subtil "Le premier tour de
l'élection présidentielle M. Abdou Diouf n'est pas assuré
de l'emporter", Le Monde, 20 février 1993.
d'Abdoulaye Wade. On se rend rapidement compte que le code
électoral n'a pas prévu la possibilité de
désaccords dans la commission. Sans consensus, la commission ne peut pas
rendre de résultats provisoires. Par conséquent, le
Sénégal est politiquement bloqué.
Les 8 200 procès verbaux envoyés par les
bureaux de vote sont scrupuleusement analysés et débattus. "Le
front du refus" souligne que dans certains bureaux, les votants sont plus
nombreux que les inscrits 181 . Le PS reproche quant à lui au PDS
l'emploi de multiples ordonnances, qui ont permis à des gens non
inscrits sur les listes électorales de voter.
Cependant, le PS veut mettre rapidement fin à ce
blocage, considérant que la commission n'a pour seul but que de donner
un avis sur les procès verbaux. Au contraire, les opposants
déclarent que la commission doit "entériner, modifier ou annuler"
les résultats avant de les transmettre au Conseil constitutionnel.
Désabusé, Kéba Mbaye, président du Conseil
constitutionnel, démissionne début mars 1993 de ses fonctions
après avoir envoyé ces quelques mots à Abdou Diouf :
"j'ai la conviction que le code à
l'élaboration duquel j'ai participé est un excellent code. On
commence à lui adresser des reproches qu 'il ne mérite pas. En
réalité, les reproches sont ailleurs. Les reproches sont dans son
application. Alors je me sens dans la position de quelqu 'un qui a
cautionné une chose par laquelle le mal est
arrivé" 182.
Cette démission est un terrible coup pour le
régime dioufiste, puisque cette lettre reconnaît implicitement que
les résultats ont été truqués 183.
Néanmoins, elle a le mérite d'accélérer la
procédure. Le 2 mars 1993, le Conseil constitutionnel donne un ultimatum
de 72 heures à la commission pour proclamer les résultats
provisoires. La commission se juge alors incompétente et donne cette
responsabilité... au Conseil constitutionnel. Wade, qui sait
déjà qu'il a gagné à Dakar, Pikine et Thiès,
demande la tenue d'un second tour et le jugement de l'affaire par un tribunal
arbitral, estimant le Conseil constitutionnel partisan 184 . Par mesure de
précaution, Diouf ne fait aucune déclaration durant cette
période et fait déployer à travers Dakar des
blindés, Wade ayant renoncé à son engagement de
modérer ses discours. Le 1er mars à Diourbel, il affirme
notamment : "j'aime la paix mais pas au point de laisser le voleur mettre
la main dans ma poche" 185 .
Cette situation abracadabrantesque trouve finalement son
épilogue le 13 mars 1993 avec la proclamation officielle des
résultats par le Conseil constitutionnel... 20 jours après la
tenue du scrutin. L'annonce d'une nouvelle victoire d'Abdou Diouf au premier
tour engendre quelques violences : des voitures sont brûlées, des
maisons de dirigeants socialistes attaquées, des barricades
dressées dans Dakar. Les actes de vandalisme n'atteignent cependant pas
le degré de violence de 1988.
181 Marie-Pierre Subtil, "Sénégal : le "
modèle " à l'épreuve" , Le Monde, 2 mars 1993.
182 "Démission de Kéba Mbaye", Le
Soleil, 3 mars 1993.
183 "Cette circonstance fut une des rares fois ou j'ai vu
Abdou connaître une défaillance (...) ce coup du sort, ce coup de
Jarnac, était ressenti comme une vraie trahison ". Habib Thiam,
Par devoir et amitié, pp.1 54-155, Paris, Rocher, 2001.
184 "Le Conseil constitutionnel n'est pas crédible
et n'a pas à interpréter l'élection. C'est l'affaire des
populations. Abdou Diouf était candidat. Il n'avait pas à nommer
le président du Conseil constitutionnel qui se trouve être son
homme". "Wade à Diourbel : procès du Conseil
constitutionnel", Le soleil, 2 mars 1993 et "Wade propose un tribunal
arbitral", Le Soleil, 3 mars 1993.
185 "Wade à Diourbel : procès du Conseil
constitutionnel", Le Soleil, 2 mars 1993.
Voici les résultats qui sont publiés par Le
Soleil le 14 mars 1993 :
- Electeurs inscrits : 2 549 699
- Votants : 1 312 154 (5 1,46 % de participation)
- Suffrages exprimés : 1 296 655
- Abdou Diouf (PS) : 757 311 soit 58,40 %
- Abdoulaye Wade (PDS) : 415 295 soit 32,08 %
- Landing Savané (AJ/PADS) : 37 787 soit 2,91 %
- Abdoulaye Bathily (LD/MPT) : 31 279 soit 2,41 %
- Iba Der Thiam (CDP /Garab-Gui) : 20 840 soit 1,61 %
- Madior Diouf (RND) : 12 635 soit 0,97 %
- Mamadou Lô : 11 058 soit 0,85 %
- Babacar Niang (PLP) : 10 450 soit 0,81 %
L'incompréhension dakaroise face à la victoire
au premier tour d'Abdou Diouf est compréhensible puisque dans la
région de la capitale, le Président sortant n'obtient que 41,45%
des voix, contre 5 1,21 % pour Abdoulaye Wade. "Cette alternance" dans la
capitale n'est pas appréciée à sa juste valeur par les
observateurs de l'époque. En effet, ce basculement de Dakar
reflète tout de même que les élections, aussi imparfaites
soient-elles, ont offert la possibilité à un parti d'opposition
de devenir légalement majoritaire dans une zone électorale
comprenant plus d'un tiers de la population totale. Cette victoire de Wade est
ainsi le symbole du déclin socialiste à Dakar mais aussi du
raffermissement de la démocratie sénégalaise.
Le candidat socialiste perd également dans la ville de
Thiès, ce qui laisse à penser qu'à partir de 1993, le
Sénégal est scindé en deux : un Sénégal
urbain, durement touché par la paupérisation, désireux
d'un changement et donc favorable à Wade et un Sénégal
rural, conservateur, "terreaux des réseaux clientélistes
socialistes", qui inquiet d'une possible "révolution wadiste", vote en
masse pour Abdou Diouf 186.
Comme lors des élections précédentes, le
candidat socialiste dispose de deux bastions, Louga et Saint-Louis. Il
recueille dans ces deux régions 79,04 % et 75,90 % des suffrages 187 .
Les autres régions - hormis Dakar - ont voté pour Diouf entre 55
et 63 %. Ce net recul du Président par rapport à 1988 ne
bénéficie par forcément à Abdoulaye Wade. S'il bat
Diouf par plus de 30 000 voix d'écart dans la région dakaroise,
Wade n'obtient la majorité dans aucune autre région, ses
résultats oscillant entre 15 % et 33 %. Le talon d'Achille de Wade est
bel et bien le monde rural, puisque par exemple dans la région
Thiès, en dépit de sa victoire dans la capitale régionale,
Wade est battu par plus de 45 000 voix d'écart par le candidat
socialiste.
Fait surprenant, le candidat libéral ne fait que 29,13
% à Ziguinchor, lui qui avait obtenu 47 % en 1988. Pourtant, la
situation casamançaise s'est empirée depuis cinq ans. En outre,
Abdoulaye Wade a mené comme on l'a vu une campagne de séduction
vis-à-vis de la région. Pour expliquer cet échec
électoral, on pense que dans l'esprit des casamançais, la peur a
supplanté l'espoir d'une alternance politique. En dépit des
nombreux renforts militaires durant la campagne, les actions des
séparatistes ont été nombreuses. Pour le seul jour du
scrutin, elles ont fait 28 morts. Dans ce climat de violence, voter le 21
février 1993 en Basse-Casamance a demandé un courage
extrême. Pour permettre à son candidat d'obtenir un
résultat satisfaisant, le PS a mobilisé son électorat - et
les ressources de l'Etat - et a fait acheminer par transports
186 Géraldine Faes, "Pourquoi les paysans ont
voté Diouf", Jeune Afrique, n° 1681, 31 mars 1993.
187 Abdou Diouf est également plébiscité
par les émigrés sénégalais. Sur 37 760 votants,
Abdou Diouf recueille 27 371 voix (72,48 %), alors qu'Abdoulaye Wade n'obtient
que 8 499 voix (22,50 %). Le Soleil, 26 février 1993.
collectifs les électeurs de Dakar originaires de
Basse-Casamance 188.
Le taux de participation reste cependant bien faible, puisque
sur 122 267 inscrits, seuls 49 502 ont voté, soit un taux de
participation de 40, 5 %. On constate un taux similaire dans l'autre
région casamançaise, Kolda, où le taux de participation
est de 44,7 %.
Les autres candidats ne peuvent qu'être
déçus de leurs résultats, même si le pôle
communiste peut s'orgueillir de représenter environ 5 % de
l'électorat sénégalais. Landing Savané fait
même de très bons résultats dans "sa" région
casamançaise, recueillant 8,15 % des voix à Ziguinchor et 6,22 %
à Kolda, alors que dans les autres régions
sénégalaises, le "troisième homme" ne culmine jamais
au-delà de 4 % 189 . Nonobstant ces pourcentages, les marxistes, qui ont
tenté pendant la campagne d'employer des termes alternatifs au sopi
de Wade - le folly (destitution) pour Savané et le
jallarbi (alternance) pour Bathily - n'ont pas réussi
l'objectif qui étaient le leur : contrarier le leadership
contestataire wadiste.
Quant à Iba der Thiam, il obtient ses meilleurs scores
dans les régions fortement islamisés (Diourbel et Kaolack)
où il se positionne derrière le duo Diouf-Wade. Cependant, ses
résultats sont dans l'ensemble très décevants, comme ceux
de Madior Diouf, bien éloignés des... 2,71% obtenus par la liste
RND aux législatives de 1983. Il se place au coté de Mamadou
Lô, qui malgré ses faibles moyens financiers, s'est formé
un petit électorat en multipliant les rencontres de proximité.
Cette démarche novatrice dans la politique sénégalaise est
saluée par les grandes formations politiques. Enfin, le score
insignifiant de Babacar Niang est à l'image de sa popularité.
Cette humiliation sonne le glas de ses ambitions présidentielles et
marque la fin de sa carrière politique 190.
Abdou Diouf reprend donc la main. En dépit de la
violence casamançaise, de l'imbroglio juridique au sein de la
commission nationale chargée de publier les résultats provisoires
et des réactions post-électorales dakaroises, sa victoire
n'est que très faiblement contestée par l'opposition. Le
Président réélu peut ainsi sereinement prêter
serment le 4 avril 1993 et att endre les élections législatives
de mai pour pouvoir reconduire un large gouvernement d'union nationale.
7. Les élections législatives de 1993
:
Pour éviter la situation bloquée de
février-mars, Abdou Diouf fait subir au code électoral quelques
modifications durant "l'entre deux tours". A présent, la primauté
des magistrats est restaurée au sein de la commission nationale
chargée de publier les résultats provisoires. Elle doit
permettre à la commission de formuler des résultats provisoires
sous cinq jours. Ce changement est adopté par l'Assemblée
nationale le 9 avril 1993, grâce aux 103 députés
socialistes. Le PDS critique le manque de concertation d'Abdou Diouf mais ne va
pas jusqu'à voter contre cette loi. Le parti libéral
décide de s'abstenir.
188 Un de ces cars PS roule sur une mine le 21 février
1993. On dénombre une vingtaine de morts. "Le premier tour de
l'élection présidentielle : Des violences ont fait vingt-huit
morts en Casamance", Le Monde, 23 février 1993.
189 Le "troisième homme" change selon les régions
: Dakar (Savané 2,40 %), Saint-Louis (Savané 2,52 %), Tambacounda
(Savané 4,16 %), Diourbel (Iba der Thiam 2,32 %), Kaolack (Iba der Thiam
2,34 %), Thiès (Savané 2,53 %), Louga (Bathily 1,61 %), Fatick
(Bathily 3,88 %). Le Soleil, 14 mars 1993. 190 "Babacar Niang :
pourquoi je me retire", Le Soleil, 22 juillet 1993.
Pour la première fois détaché de
l'élection présidentielle, le scrutin législatif a bien du
mal à passionner une population déjà relativement
défiante vis-à-vis du monde politique. Si le PDS place ses
têtes d'affiche sur la liste nationale - Abdoulaye Wade, Boubacar Sall,
Ousmane Ngom, Marcel Bassène - le PS préfère comme
à son habitude mettre ses membres influents sur les listes
départementales. On retrouve Abdouahim Agne à Matam, Jacques
Baudin à Diourbel, Cheikh Abdoul Khadre Cissokho à Bakel, Mamadou
Diop à Dakar, Mbaye Jacques Diop à Rufisque, Moustapha Kâ
à Foundiougne, Abdul Aziz Ndaw à Tivaouane, Robert Sagna à
Ziguinchor, André Sonko à Mbour et Daouda Sow à
Linguère 191.
Comme pour la présidentielle, Ousmane Tanor Dieng est
à la tête du directoire. Cependant, il ne se présente ni
sur une liste départementale, ni sur la liste nationale. De ce fait,
même s'il est le chef de file des socialistes - Abdou Diouf n'intervient
pas durant la campagne, ayant décidé d'être
dorénavant un chef d'Etat "au-dessus de la mêlée" - la
tête de liste PS est attribuée au président de
l'Assemblée nationale, Abdoul Aziz Ndaw.
Pour ne pas se confronter à la verve d'Abdoulaye Wade,
le PS mène principalement une campagne de proximité, chaque
candidat allant au contact de son électorat. Les grands rassemblements
sont limités, et quand ils ont lieu, c'est sous la conduite de Tanor
Dieng. Ce fait n'est pas anodin et montre que le ministre - directeur de
cabinet à réussi "son examen de passage" lors de la
présidentielle. Il a montré qu'il savait tenir le parti, le
mettre en ordre de marche et faire gagner Abdou Diouf. Après mars 1993,
on s'aperçoit que la propagande gouvernementale mêle la
discrétion de l'homme à sa volonté de faire triompher le
Président de la République, comme le montre cet extrait du
Soleil daté du 18 mars 1993 :
"en tout cas, ce ne sont pas les atouts qui man quent
chez Ousmane Tanor Dieng, ce travailleur infatigable, qui cultive l'effacement
et l'efficacité comme un jardinier entretient ses roses".
Ousmane Tanor Dieng a néanmoins besoin d'une victoire
nette pour s'affirmer définitivement comme le bras droit "officiel" du
chef de l'Etat. Un raz-de-marée socialiste est cependant peu probable
puisque le code électoral de 1992 doit faciliter l'entrée au
Parlement des partis d'opposition. Dorénavant, les coalitions sont
autorisées et le scrutin proportionnel représente 70% des
sièges attribuées, contre 50 % auparavant.
Les petits partis, échaudés par
l'expérience présidentielle, se coalisent. Autour du
"troisième homme" Landing Savané, Iba der Thiam (CDP/ Garab-Gui),
Madior Diouf (RND) et l'indépendant Mamadou Lô forment la
coalition Jappoo. Ils font durant trois semaines campagne commune. On
remarque que l'autre grand parti marxiste, la LD/MPT, ne participe pas à
la coalition, très certainement pour des divergences de vue mais aussi
pour une question de suprématie avec And Jëf. Abdoulaye Bathily
choisit donc la voie solitaire, tout comme l'UDS/R et le PIT, qui après
avoir soutenu Abdou Diouf, jouent leur carte personnelle.
La LD/MPT et le PIT sont tous les deux
considérés comme des partis "d'enseignants". En effet, Bathily
présente 114 instituteurs, soit plus de 50% de ses candidats, alors que
le Dansokho en soumet 73 192 . On note que ces formations ne présentent
pas de paysans 193. C'est pour rectifier cette "injustice" que le
monde rural décide de former une liste pour les législatives.
Le mouvement national des paysans est crée le 19 mars 1993, se
fixant pour objectif de faire rentrer les paysans à l'Assemblée.
Néanmoins, le ministre de l'Intérieur,
191 Le Soleil, 18 mars 1993.
192 Le Soleil, 31 mars 1993.
193 La LD/MPT propose 17 cultivateurs, 11 commerçants,
6 étudiants, 4 chômeurs, 4 ouvriers, 4 ménagères,
mais aucun paysan. On fait la même remarque pour le PIT. On constate la
présence d'un comédien, d'un entraîneur de football, d'un
chanteur... mais d'aucun paysan. Le Soleil, 31 mars 1993.
tatillon, n'accorde pas le statut de parti à ce
mouvement. Ainsi, dès début avril, le mouvement des paysans
prend fin 194.
Abdoulaye Wade, qui veut avec ces législatives de 1993
obtenir "le pouvoir sans le palais", souffre de l'absence d'Abdou Diouf. La
campagne intéresse peu, voire pas du tout, les thèmes
développés étant similaires à ceux
évoqués quelques semaines auparavant lors des
présidentielles.
Le manque d'engouement pour ces législatives s'explique
aussi par la réputation dont jouissent les députés.
Qualifiés "d'applaudisseurs professionnels" 195 , les contemporains
jugent qu'ils
n'ont aucun pouvoir décisionnel face à
l'exécutif. Les députés socialistes votent les
requêtes présidentielles tandis que l'opposition tente vainement
de s'opposer, sans jamais y parvenir.
En outre, la qualité du débat parlementaire ne
s'est pas améliorer après la mise en place du gouvernement
d'union nationale. Entre 1991 et 1992, la plupart des décisions (lois et
budget
etc.) ont été votées à
l'unanimité, sans débats contradictoires.
Pour redonner un sens à cette élection, Wade
adopte une attitude plus offensive que lors des présidentielles. Fort de
ses victoires à Dakar, Pikine et Thiès, il déclare avoir
la certitude de
gagner 71 sièges au Parlement. Il soutient
également qu'en cas fraude, il n'empêchera plus la population de
se rebeller : "nous n 'accepterons pas un hold-up électoral le 9 mai
comme il l'ont fait le 21 février 1993" 196 . En cas de blocage,
Wade promet aussi la formation d'une
Assemblée et d'un gouvernement parallèle,
considérant le Conseil constitutionnel incapable
de l'aider au vu de la partialité dont il a fait preuve
au cours du mois de mars.
Le PS réagit peu à ces déclarations et
préfère s'attacher à récupérer Dakar. Lors
du meeting
socialiste de clôture, Ousmane Tanor Dieng insiste
fortement sur sa volonté de reprendre la capitale. Finalement, le
scrutin se déroule dans une ambiance assez sereine et les scores des
partis en lice paraissent bien plus rapidement que lors de
l'élection présidentielle. Voici les résultats
publiés par Le Soleil le 16 mai 1993 :
- Electeurs inscrits : 2 613 028
- Votants : 1 070 539 (soit 40,97 % de participation)
- Suffrages exprimés : 1 064 878
- PS : 602.17 1 soit 56,55 % (84 sièges)
- PDS : 321 585 soit 30,20 % (27 sièges)
- Jappoo : 52 189 soit 4,90 % (3 sièges)
- LD/MPT : 43 950 4,13 % (3 sièges)
- PIT : 32 348 soit 3,04 % (2 sièges)
- UDS/R : 12 635 soit 1,19 % (1siège)
On remarque que ces résultats sont similaires à
ceux de mars 1993. Seul le taux de
participation diffère. Il passe de 51 à 40 %, soit
une différence de 241 615 votants. Plusieurs partis connaissent ainsi
d'importantes pertes d'électeurs. Le PS perd 155 140 voix, le PDS 93
710. La coalition Jappoo connaît la même
mésaventure puisque les quatre candidats Jappoo de la
présidentielle, qui constituent un ensemble de 82 320 électeurs,
ne rassemblent pour les
législatives que 52 189 voix. Les seuls
bénéficiaires de ce scrutin sont la LD/MPT, qui obtient
194 "Les paysans définitivement sur la touche",
Le Soleil, 8 avril 1993.
195 Kgagne Demba, "Ah bon c'est parti ?", Le Soleil, 21
avril 1993. 196 "Wade dessine son futur gouvernement", Le Soleil 20
avril 1993.
12 671 voix de plus que son candidat à la
présidentielle, et les partis qui ont soutenu Diouf
précédemment : le PIT et l'UDS/R.
Tout comme son secrétaire général, le PS
fait ses meilleurs scores à Louga (77,50 %) et Saint-Louis (68,43 %) et
perd très largement dans la région de Dakar (36,32 %). Le PDS lui
n'arrive pas à recueillir la majorité absolue dans la
région dakaroise (47,28 %) mais obtient néanmoins des
députés sur les listes départementales en gagnant à
Dakar (47,98 %) et à Pikine (5 1,65 %). Ces deux victoires, l'une dans
la ville même de Dakar, l'autre dans la banlieue désoeuvrée
de la capitale, montrent le soutien dont bénéficie maintenant le
PDS dans le centre économique, politique et social du
Sénégal.
Grâce à une plus grande part de proportionnelle
dans le scrutin, ces élections permettent une "colorisation" de la
chambre parlementaire. Tous les partis en lice acquièrent des
députés et vont pouvoir à présent s'exprimer dans
le cadre solennel du Parlement. Toutefois, aucun parti ne se réjouit
véritablement : le PS, qui a perdu 19 sièges, déclare que
le PDS a triché à Dakar à l'aide d'ordonnances
falsifiées 197 ; la LD/MPT exige une refonte du fichier électoral
; le PDS affirme s'être fait une nouvelle fois voler la victoire.
Le climat post électoral est tendu : des
réseaux de contrefaçon d'ordonnances sont
démantelés, le PDS n'accorde plus aucune confiance au Conseil
constitutionnel et un journaliste de RFI est agressé par des militants
libéraux à sa sortie du domicile d'Abdoulaye Wade. La situation
dégénère complètement le 16 mai 1993, avec
l'assassinat en plein jour à Dakar du vice-président du Conseil
constitutionnel Babacar Sèye. L'ensemble de la classe politique
s'indigne face à cette tuerie dans les colonnes du Soleil 198 .
Seul le PDS ne s'exprime pas, Abdoulaye Wade ayant été
placé en garde à vue 199 . Bien que rapidement
relâché, l'interpellation de Wade ouvre une nouvelle crise au
Sénégal.
197 "Mamadou Diop : des réserves importantes",
Le Soleil, 16 mai 1993.
198 "Réaction de la classe politique", Le
Soleil, 17 mai 1993. 199 Le soleil, 13 et 14 mai 1993.
Chapitre 4 : Un Sénégal
"dévalué" (1993-1998)
1. Une période troublée (1993-1995)
:
1.1. Le nouveau gouvernement à majorité
présidentielle élargie :
Abdou Diouf forme son gouvernement le 2 juin 1993. On note
l'intégration de nouveaux membres de l'opposition, le retour de
Moustapha Niasse aux Affaires Etrangères mais surtout l'absence de
ministres PDS, du fait des accusations pesant sur Abdoulaye Wade dans le cadre
de l'affaire Babacar Sèye.
La LD/MPT, fort de son bon score aux législatives,
accepte contrairement à 1991 la requête présidentielle et
entre au gouvernement. Elle envoie ses deux représentants les plus
charismatiques, Abdoulaye Bathily et Mamadou Ndoye. Ils héritent de
ministères secondaires (Environnement et Alphabétisation et
Promotion des Langues Nationales) tout comme le PDS en son temps. D'autres
partis sont présents dans ce gouvernement, mais contrairement à
la LD/MPT, ils ont milité en février et en mai en faveur d'Abdou
Diouf. Le PIT a droit à deux ministres - Amath Dansokho et Magatte Thiam
- et le PDS-R, absent des scrutins depuis 1988, obtient un ministère par
l'intermédiaire de son secrétaire général, Serigne
Diop.
Ayant reconduit Habib Thiam à la Primature, Abdou
Diouf se sépare de Famara Ibrahima Sagna qui n'a pas
hésité entre 1991 et 1992 à déstabiliser l'ami du
Président en se ralliant parfois ouvertement à Abdoulaye Wade,
notamment au sujet du FPE. L'ancien ministre de l'Economie et des Finances est
muté au Conseil économique et social. Il est remplacé
à son poste par le directeur de la succursale sénégalaise
de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest, Ousmane Sakho. Pour
tenter de restaurer une économie sénégalaise à bout
de souffle, il est secondé par un autre membre de la
société civile, Lamine Loum, qui devient officieusement ministre
du Budget.
Les autres ministères sont attribués à
des caciques du PS. Le message envoyé par l'électorat dakarois
n'est donc pas pris en compte. Quatre ministres d'Etat socialistes sont
nommés. On retrouve : Djibo Kâ et Robert Sagna (Intérieur
et Agriculture), présents au gouvernement depuis plus d'une
décennie ; Moustapha Niasse (Affaires Etrangères),
réapparu dans les circuits socialistes depuis la campagne
présidentielle ; Ousmane Tanor Dieng (Services et Affaires
Présidentielles), nouveau bras droit officiel du chef de l'Etat. Ce
dernier est dorénavant à la fois directeur de cabinet d'Abdou
Diouf et secrétaire général de la présidence. Il
devient par conséquent le seul relais entre le Président et le
gouvernement., concentrant les fonctions administratives et politiques de la
présidence, autrefois séparées.
Le changement promis par Diouf au cours de la campagne n'est
donc pas très visible. Le Président garde les mêmes
recettes qu'autrefois, en renforçant les positions des hommes les plus
influents au sein du PS. Ceci explique la surabondance de ministres - 29
membres : 20 titulaires, 4 ministres d'Etat, 5 ministres
délégués - même si on constate un certain
rajeunissement du gouvernement : la moyenne d'age passe de 52,3 à 48,5
ans 1.
1 "Les hommes du changement", Le Soleil, 3 juin
1993.
Voici ci-dessous le nouveau gouvernement d'Habib Thiam :
- Premier ministre : Habib Thiam
- Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères et
des Sénégalais de l'Extérieur : Moustapha Niasse
- Ministre d'Etat, Ministre de l'Agriculture : Robert Sagna
- Ministre d'Etat, Ministre des Services et des Affaires
Présidentielles : Ousmane Tanor Dieng
- Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur : Djibo
Kâ
- Ministre de la Justice, Garde des Sceaux : Jacques Baudin
- Ministre des Forces Armées : Madieng Khary Dieng
- Ministre de l'Economie, des Finances et du Plan : Pape Ousmane
Sakho
- Ministre de l'Environnement et de la Protection de la Nature :
Abdoulaye Bathily (LD/MPT)
- Ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme : Amath Dansokho
(PIT)
- Ministre de l'Education Nationale : André Sonko
- Ministre de l'Industrie, de l'Energie et des Mines : Alassane
Dialy Ndiaye
- Ministre de la Modernisation et de la Technologie : Magued
Diouf
- Ministre de la Communication : Abdoulaye Elimane Kane
- Ministre de la Culture : Mme Mame Coura Ba Thiam
- Ministre de la Santé et de l'Action Sociale : Assane
Diop
- Ministre de l'Emploi et du Travail : Serigne Diop (PDS-R)
- Ministre du Commerce et de l'Artisanat : Cheikh Amidou Kane
- Ministre de la Femme, de l'Enfant et de la Famille : Mme Nioro
Ndiaye
- Ministre de l'Equipement et des Transports Terrestres :
Landing Sané
- Ministre de la Jeunesse et des Sports : Ousmane Paye
- Ministre de la Pêche et des Transports Maritimes :
Abdourahme Sow
- Ministre du Tourisme et des Transports Aériens : Tijane
Sylla
- Ministre de l'Hydraulique : Mamadou Faye
- Ministre de la ville : El Hadj Daour Cissé
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre chargé de l'Intégration Economique Africaine : Magatte
Thiam (PIT)
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre chargé des Relations avec les Assemblées : Khalifa
Sall
- Ministre délégué auprès du
Ministre d'Etat de l'Intérieur chargé de la
Décentralisation : Souty Touré
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Economie chargé du Budget : Lamine Loum
- Ministre délégué chargé de
l'Alphabétisation et la Promotion des Langues Nationales : Mamadou Ndoye
(LD/MPT)
Sans ministres PDS, l'équipe d'Habib Thiam s'apparente
à un "gouvernement de déception nationale" 2 au moment
même où la pluralité de la chambre parlementaire n'a jamais
été aussi
remarquable. Les députés sont en effet issus de
huit formations politiques différentes. On dénombre 84
députés PS, 27 PDS, 3 LD/MPT, 2 PIT, 1 de l'UDS/R de Puritain
Fall tandis que
la coalition Jappoo fait rentrer au Parlement Landing
Savané (And Jëf), Madior Diouf (RND) et Iba der Thiam
(CDP/Garab-Gui).
L'arrivée de nouveaux partis renouvelle les
travées de la place Soweto. On recense 59 nouveaux
députés, dont 36 sont issus du PS et 9 du PDS (dont les 6
proviennent des listes
départementales de Dakar et Pikine). Comme en 1988, la
profession la mieux représentée est celle des enseignants -
même si on en compte 7 de moins par rapport à la
précédente
législature (17 contre 24) - suivie du métier
d'ingénieur (12 députés) et d'agent de l'administration
(11 parlementaires). On constate touj ours l'absence de paysans dans
l'hémicycle alors que le PS a fait élire... un
chômeur à Fatick : Lamine Diop. Ce député est un
symbole puisqu'en plus d'être sans emploi, il est le plus jeune
élu, étant né le 25 juillet 1963 3.
Il témoigne à lui seul des difficultés
rencontrées par la jeunesse sénégalaise
diplômée pour trouver un travail. On note également que la
représentation des femmes baisse. On n'en
2 Géraldine Faes, "un gouvernement de
déception nationale ", Jeune Afrique, n° 1692, 16 juin
1993.
3 "Les pensionnaires à la loupe", Le soleil, 20
mai 1993.
compte que 14 en 1993, contre 17 auparavant. Ce chiffre
parait néanmoins raisonnable lorsque l'on sait que sur les 1 222
candidats investis pour les législatives, seuls 175 étaient des
femmes.
Le profil type d'un député
sénégalais en 1993 est donc le suivant : c'est un homme
socialiste âgé de 53 ans, enseignant, ingénieur ou agent de
l'administration. Pour mener les débats, les députés
doivent élire un nouveau président de l'Assemblée
nationale, Abdoul Aziz Ndaw ayant quitté "volontairement" ses fonctions
4. Après Habib Thiam en 1984 et Daouda Sow en
1988, il est la troisième tête de liste PS consécutive
à délaisser le Parlement quelques semaines seulement après
avoir "emmené" sa formation à la victoire. Cette tradition
sénégalaise souligne le faible rôle joué par le
"premier des députés" dans la vie du PS et du pays.
Pour succéder à Ndaw, le PS désigne
l'ancien ministre Cheikh Abdoul Khadre Cissokho. Cependant, le PDS propose
Marcel Bassène. La volonté du parti libéral de
présenter un candidat au perchoir irrite le PS, sûr de l'emporter.
L'attitude socialiste montre bien que pour certains dirigeants, il n'est pas
logique que l'opposition puisse concourir à une telle élection.
La chambre parlementaire est ainsi considérée comme un "terrain
de jeu socialiste", où les opposants ne sont invités qu'à
venir regarder, sans participer. Cette vision de la démocratie est de ce
fait bien éloignée de la conception dioufiste.
En dépit de la "polémique", l'élection a
bien lieu. Bassène obtient les votes du PDS et de la coalition
Jappoo, tandis que Cissokho recueille logiquement les voix socialistes
et celles de ses alliés (UDS/R, PIT, LD/MPT). Par conséquent,
Cissokho est élu président de l'Assemblée nationale. Il
devient le troisième personnage de l'Etat 5.
Cette élection ne retient cependant pas l'attention
des médias, trop occupés à traiter l'affaire Babacar
Sèye.
1.2. L'affaire Babacar Sèye :
Après le meurtre de l'ancien maire de Saint-Louis,
Babacar Sèye, Abdoulaye Wade est interpellé le15 mai 1993 avec
Ousmane Ngom et Jean-Paul Dias. Wade paie ses déclarations
controversées de fin de campagne : "je ne donne aucun crédit
aux décisions du Conseil constitutionnel qui se trouve sous l'influence
des hommes d'Abdou Diouf, en particulier de son vice-président, Me
Babacar Sèye, qui a été pendant longtemps un
député socialiste. Ce n 'est pas sérieux." 6
. Pour la justice, c'est ce mépris du Conseil constitutionnel qui
aurait poussé le chef de l'opposition à commanditer le meurtre du
vice-président, qui a milité durant plus de quarante ans au PS.
Les partis d'opposition en négociation avec le PS pour une entrée
au gouvernement, tels que la LD/MPT, ne se prononcent pas sur cette
arrestation. Seul Landing Savané, qui refuse toute négociation
avec le PS, apporte un soutien explicite à Wade. Pour lui, "cette
interpellation prématurée rappelle trop 1988 pour ne pas
apparaître comme suspecte et destinée plus à
discréditer un adversaire politique qu 'à faire la lumière
sur un acte condamné par tous" 7.
4 On ne sait pas si cette décision est prise
volontairement par Ndaw. Néanmoins, Abdou Diouf lui trouve rapidement un
point de chute. Dès le 22 juin 1993, Ndaw est placé par le
Président de la République à la tête du conseil
d'administration de la SENELEC. "Abdoul Aziz Ndaw et Abdourahmane Ndir
installés", Le Soleil, 23 juin 1993.
5 Cheikh Abdoul Khadre Cissokho élu président
l'Assemblée nationale ", Le Soleil, 11 juin 1993.
6 Géraldine Faes, "Sept jours qui
ébranlèrent Dakar", Jeune Afrique, n° 1690, 2 juin
1993.
7 "Après une prolongation de sa garde à vue
Abdoulaye Wade a été remis en liberté", Le Monde, 20
mai 1993.
L'assassinat est rapidement revendiqué par une
organisation inconnue, "l'armée du peuple".
Celle-ci affirme dans un appel téléphonique
à la rédaction du quotidien Sud que "le peuple veut
des changements par la voie démocratique. Malheureusement, toutes les
voies
démocratiques sont bloquées. C'est pourquoi la
violence est de plus en plus utilisée avant de rajouter que
cela serve d'avertissement aux autres magistrats du Conseil constitutionnel
afin
qu'ils respectent la volonté populaire" 8
. Les enquêteurs n'ayant rien trouvé chez
Abdoulaye Wade et au quartier général PDS, le chef de
l'opposition est relâché le 18 mai 1993. Abdoulaye Wade joue alors
l'apaisement. Il affirme trouver normal d'avoir été entendu
dans
cette affaire. Il déclare qu'il s'agit d'une machination
entreprise par certains dirigeants socialistes qui souhaitent ne pas voir la
reconduction du ticket Diouf-Wade à la tête de l'Etat.
Il tend ainsi la main au Président en l'invitant à
le rappeler à ses cotés. Mais la situation s'envenime
après l'interpellation de trois suspects : Amadou Clédor
Sène, Ibrahima Diakhaté
et Assane Diop.
Ces derniers sont connus pour avoir assuré la
sécurité de différents candidats libéraux lors
de
précédentes élections. Ils avouent
rapidement avoir été en relation avec Wade. Amadou Clédor
Sène, déjà auteur de diverses actions subversives en 1988,
reconnaît avoir reçu 500
000 FCFA du leader PDS via Mody Sy, puis 500 000 FCFA
supplémentaire de Viviane Wade, femme d'Abdoulaye . Il se
rétracte cependant rapidement et donne à la police une
seconde version, qui incrimine cette fois-ci... des dirigeants
socialistes. Il soutient alors qu'Habib Thiam l'aurait contacté, par
l'intermédiaire du responsable PS de la région de
Dakar, Amath Diene, pour lui demander d'infiltrer le PDS et
d'organiser l'assassinat. En échange de ce "service", après un
court passage en prison, un exil lui aurait été promis aux
Etats-Unis avec l'assurance de toucher durant cinq années
300 000 dollars annuellement. Pour relayer cette nouvelle version, Sène
envoie une lettre à Abdoulaye Wade :
"Maître, en proie a un énorme remord de
conscience, je me suis résolu à vous dire toute la
vérité sur l'assassinat de Me Babacar Sèye, qui n
'était qu 'un complot ourdi par les sommités du PS pour mettre en
cause votre honorabilité et pour discréditer votre parti, le PDS.
J'ai été depuis longtemps contacté par le PS pour
infiltrer le PDS comme cela se fait dans tous les pays... je devais
également m 'arranger pour être en possession de documents portant
votre nom et faire des aveux vous compromettant" 9.
Ce témoignage, très embarrassant pour le
régime PS, n'est pas "retenu" par la justice. Les
efforts d'investigation se portent sur le PDS, et
particulièrement sur le rôle qu'aurait joué Mody Sy.
Très vite, le PDS dénonce des tortures à son encontre. Le
parti organise une
manifestation de soutien le 27 juillet 1993, à laquelle
participe la LD/MPT, pourtant au gouvernement. Le rassemblement, interdit par
le gouverneur de Dakar, dégénère : on assiste à
une vague de vandalisme dans les rues de la capitale
10. Cette rupture avec le pouvoir s'empire au fil des
semaines, l'affaire Babacar Sèye s'entremêlant avec les
conséquences des actions
menées par l'opposition contre la politique
économique du gouvernement. En outre, Abdoulaye Wade se rapproche durant
cette période de Moustapha Sy, fondateur des
Moustarchidines, dans le viseur du régime depuis une
déclaration pour le moins subversive datée d'août 1993 :
"le Président de la République n 'a plus
d'autorité pour assumer ses fonctions, ses instructions ne sont pas
suivies d'effets, si nous avions voulu tuer quelqu 'un, ce serait le
Président de la République (...) j 'invite le responsable
8 "Après l'interpellation de M. Wade Le Parti
démocratique dénonce une machination ", Le Soleil, 19 mai
1993.
9 Elimane Fall, "L 'Etat, le juge et l'assassin ",
Jeune Afrique, n° 1 700, 11 août 1993.
10 "Lors d'une manifestation interdite, plusieurs
députés d'opposition ont été momentanément
interpellés", Le Monde, 29 juillet 1993.
(Wade) à s 'adresser au peuple pour prendre le
pouvoir car le moment est venu (...) il faut agir" 11.
Au cours d'un meeting en commun avec le PDS le 23
octobre 1993, Moustapha Sy rajoute : "des gens sont venus nous voir, nous
ont dits comment Me Babacar Sèye a été assassiné.
Nous avons des documents en notre possession mais le moment n 'est pas opportun
pour les sortir" 12. L'homme est alors
arrêté pour "refus de dénonciation", tandis que Wade,
déjà inculpé dans l'affaire Sèye depuis octobre, et
une nouvelle fois mis sous les verrous suite à son soutien explicite
à Sy.
Bien qu'arrêté, il n'y a pratiquement aucune
preuve à l'encontre d'Abdoulaye Wade. L'enquête a
été bâclée : pas de rapport balistique, pas de balle
retrouvée, pas de corps autopsié, et surtout... pas de
convocation d'Habib Thiam devant la justice. Nonobstant les présomptions
pesant sur Wade - Clédor Sène se serait rendu le jour du
meurtre... à son domicile 13 - le dossier de l'accusation est
trop mince. Abdoulaye Wade bénéficie d'un non-lieu en mai
1994.
Pourtant acquitté, le chef de l'opposition retourne le
soir même en prison dans le cadre d'une autre affaire 14 .
Amadou Clédor Sène et ses deux complices sont quant à eux
jugé coupables le 7 octobre 1994 et condamnés entre 18 et 20 ans
de travaux forcés. Ce verdict est clément, compte tenu que
l'exécution capitale a été requise 15 . Trop
"heureux" d'échapper à la peine de mort, les accusés ne
font pas appel. Quant à l'objectif du procès, qui était de
découvrir les commanditaires, il n'a pas été atteint.
L'assassinat de Babacar Sèye reste donc un
mystère, même s'il semble évident que le monde politique
sénégalais a joué un rôle dans l'exécution.
Que ce soit le PS ou le PDS, chacun avait un intérêt à
envoyer "un signal fort" à l'autre camp. Le PS pouvait espérer
éliminer politiquement Wade en l'accusant du meurtre d'un haut
fonctionnaire d'Etat. Le PDS voulait peut-être, en tuant Babacar
Sèye, faire payer au Conseil constitutionnel son appui à Abdou
Diouf lors de la proclamation des résultats du 14 mars 1993 et
créer par la même occasion un climat de violence et de terreur,
favorable à une insurrection pouvant renverser le PS.
Les deux partis politiques sortent néanmoins indemnes
de cette affaire, bien que le meurtre de Babacar Sèye soit source
à polémiques bien après que le jugement ait
été rendu 16 . Outre cette affaire, Me Wade
connaît d'autres ennuis judiciaires pendant la période 1993-1995.
Ils sont liés à la terrible crise économique qui touche le
Sénégal. Elle connaît son apogée après la
dévaluation de 50 % du Franc CFA en janvier 1994.
1.3. Le Sénégal face à la
dévaluation :
Bon nombre d'observateurs estiment en 1993 que les programmes
d'ajustement sénégalais ont connu plus d'échecs que de
réussites. Ils ne se sont pas assez attachés aux
considérations
11 'Moustapha Sy jugé par défaut", Le
Soleil, 16 janvier 1994.
12 "Audience reporté au 14 janvier", Le Soleil,
7 janvier 1994.
13 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.1 68,
Paris, Rocher, 2001.
14 Voir chapitre suivant.
15 Le non-recours à la peine de mort est une
"tradition sénégalaise". La dernière exécution
capitale remonte au 15 juin 1967. L'exécuté, Moustapha Lô,
avait tenté de tuer à l'époque le Président
Léopold Sédar Senghor. Elimane Fall, "La démocratie
à l'épreuve", Jeune Afrique, n° 1760, 5 octobre
1994.
16 Abdoulaye Wade surprend bon nombre d'observateurs lorsqu'en
2002... il amnistie les trois assassins de Babacar Sèye. Cette
décision réanime le débat sur le commanditaire du meurtre
du vice-président et le rôle supposé joué par
Abdoulaye Wade ou Habib Thiam. Voir Abdou Latif Coulibaly, "Affaire Me
Sèye, un meurtre sur commande", Paris, L'Harmattan, 2005, 211 pages
et le "livre-réponse" du camp wadiste de Madické Niang,
"Affaire Me Sèye : le piège de l'acharnement", Le
Cherche-Midi, 2006, 224 pages.
physiques, historiques et sociologiques du pays. En fixant
des mesures excessives et des conditionnalités trop fortes, les
programmes se sont heurtés à la "faisabilité politique"
17 . De surcroît, l'économie sénégalaise
ne s'est pas réformée comme l'avait réclamé les
institutions financières internationales. En 1993, les monopoles
persistent ; la corruption est omniprésente; les importations sont trop
nombreuses, provoquant d'énormes déficits budgétaires (40
millions FF par mois au cours de l'année 1993).
L'économie du Sénégal est à bout
de souffle, tout comme celle de ses homologues africains, dont la Cote
d'Ivoire, qui n'a pas pu se redresser depuis 1992. De plus, la France vient de
changer de majorité. Alors que sous le gouvernement socialiste de
Bérégovoy, le Sénégal s'est vu octroyé un
chèque de 1,5 milliards FF 18 , Edouard Balladur, nouveau Premier
ministre, promouvoit l'austérité et refuse à
présent de payer les fins de mois du "pré-carré" africain.
Il promet de nouvelles aides... qu'en cas d'une reprise de dialogue avec le FMI
et de la Banque mondiale. Or, les deux institutions exigent une
dévaluation avant une reprise formelle des contacts et des aides,
stoppés depuis plus d'un an. Abdou Diouf, touj ours sur la même
ligne de conduite depuis 1992, refuse une quelconque dévaluation, en
dépit d'une visite du Premier ministre ivoirien en octobre 1993. A cette
occasion, Alassane Ouattara encourage son voisin à se laisser convaincre
pour le bien de l'avenir de la zone CFA 19.
Le Président sénégalais lance comme
alternative à la dévaluation un plan d'urgence économique,
confectionné par le duo Sakho-Loum. L'urgence est effectivement
très grande, puisque depuis juin 1993, les fonctionnaires - au nombre de
66 000 - ne sont plus payés par l'Etat. La "loi des finances
rectificatrices" est votée le 24 août 1993. Elle doit
permettre l'économie de 120 millions FF jusqu'à la fin 1993. Les
principales mesures consistent à réduire de 15 % les salaires des
fonctionnaires (les bailleurs de fonds exigent... 35 %) ; à
prélever dans le secteur privé une journée de salaire
mensuellement ; à généraliser la TVA ; à
ponctionner de 10 % les bénéfices des entreprises ; à
supprimer les exonérations douanières ; à effectuer une
hausse sur le carburant ; à créer une taxe sur l'importation.
Pour donner l'exemple, Abdou Diouf divise le salaire
présidentiel de moitié et baisse celui des ministres de 20 %. Le
principal objectif de ces mesures est de réduire la masse salariale de
la fonction publique - qui représente... 66 % du budget de l'Etat - en
la faisant passer de 135 à 90 milliards FCFA. Ce plan d'urgence touche
néanmoins toutes les couches sociales du Sénégal, du
Président aux petits paysans 20.
Ces mesures n'ont pas pour but de relancer la croissance et
le développement mais simplement d'assainir... temporairement les
finances de l'Etat. D'une certaine manière, Abdou Diouf ne fait que
retarder une échéance certaine. La population et les syndicats,
ne mesurant certainement pas la gravité de la crise, s'insurgent devant
de telles décisions. Nonobstant la menace gouvernementale d'une perte de
13 000 emplois en cas d'échec du plan, les syndicats prennent la
tête de la contestation. Ils se substituent ainsi au PDS, alors en pleine
affaire Babacar Sèye.
Le 2 septembre 1993, quatre syndicats - le CNTS, l'Union
Nationale des Syndicats Autonomes du Sénégal, la
Confédération des Syndicats Autonomes et le Syndicat de
l'Information et de la Communication du Sénégal - lancent une
grève largement suivie par la
17 "Paris dresse un bilan critique de dix ans de politique
d'ajustement au sud Sahara", Le Monde, 15 janvier 1994.
18 Elimane Fall, "Les rumeurs de Dakar", Jeune Afrique,
n° 1696, 14 juillet 1993.
19 "Le Premier ministre de Cote d'Ivoire reçu par
Abdou Diouf : Il faut faire des sacrifices face à nos situations
économiques", Le Soleil, 26 octobre 1993.
20 Bernard Degioanni, "Les fonctionnaires au pain sec ",
Le Monde, 31 août 1993.
population sénégalaise. Ce jour-là,
magasins, stations services, banques... tout est fermé 21 .
Un slogan né de cette journée : "touche pas à mon
salaire". Devant l'ampleur de la fronde, le gouvernement entame des
négociations. Elles sont menées par Ousmane Tanor Dieng . On
assiste alors à un dialogue de sourd. Les syndicalistes,
persuadés qu'une dévaluation du Franc CFA est impossible 22
, fixent de multiples conditions. Ils déclarent pouvoir accepter
une baisse des salaires... qu'en cas d'une baisse substantielle des prix des
produits de première nécessité. Le PS, qui ne veut pas
remettre en cause les effets du plan, ne s'engage qu'à réduire
certaines dépenses de l'Etat (diminution du nombre de ministres,
suppression d'aides accordées aux ministres et parlementaires etc).
Faute d'accord, les négociations sont rompues, ce qui fait dire à
la fin du mois d'octobre 1993 à Ousmane Tanor Dieng : "une fois
épuisée la voie de la négociation, il ne reste que
l'affrontement" 23.
Les syndicats tentent alors, avec l'aide cette fois-ci des
partis d'opposition, de remobiliser la population. Mais les rivalités
syndicales ne permettent pas de recréer l'engouement populaire du 2
septembre 1993. Le plan d'urgence est maintenu mais il devient vite caduc
à la suite de la décision prise par Paris et les institutions
financières internationales de dévaluer. Prévue le 7
décembre 1993, la dévaluation est repoussée une
première fois après la mort de Félix Houphouët
Boigny... le 7 décembre 1993. En dépit des protestations du
Soleil 24 , qui traduisent les réticences
dioufistes, elle intervient finalement le 12 janvier 1994. Le Franc CFA perd
alors 50% de sa valeur.
Les objectifs de cette dévaluation sont multiples :
permettre aux produits de la zone de mieux s'exporter ; doubler les aides des
bailleurs de fonds ; rendre les pays attractifs sur le marché
touristique etc. Les rentrées de liquidités doivent relancer les
économies et favoriser un retour aux équilibres
budgétaires. Pour se faire, la dévaluation nécessite
d'être accompagnée de profondes réformes, d'une
libéralisation économique et d'une réorientation des choix
budgétaires, en privilégiant la santé et
l'éducation.
Si ces ambitions sont louables, les premières
conséquences de la dévaluation ne sont pas positives au
Sénégal. On assiste à des ruées vers les magasins,
à la constitution de stocks alimentaires et à la "valse des
étiquettes". Les prix augmentent en quelques jours de 20 %. Pour contrer
ces hausses "sauvages", l'Etat limite officiellement l'inflation entre 22 et 33
% 25. Le panier de la ménagère
sénégalaise augmente de ce fait de 30 %, et si elle vit à
l'occidental de... 70 %.
Le milieu urbain est le plus gravement touché par la
dévaluation, puisqu'il ne "bénéficie" que des hausses
spectaculaires des prix, même si l'Etat accorde
"généreusement" une augmentation de 15 000 FCFA à tous ses
fonctionnaires, contre l'avis des bailleurs de fonds. Le milieu rural profite
quant à lui d'une demande accrue et de la décision de l'Etat de
compenser les méfaits de la dévaluation par un relèvement
spectaculaire des prix aux producteurs agricoles (43% pour l'arachide, 30 %
pour le coton et 6 % pour le riz). En plus de privilégier un
électorat qui lui est naturellement favorable, le PS mise sur une
augmentation conséquente des exportations agricoles pour apporter des
liquidités au pays, l'Etat tablant sur une augmentation de 40 % de ses
exportations. Dans une même logique, le gouvernement
21 Géraldine Faes, "Rentrée chaude ",
Jeune Afrique, n° 1 705, 15 septembre 1993.
22 Madia Diop (CNTS) affirme au sujet d'une possible
dévaluation : "il est vrai qu'on ne le prend pas au sérieux
(...) mais c 'est la pire des choses qui puissent arriver aux travailleurs,
à la population". "Madia Diop : Il y a l'espoir d'une reprise des
négociations", Le Soleil, 30 septembre 1993.
23 Géraldine Faes, "Ousmane Tanor Dieng : Thiam
restera ", Jeune Afrique, n° 1711, 27 octobre 1993.
24 Voir l'éditorial du Soleil du 10 janvier 1994
: "Urgences signalées" et l'article d'Amadou Fall "La
dévaluation: la solution du pire ".
25 "On est tous dévalués", Le Monde, 5
février 1994.
mise sur des prix attractifs pour relancer le tourisme au
Sénégal, malgré les problèmes persistants en
Casamance.
Les contemporains s'inquiètent néanmoins des
risques d'une crise sociale et politique à Dakar. Dans un rapport, le
GATT écrit qu'ils "subsistent des doutes quant à la
possibilité de déclencher (par la dévaluation) une
expansion réelle et rapide, au lieu de déchaîner seulement
l'inflation et l'agitation sociale car il n'y a pas, ou guère, de
branches de production qui paraissent prêtes à décoller"
26.
Pour faciliter les réorientations économiques,
le Parlement confie pour une période de 6 mois les pleins pouvoirs
économiques à Abdou Diouf le 20 janvier 1994. Le Président
de la République peut de ce fait légiférer par
décrets, sans passer par l'Assemblée nationale. Cette loi offre
donc la possibilité au PS de réduire la contestation
légale de l'opposition, puisque les débats parlementaires sont
interrompus. La contestation politique descend ainsi dans la rue, alors
qu'Abdou Diouf se mure dans le silence pesant. Malgré la crise
historique que traverse le pays, le chef de l'Etat ne s'adresse pas à la
nation au cours du mois de janvier 1994.
Depuis l'affaire Babacar Sèye, l'opposition s'est
unie. Le PDS, And Jëf, le MSU, le RND et les Moustarchidines se sont
rassemblés au sein de la Coordination des Forces Démocratiques
(CFD). Ils organisent la riposte face au "chèque en blanc, valable
six mois et renouvelable pour conduire dans l'improvisation totale la politique
budgétaire et monétaire du gouvernement" 27 .
Si les partis marxistes reprochent au gouvernement le principe
même de la dévaluation, le PDS critique non pas la décision
des institutions financières internationales mais l'impréparation
du gouvernement face à une telle mesure. En outre, le PDS et les
Moustarchidines militent ensembles pour la libération de Moustapha Sy,
emprisonné depuis octobre 1993 et condamné en janvier 1994
à un an de prison.
La CFD organise ainsi un grand rassemblement contre la
dévaluation et pour la libération du fondateur des
Moustarchidines le 16 février 1994 à Dakar. Ce jour-là,
les partis politiques, dont Abdoulaye Wade, sont vite débordés
par la jeunesse moustarchidines venue assister au débat. Des slogans
islamistes sont prononcés, ainsi que des appels au meurtre. Le public
n'attend pas la fin de la conférence pour marcher dans le centre-ville
de Dakar. Préalablement armé, il se déchaîne alors
sur une police qui a reçu l'ordre d'Abdou Diouf de ne pas tirer 28
. Le bilan est excessivement lourd : six policiers sont massacrés
à coups de machettes, deux autres personnes trouvent également la
mort. Les forces de l'ordre sont débordées, les manifestants
marchent vers le palais, certains atteignant même les grillages de
celui-ci. Une grande confusion règne à Dakar.
"Les factieux purent avancer jusqu 'à une centaine
de mètres du palais de la République et du building où se
trouvent plusieurs ministères (...) mes bureaux furent à un
moment donné envahis par la fumée et l'odeur âcre
des pneus brûlés et des grenades
lacrymogènes" 29.
Le lendemain, Djibo Kâ annonce la dissolution des
Moustarchidines. Cette association religieuse, établie dans toutes les
villes sénégalaises, dans tous les quartiers
défavorisés, les universités, les écoles etc...
cible prioritairement les jeunes. Elle organise des conférences et des
séminaires, le plus souvent en arabe ou wolof. Fondée en 1979,
dirigée par Moustapha Sy, petit-fils du Khalife général
des Tidjanes, elle a entretenu autrefois des liens très étroits
avec
26 "Pessimisme du GATT", Lettre du continent, 3
février 1994.
27 "La Coordination des forces démocratiques face
à la presse : organiser la riposte", Le Soleil, 23 janvier 1994.
28 "Le Président Abdou Diouf, malgré la
gravité de la situation (...) avait donné des instructions pour
qu'on ne tirât point". Habib Thiam, Par devoir et amitié,
pp.1 76, Paris, Rocher, 2001.
29 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.1 75,
Paris, Rocher, 2001
le pouvoir socialiste, l'Etat étant allé
jusqu'à... mettre à sa disposition des salles de classe
30. Les Moustarchidines sont donc un groupe influent, rapporteur de
voix et de popularité.
C'est ce qui explique le soutien sans faille que leur accorde
le CFD après les évènements sanglants du 16 février
1994. Dans un communiqué, le front de l'opposition dénonce... les
violences policières et "soutient la décision prise par les
masses d'organiser sur place une marche de protestation contre les violations
inqualifiables et injustifiées des libertés les plus
élémentaires" 31 . Cette
déclaration est interprétée comme une provocation par le
pouvoir. Le 18 février 1994, Abdoulaye Wade, Landing Savané et
d'autres sont arrêtés pour "atteinte à la
sûreté de l'Etat" et placés directement à la
prison de Rebeuss, le flagrant délit étant invoqué pour
faire lever l'immunité parlementaire des députés. Ils sont
au total 193 à être incarcérés.
La CFD, emmenée par ceux qui n'ont pas
été arrêtés, tels que Madior Diouf (RND), milite
pour une libéralisation rapide des opposants. Cependant, les
médias d'Etat se ferment et toutes les tentatives d'organisation de
manifestations échouent, devant le refus catégorique des
différents gouverneurs. Madior Diouf mène donc une campagne de
"renseignement" à travers le pays pour expliquer la situation de Wade.
Il désire "lutter contre l'intoxication du pouvoir". En ce qui
concerne la LD/MPT et le PIT, les deux formations marxistes du gouvernement,
anciens alliés du PDS, ne se prononcent que très
modérément sur la question de l'emprisonnement d'Abdoulaye Wade.
Abdoulaye Bathily se rapproche néanmoins plus de la position socialiste,
puisqu'il condamne avant tout les violences et non pas l'arrestation de chef de
l'opposition 32.
Abdou Diouf maintient quant à lui son silence. En ne
jugeant pas utile de se prononcer sur le sujet, le Président adopte une
attitude technocratique et non politicienne. Les différentes crises qui
touchent le Sénégal entre 1993 et 1994 montrent les limites
politiques d'un Président en place depuis treize ans. Ses principes de
réserve et de modération ne séduisent plus. Ses atouts
d'autrefois sont devenus des lacunes aux yeux des contemporains. Jeune
Afrique écrit dans son numéro du 2 mars 1994 que le chef
d'Etat sénégalais "veut avoir tellement les mains propres
qu'il donne l'impression de ne plus avoir de mains" 33.
Quand le Président s'exprime enfin, il le fait dans le
cadre officiel de l'allocution présidentielle du 4 avril, jour de la
fête nationale. A cette occasion, il reconnaît que les "choses
ont beaucoup changé" depuis le 31 décembre 1993, date de son
dernier discours au peuple sénégalais. Après avoir
évoqué les difficultés mais aussi les chances
qu'entraînent la dévaluation du Franc CFA, le Président se
prononce sur l'incarcération d'Abdoulaye Wade. Comme il l'a fait en
1988, il prend un ton légaliste en évoquant la sacro-sainte
séparation des pouvoirs pour justifier son incapacité à
faire accélérer les procédures et libérer son
principal opposant.
"Les magistrats savent ce qu'ils font (...) je me
garderai bien d'essayer de me substituer à eux, en violation flagrante
de la séparation des pouvoirs édictés par notre
Constitution" 34.
Suite à cette allocution
télévisée, Abdou Diouf effectue un déplacement
périlleux... à Paris. La presse et les politiques de l'ancienne
métropole sont effectivement perplexes quant à la situation
sénégalaise 35. Le PS français exige
par exemple une libération immédiate de Wade.
30 Géraldine Faes, "SOS détresse" , Jeune
Afrique, n° 1729, 2 mars 1994.
31 "Communique de la CFD", Le Soleil, 18 février
1994.
32 "Abdoulaye Bathily : la violence ne paie pas", Le
Soleil, 4 avril 1994.
33 "Les lourds silences d'Abdou Diouf", Jeune Afrique,
n° 1729, 2 mars 1994.
34 "Impératif de dépassement", Le Soleil,
5 avril 1994.
35 "Abdou Diouf est venu à Paris sans avoir
libéré les principaux dirigeants de l'opposition", Le Monde,
9 avril 1994.
La pression est forte. Abdou Diouf, venu en France pour
obtenir des aides financières, ne peut occulter les reproches de ses
"amis".
Il rencontre tous les hommes politiques français
influents - François Mitterrand, Jacques Chirac, Edouard Balladur,
Michel Rocard etc. - et tient durant tout son séjour un discours
similaire à celui du 4 avril. La France, engluée dans le conflit
rwandais, se satisfait de ces explications sans chercher à en savoir
plus, comme le montre cette déclaration de Michel Rocard, premier
secrétaire PS en 1994 : "nous ne savions pas que l'arrestation des
parlementaires était faite sur l'accusation de justice et du flagrant
délit. Nous ne le savions pas. Donc le jugement change un peu"
36. Le gouvernement Balladur recommande toutefois,
par la voix de son ministre des Affaires Etrangères Alain Juppé,
à la justice sénégalaise de se prononcer très
rapidement. La situation n'évolue pourtant pas d'avril à juin
1994. Wade, Savané et ses compagnons de cellules restent à
Rebeuss, sans qu'aucun geste ne soit effectué de la part du
Président de la République.
Durant leur incarcération, les opposants ne signalent
aucune maltraitance et reçoivent à leur guise des journalistes
37. Néanmoins, ils ne sont pas interrogés
par le juge d'instruction et leur détention s'éternise. Pour
accélérer la procédure, les détenus politiques
entament tous une grève de la faim. L'Etat, qui ne souhaite pas subir
les conséquences médiatiques d'un quelconque drame, lâche
du lest. Mody Sy, Abdoulaye Wade, Landing Savané et consorts sont
rapidement libérés au cours des premiers jours de juillet 1994.
Wade et Savané, qui ont séjourné pendant quatre mois et
demi dans la même cellule, ont tissé des liens qu'ils comptent
bien mettre à profit dans leur lutte contre le régime socialiste
: ils envisagent de créer un grand parti d'opposition, qui rassemblerait
le PDS, And Jëf, le RND et le MSU 38.
De février à juillet 1994, la vie politique
sénégalaise a été bloquée. Les interdictions
de manifestations, une certaine censure dans la presse gouvernementale, un
Président de la République en retrait etc... rien n'a
été fait pour éviter la crise. L'opposition ayant
été incapable de "profiter" de l'absence wadiste, le PDS
apparaît en juillet 1994 renforcé. En effet, Abdoulaye Wade s'est
trouvé à Rebeuss un nouvel allié fidèle, en la
personne de Landing Savané. Pourtant, le chantre du sopi
oscille entre la volonté de s'opposer à Abdou Diouf, qui n'a
pas agit pour le sortir de sa cellule, et le désir de renouveler
l'expérience plutôt positive de gouvernement à
majorité présidentielle élargie. L'ambivalence de Wade est
manifeste pendant les premiers mois qui suivent sa libération, puisque
tout en fondant une nouvelle coalition politique avec And Jëf, il
prône pour sortir de la crise un retour au gouvernement.
2. Le retour du PDS au gouvernement :
A sa sortie de prison, Abdoulaye Wade consolide ses nouveaux
liens avec Landing Savané. Les deux hommes fondent dès septembre
1994 une nouvelle alliance : "Bokk sopi Senegaal". Bien qu'ils s'en
défendent, cette union met fin à l'alliance
précédente avec le RND. Contrairement à la CFD, Bokk
sopi dispose d'une véritable structure. Les rôles sont
clairement définis. Abdoulaye Wade est le président et Landing
Savané le seconde. Ils se fixent des ambitions sur la longue
durée, l'organisation ne prévoyant pas d'être
renouvelée avant trois ans. En travaillant sur le long terme, ils
envisagent ensemble la conquête du pouvoir, avec à terme
l'instauration d'un régime parlementaire et la redéfinition des
rapports entre le Sénégal et les bailleurs de fonds.
36 "Michel Rocard : notre jugement a changé ",
Le Soleil, 10 avril 1994
37 Elimane Fall, "Par tous les moyens légaux",
Jeune Afrique, n° 1 740 18 mai 1994.
38 Géraldine Faes, "J'étais prêt
à signer mon testament", Jeune Afrique, n° 1740, 27 juillet
1994.
La rupture avec le RND parait incohérente,
étant donné que Madior Diop a manifesté pendant
l'incarcération de Wade un soutien sans faille. En outre, le CFD offrait
un cadre d'opposition unitaire et utile à quelques mois d'importantes
élections municipales. La création du Bokk sopi revient
donc à détruire le travail entrepris par le RND, et par
conséquent à rendre brouillonne la stratégie de
l'opposition. En effet, les fondateurs du Bokk sopi sont dès la
création de leur mouvement accusés de "haute trahison" par les
exclus de cette nouvelle alliance. Au cours d'un débat à trois en
septembre 1994, qui rassemble Iba der Thiam (CDP/Garab Gui), Ousmane Ngom (PDS)
et Bara Diouf (PS), le principal visé par les attaques du CDP/Garab-Gui
n'est pas le dirigeant socialiste, mais bel et bien le numéro deux du
PDS 39. L'opposition est au prise à une
véritable guerre interne.
Abdoulaye Wade a donc sacrifié la bonne entente au
sein de l'opposition au profit d'And Jëf, un parti qui s'est
crédibilisé depuis le début des années 1990 en
refusant toutes négociations avec les socialistes. Landing Savané
confirme cette position en réaffirmant à de multiples reprises
à la fin de l'année 1994 son refus d'entrer dans un gouvernement
PS. Pourtant, le PDS laisse entendre qu'il privilégie de son coté
"l'entrisme", c'est à dire la participation gouvernementale. Abdoulaye
Wade se pose en sauveur, "en homme qui ne doit pas laisser chavirer le
navire". Il affirme notamment avoir la possibilité d'amener de
l'argent au gouvernement grâce à ses multiples relations
40.
Contrairement à 1991, Wade fixe des conditions pour
revenir aux cotés d'Abdou Diouf. Il réclame un gouvernement
composé à 50% de non socialistes et la mise en place d'une
concertation nationale sur tous les grands problèmes du pays. On pense
que cette rigidité wadiste n'a pour seul but que de convaincre
Savané de rejoindre à terme l'équipe gouvernementale.
Quant au chef de l'Etat, il appelle implicitement les deux
hommes à le rejoindre au cours de son allocution de fin d'année
1994 :
"j'ai été démocratiquement
élu Président de la République (...) mais ce n 'est pas
une raison pour gouverner seul (...) soyons cependant clair (...) j'entends
rester le maître du jeu" 41.
Cette politique de la main tendue est appréciée
par le PDS. Le 4 janvier 1995, Abdoulaye Wade rencontre officiellement le chef
de l'Etat, ceci pour la première fois depuis son départ du
gouvernement le 19 octobre 1992. Abdou Diouf accepte durant cet entretien
qu'Abdoulaye Wade se charge de préparer une future concertation
nationale et consulte divers acteurs politiques, économiques et sociaux.
Dans un esprit d'ouverture, le Président reçoit également
au palais tous les autres chefs de parti, dont Landing Savané, qui
réitère à cette occasion son refus de rentrer au
gouvernement 42. L'opération séduction
menée conjointement par le PS et le PDS à l'égard d'And
Jëf échoue donc.
Dans un premier temps, la mise en place de la concertation
nationale continue. En dépit de l'absence du PS, qui refuse toute
idée de table ronde, Abdoulaye Wade rassemble autour de son projet 44
acteurs de la vie économique et politique du Sénégal. Ils
sont invités à définir les qualités et les
faiblesses du régime.
Toutefois, alors que And Jëf conseille à son
allié d'attendre les conclusions de la concertation avant tout
"entrisme", le PDS préfère accéder le plus tôt
possible au gouvernement. La
39 "Débat à la télévision : le
public voulait autre chose", Le Soleil, 27 septembre 1994
40 "Abdoulaye Wade : personne n'a le droit de laisser
chavirer le navire", Le Soleil, 2 décembre 1994.
41 "La flamme de l'espérance", Le Soleil, 2
janvier 1995.
42 "Landing confirme son refus", Le Soleil, 20 janvier
1995.
concertation nationale n'est donc plus la priorité de
Wade. Il s'agit maintenant pour lui de négocier au mieux son
entrée, et celle de ses ministres, de manière à obtenir
certains moyens que le PDS n'a pas eu en 1991.
Abdoulaye Wade ménage cependant le Président en
ne formulant non pas des conditions d'entrée mais des recommandations,
que l'on peut résumer en quatre points 43 :
- Le nouveau gouvernement doit être marqué par
"un changement dans les hommes et méthodes"
- Le gouvernement ne doit pas dépasser 20 ministres
- Les postes attribuées aux différents partis
doivent "refléter leur importance relative"
- Les postes attribués au PDS doivent permettre "une
contribution réelle du parti"
Ces recommandations acceptées, le PDS revient au
gouvernement le 15 mars 1995. Cinq ministres libéraux rejoignent
l'équipe ministérielle. Comme en 1991, leurs fonctions sont
secondaires ou mal définies. Par conséquent, contrairement
à la "recommandation" du parti libéral, "les postes
attribués au PDS ne permettent pas une contribution réelle du
parti ".
Abdoulaye Wade retrouve son ministère d'Etat... sans
portefeuille ; Ousmane Ngom est nommé à la Santé et
à l'Action Sociale ; le numéro trois du PDS, le jeune Idrissa
Seck, est placé au Commerce, à l'Artisanat et à
l'Industrialisation ; la présidente des femmes libérales, Aminata
Tall, se voit confier l'Enseignement Technique et la Formation Professionnelle
; enfin, Massokhana Kane est mis à l'Intégration Economique
Africaine 44.
Bien que plus de la moitié des ministres soient du PS,
contrairement aux exigences wadistes de septembre 1994, on note la
présence de six ministres et quatre ministres
délégués non socialistes (5 PDS, 2 LD/MPT, 2 PIT, 1
PDS-R). Ceci indique une évolution de la conception politique au
Sénégal, puisque même si le PS conserve une "toute
puissance" de fait, le parti ayant entre ses mains tous les leviers du pouvoir,
l'opposition est à présent associée aux grandes
orientations politiques du pays.
L'entrée du PDS au gouvernement est une
nécessité pour Abdou Diouf. Si Jeune Afrique soutient
dans son édition du 18 janvier 1995 que le chef de l'Etat
sénégalais a toutes les cartes en main pour négocier avec
les libéraux, on peut légitimement... penser le contraire
45. En effet, il faut tout d'abord avoir à
l'esprit que le PDS est majoritaire dans la capitale sénégalaise.
Dans une région concentrant un tiers de la population, le
Président de la République ne peut pas se passer d'un homme aussi
populaire que Abdoulaye Wade, sous peine d'aggraver la tension sociale. En
outre, la post-dévaluation se passe relativement mal au
Sénégal. Au contraire de ses voisins, l'économie
sénégalaise ne repart pas, les réformes et la
libéralisation tardant à venir. L'arrivée des
libéraux doit ainsi permettre aux socialistes de faire passer des
mesures difficiles auprès d'une population urbaine de plus en plus
défiante vis-à-vis d'un parti au pouvoir depuis quarante ans,
jugé unique responsable de la paupérisation du pays. Enfin, Abdou
Diouf a besoin d'Abdoulaye Wade à ses cotés car il ne peut plus
totalement se reposer sur son parti pour gouverner le pays, le PS étant
déchiré depuis 1993 entre les pro et les anti-Ousmane Tanor
Dieng.
Ce conflit a des répercussions sur la composition du
nouveau gouvernement. Djibo Kâ, fidèle parmi les fidèles
d'Abdou Diouf, qui a oeuvré pour son accession au pouvoir,
présent sans discontinuité au gouvernement depuis 1978, n'est pas
reconduit dans ses fonctions de ministre de l'Intérieur. La crise de
février 1994 ne plaide pas pour son bilan, puisqu'il n'a pas su
43 Le Soleil, 13 mars 1995.
44 "L 'opposition sénégalaise entre au
gouvernement", Le Monde, 17 mars 1995. 45 Elimane Fall, "La paix des
braves", Jeune Afrique, n° 1775, 18 janvier 1995.
contrecarrer la déferlante moustarchidine et
empêcher les manifestants d'atteindre les grillages
du palais présidentiel. On pense néanmoins que si
Abdou Diouf avait désiré le sanctionner, il l'aurait
démissionné immédiatement, comme il l'avait fait avec
Ibrahima Wone lors de la
grève policière en 1987.
On croit que ce limogeage n'est justifié que par la
défiance marquée de Djibo Kâ à l'égard du
"protégé" d'Abdou Diouf, Ousmane Tanor Dieng 46 . Il
n'est pas un hasard si l'ancien "enfant
terrible" du PS est démis de ses fonctions une quinzaine
de jours après avoir fait la une de Jeune Afrique. Dans un
article de quatre pages qui lui est consacré, "la longue marche de
monsieur Kâ" 47, le ministre relate ses
années au gouvernement, sa fidélité à
Léopold Sédar
Senghor et Abdou Diouf, puis s'exprime plus ou moins
explicitement sur la position d'Ousmane Tanor Dieng au PS. Francis
Kpatindé retranscrit ses propos de la façon suivante :
"Parallèlement à ses activités
ministérielles, Djibo Kâ a été, vingt années
durant, de tous les combats pour la transformation du PS, parti unique à
ses débuts, en une formation démocratique. Non seulement, la
résolution de "Rénovation" du parti a été
rédigée à son domicile (avec la participation d'Ousmane
Tanor Dieng) en mars 1989, mais il dirige, depuis six ans, 'le Club Nation et
Développement", une structure plus souple que le PS (elle est ouverte
à tous) crée en 1969. Il n 'empêche, depuis les
élections de 1993, certains, au sein même de son parti, sem blent
déterminés à freiner son irrésistible ascension.
Les amis de Djibo Kâ estiment que le Sénégal a
changé et le PS avec lui, et qu'on ne peut plus gérer ce parti
comme on le faisait en 1960. Ils réclament l'élection au suffrage
universel direct de tous les dirigeants du parti, de la base au sommet. En
face, leurs adversaires, les fameux "refondateurs", préfèrent les
vieilles recettes du centralisme démocratique : élection à
la base, cooptation au sommet".
Djibo Kâ, le Rénovateur, souligne dans cet
extrait deux tares d'Ousmane Tanor Dieng : son
illégitimité et son conservatisme. Il
dévoile ainsi au grand jour une stratégie qui fait son
succès auprès de la base socialiste depuis 1993, qui lui a permis
d'attirer les historiques PS
mais aussi les déçus de la rénovation
avortée de 1990. En ratissant large, il se donne une nouvelle image,
bien éloignée du Djibo Kâ des années 1980 prêt
à tout pour justifier
l'omnipotence socialiste.
S'il se dit fidèle au chef de l'Etat dans cet entretien,
il n'empêche que Kâ remet en cause le
mode de fonctionnement dioufiste lorsqu'il dénonce
"les vieilles recettes du centralisme démocratique". On sait
que Abdou Diouf est l'instigateur de la cooptation au sommet et que
ses réélections à la tête du PS se
font toujours... par acclamation. Djibo Kâ a pris le risque de se
démarquer de la ligne officielle. Il en paie donc rapidement le prix.
Lors de son éviction, Le Soleil rapporte
uniquement que Djibo Kâ ne souhaite faire aucun commentaire. Le quotidien
n'approfondit pas une question pourtant traitée par tous les
médias
étrangers 48 . Le désormais ancien
ministre quitte le gouvernement par la petite porte. Il se retrouve
aussitôt banni des hautes instances officielles... et des médias
d'Etat. A partir du 15 mars 1995, Djibo Kâ entame une longue
traversée du désert politique et médiatique.
Hormis ce départ, le Président Diouf
n'évince aucune autre tête d'affiche socialiste. On est ainsi bien
loin du compte quant à la "recommandation" libérale d'avoir un
gouvernement
limité à une vingtaine de membres. On recense
en effet... 33 ministres. Le chef de l'Etat contente donc tout le monde en
accordant des places à l'opposition tout en n'en enlevant pas
à
son parti. Il privilégie de ce fait la "paix
politique" à l'efficacité, puisque certains ministères
apparais sent comme de véritables sinécures, ce que ne manque de
souligner Landing Savané
46 On sait dès 1994 que Djibo Kâ et Ousmane Tanor
Dieng ne s'adressent plus la parole. "Abdou Diouf aux EtatsUnis ",
Lettre du continent, 19 mai 1994.
47 Francis Kpatindé, "La longue marche de Monsieur
Kâ ", Jeune Afrique, n° 1781, 1 er mars 1995.
48 "Le ballet des ministrables", Le Soleil, 16 mars 1995
; "L'opposition sénégalaise entre au gouvernement", Le Monde,
17 mars 1995 ; "Pourquoi Djibo Kâ est tombé ? ",
Jeune Afrique, n° 1785, 29 mars 1995.
et Iba der Thiam, devenus presque malgré eux les chefs
de l'opposition 49. Voici le gouvernement du 15 mars 1995 :
- Premier Ministre : Habib Thiam
- Ministre d'Etat auprès du Président de la
République : Abdoulaye Wade (PDS)
- Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères et
des Sénégalais de l'Extérieur : Moustapha Niasse
- Ministre d'Etat, Ministre de l'Agriculture : Robert Sagna
- Ministre d'Etat, Ministre des Services et des Affaires
Présidentiels : Ousmane Tanor Dieng
- Ministre de la Justice, Garde des Sceaux : Jacques Baudin
- Ministre de l'Intérieur : Abdourahmane Sow
- Ministre des Forces Armées : Cheikh Amidou Kane
- Ministre de l'Economie, des Finances et du Plan : Ousmane
Sakho
- Ministre de l'Environnement et de la Protection de la Nature :
Abdoulaye Bathily (LD/MPT)
- Ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat : Amath Dansokho
(PIT)
- Ministre de la Santé Publique et de l'Action Sociale :
Ousmane Ngom (PDS)
- Ministre de l'Education Nationale : André Sonko
- Ministre de l'Energie, des Mines et de l'Industrie : Magued
Diouf
- Ministre de la Modernisation de l'Etat : Babacar
Néné Mbaye
- Ministre de la Culture : Abdoulaye Elimane Kane
- Ministre de la Communication : Serigne Diop (PDS-R)
- Ministre du Travail et de l'Emploi : Assane Diop
- Ministre des Femmes, des Enfants et de la Famille : Mme
Aminata Mbengue Ndiaye
- Ministre de l'Equipement et des Transports Terrestres :
Landing Sané
- Ministre du Commerce, de l'Artisanat et de l'Industrialisation
: Idrissa Seck (PDS)
- Ministre de la Jeunesse et des Sports : Ousmane Paye
- Ministre de la Pêche et des Transports Maritimes : Alas
sane Dialy Ndiaye
- Ministre du Tourisme et des Transports Aériens :
Tidiane Sylla
- Ministre de l'Hydraulique : Mamadou Faye
- Ministre de la Ville : Daour Cissé
- Ministre de la Recherche Scientifique et des Technologies :
Mme Marie-Louise Correa (PDS)
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre, chargé des Relations avec les Assemblées : Khalifa
Sall
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre, chargé de l'Intégration Africaine : Massokhna Kane
(PDS)
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Intérieur, chargé de la Décentralisation :
Souty Touré
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Economie, des Finances et du Plan, chargé du Budget :
Lamine Loum
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Economie, des Finances et du Plan, chargé de la
Planification : Magatte Thiam (PIT)
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Education Nationale, chargé de l'Education de Base et des
Langues Nationales : Mamadou Ndoye (LD/MPT)
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Education Nationale, chargé de l'Enseignement Technique et
de la Formation Professionnelle : Mme Aminata Tall (PDS)
La rentrée du PDS au gouvernement marque la fin d'une
époque pour les opposants, la
constitution d'un pôle d'opposition étant
inenvisageable sans le parti libéral. Le RND tente néanmoins de
fédérer autour de lui les partis mécontents, en proposant
une CFD 2, qui
inclurait And Jëf et le CDP/Garab-Gui. Mais le parti de
Landing Savané refuse de réincorporer une coalition, certainement
échaudé par son expérience ratée avec le PDS. En
outre, And Jëf s'est aperçu avec ses
résultats électoraux de 1993 qu'il peut largement concourir seul
et que sa stratégie de refus permanent lui est bénéfique.
Landing Savané se
pose par conséquent après mars 1995 comme le
véritable opposant au régime dioufiste.
49 Le Soleil, 17 mars 1995.
Pour ne pas céder le terrain de la contestation
à son ancien allié, le PDS adopte une stratégie
singulièrement différente à celle de 1991. En effet, la
formation libérale se rend compte assez rapidement de
l'impopularité de sa décision de revenir au gouvernement, comme
l'atteste l'échec total de la concertation nationale, une à une
les organisations prévues pour ces états généraux
ayant boudé "le traître" Abdoulaye Wade, en dépit du
soutien... d'And Jëf, désireux de voir aboutir le projet de table
ronde 50. Convaincu depuis 1993 qu'il a besoin de toute
l'opposition derrière lui pour vaincre Abdou Diouf, Abdoulaye Wade est
beaucoup plus mesuré dans ses soutiens à la politique
appliquée par le PS lors de son deuxième passage au
gouvernement.
D'ailleurs, le titre gouvernemental de Wade indique que ce
dernier ne doit pas rendre de compte au PS, mais seulement au Président
de la République. Dès les premiers mois de la cohabitation, on
observe dans ses prises de position une liberté de parole qu'il n'avait
pas quatre ans auparavant. Ainsi, il n'hésite pas à
décrier en juin 1995 un des projets majeurs du septennat : la
décentralisation 51 . Il évoque les risques de
sécession, notamment en Casamance, et soumet... un découpage
économique et non administratif des régions. Il propose la
création d'un poste de vice-gouverneur régional chargé des
questions économiques qui travaillerait en collaboration avec le
gouverneur "administratif". Les assemblées régionales, trop
coûteuses et inutiles pour Abdoulaye Wade, sont remplacées dans le
projet wadiste par une chambre représentative des différentes
corporations économiques et sociales de la région (paysans,
artisans, hommes d'affaires).
Cette liberté de ton décomplexe les deux
formations marxistes du gouvernement. La LD/MPT et le PIT ont pourtant
été avant 1995 des alliés fidèles au PS, notamment
lors de la dévaluation, se ralliant sans broncher aux positions
gouvernementales et allant même jusqu'à prôner...
l'intérêt de celle-ci : un comble pour des partis d'extrême
gauche 52 . Mais avec l'arrivée des libéraux, la
solidarité affichée depuis 1993 vole en éclats.
Les marxistes laissent à présent entendre,
à la manière de Wade, qu'ils ne doivent rendre de compte
qu'à Abdou Diouf et nullement au PS. Or, le Président de la
République s'absente durant l'hivernage 1995 pour subir une intervention
chirurgicale en France. Seuls face aux socialistes, les partis "entristes"
s'activent et les langues se délient.
Tandis que le PDS engage un recours devant le Conseil
constitutionnel contre une loi prorogeant d'un an les mandats des conseils
municipaux et ruraux, le comité central du PIT critique ouvertement le
27 août 1995 la "mal gouvernance" PS, chose que le parti d'Amath Dansokho
n'a jamais fait depuis... 1989. Le lendemain, alors qu'on s'attend à une
position plus mesurée du secrétaire général du PIT,
Dansokho appuie la démarche de sa base, insistant sur le fait que les
critiques ne sont pas adressés à Abdou Diouf mais à
certains socialistes. Il déclare alors que "si les attitudes
négatives dénoncées par le PIT sont
considérées comme une fronde contre le gouvernement, qu 'il en
soit ainsi" 53.
La situation s'envenime. Le bureau politique socialiste
rétorque via Le Soleil que le PIT est dans le gouvernement
"malgré une envergure nationale fort modeste et un poids politique
fort négligeable" 54 et qu'il manque à tous ses
devoirs en ne respectant pas la solidarité gouvernementale. Abdou Diouf,
en convalescence en France, est averti par Habib Thiam de la situation. Il
l'invite à précipiter son retour au Sénégal pour
venir arbitrer le conflit au plus vite, d'autant plus que les différents
organes socialistes demandent le limogeage pur et simple des
50 "La concertation nationale s'accorde une dernière
chance", Le Soleil, 23 avril 1995.
51 "Projet de décentralisation : les réserves
du PDS", Le Soleil, 9 juin 1995.
52 "Il n'y a pas d'autres alternatives", Le soleil, 23
août 1993 ; "Déclaration de la LD/MPT", Le Soleil, 24
septembre 1993 et "La LD/MPT appelle à la concertation ", Le
Soleil, 4 février 1994.
53 "Amath Dansokho à Thiès : fidèle
à l'esprit de la déclaration du PIT", Le Soleil, 29
août 1995. 54 Le Soleil, 31 août 1995.
ministres PIT... et PDS 55. En effet,
les cadres du PDS - alter ego libéral du GER - dénoncent
eux-aussi la mal gouvernance socialiste. Cependant, contrairement à
Dansokho, Abdoulaye Wade ne soutient aucunement cette initiative 56
. On note ainsi que des dirigeants socialistes et libéraux
militent dès l'hivernage 1995 pour la cessation de la cohabitation. De
ce fait, le duo Diouf-Wade ne tient que par la volonté des deux hommes,
et non par la volonté des instances PS et PDS.
La rupture entre le gouvernement et le PIT n'est pas
envisagée dans un premier temps par Abdou Diouf. Il revient de France le
9 septembre 1995 et rappelle dès son arrivée à
l'aéroport de Dakar le besoin de solidarité gouvernementale. En
jouant l'apaisement, Diouf tient certainement à offrir une porte de
sortie convenable à cette crise et éviter une rupture
définitive avec un allié "fidèle" depuis le début
des années 1990. Cependant, le PIT surenchérit quelques heures
plus tard. Il confirme ses déclarations d'août et revendique son
identité propre. Le parti marxiste décide donc presque de
lui-même de s'auto-exclure du gouvernement à majorité
présidentielle élargie.
Pourtant, aucune raison ne le pousse à agir de la
sorte : le gouvernement de cohabitation est récent ; il n'y a pas de
crise politique majeure dans le pays ; les élections municipales sont
encore assez éloignées etc. En choisissant une liberté de
ton en rupture avec son attitude des cinq dernières années, le
PIT désire certainement simplement imiter l'exemple wadiste... avec
moins de tact et d'intelligence politique.
C'est pourquoi le PIT est profondément surpris
à l'annonce du limogeage de ses ministres sans "entretien
préalable" avec Abdou Diouf 57. Abdoulaye Wade
demeure quant à lui au gouvernement, satisfait de ses conditions de
travail, puisqu'il dispose d'un bureau personnel et de conseillers techniques,
choses qu'il n'avait pas entre 1991 et 1992.
Le maintien des ministres PDS a des conséquences sur
la vie parlementaire. Dans une assemblée de 120 personnes, seuls 6
députés n'appartiennent pas à la "majorité
présidentielle" (3 de la Jappoo, 2 du PIT, 1 de l'UDS/R). La
tonalité vigoureuse des débats de 1993-1995 disparaît donc,
ainsi que les commissions d'enquêtes et certaines propositions de lois.
Malgré l'absence de concertation entre députés PS et PDS,
la vie parlementaire est amputée. Le Parlement redevient une simple
chambre d'enregistrement, à peine bousculée par les
revendications de députés tels que Landing Savané, Iba der
Thiam, Amath Dansokho ou Madior Diouf 58.
Même si un certain unanimisme règne à
l'Assemblée nationale, l'ambiance au sein du gouvernement continue
à se détériorer. Contrairement à 1992, Abdoulaye
Wade privilégie les élections approchantes à l'entente
cordiale. Les petites phrases et les désaccords prolifèrent, les
meetings de précampagne aussi. Le PDS annonce à grands
renforts de publicité la transhumance de militants socialistes vers le
camp libéral. En réaction, le PS via Le Soleil, reprend
une stratégie qui était la sienne durant les années 1980
et annonce presque quotidiennement... des ralliements libéraux au PS
59. La solidarité gouvernementale vole peu
à peu en éclats, car pour la première fois depuis la prise
de fonction d'Abdou Diouf, les
55 Badara Diouf, "Servir l'Etat ou le parti", Le
Soleil, 3 septembre 1995 et "Le GER dénonce
l'irresponsabilité", Le Soleil, 7 septembre 1995.
56 "Me Wade : aller au-delà de nos divergences",
Le Soleil, 15 sept 1995.
57 "Je crois qu'ils (les membres du PIT) furent surpris, car
ils s'attendaient à une discussion avec le Président". Habib
Thiam, Par devoir et amitié, pp.184, Paris, Rocher, 2001.
58 "Parlement: la nouvelle majorité se cherche",
Le Soleil, 27 avril 1995 et "Parlement : progrès dans le
dialogue", Le Soleil, 27 décembre 1995.
59 Cette stratégie PS ne s'interrompt
véritablement qu'en... 2000. "Un autre député quitte
le PDS", Le Soleil, 21 août 1996.
élections régionales, municipales et rurales ont
de véritables enjeux.
3. Les élections régionales, municipales
et rurales de 1996 :
3.1. Les objectifs de la décentralisation :
Prévues en 1995, les élections municipales sont
repoussées à l'année suivante pour être coupler au
scrutin régional. Avec ce regroupement, l'Etat économise 2
milliards FCFA. Si la LD/MPT approuve le report, le PDS s'insurge et va
jusqu'à déposer une motion de censure 60, la formation
libérale dénonçant le fait que le report ait
été officialisé... 90 jours avant la date initialement
choisie pour les élections municipales 61 . L'attitude
socialiste montre qu'en dépit du gouvernement d'union nationale, le PS
reste, comme l'a annoncé Diouf dans son allocution du 31 décembre
1994, "le maître du jeu ".
Jugée comme un coup de force par le PDS et le PIT, cette
initiative est pourtant légitime. En effet, le projet de
décentralisation, annoncé depuis 1992, n'a toujours pas
été discuté à l'Assemblée nationale en 1995,
en raison des multiples contretemps de 1993 et 1994. Si la décision de
reporter ces élections est unilatérale, l'élaboration de
la loi sur la décentralisation est... collégiale : elle est
votée à l'unanimité le 5 février 1996, après
que les députés aient déposé sur les 534 articles
de la loi... 309 amendements 62 . A l'instar du code
électoral de 1992, la décentralisation n'est donc pas un coup de
force socialiste mais une oeuvre collective bâtie par l'ensemble de la
classe politique sénégalaise.
La décentralisation, fortement encouragée par
les bailleurs de fonds, doit permettre à l'Etat de se décharger
de nombreuses compétences et ne garder que les pouvoirs
"régaliens". Ainsi, l'Etat transmet aux collectivités ses
prérogatives dans de nombreux secteurs : l'environnement ; les
ressources nationales ; la santé et la population ; la jeunesse et les
sports ; la culture et l'éducation ; la planification et
l'aménagement du territoire ; l'urbanisme et l'habitat etc. Pour faire
face à ces nouvelles dépenses, le gouvernement promet aux
régions une dotation annuelle alimentée par la TVA,
généralisée depuis les réformes économiques
votées suite à la dévaluation. Les régions
deviennent ainsi des personnalités juridiques, dotées d'une large
autonomie financière. Cet aspect de la décentralisation, sur
lequel insiste largement la propagande gouvernementale, vise principalement
à séduire l'indocile Casamance. En effet, comme le
reconnaîtra plus tard Abdou Diouf, la décentralisation est
entreprise principalement pour calmer les aspirations indépendantistes
du MFDC.
Outre l'intérêt pour l'Etat de se
décharger de financements coûteux, la décentralisation
offre aussi la possibilité de redonner du crédit aux politiques
en amenant "la démocratie au village"63. L'esprit de la
décentralisation veut en effet qu'avec les nouvelles
responsabilités qui leur sont confiées, les élus locaux
soient plus proches du peuple et plus à l'écoute de ses besoins
quotidiens : ils doivent devenir les relais entre le "Sénégal
d'en bas" et les hauts responsables dakarois. Le pouvoir espère ainsi
enrayer le désintéressement de la population à
l'égard de la vie politique, qui se manifeste à chaque
élection par un très fort taux d'abstention.
60 Jugeant la prorogation des mandats des conseils municipaux
et ruraux anticonstitutionnelle, 17 des 27 députés PDS signent un
recours devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci est rejeté.
"Recours PDS devant le Conseil constitutionnel : Abdoulaye Faye "la loi
nous le permet"", Le Soleil, 30 août 1995.
61 "Municipales : le gouvernement propose le report",
Le Soleil, 17 août 1995 et "Les municipales repoussées
à 1996", Le Soleil, 24 août 1995.
62 "La régionalisation est votée", Le
Soleil, 23 janvier 1996.
63 Elimane Fall, "La démocra tie au village",
Jeune Afrique, n° 1834, 5 mars 1996.
Via une grande part de proportionnelle, la
décentralisation doit également mettre fin au monocolorisme PS au
sein des communautés urbaines et rurales afin d'associer les partis
d'opposition, qu'ils soient à l'Assemblée nationale ou non,
pleinement à la vie politique locale.
Dans l'esprit d'Abdou Diouf, la décentralisation
constitue une étape supplémentaire dans la démocratisation
du Sénégal. Ces élections régionales et municipales
représentent aussi d'énormes enjeux politiques et
économiques. De ce fait, contrairement à 1984 et 1990,
l'opposition ne peut être absente de ce rendez-vous. C'est pourquoi la
quasi-totalité des partis se présentent. Ousmane Tanor Dieng a
donc l'occasion de s'opposer pour la première fois directement au
candidat PDS à la mairie de Dakar, Abdoulaye Wade.
3.2. Une confrontation inédite Tanor Dieng - Wade :
3.2.1. Un PS "tanorisé" :
La tanorisation du PS s'effectue à un moment où
le secrétaire général en place, Abdou Diouf, souhaite
suite à la dévaluation "apparaître comme un chef d'Etat
au-dessus de la mêlé" 64. Il propose,
dès 1994, d'être déchargé de sa fonction de
secrétaire général du PS et de prendre le titre de
président du Parti socialiste sénégalais. La propagande
officielle insiste bien sur le fait qu'Abdou Diouf reste le seul maître
du PS. Ce dernier le confirme dans un discours de trois heures en juillet 1994
: "je ne serai pas un président qui inaugure les
chrysanthèmes, mais un président actif" 65.
Il parait pourtant évident que le prochain
secrétaire national PS devra non pas seconder Abdou Diouf mais
administrer et diriger le parti. Le titre de président du PS n'est donc
qu'un leurre pour dissimuler les changements effectués en coulisse,
comme Diouf le reconnaît en 2005 au cours de son entretien avec Philippe
Sainteny :
"j'ai voulu apparaître comme un chef d'Etat et non
plus chef de parti. J'ai commencé par demander à mes camarades de
me décharger de mes fonctions de secrétaire général
du parti pour que je me consacre à l'Etat comme cela se fait dans les
grandes républiques (...) et mes camarades ont refusé. A ce
moment là, j'ai essayé de trouver une solution pour arriver
à mes fins sans les désavouer. J'ai fait adopter une
réforme où j 'étais président du parti avec un
premier secrétaire qui gérer le parti au quotidien parce que je
voulais me préoccuper de la gestion de l'Etat" 66.
Cette décision bouscule le quotidien auquel les
dirigeants socialistes sont habitués depuis 1981. Une guerre de
succession s'ouvre, car en dépit des réfutations d'Abdou Diouf,
le dauphinat à la tête de l'Etat est en jeu. Le poste de
secrétaire général est convoité car il permet
d'avoir un soutien sans faille des médias d'Etat et de la machine
électorale PS. Trois candidats se démarquent assez rapidement :
Ousmane Tanor Dieng, qui a le soutien officieux d'Abdou Diouf ; Djibo Kâ,
présent à l'UPS/PS depuis la fin des années 1960 ;
Moustapha Niasse, considéré comme un "vieux" militant socialiste,
qui jouit d'une grande aura dans les milieux occidentaux et saoudiens. Si les
contemporains parlent à l'époque de luttes de tendances,
motivés par des différences idéologiques, il semble plus
approprié de parler de lutte de clans et d'intérêts
personnels, l'idéologie n'étant qu'un alibi tâchant de
rendre noble une guerre fratricide 67.
64 Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005.
65 "Abdou Diouf : je serai un président actif du
parti", Le Soleil, 18 juillet 1994.
66 Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005.
67 Le terme fratricide est approprié car Moustapha Niasse
a formé Djibo Kâ et Djibo Kâ a formé... Ousmane Tanor
Dieng.
Le bal des prétendants s'intensifie après la
maladie d'Abdou Diouf, comme le souligne Habib Thiam dans ses mémoires
68 . En effet, comme dans tout régime politique,
l'affaiblissement physique du chef de l'Etat, soit-il
éphémère, entraîne une aggravation de la course au
palais. Or, le Président de la République ressent à partir
de 1995 de violentes douleurs à la colonne vertébrale. Peu de
personnes sont mises dans la confidence avant qu'Abdou Diouf ne soit
obligé durant l'hivernage 1995 de se faire opérer à Paris
et d'observer de longues semaines de repos. En dépit des nouvelles
rassurantes de la presse gouvernementale, qui parle d'un simple
dysfonctionnement de la région lombaire, l'état de santé
du chef de l'Etat parait assez inquiétant selon les dires d'Habib Thiam
69.
Néanmoins, l'opération et la convalescence de
Diouf se passent bien. Il reprend finalement ses fonctions
présidentielles dès le mois de septembre 1995. Mais, à
partir de cette date, le chef de l'Etat n'incarne plus l'avenir pour bon nombre
de socialistes. Ousmane Tanor Dieng, qui a vu en mars 1995 son principal rival
et opposant Djibo Kâ être écarté des cercles du
pouvoir par Abdou Diouf lui-même, dispose d'une voie royale pour
s'affirmer comme le nouvel homme fort du PS.
La discrétion tanorienne louée par les
médias d'Etat au début des années 1990 laisse place
à... une "hyper-occupation" du champ médiatique. Celle-ci est
nécessaire puisque dans le même temps, l'ascension du ministre
d'Etat est retardée par les heurts violents qui rythment les
renouvellements de la base socialiste 70. Il faut en
effet attendre... deux ans pour que soient élus l'ensemble des
coordinateurs régionaux du parti. Cette situation traduit la profondeur
de mal qui ronge le PS, scindé entre les pro et les anti Tanor Dieng.
On s'aperçoit qu'au début de cette crise, qui
débute après la réélection dioufiste en 1993, la
propagande socialiste désigne les pro-Tanor Dieng sous le terme de
"rénovateurs" 71 . Ceci semble logique, puisque la
rénovation a touj ours été l'alibi parfait dans l'histoire
du socialisme sénégalais pour justifier un changement
d'équipe dirigeante. La rénovation a ainsi eu lieu en 1976, pour
installer Abdou Diouf ; en 1984, pour démettre les "barons" et en 1989
pour mettre en place les membres du GER. Toutefois, les tanoriens changent leur
appellation au bout de quelques mois. Ils ne font plus appeler les
"rénovateurs" mais les... "conservateurs" ou "refondateurs" 72
. Si elle peut paraître surprenante, cette volte-face s'explique
facilement.
Comme on l'a dit précédemment, depuis 1988, le
PS mesure son impopularité auprès des urbains. Il sait aussi que
l'époque senghorienne est assimilée par la jeunesse
sénégalaise à une période heureuse et faste
économiquement. C'est pourquoi notamment Abdou Diouf a multiplié
lors de son second quinquennat les allusions à Senghor et a
rappelé au sein des instances dirigeantes PS les "barons" reconvertis en
"sages". Par conséquent, le camp de Tanor Dieng n'a aucun
intérêt à revendiquer "la rénovation", puisque cela
reviendrait à renier le passé senghorien mais aussi les "sages",
fidèles au parti et seul ciment entre des hauts
dirigeants en perpétuel conflit.
C'est ainsi que durant le congrès de mars 1996, qui doit
enfin matérialiser les réformes annoncées par Diouf deux
ans auparavant, les conservateurs (pro Tanor Dieng) se confrontent
68 "Les dauphins, plus ou moins auto proclamés,
s'agitent à leur tour et cherchent à se mettre à leur
avantage. Ce fut le cas d'Ousmane Tanor Dieng, de Djibo Laity Kâ (...) de
Niasse". Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.182, Paris,
Rocher, 2001.
69 Il semble que l'opération ait été assez
risquée, ce qui fait dire au Premier ministre que Diouf lui a
"collé une des plus grandes trouilles de sa vie ". Habib Thiam,
Par devoir et amitié, pp.1 82, Paris, Rocher, 2001.
70 On parle de dizaines de morts lors de ces renouvellements.
Elimane Fall, "Menace sur le PS", Jeune Afrique, n° 1831, 13
février 1996.
71 "En attendant le PS nouveau", Le Soleil, 16
août 1995.
72 Moussa Sidi Ba, "Rénovateurs contre refondateurs
", Jeune Afrique, n° 1844, 14 mai 1996.
aux rénovateurs (anti Tanor Dieng). Ces derniers
apparaissent en 1996 comme une nébuleuse sans véritable chef de
file, même si le nom de Djibo Kâ est quelques fois
évoqué. Néanmoins, tout est joué d'avance, comme le
reconnaît Le Soleil, qui écrit dans ses colonnes le 26
mars 1996 : "si le choix se porte sur Ousmane Tanor Dieng, il serait plus
que mérité ". Le ministre d'Etat n'a donc aucun mal à
s'imposer durant ce congrès, puisqu'il est directement choisi et
nommé par Abdou Diouf 73. Sans débats - le
congrès PS de 1996 est d'ailleurs connu sous le nom de "congrès
sans débats" - Ousmane Tanor Dieng se voit confier les pleins pouvoirs
du parti, et tous les attributs qui les accompagnent. Etonnant, pour un homme
qui n'a rejoint le bureau politique PS qu'en 1988.
Si Habib Thiam parle dans ses mémoires de confiscation
tanorienne du parti, on pense plutôt à une donation dioufiste. En
effet, Abdou Diouf est pleinement "responsable" de la mise en place de
l'omnipotence tanorienne. Depuis son intronisation au gouvernement en 1990, et
surtout sa nomination à la tête du directoire de campagne en 1992,
les mérites d'Ousmane Tanor Dieng sont très
régulièrement loués par le chef de l'Etat. Il n'est donc
étonnant que le nouveau président du Parti socialiste fasse les
louanges de son protégé lors du congrès de mars 1996. Il
dit notamment à cette occasion : "vous m 'avez comblé en m
'étant à mes cotés un garçon remarquable"
74. Ainsi né officiellement en mars 1996 le
binôme Diouf-Tanor, qui ressemblent étrangement à l'ancien
duo Diouf-Collin des années 1980. Mais des différences de taille
séparent Collin de Tanor Dieng :
- La couleur de la peau : Collin n'étant pas
sénégalais d'origine, il n'a jamais pu espérer avoir un
destin présidentiel. Il a donc toujours été
présenté non pas comme un potentiel dauphin mais comme une
éminence grise. Du fait de ses racines, Tanor Dieng peut quant à
lui prétendre succéder un jour à Abdou Diouf. Cet
élément rend ses rapports nettement plus délicats aussi
bien avec l'opposition qu'avec son propre parti.
- L 'influence : Il est incontestable que Jean
Collin avait nettement plus d'influence que Tanor Dieng, de par ses
réseaux, son statut "d'homme de l'indépendance" et ses relations
étroites avec la France. Ousmane Tanor Dieng n'est lui qu'une
"création de Diouf". Il n'a par conséquent pas les mêmes
relations ni les mêmes moyens financiers que son
"prédécesseur". Pis, Paris le boude, lui préférant
nettement Moustapha Niasse.
- Le rapport avec Abdou Diouf : Jean Collin a fait
Abdou Diouf, en lui assurant notamment en 1978 et 1980 la présidence de
la République. Comme l'a reconnu le chef de l'Etat, il doit tout
à Jean Collin. Mais que doit Abdou Diouf à Tanor Dieng ? Peu de
choses, sinon rien. Néanmoins, au cours des années 1980, dans
l'ombre médiatique, le ministre d'Etat a su gagner la confiance du chef
de l'Etat et peu à peu devenir son interlocuteur principal. Devant les
premiers signes de vacillement du PS, et les risques d'implosion qui en
découlent, Ousmane Tanor Dieng représente la voie de la
modération et surtout de la fidélité pour le
Président de la République.
C'est pourquoi on a du mal à parler de "syndrome Jean
Collin" pour évoquer la position d' Ousmane Tanor Dieng. Au demeurant,
Jean Collin a été jusqu'à sa nomination au poste de
ministre de l'Intérieur intérimaire en 1987 relativement "sage"
médiatiquement, se prononçant que très rarement sur
l'actualité politique sénégalaise. A l'inverse, le
ministre-directeur de cabinet s'affirme dès 1992 sur l'échiquier
politique. Il accorde des interviews à Jeune Afrique
ou au Soleil (ce que Collin n'a jamais fait) ; accepte le
directoire de campagne des élections de 1993 ; devient la tête de
liste socialiste officieuse lors des législatives de la même
année etc. La théorie de l'homme secret sorti de l'ombre sous les
coups de l'opposition, à l'instar de Jean Collin, n'est donc pas
crédible pour définir l'ascension tanorienne. Ousmane Tanor Dieng
n'est pas un homme qui a été piégé, qui s'est
engagé malgré lui dans un chemin sans retour. Ce
73 Sans s'en rendre compte, Abdou Diouf avoue explicitement
cet état de fait en déclarant : "j'ai mis M.Ousmane Tanor
Dieng (puis il se rattrape) j'ai proposé M. Ousmane Tanor Dieng
comme premier secrétaire pour gérer le parti au quotidien". Abdou
Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny, Emission livre d'or, RFI,
2005.
74 "Un PS sur mesure ", Le Soleil, 1 er avril 1996.
chemin est le sien, car il est selon lui
"prédestiné", comme il le déclare en décembre 1996
75.
Cette prédestination le pousse à bâtir un
bureau politique qui lui est totalement dévoué. On
dénombre 30 "conservateurs" sur les 35 membres du nouveau bureau
politique de 1996. Par conséquent, Djibo Kâ et André Sonko,
deux piliers de l'ancien PS, sont écartés, tout comme Moustapha
Niasse, qui s'est vu refusé de surcroît par Abdou Diouf l'union
régionale de Kaolack. Les dix secrétaires généraux
de régions sont donc également plus ou moins des proches
d'Ousmane Tanor Dieng 76 :
- Union Régionale de Dakar : Mamadou Diop
- Union Régionale de Diourbel : Jacques Baudin
- Union Régionale de Fatick : Mamadou Faye
- Union Régionale de Kaolack : Abdoulaye Diack
- Union Régionale de Kolda : Amath Cissé
- Union Régionale de Louga : Daouda Sow
- Union Régionale de Saint-Louis : Abdourahim Agne
- Union Régionale de Tamba : Cheikh Abdul Khadre
Cissokho
- Union Régionale de Thiès : Ousmane Tanor
Dieng
- Union Régionale de Ziguinchor : Landing Sané
On constate parmi cette liste le retour au premier plan de
Daouda Sow. Il n'est pas anodin. En effet, l'ancien président de
l'Assemblée nationale s'avère être... l'oncle de Djibo
Kâ. En réimplantant Sow à Louga, qui est le fief
électoral de son neveu, Ousmane Tanor Dieng espère sûrement
créer la confusion dans l'esprit des soutiens de Kâ et reprendre
en main le parti dans la région.
Le nouveau secrétaire national a donc pris le
contrôle du PS, en verrouillant les postes clefs et en s'assurant une
confiance sans faille du chef de l'Etat. Pour apaiser toutes ses craintes, le
ministre d'Etat le propose candidat à l'élection
présidentielle de 2000... quatre ans avant l'échéance
électorale 77.
L'investiture de Tanor Dieng ne ramène pourtant pas le
calme au sein du PS. De nombreux échos rapportent
qu'énormément de militants pas sent dans le camp libéral,
que le premier secrétaire général n'est pas
apprécié, qu'il s'entend mal avec tout l'entourage dioufiste etc.
Le PS a donc besoin, avant des élections régionales et
municipales capitales, de se retrouver et de faire la paix, aussi brève
soit-elle.
Le quatre-vingt dixième anniversaire de Léopold
Sédar Senghor tombe ainsi à point nommé. Les
numéros d'octobre 1996 du Soleil retracent "la grande oeuvre"
de l'ancien Président : la conquête de l'indépendance ; la
création du BDS ; l'ouverture démocratique ; le soutien
accordé à Abdou Diouf, "le fils spirituel de Senghor" etc. Pour
la propagande gouvernementale, le chef de l'Etat prolonge l'oeuvre
senghorienne, oeuvre que Diouf n'a jamais renié selon le quotidien.
Les temps ont ainsi changé. Dix ans auparavant, pour
les quatre-vingt ans de l'ancien Président, Le Soleil du 10
octobre 1986... n'avait fait aucune allusion à l'anniversaire de Senghor
78. A l'époque, il semble que l'héritage
senghorien n'était pas aussi bien assumé qu'en
75 "Ousmane Tanor Dieng : j'ai un destin que les hommes ne
pourront pas changer", Jeune Afrique, n° 1877, 31 décembre
1996.
76 Le Soleil, 27 octobre 1998.
77 Habib Thiam affirme que pour Ousmane Tanor Dieng, "c
'est un moyen de se dédouaner, à très bon compte, tout en
essayant de consolider ses propres positions". Habib Thiam, Par devoir
et amitié, pp.185, Paris, Rocher, 2001.
78 Le Soleil, 10 octobre 1986.
1996...
Les diverses manifestations faites autour de cet anniversaire
permettent à Ousmane Tanor Dieng de se faire voir, et de rappeler toute
l'admiration qu'il a aussi bien pour Senghor que pour Abdou Diouf. Il
revendique dans ses discours l'héritage du BDS et proclame que son
devoir de premier secrétaire l'oblige à perpétuer et
à s'abreuver de la source senghorienne. En l'absence du principal
concerné - son âge ne lui permet plus de se déplacer hors
de France - cette commémoration s'apparente plus à un meeting
de campagne qu'à un véritable hommage. Après avoir
frôlé l'amnésie durant près d'une dizaine
année, le pouvoir socialiste retrouve subitement la mémoire. En
1996, tout est bon pour rappeler la filiation du régime à
Senghor. Ainsi, le même jour, l'aéroport, le stade et l'avenue
principale de Dakar sont rebaptisés du nom de l'ancien Président
79.
Une fois les festivités terminées,
l'unité socialiste affichée prend fin. Les rivalités entre
clans réapparaissent à quelques semaines des élections.
Pour y mettre un terme, Ousmane Tanor Dieng proclame la tenue d'investitures
consensuelles. En lieu et place des têtes de liste traditionnelles, le
premier secrétaire PS établit des listes de candidats, sans ordre
précis. La commission nationale de conciliation, crée à
l'occasion du congrès de mars 1996, veille à une
répartition équitable des tendances sur les listes
régionales et municipales pour éviter tout sentiment d'injustice.
Une formule est trouvée par le parti pour définir cette
volonté de transparence et d'unité : "gagner tous ensembles
ou perdre tous ensembles" 80.
Par cette initiative novatrice, le ministre d'Etat souhaite
faire taire les dissensions internes afin de donner les moyens au PS de
reconquérir les centres urbains qui, Saint-Louis excepté, ont
tous voté majoritairement pour les libéraux lors des
précédentes élections. De son coté, Wade revient
sur ses premières déclarations et se lance lui-aussi dans la
campagne des régionales et municipales 81 . Rapidement, il
s'oppose à Ousmane Tanor Dieng.
3.2.2. Le "troisième tour" d'Abdoulaye Wade :
Abdoulaye Wade n'a toujours pas digéré son
échec à l'élection présidentielle. Si en 1993, il
avait appelé à ce que les législatives soient un
véritable second tour, l'absence du Président de la
République avait pesé lourd dans la campagne du chef de
l'opposition, qui faute d'adversaire, n'avait pu mener une stratégie de
campagne cohérente.
En 1996, la donne change. Ousmane Tanor Dieng a pris en main
ouvertement le PS. Le fondateur du PDS peut donc concentrer ses attaques sur
une personnalité clairement définie. Le ministre d'Etat, qui
côtoie le premier secrétaire PS au gouvernement, a appris à
le connaître et... à ne pas l'apprécier. En multipliant les
diatribes à l'encontre de Tanor Dieng, Wade trouve également le
moyen de justifier son maintien au gouvernement. En effet, il montre à
travers ses discours que son action n'est pas dirigée contre Abdou Diouf
- qui depuis son retrait du PS est considéré par les non
socialistes comme un "arbitre au-dessus de la mêlée" - mais contre
les socialistes. Il ne cesse de répéter durant la
précampagne qu'il continue de bénéficier de toute la
confiance du chef de l'Etat, et qu'il n'a donc aucune raison de quitter son
ministère. La LD/MPT, elle aussi très vigoureuse dans ses
attaques contre le PS, tient le même discours pour justifier son maintien
gouvernemental.
79 "Noces d'octobre ", Le Soleil, 10 octobre 1996.
80 "Investitures consensuelles au PS", Le Soleil, 17
octobre 1996.
81 Abdoulaye Wade déclare en décembre 1994 que la
mairie de Dakar ne l'intéresse pas. "Abdoulaye Wade : Personne n 'a
le droit de laisser chavirer le navire ", Le Soleil, 2 décembre
1994.
En se déclarant adversaire du PS et non d'Abdou Diouf,
Wade se permet d'organiser, à peine un an après son entrée
au gouvernement, des meetings très virulents à
l'égard des socialistes, en présence notamment de
représentants du PIT et d'And Jëf. Le PDS établit même
avec le PIT des listes de coalition dans certaines villes. Wade expose dans ses
discours son programme de 1996, qu'il intitule "les dix commandements du PDS",
ciblés sur des questions locales et régionales. Il prône la
propreté des villes, la bonne gestion des budgets municipaux et
régionaux, la création de multiples emplois, l'aide aux femmes et
aux personnes âgées, la construction d'écoles, le
développement d'activités sportives et culturelles
etc.82 Comme tous les autres candidats opposés au PS, il
dénonce la mauvaise gestion des villes, "infestées par des
saletés et des microbes" 83.
Pour donner du crédit à son engagement dans ces
élections, Abdoulaye Wade ne se présente pas dans sa
région natale - contrairement à Tanor Dieng, qui s'aligne
à Thiès - mais dans la plus intéressante politiquement et
économiquement : Dakar. Il justifie sa non-candidature dans son fief
naturel, Kébémer, par ces propos : "ma dimension et mes
capacités doivent être consacrées à une grande ville
comme Dakar. A Kébémer, j'aurais réglé les
problèmes en huit jours" 84.
A l'arrogance wadiste se joint des projets ambitieux,
déjà avancés mais refusés par le gouvernement. Il
propose la création d'un nouvel aéroport à Keur Massar,
près de Dakar. L'objectif de ce grand chantier est de relancer
l'économie sénégalaise et créer de nombreux
emplois. Néanmoins, la crédibilité de son projet
s'essouffle lorsqu'il déclare vouloir reconvertir l'ancien
aéroport de Dakar, rebaptisé depuis quelques semaines
Léopold Sédar Senghor... en Champs Elysées
sénégalais et en centre financier.
Ces propositions font réagir Ousmane Tanor Dieng.
Alors qu'Abdou Diouf n'a jamais eu pour habitude de répondre aux propos
wadistes, 1988 excepté, le ministre-directeur de cabinet impose son
style et adopte un ton offensif, voire agressif, à l'égard du
ministre d'Etat. Il minimise notamment l'influence libérale à
Dakar, clamant que la victoire PDS de 1993 dans la capitale n'a
été le fruit que... de multiples fraudes : "ce sont les
fraudes par ordonnances de votes qui ont fait gagner au PDS les villes de Dakar
et Thiès" 85.
Raillant les alliances du PDS avec l'opposition -
"zéro plus zéro égale zéro (...) ils ont beau
se coaliser, cela ne nous inquiète pas, mais nous amuse plutôt"
86 - le premier secrétaire
général PS devient le seul "interlocuteur" de Wade durant la
campagne. Les discours sont virulents et les attaques quotidiennes. Ousmane
Tanor Dieng en vient à menacer le camp PDS de faire voter une motion de
censure contre le gouvernement pour faire partir les libéraux. En guise
de réponse, Wade accuse le directeur de cabinet du Président
d'autoritarisme et le menace... d'appuyer la motion pour l'amener à
commettre une erreur irréparable. Il résume l'attitude de son
adversaire par les propos suivants : "il tente de répercuter le
mimétisme qui l'a conduit au poste de premier secrétaire du PS :
coopter au sommet sans débats. Il veut une démocratie sans
débats. Le mieux qu 'il a à faire, c 'est de régler ses
problèmes de légitimité avec les militants de base de son
parti" 87 . Comme on le note à travers ces
propos, l'opposition insiste sur les difficultés que connaît Tanor
Dieng au sein de son propre parti. Les problèmes internes du PS sont
donc une arme dont se sert Wade pour décrédibiliser son
adversaire. Pour
82 "Wade énumère les dix commandements du
PDS", Le Soleil, 10 juin 1996.
83 "Wade promet un recours contre le découpage de
Dakar", Le Soleil, 19 septembre 1996.
84 Idem.
85 Le Soleil, 24 juin 1996.
86 "OTD dénonce les éléphants blancs et
le double jeu des alliés-adversaires au gouvernement", Le Soleil,
30 septembre 1996.
87 "Le PDS contre une démocratie sans débats",
Le Soleil, 1er octobre 1996.
renforcer la portée de ses attaques, il établit
une opposition entre la sagesse dioufiste et l'attitude belliqueuse
tanorienne.
Pour polir son image auprès de la population, le
premier secrétaire PS s'appuie sur les réseaux
clientélistes traditionnels dioufistes : comités de soutien,
petits ndiguel etc. En outre, il articule chacun de ses discours
autour de sa filiation avec Abdou Diouf, mais aussi innove, en
récupérant à son compte des éléments qui ont
fait la force d'Abdoulaye Wade depuis plus d'une décennie. A la
manière du chef de l'opposition, qui depuis très longtemps
accorde une place majeure aux femmes dans ses programmes, Ousmane Tanor Dieng
se veut être le candidat des femmes. Peu représentées
à la chambre - elles ne sont que 14 places Soweto - elles votent
pourtant d'avantage que leurs homologues masculins et constituent le plus gros
des effectifs des réunions politiques. Electoralement, le soutien des
Sénégalaises est donc vital. Le premier secrétaire
général PS en a bien conscience.
Durant la campagne, il multiplie les louanges à
l'égard de la gent féminine en s'appuyant sur une "étoile
montante" du PS, Mme Aminata Mbengue Ndiaye, présidente des femmes
socialistes. Celle-ci est d'ailleurs en juin 1996 la première femme
à diriger les travaux d'un comité central PS. Fort de ce soutien,
le ministre d'Etat promet 25 % des investitures aux femmes lors des prochaines
élections. Il place aussi de façon officieuse certaines
personnalités féminines, telles que Aminata Mbengue Ndiaye,
têtes de liste dans certaines municipalités. De cette
façon, Ousmane Tanor Dieng tente de rallier à lui la sympathie
des femmes. Il va ainsi dans le sens d'Abdou Diouf, qui accorde depuis le
début des années 1990 aux citoyennes une attention plus
marquée. Cette tentative de féminisation de la vie politique
correspond à la volonté dioufiste de faire entrer le
Sénégal dans le cercle fermé des démocraties
modernes.
Ousmane Tanor Dieng essaie aussi de briser le "monopole"
libéral auprès de la jeunesse. Pour réussir son
entreprise, il n'hésite pas à nouer des liens avec les
Moustarchidines, interdits depuis les événements du 16
février 1994. Ainsi, d'après Le Soleil, c'est sur une
demande personnelle d'Ousmane Tanor Dieng88 que l'association est
relégalisée... quelques jours seulement avant le scrutin
électoral. En guise de remerciement, les Moustarchidines se
déclarent à présent comme étant les plus
fervents... opposants aux libéraux. Moustapha Sy justifie de la
façon suivante ce renversement d'alliance : "le divorce avec les
libéraux remonte à leur emprisonnement (...) et Me Wade qui nous
doit 50 millions de francs sait, lui, de quoi je parle" 89.
Les socialistes se rapprochent de ce fait très
étroitement d'une des branches tidjanes les plus influentes et
populaires auprès de la population urbaine. Ousmane Tanor Dieng prive
ainsi Wade d'un des soutiens qui a favorisé son succès dakarois
de 1993 : le PS s'est donné les moyens de reconquérir la
capitale.
Comme on vient de le voir, l'opposition Tanor Dieng - Wade
polarise les attentions, en dépit de la participation d'une quinzaine de
ministres au cours de la campagne. Ils s'affrontent pour la plupart à
Dakar.
3.3. Les autres enjeux de ce scrutin :
Concentrant un quart de la population sénégalaise,
Dakar est la ville la plus convoitée des élections. Si la
cité a un prestige historique et démographique, elle dispose
également du plus
88 "Cheikh Tidiane Sy : les Moustarchidines ne sont plus
interdits", Le Soleil, 11 novembre 1996.
89 "Moustapha Sy : Pourquoi nous soutenons Abdou Diouf",
Le Soleil, 6 janvier 1997.
gros budget municipal, estimé à 10 milliards
FCFA 90. Toutefois, les deniers publics sont
généralement mal utilisés. Le Monde, dans son
édition du 24 novembre 1996, donne l'exemple de Rufisque, cité de
la région dakaroise. La ville dispose d'un budget de 450 millions FCFA
91 . Sur cette somme, 420 millions de FCFA servent... à payer les
salaires de 300 fonctionnaires. La mairie de Rufisque ne dispose donc plus que
de 30 millions FCFA - soit 300 000 francs français de l'époque -
pour construire, entretenir etc. Les projets de la ville sont donc
financés par les bailleurs de fonds, qui fixent les orientations
d'aménagement. De ce fait, le maire n'a qu'un rôle "secondaire"
dans la gestion et le développement de sa propre municipalité.
Nonobstant cette réalité, chaque candidat promet l'assainissement
des finances, la construction d'écoles et d'hôpitaux ou encore la
rénovation des quartiers délabrés.
Abdoulaye Wade désire, "comme Chirac en 1977 à
Paris", faire de la capitale son bastion pour soutenir sa marche vers le
palais présidentiel, alors que Mamadou Diop (PS) demande du temps
supplémentaire pour qu'il puisse parachever un programme
débuté... en 1984. En tout, on compte huit candidats à
Dakar. En plus des deux précédemment cités, il y a le
ministre LD/MPT Mamadou Ndoye, l'ancien ministre de l'Education Nationale Iba
der Thiam, Mohamed Seck (PDS-R), Bougouma Mbaye (And Jëf), Dialo Diop,
Maguette Blondin et enfin Jean-Paul Dias. Ce dernier attire l'attention des
journalistes, aussi bien sénégalais qu'internationaux. Il incarne
à merveille le mythe "du troisième homme", celui que personne
n'attend et qui finit par jouer les fauteurs de trouble dans les
médias.
Pourquoi un si grand intérêt à
l'égard de l'ancien ministre PDS ? Dans l'imaginaire collectif, la
victoire libérale à Dakar en 1993 n'est pas due à
Abdoulaye Wade mais à son bras droit, en l'occurrence Dias. Avec son
style entreprenant, peu respectueux des formes usuelles de politesse, Jean-Paul
Dias a une certaine popularité auprès de la jeunesse.
Poussé par les louanges des contemporains, l'ancien ministre rompt avec
son mentor à la suite des législatives de 1993, pensant que le
chef de l'opposition ne prend pas assez en compte son nouveau statut de
"vainqueur de Dakar". A la suite de son exclusion du PDS, Dias accorde un long
entretien au Soleil où il déclare : "il y a une
ère après- Wade qui va être une évidence au maximum
dans deux ans" 92.
L'affaiblissement d'Abdoulaye Wade n'arrivant pas, Jean-Paul
Dias fonde son propre parti, le Bloc des Centristes Gaïndé (BCG),
dans le but de disposer de structures pour les élections municipales.
Dans ses discours et ses interventions, l'homme n'attaque pas les socialistes
mais Abdoulaye Wade. Sur le thème de "c'est moi qui ai con quis
Dakar en 1993" 93, il multiplie les attaques sur
l'âge et le caractère de Wade ; revendique l'appui de la jeunesse
dakaroise ; clame son amour pour la capitale. Cependant, les médias se
rendent bien vite compte que Dias n'attire pas les foules : il ne
représente pas une alternative crédible à Wade. Toutefois,
dans l'optique d'affaiblir le fondateur du PDS, Le Soleil laisse
durant la campagne l'ancien ministre s'exprimer pleinement dans ses colonnes,
lui permettant même - chose rarissime pour un candidat de l'opposition -
de publier une publicité dans son édition du 19 novembre 1996.
Les 19 communes de Dakar (11 à Dakar, 6 à
Pikine et 2 à Guediawaye) sont ainsi largement convoitées. La
plupart des huit candidats à la mairie se présentent dans un
arrondissement et se placent en première position sur la liste
municipale et régionale de leur parti respectif. Ils multiplient par
conséquent leur chance d'être élu, le cumul des mandats
étant interdit. Pour
90 Ce qui est relativement peu, quand on sait que la population
de Dakar est estimée en 1996 à 2 millions de personnes. "Huit
prétendants pour la ville de Dakar", Le Soleil, 17 octobre 1996.
91 "Me Wade, l'éternel adversaire du président
Diouf, vise la mairie de Dakar", Le Monde, 24 novembre 1996.
92 "Après son exclusion du PDS, Dias contre-attaque",
Le Soleil, 14 octobre 1993.
93 Géraldine Faes, "Jean-Paul Dias : le prochain maire
de Dakar, c'est moi", Jeune Afrique, n° 1865, 8 octobre 1996.
soutenir leur effort, une intensive course à
l'affichage est lancée. A l'instar de 1993, tous les murs de la capitale
sont pris d'assaut par les colleurs d'affiches PS et PDS, les autres candidats
ayant peu de place pour "s'afficher". Wade soutient sur son affiche officielle
que "sopi jotna ak PDS" (il est temps de changer avec le PDS),
apparaissant souriant avec Dakar en guise de fond. Quant à Mamadou Diop,
il affirme simplement être "le meilleur choix pour Dakar"
94. Il souligne également sur son affiche
"Diop le maire, la tête de liste du Parti Socialiste" car
contrairement aux autres candidats PS, il a été investi par le
bureau politique. Outre le fait de lui fournir une crédibilité
supplémentaire, cette investiture a pour objectif d'écarter le
tanorien Abdoulaye Mahtar Diop, candidat à la présidence
régionale de Dakar, qui a laissé paraitre son envie de prendre en
main la municipalité.
N'étant pas candidat aux régionales, Mamadou
Diop concentre son action sur la ville de Dakar. Il visite les quartiers,
expose aux habitants ses projets, défend son bilan etc. Les grands
meetings, peu nombreux comparé à 1993, sont quant
à eux assurés par Ousmane Tanor Dieng, qui vient à la fois
soutenir son candidat local et s'affirmer auprès des militants. Les
autres personnalités en lice à Dakar ont plus de mal à
"occuper le terrain", en raison de leur manque de moyens financiers ou de leurs
obligations diverses. En effet, des chefs de parti tels que Abdoulaye Wade ou
Iba der Thiam doivent compenser le manque d'assise de leurs dirigeants dans
certaines régions sénégalaises par leur présence,
leur notoriété nationale assurant à elle seule la
réussite d'un rassemblement. Ils délaissent de ce fait quelque
peu le terrain de la capitale, ce qui a une influence néfaste sur leur
campagne.
Hors de Dakar, la compétition est également
acharnée. Le MSU, le PLP et le RND forment une coalition nationale - le
Boolo Suxali Rewni - pendant que le PDS et le PIT s'allient
à Thiès et Saint-Louis. Hormis le PAI, tous les grands partis
participent à ces élections, ainsi que leurs principaux
leader : Madior Diouf (RND) à Kaolack, Landing Savané
(And Jëf) à Bignona, Ousmane Ngom (PDS) à Saint-Louis,
Aminata Tall (PDS) à Diourbel.
A Thiès, on assiste même à une lutte
entre trois ministres : Ousmane Tanor Dieng (PS), Idrissa Seck (PDS) et Serigne
Diop (PDS-R). Comme à Dakar, ce sont les questions locales qui priment,
et non les conséquences d'une dévaluation dont la population
tarde à ressentir les premiers bienfaits. La situation
casamançaise est aussi laissée de coté durant les
élections. Même si chacun promet de résoudre
définitivement le conflit, personne n'est capable d'apporter des
propositions concrètes pour endiguer le climat de violence dans la
région. Toutefois, l'Etat pense que la décentralisation peut
être une solution politique en elle-même en encourageant le MFDC
à cesser ses actions séparatistes pour jouer pleinement la carte
démocratique et s'immiscer à terme dans le débat politique
pacifiste. Dans une logique d'apaisement, les parachutages en Basse Casamance
sont bannis et les partis tablent sur des casamançais d'origine pour
conduire leur liste : Landing Sané pour le PS, Marcel Bassène
pour le PDS, Landing Savané pour And-Jëf... ou le
général Tavarez de Souza - ancien Chef d'Etat Major des
Armées, mis un temps en prison pour conspiration contre l'Etat en 1989 -
pour le PDS-R.
Le pays vit au rythme des élections durant trois
semaines. Outre les journaux indépendants et les médias d'Etat,
une campagne électorale est pour la première fois au
Sénégal suivie par des "radios libres". Depuis 1994, les radios
privées sont autorisées à émettre et concurrencent
de ce fait la RTS, la radio gouvernementale. En l'espace d'un an, on
en compte déjà six : Dakar FM, Africa n° 1, Dunyaa FM,
RFI, Radio Nostalgie et surtout Sud FM. Cette station de radio
appartient au groupe Sud, qui dirige notamment Sud quotidien,
devenu en une dizaine
94 "Bataille des affiches à Dakar", Le Soleil, 6
novembre 1996.
d'années le journal apolitique de
référence au Sénégal. Sud FM conserve le
même ton que le quotidien est devient rapidement la chaîne de radio
numéro un du pays, loin devant la RTS, au grand dam de l'Etat.
Doté de moyens importants - le groupe Sud fait un chiffre d'affaire
annuel de 200 millions FCFA 95 - Sud FM est bien
implanté à Dakar et bénéficie de multiples relais
à l'intérieur du pays grâce à ses antennes
régionales.
Les émissions thématiques et les débats
de société sont prisés par la population, qui y voit
là un espace de liberté sans aucune limite. Les hommes politiques
interviennent librement, l'actualité est traitée
intégralement etc. Pour toucher l'ensemble de la population, les
émissions radiophoniques sont faites en français, en wolof mais
aussi dans les autres langues sénégalaises suivant les
régions. La vie et l'esprit démocratique entrent ainsi dans
chaque foyer du pays. Car si la presse est libre et non cadenassée
depuis des décennies, elle constitue un luxe dans un pays où plus
de la moitié de la population est analphabète.
En ayant favorisé l'émergence de ces radios,
Abdou Diouf améliore un peu plus la démocratie qu'il
façonne depuis une quinzaine d'années. Toutefois, certaines
contradictions au Sénégal demeurent. Par exemple, la redevance
annuelle payée par les radios privées n'est pas reversée
à l'Etat mais directement à... la RTS 96.
En dépit de cette absurdité, les radios ont une
marge de manoeuvre assez large pour traiter la campagne électorale de
1996. Sud FM accorde une grande attention aux scrutins. La radio suit
les meetings, va à la rencontre des hommes politiques, organise
des débats et met en place une soirée spéciale le jour du
vote, le 24 novembre 1996. Pour récupérer des auditeurs, la
RTS doit être à la hauteur et abandonner quelque peu son
ton pro-gouvernemental. Elle élabore ainsi des programmes similaires
à ceux de Sud FM.
Les autres radios sont plus distantes, sans totalement
ignorer la campagne régionale et municipale. Radio Nostalgie,
à l'instar de la maison mère française, est avant
tout spécialisée dans la musique : elle ne propose donc que des
communiqués laconiques et n'offre le 24 novembre que la divulgation des
résultats heure par heure. Enfin, Dunyaa FM vend des plages
horaires aux partis pour que les meetings soient retransmis en direct.
Seul le PS répond à l'offre, le PDS boycottant ce
procédé mercantile. Excepté "cet effort", Dunyaa
ne suit que très modérément les élections
97.
Les radios nouvellement crées pimentent ainsi la
campagne et démocratisent la vie et les débats politiques. Les
chaînes les plus investies, notamment Sud FM, déploient
de nombreux journalistes le jour des élections. Ils communiquent
à leur rédaction en temps réel les résultats des
bureaux de vote dès que ces derniers tombent, rendant de ce fait toute
manipulation électorale périlleuse. En 1996, né
véritablement au Sénégal le pouvoir des médias, ce
dont Abdoulaye Wade se sert pour contester la validité des
élections... avant même le lancement de la campagne officielle.
3.4. Une confiance rompue :
Le Soleil du 28 octobre 1996 publie un article
intitulé "Wade crie à la fraude". Le ministre d'Etat
interpelle Abdou Diouf suite à la découverte d'un stock d'un
million de cartes d'électeur
95 "Sud FM scrute l'horizon des ondes", Le Soleil, 27
juin 1995.
96 En 1997, Sud FM, Dunyaa et Nostalgie ne
paient pas cette redevance, la jugeant injuste. Le ministère de la
Communication fait alors purement et simplement fermer la fréquence de
ces radios pour... trois mois. Les fréquences sont toutefois rapidement
réouvertes, après que les radios aient décidé de
payer. Voir Le Soleil du 10 et 17 août 1997.
97 "Quand les radios font campagne", Le Soleil, 14
novembre 1996.
et d'identité vierges. Le chef de l'opposition n'est
pas un néophyte de ce genre de déclaration, mais contrairement
aux fois précédentes, le pouvoir ne nie pas. En effet, Wade donne
le nom de la société espagnole incriminée et des
détails qui crédibilisent ses accusations 98 . Ces
dernières sont si fondées que le pouvoir est forcé
d'admettre qu'il existe bel et bien un stock de cartes vierges, dont
l'existence a été plus ou moins cachée. C'est
laborieusement que le gouvernement trouve une explication pour justifier ce
secret. Il doit toutefois, devant la pression des médias, faire
brûler... 555 216 documents la veille des élections, en
présence d'un observateur du PDS 99. Les
libéraux jubilent, même s'ils affirment qu'il existe encore un
autre stock de 300 000 documents "oubliés". Cette affaire porte un coup
terrible au PS, puisque c'est la première fois de façon
officielle que les socialistes reconnaissent la véracité d'une
accusation portée par le PDS.
La crédibilité du scrutin est
définitivement laminée le jour du vote étant donné
que l'on constate dans une centaine de bureaux dakarois l'absence d'isoloirs,
de bulletins de partis d'opposition ou même... d'urnes. Les votes sont
dans certains bureaux prolongés jusqu'à minuit tandis que pour 85
bureaux et 32 681 électeurs, on repousse la consultation... au mercredi
suivant. L'opposition crie au scandale. Le PDS, qui sait que les
premières estimations lui sont défavorables, demande l'annulation
pure et simple de l'élection. Au contraire, And Jëf, fort de ses
très bons résultats en Basse-Casamance, ne prône que des
annulations au cas par cas 100.
L'annonce des résultats confirme les premières
tendances. Le PS l'emporte très largement, reprend Dakar et
Thiès, dispose de la majorité dans 300 communautés rurales
sur 320, dans 56 communes sur 60 et dans la totalité des 10
régions sénégalaises. Le PDS ne l'emporte que dans
quelques mairies d'arrondissement dakaroises et dans des communes
casamançaises (Vélingara, Goudamp et Sédhiou) bien souvent
avec l'aide... de dissidents socialistes. Néanmoins, les libéraux
remportent une victoire symbolique à Dagana, seule ville "nordiste"
conquise et commune natale du Premier ministre Habib Thiam. Quant à And
Jëf, il obtient de très bons résultats. Il s'affirme comme
le troisième parti sénégalais, avec un score national
audessus de 11 %.
Alors qu'Ousmane Tanor Dieng parle "d'hégémonie
socialiste", l'opposition, d'une voix unique, dénonce "la pagaille,
l'anarchie et les irrégularités" 101.
Même s'ils n'ont pas gagné, les opposants ont souvent mis
à mal les socialistes : Abdoulaye Wade fait 3 6,09 % à Dakar ;
Landing Savané 34,85 % à Bignona ; Idrissa Seck 40,52% à
Thiès ; Ousmane Ngom 28,41% à Saint-Louis 102 . Si ces
résultats sont le plus souvent en deçà des scores
réalisés en 1993, ils permettent toutefois à l'opposition
d'intégrer en masse les conseils municipaux et régionaux.
Le monocolorisme socialiste est bel et bien enterré,
comme par exemple au conseil régional de Dakar :
- PS : 47 conseillers régionaux
- PDS : 11 conseillers régionaux
- And Jëf : 2 conseillers régionaux
- LD/MPT : 1 conseiller régional
- CDP/Garab-Gui : 1 conseiller régional
98 "Cartes électorales vierges : Wade apporte des
précisions", Le Soleil, 19 novembre 1996.
99 "555 216 documents brûlés aux Mamelles",
Le Soleil, 24 novembre 1996.
100 Le Soleil, 26 novembre 1996.
101 "Résultats contestés", Le Soleil, 1er
décembre 1996. 102 "Le PS rafle la mise", Le Soleil, 1er
décembre 1996.
Ce pluralisme est plus net si on dénombre l'ensemble des
conseillers municipaux élus dans la région dakaroise :
- PS : 419 conseillers municipaux
- PDS : 78 conseillers municipaux
- And Jëf : 14 conseillers municipaux
- LD/MPT : 7 conseillers municipaux
- CDP/Garab-Gui : 2 conseillers municipaux
- BCG : 1 conseiller municipal
- BSR : 1 conseiller municipal
Quand bien même les opposants ne représentent
que 20 % des conseillers municipaux dakarois, ils participent à
présent aux débats et à la vie politique locale, ce qui
n'était plus le cas depuis le premier boycott de 1984. La
majorité des grands leaders politiques qui se sont
présentés ont été élus conseillers
municipaux ou régionaux (c'est le cas d'Iba der Thiam, Jean-Paul Dias,
Amath Dansokho, Idrissa Seck). Toutefois, la plupart refusent de siéger,
comme Abdoulaye Wade au conseil régional de Dakar.
Le "deuxième tour" de ces élections a lieu lors
de l'installation des maires. On assiste dans certaines localités
à de farouches empoignades. On lit dans Le Soleil du 1er
janvier 1997 que l'intronisation du maire de Thiadiaye tourne à
l'émeute, suite à l'élection d'Abdoulaye Niakar Niane face
au candidat socialiste initialement prévu, Souleymane Diène. Le
journaliste écrit que "les partisans de ce dernier (...) ce sont mis
en colère en renversant les tables et les chaises et en s'attaquant
à la mission officielle (...) le préfet a échappé
au lynchage". Cet exemple n'est pas un cas isolé, loin s'en faut.
L'anarchie prédomine, le PS étant incapable d'imposer ses propres
candidats. Les enjeux financiers sont considérables et chaque
prétendant socialiste est prêt à tout pour obtenir la
magistrature, quitte à s'allier avec des libéraux. Ainsi,
l'ancien ministre socialiste Balla Moussa Daffé passe en pleine
élection dans le camp libéral et fait gagner le PDS à
Sédhiou, la même chose arrivant dans la mairie d'arrondissement
des Parcelles Assainies à Dakar avec Tété Diédhiou.
Ces transhumances sont exploitées par Abdoulaye Wade. Il n'hésite
pas à s'afficher avec les deux frondeurs en conférence de presse
quelques jours après le scrutin 103.
L'attitude wadiste crispe les socialistes, d'autant plus
qu'Ousmane Ngom multiplie les diatribes à l'égard de
l'organisation des élections. Il résume en quelques points les
principaux problèmes constatés lors du scrutin : rétention
de cartes de l'opposition ; ouverture tardive des bureaux de vote ;
insuffisance de bulletins de l'opposition ; distribution par les socialistes de
certificats de conformité vierges ; présence de présidents
de bureaux de vote imposés par les socialistes ; acheminement de
procès verbaux par la gouvernance à la commission de recensements
des votes etc.104 Le témoignage de Ngom est corroboré
par le rapport d'une organisation non gouvernementale, la RADDHO, qui dresse un
portrait peu élogieux du scrutin de 1996.
"Les faux pas, la désorganisation, voire le chaos
qui ont marqué cette échéance électorale laissent
un goût amer à celles et à ceux qui rêvent de
démocratie. La pagaille a particulièrement régné
à Dakar : mauvaise distribution des cartes électorales,
démarrage tardif ou carrément non-fonctionnement de nombreux
bureaux de vote, non-respect de la loi électorale etc." 105
Les contestations sont nombreuses : 115 requêtes sont
déposées auprès de la Cour d'appel. Le
103 "Me Wade : pas de contentieux global", Le Soleil, 5
décembre 1996.
104 "St-Louis : l'opposition se ligue pour contester les
résultats officiels", Le Soleil, 27 novembre 1996. 105 Collectif
"Survie", "France-Sénégal : une vitrine craquelée",
Paris Montréal, l'Harmattan, 1997.
PDS est à l'origine de 43 requêtes d'annulation
partielle des élections et le PS de 29. Seules... 10 sont entendues. Les
partis d'opposition jugent alors que ni la justice, ni l'administration n'ont
pour ambition de mettre fin aux blocages récurrents initiés par
les socialistes.
Le PDS et la LD/MPT décident donc d'appuyer fortement
la requête d'And Jëf, du RND et du CDP/Garab-Gui, qui militent
depuis plusieurs mois pour l'instauration d'une Commission Electorale Nationale
Indépendante (CENI). Celle-ci permettrait d'écarter
l'administration des procédures électorales. Ce revirement des
partis gouvernementaux favorise l'élaboration d'un nouveau front de
l'opposition. Rassurés durant la campagne par les prises de position de
Wade et Bathily, And Jëf, le RND et la CDP ne voient plus la participation
gouvernementale comme un obstacle à une entente.
Même si une partie de la base libérale
réclame le départ des ministres PDS du
gouvernement106, Abdoulaye Wade sait qu'il peut à
présent jouer ouvertement un double jeu. Sa popularité oblige
Diouf à composer avec lui et les autres partis d'opposition ont besoin
de sa personne pour faire plier le PS au sujet de la CENI. Le rapport de force
commence donc à s'inverser après 1997. Lentement, Wade
bâtit un front du refus uni alors que le PS s'enfonce peu à peu
dans une crise irréversible, bien mal dissimulée par ce
succès électoral.
Nonobstant les problèmes post-électoraux, ces
élections régionales et municipales ont montré des signes
d'amélioration du débat et de la vie démocratique dans le
pays. La grande dose de proportionnelle a favorisé une "multicoloration"
des conseils municipaux et régionaux ; les problèmes locaux ont
été mis sur le devant de la scène durant la campagne ; la
presse et la radio ont joué leur rôle de contrepouvoir etc. De
plus, en dépit du taux de participation extrêmement faible de ces
élections - à peine plus de 35% de participation à Dakar -
la vie politique locale est redevenue un enjeu grâce à la
décentralisation : on considère donc qu'il s'agit là d'un
succès politique. Il n'en va pas de même sur le plan
économique car les moyens financiers mis à la disposition des
élus se révèlent rapidement très insuffisants : les
régions sont incapables de faire face aux compétences qui leur
ont été transférées. Ainsi, l'Etat conserve touj
ours de fait après 1996 la quasi-totalité des compétences
qu'il était censé léguer aux régions
107.
Par conséquent, la décentralisation est un
semi-échec pour Abdou Diouf. Le chef de l'Etat est de surcroît
confronté après les élections au mécontent de
l'opposition. En jugeant le 31 décembre 1996 "regrettables certaines
défaillances dans l'organisation du scrutin" 108 , le
Président entame un processus qui l'amène rapidement à se
démarquer du PS et à débuter des discussions avec "le
collectif des 19" quant à la possibilité d'instaurer une CENI.
Abdou Diouf prend alors la posture d'un Président consensuel.
4. Abdou Diouf : un Président consensuel ? :
4.1. "La CENI sinon rien" :
Suite au 24 novembre 1996, l'opposition forme le "collectif
des 19", qui compte dans ses rangs le PDS, la LD/MPT et And Jëf. Le
collectif réclame la mise en place d'une CENI, faute de quoi, il promet
de faire une campagne internationale pour demander l'arrêt des aides
économiques au gouvernement socialiste.
En position de force après les élections de
novembre 1996, le PS n'est pas prêt à négocier. En
106 "Les cadres du PDS demandent le départ des
libéraux", Le Soleil, 1er janvier 1997
107 André Payenne, "Les douze travaux d'Abdou Diouf
", Jeune Afrique, 15 juin 1999. 108 "Le défi de la
démocratie locale est lancé", Le Soleil, 2 janvier 1997.
effet, les enjeux sont importants. L'acceptation d'une CENI
reviendrait à mettre hors-jeu l'administration lors des
élections. Or, le PS ne tient pas à se priver d'un des rouages
essentiels de sa "machine électorale". C'est pourquoi les socialistes
tiennent un discours particulièrement
virulent à l'encontre de la commission, affirmant
notamment "que la CENI est une source de calamité pire que le SIDA"
109.
La situation est bloquée entre un PS "conservateur" et
une opposition prête à tout pour que la CENI voie le jour. "Le
collectif des 19" fait alors appel au chef de l'Etat pour qu'il intervienne
personnellement dans ce dossier. Les opposants envoient une lettre au
Président le 16 janvier 1997, dans laquelle ils réclament
l'instauration "d'élections libres, transparentes et
démocratiques ". En guise de réponse, Abdou Diouf s'engage
à faire le nécessaire pour réunir autour d'une même
table socialistes et opposants. Le chef de l'Etat crée ainsi une
commission cellulaire de concertation chargée de mener la
concertation. Celle-ci est composée d'experts et dirigée par
Ibou Diaité, doyen de la faculté de science-juridique de Dakar.
Deux objectifs principaux sont définis par le décret
présidentiel instituant la commission :
- "Procéder à l'évaluation objective du
déroulement des élections du 24 novembre 1996, de l'inscription
sur les listes électorales à la proclamation des résultats
définitifs"
- "Situer les insuffisances ou manquements
constatés dans l'organisation du scrutin et proposer, sur la base du
code électoral et de tout autre texte pertinent dans le cadre des
institutions de la République, toutes les mesures de sauvegarde de
contrôle et de corrections nécessaires". 110
Le Président va donc à l'encontre de son propre
parti, puisqu'il remet en cause implicitement la bonne tenue du dernier scrutin
et exprime la nécessité de négocier avec l'opposition. En
se démarquant de la position socialiste, Abdou Diouf s'assure de ne pas
subir de critiques en cas d'échec de la conciliation. Les multiples
réactions qui suivent sa décision confirment qu'il a fait le bon
choix, comme le montrent les propos d'Abdoulaye Wade :
"Abdou Diouf est un homme intelligent. J'aurais
souhaité avoir des gens intelligents en face de moi, c'est à dire
comme on dit en wolof, des gens qui comprennent des choses qu 'on ne leur dit
pas, qui sachent jusqu 'où ne pas aller trop loin, qui sachent que je
fais des sacrifices et qui ne cherchent pas à me marcher sur les pieds.
Tant qu 'on le fera, j 'accepterai bien d'autres sacrifices qui surprendraient
beaucoup de personnes. Heureusement que Diouf le sait" 111.
La position dioufiste dans cette affaire est la
conséquence de la nouvelle orientation que le Président a
donnée à sa fonction depuis la réinstauration de la
Primature en 1991. Le Président de la République ne centralise
plus tous les dossiers comme au temps des années 1980. De plus, sa
fonction n'est plus assimilée à un parti ou à un camp. Le
chef de l'Etat n'intervient plus dans la vie politique partisane et ne fait que
s'occuper des questions extérieures, de la défense nationale, des
grands dossiers économiques etc. En prenant une certaine distance, en
étant "au-dessus de la mêlée", Abdou Diouf se
considère, et est considéré, comme le garant des
intérêts communs. C'est pourquoi le chef de l'Etat fait figure
pour l'opposition d'interlocuteur fiable. C'est en ce sens qu'il faut
comprendre la déclaration du "collectif des 19" du mois de mars 1997
:
"le Président de la République, en tant qu
'institution, est interpellé par l'histoire (...) il dépend de
lui et de lui seul que cette question (de la CENI) aboutisse et nous
évite des violences préjudiciables à la libre expression
de la souveraineté populaire, à la stabilité sociale,
à la paix civile, à l'autorité et à la
crédibilité des institutions de
109 "Les socialistes font la paix", Le Soleil, 3
août 1997.
110 "La longue marche de la concertation", Le Soleil,
12 août 1997. 111 "L'opposition renonce au voyage", Le Soleil,
11 février 1997.
la République" 112.
En dépit de la médiation présidentielle,
l'opposition et le PS ont bien du mal à parvenir à un accord.
Abdoulaye Wade et ses alliés demandent que soit inscrit dans la
Constitution que "la Commission Electorale Nationale Indépendante
ait l'autorité exclusive chargée de la préparation, de
l'organisation, de la supervision et du contrôle de toute élection
et de tout référendum" 113 . Ils souhaitent aussi que la
CENI soit administrée par des gens reconnus pour leur
intégrité morale et qu'en soit exclue toute personne
suspectée d'avoir un lien plus ou moins proche avec le pouvoir. Pour
s'as surer de leur honorabilité, "le collectif de 19" exige enfin que
chaque membre de la CENI prête serment devant le Conseil
constitutionnel.
Le PS n'écoute aucun des arguments de l'opposition. Il
refuse de négocier, en dépit du nombre de partis favorables
à l'instauration de la CENI sous cette forme (23 partis sur 25 partis
reconnus par le pouvoir sénégalais). La rupture est
inévitable, et l'opposition, exigeant "la CENI sinon rien", quitte
définitivement la table des négociations le 9 mai 1997. Devant le
risque d'une campagne d'information du "collectif des 19" à
l'étranger, le chef de l'Etat décide de dénouer
lui-même la crise.
Il reçoit en audience les différents acteurs de
ce conflit politique. L'opposition, via son porteparole Iba der Thiam, se
reconnaît dans la démarche du "gardien de la Constitution"
et déclare avoir "les mêmes valeurs de la
République, de la démocratie, de la promotion des droits de
l'homme et de la transparence des élections dans une administration
neutre et impartiale" que le Président 114 . Ousmane Tanor Dieng,
reçu lui aussi officiellement au palais, affirme devant Diouf que la
CENI est à ses yeux "anti-démocratique car elle
prétend regrouper les pouvoirs, tous les pouvoirs de l'Etat en excluant
l'Etat" 115.
Il apparaît assez clairement que la position
présidentielle est plus proche de celle... de l'opposition que de celle
de son propre parti. Toutefois, le chef de l'Etat ne peut se permettre
d'infliger à Tanor Dieng l'humiliation de créer une institution
que le PS combat depuis plus d'un an. "L'arbitre au-dessus de la
mêlée" doit ainsi satisfaire les uns (l'opposition) sans
profondément vexer les autres (les socialistes). Adepte du consensus, il
propose le 11 août 1997 non pas une CENI mais un Observatoire National
des Elections (ONEL). Il a de ce fait écouté la revendication
socialiste, en n'excluant du processus électoral ni l'administration,
chargée d'organiser l'élection, ni la Cour d'appel,
chargée de prononcer la régularité du scrutin. L'ONEL a
donc un pouvoir de supervision et de contrôle du "processus
électoral dans toutes ses phases", mais ne dispose d'aucun moyen de
sanctionner. Le communiqué présidentiel insiste sur le fait que
les membres qui composent l'ONEL seront tous "des défenseurs des
droits de l'homme" 116.
L'ONEL peut apparaître à première vue
comme une sous-CENI. Cependant, l'observatoire est doté d'importants
relais départementaux et régionaux, ce qui lui assure une
présence sur l'ensemble du territoire. En outre, on a constaté
avec l'affaire des cartes espagnoles révélées par
Abdoulaye Wade que la dénonciation seule est un moyen assez efficace
pour faire plier le gouvernement.
En laissant certaines prérogatives à
l'administration et en ne donnant pas de moyens trop importants à
l'ONEL, Abdou Diouf souhaite s'assurer le ralliement sans condition du PS
tout
112 "Les 19 : il dépend du Président... ",
Le Soleil, 4 mars 1997.
113 "Le collectif des 19 présente son projet de
CENI", Le Soleil, 23 avril 1997.
114 "Concertation "les 19" plus optimistes après
l'audience du chef de l'Etat", Le Soleil, 17 juin 1997.
115 "Le PS rej ette sans nuance la CENI : la position
socialiste réaffirmer devant le Président de la
République", Le Soleil, 18 juin 1997.
116 "Un Observatoire Nationale des Elections", Le
Soleil, 12 août 1997.
en ne décevant pas l'opposition. Ceci apparaît
dans la lettre qu'il adresse à l'ensemble des partis : "je suis
convaincu que ces différentes initiatives prises dans le seul
intérêt de la démocratie de notre pays emporteront
l'adhésion des partis" 117.
Le ton modéré et l'attitude consensuelle du
chef de l'Etat emportent bel et bien l'adhésion de la totalité
des formations, PIT et And Jëf exceptés. Abdoulaye Wade se
déclare notamment satisfait, "sous réserves de quelques
insuffisances à corriger" 118.
C'est donc sans réelles difficultés que l'ONEL
est adoptée par l'Assemblée nationale, après 7 heures de
débats : 101 députés votent pour et seulement 3 contre
(les députés du PIT et d'And Jëf). Si le jour du vote,
Landing Savané parle de "compromis boiteux", Abdoulaye Wade
utilise la métaphore suivante pour définir la nouvelle
institution : "l'ONEL est le frère jumeau de la CENI, comme Adam
l'était à Eve" 119 . Un général à la
retraite, Mamadou Niang, est nommé quelques jours plus tard à sa
tête. Ce choix ravit l'ensemble de la classe politique, l'armée
sénégalaise ayant pour réputation d'être
composée de gens intègres et républicains.
Le fondateur du PDS tente après la création de
l'ONEL de maintenir en vie le cadre du "collectif des 19". Il veut donner comme
nouvel objectif au rassemblement la lutte pour la conquête du pouvoir.
Pour séduire les partis d'opposition indécis, le ministre d'Etat
promet dans son programme d'union l'instauration après l'alternance
politique "d'un contrat politique et social et une nouvelle gouvernance ",
plus équilibrée et centrée sur la vie parlementaire.
"Le front pour l'alternance" est alors crée mais mis à part le
PDS, le nouveau cadre n'attire que des formations mineures telles que le CDS,
le RND, l'UDF/M ou l'ADS. And Jëf refuse de l'intégrer, Landing
Savané doutant de la fiabilité wadiste depuis l'échec du
Bokk Sopi en 1995. Au demeurant, le parti marxiste reste sur un
excellent score national aux élections de 1996. Il s'estime donc assez
représentatif pour partir seul aux prochaines législatives. C'est
pourquoi And Jëf reprend une attitude de défiance à
l'égard de son "ami-adversaire" libéral, recondamnant en
septembre 1997 l'entrisme et "la mendicité démocratique"
120.
Par la voie consensuelle, Abdou Diouf a une fois de plus
réussi à désorganiser l'opposition et à faire voler
en éclats l'alliance PDS-And Jëf. Toutefois, le succès
dioufiste est vite occulté par les difficultés que rencontre le
PS. Bien que se déclarant au-dessus des partis, le chef de l'Etat est
appelé à arbitrer la lutte fratricide qui oppose Ousmane Tanor
Dieng à Djibo Kâ.
4.2. La crise rénovatrice :
Après les élections de 1996, les contemporains
pensent que Tanor Dieng à la possibilité de s'imposer
définitivement à la tête du parti. En effet, il n'est plus
une personne parachutée par Abdou Diouf mais l'homme qui a su par sa
stratégie reconquérir Dakar et les grands centres urbains. Sur la
lancée de ses déclarations de campagne, le premier
secrétaire général socialiste continue à être
au centre des polémiques en proposant la fin du quart-bloquant - qui
empêche un candidat à la présidentielle de gagner au
premier tour s'il n'a pas le quart des voix des inscrits - la suppression de la
limitation des mandats présidentiels et le retour à la
parité scrutin majoritaire -scrutin proportionnel pour les
élections législatives de 1998 121 . Les propositions tanoriennes
remettent donc en cause certains principes du code électoral
117 "La lettre du Président aux partis", Le
Soleil, 12 août 1997.
118 "ONEL : les 19 divisés", Le Soleil, 18
août 1997.
119 "101 députés pour, 3 contre (AJ et PIT) :
l'ONEL est adoptée", Le Soleil, 29 août 1997.
120 "And Jëf quitte le collectif des 19", Le
Soleil, 4 septembre 1997.
121 "Front de l'alternance : Me Wade appelle au respect des
textes", Le Soleil, 24 novembre 1997.
consensuel de 1992. Si le ministre d'Etat prend le risque de
grandement heurter l'opposition, c'est certainement qu'il s'estime être
suffisamment soutenu par son parti et le chef de l'Etat.
En effet, "un vent d'unité" souffle sur le PS
d'après la propagande gouvernementale 122 . Toute la machine socialiste
est derrière le premier secrétaire général,
notamment lors de son
opposition à la création d'une CENI. Fort de cet
appui, Ousmane Tanor Dieng multiplie les discours et les interviews
à la gloire de son parti et de Diouf, qu'il considère comme
"son
maître, son père spirituel". En 1997, il
estime que lui et le chef de l'Etat forment les deux faces d'une même
médaille 123.
Rassuré par le consensus trouvé par Diouf autour
de l'ONEL, Tanor Dieng pense connaître une période faste lorsque
le dissident Balla Moussa Daffé, maire de Sédhiou, revient dans
le
giron socialiste en octobre 1997. Néanmoins, l'agitation
rénovatrice, palpable depuis 1993, vient briser ce tableau idyllique.
Dans un premier temps, Le Soleil ne relate pas les
agissements des rénovateurs. C'est de façon
contournée que le quotidien évoque pour la
première fois un affaiblissement du PS. Il publie le 19 octobre 1997 un
article intitulé : "Ousmane Tanor Dieng appelle à la
cohésion" :
"si notre parti tire sa vitalité et sa force de la
permanence du débat en son sein, la démocratie interne, comme
toute démocratie, a des règles auxquelles elle doit obéir.
Amis, les orientations sanctionnées majoritairement par les militants
deviennent les orientations pour tous. Chacun doit s'estimer tenu par cette
obligation fondamentale, car ce devoir élémentaire de
clarté et de cohésion est la clé de notre cohésion.
Et puis, nous devons savoir que tous ce qui affaiblit le parti, affaiblit le
Président du parti, qui en est le socle, l'âme, l'inspirateur.
Nous devons aussi savoir que le Président le sait".
Le 19 octobre 1997, le PS reconnaît donc officiellement
l'existence d'un problème en son sein.
Le jour de parution de l'article n'est pas un hasard, puisque
c'est à partir de cette date que débute ouvertement l'opposition
entre conservateurs et rénovateurs. Dès le 24 octobre 1997,
Le Soleil identifie clairement les têtes
pensantes de la Rénovation. Trois personnalités se
dégagent : Mbaye Diouf, vice-président à
l'Assemblée nationale, Abdourahmane Touré,
ancien ministre et surtout Djibo Kâ, dont le nom
apparaît pour la première fois dans les colonnes du Soleil
depuis son évincement du gouvernement en 1995.
Pourquoi Le Soleil traite-t-il subitement une
information qu'il a cherchée à étouffer pendant
plusieurs mois, voire plusieurs années ? Il semble que le
journal ne fasse que répondre aux exigences des conservateurs qui
désirent "dévoiler" l'ennemi pour lui mener à partir
d'octobre
1997 une véritable guerre ouverte.
Les tanoriens ne font finalement que répondre aux
rénovateurs qui ont déjà employé
"l'artillerie médiatique" en publiant dans le journal
sénégalais Wal Fadjri un article intitulé
"Contribution sur l'ONEL et l'unité du parti" le 27 août
1997. Rédigé par Mbaye Diouf, le
Renouveau menace de présenter une liste aux
législatives si le courant n'est pas pris en compte, les personnes
ralliées à Djibo Kâ étant "des gens d'honneur qu
'il faut retenir à temps car ne sachant pas reculer" 124 . Si ces
derniers menacent de se scinder du PS tanorien, ils
"sont prêts à se mettre en réserve du PS
tout en restant attachés au Président Abdou Diouf".
Cet attachement au Président de la République est
réitéré dans un second article, touj ours publié
dans Wal Fadjri, daté du 13 octobre 1997.
C'est donc cette pression médiatique ascendante qui
pousse le PS à sortir de sa réserve. Dès le
122 "Vent d'unité socialiste à Saint-Louis",
Le Soleil, 21 juillet 1997.
123 "Démonstration PS à Saint-Louis : la force
sereine", Le Soleil, 1er décembre 1997. 124 "Rencontre avec le
Renouveau", Le Soleil, 24 octobre 1997.
26 octobre 1997, un premier pamphlet est publié dans
Le Soleil à l'encontre du Renouveau. Défini comme un
"groupe réduit et assez insignifiant dont la plupart sont loin de
correspondre avec le profil qu'ils cherchent à se donner", le
courant rénovateur est résumé par les attaques socialistes
à la seule personne de Djibo Kâ, assimilée "aux
années sombres" du parti gouvernemental : "les
Sénégalais ont la mémoire longue. Ils savent que plusieurs
parmi ces personnages ont incarné dans le passé, et jusqu'au
dernier congrès du PS, tout ce que les citoyens de notre pays
stigmatisaient et rej etaient au niveau de la formation socialiste"
La propagande gouvernementale oppose Ousmane Tanor Dieng,
l'homme de l'unité et de la démocratie, à Djibo Kâ,
le frondeur et l'homme du passé. Elle récupère de ce fait
les propres arguments des rénovateurs pour les retourner contre "le
courant de la rancoeur". Il s'agit donc bien, comme le reconnaît
d'ailleurs l'article du 26 octobre 1997, d'une lutte de clan et non d'une lutte
idéologique, puisque les deux leaders s'affilient au même
parti (le PS), aux mêmes personnes (Abdou Diouf et Léopold
Sédar Senghor) et revendiquent le même poste (premier
secrétaire général du PS). Ousmane Tanor Dieng, refuse
ainsi de reconnaître les rénovateurs, de tenir un nouveau
congrès socialiste extraordinaire et d'accorder des places au sein du
bureau politique aux frondeurs.
La situation étant bloquée, Djibo Kâ
appelle "le fédérateur des divergences", Abdou Diouf,
à venir régler la question, avec certainement le secret espoir
que le chef de l'Etat va agir comme il l'avait fait avec Jean Collin en 1990.
Kâ omet néanmoins un facteur important : contrairement à
Collin, c'est Abdou Diouf lui-même qui a favorisé l'ascension
d'Ousmane Tanor Dieng au détriment... de Djibo Kâ. Le destituer
reviendrait donc pour Diouf à se désavouer.
Jugeant mal l'ampleur de la fronde, et poursuivant une
logique menée depuis le limogeage de Kâ en 1995, le
Président apporte un soutien appuyé à Tanor Dieng. Il
affirme alors : "il n'est pas question d'accepter ou de constater un
courant, c'est le plus sûr moyen de faire éclater le parti" 125
. Cette désapprobation sonne le glas des ambitions de Kâ au
PS. Sans l'appui d'Abdou Diouf, l'ancien ministre n'a qu'une alternative
à un retour au mutisme : la scission avec le parti gouvernemental. C'est
ce à quoi Abdoulaye Wade l'encourage, lui qui se rappelle avec une
certaine aigreur le rôle joué par les socialistes dans l'agitation
que connu son parti au milieu des années 1980. Le fondateur du PDS pense
que la formation d'une liste dissidente PS affaiblirait considérablement
le parti au pouvoir et pourrait être la base d'une possible alternance
politique soit en 1998, soit en 2000.
Le ministre d'Etat se satisfait donc de voir durant les trois
derniers mois de l'année 1997 les rapports entre Kâ et le PS se
dégrader considérablement. En novembre, 11 membres reconnus comme
appartenant à la Rénovation sont suspendus de leur fonction au
sein du parti. Djibo Kâ, alors banni des réunions du comité
central, émet le souhait de rencontrer des hauts dirigeants socialistes
français pour leur expliquer sa situation et obtenir d'eux un appui
explicite. Sentant le danger d'une telle démarche, le pouvoir
décide de réagir. Djibo Kâ est convoqué non pas par
le PS mais par... le ministère de l'intérieur, sous
prétexte que les actions rénovatrices sont des causes de
perturbation de l'ordre public. On lui interdit alors un temps toute sortie du
territoire 126.
Etant victime de "la machine à répression
de l'Etat", le courant rénovateur accroît sa
popularité auprès de la base socialiste et de l'opposition,
celle-ci dénonçant les procédés anti-
125 "Renouveau : Abdou Diouf désapprouve et
condamne", Le Soleil, 9 novembre 1997.
126 Le Soleil, 4 décembre 1997.
démocratiques et anti-républicains des
socialistes. Cette affaire discrédite par conséquent Ousmane
Tanor Dieng qui se présentait jusqu'alors comme un homme de dialogue et
d'unité. Djibo Kâ profite de l'affaiblissement de son rival pour
se démarquer des pratiques socialistes et faire son mea culpa : "nul
n'est parfait et maintenant, je sais que l'homme est le remède
de
l'homme (...) Je m'excuse d'avoir brisé des vies ou
des carrières politiques quand j'étais au Parti Socialiste"
127.
L'ancien ministre se lave ainsi de son passé et peut
dorénavant représenter une véritable alternative au PS
pour les législatives de 1998. La rupture avec Abdou Diouf est
également consommée lorsqu'au conseil national socialiste de mars
1998, le chef de l'Etat emploie le terme "d'adversaires" pour désigner
les rénovateurs :
"nos adversaires voudraient faire de moi un
Président désincarné, introuvable, perdu dans les cieux
(...) qu 'ils se détrompent. L'instrument de ma réélection
à la tête du pays, c'est le Parti Socialiste, mon parti. Mon
meilleur soutient, c 'est le PS. Ma famille politique, c 'est le PS. Que l'on
ne compte pas sur moi pour scier la branche sur laquelle je suis assis (...)
Ils se réclament du PS et de son Président. S'ils veulent m
'obéir, me faire plaisir, je leur demande de réintégrer
nos instances et de venir travailler en leur sein (...) Après avoir dit
cela, j'ai la conviction maintenant que toute les ambiguïtés ont
été levées" 128.
Appelé à arbitrer le conflit Tanor Dieng -
Kâ, Abdou Diouf a clairement choisi son camp. Adepte de la "main tendue"
et du consensus avec l'opposition, le Président confirme qu'en ce qui
concerne la direction du PS, il est beaucoup moins enclin au dialogue et
à la négociation. Comme en 1984 ou 1990, il n'a pas
hésité à trancher seul pour ramener la quiétude au
sein de la formation gouvernementale. Mais contrairement aux "barons" ou
à Jean Collin, Djibo Kâ a une ambition politique personnelle.
Négligeant cet aspect de la personnalité de son ancien ministre,
Abdou Diouf croit certainement qu'en confirmant Ousmane Tanor Dieng à la
tête du PS, le courant rénovateur va de lui-même rentrer
tôt ou tard dans le rang, sans imaginer que Kâ et ses compagnons
puissent se rapprocher de la sphère d'influence wadiste.
Pourtant, en avril 1998, Djibo Kâ démissionne du
PS, s'allie à des formations d'extrême gauche - le Mouvement de la
Gauche Démocratique de Samba Diouldé Thiam, l'Union pour le
Socialisme et la Démocratie de Doudou Sarr et l'Alliance pour le
Progrès et la Justice de Talla Sylla - et se présente aux
élections législatives.
Scindé, le PS aborde cette échéance
électorale dans une position délicate, d'autant plus que les
désaccords avec le PDS se multiplient. C'est donc en toute logique que
le début de l'année 1998 voit le départ des ministres
libéraux du gouvernement.
5. Les élections législatives de 1998
:
5.1. Le départ des ministres PDS :
Depuis les premières déclarations tanoriennes
concernant une possible réforme du code électoral, les rapports
entre le PS et le PDS se sont considérablement
détériorés. Seule la bonne entente entre Abdou Diouf et
Abdoulaye Wade maintient un semblant d'unité au gouvernement. Celui-ci
vacille un peu plus lorsqu' au mois de janvier 1998, le ministre de l'Economie
et des Finances, Ousmane Sakho démissionne. Il est remplacé dans
ses fonctions par son ancien adjoint, Lamine Loum.
Ce départ surprend puisque Ousmane Sakho,
réputé pour son orthodoxie financière, est
127 "Le Renouveau ira aux élections", Le Soleil,
25 décembre 1997.
128 "Conseil national du PS : clarification", Le
Soleil, 16 mars 1998.
populaire auprès des bailleurs de fonds internationaux
depuis la dévaluation. Il a en effet
encouragé le Sénégal à se
réformer et à définitivement abandonner les vieux
principes économiques senghoriens. Si les bulletins gouvernementaux
présentent cette démission
comme "un choix personnel" du ministre, Abdoulaye Wade contredit
la version officielle et donne les vraies raisons de ce départ. Ces
révélations n'ont pour seul but que d'affaiblir le
Premier ministre.
Le ministre d'Etat explique que Sakho n'a pas supporté
de devoir piocher dans les bénéfices
de la privatisation pour couvrir les déficits du FED et
rembourser le prêt de la BAD. Ces problèmes de remboursement
réjouissent Wade, lui qui a touj ours exprimé son refus de
voir
confier le FED au Premier ministre. Il indique dans une
conférence de presse à ce sujet : "nous devons savoir si les
importantes pertes qu 'il nous fait subir proviennent d'une erreur,
d'une négligence ou encore de l'incompétence.
Auquel cas, l'on devrait retirer la gestion des fonds au Premier ministre pour
incompétence" 129.
En janvier 1998, Abdoulaye Wade s'oppose aussi à une
baisse de la proportionnelle pour les
élections législatives, boycotte le vote à
l'Assemblée nationale instituant le Sénat mais... prône
touj ours le maintien du PDS au gouvernement, affirmant que le chef de l'Etat
compte encore
sur sa présence. Rien ne semble pouvoir briser ce pacte
de non-agression conclu implicitement entre Diouf et Wade. Les rôles sont
clairement définis : le Président de la
République s'abstient de prendre parti pour un camp
dans le domaine de la politique intérieure tandis que Wade maintient un
semblant de cohésion nationale en restant au gouvernement en
dépit des protestations de sa base 130 . C'est pourquoi le chantre du
sopi reste ministre d'Etat,
bien que les initiatives socialistes soient de plus en plus
controversés.
Le jour du vote de la loi instituant le retour à la
parité scrutin majoritaire - scrutin
proportionnel, un député socialiste, Niadiar
Sène, propose via un simple amendement de porter le nombre de
députés pour la prochaine législature de 120 à 140
131 . L'amendement, qui
n'est pas inscrit à l'ordre du jour, provoque la
colère des députés libéraux. Outre le
procédé - le PS récuse l'idée du coup de force,
estimant que l'ordre de modification de la loi organique
ne précisait pas le contenu - ils critiquent l'absence de
recettes compensatoire pour financer cette modification. De son coté, le
PS soutient que ces nouvelles dépenses sont compensées
par la loi, celle-ci prévoyant la suppression... d'un
poste de vice-président de l'Assemblée nationale, de deux
secrétaires élus et de deux présidents de commission.
Il n'y a donc aucun consensus lors de cette modification de la
loi organique. Le PDS, sans
grande illusion, dépose alors un recours devant le
Conseil constitutionnel. A la grande surprise des libéraux, les sages
rejettent l'amendement Niadar Sène le 24 février 1998, pour
les raisons suivantes :
"le nombre de députés est fixé par
une loi organique, c 'est qu 'elle obéît à une
procédure particulière qu 'en l'espèce, l'amendement dont
il s 'agit a transgressé manifestement les règles
particulières et spéciales prévues en matière de
loi organique, qu'il n'a fait l'objet ni d'écrit (obligatoire), ni de
communication préalable aux membres de l'Assemblée Nationale"
132.
Cette décision est historique. Pour la première
fois depuis l'indépendance, le conseil des sages rejette une proposition
de loi socialiste pour anticonstitutionnalité. L'espoir est de mise
du
coté de l'opposition, cet événement
semblant démontrer l'incapacité du pouvoir socialiste de
129 "La conférence de presse tourne court", Le
Soleil, 23 janvier 1998.
130 "Me Wade rencontre son comité national", Le
Soleil, 25 janvier 1998.
131 "La future assemblée", Le Soleil, 5
février 1998.
132 "L 'amendement Niadiar Sène rejeté",
Le Soleil, 25 février 1998.
verrouiller à présent tous les leviers
décisionnels de l'Etat. Cet optimisme, palpable dans les colonnes du
Soleil, n'est cependant qu'éphémère. En effet,
dès le 27 février 1998, un décret présidentiel
convoque en session extraordinaire l'Assemblée nationale pour modifier
l'article
L 0117 du code électoral. La modification de loi est
ainsi votée légalement, par 62 parlementaires socialistes. Elle
fait porter le nombre de députés à 140.
Le PDS redépose un recours devant le Conseil d'Etat
pour "excès et détournement de pouvoir" du
Président de la République, mais cette fois-ci, la
constitutionnalité de la loi est établie. L'opposition
dénonce alors les objectifs politiques du décret d'Abdou Diouf et
rompt immédiatement avec un homme dont elle louait l'impartialité
quelques semaines auparavant. Dorénavant, le chef de l'Etat n'est plus
considéré comme un allié fiable.
En effet, Diouf montre par son décret sa
partialité et pire, son implication personnelle dans la remise en cause
du code électoral "presque parfait" de 1992. En agissant de la sorte, le
chef de l'Etat commet une lourde erreur politique. Il est maintenant
exposé aux critiques permanentes de l'opposition, qui ne fait plus de
différenciations entre lui et son homme de confiance, Ousmane Tanor
Dieng. Dans les déclarations des opposants, Diouf a troqué son
costume de Président consensuel contre celui de monarque tout puissant,
incapable d'être à l'écoute des revendications
démocratiques de ses adversaires. Ces derniers veulent à
présent sa chute pour mettre définitivement fin aux manigances
PS. Bien involontairement, Abdou Diouf s'est lancé
prématurément dans la campagne présidentielle de 2000.
Le pacte de non-agression conclu en 1995 entre Abdou Diouf et
Abdoulaye Wade est brisé. La confiance étant rompue, les
députés libéraux ne siégent plus au Parlement et
les ministres PDS n'assistent plus aux réunions hebdomadaires du
gouvernement. Logiquement, après s'être entretenu une vingtaine de
minutes avec le chef de l'Etat, Abdoulaye Wade présente le 21 mars 1998
sa démission et celle de ses ministres 133 . Suite à ce
départ, le Président de la République - mesurant
certainement le poids de son erreur - propose dans son allocution du 4 avril
1998 un nouvel approfondissement de la démocratie
sénégalaise. Il emprunte certaines vieilles revendications
wadistes et propose la création d'un statut de chef de l'opposition et
une loi sur le financement des partis politiques, de manière à
permettre aux formations les moins fortunées d'avoir un meilleur
accès aux médias et à la population 134.
Le soutien d'Abdou Diouf au PS fait donc régner
après mars 1998 un climat de suspicion vis-à-vis du pouvoir.
Pourtant, le chef de l'Etat garantit le bon déroulement des prochaines
élections en prenant des dispositions en faveur de l'ONEL et d'une
transparence accrue de l'administration.
5.2. Des élections plus transparentes :
Pour s'assurer de la bonne organisation des élections
de 1998, Abdou Diouf nomme à la surprise générale un
nouveau ministre de l'Intérieur, le général Lamine
Cissé. Chef d'Etat Major des Armées jusqu'au 5 janvier 1998, il
est réputé pour être apolitique et ne pas avoir de liens
trop étroits avec le PS. Cette "militarisation" du gouvernement ne
provoque pas de gêne pour l'opposition. Elle s'en satisfait même,
car selon les dires de Djibo Kâ, le nouveau ministre a "les mains
propres" 135 . Il bénéficie de la bonne réputation de
l'armée sénégalaise - "la grande muette" - qui n'est
jamais intervenue depuis l'indépendance dans la vie politique
133 Le Soleil, 20 et 22 mars 1998.
134 Le Soleil, 6 avril 1998.
135 "Djibo Kâ en tournée", Le Soleil, 26
janvier 1998.
intérieure.
Le général Lamine Cissé a pour mission
de réconcilier l'administration et l'opposition en prenant des mesures
allant dans le sens de la transparence. Il doit ainsi collaborer avec un autre
général à la retraite, le général Mamadou
Niang, directeur de l'ONEL. Les deux hommes se connaissent bien, le
général Niang ayant été autrefois le bras droit du
ministre de l'Intérieur.
En instaurant ce binôme, Abdou Diouf souhaite faciliter
le travail de supervision de l'ONEL, gênée par quelques "blocages"
administratifs. Car contrairement aux craintes émises par And Jëf
lors de sa création, l'ONEL n'est pas sous la coupe du pouvoir et
mène une véritable guerre à la fraude électorale.
Implantée partout sur le territoire grâce à ses relais
départementaux - les Observateurs Départementaux des Elections
(ODEL) - l'organisation se heurte rapidement aux mauvaises volontés...
du ministère de l'Intérieur. L'ONEL se plaint notamment de ne pas
avoir accès au véritable fichier électoral : "on ne
peut pas se mettre dans un petit coin et faire des manipulations sur le
fichier" 136.
En effet, elle constate de grandes différences entre
le fichier électoral qui lui a été remis et le fichier
officiel détenu par le ministère de l'Intérieur. Ce
dernier comporte de nombreuses anomalies : des électeurs ont
été rayés sans raison valable ; des personnes
décédées sont touj ours présentes dans le fichier ;
des Sénégalais ayant le même prénom, le même
nom et la même date de naissance sont inscrits dans de mêmes
bureaux de vote etc. L'ONEL note également des problèmes
récurrents concernant la distribution des cartes d'électeur :
nonprésence de partis d'opposition lors de la distribution ;
présidents de commission tentés de donner des cartes sur
présentation de cartes d'identité périmées etc.
Bien que n'ayant pas le pouvoir de sanctionner les fraudeurs, l'ONEL les
dénonce et obtient pour certains d'entre eux leur mise à
l'écart du processus électoral et même leur
déferrement devant la justice 137.
L'observatoire pousse les autres garde-fous mis en place par
Diouf au cours des années 1990 à être plus pointilleux et
moins passifs qu'auparavant. Tel est le cas du Haut Conseil de la
Radio-Télévision (HCRT), qui condamne à présent
avec plus de vigueur les campagnes déguisées, les ndiguel
prononcés etc. Il sort même de son cadre de compétence
pour épingler des articles du Soleil, de Wal Fadjri ou
du Matin 138.
Le HCRT veille aussi à ce que les temps de parole
à la radio et à la télévision soient
respectés. Pour ces élections, le PS est très nettement
avantagé, officiellement en raison de sa
"représentativité" à l'Assemblée nationale. Pendant
les trois semaines de campagne, les socialistes ont quotidiennement 10 minutes
et 5 secondes d'antenne ; les libéraux 5 minutes et 5 secondes ; les
autres partis représentés à l'Assemblée nationale 3
minutes et 5 secondes ; les partis non-représentés au Parlement 3
minutes 139.
Cette organisation rigoureuse du temps de parole est
nécessaire, puisque pour ces législatives... 18 formations se
présentent. En 1998, on compte une trentaine de partis officiels au
Sénégal. La prolifération des organisations politiques
à partir du milieu des années 1990 s'explique notamment par : le
code électoral de 1992, qui autorise les partis à se regrouper et
à se coaliser ; l'ambition de certaines personnalités mis au ban
des "grandes" formations de revenir sur le devant de la scène politique
(Djibo Kâ, Iba der Thiam, Jean-Paul Dias etc.) ;
136 "Fichier électoral : réclamations de
l'ONEL ", Le Soleil, 15 avril 1998.
137 "Distributions de cartes d'électeur : les
mises en garde de l'ONEL", Le Soleil, 20 avril 1998 et "Disparition de
210 cartes à Koussanar : le président de la commission et ses
complices déférés au parlement", Le Soleil, 12 mai
1998.
138 "Le HCRT épingle les quotidiens", Le Soleil,
21 avril 1998.
139 Le Soleil, 21 avril 1998.
l'affaiblissement doctrinal des partis marxistes, tels que And
Jëf, le PIT et la LD/MPT -
reconvertis après la chute de l'URSS en parti de masse -
qui amènent les militants désorientés à
créer des formations plus ancrées à gauche ;
l'arrivée d'une nouvelle génération d'hommes
politiques, bloquée dans son ascension par les caciques
des différents partis en place, aspirant à jouer un rôle de
premier plan (Talla Sylla avec Alliance Jëf-Jël).
On répartit les formations en lice en deux
catégories. La première rassemble les partis dits
"historiques", fondés soit dans le cadre du
quadripartisme senghorien, soit dans le cadre du multipartisme intégral
dioufiste. La deuxième réunit les formations politiques qui
ont
bénéficié des possibilités offertes
par le code électoral consensuel de 1992. Cette ligne de
démarcation est relativement bien visible quand on se penche sur les
dates de création des
formations ou coalitions engagées pour ces
législatives.
- Le Parti Socialiste (PS) : 6 septembre 1959
- Le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) :
14 août 1974
- Le Mouvement Républicain Sénégalais (MRS)
: 7 février 1979
- Le Rassemblement National Démocratique (RND) : 18 juin
1981
- Le Mouvement pour le Socialisme et l'Unité (MSU) : 6
juillet 1981
- And Jëf : 6 juillet 1981
- La Ligue Démocratique/MPT (LD/MPT) : 9 juillet 1981
- Le Parti de l'Indépendance et du Travail (PIT) : 9
juillet 1981
- Le Parti Africain de l'Indépendance des Masses (PAIM) :
30 juillet 1982
- Le Parti Démocratique Sénégalais -
Rénovation (PDS-R) : 2 juillet 1987
- La Convention des Démocrates et des Patriotes/
Garab-Gui (CDP) : 13 juillet 1992
- L'Union pour la Démocratie et le
Fédéralisme / Mbooloo-Mi (UDF) : 7 juin 1994
- Le Rassemblement Patriotique Sénégalais (RPS) :
19 septembre 1995
- Le Bloc des Centristes Gaïndé (BCG) : 15 mars
1996
- Le Rassemblement pour le Progrès, la Justice et le
Socialisme (RPJS) : 18 mars 1996
- Le Front pour le Socialisme et la Démocratie (FSD) : 9
avril 1996
- L'Action pour le Développement National (ADN) : 2 juin
1996
- L'Alliance Jëf-Jêl - USD (regroupe le Renouveau,
l'Alliance Jëf-Jël et l'Union pour le Socialisme et la
Démocratie) : 1998
Les moyens financiers et les implantations territoriales
différent selon les partis. C'est pourquoi seuls le PS, le PDS, la
coalition Jëf-Jël / Renouveau, le CDP, la LD/MPT, And Jëf et
le PDS/R sont présents dans tous les départements
mis en jeux. Alors que le Sénégal compte 31 départements,
le MRS ne présente que 7 listes départementales, l'UDF 4 et l'ADN
3.
D'autres formations ne s'alignent que dans certaines
circonscriptions (FSD, MSU) ou que sur le scrutin national, comme le PAIM et le
RPJS 140.
Les petits partis privilégient donc leurs zones
d'influence ou les grands centres urbains. La
répartition des députés par
régions offre une vision du poids politique - mais aussi
démographique, historique et économique - de chaque région
et les enjeux électoraux quelle représente 141 :
- Dakar : 12 députés (Dakar 5, Pikine 5, Rufisque
2)
- Thiès : 9 députés
- Saint-Louis et Kaolack : 8 députés
- Kolda : 7 députés
- Louga et Diourbel : 6 députés
140 "Campagne tous azimuts", Le Soleil, 3 mai 1998.
141 "Répartition des députés par
départements", Le Soleil, 17 mars 1998.
- Fatick et Ziguinchor : 5 députés
- Tambacounda : 4 députés
Après ses bons résultats aux régionales
et municipales, le PS entame la campagne législative confiant. Le parti
gouvernemental communique principalement sur le retour de la croissance
économique pour séduire, et rassurer, l'électorat
sénégalais. De ce fait, il occulte durant trois semaines le
problème casamançais, la paupérisation continuelle de la
population et ses mauvais rapports avec l'opposition. Une opposition qui compte
dorénavant dans ses rangs Djibo Kâ.
5.3. La campagne législative :
Le PS insiste dès le début de la campagne sur
les améliorations économiques constatées depuis quelques
mois. Le retour à la croissance est le fruit d'un changement notable
dans la politique économique menée par Abdou Diouf depuis la
post-dévaluation. Le Président a réussi - enfin - à
privatiser les principales entreprises publiques dont la mauvaise gestion, les
dépenses en personnel, la faiblesse des investissements et l'absence de
performances étaient dénoncés depuis une décennie
par l'ensemble des rapports traitant de l'économie
sénégalaise. En cédant la plupart d'entre-elles à
des multinationales françaises, le Sénégal
récupère de précieuses devises tout en se
débarrassant d'encombrants fardeaux.
La libéralisation de l'économie est
néanmoins longue et difficile - chaque rumeur de privatisation
engendrant de grandes opérations syndicales ne faisant que retarder
l'inévitable - au grand dam du FMI qui écrit dans un rapport
rendu public par Le Soleil en août 1997 : "les
administrateurs regrettent (...) qu 'au cours des trois dernières
années précédentes, des retards
répétés se soient produits dans la mise en oeuvre des
privatisations et des réformes des entreprises publiques et du secteur
de l'énergie (...) ils engagent vivement les autorités à
réaliser intégralement le train des réformes structurelles
prévu dans le programme afin de rehausser la crédibilité
de leurs efforts d'ajustement et de renforcer la confiance des investisseurs"
142.
Ces privatisations sont accompagnées d'autres
réformes : libéralisation des prix ; accroissement notable de
l'assiette fiscale (+20% dès 1995, soit 11 milliards FCFA
143) ; augmentation des recettes
douanières ; révision du code du travail (avec notamment
l'allégement des difficultés pour les licenciements
économiques après 1994) etc. Elles permettent ainsi au
Sénégal de s'adapter à l'économie de marché
et de bénéficier enfin des avantages de la dévaluation,
à l'instar des autres pays de la zone CFA.
Outre une croissance du PIB conséquente de 5% à
6%, on constate à partir de 1998 une croissance des exportations qui
passe de... -8,4 % en 1997 à 7,8 % en 1998 144 . Même si les
variations climatiques ont une influence sur ces pourcentages, les
réformes, réellement engagées à partir de 1997, ne
sont pas étrangères à ces bons résultats. Les
rentrées de liquidités permettent à l'Etat
sénégalais d'investir dans des secteurs tels que le textile,
l'agroalimentaire, les produits de la mer, les mines ou les nouvelles
technologies 145.
Après les débuts chaotiques de la
dévaluation - autour de 35% d'inflation en 1994 - l'inflation
142 "Résultats substantiels de l'économie
sénégalaise : le FMI préconise d'éviter tout
dérapage ", Le Soleil, 19 août 1997.
143 Elimane Fall, "Le credo de deux grands argentiers ",
Jeune Afrique, n° 1833, 27 février 1996.
144 "Embellie économique au Sénégal",
Le Monde, 20 juin 2000.
145 Mamadou Bah, "Au petit trot", Jeune Afrique, 15
juin 1999.
est pratiquement nulle en 1998 et le déficit
budgétaire dépasse à peine les 2%. Toutefois, les
importations sont encore très nombreuses et le Sénégal a
bien du mal à trouver une culture d'exportation de substitution à
l'arachide. Par conséquent, la balance commerciale déficitaire et
la dette extérieure importante n'offrent pas la possibilité au
pouvoir de faire bénéficier à la population, via le
développement, des bienfaits du retour de la croissance dans le pays.
Les Sénégalais ont donc bien du mal à
comprendre les dirigeants socialistes, qui expliquent durant trois semaines que
le pays va mieux et qu'il est sur la bonne voie, tout en soutenant que le
peuple doit encore patienter avant de pouvoir jouir du retour de la croissance.
Les discours rassurants prononcés par les socialistes n'ont donc aucune
influence positive en terme de popularité, puisque les dirigeants n'ont
rien d'autre à proposer que le statut quo et l'attente de jours
meilleurs. La reprise économique indéniable constatée au
Sénégal ne profite donc absolument pas électoralement
parlant au pouvoir en place.
L'opposition profite de l'incapacité socialiste
à défendre son bilan économique. Djibo Kâ se
présente comme le véritable héritier de Léopold
Sédar Senghor - les références à Abdou Diouf ont
toutes été abandonnées - et promet, à la
manière de... Jacques Chirac, de vaincre la "fracture sociale" et de
combattre toutes les inégalités. Il tient ainsi un discours
profondément ancré à gauche, certainement motivé
par son entente avec l'Alliance Jëf-Jël de Talla Sylla et l'Union
pour le Socialisme et la Démocratie de Doudou Sarr. Il n'oublie
cependant pas de régler quelques comptes avec Ousmane Tanor Dieng, dont
il critique les pratiques et l'omnipotence. En clamant son statut de "candidat
du peuple" et d'homme du changement, Kâ tente conjointement de
séduire les déçus du socialisme dioufiste mais aussi les
partisans d'Abdoulaye Wade.
L'attitude de l'ancien "enfant terrible du PS" ne perturbe
pas outre mesure la campagne wadiste. Comme en 1993 et 1996, le chef de
l'opposition multiplie les traversées de Dakar et de Thiès
à bord d'une Mercedes décapotable, généralement
entouré d'Ousmane Ngom et d'Idrissa Seck. Il répète
inlassablement que les socialistes ne sont que des fraudeurs, des
traîtres de la nation mais que la libération est proche au vu de
l'implosion du parti gouvernemental. Il critique les choix politiques PS et
affirme que sa présence au gouvernement a permis d'éviter au
peuple des souffrances bien plus grandes qu'il ne connaît actuellement.
La population est réceptive aux discours du chef de l'opposition, car
contrairement à 1993, il n'apparaît pas comme un allié du
pouvoir. En effet, il n'a jamais cessé au cours de ses trois ans au
gouvernement de s'opposer au PS, en partenariat avec l'opposition : sur la
CENI, sur le Sénat, sur les réformes du code électoral.
Fort de cette légitimité, le chantre du sopi souhaite
reconquérir Dakar qui l'a quelque peu boudé en 1996. Pour
espérer gagner dans la capitale, Abdoulaye Wade mise sur la jeunesse. Il
n'hésite pas de ce fait à diffuser des morceaux... de rap
lors de ses apparitions de campagne 146.
Face à ces procédés, le PS
réitère sa stratégie de 1996 pour réussir son
triple objectif : gagner les élections, conserver les grands centres
urbains, réduire à néant la liste dissidente de Djibo
Kâ. Rassemblés autour d'Ousmane Tanor Dieng, les caciques
socialistes font campagne dans leur localité. L'ancien président
de l'Assemblée nationale, Daouda Sow, a par exemple pour mission de
vaincre à Linguère, dans le bastion de son neveu.
Tête de liste pour ces législatives, le
secrétaire national PS est secondé au cours de la campagne par la
responsable des femmes socialistes, Aminata Mbengue Ndiaye. Elle
apparaît
146 Le Soleil, 13 mai 1993.
dans de nombreux meeting, n'hésite pas à
attaquer vigoureusement à Djibo Kâ 147 et à
chanter les louanges de "Tanor" : "le véritable homme au sourire
ravageur, ce n 'est pas Iba der Thiam. C'est ce jeune homme Tanor".
En mal de popularité, ce soutien ne peut lui
être que bénéfique dans un climat de violence, qui
retranscrit l'extrême fragilité du pouvoir socialiste. Des
affrontements sanglants opposent étudiants et policiers à
Saint-Louis, membres du PS et du Renouveau au nord du pays et... socialistes et
socialistes à Bambey, en présence d'Ousmane Tanor Dieng
148. Toutefois, cette violence n'est rien comparée
à celle qui existe en Casamance.
Les faveurs consenties aux séparatistes via la
décentralisation n'ont rien changé au conflit casamançais
: le front sud ne négocie pas et continue ses actions contre les
non-diolas et les militaires ; l'armée, bénéficiant d'une
grande liberté d'action 149, mène
d'innombrables actions "punitives" ; le chef de l'Etat réaffirme le 31
décembre 1997 "sa ferme détermination à assurer la
défense de l'unité nationale et de l'intégration du
territoire comme l'impose la Constitution du pays". En outre, l'atout du
pouvoir, l'abbé Diamacoune Senghor, n'en est plus un, car s'il multiplie
les appels à la paix et au calme depuis 1993, celui-ci n'a plus un
impact suffisant auprès des séparatistes de Basse-Casamance pour
les résoudre à rendre les armes. Le conflit apparaît sans
fin, sans paix possible. Abdoulaye Wade essaie alors de s'immiscer dans le
débat casamançais.
Pour mettre fin à la violence en Casamance, le
secrétaire général du PDS appelle à la construction
d'un nouvel aéroport international, non plus comme il l'avait
suggéré en 1996 aux alentours de Dakar, mais en région
casamançaise. L'objectif du projet est de désenclaver la
région, lui redonner un élan économique et faire de la
Casamance un pivot entre le nord du Sénégal, la Gambie, la
Guinée-Bissau et la Guinée. Dans le même ordre
d'idée, "le Pape du sopi" promet en cas d'alternance la
création d'une université régionale à Ziguinchor
qui accueillirait des étudiants des pays frontaliers.
Par l"intermédiaires de ses propositions, Wade exprime
l'idée que les problèmes en Basse - Casamance ne sont pas
politiques mais sociaux et économiques et qu'il faut, via des projets,
redonner un espoir aux populations qui ont déserté les alentours
de Ziguinchor et aux séparatistes en guerre. Il condamne par
conséquence tacitement l'option belliqueuse "choisie" par Abdou Diouf en
Casamance, qu'il ne cesse de critiquer depuis le milieu des années
1980.
Face à ce projet, l'attitude socialiste est
opportuniste. Dans un premier temps, le PS condamne vigoureusement les propos
de Wade, les jugeant fantaisistes. Pourtant, très rapidement le parti
gouvernemental reprend à son compte cette proposition pour finalement
annoncer dans les colonnes du Soleil le 21 mai 1998 que les
financements pour la création de l'aéroport de Tobor-Ziguinchor
ont été trouvés 150 . Ce comportement isole un peu plus le
PS des autres
147 Elle déclare notamment : "Kâ est un
traître qui a été trahi. Il a trahi Senghor avant
d'être trahi lui-même. Il est trop pressé. Il aurait pu
être patient et attendre à nouveau son tour pour obtenir sa part.
Il aurait du s'inspirer du cas de Moustapha Niasse. Lui, c'est un homme. Vous
vous rappelez, quand M. Niasse lui a asséné le fameux coup de
poing". Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à
l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance
à nos jours, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.
148 "Violente campagne", Le Nouvel Afrique-Asie,
juin 1998.
149 Cette "liberté" est ouvertement critiquée
par Amnesty Internationale entre 1993 et 1998, qui fait état de
personnes "torturées à l'électricité."
L'organisation rajoute que "certains ont été battus
durant des heures, alors qu 'ils étaient suspendus au plafond par une
corde, d'autres ont reçu du plastique en fusion sur le corps ou ont
dû ingurgiter des substances toxiques". Ces
révélations poussent d'ailleurs l'Allemagne à rayer le
Sénégal des respectueux des droits de l'homme, le 28
février 1996. "Amnesty International dénonce des cas de
torture", Le Monde, 3 juin 1994 et "Surprise à Dakar face aux
accusations de l'Allemagne", Le Soleil, 1er mars 1996.
150 "Aéroport de Tobor-Ziguinchor : le financement
acquis", Le Soleil, 21 mai 1998.
partis. En effet, pour la première fois depuis 1988,
les socialistes sont véritablement seuls contre tous : le PDS n'est plus
un parti ambigu, il a rejoint définitivement l'opposition ; la LD/MPT
est en passe de quitter le gouvernement ; l'Alliance Jëf-Jël
multiplie les attaques à l'encontre des pratiques tanoriennes.
Le dernier jour de campagne est l'occasion pour les deux
grands partis sénégalais d'effectuer un ultime grand
rassemblement. Après avoir réaffirmer sa filiation avec Abdou
Diouf, Ousmane Tanor Dieng déclare dans son "fief" thièssois :
"dimanche, les urnes vont traduire notre majorité dans la
région. Soyez les boucliers du parti dans les bureaux de vote. Restez
vigilants mais calmes. Pas de bagarres ce jour-là. Soyez cependant sans
peur, fermes et déterminés" 151 . Cet extrait reflète
aussi bien l'état de violence qui règne au cours de ce scrutin
que l'important rejet que connaît le parti gouvernemental à
travers tout le pays. A présent, voter socialiste peut s'avérer
être périlleux. Abdoulaye Wade préfère quant
à lui insister sur la nécessité du sopi et le
soutien massif qu'il a perçu durant trois semaines : "Après
Rufisque, Thiès, Kébémer, Louga, Saint-Louis, Diourbel,
Ziguinchor et Tambacounda, c'est le peuple sénégalais tout entier
qui a décidé de se libérer".
5.4. Les résultats des élections
législatives de 1998 :
A l'annonce des résultats du 24 mai 1998, la
propagande étatique célèbre la nouvelle victoire
socialiste, qu'elle qualifie d'écrasante en raison du nombre de
députés obtenus : 93 sur 140. Pourtant, ce succès est
étriqué, voire inexistant. En effet, sur les 3 180 857 personnes
inscrites sur le fichier électoral, seules 1 234 274 se sont
déplacées le jour du vote. Pis, les socialistes n'obtiennent que
612 559 voix, soit 50,19 % des suffrages exprimés et... 19,26 % du total
des inscrits. La défiance du peuple à l'égard du pouvoir
est irréfutable. Le faible taux de participation - 38,80 % - confirme
aussi que les législatives n'ont pas le même intérêt
que les présidentielles pour les Sénégalais. En fait, le
PS ne doit son salut qu'à la réforme tanorienne qui a permis le
retour de la parité scrutin majoritaire - scrutin proportionnel. Les
socialistes ayant remporté 28 des 31 départements, ils raflent 58
des 70 sièges parlementaires mis en jeu par le scrutin majoritaire.
Cependant, on constate que les socialistes remportent de multiples
départements sans obtenir la majorité absolue, ce qui constitue
une nouveauté par rapport aux élections précédentes
152.
Le PDS fait également un score très
décevant, étant donné que la formation d'Abdoulaye Wade ne
requiert que 19,11 % des voix, contre 30,20 % en 1993. Même si le parti
libéral devance le PS dans les départements de Dakar et Pikine,
il a perdu 88 298 électeurs en cinq ans 153 , alors que dans le
même temps, le nombre de votants a augmenté de 155 551. Cette
chute de l'électorat wadiste s'explique par la participation
libérale au gouvernement durant trois années, le nombre de partis
engagés dans ces élections (18 en 1998 ; 6 en 1993), l'absence
d'intérêt de l'électorat sopi pour les
législatives et l'émergence d'un nouveau pôle de
contestation avec Djibo Kâ.
Le Renouveau change en effet complètement le panorama
politique sénégalais. Il parvient à la fois à
affaiblir le PS, le PDS mais aussi And Jëf, qui ne représente plus
que 5% de l'électorat du pays, contre 11% quelques mois auparavant.
L'alliance constituée autour de Djibo Kâ
151 Le Soleil, 24 mai 1998.
152 Voici les départements où le PS l'emporte sans
être majoritaire : Bignona, Ziguinchor, Diourbel, Dagana, Podor,
Thiès, Kolda, Velingara. Le Soleil, 1er juin 1998.
153 Paradoxalement, si le parti libéral perd des
électeurs entre 1993 et 1998, le PS lui en gagne 10 388.
réus sit même à remporter un
département, Linguère, fief politique de l'ancien ministre
d'Abdou Diouf. En obtenant 13,22 % des suffrages, Djibo Kâ
acquiert le statut de présidentiable.
Les 15 autres partis représentent 17,48% de
l'électorat, And Jëf (4,97 %) et la LD/MPT (3,94
%) étant considérés comme les chefs de file
des partis dits mineurs. Avec 13 siéges dans la prochaine
Assemblée nationale, ils constituent un poids politique non
négligeable à quelques
mois seulement des présidentielles.
L'élection de 1998 marque donc la fin de la
bipolarisation politique effective depuis 1978. Si on peut touj ours
définir deux camps dans le paysage sénégalais - les
pro-dioufistes et les anti-
dioufistes - le score de Djibo Kâ jette un voile sur
l'identité du principal adversaire d'Abdou Diouf pour les
présidentielles de 2000. Le jeu à deux Diouf-Wade se mue donc en
jeu à trois
Diouf-Wade-Kâ dont l'is sue est incertaine.
L'exemple du département de Dakar reflète à
merveille cette tripolarisation de la vie politique
sénégalaise. Aucune majorité absolue ne se
dégage dans la capitale, en dépit de la victoire des
libéraux : le PDS fait 30,19 %, le PS 29,82 % et l'Alliance
Jëf-Jël 21,5 % 154 . On assiste à des
cas similaires dans les départements de Pikine et
Thiès. De ce fait, les libéraux ne peuvent pas considérer
que les villes leur appartiennent, comme ils l'avaient clamé en 1993,
tandis que
l'ampleur du score du Renouveau met fin aux espoirs socialistes
de reconquête de Dakar. Voici les résultats des élections
législatives du 24 mai 1998 :
- Electeurs inscrits : 3.180.857
- Votants : 1.234.274 (soit 38,80 % de participation)
- Bulletins nuls : 13.845
- Suffrages exprimés: 1.220.429
- PS : 612 559 soit 50,19 % (93 sièges)
- PDS : 233 287 soit 19,11% (23 sièges)
- Alliance Jëf-Jël / Renouveau : 161 320 soit 13,22 %
(11 sièges)
- And Jëf : 60 673 soit 4,97 % (4 sièges)
- LD/MPT : 48 097 soit 3,94 % (3 sièges)
- CDP / Garab-Gui : 24 405 soit 2,00 % (1 siège)
- FSDRJ : 16 282 soit 1,33 (1 siège)
- PDS-R : 12 928 soit 1,06 (1 siège)
- PIT : 10 764 soit 0,88 % (1 siège)
- RND : 8 171 soit 0,67 % (1 siège)
- BCG : 7 468 soit 0,61 % (1 siège)
- RPS : 4 616 soit 0,38 %
- MSU : 3 656 soit 0,30 %
- MRS : 3 597 soit 0,29 %
- PAIM : 3 439 soit 0,28 %
- RPJS : 3 397 soit 0,28 %
- ADN : 2 962 soit 0,24 %
- UDF : 2 808 soit 0,23 %
La réaction des socialistes à l'annonce des
résultats démontre l'incapacité du parti
gouvernemental à se remettre en cause. Au lieu de tenter
immédiatement de se rapprocher des rénovateurs et des partis de
gauche et d'extrême gauche - qui forment plus de 30 % de
l'électorat sénégalais - le PS
s'autocongratule et fête son "vainqueur", Ousmane Tanor Dieng.
154 Le Soleil, 28 mai 1998.
La propagande loue "son grand chelem" 155 dans la
région de Thiès - il remporte le scrutin dans sa ville natale de
Ngueniem, dans son département de Mbour et dans sa région de
Thiès - et fustige l'attitude séparatiste de Djibo Kâ qui a
fait perdre Dakar et Pikine au parti, détruisant par conséquent
"l'oeuvre tanorienne" de reprise de la capitale de 1996. Pour expliquer son
faible score national, le PS accuse... l'ONEL d'avoir fait preuve de trop de
zèle, comme le déplore le porte-parole PS, Abdourahim Agne, dans
un entretien accordé au Soleil le 2 juin 1998 : "je pense
qu'il y a encore des efforts à faire du point de vue de la
neutralité de certains membres de l'ONEL (...) la distinction à
faire entre l'organisation et supervision n 'était pas tout à
fait claire dans l'esprit de certains membres de l'ONEL"
156.
Au contraire, les partis d'opposition saluent dans leur
ensemble la prestation de l'observatoire. Néanmoins, Abdoulaye Wade et
les autres candidats, dont Djibo Kâ, s'insurgent des errements
constatés le jour des élections. Ils dénoncent d'une seule
voix "l'utilisation massive de fausses cartes d'identité, le
détournement de cartes d'électeur ainsi que l'utilisation massive
des moyens de l'Etat aux fins de la campagne électorale"
157.
L'ONEL confirme les critiques des opposants en dressant dans
son rapport post-électoral un bilan bien peu élogieux de ce
scrutin 158. On peut notamment lire que :
- Des bureaux de vote ont été dirigés par
des membres de l'administration... étant sur des listes de candidats
- 10 % des bureaux de vote ont été touchés
par des dysfonctionnements (sécurité, organisation,
identification des électeurs etc.)
- Dans 2483 bureaux de vote sur 8467, la mise en place du
matériel électoral a été tardive, il y a eu des
"délocalisation de bureaux de vote", des absences de matériel,
des prolongations des votes après l'heure prévue etc.
- Dans 843 bureaux de vote sur 8467, les forces de l'ordre
étaient soit absentes, soit partisanes
- Dans 762 bureaux de vote sur 8467, on a noté la
circulation de fausses cartes ou l'absence de cachet sur les pièces
d'identité
- Dans 830 bureaux de vote sur 8467, les bourrages d'urnes, les
trafics d'influence, les irrégularités de vote, les
détentions de cartes et les contestations de résultats ont
été manifestes
La RADDHO souligne toutefois que l'ONEL a eu
véritablement un rôle de dissuasion à l'égard des
fraudeurs et qu'ainsi, "malgré les dysfonctionnements, les
élections se sont mieux déroulés par rapport aux
précédentes" 159 . Mais sans pouvoirs punitifs,
l'observatoire a montré son incapacité à sévir en
cas de fraudes. Ceci amène And Jëf - qui qualifie l'ONEL de simple
"juge de touche" - et les autres grands partis d'opposition à
réclamer la réouverture du dossier CENI. Leurs contestations se
portent aussi sur d'autres sujets.
Par exemple, Djibo Kâ remet en cause la
suprématie socialiste dans le pays, au vu du très faible taux de
participation : "il y a eu 3 170 000 d'inscrits ou plus. Le PS ou ce qu 'il
en reste, a obtenu 612 000 voix, soit environ 1/5 de l'électorat (...)
c'est une minorité qui gouverne le pays" 160 . On remarque que si
la question de l'abstention est soulevée, Kâ ne le fait que pour
mettre à mal son ancien parti et non pour tenter de trouver une
explication plus générale, afin de ne pas remettre en cause la
portée de son audience et de ne pas faire remarquer qu'il n'a
été finalement choisi que par... 5,07 % des gens inscrits sur le
fichier électoral. Ces critiques ont
155 Le Soleil, 26 mai 1998.
156 "Abdourahim Agne : nous sommes tout à fait
satisfaits de nos résultats", Le Soleil, 2 juin 1998.
157 "Au Sénégal, des partis d'opposition
contestent le résultat des élections ", Le Monde, 29 mai
1998.
158 "L'ONEL dresse l'état des lieux", Le Soleil,
18 août 1998.
159 "Les recommandations de la RADDHO", Le Soleil, 1er
juin 1998.
160 Le Soleil, 2 juin 1998.
donc pour but non pas de servir l'intérêt
général mais un intérêt particulier.
On note le même genre de comportement de la part de
Landing Savané lorsqu'il condamne les violences en Casamance, qui ont
fait huit morts le jour du scrutin. Il évoque notamment des
"bombardements systématiques, aériens et terrestres, sur les
populations" de la communauté rurale de Dibidione par
l'armée sénégalaise. Il dénombre, selon ses propres
sources, 2 morts et 19 blessés 161 . Il relate ce fait non pas pour
déplorer la situation de guerre en Casamance et apporter des solutions
mais pour affirmer que les socialistes ont fait bombarder le village uniquement
dans le but... d'empêcher les 8 727 électeurs de la commune de
voter pour son parti.
Les différentes formations d'opposition essaient ainsi
de mettre en avant leur propre cas sans se soucier véritablement des
intérêts supérieurs de la nation. Ils sont néanmoins
tous d'accord sur l'origine des différents problèmes : le PS.
C'est pourquoi ils adoptent rapidement une position commune. De multiples
facteurs encouragent une unification de l'opposition : la proximité du
scrutin de 2000, une vingtaine de mois, qui favorise une alliance à
moyen terme; le faible score du PS, qui laisse entrevoir la possibilité
d'un second tour aux présidentielles ; la détérioration
des relations PS-PDS-LD/MPT depuis 1995, qui rend impossible une quelconque
reconduction du gouvernement d'union nationale ; la volonté d'une
très large part de l'opposition d'en finir avec un parti et des
procédés en place depuis le début des années 1950 ;
l'arrivée de Djibo Kâ dans l'opposition, qui affaiblit la
prédominance wadiste et pousse le chantre du sopi à
être plus consensuel.
Au lendemain du 24 mai 1998, le PS ne perçoit pas la
constitution d'un front d'opposition uni. Par conséquent, Ousmane Tanor
Dieng s'aventure à proposer la formation d'un nouveau gouvernement
à majorité présidentielle élargie. Ce à quoi
répond Abdoulaye Wade : "nous nous sommes aperçus à la
lumière de ce qui s'est passé aujourd'hui qu'il vaut bien mieux
lutter pour l'éradication du PS de ce pays que de nous battre sur la
question de savoir s'il fallait aller au gouvernement ou pas !"
162.
Le PS se heurte donc après mai 1998 à une
opposition soudée. Le Renouveau, qui est devenu une
réalité grâce à sa troisième place aux
législatives, décide après les élections de se
couper définitivement des socialistes et de rejoindre le camp des
anti-dioufistes. Un camp auquel appartient maintenant sans
ambiguïté Abdoulaye Wade, qui après avoir longtemps
collaboré avec le chef de l'Etat, n'a plus qu'une seule idée en
tête : faire chuter Abdou Diouf.
161 "Landing Savané : le PS utilise l'armée
à des fins politiques", Le Soleil, 29 mai 1998.
162 Le Soleil, 27 mai 1998.
Chapitre 5 : La chute d'Abdou Diouf (1998-2000)
1. En attendant les présidentielles :
1.1. Un gouvernement remodelé et
féminisé :
Abdou Diouf nomme à la tête du nouveau
gouvernement Lamine Loum, précédemment ministre de l'Economie et
des Finances depuis janvier 1998. Ce choix est pour les contemporains une
surprise. Si le départ d'Habib Thiam était quasiment une
certitude 1, beaucoup d'observateurs pensaient que le choix de Diouf
pour la Primature se porterait sur Ousmane Tanor Dieng. Il semble que le chef
de l'Etat veuille attendre le scrutin de 2000 pour placer le secrétaire
national PS à ses cotés et lui offrir officiellement la direction
du gouvernement. Lamine Loum est par conséquent promis à une
occupation temporaire de la Primature. Technocrate de formation, sans aucun
charisme politique, cet homme de 46 ans doit sa renommée dans le pays
à la réussite de son action menée avec Ousmane Sakho pour
rétablir les équilibres financiers et budgétaires. Il a
ainsi favorisé une réconciliation entre le Sénégal
et les bailleurs de fonds. D'ailleurs, il a obtenu quelques semaines avant sa
prise de fonction un important rééchelonnement de la dette
sénégalaise au Club de Paris.
Nonobstant ses compétences technocratiques, Lamine
Loum parait être complètement sous la coupe de Tanor Dieng. Ce
dernier n'hésite pas à s'afficher à ses cotés lors
de son intronisation en tant que chef du gouvernement 2 . Cette
omniprésence du ministre d'Etat motive le départ de Moustapha
Niasse, pourtant l'un des hommes les plus populaires auprès de la base
socialiste. De plus, le désormais ancien ministre reproche au chef de
l'Etat de ne pas avoir été nommé à la Primature, et
pire, d'avoir été relégué dans l'ordre
ministériel derrière Tanor Dieng 3.
Les explications officielles de Niasse sont néanmoins
plus nuancées : "j'ai demandé une audience au
Président Abdou Diouf qui me l'a accordé. Je lui ai fait part de
mon intention de ne pas continuer mon expérience gouvernementale.
Déjà, en 1993, par amitié pour sa personne et mon pays,
j'avais accepté de me mettre au service du gouvernement pour deux ou
trois ans. J'y suis resté cinq ans (...) de la même
manière, je compte laissé mon siège de
député à mon suppléant" 4.
Les propos sont courtois. Niasse parait vouloir rester fidèle
à Diouf. Aucun désir de sédition n'est perceptible en
juillet 1998.
Pour le remplacer, le Président fait appel à
des personnes "neuves" et féminise le gouvernement. Cinq femmes sont
nommées ministre. Cette décision retranscrit les efforts de
promotion de la femme en politique. Efforts qui se sont accentués depuis
l'émergence du PDS et l'arrivée d'Abdou Diouf au pouvoir, comme
on peut le noter en analysant les effectifs de l'Assemblée nationale
depuis l'indépendance.
1 Le changement de Premier ministre est semble-t-il
motivé par la mauvaise entente entre Thiam et Tanor Dieng. Comme en
1984, Diouf tranche en faveur de son plus fidèle conseiller au
détriment de son vieil ami, ce qui fait dire à Thiam dans ses
mémoires : "lui le chef de l'Etat, devait bien souvent tenir compte,
au poste où il était, de ce qu 'il pouvait considérer
comme la raison d'Etat, même si celle-ci me causait, au plan purement
personnel, des préjudices ou me faisait mal". Habib Thiam, Par
devoir et amitié, pp.219, Paris, Rocher, 2001.
2 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.197,
Paris, Rocher, 2001.
3 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.198,
Paris, Rocher, 2001.
4 "Moustapha Niasse libéré à sa
demande", Le Soleil, 7 juillet 1998.
- De 1957 à 1963 : 0 femme sur 80 députés,
soit 0%
- De 1963 à 1968 : 1 femme sur 80 députés,
soit 1,25 %
- De 1968 à 1973 : 2 femmes sur 80 députés,
soit 2,5 %
- De 1973 à 1978 : 4 femmes sur 80 députés,
soit 5 %
- De 1978 à 1983 : 8 femmes (dont 4 PDS) sur 100
députés, soit 8 %
- De 1983 à 1988 : 13 femmes (dont une PDS) sur 120
députés, soit 10,83 %
- De 1988 à 1993 : 18 femmes (dont 2 PDS) sur 120
députés, soit 15 %
- De 1993 à 1998 : 14 femmes (dont 5 PDS) sur 120
députés, soit 11,67 %
- De 1998 à 2001 : 18 femmes sur 140
députés, soit 12,86 %
Cette féminisation de la vie politique s'est
vérifiée en 1996 lors des élections municipales et
régionales. Pour la première fois dans l'histoire
du Sénégal, des femmes ont été élues maire
de communauté urbaine, comme Mbayang Laïty Ndiaye à
Linguère ou Aminata Mbengue
Ndiaye à Louga 5. Depuis 1996,
on recense ainsi : 61 femmes sur 470 conseillers régionaux (12,98 %) ;
783 femmes sur 4 338 conseillers municipaux (18,05 %) ; 720 femmes sur 9092
conseillers ruraux (7,92 %) ; 6 femmes sur 48 maires de communauté
urbaine (12,5 %) 6.
En outre, il est connu de tous au Sénégal que
les femmes votent plus que les hommes. Au vu du taux de participation
extrêmement faible des législatives, il va dans
l'intérêt d'Abdou Diouf
de "récompenser" l'implication de la gente
féminine7, d'autant plus qu'Aminata Mbengue Ndiaye est l'un
des plus fidèles soutien de Tanor Dieng. Cependant, les postes
réservés aux
femmes dans l'équipe Loum ne sont que des fonctions
secondaires : la première femme, Marie-Louise Correa, n'est
située qu'au quatorzième rang du gouvernement.
Ce gouvernement est aussi marqué par sa "tanorisation".
Le ministre d'Etat s'assure en effet le
contrôle de l'équipe ministérielle en
intégrant certains de ses proches comme Mohamed El Moustapha Diagne,
Khalifa Sall, Mme Aissata Tall Sall, Abdoulaye Maktar Diop, Souty
Touré, Abdoulaye Elimane Kane et Mame Bounama Sall
8 . L'équipe de Lamine Loum est donc à forte
coloration verte, seul Serigne Diop (PDS-R) étant affilié
à un parti autre que le PS. Le parti libéral "bis" confirme de ce
fait sa position de collaborateur et non d'opposant.
Voici ci-dessous le gouvernement de Lamine Loum 9
:
- Premier Ministre : Lamine Loum
- Ministre d'Etat, Ministre des Services et des Affaires
Présidentielles : Ousmane Tanor Dieng
- Ministre d'Etat, Ministre de l'Agriculture : Robert Sagna
- Ministre de la Justice, Garde des Sceaux : Serigne Diop
(PDS-R)
- Ministre des Affaires Etrangères et des
Sénégalais de l'Extérieur : Jacques Baudin
- Ministre de l'Intérieur : Le Général des
Corps Armés Lamine Cissé
- Ministre des Forces Armées : Cheikh Hamidou Kane
5 "Les maires s'installent", Le Soleil, 23
décembre 1996.
6 On note que les femmes ont plus de facilité à
siéger ou même à diriger en milieu urbain qu'en milieu
rural, certainement pour des questions d'ordre culturel. En effet, si 6 des 48
présidents de communautés urbaines sont des femmes, seules 2
femmes administrent l'une des... 320 communautés rurales, ce qui
représente un pourcentage de 0,62 %. "Collectivités locales :
ce qui handicape les femmes", Le Soleil, 2 décembre 1998 et
Momar-Coumba Diop, Gouverner le Sénégal, entre ajustement
structurel et développement durable, pp.239, Paris, Karthala,
2004.
7 Cette récompense se traduit aussi par des lois
votées à la fin de l'année 1998 en faveur des femmes. A
cette occasion, l'excision, les violences conjugales et le harcèlement
sexuel sont criminalisés avec des peines allant de 1 à 5 ans de
prison. "A vancée pour les droits de l'homme", Le Soleil, 23
décembre 1998.
8 "Tanor for vice-président ? ", Lettre du
continent, 9 juillet 1998.
9 Le Soleil, 7 juillet 1998.
- Ministre de l'Education Nationale : André Sonko
- Ministre de l'Economie, des Finances et du Plan : Mohamed El
Moustapha Diagne
- Ministre de l'Hydraulique : Mamadou Faye
- Ministre de l'Energie, des Mines et de l'Industrie : Magued
Diouf
- Ministre de l'Environnement et de la Protection de la Nature :
Souty Touré
- Ministre de l'Equipement et des Transports Terrestres :
Landing Sané
- Ministre de la Pêche et des Transports Maritimes :
Alassane Dialy Ndiaye
- Ministre du Travail et de l'Emploi : Mme Marie-Louise
Correa
- Ministre de la Culture : Abdoulaye Elimane Kane
- Ministre de la Jeunesse et des Sports : Iba Gueye
- Ministre du Commerce et de l'Artisanat : Khalifa Sall
- Ministre de la Communication : Mme Aissata Tall Sall
- Ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat : Abdourahmane Sow
- Ministre de la Santé : Assane Diop
- Ministre de la Famille, de l'Action Sociale et de la
Solidarité Nationale : Mme Aminata Mbengue Ndiaye
- Ministre de la Recherche Scientifique et de la Technologie :
Balla Moussa Daffé
- Ministre de la Modernisation de l'Etat : Abdoulaye Makhtar
Diop
- Ministre de l'Elevage : Sanghé Mballo :
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre, chargé des Relations avec les Assemblées : Papa Babacar
Mbaye
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre, chargé de l'Intégration Economique Africaine : Mme
Aminata Abibatou Mbaye
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'intérieur, chargé de la décentralisation :
Chérif Macky Sall
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Education Nationale, chargé de l'Education de Base et des
Langues Nationales : Mame Bounama Sall
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Economie, chargé du Budget : Mme Aissatou Niang Ndiaye
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Economie, chargé du Plan : El Hadji Ibrahima Sall
Au cours de sa déclaration de politique
générale aux députés en août 1998, Lamine
Loum présente les grands objectifs de sa Primature. Il insiste sur la
modernisation et l'intensification agricole (la sécheresse et les
mauvaises récoltes ayant entraîné dans les régions
du nord une
quasi-famine), le maintien de l'unité du territoire, le
renforcement des moyens de supervision de l'ONEL, la protection des femmes, le
soutien du gouvernement aux troupes envoyées en
Guinée-Bissau etc. Il souligne aussi la
nécessité pour le Sénégal de maintenir une
croissance forte, aux alentours de 6 %, et une inflation faible, en dessous de
3% 10.
Par conséquent, Lamine Loum table sur la
notoriété qu'il a acquise grâce au redressement de
l'économie sénégalaise pour se faire
accepter des députés. Or, dès sa première prise de
parole, il est chahuté par l'opposition qui lui reproche "d'avoir
été choisi parce qu 'il est le Monsieur
ajustement du Sénégal" et de n'être
que le baobab qui cache le véritable chef du gouvernement, Ousmane Tanor
Dieng. Cette nouvelle législature s'annonce donc difficile
pour les socialistes, puisqu'en dépit d'une très
large majorité, ils se heurtent maintenant à des partis
d'opposition organisés et "belliqueux", prêts à rompre avec
la léthargie qui régnait
jusqu'alors dans l'hémicycle.
1.2. Une chambre parlementaire plurielle et active :
En août 1998, le Parlement sénégalais compte
46 députés opposés à la politique menée par
les socialistes : un record 11. Les différents
partis s'entendent rapidement entre eux pour former
10 "Les questions des députés", Le
Soleil, 13 août 1998.
11 Même si la chambre compte officiellement 47
députés non-socialiste, on exclut des opposants le
député PDSR.
des groupes parlementaires. Le PDS crée l'Alliance des
Forces de Changement pour l'Alternance (AFCA) en compagnie d'And Jëf, du
CDP et du PIT alors que l'Union pour le Renouveau Démocratique (URD),
crée par Djibo Kâ à la suite des législatives,
établit un Bloc Républicain pour le Changement (BRC) avec la
LD/MPT, le BCG et le RND.
La formation de plusieurs groupes parlementaires est capitale
pour l'opposition, puisque ces regroupements permettent de proposer plus
facilement des lois et d'obtenir des places au bureau de l'Assemblée
nationale ou dans les commissions. De ce fait, dans le nouveau bureau
dirigé par Cheikh Khadre Cissokho, confirmé dans ses fonctions de
président de l'Assemblée nationale, on compte Aminata Tall (PDS)
et Landing Savané (And Jëf). L'opposition joue ainsi un rôle
plus conséquent qu'autrefois dans "le terrain de jeu socialiste". La
chambre se transforme en un véritable lieu d'affrontement politique,
à l'instar des grandes démocraties occidentales.
L'érection de deux groupes parlementaires distincts
met en évidence la guerre de position que se livrent Wade et Ka en vue
des présidentielles, tous les deux désirant être reconnus
rapidement comme chef de l'opposition. Pour arriver à leur fin, ils ne
choisissent pas la même stratégie. Si Djibo Kâ se fait
élire président du groupe parlementaire BRC, Abdoulaye Wade...
démissionne de ses fonctions de député en juillet 1998
12 . Cette attitude est logique car depuis ses débuts en
politique, le fondateur du PDS ne s'est jamais caché d'un certain
désintérêt pour la vie parlementaire en multipliant les
absences et les "exils". Il croit en effet que toute lutte place Soweto est
vaine, étant donné l'omniprésence et l'omnipotence
socialiste dans les travées de l'Assemblée. Pour lui,
l'alternance n'est possible que via des soutiens politiques et des financements
extérieurs, ainsi que par une campagne "d'information" anti-Diouf
soutenue à l'étranger.
Si Djibo Kâ ne nie pas la nécessité de
telles démarches - il a d'ailleurs effectué une tournée
des capitales occidentales en 1998 - il croit fermement que l'opposition doit
faire vaciller le pouvoir en le harcelant à la base. En outre, le
leader de l'URD éprouve une certaine satisfaction à
revenir officiellement dans la vie politique sénégalaise, lui qui
en a été exclu pendant trois ans par son ancien parti, sans
aucune contrepartie 13.
C'est pourquoi le BRC dépose dès le mois
d'août 1998 une motion de censure contre le gouvernement Loum, alors que
celui-ci n'a pas encore fait son discours de politique générale.
Djibo Kâ justifie cette initiative par le fait que le PS ne
représente que 1/5 de l'électorat sénégalais et que
donc il n'a aucune légitimité à gouverner. Il
désire de surcroît des "réponses satisfaisantes aux
questions brûlantes ", notamment au sujet des opérations
militaires en Guinée-Bissau et des difficultés agricoles que
connaît le pays durant l'hivernage 1998 14 . Il s'agit par
conséquent d'un geste symbolique de défiance à
l'égard d'un Premier ministre sans base, ni soutien politique
affirmé.
Le PS vient à la rescousse du locataire de la
Primature et reprend ses attaques vis-à-vis du dissident Kâ, dont
la propagande socialiste assimile le nom aux heures sombres du parti unique au
Sénégal. Le climat s'envenime un peu plus quand le PDS et ses
alliés apportent leur soutien à l'URD. Face à la
constitution d'un véritable front de l'opposition, le porte-parole
socialiste Abdourahim Agne dénonce maladroitement les pillages
effectués par Kâ et les ministres PDS durant leur séjour au
pouvoir. Cette réflexion amène le secrétaire
général de l'URD à demander la constitution d'un jury
d'honneur, Wade une commission d'enquête et
12 "Me Wade quitte l'Assemblée nationale", Le
Soleil, 24 juillet 1998.
13 Avant la "jurisprudence Kâ", il était
habituellement de bon ton que le chef de l'Etat offre la direction d'une
entreprise publique à un homme politique important remercié,
comme cela a été le cas pour Habib Thiam en 1984 ou Abdul Aziz
Ndaw en 1993.
14 "Projet de censure du groupe démocratie et
liberté", Le Soleil, 10 août 1998.
Madior Diouf la réactivation de la loi contre
l'enrichissement illicite. Entraîné sur un terrain glissant et
dangereux, le PS fait machine arrière et se contente de faire
échouer la motion de censure, qui recueille toutefois 41 voix 15
. Les partis non-gouvernementaux donnent ainsi le ton et montrent qu'ils
n'accepteront aucun consensus avec le pouvoir.
Le bon sens politique voudrait que le PS se contente de
gérer les affaires courantes jusqu'aux présidentielles. Pourtant,
une semaine à peine après l'échec de la motion de censure,
Ousmane Tanor Dieng propose aux parlementaires son projet de suppression du
quart-bloquant et de fin de limitation des mandats présidentiels. Si la
raison de la première suppression peut s'expliquer - en mettant un terme
au quart bloquant, le PS offre une chance à Abdou Diouf d'être
élu au premier tour - la deuxième ne se justifie absolument pas,
étant donné que le chef de l'Etat à d'ores et
déjà annoncé qu'il concourait pour son dernier mandat. La
seule explication plausible d'une telle emprise est qu'elle permettrait
à Tanor Dieng en cas de succession "imprévue" à Diouf de
ne pas comptabiliser son premier semi-mandat à la tête de l'Etat
lors des élections de 2007.
Quoi qu'il en soit, le PS a bien du mal à
légitimer ces modifications du code électoral. Pour ce qui est de
la limitation des mandats, Tanor Dieng évoque le droit de tout homme
compétent - en l'occurrence Diouf - à se présenter autant
de fois qu'il le désire aux élections ; il cite l'exemple
français qui n'impose aucune restriction de ce type à ses
Présidents et parle d'injustice car des hommes comme Wade "ont le
droit de se présenter jusqu'à ne plus pouvoir marcher" 16
. Concernant la suppression du quart-bloquant, les
explications socialistes sont encore plus limitées. Le PS soutient qu'il
n'est pas normal qu'un homme ne puisse être élu au premier tour
par la faute d'abstentionnistes désintéressés de la vie
politique et de l'avenir du pays. Ces arguments, largement relayés par
Le Soleil, ne satisfont ni les opposants ni les observateurs
internationaux.
Le flou qui entoure les intentions socialistes ne fait que
crisper un peu plus les relations entre le PS et les opposants. Ces derniers
accusent maintenant la formation gouvernementale de vouloir à terme
instaurer une présidence à vie. Comme l'explique l'ancien
ministre senghorien, Assane Seck, "cet argument de l'opposition, une
maladresse des socialistes, appuyé par la critique de la
société civile et amplifiée par la presse, permet
facilement d'attribuer l'origine de toutes les difficultés que
traversent le pays à l'irresponsabilité dont faisait preuve le
parti au pouvoir. Cette mesure fut une erreur, qui allait coûter cher au
PS" 17.
Obnubilé par leur volonté de faire élire
Diouf au premier tour, les socialistes ne rendent pas compte de leur maladresse
et font adopter la loi sans aucune difficulté, bien aidés par un
Conseil constitutionnel qui n'étudie le recours de l'opposition que...
un mois et demi après le vote 18. En guise de
représailles, une très large partie de l'opposition ne participe
pas aux élections sénatoriales de janvier 1999.
1.3. Un Sénat boudé par l'opposition :
Le Sénat est un projet qui a été de
nombreuses fois évoqué par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade durant
les années 1980 et 1990. Finalement, c'est après l'adoption de la
décentralisation que les contours du futur Sénat sont
tracés par le Président de la République. Outre le fait
que
15 "Lutte contre la corruption", Le Soleil, 24
août 1998 et "La motion de censure rejetée",Le
Soleil 18 août 1998.
16 "Conseil constitutionnel : les recours de l'opposition
rejetés", Le Soleil, 14 octobre 1998.
17 Assane Seck, Sénégal, émergence d'une
démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique,
pp.208, Paris, Karthala, 2005.
18 "Le PS s'indigne et riposte", Le Soleil, 13
septembre 1998.
son président devienne le troisième personnage
de l'Etat, Diouf souhaite que cette chambre permette la représentation
des collectivités territoriales au sein du pouvoir législatif.
C'est pourquoi le scrutin indirect est privilégié et que seuls
les membres de l'Assemblée nationale et les conseillers locaux,
municipaux et régionaux sont consultés pour ces élections.
En somme, le Sénat sénégalais se calque trait pour trait
sur son homologue français.
Bien avant le raidissement des relations PS-PDS, Wade
s'interroge sur l'utilité et le coût d'une telle assemblée.
Ainsi, alors qu'il est toujours au gouvernement au moment du vote de la loi
02/98 instituant le Sénat, le PDS boycotte la consultation 19
. Il s'oppose également à la nomination directe de 12 des
60 sénateurs par le Président de la République. Cette
mesure est sujette à polémique, les libéraux allant
jusqu'à déposer un recours devant le Conseil constitutionnel. Ils
arguent du fait que la Constitution interdit à "quiconque de
s'arroger les attributs de la souveraineté nationale" 20
. La cour d'Etat donnera raison au Président de la
République.
Les multiples désaccords Diouf-Wade, amplifiés
par le climat post-électoral, ne favorisent pas l'acceptation du nouveau
Sénat. Par conséquent, seules trois listes se présentent
aux sénatoriales : celles du PS, du PLS, et du PAI. L'opposition est
totalement absente de ce scrutin car les deux partis en concurrence avec les
socialistes ne sont en fait que des "filiales" : le PAI de Majhemout Diop s'est
rallié depuis 1993 sans condition à la politique dioufiste et le
PLS, nouveau parti d'Ousmane Ngom, qui a rompu depuis 6 mois avec Abdoulaye
Wade, s'est très sensiblement rapproché du cercle d'Ousmane Tanor
Dieng depuis sa création. En raison d'une très large
majorité d'électeurs socialistes et de l'absence d'opposants
réels, le scrutin du 24 janvier 1999 se déroule tout
naturellement dans une indifférence presque générale.
C'est un sentiment d'échec qui prédomine à l'annonce des
résultats.
Sans surprise, le PS gagne haut la main. Sur 10 775 suffrages
valables (la participation est particulièrement élevée,
étant donné que pour ces élections, elle est obligatoire),
le parti gouvernemental obtient 9 840 voix (9 1,32 %), le PAI 609 (5,65 %) et
le PLP 326 (3,03 %). Le Sénat, qui devait prolonger la réussite
de "l'ouverture" constatée en 1996, ne fait que consacrer le
monocolorisme socialisme : 58 sénateurs PS sont élus ou choisis -
on compte parmi eux des "sages" tels que Babacar Bâ ou Assane Seck -
tandis qu'en guise de "récompense" pour leur participation, Majhemout
Diop (PAI) et Marcel Bassène (PLS) sont nommés par Abdou Diouf.
Finalement, la seule surprise de cette consultation est le fort pourcentage de
sénatrices élues, qui s'élève à 18,33 % (11
femmes sur 60 sénateurs ).
Cette Assemblée, dirigée par Abdoulaye Diack
(PS), souffre donc dès sa création d'une
illégitimité perceptible. C'est un réel échec pour
Abdou Diouf, qui avait fait de la mise en place du Sénat l'un des
objectifs prioritaires de son septennat. Ceci n'est pas la seule
déconvenue que connaisse le chef de l'Etat en 1998. Sur le plan
franco-sénégalais, Abdou Diouf est
décrédibilisé par la campagne d'information menée
par l'opposition lors de sa visite officielle à Paris. Sur le plan
africain, il subit les répercussions de l'enlisement de l'armée
sénégalaise aussi bien en Casamance qu'en Guinée-Bissau.
En cette fin de millénaire, la vitrine sénégalaise
apparaît belle et bien craquelée 21.
19 "Le Sénat passe : un vote boycotté par
l'opposition ", Le Soleil, 15 février 1998.
20 "Désignation de sénateurs par le
Président de la République", Le Soleil, 11 mars 1998.
21 Collectif "Survie", "France-Sénégal : une
vitrine craquelée", Paris Montréal, l'Harmattan, 1997.
2. Le Sénégal : une vitrine
craquelée :
2.1. L'intervention militaire en Guinée-Bissau
:
Le Sénégal et son voisin bissau-guinéen
entretiennent des rapports étroits depuis le début des
années 1990 pour lutter ensemble contre les rebelles casamançais.
En effet, le MFDC a trouvé dans l'ancienne colonie portugaise une
base-arrière idéale pour lancer ses attaques contre les
militaires sénégalais, la région comprenant de nombreux
diolas solidaires de l'action menée par les séparatistes. Abdou
Diouf a vivement encouragé le Président Joao Bernardo Vieira
à collaborer avec lui pour faciliter la traque des rebelles. Les deux
hommes ont donc signé des accords de défense, facilitant
l'accès du territoire bissau-guinéen aux militaires
sénégalais.
Pour le remercier de son soutien, Abdou Diouf appuie
l'entrée en mai 1997 de la GuinéeBissau dans la zone CFA.
L'économie du pays, l'une des plus faible du continent africain, est
gravement minée à l'époque par la faiblesse du Peso, qui
connaît une dévaluation annuelle de 50% 22 . Le Franc
CFA, monnaie stable et "forte", représente une bouffée d'air pour
le régime de Vieira. Toutefois, la population subit les contrecoups de
ce changement monétaire. En l'espace d'un an, le gouvernement
mène des réformes pour assainir les finances, augmente la
pression fiscale et douanière, privatise les entreprises publiques,
licencie un tiers des 12 000 fonctionnaires du pays (la Guinée-Bissau
compte 1,1 millions d'habitant en 1998), tandis que l'inflation explose, les
prix étant multipliés par... 5.
Le Président Vieira doit contenir le
mécontentement populaire naissant tout en continuant de répondre
favorablement aux requêtes de son allié sénégalais
sur la question casamançaise. C'est pourquoi le 6 juin 1998, Joao
Bernardo Vieira limoge le général Ansumane Mané,
suspecté d'avoir fermé les yeux concernant un trafic d'armes
entre son pays et le MFDC. La réaction de l'armée
bissau-guinéenne ne se fait pas attendre, puisque le lendemain, elle se
mutine et prend le contrôle des points stratégiques de la capitale
Bissau.
Se souvenant de la réussite totale de l'intervention
militaire en Gambie, Abdou Diouf envoie son armée pour venir au secours
de son allié, avec l'aide de la Guinée. Outre l'intention de
maintenir Joao Bernardo Vieira au pouvoir, cette opération a pour
objectif de déloger le MFDC du pays et le ramener sur le seul espace
casamançais. Ainsi, 1 000 soldats sénégalais prennent la
route de Bissau, assistés de 440 militaires guinéens 23
. "L 'opération Gabou" est lancée.
Comme en 1982, le Sénégal prévoit de mener "une guerre
éclaire" en asphyxiant dès les premières heures les
putschistes. Les premières informations transmises par Le Soleil
sont rassurantes. Le journal gouvernemental annonce que une à une,
les bases des fidèles de Ansumane Mané tombent. Il publie
même le 15 juin un télégramme de l'ambassadeur Omar Ben
Khatah Sokhna Amb particulièrement optimiste : "le moral est
très bon, la principale garnison Bra est tombée. Mutins
s'étant repliés à l'aéroport. Avec l'aide de Dieu,
situation pourrait prendre fin aujourd'hui" 24.
L'actualité étant monopolisée en juin
1998 par la Coupe du monde de football en France, Le Soleil n'a aucun
mal à annoncer les jours qui suivent des nouvelles similaires : le 17,
il titre "Les mutins ne tiendront pas longtemps" ; le 19 "Les
mutins aux abois" ; le 21 "Le PS salue l'intervention de
l'armée à Bissau" etc. Pourtant, le conflit sur le terrain
s'enlise. En effet, l'état major sénégalais n'a pas pris
en compte avant le lancement des opérations l'impopularité
grandissante du régime de Vieira. La population, lasse d'un pouvoir
d'achat qui ne cesse de chuter depuis le passage au Franc CFA, en vient parfois
à soutenir les rebelles. Cette réalité
22 "Guinée-Bissau : la greffe du franc CFA a bien
pris", Le Soleil, 30 avril 1998.
23 "Le Sénégal et la Guinée
interviennent pour mater la mutinerie en Guinée-Bissau", Le Monde,
12 juin 1998. 24 "Message à Habib Thiam ", Le Soleil, 15 juin
1998.
rend difficile l'avancée des Sénégalais,
incapables par exemple de reprendre l'aéroport de Bissau à
l'ennemi.
L'intervention, qui devait être au départ
rapide, se transforme en bourbier. Bissau est déserté (on parle
d'un exode de 300 000 personnes) pendant que des séparatistes
casamançais prennent les armes pour aider les putschistes. Ils
acquièrent ainsi une expérience de combat et des nouvelles armes
qu'ils ne possédaient pas auparavant. Par conséquent,
l'intervention sénégalaise ne fait que renforcer la position du
MFDC dans la région, puisqu'il tisse des liens encore plus
étroits avec sa base-arrière. Bien qu'un cessez-le-feu soit
finalement trouvé entre le général Mané et Vieira
à la fin du mois d'août 1998 grâce à une
médiation de la communauté lusitophone, Abdou Diouf maintient son
armée dans le pays pour effectuer des opérations de "nettoyage"
à la frontière.
Ce choix déplait fortement à l'opposition. Il
faut dire que contrairement à la plupart des décisions de
politique étrangère prises par Abdou Diouf depuis son
arrivée au palais présidentiel, "l'opération Gabou" ne
suscite que les critiques des formations nongouvernementales. Le PDS
déplore le coût financier et humain de l'opération, jugeant
de plus que "l'intervention sénégalaise a été
décidée de façon solitaire et dans la précipitation
par le Président Abdou Diouf" 25 . Pour Abdoulaye Wade,
le chef de l'Etat a misé sur la mauvaise personne, car à la fin
de l'année 1998, 90 % de l'armée régulière est dans
le camp du général Ansumane Mané. L'intervention, en plus
d'être inutile, va donc selon le chef de l'opposition à l'encontre
de la souveraineté bissau-guinéenne.
Sans soutien intérieur, Abdou Diouf n'arrive pas
à imposer sa vision des choses en GuinéeBissau. Alors qu'un
gouvernement d'union national est envisagé, le conflit reprend à
partir d'octobre 1998 pour aboutir finalement au reversement du
Président Vieira le 7 mai 1999. Dans cette opération, le
Sénégal perd un allié fidèle et
récupère en échange un homme peu sûr, dont
l'accession au pouvoir a été favorisée par le soutien
explicite du MFDC. Abdou Diouf n'a donc plus d'interlocuteur fiable : les
différents membres du MFDC se déchirent, l'autorité de
Diamacoune sur les séparatistes étant fictive ; le
Président Mané se montre moins coopérant que son
prédécesseur ; le Président gambien Yahya Jammeh tente de
jouer un rôle dans la résolution de la crise sans avoir les moyens
de ses ambitions. La Casamance reste de ce fait incontrôlable,
gangrenée par les trafics d'armes et de drogues. On assiste
également à "l'émergence de féodalités
militaires" 26 , Dakar étant dans l'incapacité de
contrôler des chefs militaires qui ont tout intérêt à
faire durer le conflit. Logiquement, les violences casamançaises
s'intensifient durant l'hivernage 1999.
L'opinion internationale est perplexe quant à la
manière dont Abdou Diouf a géré cette crise. En outre,
l'image dioufiste pâtit de l'agitation sociale qui touche le
Sénégal. De nombreuses actions syndicales sont en effet
menées pour empêcher la privatisation des grandes entreprises
publiques, telles que la SONELEC. Les syndicats n'hésitent pas à
multiplier les opérations de sabotage. Par exemple, les grandes villes
sont plus d'une fois privées d'électricité pendant une
dizaine d'heures. Face à la dangerosité de ces actions, le meneur
syndical Mademba Sock est arrêté puis condamné à un
an de prison. Cet emprisonnement est utilisé par les opposants pour
signaler aux observateurs étrangers le durcissement du régime
dioufiste. Ils le font notamment à Paris lors de la visite officielle
d'Abdou Diouf en France en octobre 1998.
25 "Guinée-Bissau : échec selon le PDS",
Le Soleil, 27 juillet 1998.
26 Thomas Sotinel, "Dakar doit de nouveau faire face
à des combats en Casamance ", Le Monde, 15 juin 1999.
2.2. La visite officielle d'Abdou Diouf à Paris
(octobre 1998) :
La visite d'Abdou Diouf à Paris doit
célébrer l'amitié franco-sénégalaise, mais
aussi permettre au Président d'obtenir un soutien implicite de
l'ancienne métropole pour sa candidature de 2000. Durant son
séjour, le Président de la République est invité
à se rendre à l'Assemblée nationale française pour
y prononcer un discours. Cet honneur est assez rare, puisque seuls Juan Carlos
Ier, Bill Clinton, Hassan II, Romano Prodi et Tony Blair ont eu droit avant lui
à cet honneur. Le président de l'Assemblée nationale,
Laurent Fabius, décrit Diouf comme étant un "chef d'Etat ami,
militant de la Francophonie, citoyen du premier des continents, l'Afrique"
27 . Le but de Diouf durant cette tournée
parisienne est de ras surer ses amis français et de confirmer ses
engagements en matière de démocratie. C'est ce qu'il fait
à l'occasion de son discours : "démocratie, respects de
droits de l'homme, des libertés individuelles et collectives,
stabilité politique, prévention des conflits et maintien de la
paix, le Sénégal construit sans relâche l'Etat de droit
à l'intérieur de ses frontières, aide à son
rétablissement là où il est détruit et à sa
consolidation là où il est fragilisé ". Cette
entreprise de séduction est néanmoins totalement annihilée
par la présence des opposants sénégalais au même
moment à Paris : ils monopolisent l'attention des médias
français.
Abdoulaye Wade, Djibo Kâ, Landing Savané et
Abdoulaye Bathily se présentent unis face aux journalistes
français et abordent les tares de la République
sénégalaise. Ils rappellent l'ascension au pouvoir
non-démocratique de Diouf, les récurrentes fraudes
électorales, la volonté dioufiste de conserver le pouvoir via les
récentes réformes constitutionnelles, l'opacité du
régime pour ce qui est de la guerre en Guinée-Bissau et en
Casamance, l'arrestation "arbitraire" de Mademba Sock etc.
L'opposition scande aussi devant les grilles du Palais
Bourbon "Abdou Diouf, dictateur" 28 et envoie à tous
les députés français, ainsi qu'à Jacques Chirac et
aux bailleurs de fonds, une lettre récapitulant tous les méfaits
du Président Diouf . Elle souligne dans celle-ci implicitement le risque
d'assister à une grave explosion de violence en cas de
réélection du candidat PS, confirmant ainsi les propos d'Amath
Dansokho tenus quelques jours avant son envol pour Paris : "je dis que le
temps de Diouf est terminé. Si le pouvoir PS continue à refuser
l'alternance par la voie du suffrage, il n'est pas exclu que des
Sénégalais explorent d'autres voies" 29.
Cette campagne d'information, dite "campagne de Paris", est
un réel succès pour les opposants, puisque les médias
français s'intéressent plus à leurs revendications
qu'à la visite "historique" d'Abdou Diouf, reléguée au
second plan de l'actualité, comme le montre l'article du Monde
du 21 octobre 1998 qui titre : "La visite d'Abdou Diouf à Paris
est perturbée par les problèmes intérieurs du
Sénégal". L'engouement que suscite auprès des
médias français les revendications de l'opposition traduit
paradoxalement le fort déclin de l'intérêt français
quant à la politique africaine. Peu de journalistes sont au fait de la
politique générale menée par Abdou Diouf . De
surcroît, le nom de ce dernier, contrairement à celui de son
prédécesseur, n'évoque pas grand chose pour une grande
majorité des habitants de l'ancienne métropole. Cette
méconnaissance reflète la séparation progressive de la
France d'avec son pré-carré africain. Elle profite ainsi à
l'opposition sénégalaise, qui peut peindre durant "la campagne de
Paris" un portrait sombre et inquiétant du Président en
l'assimilant à une caricature de
27 "Le Président sénégalais Abdou Diouf
reçu à l'Assemblée nationale", Le Monde, 23 octobre
1998.
28 "L 'AFCA et le BRC à Paris : nous suivrons Diouf
partout", Le Soleil 22 octobre 1998.
29 "L 'AFCA et le BRC à Thiès : les
ténors de l'opposition font bloc", Le Soleil, 12 octobre 1998.
dirigeant africain : corrompu, autocrate, violent etc.
30
Abdou Diouf n'a pas su anticiper les conséquences
d'une telle opération "de sabotage". Bien que prévenu avant son
départ des intentions wadistes, Diouf a privilégié la voie
de la modération en dénonçant simplement "les
motivations partisanes, électoralistes et éloignées des
intérêts du pays" de ce projet 31 . Il n'a pas
empêché cette campagne de dénigrement à son sujet,
confirmant par ce fait qu'il est bien éloigné du dictateur
dépeint par ses détracteurs. Il assiste donc impuissant à
ces manifestations, même si le PS essaie dans le même temps
d'organiser des contre-manifestations sur l'esplanade des Invalides, avec
déploiements de banderoles, slogans de soutien à l'attention du
chef de l'Etat etc. Ces initiatives sont des échecs. Elles sont à
peine évoquées par les médias français.
"La campagne de Paris" jette le doute dans l'opinion
française et craquèle un peu plus la vitrine démocratique
de Diouf. Désireux de profiter de cet affaiblissement
présidentiel, Wade propose alors à ses partenaires de l'AFCA et
du BRC de former un gouvernement d'union national de transition avec le PS pour
résoudre le conflit en Guinée-Bissau et en Casamance ainsi que
les problèmes d'insécurité qui prolifèrent dans le
pays : "le gouvernement aura pour tâche d'éteindre les foyers
d'incendies entretenus un peu partout par les politiques néfastes
d'Abdou Diouf"' 32 . Cette proposition de consensus, cette
fois-ci non pas au profit de Diouf mais de Wade, est un échec. Le PS la
juge inopportune et sans morale ; les formations d'opposition, telles que le
RND, la CDP ou And Jëf refusent une nouvelle fois l'entrisme. Le Pape du
sopi est de ce fait dans l'obligation de changer de stratégie.
Il décide pendant plus d'un an de s'effacer de la vie politique
sénégalaise, de manière à préparer
activement les prochaines présidentielles. C'est durant cette
période que s'érige un nouveau pôle de contestation
politique. Le 16 juin 1999, le populaire Moustapha Niasse rompt officiellement
avec le PS et noue dans la foulée une alliance tacite avec Abdoulaye
Wade.
3. Vers une opposition unifiée et forte :
3.1. Le départ de Moustapha Niasse du Parti
socialiste :
Un séisme se produit dans le paysage politique
sénégalais le 16 juin 1999. Dans un texte intitulé "Je
suis prêt", Moustapha Niasse annonce son intention ferme de quitter
le PS et de se présenter aux futures élections
présidentielles. Il dénonce dans sa déclaration la
corruption, l'absence de projet de société, les fraudes
électorales, la révision constitutionnelle d'août 1998 etc.
Sans dévoiler leur nom, deux personnes sont visées tout au long
du texte : Ousmane Tanor Dieng et Abdou Diouf. Outre leurs échecs
politiques et économiques, Niasse remet en cause leur
légitimité en critiquant l'instauration du dauphinat tanorien et
les conditions d'arrivée au pouvoir d'Abdou Diouf en 1981 :
"j'ai toujours refusé de m'inscrire dans la
dynamique d'un dauphinat, pour remplacer qui que ce soit, à la faveur de
mécanismes qui se situent toujours en dehors de la morale et de
l'éthique démocratique. Les peuples sont seuls habilités
à choisir leurs dirigeants conformément à la
volonté divine et au droit (...) J'ai toujours
considéré
30 On note cette volonté dans une déclaration
de Landing Savané faite en France : "nous sommes venu afin de
protester contre l'utilisation de cette invitation. C'est comme si on voulait
faire passer Abdou Diouf pour le candidat de la France aux élections
présidentielles de l'an 2000. Le Sénégal n'est pas du tout
la vitrine de la démocratie en Afrique, comme on veut le faire croire
aux français".
31 "Campagne de dénigrement de l'opposition : le
gouvernement dénonce la diversion", Le Soleil, 7 octobre 1998.
32 "La proposition de Wade rejeté par la classe
politique", Le Soleil, 26 octobre 1998.
que toute forme de succession à la tête de
l'Etat, qui exclurait, directement ou indirectement. Les procédures du
suffrage universel, est totalement condamnable. Le jour où les
Sénégalais et leurs dirigeants auront, ensemble, des destins
croisés, le pays sera sauvé."
Contrairement à Djibo Kâ, Niasse choisit donc
immédiatement de rompre avec le chef de l'Etat en ne le dissociant pas
des procédés tanoriens. Il ne se reconnaît plus en Diouf et
ne demande pas son arbitrage, le sachant partisan. Il faut dire qu'Abdou Diouf
n'a jamais réellement soutenu son ancien ministre d'Etat. En 1981, Habib
Thiam est nommé à la surprise générale à la
Primature, en lieu et place de Niasse. En 1983, Niasse devient Premier
ministre, non pas pour diriger le gouvernement mais... pour supprimer la
fonction. Puis l'ancien directeur de cabinet du Président Senghor
connaît une longue traversée du désert, suite à un
coup de poing asséné à Djibo Kâ en pleine
réunion du bureau politique PS. Durant presque une décennie, de
1984 à 1993, Niasse disparaît des médias d'Etat et du monde
politique sénégalais. L'homme change, prend position pour une
rénovation des procédés socialistes 33 et
surtout acquiert un nouveau statut économique grâce à la
réussite de ses affaires. A son retour au premier plan, ses discours se
veulent plus modérés, portés sur la déontologie, la
démocratie ou la religion. Il se distingue des autres dirigeants
socialistes en encourageant une participation plus marquée de
l'opposition dans la vie politique. Il en vient à s'opposer à
Tanor Dieng, dont il critique les choix et les méthodes.
Niasse a les moyens de cultiver sa différence au sein
du parti. C'est un homme riche, influent, lié par le sang à
l'influente famille niassène de Kaolack et qui a noué des
relations très étroites avec les milieux d'affaires et politiques
français, saoudiens et américains. Fort de ces soutiens, il
décide en 1996 de présenter sa candidature à la succession
de Boutros Boutros-Ghali à la tête de l'ONU. Or, Abdou Diouf
refuse de le soutenir, arguant du fait que les candidats africains sont
déjà trop nombreux. Cette position présidentielle
contraint le ministre des Affaires Etrangères à renoncer à
ce poste pour le moins prestigieux 34. Le chef de l'Etat
sénégalais vient une nouvelle fois entraver la marche en avant de
l'ancien protégé de Senghor.
Niasse est humilié, d'autant plus qu'il supporte de
plus en plus mal la prédominance au sein du gouvernement de Tanor Dieng,
ce dernier prenant souvent en charge des dossiers normalement attribués
au chef de la diplomatie sénégalaise35.
Excédé, Niasse lance à l'approche des législatives
une grande offensive à l'encontre de Tanor Dieng en accordant le
même jour des interviews aux trois plus grands quotidiens
sénégalais de l'époque : Le Soleil, Wal Fadjri et
Sud quotidien 36 . Il polémique à cette
occasion sur son investiture comme tête de liste PS dans son fief de
Nioro. Il critique le fait que ce soit les dirigeants socialistes qui l'aient
investi et non la base, de surcroît sans l'en avertir. Il remet donc en
cause les habitudes dioufistes et tanoriennes de cooptation et non de
consultation. Il clame à travers ces articles sa liberté au sein
du PS, sa non-appartenance à un camp et son désir de voir un PS
pluriel. Il accorde ainsi un soutien implicite à la cause de Djibo
Kâ, qui vient quelques semaines auparavant de rompre officiellement avec
le PS. Pour exprimer sa pensée, il emploie des mots
33 Il déclare en 1990 : "si l'on n 'a pas pu changer
le parti de l'intérieur depuis dix ans, il faut envisager
sérieusement de créer un nouveau parti qui intégrerait
l'expérience et les acquis historiques du PS et qui s 'adapterait mieux
au contexte actuel et aux mutations indispensables de la société
sénégalaise ". MomarCoumba Diop et Mamadou Diouf, Le
Sénégal sous Abdou Diouf. Etat et société,
pp.384, Dakar, Codesria, Paris, Karthala, 1990.
34 "Le Sénégal ne déposera pas la
candidature de Niasse", Le Soleil, 11 décembre 1996.
35 C'est notamment le cas au sujet des relations
sénégalo-bissau-guinéenne. "Dieng coiffe Niasse",
Lettre du continent, 15 février 1996.
36 Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à
l'épreuve de la démocratie ou L 'histoire du PS de la naissance
à nos jours, pp.161, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.
relativement durs à l'encontre des hauts dirigeants
socialistes : "un parti ne peut pas être une
armée, où les généraux doivent
commander et les hommes de troupe doivent se mettre au garde à vous,
agir avant de réfléchir" 37.
On comprend mieux pourquoi Niasse quitte le gouvernement lorsque
Tanor Dieng obtient
pratiquement les pleins pouvoirs après la nomination de
Lamine Loum à la Primature. Comme il l'a fait avec Djibo Kâ, Abdou
Diouf a donc pertinemment sacrifié l'un des hommes
les plus populaires du PS pour renforcer la position de son
"dauphin", au risque de voir une nouvelle scission s'opérer au sein de
sa formation. Il n'a pas conscience du danger que
représente Niasse, d'autant plus que durant les premiers
mois suivants son départ du gouvernemental, l'ancien Premier ministre se
fait relativement discret, conduisant des
missions pour l'Organisation Internationale de la Francophonie au
Togo et pour l'ONU dans la région des Grands Lacs. Cependant, en
coulisse, Moustapha Niasse tâte le terrain, attend des
signaux favorables.
Jeune Afrique démontre une nouvelle fois son
influence sur la politique sénégalaise suite à un
entretien accordé par Mgr Hyacinthe Thiandoum à l'hebdomadaire.
Même si les catholiques
représentent à peine 5 % de la population du pays,
leurs oeuvres caritatives et la bonne entente du clergé catholique avec
les confréries mourides et tidjanes offrent à l'archevêque
de Dakar
un poids moral et politique assez conséquent. Sa
parole est respectée et très attentivement écoutée.
D'autant plus que lors de l'entretien, il se présente comme un ami de
Diouf et du régime PS 38. Son avis sur la lutte
Tanor Dieng-Kâ-Niasse intéresse donc obligatoirement "les
belligérants". Mgr Hyacinthe Thiandoum estime ainsi que
Djibo Kâ a eu tort de se couper du
parti tandis qu'il déclare simplement au sujet du premier
secrétaire PS : "je ne le connais pas ". Cette
déclaration affaiblie l'homme de confiance du Président, puisque
cet aveu reflète son
absence de légitimité. Au contraire,
l'archevêque dresse un portrait élogieux de Moustapha Niasse et
regrette son effacement politique depuis son départ du ministère
des Affaires
Etrangères :
"moi, j'attendais comme successeur Moustapha Niasse.
Jusqu'à maintenant, il a gardé le silence, et il a eu raison.
Mais le moment va venir où il faudra qu'on sache où il se situe
sur l'échiquier politique. Il lui faut se positionner dès
à présent pour l'avenir, quand Diouf va se retirer. S'il ne
m'appelle pas, c'est moi qui vais lui téléphoner, pour le sonder.
Pour moi, c 'est le candidat idéal : intelligent, formé par
Senghor. Il connaît le pays, il est l'ami des Arabes et affiche une
grande ouverture d'esprit à l'égard du christianisme."
39.
Cet article représente un véritable "appel du
pied". Il est pris comme tel par Moustapha Niasse. Après mars 1999, il
prépare méticuleusement une entrée en scène qui n'a
pour seul but
que de conquérir le palais présidentiel. Il
l'indique clairement dans son message du 16 juin 1999 : "des ruptures sont
parfois nécessaires quand vient le temps du destin. Je suis prêt.
Je
les accepte. Pour toutes ces raisons, la voie dans
laquelle j 'ai décidé de m 'engager dans les semaines à
venir s 'inscrit dans la durée et se situe au niveau le plus
élevé du sacrifice pour
l'intérêt de tout un peuple pour les
échéances immédiates et les échéances
à venir".
Son objectif est donc de renverser le Président Diouf
pour mettre en place une nouvelle politique démocratique,
économique et sociale. Il esquisse les grandes lignes de son
programme dans son discours de rupture, qui s'articule autour de
la limitation des mandats
37 "Moustapha Niasse : ce sont les populations de Nioro qui
m'ont investi", Le Soleil, 26 mars 1998.
38 Ce soutien est explicite : à la question "en
tant que simple électeur, voteriez-vous Wade ou Diouf ? ", il
répond "mon coeur n'a pas la moindre hésitation : Abdou
Diouf". Valérie Thorin, "Les vérités d'un
cardinal", Jeune Afrique, 9 mars 1999.
39 Valérie Thorin, "Les vérités d'un
cardinal", Jeune Afrique, 9 mars 1999.
présidentiels (deux de cinq ans) 40,
la lutte contre la corruption, la revalorisation de l'environnement
scolaire et universitaire, l'allégement de la fiscalité et la
relance du secteur agricole et privé. Il désire aussi mettre fin
à la dépendance du Sénégal vis-à-vis des
aides extérieures - "l'aide ne fait pas le développement.
Nulle part au monde, aucun pays ne s'est développé sur la base de
l'aide" - tare qui est l'une des principales critiques des observateurs
internationaux à l'égard de la politique économique
dioufiste. A 61 ans, Moustapha Niasse s'engage selon ses propres termes
à combattre la mafia socialiste. Sa réputation d'homme moral,
rassurant, vertueux et incorruptible apporte de la crédibilité
à son message 41.
Bien évidemment, suite à cet "appel du 16
juin", Moustapha Niasse est instantanément exclu du PS, même si
semble-t-il de "vives discussions" ont lieu quant à la
légitimité des propos de l'ancien ministre d'Etat
42. Ce retour au premier plan de Niasse n'arrange pas
Djibo Kâ, puisqu'ils lorgnent vers le même électorat, se
réclamant tous deux de l'héritage senghorien. Mais contrairement
au secrétaire général de l'URD, Niasse a condamné
très clairement les pratiques socialistes dès le milieu des
années 1980. Sa rébellion vis-à-vis de ses anciens
partenaires politiques apparaît donc plus sincère et moins
intéressée que celle de Kâ, qui ne doit sa repentance
qu'à son éviction du sommet de l'Etat. De plus, les moyens
financiers de Niasse sont nettement plus importants que ceux dont dispose
l'URD. Quand Niasse fonde le 18 juillet 1999 l'Alliance des Forces du
Progrès (AFP) - reconnue par le pouvoir le 23 août 1999 - il
occupe immédiatement le terrain et le champ médiatique
sénégalais. Cette faculté fait de lui un président
potentiel.
Cette candidature change considérablement les rapports
de force entre le PS et l'opposition. En effet, Niasse jure dans une
conférence de presse datée du 23 août 1999 qu'il y aura un
second tour et que lors de celui-ci, il appuiera quoiqu'il arrive le candidat
le mieux placé pour vaincre Abdou Diouf. Malgré les tentatives
françaises de réconcilier Diouf et Niasse au détriment de
Tanor Dieng, rien n'y fait : le fondateur de l'AFP s'est définitivement
installé dans le camp anti-dioufiste. Abdoulaye Wade trouve ainsi un
allié de poids mais aussi un concurrent dangereux, capable de profiter
des faiblesses du camp libéral, fragilisé par son
semi-échec aux législatives de 1998. C'est principalement de
France que le chantre du sopi tente de rebâtir son parti et de
préparer au mieux la campagne de 2000.
3.2. L'exil volontaire d'Abdoulaye Wade :
En dépit de la réussite de la "campagne de
Paris", le PDS est un parti malade, qui à l'instar de son rival
socialiste, est laminé par les querelles internes. On assiste
après 1996 à une guerre de positionnement entre Ousmane Ngom et
Idrissa Seck. L'âge d'Abdoulaye Wade (72 ans) n'est pas innocent à
ces rivalités, chacun pensant qu'un échec au scrutin de 2000
sonnerait le glas de sa carrière politique. Les deux hommes se placent
ainsi dans l'optique soit de succéder à
40 A ce sujet, Niasse profite du16 juin 1999 pour critiquer le
bilan dioufiste : "le mandat présidentiel doit être
constitutionnellement limité à deux termes et non pour des
périodes de sept ans mais bien de cinq ans au maximum. Il est
évident et aujourd'hui amplement prouvé que ce qu 'un chef d'Etat
n 'a pu réaliser en dix ans, il ne pourra jamais le réaliser en
vingt ou trente ans".
41 Cette image d'incorruptible est liée à ses
moyens financiers conséquents. Niasse rappelle souvent après juin
1999 qu'entre 1993 et 1998, il n'a jamais été
rémunéré à sa demande : "lorsque le
président Diouf m 'a proposé, en 1993, le portefeuille des
Affaires Etrangères, j 'ai demandé que mon salaire de ministre
soit versé à une oeuvre caritative et j 'ai continué
à utiliser mes propres véhicules et à résider dans
ma propre maison. Mes affaires marchent bien et ce n 'est sûrement pas la
politique qui me fait vivre". "Que peut apporter Niasse à Wade ? ",
Jeune Afrique, 7 février 2000.
42 Francis Kpatindé, "Diouf, Wade et les trublions",
Jeune Afrique, 29 juin 1999.
Wade dans les prochains mois, soit en cas de victoire
libéral d'avoir une chance d'accéder à la Primature.
Après le départ de Jean-Paul Dias du PDS en
1993, Ousmane Ngom apparaît comme le mieux placé pour prendre
à terme la direction du parti libéral. Il est en deuxième
position sur la liste nationale PDS aux législatives de 1993, il prend
part seul à la direction de certains meetings et "accompagne"
Wade lors de son séjour à la prison de Rebeuss en 1994. Son
destin et celui du fondateur du PDS semblent lier.
Toutefois, on constate peu à peu l'émergence
d'Idrissa Seck, surtout après son entrée au ministère du
Commerce, de l'Artisanat et de l'Industrialisation en 1995. Cette nomination
n'est pas un hasard car Seck a été formé par le chef de
l'opposition, qui lui a très rapidement donné sa chance en lui
confiant la direction de sa campagne électorale de 1988. Le jeune
Idrissa Seck - il est né le 9 août 1959 - s'affirme
progressivement comme le principal concurrent de Ngom.
Cette rivalité est décuplée après
les élections municipales de 1996. Ngom et Seck se présentent
respectivement à Saint-Louis et Thiès. S'ils connaissent tous
deux la défaite, Seck obtient un très bon résultat (40,52
%) alors que Ousmane Ngom est laminé par la machine électorale PS
(28,41 %). Les cartes sont redistribuées, Seck ayant fait de la
deuxième ville du pays une place forte du parti libéral.
Le bureau politique PDS se scinde alors entre les pro-Ngom et
les pro-Seck. Mesurant les dangers d'une telle division, Wade renvoie
dos-à-dos ses lieutenants lors des législatives de 1998. Au lieu
de les inscrire sur la liste nationale, il les place sur des listes
départementales, dans le but de ne susciter aucune jalousie et de
réaffirmer sa prédominance 43. Cette
décision est un échec, les tensions demeurant suite aux scores
médiocres enregistrés par les libéraux. Le chef de
l'opposition choisit alors de sanctionner plus durement l'agitation. De
nombreux pro-Ngom sont évincés du PDS tandis que l'ancien
numéro deux du parti est rétrogradé au rang de simple
secrétaire permanent. Idrissa Seck est lui-aussi durement
sanctionné, puisqu'il n'est plus que secrétaire national. Pour
remplacer ses deux anciens bras-droits, Wade nomme un vice-président PDS
factice, Laye Diop Diatta, personnalité politique de second
ordre44.
L'objectif de Wade est très certainement de
départager au plus vite les deux rivaux. Si Idrissa Seck accepte la
sanction, Ousmane Ngom réagit beaucoup plus vivement et réclame
à peine 48 heures après les sanctions une convocation du bureau
politique. Wade la refuse mais propose à son ancien dauphin le poste de
secrétaire général national adjoint. En dépit du
fait qu'il se voit déchargé avec cette proposition de son
encombrant rival, Ousmane Ngom la refuse et démissionne le 11 juin 1998
du PDS en compagnie d'une quinzaine de responsables libéraux dont Marcel
Bassène, ancien vice-président à l'Assemblée
nationale.
Pour satisfaire son ambition personnelle, il crée dans
les semaines qui suivent sa propre formation : le Parti Libéral
Sénégalais (PLS). Lors de la présentation de son parti,
l'ancien ministre dénonce "la dérive monarchiste" de
Wade et affirme vouloir établir "une société libre,
démocratique, permettant à chaque citoyen d'assurer le plein
épanouissement de sa personnalité et la libre expression de ses
capacités physiques et intellectuelles" 45.
Boycotté par le front de l'opposition, largement
favorable à Abdoulaye Wade, le PLS est dans l'obligation dès les
premiers jours de son existence de se rapprocher du parti gouvernemental. Cette
alliance favorise le PS, puisqu'elle permet à la propagande
étatique de discréditer
43 Il déclare à cette occasion : "je
détiens les responsabilités moi-même ". "Abdoulaye Wade
renvoie ses lieutenants à la base", Le Soleil, 19 avril 1998.
44 "Remaniement au PDS : Wade désarme ses
lieutenants", Le Soleil, 7 juin 1998.
45 "Eclatement du parti de Wade", Afrique Expresse, 30
juillet 1998.
Abdoulaye Wade. De nombreux articles publiés dans
Le Soleil font état de ralliements massifs au PLS entre
juillet-août 1998. Ces informations se révèlent dans
l'ensemble erronées, la plupart des militants libéraux mises en
cause clamant touj ours appartenir à la formation wadiste dans leur
droit de réponse 46 . Néanmoins, la propagande
socialiste à l'intention du PLS prend bien vite fin, les
médiocres résultats obtenus par le parti de Ngom lors des
élections sénatoriales - à peine 3% des voix -
discréditant à eux-seuls le soi-disant succès de la
nouvelle formation libérale.
La rébellion de l'ancien fidèle de Wade est
donc un échec. Il n'est pas le premier à s'être
aventuré à défier le Pape du sopi. Avant lui,
Serigne Diop et Jean-Paul Dias ont tenté de s'approprier la "machine
PDS", sans succès. Comme eux, Ngom croit pouvoir au moment de son
départ, en contestant et discréditant les pratiques de Wade,
récupérer son aura et surtout ses voix. L'ancien ministre pense
que la popularité du PDS n'est pas due au charisme personnel d'Abdoulaye
Wade mais à l'idéologie libérale développée.
Or, les insuccès du PDSR, du BCG et du PLS montrent très
clairement que c'est Wade qui fait le prestige du PDS et non l'inverse. Sans
lui, la pensée libérale n'a plus de sens et plus d'impact
électoral. Ceci confirme qu'au Sénégal, l'électeur
vote plus pour une personne - un chef - que pour une idéologie ou un
programme.
Devant l'effondrement politique de son ancien second,
Abdoulaye Wade peut facilement réintroduire à ses cotés
Idrissa Seck et lui confier le "dauphinat libéral". L'édifice PDS
a donc tremblé, et se retrouve un peu plus affaibli durant l'exil de son
fondateur, d'octobre 1998 à octobre 1999. Comme par le passé,
Wade pense qu'un retrait de la vie politique peut lui être profitable,
car il prive Abdou Diouf de son principal interlocuteur. Le chef de l'Etat est
effectivement seul pour affronter les problèmes du pays -
insécurité dans le nord du Sénégal, agitation des
populations urbaines, enlisement de l'armée en Casamance et en
Guinée-Bissau etc. - et le mécontentement populaire qui en
découle.
Durant son exil, Wade s'appuie sur ses amis français,
tels que Alain Madelin et Alain Napoléoni, pour trouver des soutiens
politiques et financiers. Il justifie cette démarche en déclarant
que "tout homme politique sérieux a besoin d'argent pour aller dans
de bonnes conditions aux élections, surtout que l'adversaire, en face,
utilise impunément les moyens de l'État" 47.
Abdoulaye Wade prévoit en effet de dépenser 200 000
à 300 000 FCFA par jour au cours de sa campagne électorale
48, tout ceci pour payer les déplacements (parfois
en hélicoptère), la nourriture, l'organisation etc.
S'il se fait rare d'un point de vue médiatique - si
rare que des rumeurs à Dakar le disent gravement malade - Wade garde des
contacts très étroits avec l'opposition et surveille avec
intérêt le repositionnement de Moustapha Niasse. Après le
chamboulement politique du 16 juin 1999, il tente à la fois de
convaincre Savané, Dansokho et Bathily de lui maintenir leur confiance
et d'approcher Niasse pour s'assurer de sa loyauté en cas de second
tour. Après avoir conclu un "pacte de non-agression" avec l'ancien
ministre d'Etat, Wade peut naturellement regagner le sol
sénégalais.
Toutefois, ce retour doit constituer un événement
politique majeur, ayant pour but de lancer la campagne présidentielle
wadiste. Ainsi, journalistes et photographes se joignent à lui pour
46 "PLS : nouvelles adhésions", Le soleil, 10
août 1998 et "Adhésions au PLS : précisions", Le
Soleil, 17 août 1998.
47 "Wade cherche de l'argent en France", Jeune Afrique,
30 mars 1999.
48 Francis Kpatindé, "Paris-Dakar dans l'avion de
Wade", Jeune Afrique, 2 novembre 1999.
embarquer dans l'avion le ramenant à Dakar à la
fin octobre 1999 49. Au cours du trajet, il organise une
conférence de presse informelle, où il s'évertue à
expliquer sa vision du Sénégal, ses ambitions, ses souvenirs etc.
En limitant les barrières protocolaires avec les journalistes, Wade
tranche avec l'allergie dioufiste aux médias. Le chef de l'opposition
essaie donc de s'attirer les ferveurs des médias internationaux, qui
pourraient jouer un rôle capital dans l'élection
présidentielle en cas de second tour.
Quoi qu'il en soit, il arrive d'ores et déjà
à leur démontrer sa popularité auprès du peuple
sénégalais. A son arrivée à l'aéroport de
Dakar, des dizaines de milliers de personnes l'attendent. Le cortège met
trois heures à effectuer les dix kilomètres qui séparent
l'aéroport de la permanence libérale. Au cours du trajet, Wade
s'adresse à la foule en liesse, qui n'hésite pas à chanter
"papa gneuwna, papa dikkna" (papa est de retour). Il promet plus par
provocation que par réelle croyance une victoire au premier tour. Les
propos ci-dessous retranscrivent l'état de grâce que connaît
Wade le jour de son retour au Sénégal :
"je retrouve le Sénégal et les
Sénégalais debout, mobilisés, prêts à se
battre pour l'alternance. Votre mobilisation d'aujourd'hui exprime qu'ils
veulent le changement (...) J'ai parlé au Français que la
stabilité, c'est moi ! Si je n 'étais pas un homme de paix,
j'irais passer la nuit au palais de la République ce soir"
50.
C'est un véritable triomphe pour Wade qui
démontre au PS qu'il n'a rien perdu de sa popularité dans la
capitale. Il met aussi en évidence la force de sa "Coalition Alternance
2000", tous les grands leaders de ce front wadiste étant présents
à sa descente d'avion. Contrairement à 1993, Wade rallie à
lui des leaders tels que Landing Savané (And Jëf), Abdoulaye
Bathily (LD/MPT), Mamadou Dia (MSU) et Amath Dansokho (PIT). L'alliance
formée en 1996 pour la création de la CENI ne s'est donc pas
écroulée. En ayant ménagé ses partenaires de
l'opposition, en ayant pris en compte certaines de leurs revendications,
Abdoulaye Wade s'est assuré leur soutien indéfectible.
La nouvelle du retour de Wade fait le tour du
Sénégal mais aussi le tour du Monde. Gêné par cet
engouement, le pouvoir censure les images de ce triomphe à la
télévision. Cependant, Le Soleil fait un rapport
relativement complet de cette journée que l'on peut aisément
qualifier d'historique 51 . Historique dans le sens que le peuple
dakarois adoube le candidat Wade. Grâce à ce soutien, et celui de
ses alliés politiques, le candidat de la "Coalition Alternance 2000"
traite en position de force face à Niasse et Kâ. Malgré
leur ambition personnelle, ils établissent une stratégie unitaire
pour faire tomber le régime socialiste. C'est dans cette optique qu'ils
érigent le Front pour le Respect et la Transparence des Elections
(FRTE).
3.3. Un cadre d'action, le FRTE :
Le FRTE regroupe 19 partis d'opposition. Parmi eux, on compte
toutes les formations politiques majeures : le PDS, l'AFP, l'URD, And Jëf
et la LD/MPT. Le but de cette organisation est de fédérer
l'opposition, la faire travailler en commun pour lutter contre les trafics de
cartes électorales et les trucages au niveau du fichier. Le FRTE
effectue donc un travail parallèle à celui du ministère de
l'Intérieur et de l'ONEL de manière à ce que le scrutin de
février 2000 ne souffre d'aucune contestation et ne soit pas
entaché de fraudes. Il bénéficie
49 Francis Kpatindé, "Paris-Dakar dans l'avion de
Wade", Jeune Afrique, 2 novembre 1999.
50 "Retour de Wade : je suis assuré de ma victoire au
premier tour", Le Soleil, 28 octobre 1999.
51 Le Soleil évoque même la
polémique concernant la non retransmission
télévisée du retour de Wade. "Polémique entre
Wade et le président au HCA ", Le Soleil, 29 octobre 1999.
de l'expérience de Niasse et Kâ qui ont
fréquenté durant de nombreuses années la "machine
à
fraude socialiste ", allant même parfois
jusqu'à la diriger. Le déjà vécu est
particulièrement palpable dans les propos de Djibo Kâ :
"laissons de côté les querelles de clocher.
Tous ceux qui travaillent au départ de Diouf doivent conjuguer leurs
efforts pour que la consultation ait lieu dans de bonnes conditions. Ils
feraient mieux de suivre de près la révision des listes
électorales et la distribution des cartes d'électeur, de
s'assurer qu'ils disposeront de représentants dans tous les bureaux de
vote. Croyez-moi, c 'est à ces moments-là, propices aux fraudes
et aux manipulations, qu 'une élection se gagne ou se perd."
52.
L'opposition "historique" a dorénavant une parfaite
connaissance des procédés régulièrement
employés par les socialistes pour "favoriser" des
scrutins à leur avantage. Le FRTE devient de ce fait un véritable
organe de contrôle capable de dénoncer et d'assainir la vie
politique. Djibo
Kâ et surtout Moustapha Niasse mènent la vie dure
à leurs anciens collègues.
Le fondateur de l'AFP ne s'arrête pas là et ressort
de vieilles affaires qui mettent à mal les discours de probité
prononcés par les socialistes. Il évoque notamment un compte,
dénommé
"K2", qui aurait durant les années 1970 permit à
de nombreux ministres PS d'obtenir des prêts à "des taux
défiants toute concurrence". Cette affaire vise à entacher
l'image des "sages" du
PS auxquels rendent régulièrement hommage Ousmane
Tanor Dieng et Abdou Diouf . Cette révélation entraîne une
réaction immédiate du PS, qui via Le Soleil
,déplore que Niasse
"essaie de tenir l'image des anciens du comité
consultatif des sages" 53. Si ces
révélations sont le plus souvent rapidement laissées de
coté par Niasse, elles ont le mérite d'ébranler un peu
plus la maison socialiste.
Pour la première fois depuis son accession au pouvoir,
Abdou Diouf se heurte à une opposition véritablement unie et
solidaire. Si on note l'absence d'un candidat unique, si les
ambitions personnelles sont réelles, si les programmes
divergent sur certains points, en somme si la pluralité au sein de
l'opposition existe belle et bien, chaque candidat à travers le
FRTE témoigne de sa volonté de voir chuter le
chef de l'Etat. L'intérêt supérieur de la nation
sénégalaise n'est donc pas pour le FRTE une élection
transparente et sans fraudes mais
l'éviction pure et simple - par presque tous les moyens
- du Président de la République en place. Ainsi, seuls les
anti-dioufistes sont admis au sein du FRTE, comme le prouve
l'exclusion de Jean-Paul Dias et de son parti après le
ralliement de l'ancien ministre de l'Intégration Economique Africaine
à Abdou Diouf 54.
Plus qu'une organisation de contrôle, le FRTE est un front
pour l'alternance. Chacun de ses
membres prend pour habitude de diaboliser le Président en
exercice et de l'opposer à son prédécesseur. Moustapha
Niasse, Djibo Kâ, voire Abdoulaye Wade, soulignent la
clairvoyance et les vertus démocratiques de Senghor pour
mieux insister sur les tares du régime dioufiste. Oubliées les 14
ans de prison de Mamadou Dia, oublié le parti "unifié",
oubliées les réélections à 99 % :
Léopold Sédar Senghor apparaît aux dires des opposants
comme le véritable père de la démocratie
sénégalaise. Par conséquent, toute l'entreprise de
réhabilitation politique de Senghor menée par
Abdou Diouf depuis 1988 se retourne contre lui. Le chef de l'Etat
n'apparaît plus comme le prolongement de "l'oeuvre senghorienne" mais
comme le traître, celui qui a renié la
"pensée du maître" via ses politiques économiques et
corruptives héritées pourtant... de Senghor en personne. Cette
falsification de l'histoire -
puisqu'il s'agit de cela - est facilitée par le fait que
plus de la moitié de la population
52 Francis Kpatindé, "Où s'arrêtera
Djibo Ka ?", Jeune Afrique, 1 juin 1999.
53 Le Soleil, 21 et 25 octobre 1999.
54 "Le FRTE : Dias attend notification", Le Soleil, 21
novembre 1999.
sénégalaise n'a jamais connu Léopold
Sédar Senghor comme Président. En adoptant un discours
pro-Senghor, le FRTE s'approprie une icône jusque là
réservée au PS. Le prestige du Président-poète
n'est donc plus l'apanage du PS mais celui de l'opposition.
Cette stratégie bénéficie à
Niasse et Kâ, qui justifient leurs ruptures avec le PS. Ceci profite
également à Abdoulaye Wade, qui propose de mettre fin aux
années sombres d'Abdou Diouf. Le FRTE sèvre de ce fait le chef de
l'Etat d'un de ses thèmes fédérateurs et le coupe d'une
partie de l'électorat socialiste. Le front tente aussi, soit par
Kâ-Niasse, soit par Wade, d'empêcher un ralliement clair du PS
français en faveur du candidat Diouf.
Les deux anciens membres du PS vont à la rencontre de
leurs homologues français, leur explique qu'à l'instar du
Président de la République, ils revendiquent une filiation
à Léopold Sédar Senghor et qu'il serait donc malvenu que
le PS français se risque à soutenir un homme minoritaire et de
surcroît adepte de procédés peu démocratiques. Les
socialistes français, en dépit du fait qu'Ousmane Tanor Dieng
soit depuis 1996 vice-président de l'Internationale socialiste,
écoutent avec attention les arguments des anciens ministres et semblent
prêts à ne pas appuyer aussi vigoureusement que par le
passé le chef de l'Etat.
Abdoulaye Wade souligne également de son coté
les dangers que représente une réélection dioufiste. Par
l'intermédiaire d'Alain Madelin, le PDS mène une campagne de
sensibilisation à l'égard des caciques du PS français
55. Cette "solidarité libérale" 56
amène le président de Démocratie Libérale
à écrire en décembre 1999 personnellement à Laurent
Fabius, ancien Premier ministre de François Mitterrand et
président de l'Assemblée nationale française, pour
dénoncer les pratiques de Diouf, qui "préparent manifestement
la manipulation du prochain scrutin ". Alain Madelin rajoute à la
fin de sa lettre :
"je vous demande, en tant que président de
l'Assemblée nationale (...) mais aussi en votre nom propre, compte tenu
des liens de M. Abdou Diouf avec les socialistes français, de bien
attirer l'attention de ce dernier sur le respect de cet engagement et sur les
risques qu 'il y aurait à organiser un scrutin non transparent et non
démocratique" 57.
Contrairement à 1993, la précampagne
électorale de l'opposition conduite en France n'a pas pour but principal
de séduire l'électorat des expatriés
sénégalais mais d'obtenir des soutiens explicites d'hommes
politiques français.
En l'espace deux ans, les opposants ont réussit
à mettre à mal le soutien français sans faille dont
bénéficiait autrefois Abdou Diouf. A présent plus ou moins
esseulé, le Président doit faire face à une opposition qui
constitue un groupe de pression efficace, capable d'influencer le choix du
président de l'ONEL, de révéler l'existence d'un double
stock de cartes électorales et de jouer sur les peurs suscitées
par le putsch militaire ivoirien.
55 Abdoulaye Wade ne s'oriente pas vers le RPR pour deux raisons
majeures. La première est que depuis sa défaite aux
législatives de 1997, le parti gaulliste a bien du mal à avoir
une influence sur la vie politique française et internationale. La
deuxième est que Jacques Chirac - qui demeure officieusement le chef du
RPR - est un ami personnel d'Abdou Diouf, étant même le parrain de
sa fille Yacine. Il parait donc vain de tenter de convaincre le RPR du danger
représenté par le candidat socialiste.
56 "Solidarité libérale", Jeune Afrique,
28 décembre 1999.
57 Idem.
3.4. L'opposition : un groupe de pression efficace :
3.4.1. Changement à la tête de l'ONEL :
En 1998, l'ONEL a démontré malgré
l'absence de moyens de répression sa volonté de lutter contre la
fraude électorale. Une bonne part de ce mérite revient pour
l'opposition au général Mamadou Niang qui est allé
jusqu'à s'opposer à son supérieur, le
général Lamine Cissé, ministre de l'Intérieur. En
contrôlant scrupuleusement le fichier électoral et la distribution
des cartes, Niang acquiert après les législatives un prestige
indéniable qui fait de lui un allié, volontaire ou non, de la
cause défendue par l'opposition. Si le règlement de l'ONEL
stipule qu'après chaque fin d'élection les membres composant
l'observatoire sont invités à quitter leur poste, les
contemporains s'attendent à ce que Niang soit reconduit dans ses
fonctions pour les présidentielles de 2000.
Or, le chef de l'Etat annonce le 17 mars 1999 que le
général de division Mamadou Niang est nommé ambassadeur du
Sénégal en Guinée-Bissau. Au vu de la situation politique
dans la région - le Sénégal est à cette
époque encore très fortement engagé dans le conflit
bissauguinéen - le choix de Diouf peut être légitime, le
Président ayant besoin sur place d'un homme de confiance, loyal et
compétent pour soutenir le régime de Joao Bernardo Vieira et
faire face à toute crise diplomatique en cas d'arrivée au pouvoir
de Ansumane Mané.
L'opposition demeure cependant perplexe et crie au scandale,
Landing Savané faisant remarquer qu' "il est des promotions qui
ressemblent étrangement à une sanction" 58.
Elle pense en effet que le PS et Abdou Diouf tentent de s'approprier
l'ONEL. L'impartialité de l'observatoire est définitivement
remise en question après la nomination par le Président de la
République d'Amadou Abdoulaye Dieng, lui-aussi général
à la retraite 59, homme connu de l'opposition pour
appartenir... officiellement à un groupe de soutien en faveur de la
réélection de Diouf. Les opposants sont alors indignés,
comme l'indique les propos de Djibo Kâ : "le général
l'a reconnu lui-même : il est membre d'un mouvement de soutien au
Président Diouf. Or le code électoral stipule que l'appartenance
à l'ONEL est incompatible avec toute activité partisane. Nous
avons donc déposé un recours en annulation du décret de
nomination auprès du Conseil d'État" 60.
Ce choix unilatéral d'Abdou Diouf est une nouvelle
erreur politique. Il confirme presque sciemment tous les reproches qui lui ont
été adressés quelques semaines auparavant lors de la
"campagne de Paris" et rompt une fois de plus avec sa politique consensuelle
qui a été sa force entre 1995 et 1998.
C'est certainement l'approche des élections et la
crainte de ne pas être élu au premier tour qui pousse le chef de
l'Etat à prendre des choix contestables et contestés. Mais
ceux-ci lui font un tort considérable, Moustapha Niasse s'en servant par
exemple dans sa déclaration du 16 juin 1999 pour justifier sa rupture
avec le parti gouvernemental :
"ainsi, après les changements opérés
récemment, écartant la limitation des mandats
présidentiels et modifiant le pourcentage minimum requis pour
l'élection du premier magistrat de la nation au premier tour, les
Sénégalais
58 Francis Kpatindé, "Diouf, seul contre tous",
Jeune Afrique, 30 mars 1999.
59 Le recours aux militaires est devenu une habitude
dioufiste. Outre Lamine Cissé et Amadou Abdoulaye Dieng, les anciens
généraux se voient confier le plus souvent des ambassades dites
stratégiques. Le Sénégal est représenté en
1999 par des militaires dans trois Etats voisins - Guinée-Bissau, Gambie
et Guinée - et des pays comme l'Allemagne et les Etats-Unis. Cette
"militarisation" de la vie politique et diplomatique souligne le rapprochement
qui s'est opéré entre le régime dioufiste et
l'armée, notamment depuis l'intensification des combats en Casamance.
Voir André Payenne, "En bon voisinage", Jeune Afrique, 15 juin
1999.
60 Francis Kpatindé, "Où s'arrêtera
Djibo Ka ? ", Jeune Afrique,1 er juin 1999.
sont, encore aujourd'hui, confrontés au
problème du fonctionnement de l'ONEL et de la désignation de son
Président. Il demeure évident que le Président de l'ONEL
ne peut être crédible que s'il est désigné
conformément à la loi sans quoi la neutralité positive de
cet organe est gravement compromise. En outre, cette désignation doit
être consensuelle et recueillir l'agrément de tous les acteurs
politiques. Aussi, changer le Sénégal devient un impératif
absolu ".
Devant le tollé général provoqué
par ce choix, Abdou Diouf, soucieux de conserver sa crédibilité
démocratique, fait machine arrière et choisit Louis Pereira de
Carvalho,
personnalité moins controversée puisque ayant
été président du Conseil d'État
sénégalais. Avec cette nomination, l'ONEL retrouve la confiance
de l'opposition et une objectivité un temps menacé. Cette
volte-face présidentielle est une victoire pour les opposants qui
montrent
qu'ils sont en mesure de faire plier à la fois le PS
et le Président de la République. Cette affaire est aussi
l'occasion pour l'opposition de démontrer le parti pris du
Président, incapable
de s'en tenir à son rôle d'arbitre. Pour elle,
"changer devient un impératif absolu" 61.
Un impératif confirmé lors de l'affaire dite "des
cartes israéliennes".
3.4.2. L'affaire des cartes israéliennes :
Le Général Lamine Cissé, autrefois
salué par l'opposition pour ses vertus démocratiques, est
à la veille du scrutin de 2000 l'un des hommes les plus contestés
du gouvernement Lamine
Loum. Ses distances à l'égard de l'ONEL sont mal
perçues et on le soupçonne de plus en plus d'être le plus
principal instigateur des manigances socialistes. Le FRTE lui reproche
notamment d'avoir encouragé après les
législatives de 1998 la destruction des procès-verbaux et une
refonte du fichier électoral à l'avantage des socialistes 62
. Cette défiance vis-à-vis de
Cissé est renforcée le 5 janvier 2000 après
les accusations portées par Moustapha Niasse. Ce dernier soutient que le
ministre de l'Intérieur a fait fabriquer deux types de cartes
d'électeur :
un sur le sol sénégalais, l'autre sur le sol
israélien, dans le but d'assurer au PS "une victoire
électronique" 63 . A l'instar des
révélations wadistes sur l'existence des "cartes espagnoles"
en
octobre 1996, le pouvoir se trouve rapidement dans l'obligation
d'avouer sa faute.
Les justifications de Lamine Cissé n'apparaissent pas
très claires, ni très cohérentes. Il nie en effet
l'existence de deux stocks de cartes mais reconnaît dans le même
temps... qu'il existe bel
et bien un stock de cartes au Sénégal et un autre
en Israël 64 . Pour se sortir de cette impasse dialectique, il
affirme : "nous avons dû faire fabriquer de nouvelles cartes
infalsifiables à
l 'étranger, parce que celles livrées par l
'imprimeur sénégalais étaient facilement imitables ".
Plus que le coût et l'inutilité de fabriquer un
deuxième lot de cartes, c'est la non-prévention de
cette opération à l'ONEL qui est reprochée
à l'ancien chef d'état-major général des
Armées sénégalaises. On le soupçonne d'avoir voulu
en changeant les cartes électorales, à l'abri des
regards indiscrets, trafiquer massivement le fichier
électoral. Pour se justifier, le ministre parle de "défense
de la sécurité publique" et déclare avoir
caché l'existence des cartes israéliennes
pour pouvoir vérifier dans un premier temps
l'infalsifiabilité des cartes. Niasse refute cette version et indique
qu'en Israël, le pouvoir a mis en place ce que l'on peut appeler une
véritable
"industrialisation de la fraude".
"Le fichier a été transféré en
Israël et des inform aticiens ont travaillé dessus pendant quatre
semaines. Ils en ont exclu des centaines de milliers d'électeurs, tous
opposants à Diouf, et y ont introduit plusieurs autres centaines
61 Francis Kpatindé, "Qui peut battre Diouf ? ",
Jeune Afrique, 17 août 1999.
62 Francis Kpatindé, "Diouf, seul contre tous",
Jeune Afrique, 30 mars 1999.
63 Valentin Hodonou, "L'opposition à l'assaut de la
forteresse ", Afrique Expresse, n° 125, février 2000.
64 "Général Cissé : le souci de la
transparence", Le Soleil, 7 janvier 2000.
de milliers d'autres, supposés favorables au
président sortant. Nous avons les preuves de ce que nous avan
çons. Et le ministre de l'Intérieur, le général
Lamine Cissé, sait que je suis en possession de documents qui
établissent la réalité de la manipulation."
65.
Les autres membres du FRTE se rallient à la position
de l'AFP et crient au scandale. L'affaire des cartes israéliennes pollue
de ce fait toute la précampagne électorale. Ainsi, l'URD propose
le vote d'une nouvelle motion de censure, à peine plus d'un an
après la première 66 tandis que les rapports entre le
PS et le FRTE s'enveniment, les discussions au sujet de légères
modifications du code électoral sombrant dans l'impasse à la
suite de l'affaire. L'ONEL se joint quant à lui à la
colère des opposants. En effet, bien qu'il confirme la validité
des cartes d'électeurs israéliennes et leur meilleure
qualité comparée à celles produites au
Sénégal, l'observatoire condamne fermement la démarche
entreprise par le général Cissé, en déclarant
"qu 'il (l'ONEL) n 'a pas été mis dans les conditions lui
permettant d'assurer sa mission" 67. Cette nouvelle
polémique montre en tout cas, selon l'un des membres de l'ONEL, El Hadj
Mbodj, que certains hauts dirigeants socialistes sont encore très
éloignés de certaines vertus fondamentales du jeu
électoral, "telles que le respect de la loi, la tolérance, la
transparence, l'ouverture etc." 68
Devant l'ampleur de l'affaire - même Abdou Diouf
condamne à demi-mot le comportement de son ministre 69 - le
général Lamine Cissé endosse l'entière
responsabilité de son acte, sans mêler à aucun moment
d'autres acteurs du PS. Pourtant, comment croire qu'à quelques semaines
seulement d'un scrutin crucial, le ministre de l'Intérieur ait pu agir
seul et dans une totale confidentialité ? Cette invraisemblance dessert
Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse faisant le rapprochement entre les
manigances du ministre de l'Intérieur et celles du ministre d'Etat : il
parle de duo "Cissé-Tanor" 70.
Même si le pouvoir soutient que les cartes
électorales sont régulières et que le fichier est
transparent et facilement consultable sur Internet 71 ,
rien n'y fait, l'affaire des cartes israéliennes enfonce un peu plus le
pouvoir socialiste dans la crise. Les candidats de l'opposition en profitent
pour organiser le 2 février 2000 des manifestations à Dakar et
dans d'autres grandes villes : elles rassemblent des dizaines de milliers de
personnes. Après avoir réclamé tout au long de leur marche
la démission du ministre de l'Intérieur, certains opposants
(Niasse, Kâ, Savané) sont reçus à la fin de cette
journée par... le général Cissé. Un retour au
dialogue est alors amorcé.
65 Assou Massou, "Moustapha Niasse : Diouf sera battu",
Jeune Afrique, 22 janvier 2000.
66 Le Soleil, 7 janvier 2000.
67 "Les commandes sont conformes à la loi", Le
Soleil, 28 janvier 2000.
68 Le Soleil, 19 janvier 2000.
69 "Pour me résumer, je dirai que dans cette
affaire, le ministre de l'Intérieur a respecté la loi, même
si je pense qu 'il aurait dû, dans le cadre des relations de confiance et
de travail existant entre les différents organismes chargés
d'assurer le contrôle et la supervision des élections, informer le
président de l'ONEL. Cela dit, d'un point de vue strictement juridique,
on ne peut rien lui reprocher". Francis Kpatindé, "Abdou Diouf
: Ma dernière bataille", Jeune Afrique, 8 janvier 2000.
70 Hamad Jean Stanislas N'diaye, "La communication
politique dans les élections au Sénégal : l'exemple du PS
(Parti Socialiste) et de l'AFP(Alliance des Forces de Progrès) en l'an
2000", Université Gaston Berger de Saint-Louis
(Sénégal).
71 L'utilisation du réseau Internet à
des fins politiques - mais aussi démocratiques - n'est pas anodine.
Internet s'est relativement bien développé au
Sénégal à la fin des années 1990, grâce
notamment aux grandes libertés octroyées par le régime
dioufiste en ce qui concerne l'information. On estime en 1999 qu'au sud du
Sahara, le Sénégal est le deuxième pays le plus
connecté à Internet après l'Afrique du Sud. Voir
Mamadou Bah, "Cher téléphone", Jeune Afrique, 15 juin
1999.
Après le 2 février, le pouvoir et le FRTE
engagent un audit du fichier électoral dans le but de
"corriger" les incohérences constatées. Du 11
février au 26 février, c'est à dire jusqu'à la
veille du premier tour, le FRTE, le ministère de l'intérieur,
l'ONEL mais également le Front
d'Action de la Société Civile (FASC) s'attellent
à constituer un fichier électoral unique et transparent.
L'affaire dite des cartes israéliennes renforce donc un
peu plus l'opposition. Nonobstant
l'existence de deux stocks de cartes et de deux fichiers
électoraux à quelques semaines du scrutin, elle ne renonce jamais
à se présenter devant les électeurs 72.
Les enjeux sont trop
importants et de plus, le contexte extérieur est
favorable à une alternance politique. En effet, le putsch militaire
ivoirien du 24 décembre 1999 pousse les autorités socialistes
à une plus
grande prudence en matière de fraudes, d'autant plus que
l'armée sénégalaise, réputée pour sa
discrétion et sa fidélité à la République,
donne des signes inquiétants de lassitude et
d'énervement. Abdoulaye Wade profite de ce climat pesant
pour menacer à demi-mot Abdou Diouf de connaître la même
mésaventure que son homologue Henri Konan Bédié, à
savoir
d'être chassé du pouvoir par les militaires.
3.4.3. La crise ivoirienne :
Abdoulaye Wade a toujours eu des déclarations
ambiguës vis-à-vis de l'armée. Dès 1981, il invite
de façon quelque peu maladroite les militaires à prendre en
charge le pays suite au départ de Léopold Sédar Senghor.
La réprobation étant générale, aussi bien dans le
camp
socialiste que dans celui de l'opposition, Wade tient ensuite
une position moins polémique, notamment en 1988. A ce propos, il aime
rappeler durant sa précampagne électorale de 2000
la position légaliste qu'il adopta à
l'époque, en dépit des multiples sollicitations qui s'offrirent
à lui. Il le souligne notamment au cours de la conférence de
presse informelle qu'il tient en
octobre 1999 dans l'avion qui le ramène de Paris à
Dakar.
"Lorsque je me trouvais, en 1988, à la prison de
Reubeuss [à Dakar], j'ai reçu, à plusieurs reprises, la
visite d'un mystérieux Français qui m'a annoncé qu'un coup
d'État était en préparation avec l'accord de Paris. Une
autre fois, il est venu me proposer un plan d'évasion, que j'ai, bien
entendu, décliné. Trouvant étonnante la facilité
avec laquelle il pénétrait dans les lieux, je me suis toujours
abstenu de commenter ses propos. Par la suite, on m 'a informé qu 'il
venait à la prison dans la voiture personnelle du chef
d'état-major de l'époque, le général Tavarez de
Souza. Plus tard, après ma libération, je me suis retrouvé
nez à nez avec lui lors d'une visite dans un foyer d'immigrés, en
région parisienne. Après, je n 'ai plus eu de ses nouvelles. Un
jour, en 1992, j 'ai été convo qué comme témoin par
un juge d'instruction de Grenoble. Ce mystérieux personnage venait
d'être déchiqueté par le colis piégé qu 'il
transportait dans sa voiture. Le paquet, qui portait mon nom et mon
adresse,
m 'était visiblement destiné. La preuve que
mon heure n 'avait pas encore sonné. Cette histoire, que je n 'avais
jamais racontée, j 'éprouve aujourd'hui le besoin de vous en
faire part." 73.
Toutefois, sa position vis-à-vis de l'armée
évolue après le 24 décembre 1999 et le putsch militaire
ivoirien du général Robert Gueï.
Cet événement a une portée
considérable au Sénégal, comme le montre la
réaction ferme d'Abdou Diouf, qui condamne ce "recours à la
force comme moyen d'accession au
pouvoir"74. Le voisin ivoirien
était considéré depuis l'indépendance comme un
semblable, une sorte de reflet du propre destin sénégalais.
Depuis 1960, les deux pays multipliaient les similitudes : un père de la
nation charismatique, influent et reconnu dans le monde entier
72 "Abdoulaye Wade au forum civil : je voterai, même
avec les cartes israéliennes", Le Soleil, 28 janvier 2000.
73 Francis Kpatindé, "Paris-Dakar dans l'avion de
Wade", Jeune Afrique, 2 novembre 1999. 74 Le Soleil, 27
décembre 1999.
(Léopold Sédar Senghor et Félix
Houphouet Boigny) ; une économique florissante dans les années
1960-70 puis fortement déclinante après 1985 ; une relation
privilégiée avec l'ancienne métropole aussi bien sur le
plan économique, diplomatique et militaire ; un Président
installé constitutionnellement par son prédécesseur (Diouf
par Senghor, Henri Konan Bédié par Boigny) ; un parti
hégémonique depuis l'indépendance mais dont la
légitimité est fortement contestée par l'opposition et les
populations urbaines (le Parti socialiste sénégalais et le Parti
démocratique de la Côte-d'Ivoire) etc.
La plus grande fierté de ces deux pays - une exception
subsaharienne qui cimentait un peu plus l'étroitesse des relations entre
les deux anciennes colonies françaises - était que depuis leur
indépendance, jamais l'armée n'avait eu à intervenir pour
régler une crise politique intérieure. Or, les
événements du 24 décembre 1999 brise
"l'homogénéité du binôme". L'impensable se produit
quand Henri Konan Bédié est "invité" à quitter le
pays sans attendre. La vie politique ivoirienne est confisquée au profit
de l'armée.
Le Sénégal se retrouve isolé et en proie
au doute. En effet, certains contemporains jugent que la situation
sénégalaise est encore plus critique que la situation ivoirienne
75. Une nouvelle contestation électorale pourrait
ainsi pousser l'armée à imiter son homologue ivoirienne, d'autant
plus que les militaires sénégalais expriment depuis le
début de l'année 1999 leur lassitude.
Réputée pour être l'une des armées
les plus performantes de la sous-région, l'armée
sénégalaise est régulièrement mise à
contribution. La multiplication des champs d'opérations - Casamance,
Guinée-Bissau, Centrafrique etc. - multiplie... les primes
impayées aux soldats. Par conséquent, on assiste dans les
faubourgs de Dakar, notamment en avril 1999, à des manifestations
informelles de l'armée 76 . Ces mécontentements
répétés inquiètent les observateurs internationaux,
qui voient dans ces agissements les prémisses d'un possible coup d'Etat
militaire. La situation ivoirienne ne fait donc qu'aggraver ce
pressentiment.
Abdoulaye Wade profite de l'effroi provoqué par la
nouvelle pour déclarer à Sud quotidien le 31
décembre 1999 : "l'armée et les jeunes doivent prendre leurs
responsabilités ". Comme en 1981, cet appel aux militaires a bien
du mal à faire l'unanimité dans les rangs de l'opposition,
même si Moustapha Niasse tente vainement d'expliquer la
déclaration de son partenaire du FRTE : "l'opposition est
opposée à la violence, mais nous répondrons à la
violence avec les moyens appropriés, d'où qu'elle vienne"
77.
Les socialistes apprécient quant à eux que
très modérément la remarque du leader PDS et
organisent une riposte à ce sujet. Tandis qu'Abdou Diouf dans ses voeux
de 2000 à l'armée insiste sur le concept "d'armée
nation" et rappelle les devoirs du soldat, "la défense de
l'intégrité du territoire nationale et la protection des
populations" 78, le PS envoie "au front" les anciens
libéraux devenus pro-dioufistes, à savoir Jean-Paul Dias et
Ousmane Ngom, pour faire la morale à leur ancien mentor
79.
Conscient de sa bavure et désireux de ne pas
apparaître aux yeux des occidentaux comme un simple "agitateur",
Abdoulaye Wade corrige sa prise de position le 24 janvier 2000 et qualifie par
ces mots l'hypothèse d'une intervention de l'armée dans le
scrutin : "cela serait l'échec de
75 Thomas Sotinel, "Turbulences africaines", Le Monde,
1er août 1999.
76 André Payenne, "Les douze travaux d'Abdou
Diouf", Jeune Afrique, 15 juin 1999 ; "Triste noël pour les
Diouf", Lettre du continent, 13 janvier 2000 et M-C. Diop, M.Diouf et
A.Diaw, "Le baobab a été déraciné : L
'alternance au Sénégal", pp.1 58, PoA 78, juin 2000.
77 "Le FRTE mobilise", Le Soleil, 27 janvier 2000.
78 "Abdou Diouf : je vous exhorte à renforcer le
concept armée-nation", Le Soleil, 2 janvier 2000. 79 Le Soleil,
27 janvier 2000.
ma vie ". Cette déclaration faite juste avant
le début de la campagne électorale officielle à le
mérite de calmer les esprits sans pour autant écarter la
possibilité d'un renversement d' Abdou Diouf par l'armée.
Les opposants entament donc les trois semaines de campagne
avec des certitudes : l'union de l'opposition dans le cadre du FRTE est
effective et solide ; les procédés socialistes - révisions
constitutionnelles, changement de présidence à l'ONEL, cartes
israéliennes etc. - ont été soit dénoncés,
soit contrecarrés ; Dakar, au vu de l'accueil réservé
à Wade en octobre, réclame le sopi ; le séisme
provoqué par le départ de Moustapha Niasse du PS a
considérablement affaibli le parti gouvernemental ; Abdou Diouf n'est
plus considéré par une partie de l'Occident comme un
démocrate exemplaire etc.
Abdou Diouf est donc très clairement menacé
à son poste présidentiel. Espérant une victoire au premier
tour, il ne peut plus compter sur la traditionnelle "machine à fraude de
l'Etat", au risque de connaître la même fin que son homologue Henri
Konan Bédié. Il doit aussi faire face à la
décadence de sa formation politique, éprouvée par les
départs successifs de Kâ et Niasse. La crise est si profonde que
le chef de l'Etat parait être le seul à pouvoir sauver son parti.
Il est la branche sur laquelle le PS est assis 80.
4. Abdou Diouf, une branche sur laquelle le PS est
assis :
4.1. La recherche d'une cohésion socialiste autour
d'Abdou Diouf :
A l'orée d'un scrutin crucial pour leur avenir, les
socialistes sénégalais sont fortement isolés.
Abandonnés par le PS français - qui n'hésite pas par la
voix de son "Monsieur Afrique" Guy Labertit à condamner certaines
pratiques de la formation gouvernementale sénégalaise 81
- ils ne peuvent plus compter que sur le duo Diouf-Tanor Dieng pour
affronter "l'ennemi de toujours", Abdoulaye Wade, et les dissidents Kâ et
Niasse.
Face à la tentative d'appropriation du passé
senghorien par l'opposition, le PS célèbre dignement en octobre
1998 le cinquantième anniversaire de la fondation du BDS par
Léopold Sédar Senghor 82 . Grâce aux
médias d'Etat, cet anniversaire est l'occasion pour le pouvoir de
remémorer, à une population qui en grande partie n'a jamais connu
Senghor Président, ses hauts faits d'arme mais aussi - voire surtout -
le lien très fort qui unit le "Père de la Nation" à son
successeur. Pour évoquer ses jours heureux, où le PS
régnait en maître sur la politique sénégalaise, le
parti invite ses "sages" : André Guillabert, Assane Seck, Abdoulaye
Fofana, Babacar Bâ etc. Abdou Diouf et Tanor Dieng ne manquent pas la
célébration et à travers leur discours respectifs, se
congratulent mutuellement tout en soulignant leur attachement aux valeurs
senghoriennes. On note ainsi de très nombreuses similitudes entre cet
événement et les festivités qui eurent lieu à
l'occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire du fondateur du BDS en
1996 : mêmes personnalités présentes, mêmes types de
discours prononcés et mêmes objectifs visibles.
80 On fait ici référence à une question
de Yoro Dia posée à Abdou Diouf lors de son unique
conférence de presse de 1999 : "Parlant de vos relations avec le
Parti socialiste, vous aviez déclaré au Conseil national que vous
n'alliez pas scier la branche sur laquelle vous étiez assis. Est-ce
qu'aujourd'hui ce n'est pas l'inverse, n'êtes-vous pas la branche sur
laquelle le Parti socialiste est assis si l'on sait que de plus en plus le
Parti socialiste a recours au Président de la République pour
régler ses propres problèmes ". "Conférence de presse du
président Abdou Diouf", Parti socialiste sénégalais,
1999.
81 "L 'opposition sénégalaise redoute un coup
d'Etat électoral", Le Monde, 4 février 2000.
82 "Les 50 glorieuses du PS", Le Soleil, 29 octobre
1998.
En effet, en célébrant le passé, le PS
tient avant tout à légitimer Abdou Diouf et à travers lui
Ousmane Tanor Dieng. Le but de la propagande étatique est
également de ranger clairement Léopold Sédar Senghor aux
cotés du PS. C'est pourquoi, contrairement à 1996, Le Soleil
publie un mot personnellement envoyé par le premier
Président de la République sénégalaise : "je
serai bien entendu de coeur avec vous tous et présent par la
pensée. Je regrette de ne pouvoir être physiquement présent
mais mes médecins m 'ont recommandé d'éviter les voyages"
83.
Par ses propos, Senghor reconnaît donc implicitement
appartenir à la famille PS et appuie d'une certaine façon le duo
Diouf-Tanor Dieng. Ce soutien discrédite les dissidents Kâ et
Niasse qui se réclament être les véritables
défenseurs de l'héritage senghorien. Grâce à cette
légitimité historique, Abdou Diouf peut se draper du passé
de son prédécesseur et affirmer à la fin des
festivités : "mes chers amis, nous avons pour de longues
années encore à assumer le destin de notre pays".
Si la présence d'Abdou Diouf à la tête du
PS ne souffre presque d'aucune contestation au sein du parti, les tensions
demeurent concernant les blocages constatés depuis 1996. Abdourahim
Agne, pourtant porte-parole PS, s'aventure ainsi à déplorer les
méthodes "trop rigides d'un centralisme démocratique
hérité d'une autre période" 84.
Il fait cependant rapidement machine arrière, devant les vifs
réprobations de Tanor Dieng. Cette critique révèle
l'absence de cohésion à l'intérieur du parti. Les
tendances se multiplient, les départs également (le plus
exemplaire étant bien évidemment celui de Moustapha Niasse).
Ousmane Tanor Dieng, nommé naturellement directeur de
campagne du Président sortant, doit enrayer la fuite des cadres et des
militants. Le ministre d'Etat essaie en vain de satisfaire tout le monde en
constituant un directoire de... 94 membres (contre 35 membres en 1993)
85. Le risque de cacophonie est important si l'on prend en compte le
nombre de porte-parole. En plus d'Ousmane Tanor Dieng et Abdourahim Agne,
Aminata Mbengue Ndiaye (pour les femmes socialistes), Pape Babacar Mbaye (pour
les jeunes socialistes) et Ousmane Ngom (pour les alliés d'Abdou Diouf)
sont conviés à s'exprimer au nom du PS. Ce manque
d'homogénéité est criant lorsqu'on se penche sur la
composition du directoire de campagne d'Abdou Diouf. On y trouve :
- L'ensemble du bureau politique PS
- Des représentants du mouvement national des femmes
socialistes
- Des représentants des jeunesses socialistes
- Des représentants du GER
- Des représentants de l'école du PS
- Des représentants de comités d'entreprises
- Des représentants de la CNTS
- Des membres du gouvernement
- Les représentants de la Convergence patriotique
(112)
- Des représentants du Conseil consultatif des sages
A cet ensemble, on rajoute la participation du publicitaire
français Jacques Séguéla, qui le plus souvent agit sous
l'autorité directe d'Abdou Diouf 86 . Cet ensemble disparate
ne favorise
83 Le Soleil, 29 octobre 1998.
84 "Le Parti socialiste en pleine crise interne,
célèbre ses cinquante ans", Afrique Expresse, 12 novembre
1998.
85 Habib Thiam trouve une formule pour souligner
l'invraisemblance de l'effectif de ce comité de campagne : "puisque
nous sommes si divisés, mettons-y tout le monde". Habib Thiam,
Par devoir et amitié, pp.204, Paris, Rocher, 2001.
86 L'indépendance de Séguéla - ainsi que
ses émoluments - agace les membres du directoire, comme l'indique les
propos d'Abdourahim Agne : "il (Jacques Séguéla) ne saurait
se substituer au parti qui, avec sa connaissance de
pas l'émergence d'un programme cohérent et clair.
Pour compenser, le Président sortant
s'appuie une fois de plus durant la précampagne sur ses
principales qualités : le calme, la courtoisie, une certaine idée
de la démocratie etc. Il exprime ces vertus lors de son investiture
par le PS en décembre 1999 :
"je reste fidèle à ma conception de
l'action politique, de l'adversité politique que je fonde sur
l'éthique et le respect de l'autre. Je ne con çois pas la
campagne électorale à l'image d'une foire d'empoigne où
tous les coups sont permis. Une campagne électorale est un moment
privilégié de confrontation des idées et des programmes
(...) il s'agit de convaincre et non de chercher à blesser l'adversaire,
d'entraver, de faire adhérer plutôt que de contraindre (...) si on
m 'attend sur le terrain de la polémique, des procès d'intentions
et des attaques personnelles, on ne m'y trouvera jamais. Cette lecture du
combat politique, cette culture, n'est pas la mienne" 87.
Désirant fédérer le peuple et les
socialistes, Abdou Diouf renoue avec des thèmes qui avaient
marqué ses premiers mois à la tête de l'Etat : la
piété et la lutte contre la corruption. Ainsi, il
effectue en janvier 2000 un voyage en Arabie Saoudite qui est
largement relayé par les médias d'Etat. Ceci n'est pas sans
rappeler son déplacement à Taïf de janvier 1981. Cette
fois-ci,
l'aura du Président dans le monde musulman n'est pas
mise en lumière par un discours officiel mais par une visite. On peut
lire dans Le Soleil du 6 janvier 2000 : "pour la première
fois
depuis 18 ans, en période de ramadan, la ka'aba
sacrée a été ouverte spécialement pour Abdou
Diouf"88. La propagande fait renaître l'image de
"l'homme de Taïf" de manière à
contrer le non-ndiguel mouride et les liens
très forts qui unissent certains chefs religieux à Moustapha
Niasse. Le déplacement d'Abdou Diouf dans le saint des saints a de ce
fait des
retombées politiques et polémiques, puisque Niasse
va jusqu'à remettre en cause la véracité de la visite
présidentielle 89.
Le régime tient également un discours virulent
vis-à-vis de la corruption durant la précampagne
90. Rappelant la lutte menée par Diouf contre
l'enrichissement illicite vingt ans
plus tôt, les nouveaux programmes contre la corruption ont
pour but de démontrer la transparence et la probité de l'Etat,
vivement contestées par Wade, Kâ et Niasse. En renouant
avec des thèmes longtemps abandonnés, issues d'une
autre époque - l'Etat de grâce - Diouf essaie, via ce "retour vers
le futur", de retrouver une popularité perdue et de reprendre des
thèmes confisqués par Moustapha Niasse depuis juin
1999.
Paradoxalement, Abdou Diouf place aussi sa campagne sous le
signe... du changement. Ce positionnement, visiblement conseillé par
Jacques Séguéla, a pour but d'accaparer le sopi
affilié à Abdoulaye Wade depuis plus de deux
décennies. Diouf table sur son coté rassurant pour prôner
un changement dans la continuité, sans prendre le risque de choisir
l'inconnu avec
un homme réputé pour son instabilité et ses
dérapages. Il utilise ainsi inlassablement la même formule
à partir de décembre 1999 : "je serai le candidat du
changement dans la préservation
des acquis ". Sa réelle volonté de changer
son style de gouverner est néanmoins mise en question par ses opposants
et la population avec le maintien à la tête de la pyramide
socialiste
du très puissant mais aussi très
controversé Ousmane Tanor Dieng.
notre milieu et de nos compatriotes, aura bien sur son mot
à dire". "La direction de campagne bientôt installée",
Le Soleil, 25 novembre 1999.
87 "Changer en préservant les acquis", Le
soleil, 20 décembre 1999.
88 Le Soleil, 6 janvier 2000.
89 Le Soleil, 19 janvier 2000.
90 "Un programme indépendant contre la corruption",
Le Soleil, 4 novembre 1999 et "Corruption : comment juguler le
fléau", Le Soleil, 13 janvier 2000.
4.2. Ousmane Tanor Dieng : un homme omniprésent...
et impopulaire :
Comme on l'a vu précédemment, Ousmane Tanor
Dieng est nommé sans surprise à la tête du directoire de
campagne dioufiste. Le chef de l'Etat lui maintient donc sa pleine confiance en
dépit de l'implosion du PS. En effet, le premier secrétaire a
bien du mal à faire respecter ses choix. Il n'a plus les mêmes
facilités pour s'entourer uniquement de ses proches, comme l'atteste
l'énormité de l'effectif du directoire de campagne.
Néanmoins, il s'appuie toujours sur de alliés fidèles tels
que Aminata Mbengue Ndiaye, Amath Cissé, Abdourahim Agne ou Abdoulaye
Makhtar Diop.
Pour conserver sa position prédominante, Tanor Dieng
mise sur sa proximité avec le chef de l'Etat. Lors de l'investiture de
Diouf en décembre 1999, il multiplie les louanges et souligne la
sagesse, le pacifisme, l'audience internationale et le bon bilan dioufiste. En
consolidant la position du Président au sein du parti, Tanor Dieng peut
gérer les affaires internes comme bon lui semble, avec parfois avec une
certaine "brutalité" 91 . C'est ces méthodes qui ont
notamment poussé Djibo Kâ vers la sortie, comme il le confirme
à Jeune Afrique en juin 1999 : "il (Ousmane Tanor Dieng)
dirige un parti, moi, un autre. Je lui ai pardonné. Je pardonne
toujours, surtout quand ceux qui commettent des erreurs ou des fautes le font
par méchanceté, par ignorance ou par incompétence"
92.
Pourtant, à l'approche des présidentielles de
2000, l'omnipotence tanorienne est remise en cause. Tout d'abord,
l'arrivée de Jacques Séguéla court-circuite son influence
puisque le français prend en charge l'élaboration du slogan de
campagne, l'organisation des meetings, les thèmes
abordés etc. Cette mise à l'écart relative peut
s'expliquer par les mauvais rapports qu'entretient le ministre d'Etat avec la
famille Diouf, et notamment avec Magued Diouf, frère du Président
et aussi ministre de l'Energie, des Mines et de l'Industrie. La rivalité
est telle entre les deux hommes que Magued Diouf envisage un temps de
constituer un directoire de campagne parallèle pour coordonner les
multiples comités de soutien de son frère 93.
Devant le refus catégorique du bureau politique PS, il y
renonce... après une intervention du Président de la
République 94.
Plus grave pour Abdou Diouf, Ousmane Tanor Dieng est peu
apprécié de la confrérie mouride et de ses fidèles.
Depuis 1992 et la visite du Pape Jean-Paul II, le régime dioufiste n'a
pas de très bons rapports avec le Khalifat mouride, qui s'est
très clairement rapproché du camp wadiste. Compte tenu de
l'influence des Mourides dans la vie économique et sociale du
Sénégal, le parti gouvernemental doit favoriser un rapprochement
entre Diouf et la confrérie avant le scrutin. C'est pourquoi Ousmane
Tanor Dieng entame des démarches pour obtenir un ndiguel d'un
des membres de la confrérie. Cette tentative est un échec. Le 31
décembre 1999, Ousmane Tanor Dieng se fait huer par les talibés
mourides, empêchant Serigne Modou Kara Mbacké, un des petits-fils
du fondateur de la confrérie Cheikh Amadou Bamba Mbacké, de
donner sa consigne de vote 95.
91 André Payenne, "Ceux qui comptent", Jeune
Afrique, 15 juin 1999.
92 Francois Kpatindé, "Où s'arrêtera
Djibo Ka ? ", Jeune Afrique, 1er juin 1999.
93 "Magued Diouf fâché ", Jeune Afrique, 28
décembre 1999.
94 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.205,
Paris, Rocher, 2001.
95 Modou Kara Mbacké prononce tout un même un
ndiguel déguisé durant l'entre-deux tour, le 14 mars
2000, au cours d'un entretien à Wal Fadjri, en affirmant
"qu 'une vision nocturne inspirée par Amadou Bamba lui a
révélé que Diouf allait vaincre au second tour".
Toutefois, cette déclaration ne fait pas oublier les
événements du 31 décembre 1999. Dans l'esprit des
contemporains, Tanor Dieng et Diouf sont rejetés par les talibés
mourides. Voir O'Brien - Diop -Diouf, La construction de l'Etat du
Sénégal, pp.133, Paris, Karthala, 2002.
Enfin, Ousmane Tanor Dieng est contesté par
l'opposition. Celle-ci n'hésite pas à s'attaquer à sa vie
privée pour l'affaiblir 96 . Elle critique également
sa toute puissance au sein de l'Etat, puisqu'à la manière de feu
Jean Collin, le ministre des Services et des Affaires Présidentielles
gère les fonds politiques ainsi que l'ensemble des renseignements venant
des ministères de l'Intérieur et des Forces Armées. A la
fois directeur de cabinet, secrétaire général de la
présidence, premier secrétaire du PS et directeur de la campagne
d'Abdou Diouf, Ousmane Tanor Dieng est omniprésent dans les
médias à la fin de l'année 1999. En outre, les opposants
s'inquiètent de certaines de ses déclarations qui soutiennent que
le Président Diouf emportera aisément les prochaines
élections, en donnant parfois des estimations chiffrées. Ainsi,
Abdourahim Agne parle de 1 021 000 de voix pour le candidat socialiste au
premier tour 97.
En dépit des protestations de l'opposition, il est de
coutume pour un candidat d'affirmer qu'il va gagner au premier tour, que ce
soit Diouf, Wade ou un autre. En effet, hormis le scrutin présidentiel,
aucune élection au Sénégal ne prévoit de second
tour. Par exemple en 1998, le PDS a gagné la région de Dakar avec
à peine plus de 30 % des voix. La culture du second tour n'existe donc
pas au Sénégal. Cette volonté affichée de la part
de Tanor Dieng de gagner au premier tour est ainsi considéré
comme un malencontreux réflexe politique plutôt qu'une
réelle traduction du désir de frauder. Toutefois, en donnant des
chiffres relativement précis, les propos tanoriens laissent craindre une
fraude organisée, impression renforcée après la
révélation de "l'affaire des cartes israéliennes".
De surcroît, les contemporains ont conscience qu'en cas
de second tour, la réélection de Diouf est plus que compromise au
vu de la solidarité affichée par le FRTE. Cette défaite
sonnerait alors le glas des ambitions tanoriennes, étant donné
qu'il est convenu qu'une réélection du chef de l'Etat porterait
Ousmane Tanor Dieng à la Primature. L'opposition joue sur ce fait pour
mettre en doute la transparence du scrutin mais également les
motivations de la candidature dioufiste. Les opposants pensent effectivement
que le chef de l'Etat a pour unique intention en se représentant de
laisser au cours de son prochain mandat la présidence à son homme
de confiance. Si tel n'est pas le cas, quel était l'intérêt
pour Tanor Dieng de supprimer en 1998 la loi sur la limitation des mandats
présidentiels ? Bien que le Président de la République
réfute l'hypothèse d'un passage de témoin durant son
prochain septennat, la jurisprudence Senghor de 1980 indique que cette
possibilité est tout à fait envisageable.
D'après certains de ses proches, il semble même
qu'Abdou Diouf hésite longuement avant de se représenter 98
. Même s'il clame à plusieurs reprises ne pas
connaître l'usure du pouvoir, il est probable que ce soit l'absence de
chance de gagner de Tanor Dieng qui convainc finalement Diouf de se lancer dans
la bataille électorale. D'ailleurs, le ministre d'Etat reconnaît
lui-même tacitement ce fait lorsqu'il déclare après
l'investiture du candidat PS : "nous avons porté notre choix sur le
seul homme capable aujourd'hui de fédérer les diffé
rents
96 L'opposition révèle notamment la polygamie
d'Ousmane Tanor Dieng. Bien que celle-ci soit autorisée et largement
pratiquée au Sénégal, il est particulièrement mal
vu pour un homme politique d'avoir officiellement plusieurs femmes. La vie
politique sénégalaise ayant calqué ses valeurs sur celles
de la République française, la famille d'un politicien
sénégalais doit refléter des vertus essentielles comme la
confiance, la stabilité et la fidélité, que seule la
monogamie garantit. Cette révélation affaiblit d'autant plus le
ministre d'Etat qu'il s'appuie depuis ses débuts en politique
énormément sur l'électorat féminin pour compenser
son manque de légitimité. Or, certaines femmes
sénégalaises politisées estiment que la polygamie est
archaïque et dégradante pour la femme. Il est donc coupé de
certains de ses plus fidèles soutiens. Voir O'Brien - Diop -Diouf,
La construction de l'Etat du Sénégal, pp.125, Paris,
Karthala, 2002 et Abdou Latif Coulibaly, Le Sénégal à
l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance
à nos jours, Paris Montréal, L'Harmattan, 1999.
97 "le PS vise plus d'un million de voix en février",
Le Soleil, 16 décembre 1999.
98 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.1 88,
Paris, Rocher, 2001.
courants et sensibilités du parti, le
président Diouf" 99.
Pour espèrer une victoire au premier tour, le candidat
socialiste ne peut pas se contenter de l'appui du PS et de quelques soutiens
mineurs (PDS-R, PAI, comité de soutien etc.). Le Président
sortant doit ouvrir son champ politique et jouer les rassembleurs, comme il
avait su le faire en 1993 en ralliant à sa candidature le PAI et le PIT.
C'est pourquoi Ousmane Tanor Dieng propose dans les colonnes du Soleil
le 1er novembre 1999 la constitution d'un "pôle de gauche", qui
rassemblerait tous les partis allant de l'extrême gauche au centre-droit.
Avec cette proposition, le PS souhaite replacer les idéologies
politiques au centre de la campagne. Tanor Dieng dans son entretien fait ainsi
une distinction très nette entre les partis de gauche et ceux de droite,
chose que la formation gouvernementale n'avait jamais fait auparavant sous
l'ère dioufiste. L'objectif est de rompre le front anti-dioufiste en
opposant le programme du PDS, jugé libéral, aux valeurs des
partis de gauche, plus proches de la pensée socialiste.
Ousmane Tanor Dieng soutient ainsi qu'Abdoulaye Bathily,
Landing Savané et le PIT "ont leur place dans une gauche plurielle
au coté d'un PS réformé, modernisé et plus ouvert
que jamais" 100 . De manière à n'oublier personne, il
poursuit : "je n'aurai garde d'oublier des partis tout aussi important
appartenant au centre gauche ou au centre droit (RND, CDP,BCG PLS et PDS-R)
dont le patriotisme ardent ne fait plus de doute". Pour ne pas inclure les
dissidents Kâ et Niasse - qui promeuvent le socialisme senghorien - le
premier secrétaire socialiste définit l'URD et l'AFP comme
"deux démembrements de la droite dure du PS, une droite dure faite
d'intolérance, de surdimensionnement du "moi", une droite dure
revancharde et injurieuse à souhait". Enfin, Abdoulaye Wade est
qualifié de "libéral à tout crin, pur et dur, un
théoricien du mondialisme sans frein" 101.
Ce vocabulaire gauche-droite, peu répandu dans la vie
politique sénégalaise depuis le départ de Léopold
Sédar Senghor, est une véritable innovation. Cependant, la
stratégie socialiste se heurte à l'union sacrée de
l'opposition. Plus que pour une idéologie, les opposants de gauche
luttent contre un système en place depuis plus de cinquante ans. Par
conséquent, la très grande majorité des partis
alliés au trio Wade-Niasse-Kâ rejette l'appel. Seul le BCG de
Jean-Paul Dias rejoint "le pôle de gauche" désiré par Tanor
Dieng qui se transforme rapidement en un... "pole de centre-droit".
En effet, hormis le PAI, tous les autres partis
ralliés à la candidature d'Abdou Diouf ont une
idéologie... libérale. Il s'agit en fait d'un front-antiwadiste,
constitué de personnalités issues du PDS, qui ont quitté
la formation libérale suite à des divergences personnelles - et
non idéologiques - avec le "Pape du sopi".
Les alliés d'Abdou Diouf se nomment donc Majhemout
Diop (PAI), Serigne Diop (PDS-R), Jean-Paul Dias (BCG) et Ousmane Ngom (PLS).
Ils forment à eux quatre une coalition en faveur du candidat Diouf
appelée "Convergence patriotique". Celle-ci n'a que pour seul but
avoué de "faire obstacle à l'aventurisme et à
l'inconnu" : en somme, d'empêcher Abdoulaye Wade de devenir le
troisième Président de la République
sénégalaise 102.
Ainsi, le PS renonce à sa tentative de ramener le
débat politique à des enjeux idéologiques et non à
des luttes crypto-personnelles. Il revient au schéma classique
d'alliances opportunistes et éphémères, paradoxales et
sans vision à moyen-terme. Bien qu'il dénonce "l'alliance
contre
99 Jeune Afrique, 21 décembre 1999.
100 "OTD : l'opposition et nous", Le Soleil, 1er
novembre 1999.
101 Idem.
102 Le Soleil, 14 novembre 1999.
nature" formée par le PDS et les partis de
gauche 103 , le PS applique la même stratégie que son adversaire
en se rapprochant singulièrement du centre-droit libéral.
Cette alliance est un aveu d'échec pour le PS. En
effet, la formation gouvernementale se rapproche de partis sans aucune aura
dans le pays, qui n'ont obtenu que quelques députés à
l'Assemblée nationale et qui n'ont pas été en mesure de
contester l'hégémonie socialiste lors des sénatoriales.
Contrairement au PDS, qui regroupe autour de lui des partis qui
représentent environ 10 % de l'électorat
sénégalais, le PS ne tire aucun avantage électoral de
cette union.
Le seul intérêt qu'ont les membres de la
Convergence patriotique pour le PS est qu'ils peuvent "comparer" Diouf et Wade.
Si le Président sortant est loué pour sa stature d'homme d'Etat,
le chef de l'opposition est dénigré par ses anciens soutiens, qui
le compare "à un marchand d'illusions ". Ils appuient par
conséquent le slogan présidentiel : "le changement dans la
continuité ".
"Nous combattions tous Abdou Diouf, mais dès
l'instant que nous avons compris que celui pour qui nous menions ce combat ne
le méritait pas, nous avons pris nos responsabilités.
Aujourd'hui, nous soutenons fermement le candidat du Parti socialiste, parce qu
'avec lui, le changement dans la continuité n 'est pas un vain
mot" 104.
La Convergence patriotique est de ce fait très
régulièrement invitée aux rassemblements de
précampagne dirigés par Ousmane Tanor Dieng. Dans ses
interventions, elle oppose Abdoulaye Wade, "l'homme des promesses non
tenues", au couple Diouf-Tanor, sage, patriote et intègre.
Cependant, à l'approche des élections, le secrétaire
national et la Convergence patriotique sont invités à laisser la
place au candidat Diouf. Le ministre d'Etat axe alors son action sur les
Sénégalais de l'étranger en se rendant entre autre en
France, aux Etats-Unis et en Gambie 105 . Il adopte également une
attitude moins autoritaire, en promett ant en janvier 2000 aux 846
secrétaires généraux de région PS une plus grande
ouverture du parti après les présidentielles : "s 'il y a une
différence entre ce que je prêche et ce que je pratique,
dite-lemoi. Rectifiez-moi si vous le jugez nécessaire" 106 . Cet
adoucissement du discours tanorien n'est pas anodin, les sondages internes
indiquant tous sans exception l'inéluctabilité d'un second
tour.
C'est donc dans l'incertitude que Abdou Diouf lance sa
campagne le 4 février 2000, via une allocution
télévisée, dans laquelle il déclare :
"je veillerai à ce que le scrutin se
déroule dans le calme, qu 'il soit transparent, équitable et
juste et que le verdict, quel qu'il soit, soit respecté par tous,
conformément à la volonté du peuple souverain (...) pour
qu 'ensemble, nous fassions la démonstration que le
Sénégal est un exemple de démocratie majeure et
responsable pleinement assumé" 107.
En insistant sur la transparence du scrutin, le
Président s'engage à respecter le jeu démocratique. Il
mise sur son bilan économique et la restauration du dialogue en
Casamance pour battre une nouvelle fois Abdoulaye Wade. Néanmoins, son
septennat a été assombri par la poursuite de la
paupérisation des Sénégalais, l'implosion de son parti et
le déclin de sa
103 Ousmane Tanor Dieng déclare à ce sujet :
"Landing Savané, Abdoulaye Bathily et Amath Dansokho sont plus
proches de nous que d'un Wade, qui prône le libéralisme sauvage.
Il s'agit donc d'une alliance contre nature. Et s'ils gagnaient les
élections, comment pourraient-ils gouverner ensemble ? ". Jeune Afrique,
21 décembre 1999.
104 "Sortie réussie de convergence patriotique",
Le soleil, 29 novembre 1999.
105 Voir Le soleil 26-2 8 janvier et 14 février
2000.
106 Le soleil, 31 janvier 2000.
107 "Abdou Diouf : je compte sur vous", Le soleil, 4
février 2000.
popularité auprès de la population.
4.3. Abdou Diouf à la recherche d'un bilan :
En 1993, alors que l'économie
sénégalaise est considérée comme "cliniquement
morte", Abdou Diouf promet dans son "contrat pour l'avenir" 20 000 emplois
annuels et une croissance oscillant entre 6 et 10 %. Sept ans plus tard, les
prévisions présidentielles se sont avérées plus ou
moins exactes. Si Abdou Diouf s'est longtemps opposé à la
dévaluation du Franc CFA, celle-ci a largement contribué à
la réussite de la relance économique du pays à partir de
1996. D'après les chiffres officiels 108 , la croissance
sénégalaise atteint en 2000 5,1 %, contre -2,2 % en 1993, tandis
que l'inflation est passée en sept ans de 32,1 % à 0,8 %
109. Si l'évolution du taux d'alphabétisation du
Sénégal n'a pas été aussi importante que
prévu - Abdou Diouf prévoyait un taux de 90% pour 2000 - les
données demeurent relativement satisfaisantes pour un pays d'Afrique
subsaharienne (5 1,1%). La dévaluation a donc offert "le bol d'air"
espéré par les économistes, bien aidée dans sa
réussite par les mesures de libéralisation de l'économie
effectuées par le régime à partir de 1996-1997. Abdou
Diouf et Tanor Dieng peuvent donc au cours de la campagne insister sur le fait
que "tous les clignotants de l'économie sont au vert"
110.
L'autre satisfaction du gouvernement est l'évolution de
la situation en Casamance. Le PS multiplie les contacts en 1999 pour garantir
un apaisement dans la région avant les élections de 2000. Abdou
Diouf rencontre de ce fait pour la première fois officiellement le
leader du MFDC, l'abbé Diamacoune Senghor, le 22 janvier 1999 à
Ziguinchor. Cette entrevue historique est l'aboutissement d'un long processus
de rapprochement entre les deux hommes perceptible depuis quelques
années, Diamacoune ayant de nombreuses fois appelé à la
fin des violences dans le sud du Sénégal. Néanmoins, le
chef du MFDC, en résidence "très surveillée", est depuis
longtemps "coupé" du terrain. Son influence sur les combattants s'est
donc réduite. Par conséquent, la rencontre de janvier 1999
constitue un premier pas pour la paix en Casamance mais non un pas
décisif.
Il est toutefois dans l'intérêt du chef de
l'Etat d'écouter attentivement les requêtes de son interlocuteur.
Ce dernier réclame une plus grande liberté de déplacement,
la libération d'une partie des 250 prisonniers casamançais et la
reconnaissance de certains crimes perpétrés en Casamance par
l'armée sénégalaise. Robert Sagna et d'autres
personnalités encouragent le Président a montré de la
bonne volonté à ce sujet, aussi bien pour satisfaire le MFDC que
les organisations internationales, telles que Amnesty international,
qui condamnent depuis une décennie la tolérance de Dakar
vis-à-vis des dérapages de son armée. Elles demandent
aussi à Diouf de "mettre un terme aux détentions arbitraires
et aux humiliations" 111 en garantissant dorénavant que
les prévenus casamançais soient déférés
devant la justice et non plus maintenus aux mains des militaires.
Après la poignée de main du 22 janvier 1999,
l'Etat sénégalais et le MFDC négocient, en dépit
des difficultés causées par les "jusqu'auboutistes" des deux
camps, qui arrivent notamment à
108 "Portait chiffré du Sénégal
performant", Le soleil, 6 février 2000.
109 Chiffres confirmés par Le monde. "Le
Sénégal à l'heure du changement dans la continuité
ou la rupture", Le monde, 27 février 2000.
110 Entre 1996 et 2000, la croissance économique
sénégalaise est toujours au-dessus de 5 %. 1996 : 5,2 % ; 1997 :
5 % ; 1998 : 5,7 % ; 1999 : 5 % ; 2000 (prévision) : entre 5 et 6 %.
"Embellie économique au Sénégal", Le monde, 20
juin 2000.
111 Valérie Thorin, "Diouf-Diamacoune : les secrets
d'une rencontre", Jeune Afrique, 2 février 1999 et Assane Seck,
Sénégal, émergence d'une démocratie moderne
(1945-2005) : un itinéraire politique, pp.277, Paris, Karthala,
2005.
relancer le conflit durant l'hivernage 1999 112 . Les
échéances électorales approchant, le pouvoir maintient des
rapports avec les chefs de file du MFDC et obtient, avec l'aide de Diamacoune
113, un cessez-le-feu en Casamance à la fin
décembre 1999. Celui-ci est signé par le général
Lamine Cissé et l'abbé Diamacoune Senghor. Il stipule que
"les deux parties décident de la cessation immédiate des
combats, des actes armées (...) des enlèvements de personnes, des
pillages des biens et de tout autre acte de violence" 114.
Abdou Diouf boucle donc son septennat sur une grande
réussite et un espoir de paix. Pour faciliter un règlement
pacifiste de la situation, il déclare "être prêt
à aller plus loin... car il faut savoir terminer un conflit"
115, sans pour autant remettre en cause
l'unité territoriale. Il propose ainsi de mettre fin à la
division administrative de la Casamance mis en place en 1984 en
réunifiant les régions de Ziguinchor et Kolda au sein d'une
même entité.
Le bilan de Diouf est aussi positif en ce qui concerne les
avancées démocratiques. Bien que les résultats des
élections de 1996 et de 1998 aient été contestés,
il est indéniable que la création de l'ONEL, l'autorisation des
radios privées et l'approfondissement de l'ouverture des médias
d'Etat (Le Soleil entre autre) ont permis à l'opposition de
participer plus activement à la vie politique du pays. En outre,
l'ouverture du gouvernement aux opposants et l'entrée massive de petites
formations politiques au sein de différentes assemblées
(assemblée nationale, régionale ou locale) ont introduit la
pluralité politique partout dans le pays. Même si à
l'orée des élections, le PS est encore un parti ultra-dominant,
Abdou Diouf, grâce à son action, a ouvert le pays aux avis
divergents.
Cette pluralisation de la vie politique n'a pas eu que des
avantages. Les échéances électorales se sont
multipliées, entraînant le Sénégal dans un climat
permanent de campagne électorale, au grand désespoir d'Abdou
Diouf 116 . La vie politique sénégalaise est depuis 1996
bercée par les "petites phrases", les alliances
éphémères et les promesses non tenues. L'absence d'un
climat de confiance a brisé l'élan consensuel observé en
1995 lors du retour des libéraux au sein du gouvernement. Les relations
Diouf-opposition se sont donc peu à peu altérées, le chef
de l'Etat n'ayant pas su - ou pu - resté "l'arbitre au-dessus de la
mêlée" qu'il clamait vouloir être.
Acculé après 1998 par une opposition de mieux
en mieux organisée, le Président de la République ne peut
ni compter sur sa formation politique, trop affaiblie, ni obtenir le soutien
explicite du Khalife général des Mourides, qui n'a aucun
intérêt à soutenir un homme devenu impopulaire. Abdou Diouf
ne bénéficie donc plus de ses appuis traditionnels. Pour
compenser ces pertes, les groupes de soutien réapparaissent pour louer
le travail effectué durant sept ans par le duo Diouf-Tanor Dieng . On
note ainsi la naissance de Fa laat Abdu, du mouvement Diouf 2000, du
mouvement démocratique des jeunes, de Faggu benno ak Tanor,
d'Abdoo
112 Thomas Sotinel, "Dakar doit de nouveau faire face
à des combats en Casamance ", Le Monde, 15 juin 1999.
113 "Diamacoune se démarque des activistes", Le
soleil, 2 mai 1999 et "Diamacoune lance un nouvel appel à la paix",
Le Soleil, 9 juin 1999.
114 "Cessez-le-feu en Casamance", Le Monde, 28
décembre 1999.
115 "Je suis un homme de changement, je ne subis pas l'usure
du pouvoir ", Le Monde, 10 février 2000.
116 "Au début, vous savez qu'on faisait la
présidentielle en même temps que les législatives.
L'opposition a dit non, "le Président de la République risque
d'entraîner la victoire de son parti aux législatives donc il faut
séparer". Nous avons maintenant les présidentielles, les
législatives, les locales, les sénatoriales. Ça fait
beaucoup, beaucoup d'élections et on a calculé que tous les
dix-sept, dix-huit mois le Sénégal est en élection. Alors,
en comptant les périodes préélectorales et les
périodes post-électorales, les campagnes électorales, on
en arrive à être en campagne électorale permanente ".
"Conférence de presse du Président Abdou Diouf", Parti
socialiste, 1999.
2000 etc. Cependant, la réactivation de la
filière clientéliste n'a qu'un faible impact sur le plan
électoral.
Par conséquent, à l'instar du PS en 1998, Abdou
Diouf ne compte que sur les performances économiques du
Sénégal pour séduire l'électorat
sénégalais. Or, cette stratégie est relativement
risquée. En effet, si le pays va économiquement mieux, la
pauvreté s'est accentuée depuis la dévaluation de 1994 :
il y a une "déconnexion entre la croissance économique et le
développement humain" 117 . En 2000, le Sénégal
occupe la 153ème place sur 174 nations au palmarès du
développement humain. En 25 ans, le PIB par habitant est passé de
716 à 674 dollars. La croissance présentée par Diouf n'est
donc pas suivie d'un développement véritable.
La relance économique est socialement factice : elle
ne répond pas aux besoins de la population. Par exemple, Abdou Diouf se
vante au cours de sa campagne d'avoir crée 47 000 emplois annuellement
depuis 1993. On pense ainsi à première vue que le chômage
décline et que la politique socialiste a un véritable impact sur
le quotidien des Sénégalais. Or, on s'aperçoit que dans le
même temps, 100 000 sénégalais arrivent chaque année
sur le marché du travail. Pour la population, ce n'est donc pas 47 000
emplois qui sont créés par an mais bel et bien 53 000
sénégalais de plus qui se retrouvent chaque année sans
activité professionnelle. Sur le terrain, la situation ne
s'améliore donc pas. Le chômage ne se résorbe pas. C'est ce
que reconnaît implicitement la propagande étatique lorsqu'on lit
dans Le Soleil du 22 février 2000 : "c'est le fossé
entre les demandes d'emplois et les créations effectives d'emplois qui
donne l'impression que rien n 'est fait" 118.
En axant sa précampagne sur la croissance
économique, le PS ne fait qu'attiser la rancoeur de la population
à son encontre. Ses dirigeants, et surtout Abdou Diouf, sont
accusés de ne pas connaître les difficultés quotidiennes de
l'immense majorité de la population. On reproche à Abdou Diouf de
vivre dans un "autre monde". Pour soutenir cette thèse, l'opposition
soutient que depuis ses 25 ans, Diouf n'a jamais payé la moindre facture
d'électricité, d'eau, d'huile, de riz etc. Le chef de l'Etat est
de ce fait l'incarnation du nanti, du technocrate éloigné du
peuple. Face à ces attaques, Abdou Diouf observe un silence
gêné alors que Tanor Dieng a bien du mal à trouver une
parade. En employant des termes maladroits, il en vient même à
renforcer l'image d'éternel privilégié de son candidat
119.
Il existe indéniablement un décalage entre le
Président Diouf et sa population. Une population jeune, 58 % des
Sénégalais ayant moins de 20 ans et 80% ayant moins de 30 ans.
Une très large majorité du peuple n'a donc véritablement
connu comme chef de l'Etat qu'Abdou Diouf. Il ne peut donc légitimement
pas être considéré comme le candidat du changement, le
propre d'une démocratie étant de connaître le changement
par l'alternance politique. L'usure du pouvoir est réelle, profonde. En
dépit de toutes les tentatives dioufistes - références
à l'Etat de grâce de 1981-1983, ouverture vers la gauche,
évocation de la reprise économique etc. - Abdou Diouf est
assimilé au passé. A un passé douloureux aussi bien
économiquement que socialement. Son bilan démocratique ne joue
même pas en sa faveur. La très grande majorité des
électeurs n'a jamais connu la période senghorienne de 1962-1974.
Pour les Sénégalais, la
117 Assou Massou, "Huit candidats, deux programmes",
Jeune Afrique, 8 janvier 2000.
118 "47 000 emplois : la preuve par les chiffres", Le
Soleil, 22 février 2000.
119 A la question "On reproche notamment au
président sortant, haut fonctionnaire dès l'âge de 25 ans,
de n'avoir pratiquement jamais payé l'électricité, l'eau,
l'huile ou le riz... ", Tanor Dieng répond : "Je ne vois
vraiment pas ce qu 'il y a de gênant à cela. Ce n 'est pas parce
qu 'on n 'a pas payé l'eau et l'électricité qu 'on ne peut
pas être en phase avec son peuple". Jeune Afrique, 21
décembre 1999.
pluralité politique et la liberté de la presse
sont des droits acquis et incontestables, qui ont toujours plus ou moins
existé depuis l'indépendance. Abdou Diouf n'est pas donc
considéré par les contemporains comme le "Père de la
démocratie sénégalaise", mais comme un homme qui a
simplement poursuivi la libéralisation du régime entamée
sous Senghor.
Dépourvu de ses principaux faits d'arme, Diouf se
heurte dès le début de la campagne officielle aux diatribes d'une
opposition unie, qui le compare à un monarque incapable de lâcher
les rênes du pouvoir. Ainsi, les opposants fondent les bases de ce qui va
bientôt être considéré comme le "déracinement
du baobab" 120.
5. Le déracinement du baobab :
5.1. Les candidats et la campagne du premier tour :
Il y a huit candidats pour les élections
présidentielles de 2000 : Abdou Diouf pour le PS (65 ans), Abdoulaye
Wade pour le PDS (74 ans), Moustapha Niasse pour l'AFP (61 ans), Djibo Kâ
pour l'URD (52 ans), Iba der Thiam pour le CDP (63 ans), Ousseynou Fall pour le
Parti Républicain du Sénégal (53 ans), Cheikh Abdoulaye
Dièye du Front pour le Socialisme et la Démocratie / Benno
Jubel (62 ans) et Mademba Sock (49 ans). Pour présenter leur projet
au peuple sénégalais, ils bénéficient tous de 5
minutes quotidiennes à la télévision. La campagne
électorale est également suivie par les radios et les journaux,
qui sont invités à traiter équitablement l'information au
cours des trois semaines de campagne.
Tous les candidats sont des hommes, Marième Wane Ly,
la seule femme en lice durant la précampagne, ayant décidé
de se retirer faute de moyens financiers. On note aussi l'absence de quelques
personnalités de l'opposition pour cette élection : Landing
Savané, Abdoulaye Bathily, Madior Diouf. Ceci s'explique par la
constitution d'une très large coalition autour du nom du chantre du
sopi, Alternance 2000, qui rassemble l'ADN, And Jëf, la LD-MPT,
le MSU de Mamadou Dia, le PDS, le PIT, l'UDF et l'UPS. Moustapha Niasse forme
également un large rassemblement, la coalition de l'espoir 2000, qui
regroupe huit partis dont le l'AFP, le RND et l'Alliance Jëf Jël.
On distingue comme pour les législatives de 1998 deux
catégories de candidats : les historiques, présents sur la
scène politique depuis le début des années 1980 et les
néophytes, entrés depuis peu en politique, profitant des bons
scores réalisés par leur formation lors des
précédentes législatives. Ces nouveaux candidats sont au
nombre de trois : Ousseynou Fall, Cheikh Abdoulaye Dièye et Mademba
Sock.
Ousseynou Fall, officiellement journaliste, est le petit-fils
d'un marabout relativement connu au Sénégal, Cheikh Ibra Fall 121
. Sa candidature reflète la politisation de la "génération
des petits-fils" (sous-entendu petit-fils de fondateur de confrérie), la
défiance des jeunes religieux à l'égard du pouvoir
socialiste et l'émergence de thèmes religieux dans la vie
politique sénégalaise. L'appellation de son parti - le Parti
Républicain du Sénégal - est donc un leurre, puisque la
référence à la République n'est utilisée que
pour contourner la loi sénégalaise qui interdit depuis
l'ère senghorienne la formation de parti à caractère
religieux ou ethnique 122.
120 Diop-Diouf-Diaw, "Le baobab a été
déraciné : L 'alternance au Sénégal", pp.1 58,
PoA 78, juin 2000.
121 Sheldon Gellar, "Pluralisme ou jacobinisme : quelle
démocratie pour le Sénégal ?" dans Momar-Coumba Diop,
Le Sénégal contemporain, Paris, Karthala, 2002.
122 On constate que Moustapha Sy, fondateur des Moustarchidines,
utilise le même procédé pour pouvoir fonder sa formation
politique. Il la nomme le Parti de l'Unité Républicaine (PUR).
Sheldon Gellar, "Pluralisme ou
Tout naturellement, Fall critique durant sa campagne la
laïcité de l'Etat et appelle à un retour aux valeurs
enseignées par Amadou Bamba : "pour construire ce pays, il faut
s'appuyer sur la pensée économique de Cheikh Amadou Bamba qui est
ma référence (...) elle se résume en deux notions :
travail et dévotion à Dieu" 123 . Il n'est pas le seul
à tenir de tels propos. Cheikh Abdoulaye Dièye, élu
député du FSDRJ en 1998, souhaite également un retour aux
valeurs musulmanes : "pour que le Sénégal aujourd'hui puisse
enclencher son processus de développement et sortir de l'impasse, il
faut que les gens retournent vers la religion" 124 . Ces deux candidats,
en axant leur campagne sur des thèmes uniquement religieux, ont bien du
mal à capter l'attention des électeurs, comme l'atteste
l'échec de certains de leurs rassemblements, comme celui de Dièye
à Kaolack, qui ne dure que... treize minutes 125.
La candidature de Mademba Sock est plus atypique.
Syndicaliste réputé au Sénégal, à la
tête du Syndicat Unique des Travailleurs de l'Electricité
(SUTELEC) et de l'Union Nationale des Syndicats Autonomes du
Sénégal (UNSAS), il s'est fait connaître en s'opposant
à la privatisation de la Société Nationale
d'Electricité (SUTELEC) en 1998. Malgré ses actions plus ou moins
controversées - il prive durant l'hivernage 1998 le
Sénégal d'électricité pendant soixante-douze heures
126 - il bénéficie du soutien de l'opposition suite à son
arrestation pour "sabotage des installations de l'entreprise et trouble
à l'ordre public". Il passe plusieurs mois en prison et à sa
sortie, il entre dans le terrain politique pour faire tomber l'instigateur de
sa peine... Abdou Diouf.
"Abdou Diouf a trahi nos intérêts nationaux,
laissé se développer la corruption, la criminalité
financière, le détournement des deniers publics, l'accaparement
du patrimoine foncier par une véritable oligarchie"
127.
Sans parti politique, Sock se présente en tant que
candidat libre après avoir recueilli 10 000 signatures en sa faveur. Il
se joint au FRTE et comme l'ensemble de ses camarades, il milite pour la chute
du Président sortant. Son programme est flou, populiste et teinté
de marxisme. Sans gros moyens financiers, le syndicaliste se contente d'une
campagne de proximité, en rencontrant des groupes d'électeurs en
petits comités.
Parmi les candidats dits historiques, seul Iba der Thiam vise
uniquement une certaine tranche de l'électorat sénégalais.
Comme en 1993, Iba der Thiam s'adresse avant tout aux paysans et aux musulmans.
A l'instar de Dièye et de Fall, il adopte "un discours à
forte connotation religieuse et culturaliste" 128 , qui propose entre
autre la création d'un conseil national islamique. Il est toutefois
condamné à un certain anonymat durant la campagne. Il n'arrive
pas à détourner l'attention des médias, portée sur
les quatre "présidentiables" : Kâ, Niasse, Wade et Diouf.
j
Djibo Kâ 129 . Malgré sa rupture
prématurée avec l'Alliance Jëf-Jël, l'ancien ministre
socialiste représente plus de 13 % de l'électorat
sénégalais. Comme on l'a vu précédemment, il
mène des opérations d'envergure avec Abdoulaye Wade contre le PS
et Diouf, acquérant ainsi une
jacobinisme : quelle démocratie pour le
Sénégal ? " dans Momar-Coumba Diop, Le
Sénégal contemporain, Paris, Karthala, 2002.
123 "Ousseynou Fall à Louga : mener lutte la contre
la pauvreté ", Le Soleil, 21 février 2000.
124 Le Soleil, 9 février 2000.
125 "Campagne à deux vitesses", Le Soleil, 9
février 2000.
126 Voir Le Soleil du 31 juillet et 2-3 août
1998.
127 Ousmane Sall, "Syndicaliste et rancunier", Jeune
Afrique, 27 juillet 1999.
128 Diop-Diouf-Diaw, "Le baobab a été
déraciné : L 'alternance au Sénégal", pp.158,
PoA 78, juin 2000. 129 Francois Kpatindé, "Où
s'arrêtera Djibo Kâ ? ", Jeune Afrique, 1 er juin 1999.
certaine "respectabilité" au sein de l'opposition.
Sûr de ses chances, il effectue en mai 1999 une grande tournée en
Occident qui l'amène à rencontrer des personnalités
influentes de la vie politique française comme Fernand Wibaux,
conseiller officieux de l'Élysée pour les Affaires africaines, et
Guy Labertit 130 . Il n'hésite pas alors à déclarer :
"notre objectif (pour l'URD) : devenir, avant la fin de l'année, la
première formation politique du pays" 131.
Cet élan est brisé le 16 juin 1999 avec
l'émergence de Moustapha Niasse. En effet, si les deux hommes ont le
même passé, le même profil, le même discours et les
mêmes ambitions, Niasse est plus populaire et a de plus gros soutiens
politiques, religieux et financiers. De ce fait, Kâ a bien du mal
à se démarquer de son ancien camarade socialiste et à se
faire entendre par Abdoulaye Wade, plus intéressé
dorénavant par la formation d'une alliance PDS-AFP.
De plus, le Bloc Républicain pour le Changement (BRC),
bâti en 1998 pour soutenir le fondateur de l'URD lors des
présidentielles de 2000, se disloque : la LD/MPT rejoint le PDS, le BCG
s'allie à Diouf et le RND joue la carte Niasse. Dépourvu de ses
soutiens, Djibo Kâ ne peut compter à présent que sur la
mobilisation de la communauté peul pour l'emmener au palais
présidentiel. Il tente néanmoins au cours des trois semaines de
campagne de convaincre d'autres électeurs. Il prône le changement
via l'URD et condamne la corruption, le présidentialisme à
outrance, le chômage, l'omnipotence socialiste etc... mais n'apporte pas
de véritables solutions alternatives, comme le montre l'une de ses
interventions :
"40 % des Sénégalais sont frappés
par le chômage qui est vécu au quotidien dans chaque famille. On n
'indique pas la voie par un acte administratif. Il faut une politique
économique volontariste, de la confiance et une administration efficace.
En un mot, il faut faire exactement le contraire de ce que fait le gouvernement
de Mamadou Lamine Loum" 132.
Moustapha Niasse dispose d'un programme moins évasif.
Il désire la révision de la Constitution pour garantir la
séparation des pouvoirs et un régime parlementaire. Il reprend
également au cours de sa campagne des thèmes déjà
mentionnés le 16 juin 1999 : lutte contre la corruption, assainissement
des finances de l'Etat, relance de l'emploi industriel et agricole, relance
d'un secteur privé "à l'abandon", fin de la dépendance
vis-à-vis des aides extérieures etc. Il met aussi en avant sa
sagesse, sa compétence dans les affaires et son incorruptibilité
pour se démarquer de Wade, jugé imprévisible et arriviste
par certains contemporains. L'ancien ministre des Affaires Etrangères
essaie donc d'attirer à lui les déçus du wadisme.
Toutefois, Abdoulaye Wade détient touj ours le titre
honorifique de chef de l'opposition et semble le mieux placer pour contrecarrer
la réélection d'Abdou Diouf. Mis à mal après 1998
par la percée de Djibo Kâ, le fondateur du PDS a réussi
à reprendre la tête du front antidioufiste en mett ant en avant sa
légitimité historique. Sa démonstration de force lors de
son retour d'exil a fini de convaincre Savané, Bathily et Dansokho. Pour
eux, Wade est l'homme par qui peut et doit venir l'alternance politique.
Ces soutiens sont décisifs puisque les alliés
du PDS représentent, si on se base sur les scores des
précédentes législatives, 9,68 % de l'électorat
sénégalais. Ils assurent donc à Wade une quasi-certaine
seconde place pour le premier tour du scrutin de février 2000. Ceci
pousse Abdoulaye Wade à bâtir un programme électoral
consensuel, qui fait la part belle aux réformes institutionnelles.
Ainsi, l'ancien ministre d'Etat promet l'établissement d'un
régime parlementaire fort, la suppression du coûteux Sénat,
une profonde réforme judiciaire pour garantir la séparation des
pouvoirs, la création d'une véritable CENI indépendante,
un audit
130 "Djibo Ka voyage...", Jeune Afrique, 1 juin
1999.
131 Francois Kpatindé, "Où s'arrêtera
Djibo Kâ ? ", Jeune Afrique, 1 er juin 1999.
132 Assou Massou, "Huit candidats, deux programmes",
Jeune Afrique, 8 janvier 2000.
des finances de l'Etat etc. En somme, Abdoulaye Wade annonce en
cas d'élection qu'il tournera la page socialiste pour bâtir une
démocratie nouvelle, juste et non-partisane.
Les différences idéologiques importantes entre
les membres de la coalition alternance 2000 n'offrent pas la possibilité
à Wade de formuler des promesses claires pour ce qui est de
l'économie. Il annonce toutefois en cas d'élection la mise en
place de mesures d'urgences en faveur du secteur de la pêche, de
l'agriculture, de l'éducation, de la santé et de l'emploi
133.
On note que les programmes de trois grands candidats de
l'opposition, Wade-Niasse-Kâ, convergent pour ce qui est des
réformes institutionnelles à entreprendre. Le FRTE a permis ce
rapprochement des idées qui doit garantir, quelque ce soit le vainqueur,
la réalisation du changement. Cette entente préalable explique
pourquoi au cours de la campagne, les trois candidats évitent
soigneusement de s'attaquer. Ils concentrent leurs diatribes sur le bilan de
leur adversaire commun.
Face à cette alliance, Abdou Diouf défend
à la fois son bilan mais présente aussi son projet de changement.
Tout comme ses opposants, il préconise la création d'un
Sénégal nouveau, plus juste et plus démocratique, comme
l'atteste son slogan de campagne concocté par Jacques
Séguéla : "Ensemble, changeons le Sénégal".
Il annonce dans son programme la mise en place d'un pacte de croissance et
de solidarité, la relance de la concertation nationale, le maintien de
l'effort de libéralisation économique et l'approfondissement de
la régionalisation 134. Constatant l'aspiration
générale à des changements institutionnels, il s'engage
également en fin de campagne à faire un referendum pour instaurer
un régime parlementaire 135.
En désirant récupérer le thème du
changement, Diouf s'attire les railleries d'Abdoulaye Wade, bien
décidé à conserver la paternité du sopi.
Pour contrer la stratégie présidentielle, Wade prend des
accents populistes et clame être le candidat du peuple. Il déclare
: "et même s 'il veut faire du sopi, il n'a qu'à m'imiter, moi
qui n'a ni garde rapprochée, encore moins de gendarmes et de
policiers"
Revendiquant être protégé par le peuple,
et non par des policiers, Wade s'appuie sur sa popularité dans les zones
urbaines pour mener sa campagne. Il instaure les "marches bleues" qui drainent
des milliers de personnes. En traversant lentement chaque localité qu'il
visite, à bord d'une Mercedes bleue décapotable, toujours
habillé en costume de ville, le candidat PDS établit un contact
direct avec les habitants. Son allure particulièrement soignée et
occidentalisée, qui rompt avec le boubou normalement de rigueur
pendant les élections, a pour but de séduire une jeunesse
sénégalaise qui rêve d'Amérique et d'Europe. De
surcroît, il profite du soutien de Landing Savané et Abdoulaye
Bathily - relativement populaires auprès des étudiants - pour se
rendre à l'université Cheikh Anta Diop, lieu pourtant
réputé hostile aux gouvernants. Il renforce par cette visite
symbolique son image de candidat des jeunes 136.
A l'inverse, Abdou Diouf conserve le boubou et multiplie les
gros rassemblements. Il faut dire que l'électorat dioufiste, surtout
rural et clientéliste, n'est pas le même que celui de son
concurrent. Néanmoins, le Président sortant tente de rallier la
jeunesse à son programme en s'assurant le soutien de quelques
personnalités populaires auprès des jeunes. Par exemple, Diouf
s'affiche à la une du Soleil le 14 février 2000 en
compagnie Mohamed Nado "Tyson", star incontestée de la lutte
sénégalaise. Il obtient d'autres appuis de sportifs, tels que
133 Anne Marchand et Philippe Daguerre, "Le défi
historique de la gauche", Nouvel Afrique-Asie, février 2000.
134 "Le Sénégal à l'heure du changement
dans la continuité ou la rupture", Le Monde, 27 février
2000.
135 "Abdou Diouf propose un référendum sur le
régime constitutionnel", Le Soleil, 24 février 2000.
136 "Abdoulaye Wade aux étudiants : votre
mobilisation me remplit de joie", Le Soleil, 14 février 2000.
Mamadou Thiam, expatrié en France et champion d'Europe de
boxe, et Fode Ndao, ancien champion d'Afrique de karaté
137.
Les derniers jours de campagne sont tendus. Abdoulaye Wade
réitère son appel à l'armée et critique le "bilan
taché de sang" d'Abdou Diouf à la tête de l'Etat. Il fait
ici référence aux multiples conflits - Casamance, Gambie,
Guinée-Bissau, Mauritanie etc. - qui ont jalonné les vingt
années de présidence dioufiste 138. Il se
désolidarise ainsi de la politique extérieure menée par
Diouf, chose qu'il avait rarement osé faire auparavant. Il
dénonce aussi la nonprésence d'observateurs internationaux durant
la campagne. Il juge que leur simple présence le jour du scrutin n'est
pas suffisante, ce qui lui fait dire : "l'observateur du seul scrutin est
un alibi au service des dictateurs" 139.
Malgré ces attaques, Abdou Diouf ne répond pas
aux provocations wadistes, contrairement à 1988. Pour son dernier
rassemblement dakarois, au stade Iba Mar Diop, le candidat socialiste s'affiche
en compagnie de sa famille et de ses principaux soutiens : Ousmane Tanor Dieng,
qui a mené une campagne parallèle dans les petites
localités sénégalaises ; Mamadou Diop, maire de Dakar ;
Madia Diop, secrétaire général du syndicat CNTS ; Ousmane
Ngom ; Mahjmout Diop ; Jean-Paul Dias ; Aminata Tall et des membres des
Moustarchidines. Il rappelle à cette occasion qu'il est prêt au
changement et garde un optimiste certain en prévoyant sa victoire au
premier tour avec un peu plus de 53 % des voix.
Les autres grands candidats finissent eux-aussi leur campagne
à Dakar 140, excepté Djibo Kâ, qui
choisit son fief de Linguère. Abdoulaye Wade, entouré de Landing
Savané, Amath Dansokho et... Alain Madelin, promet le sopi tout
comme Niasse, certain que le second tour désiré par l'opposition
est inéluctable. Les premiers résultats du scrutin confirment
rapidement les dires des opposants.
5.2. Les résultats du premier tour :
Le scrutin du 27 février 2000 voit les
Sénégalais se rendre en nombre dans les 8 728 bureaux de vote
prévus pour ces élections 141. En effet, on
compte 450 000 électeurs supplémentaires par rapport aux
législatives de 1998. L'élection présidentielle confirme
donc être "la reine des élections", la seule qui intéresse
véritablement l'électorat sénégalais.
137 Voir Le Soleil du 13, 14 et 25 février
2000.
138 Le Soleil, 23 février 2000.
139 Le Soleil, 27 février 2000.
140 Ceci est tout à fait logique, car la région
dakaroise concentre à elle seule 26 % du corps électoral
sénégalais. Voir Le Soleil, 25 février 2000.
141 On ne peut pas parler toutefois de vote massif, une large
part de la population sénégalaise n'ayant pas pris part à
l'élection, comme le souligne Jeune Afrique le 7 mars 2000
: "entre 1993 et 2000, le corps électoral est passé de 2,55
millions à 2,74 millions de personnes, soit une progression de 7,5 %,
alors que la population du Sénégal s'est simultanément
accrue de 22 % (de 7,7 millions à 9,4 millions)". Samir Gharbi,
"D'un scrutin l'autre", Jeune Afrique, 7 mars 2000.
- Electeurs inscrits : 2 741 840
- Votants : 1 694 828 (61,8 1 % de participation)
- Bulletins blancs : 23 385
- Suffrages exprimés : 1 671 443
- Abdou Diouf (PS) : 690 886 soit 41,33 %
- Abdoulaye Wade (PDS) : 517 642 soit 30,97 %
- Moustapha Niasse (AFP) : 280 085 soit 16,76 %
- Djibo Kâ (URD) : 118 487 soit 7,09 %
- Iba Der Thiam (CDP /Garab-Gi) : 20 133 soit 1,20 %
- Ousseynou Fall (PRS) : 18 676 soit 1,12 %
- Cheikh Abdoulaye Dièye (FSDRJ) : 16 216 soit 0,97 %
- Mademba Sock : 9 318 soit 0,56 %
Abdou Diouf est donc invité à disputer un second
tour. Nonobstant sa confortable avance sur
ses concurrents, il n'a pas réussi à endiguer
le déclin socialiste déjà constaté en 1998. En sept
ans, il a perdu 66 425 électeurs, alors que dans le même temps, le
nombre de votants a augmenté de 29 % 142 . Néanmoins, à la
vue des résultats du premier tour, le candidat Diouf
conserve de réelles chances d'être reconduit
à la tête de l'Etat.
Sur les 31 départements que compte le pays, Abdou
Diouf arrive en tête dans 22 départements. Il gagne 8
régions sur 10, dépassant même les 50 % dans les
régions de Saint-Louis, Tambacounda, Louga et Fatick 143 . Toutefois,
contrairement à 1993 - où Abdou Diouf
totalisait plus de 75 % des voix dans ses bastions
électoraux - ces "greniers à voix" ne
permettent plus au Président d'avoir une avance
décisive sur ses opposants, Diouf enregistrant son meilleur pourcentage
dans son fief régional de Louga avec "seulement" 55,39 % des voix.
Plus grave, Abdou Diouf fait un score relativement
inquiétant dans la région de Dakar, puisqu'il n'obtient que...
23,88 % des voix, soit un écart considérable de 226 417 voix
entre lui
et le trio Wade-Niasse-Kâ. Plus étonnant, Diouf
fait un mauvais score dans la région de Ziguinchor : il est d'ailleurs
battu par le candidat libéral (38,50 % contre 40,65 %). Le cessez-
le-feu de décembre 1999 n'a donc pas eu les
retombées électorales souhaitées, la population
casamançaise ayant retenu de la présidence dioufiste les
années de malheur et de souffrance.
Enfin, malgré les nombreux petits ndiguel en sa
faveur, Abdou Diouf n'obtient pas la majorité absolue dans les
régions à forte influence maraboutique. Cependant, que ce soit
à Thiès,
Kaolack ou Diourbel, Diouf a une confortable avance sur son
second, oscillant entre 11 et 16 points 144.
A l'instar de son rival, Abdoudalye Wade ne profite pas, ou peu,
de la forte participation du 27
février, puisqu'il ne gagne que 100 000 voix par rapport
à la précédente présidentielle. Cette augmentation
de son électorat peut même être considérée
comme factice car on peut
légitimement considérer que cet afflux de voix est
surtout du au ralliement de Savané et Bathily, qui "pèsent"
à eux deux environ... 110 000 voix 145 . Grâce à ses deux
soutiens, Wade
est un "confortable" deuxième, qui dispose d'un
écart de plus de 230 000 voix sur son poursuivant Niasse.
Comme à son habitude depuis 1988, le candidat PDS fait
ses meilleurs résultats régionaux à Dakar, 47,63 %, et
à Ziguinchor, 40,65 %. Il obtient d'ailleurs presque la moitié de
ses voix
142 Samir Gharbi, "D'un scrutin l'autre", Jeune
Afrique, 7 mars 2000.
143 Le Soleil, 3 mars 2000.
144 Dans la région de Thiès, Diouf fait 46,05
%, Wade 34,65 % ; dans la région de Diourbel, Diouf obtient 46,9 8 %,
Wade 30,38 % et dans la région de Kaolack, Diouf a 44,74 % des voix,
Niasse 33,43 %. Ces chiffres sont similaires au niveau départemental.
Voir Le Soleil, 3 mars 2000.
145 Pour cette déduction, on s'appuie sur les scores
faits aux législatives de 1998 par les deux partis : 60 673 pour And
Jëf et 48 097 pour la LD/MPT.
dans ces deux régions : 247 993 voix sur 517 642 146 .
Wade confirme qu'il est le candidat de la contestation, des gens qui ont le
plus souffert de la dégradation des conditions de vie pendant les
vingt-années de présidence dioufiste, c'est à dire les
jeunes, les populations urbaines et les casamançais. Il remporte ainsi
les trois départements dakarois, deux départements
casamançais, le département de Thiès et le
département de Kolda .
Les résultats de Wade révèlent aussi le
manque d'assise du leader libéral dans de très
nombreuses régions rurales : il ne dépasse pas les 20 % dans 4
régions 147 . Pour gagner, Wade doit donc composer impérativement
avec Moustapha Niasse et Djibo Kâ.
Le fondateur de l'AFP enregistre ses meilleurs
résultats dans la région de Kaolack (33,43 %), en remportant les
départements de Kaolack et de Nioro juste devant Abdou Diouf. Il
recueille également un grand de voix dans la région de Dakar - 93
216 - totalisant 20,23 % des suffrages. Il contribue donc au très
mauvais résultat enregistré par Diouf dans la capitale.
Dans les bastions socialistes, Niasse recueille des scores
très variables. Là où Diouf est particulièrement
bien implanté, Niasse ne dépasse jamais les 10 % : 8,35 %
à Saint-Louis ; 9,21 % à Tambacounda et 7,12 % à Louga.
Par contre, dans les localités où Niasse à une grande
influence, essentiellement religieuse et familiale, le candidat de l'AFP
altère considérablement le réservoir de voix dioufiste : 3
3,43 % à Kaolack (fief religieux de la confrérie niassène)
et 24,54 % à Fatick (région frontalière de Kaolack).
L'ancien ministre d'Etat constitue dorénavant "une
troisième voie", incarnée auparavant par l'URD, qui s'est vu
dépossédée de son statut de trublion de la vie politique
sénégalaise 148. Niasse ne fait que se substituer
à son ancien camarade socialiste, grâce à sa plus grande
notoriété et ses meilleures relations à l'intérieur
du pays.
On ne peut donc pas dissocier l'électorat des deux
dissidents socialistes. Si le répertoire des "allégeances
primordiales" (famille, ethnie, religion, région) 149
diffère selon les deux candidats, leurs électeurs ont
néanmoins à peu près le même profil : ils sont
généralement d'anciens socialistes, ils aspirent au changement
(soit des institutions, soit des hommes à la tête de l'Etat) et ne
se reconnaissent pas, ou plus, dans la bipolarisation politique Diouf-Wade.
Leur candidature a donc apporté un souffle nouveau
à cette campagne présidentielle. Ils ont su ramener à la
politique des gens autrefois désabusés par les promesses et les
choix du duo Diouf-Wade. C'est pourquoi Moustapha Niasse et Djibo Kâ ont
été les principaux bénéficiaires de la forte
participation. Il n'est pas anodin de constater que le score cumulé des
deux candidats, environ 400 000 électeurs, correspond pratiquement
à l'augmentation du nombre d'électeurs entre 1993 et 2000, soit
382 674 personnes. Ils contestent de ce fait à Wade le thème du
sopi et empêchent Diouf d'être reconduit à la
présidence dès le 27 février. N'étant pas
qualifiés pour le second tour, il leur revient de décider si le
Sénégal va connaître une véritable alternance
politique ou simplement un changement dans la continuité.
Sollicités par les deux finalistes dès l'annonce des
résultats officiels, Moustapha Niasse et Djibo Kâ sont au centre
de toutes les convoitises : ce sont les arbitres incontestables du second tour
qui s'annonce.
146 La région de Dakar pèse à elle-seule
219 481 voix.
147 Abdoulaye Wade fait : 19,48 % à Saint-Louis ; 13,81 %
à Kaolack ; 18,43 % à Louga et 15,75 à Fatick. On peut
rajouter à ces résultats celui de Tambacounda, où il
obtient 23,03 %. Si on cumule les scores enregistrés par le candidat PDS
dans ces cinq régions, Abdoulaye Wade a un déficit de 212 204
voix par rapport à Abdou Diouf.
148 En effet, si Djibo Kâ acquiert 15,36 % des suffrages
dans son fief de Linguère, il ne dépasse pas les 6 % dans sept
régions.
149 Antoine Tine, Du multiple à l'un et vice-versa ?
Essai sur le multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut
d'études politiques de Paris, 20 p., 1996.
Ceci n'est pas le cas des quatre autres candidats, qui
totalisent seulement 3,85 % des voix. La tentative du trio Iba Der
Thiam-Dièye-Fall d'amener la religion au coeur du débat politique
a donc échoué. Comme l'ont écrit Momar-Comba Diop, Mamadou
Diouf et Aminata Diaw, ces résultats "indiquent que les
Sénégalais, ayant recouvré une citoyenneté, n 'ont
prêté leur attention qu 'aux propos qui avaient un rapport direct
avec leurs préoccupations quotidiennes : manger, se soigner,
s'éduquer et se former, trouver du travail". Les craintes d'une
"islamisation du débat politique", évoquées notamment
suite aux violences moustarchidines de 1994, semblent devoir être
dissipées, le peuple sénégalais différenciant bel
et bien le religieux du politique 150.
L'annonce d'un second tour provoque une onde de choc à
travers tout le pays. Pour la première fois depuis cinquante ans,
l'alternance politique est à portée demain. Le PS apparaît
groggy et cherche des victimes expiatoires, tout en tentant de faire
revenir dans le giron socialiste les dissidents Kâ et Niasse. Abdoulaye
Wade, en dépit de son retard conséquent sur le Président
sortant, adopte une attitude calme et consensuelle pour garantir la
solidité du front anti-dioufiste, seul moyen pour lui d'as surer la
victoire du camp de l'alternance.
5.3. Un entre-deux tour mouvementé :
Une fois n'est pas coutume, les résultats du premier
tour de l'élection présidentielle ne sont contestés ni par
le pouvoir, ni par l'opposition. Les contrôles de l'ONEL, les actions
efficaces du FRTE, la présence de nombreux observateurs internationaux
le jour du scrutin ainsi que l'implication réelle des radios
privées et des journalistes de la presse écrite durant la
campagne ont permis au scrutin du 27 février 2000 d'être
pratiquement irréprochable.
Toutefois, une période de flottement suit l'annonce de
la mise en ballottage du Président sortant. Les rumeurs les plus folles
circulent dans les rues de Dakar. Il est dit notamment qu'Abdou Diouf va se
désister en faveur de Moustapha Niasse et annoncer son retrait
définitif de la vie politique sénégalaise 151 . Cette
confusion est la conséquence directe du silence postélectoral
d'Abdou Diouf et de l'agitation interne qui secoue le parti gouvernemental.
En effet, malgré la quasi-certitude qu'Abdou Diouf ne
pourrait pas être élu au premier tour, le PS ne s'est pas
préparé psychologiquement à devoir mener un second tour
d'élection présidentielle 152 . Les premiers communiqués
socialistes se veulent pourtant rassurants. Les directeurs de campagne PS
déclarent qu'un second tour est une bonne chose, qu'il montre la
maturité de la démocratie sénégalaise et n'annonce
en rien la défaite d'Abdou Diouf. Pour étayer sa
démonstration, le PS évoque l'exemple de... Jacques Chirac 153 .
Cependant, on note un changement d'attitude du parti gouvernemental.
Contrairement à leurs propos antérieurs, les socialistes invitent
à présent Moustapha Niasse et Djibo Kâ à les
retrouver, comme l'indique les propos d'Abdourahim Agne : "il n'y a pas de
divergences de fonds, car ils
150 Diop-Diouf-Diaw, "Le baobab a été
déraciné : L 'alternance au Sénégal", pp.1 58,
PoA 78, juin 2000.
151 Le Soleil, 2 mars 2000.
152 Ousmane Tanor Dieng l'avoue lui-même implicitement
quand il déclare au cours de la campagne : "le deuxième tour
ne fait pas parti de mes préoccupations. Je travaille pour élire
notre candidat au premier tour. Ma manière de travailler est de faire
les choses les unes après les autres. ". "OTD confirme : l'obj ectif du
PS demeure la victoire au premier tour", Le Soleil, 13 février
2000.
153 L'exemple de Jacques Chirac est quelque peu
déroutant. Bien qu'il soit un ami personnel d'Abdou Diouf, le
Président français est avant tout un homme de droite, donc plus
proche idéologiquement de Wade. De plus, Jacques Chirac en 1995 a
terminé le premier tour des élections présidentielles en
deuxième position, derrière Lionel Jospin. L'exemple
utilisé par le PS ne fait donc finalement que relayer la thèse
qu'une victoire d'Abdoulaye Wade est belle et bien envisageable au second
tour... Le Soleil, 2 mars 2000.
(Moustapha Niasse et Djibo Kâ) se réclament
tous les deux du socialisme démocratique. Nous pouvons avoir des
contradictions dans la vie" 154.
Ousmane Tanor Dieng ne fait quant à lui aucune
déclaration officielle, étant donné que depuis l'annonce
des premiers résultats, il est accusé par certains caciques du PS
d'être l'unique responsable de la "déroute électorale". On
critique son omnipotence, son omniprésence mais aussi son
incompétence. Le plus virulent à son encontre est le maire de
Rufisque, M'baye Jacques Diop. Ce dernier demande à Abdou Diouf "de
tirer toutes les conséquences du scrutin" et destituer son homme de
confiance 155 . La PS offre ainsi le spectacle d'une formation
complètement désunie et au bord du gouffre. La maison bâtie
par Senghor est sur le point de s'écrouler sur elle-même, ce qui
fait dire à certains proches d'Abdoulaye Wade : "si nos adversaires
se chargent eux-mêmes de Diouf, nous n'aurons plus qu'à nous
croiser les bras en attendant que le fruit tombe" 156.
Néanmoins, Ousmane Tanor Dieng bénéficie
touj ours de l'appui de quelques membres influents du bureau politique, tels
que Aminata Mbengue Ndiaye ou Abdourahim Agne. Les médias d'Etat le
soutiennent également. Par exemple Le Soleil dénonce
dans ses colonnes les attaques portées à l'encontre du premier
secrétaire socialiste 157.
De manière à clore un conflit qui porte
préjudice à sa campagne, Abdou Diouf convoque son directoire. Il
sort donc de son mutisme et réapparaît en public le 1er mars 2000
pour mettre fin, provisoirement, à la crise qui touche le PS.
Il décide au cours de cette réunion de maintenir
Ousmane Tanor Dieng à la tête du PS. Il peut difficilement faire
autrement, lui qui une semaine auparavant a présenté
explicitement Ousmane Tanor Dieng comme son successeur à la ville de
Thiès : "je vous le confie comme le Président Senghor vous
avez confié son directeur de cabinet, le jeune Abdou Diouf" 158 .
Si ce maintien a été considéré a posteriori
comme une erreur par certains 159 , on juge que la reconduction de Tanor
Dieng est purement fictive. En effet, on note durant la campagne
électorale du premier tour une surabondance d'articles au sujet
d'Ousmane Tanor Dieng dans Le Soleil, le plus souvent dithyrambiques
160 . Or, après la réunion du 1er mars et sa reconduction
à la tête du bureau politique PS le 4 mars 2000, le ministre
d'Etat disparaît presque totalement des médias d'Etat, ce qui
n'est jamais très bon signe pour un homme politique au
Sénégal 161.
Il semble donc que Tanor Dieng ne soit confirmé que
provisoirement, Abdou Diouf devant maintenir un semblant de cohésion au
sein de son parti. "L'excommunication de Tanor Dieng" en pleine campagne du
second tour ne ferait en effet qu'aggraver une situation déjà
bien délicate suite à la démission de Mbaye Jacques
Diop.
Ce dernier est pourtant considéré avant la
campagne présidentielle comme l'un des soutiens les plus sûrs
d'Abdou Diouf. Maire de Rufisque, unique "bastion" socialiste au sein d'une
154 Khalifa Sall, responsable des élections au PS, dit le
même jour au Soleil : "nous sommes disposés à discuter
avec tous ceux qui peuvent contribuer à la réélection du
Président Diouf". Le Soleil, 2 mars 2000.
155 Francis Kpatindé, "L 'alternance en ligne de
mire", Jeune Afrique, 7 mars 2000.
156 Francis Kpatindé, "L 'alternance en ligne de
mire", Jeune Afrique, 7 mars 2000.
157 "Le directoire fait bloc derrière Tanor", Le
Soleil, 1er mars 2000.
158 Le Soleil, 25 février 2000.
159 Habib Thiam juge que le maintien de Tanor Dieng par Abdou
Diouf est "une réaction humaine mais pas politique". Habib
Thiam, Par devoir et amitié, pp.213, Paris, Rocher, 2001.
160 Voir à titre d'exemples : "Tanor
dénonce les cigales de l'opposition", Le Soleil, 16 janvier 2000 ;
"Tanor fait un tabac à Banjul", Le Soleil, 28 janvier 2000 ;
"Tanor à New York : les socialistes revigorés", Le
Soleil, 14 février 2000 ; "OTD à Mbour : le bon choix, c'est
le Président Abdou Diouf", Le Soleil, 20 février 2000 ;
"Le directoire fait bloc derrière Tanor", Le Soleil, 1er mars
2000.
161 Une seule fois le nom de Tanor Dieng apparaît dans les
colonnes du Soleil au cours du second tour, et ceci à
l'occasion... du retour en grâce de Djibo Kâ au PS. "Le oui de
Djibo Kâ", Le Soleil, 15 mars 2000.
région dakaroise au couleur libérale - le
candidat socialiste obtient d'ailleurs 3 9,25 % dans le département de
Rufisque au premier tour - Mbaye Jacques Diop est l'un des 94 membres du
directoire de campagne dirigé par Ousmane Tanor Dieng. Il
n'hésite pas durant la campagne à attaquer à plusieurs
reprises aussi bien Wade que les deux dissidents socialistes : "je suis
plus ancien qu'eux (Moustapha Niasse et Djibo Kâ) dans le parti. J'ai les
militants de Rufisque derrière moi, mais je n 'ai pas, comme eux, cla
qué la porte. Et pourtant, ils ont dans le passé eu plus de
faveurs que moi" 162.
Très engagé durant le premier tour, le maire de
Rufisque est victime de représailles : deux de ses maisons sont
incendiées le 23 février 2000 par des militants de l'opposition.
En guise de soutien, Abdou Diouf lui rend visite le lendemain de l'incident
163.
L'union affichée entre les deux hommes s'effrite
après la communication des résultats du premier tour. Mbaye
Jacques Diop, en plus de réclamer le départ de Tanor Dieng,
soumet l'idée à Abdou Diouf de se retirer de l'élection
présidentielle : "si vous pensez, comme beaucoup parmi nos
camarades, qu'il ne serait pas décent, en l'état actuel de la
situation, que vous mainteniez votre candidature au risque de connaître
un désaveu de l'électorat, nous serions prêts, un certain
nombre de camarades et moi, à demander la permission de nous organiser
en conséquence, afin que votre oeuvre à la tête de
l'État et du Parti Socialiste [notre oeuvre commune] soit
perpétuée et que votre pensée politique, ainsi que les
valeurs du socialisme démocratique, soient préservées"
164.
Mis en minorité, Mbaye Jacques Diop démissionne
du PS le 2 mars 2000 pour se rapprocher immédiatement de... Moustapha
Niasse. Il rejoint une opposition qu'il avait qualifiée en 1998 de "plus
bête du monde" 165 . Pour se justifier, il explique à la presse
qu'il subit "depuis quelques années, exactions, injustices,
ostracisme et une réelle marginalisation" 166 . Mbaye Jacques Diop
milite ainsi durant le second tour pour l'alternance politique,
prédisant une victoire à 90% d'Abdoulaye Wade dans son fief de
Rufisque. Pleinement engagé dans le projet wadiste, il n'hésite
pas à s'afficher en compagnie de son nouveau favori le dernier jour de
campagne dans les rues de Dakar.
Le changement radical de cap effectué par le maire de
Rufisque est le cas le plus exemplaire de la transhumance politique effective
durant l'entre-deux tour. De nombreux dirigeants socialistes décident de
quitter le bateau PS, au bord de la dérive, pour rejoindre
l'équipage d'Abdoulaye Wade - rassemblé au sein du Front pour
l'Alternance (FAL) 167 - l'objectif étant pour eux de conserver les
mêmes pouvoirs et les mêmes privilèges au lendemain d'une
alternance politique imminente.
Bien qu'officiellement le départ de Mbaye Jacques Diop
ne soit pas dirigé contre Abdou Diouf 168 , cet événement
a un impact très négatif sur sa campagne. La maison socialiste se
vidant à vue d'oeil, le Président sortant tente alors
personnellement de faire revenir Moustapha Niasse et Djibo Kâ à
ses cotés. Il demande notamment à la France, Denis
Sassou-Nguesso
162 "Mbaye Jacques Diop : Abdou Diouf sera
réélu dans la transparence", Le Soleil, 22 février
2000.
163 "Deux maisons de Mbaye Jacques Diop incendiées",
Le Soleil, 24 février 2000 et " Abdou Diouf chez Mbaye Jacques
Diop", Le Soleil, 25 février 2000.
164 Francis Kpatindé, "L 'alternance en ligne de
mire", Jeune Afrique, 7 février 2000.
165 Le Soleil, 15 octobre 1998.
166 Le Soleil, 3 mars 2000.
167 Fal veut dire également "élire" en
wolof. Francis Kpatindé, "En attendant le 19 mars...", Jeune
Afrique, 14 mars 2000.
168 Mbaye Jacques Diop dit en effet : "Nous (Mbaye
Jacques Diop et Moustapha Niasse) avons construit la jolie maison qu 'est le PS
d'aujourd'hui. Si nous ne nous sentons plus à l'aise chez nous, nous
sommes obligés d'aller chercher ailleurs. Mais ce n'est pas de
gaîté de coeur que nous le faisons, car le Président Abdou
Diouf est un homme de grande qualité ". Le Soleil, 5 mars 2000.
(Président du Congo) et Omar Bongo (Président du
Gabon) de jouer les intermédiaires pour faire entendre raison à
ses deux anciens ministres 169 . Sans grands résultats.
En effet, le FAL apparaît solide, doté d'un
programme cohérent, articulé autour du ticket Wade-Niasse. Pour
s'assurer définitivement le soutien de Moustapha Niasse, le candidat PDS
lui propose le 2 mars 2000 de devenir, en cas de victoire, son Premier
ministre. Sans surprise, Niasse privilégie cette offre à celle du
Président sortant. Il conserve ainsi le cap qui est le sien depuis son
coup d'éclat du 16 juin 1999 : oeuvrer pour le départ d'Abdou
Diouf 170 . L'ancien ministre d'Etat franchit donc définitivement le
Rubicon et bâtit avec Wade un programme commun pour le second
tour. Il reprend les grands thèmes développés par le FRTE
depuis de nombreuses semaines : mise en place d'un gouvernement de transition
dirigé par Moustapha Niasse jusqu'à la dissolution effective du
Parlement élu en 1998, élaboration d'une nouvelle Constitution
instaurant un régime parlementaire, suppression du Sénat etc.
Ce binôme apparaît complémentaire aux yeux
des contemporains et semble capable de rallier à sa cause une grande
partie du pays : le candidat libéral bénéficie d'une
très grande popularité auprès de la jeunesse dakaroise et
des centres urbains tandis que Niasse a le soutien de nombreux senghoristes et
un bastion électoral assez conséquent dans la région de
Kaolack et ses alentours. De ce fait, si on additionne les résultats du
premier tour, le ticket Wade-Niasse supplante le score réalisé
par Abdou Diouf, 47,73 % contre 41,33 %.
Moustapha Niasse étant définitivement
ancré dans l'opposition, Abdou Diouf table sur les abstentionnistes du
premier tour, qui représentent... 1 047 012 électeurs, et sur un
ralliement tardif de Djibo Kâ pour espérer l'emporter. En effet,
le fondateur de l'URD est quelque peu délaissé par Abdoulaye Wade
durant l'entre-deux tour, même si promesse lui est faite d'avoir un
ministère important dans le futur gouvernement Niasse.
Dans un premier temps, Djibo Kâ refuse le rapprochement
proposé par Abdou Diouf. Reçu par le chef de l'Etat au palais
présidentiel, il l'invite même à "ne pas se
présenter au second tour du scrutin, parce que c'est la demande
populaire la plus partagée" 171 . Ces propos scandalisent les
hauts-dirigeants PS, puisque Djibo Kâ s'était visiblement
engagé avant la rencontre à appeler ses militants à voter
en masse pour le candidat socialiste. En dupant Abdou Diouf, on pense que le
fondateur de l'URD cherche à prendre sa revanche sur celui qui l'a
clairement écarté du pouvoir en 1995 en faveur d'Ousmane Tanor
Dieng 172.
Nonobstant ce pied de nez au régime dioufiste, le
secrétaire général de l'URD prend les jours suivants ses
distances avec le FRTE. Si l'URD conclue avec la coalition Alternance 2000 un
programme commun de gouvernance, on apprend par l'intermédiaire du
Soleil que contrairement aux autres dirigeants de l'opposition, Djibo
Kâ n'assiste pas personnellement à la réunion du FAL du 11
mars 2000 173.
Cette attitude s'explique par l'immense influence du ticket
Wade-Niasse au sein du FAL, qui laisse peu de place au fondateur de l'URD, et
surtout par la mise à l'écart d'Ousmane Tanor Dieng, qui offre
une possibilité à Djibo Kâ de prendre les commandes du PS.
Possibilité accrue après l'appel présidentiel du 13 mars
2000.
169 "Bongo à la rescousse de Diouf", Jeune
Afrique, 4 avril 2000.
170 Voir à ce sujet : Assou Massou, "Moustapha
Niasse : Diouf sera battu", Jeune Afrique, 22 janvier 2000 ; "Trois
questions à... Moustapha Niasse ", Le monde, 18 février 2000
; "Que peut apporter Niasse à Wade ? ", Jeune Afrique, 7 mars
2000.
171 "Second tour difficile pour le Président Abdou
Diouf ", Le monde, 4 mars 2000.
172 Cette "théorie de la vengeance" est soutenue par
Habib Thiam dans ses mémoires politiques à la page 214. Habib
Thiam, Par devoir et amitié, Paris, Rocher, 2001.
173 Le Soleil, 12 mars 2000.
"J'invite Djibo Kâ, secrétaire
général de l'URD, à se tenir prêt pour mener,
à mes cotés et avec toute l'équipe victorieuse, les
changements de politique, de structures et de méthodes que veut le pays.
Je demande également au Renouveau démocratique, qui a une
réalité politique significative, de se mobiliser en synergie avec
le PS. "174.
Cet appel fait suite à un remaniement du programme
d'Abdou Diouf. Dans l'espoir de briser le front antidioufiste, le
Président sortant tente d'idéologiser la campagne, à la
manière de
l'initiative tanorienne d'octobre 1999. Il renoue avec une
phraséologie socialiste quelque peu abandonnée depuis le
début des années 1980. Il évoque notamment une politique
de plein
emploi et de lutte contre la pauvreté, la constitution
d'un gouvernement de gauche plurielle etc. Pour convaincre l'électorat
sénégalais, Abdou Diouf synthétise son "nouveau" programme
en dix points 175 :
1/ Formation d'un gouvernement de majorité plurielle de
gauche
2/ Organisation d'un référendum sur la nature du
régime politique sénégalais
3/ Epongement des dettes du monde rural
4/ Baisse du taux d'intérêt du crédit
agricole de 7,5 à 3 %
5/ Amélioration de la situation des personnes du
troisième âge :
- Généralisation de la retraite à 60 ans
- Mensualisation des pensions de l'IPRES
- Défiscalisation des pensions de retraite
- Gratuité des soins de santé à partir de
60 ans
6/ Mise en place d'un fonds de 30 milliards FCFA pour le
financement des projets destinés aux femmes 7/ Augmentation de 50 % du
nombre des boursiers et recrutement des sortants de l'école normale
supérieure et des écoles de formation des instituteurs
8/ Augmentation de 30 milliards FCFA du fonds national d'action
pour l'emploi destiné à la création d'emplois pour les
jeunes
9/ Création d'une banque pour le développement
10/ Création d'un département ministériel
des émigrés chargé :
- De négocier les accords avec le pays d'accueil,
favorisant le co-développement
- De l'assistance des émigrés
- De l'organisation de leur réinsertion au retour
Ces dix points visent avant tout à séduire les
ruraux, les jeunes et le troisième âge. En
proposant l'effacement de la dette rurale, la gratuité
des soins pour les personnes âgées et la création d'un
fonds spécial pour les jeunes, Abdou Diouf semble prêt à
abandonner sa
politique macroéconomique prudente pour mettre l'accent
sur le développement. Il prend donc en considération les
critiques de l'opposition qui lui reprochent depuis le début de la
campagne d'avoir favorisé durant son septennat le
rééquilibrage des budgets de l'Etat et non le remplissage des
ventres creux des Sénégalais.
Djibo Kâ croit certainement que le nouveau discours
dioufiste, moins libéral et plus "senghorien" que le
précédent, peut inciter l'aile la plus radicale de l'URD à
accepter une union avec le PS. C'est pourquoi le fondateur de l'URD
répond favorablement à l'appel
présidentiel le 14 mars 2000, soit cinq jours avant le
second tour de scrutin. Pour les contemporains, il s'agit là d'un
véritable coup de théâtre, puisque rien ne laissait
présager une réconciliation Diouf-Kâ 176 . Les membres de
l'URD sont aussi pris au dépourvu, n'ayant
semble-t-il pas été avertis au préalable
du ralliement de leur secrétaire général. Dans sa
grande
majorité, la formation politique condamne fermement
l'alliance conclue par Kâ avec le camp présidentiel. La direction
exécutive de l'URD invite de ce fait ses militants "à
poursuivre le
travail et à accepter les responsabilités qu
'ils occupent au sein du FAL (...) d'autant que c 'est
174 "L'appel à Djibo Kâ", Le Soleil, 14
mars 2000.
175 Le Soleil, 17 mars 2000.
176 Le Monde, 16 mars 2000.
la majorité de l'URD qui est dans le front"
177.
L'initiative de Kâ est finalement un acte isolé,
qui ne garantit en rien un report convenable des voix de l'URD en faveur de la
formation socialiste, car contrairement à l'AFP de Moustapha Niasse,
l'URD n'a pas été bâti uniquement autour de son
secrétaire général. Bien qu'il bénéficie
d'une grande aura dans sa formation, la constitution hétéroclite
de l'URD - rassemblant à la fois des dissidents socialistes, la
clientèle de Kâ et des membres d'anciens partis marxistes - pousse
plus les sympathisants à suivre la voie du sopi qu'à
rallier sa position.
Malgré l'incertitude entourant la "qualité" de
ce soutien, la propagande étatique fête la "réconciliation
de la grande famille socialiste". Du jour au lendemain, l'URD retrouve les
faveurs du pouvoir, Le Soleil devenant même une tribune
d'expression pour certains cadres du Renouveau, chose inimaginable... une
semaine auparavant 178.
Le retour de Djibo Kâ aux cotés d'Abdou Diouf
bouleverse l'ordre établi, le Président promettant d'accorder une
large place à ses nouveaux alliés dans l'organigramme PS
après les élections. Cette future réorganisation du parti
laisse présager l'évincement définitif de Tanor Dieng,
comme l'atteste la position présidentielle du 5 mars 2000.
"Moi je suis un démocrate sincère. Le parti
est un parti démocratique avec une démocratie interne. Les hommes
sont choisis par la base et ensuite, au sommet, c 'est un congrès qui
décide de ceux qui doivent diriger le parti. Cela dit, si je suis
réélu comme Président de la République, pour ce qui
est de mes responsabilités au niveau de
l 'Exécutif, bien sûr que j 'opérerai
des changements. Non seulement au niveau des structures, des politiques, mais
aussi au niveau des hommes. C 'est clair et net. Maintenant, il appartiendra
aux militants du Parti socialiste à décider s 'ils veulent garder
leurs responsables ou bien s 'ils ne veulent pas les garder"
179.
Dans une autre conférence de presse, datée du
18 mars 2000, Abdou Diouf exprime sa volonté de voir Djibo Kâ
réintégrer le PS. Il annonce aussi la tenue prochaine d'un
congrès extraordinaire socialiste pour prendre en compte les demandes du
Renouveau. Le chef de l'Etat laisse ainsi implicitement entendre que le
fondateur de l'URD sera le prochain locataire de la Primature en cas de
réélection180. Par conséquent, dans l'esprit
dioufiste, Djibo Kâ va supplanter Ousmane Tanor Dieng à la
tête du PS et de l'Etat.
Cette perspective de changement provoque une nouvelle
dynamique dans la campagne dioufiste. En outre, Abdou Diouf
bénéficie au même moment d'un "engouement tidjane" autour
de son nom. A l'inverse des Mourides, qui restent officiellement neutres -
Touba a cependant voté majoritairement pour le candidat sopiste au
premier tour 181 - la confrérie tidjane apporte son soutien au
Président sortant par l'intermédiaire de son Khalife
général. Ce dernier invite les fidèles à voter
Diouf, en dépit de l'appel contradictoire des niassènes qui eux,
calquant leur position sur celle de Moustapha Niasse, convient les
électeurs à rejoindre le camp wadiste.
177 "Le oui de Djibo Kâ ", Le Soleil, 15 mars
2000.
178 Aliou Ndao Fall, "Non, Djibo Kâ n'a pas trahi",
Le Soleil, 17 mars 2000.
179 Le Soleil, 6 mars 2000.
180 "Abdou Diouf face à la presse : mon appel au
changement a trouvé un écho favorable", Le Soleil, 19 mars
2000.
181 Une alliance tacite se noue entre Abdoulaye Wade et le
Khalife général des Mourides durant l'entre-deux tour. Wade
insiste sur ses liens avec la confrérie, se rend à Touba et se
revendique comme étant un talibé du Khalife
général. Il rompt ainsi avec la "neutralité religieuse
socialiste" en vigueur depuis l'indépendance en déclarant :
"dans n'importe quel pays, le dirigeant se réclame d'une
communauté". Le Soleil, 14 mars 2000.
Le chef de l'Etat enregistre également le ralliement
des Moustarchidines, qui ont pourtant formulé au premier tour des
critiques acerbes à son encontre. Ce positionnement de l'association a
été, selon les socialistes, l'une des principales causes du
mauvais score dioufiste à Dakar : "le vote des Moustarchidines nous
a fait beaucoup de mal. Pratiquement partout à Dakar, Wade a toujours
deux cents voix de plus" 182.
Le pouvoir estime que les Moustarchidines ont une influence
telle qu'un soutien en faveur de Diouf peut permettre au chef de l'Etat de
retrouver une certaine aura auprès de la jeunesse dakaroise. L'objectif
est bien évidemment de réduire l'écart de 202 650 voix qui
a séparé Abdou Diouf du ticket Wade-Niasse au premier tour dans
la région de la capitale.
On comprend mieux pourquoi le candidat socialiste exprime une
grande satisfaction à l'annonce du ralliement de Serigne Cheikh Ahmed
Tidiane Sy, à quelques heures seulement du second tour de scrutin. Diouf
qualifie alors cet appui de "pêche miraculeuse"
183.
Cependant, ces soutiens masquent bien mal les
difficultés dioufistes. Outre l'agitation qui traverse le PS, Abdou
Diouf fait face à une polémique qui enfle durant le second tour.
Wal Fadjri, journal indépendant sénégalais,
révèle à la veille du premier tour de scrutin, le 19
février 2000, que les 140 parlementaires sénégalais se
sont octroyés en catimini une revalorisation salariale
conséquente. Dans un pays où le pouvoir d'achat décline
d'année en année, cette nouvelle est très mal
perçue par une grande partie des électeurs, qui font le
rapprochement entre cette augmentation salariale et le laxisme dioufiste
vis-à-vis des manigances socialistes. Par conséquent,
l'ébruitage de cette affaire renforce "leur désir d'en finir
avec des gens perçus comme se servant mais qui ne servent pas l'Etat"
184 . Diouf essaie tant bien que mal de se démarquer du
comportement de ses parlementaires. Il condamne fermement leur initiative, en
s'abritant - une nouvelle fois - derrière la sacro-sainte
séparation des pouvoirs pour justifier sa méconnaissance du
dossier.
"L 'affaire du sursalaire que les députés
de l 'Assemblée nationale se sont octroyés m 'a affligé.
Souvenez-vous du Plan d'urgence en 1993 et des sacrifices qui ont
été consentis par tous les salariés
sénégalais. Moi-même, j 'avais demandé que mon
salaire de président de la République soit réduit de
moitié. Je gagnais environ sept cent mille FCFA à l
'époque. Depuis, mon bulletin de solde affiche trois cent cinquante
mille FCFA. Aujourd'hui encore, c 'est ce que je gagne chaque mois. Je n 'ai
pas voulu revenir sur cette décision même après la
dévaluation
Les députés n 'ont pas pris cette
décision après une discussion budgétaire. C 'est en leur
propre sein qu 'ils ont décidé de puiser dans leur propre budget.
Nous sommes en régime de séparation des pouvoirs selon la
Constitution. Moi, je suis le chef de l 'Exécutif. Le Législatif
a son autonomie de gestion. S 'ils m 'avaient demandé mon avis ou bien s
'ils m 'avaient tenu informé, ils ne l 'auraient pas fait. Je l 'ai
appris comme tout le monde à la lecture de vos journaux."
185.
En condamnant l'initiative parlementaire lors de ses deux
conférences de presse d'entre-deux tours, Abdou Diouf laisse
apparaître son embarras. En effet, cette affaire ne fait qu'appuyer le
besoin de changement défendu par Abdoulaye Wade. Si ce dernier conserve
durant le second tour un discours particulièrement offensif à
l'égard du Président - il le surnomme "monsieur je m'engage" et
effectue à chacune de ses marches bleues un sondage à main
levée provocateur
182 Le Soleil, 1er mars 2000.
183 "Le vote décisif des Moustarchidines" et
"Abdou Diouf face à la presse : mon appel au changement a
trouvé un écho favorable", Le Soleil, 19 mars 2000.
184 Hamad Jean Stanislas Ndiaye, "La communication
politique dans les élections au Sénégal : l'exemple du PS
(Parti Socialiste) et de l'AFP (Alliance des Forces de Progrès) en l'an
2000", Université Gaston Berger de Saint-Louis
(Sénégal).
185 Le Soleil, 6 mars 2000.
pour démontrer l'ampleur du chômage dans le pays
186 - Abdoulaye Wade tente aussi de
ratisser au-delà de son électorat traditionnel,
urbain et jeune. Pour accomplir et réussir sa tâche, Abdoulaye
Wade modifie essentiellement... son apparence. Il abandonne le costume de
ville et renoue avec le boubou traditionnel, de manière
à séduire un monde rural fortement attaché aux traditions
vestimentaires sénégalaises.
A l'instar de son concurrent, Abdou Diouf s'évertue
à élargir son électorat. Dans ses discours
et ses déplacements, il vise principalement les
populations urbaines et la jeunesse. Pour séduire une population qui lui
est "historiquement" hostile, Diouf change ses habitudes. Il
adopte une attitude plus décontractée et moins
distante.
Il participe ainsi à l'émission radiophonique
populaire "xel xelli" (partage des connaissances
en wolof) alors que contrairement aux autres candidats, il avait
refusé de prendre part à celleci lors du premier tour 187 . Il
établit un lien direct avec l'électorat sénégalais,
puisqu'il répond
durant deux heures aux questions posées par les
auditeurs de Sud FM. A cette occasion, le Président sortant
tente de "casser" son image de nanti, en insistant sur ses origines modestes et
en rappelant qu'il a du, pour poursuivre ses études, avoir recours
à une bourse 188.
Le chef de l'Etat essaie également lors de ce second
tour de séduire la presse nationale et
internationale. Distant par nature, Abdou Diouf a
négligé comme à son habitude le pouvoir médiatique
au cours de ses trois premières semaines de campagne, à l'inverse
d'Abdoulaye
Wade, qui n'a pas hésité à engranger les
interventions officielles et officieuses. Mesurant la sympathie des
médias pour la candidature wadiste, Abdou Diouf multiplie les points
presse
durant l'entre-deux tour. En une dizaine jours, le pouvoir
organise pas moins de quatre conférences de presse, soit plus que durant
la totalité du septennat dioufiste. En plus de
défendre son bilan et d'exposer son projet, ces
rencontres sont l'occasion pour le candidat PS de faire son mea culpa
vis-à-vis des journalistes.
"Vous savez, c 'est peut-être un défaut chez
moi. Je ne vais jamais vers la presse. Ce n 'est pas dans mon
tempérament. C'est la presse qui vient vers moi. Puisque vous le voulez,
je vi ens vers vous. Parce qu 'on m 'a dit que la presse veut vous entendre,
que vous lui parliez. Pendant la campagne, j 'ai eu à parler à
quelques journalistes, le plus souvent de la presse étrangère,
qui sont venus me le demander. Mais la presse de mon pays ne m 'a pas
posé de question. Je suis l 'homme le plus accessible. Car vous lisez
tous les jours la fiche d'audiences. Si la presse nationale a besoin de moi, je
suis à sa disposition. Encore une fois, je suis le serviteur du peuple
et de l 'une de ses composantes honorables, la presse nationale"
189.
Enfin, Abdou Diouf abandonne les grands meetings pour
privilégier les contacts de proximité
et les réunions avec des groupes d'électeurs. Mal
à l'aise et mal conseillé, ce changement d'attitude n'a pas
l'effet escompté. Les initiatives dioufistes mettent non pas en
lumière son
accessibilité mais plutôt son manque de
spontanéité, rendant les démarches présidentielles
parfois caricaturales. Parmi les ratés les plus "grossiers" : la
réception d'un panel de femmes
sénégalaises... à "la maison du Parti
socialiste" et la visite d'un marché de poissons en début
d'après-midi, heure à laquelle les étalages des
poissonniers sont généralement... vides 190.
Ces anecdotes démontrent à elles seules la
médiocrité de la campagne du second tour. Ce fait
est dû principalement au manque de préparation des
candidats et des institutions. Rien n'a été prévu en cas
de second tour : ni débat télévisé, ni calendrier
électoral, ni rallonge financière,
ni durée de campagne officielle etc.
186 La question rituelle étant : "chômeurs,
levez la main".
187 Avant mars 2000, Abdou Diouf n'a d'ailleurs jamais
participé à une émission de radio privée.
188 Le Soleil, 12 et 13 mars 2000.
189 Le Soleil, 6 mars 2000.
190 "Jacques Séguéla, un sorcier blanc au
service du Président", Le Monde, 16 mars 2000.
Pour ce qui est du débat
télévisé, l'entourage d'Abdoulaye Wade fait pression afin
que cette confrontation ait lieu. En effet, la verve et le "wolof imagé"
du candidat libéral lui donne un avantage certain sur le
Président sortant, peu à l'aise face aux caméras. Outre
les qualités oratoires d'Abdoulaye Wade, Diouf craint que le chantre
du sopi se serve de cet événement pour "lui balancer
n'importe quoi" 191 . Ayant plus à perdre qu'à gagner, le
chef de l'Etat minimise l'importance d'un tel débat.
"Je ne suis pas demandeur, mais pourquoi pas ; si les
modalités en sont bien définies, bien clairement établies.
Je pense que c 'est un débat qui peut permettre d 'éclairer l
'opinion publique sur les choix et sur les changements souhaités. Mais
encore une fois, il faut que ce soit un débat bien organisé,
surtout qui permette en dehors de toute démagogie de parler des vrais
problèmes des Sénégalais. Il s 'agit de ne pas être
des marchands d'illusions, ne pas promettre la lune, mais de dire ce qui est
possible" 192.
Les tractations entre les états-majors du PS et du FAL
durent plusieurs jours. Alors que le camp wadiste réclame un
"débat à la française", avec la possibilité pour
les deux candidats de s'adresser la parole et... de se la couper, les proches
d'Abdou Diouf suggèrent un face-à-face à
l'américaine, très réglementé, avec des questions
connues à l'avance et une impossibilité de communication entre
les deux participants. Les deux camps ont donc une vision totalement
différente de ce que doit être ce moment clef de la campagne
électorale.
En adoptant une position antagoniste à celle de
l'opposition, les socialistes désirent empêcher la tenue d'un tel
débat. Ils arrivent finalement à leur fin, puisque la
confrontation est purement et simplement annulée le 13 mars 2000.
Cependant, Abdoulaye Wade saisit cette opportunité pour souligner la
mauvaise volonté dioufiste. Il se rend en compagnie de Moustapha Niasse
dans les studios de la RTS - la chaîne de télévision
sénégalaise - le 14 mars 2000, jour initialement prévu
pour le débat. Assis devant un fauteuil vide pendant plusieurs dizaines
de minutes, Wade raille son adversaire en déclarant : "j'ai
accepté toutes les conditions de ce débat avec Abdou Diouf (...)
le combat est fini faute de combattant" 193.
Privés de débat Diouf-Wade, les
Sénégalais se détournent d'une campagne jugée
décevante par les contemporains, "le débat politicien ayant
totalement occulté le contenu réel des programmes"
194. En outre, les deux candidats subissent la
concurrence de la tabaski - l'aïdel-kébir - l'une des
fêtes musulmanes les plus importantes de l'année. Celle-ci tombe
le 17 mars 2000, soit deux jours avant le scrutin.
La date du second tour, qui ne doit certainement rien au
hasard, avantage les socialistes. En effet, nombreux sont les habitants des
grandes agglomérations qui retournent traditionnellement dans leur
village d'origine lors de la tabaski. Les difficultés de
transports aidant, une diminution du nombre de votants à Dakar et
à Thiès - deux villes où Diouf a largement perdu au
premier tour- est à prévoir pour le 19 mars 2000. Les socialistes
espèrent donc que la tabaski va permettre un
rééquilibrage du poids électoral entre Dakar et le reste
du pays, et redonner ainsi une chance de victoire à leur candidat.
En dépit d'un possible affaiblissement de son
électorat dakarois, Abdoulaye Wade reste éminemment confiant. Il
ponctue sa campagne électorale à Thiès, sur le toit d'un
4x4 accompagné d'Abdoulaye Bathily, Moustapha Niasse et... Mbaye Jacques
Diop 195. Présenté comme le nouveau
Président du Sénégal par Idrissa Seck, le candidat
libéral prononce un
191 Propos d'un des proches conseillers d'Abdou Diouf. Francis
Kpatindé, "En attendant le 19 mars...", Jeune Afrique, 14 mars
2000.
192 Le Soleil, 6 mars 2000.
193 "Débat télévisé : Wade
à la RTS : je suis venu à l'heure", Le Soleil, 15 mars
2000.
194 Francis Kpatindé, "En attendant le 19 mars...",
Jeune Afrique, 14 mars 2000.
195 "Me Wade boucle sa marche bleue à Thiès",
Le Soleil, 19 mars 2000.
discours "préventif" à l'égard d'Abdou
Diouf. Il lui signale très clairement qu'il ne tolérera aucune
fraude électorale.
Bien que le chef de l'Etat appelle les
Sénégalais à voter dans le calme et la transparence le
jour du scrutin, la tension est très forte dans les rues de Dakar,
l'armée et la gendarmerie étant en "état d'alerte
maximal"196. Les communiqués alarmistes de certaines
organisations prédisant "un coup de force électorale"
197 poussent Paris à demander à ses
expatriés de constituer "des provisions de nourriture, d'eau, de
bougies, de carburant (...) et de se munir d'une radio pour suivre les
résultats du second tour". Touj ours sous le choc du putsch
ivoirien, la France envoie à Dakar des renforts militaires pour assurer
la sécurité de ses 16 000 ressortissants en cas de nouveau
succès socialiste. Dans l'esprit des contemporains, seule une victoire
wadiste peut empêcher "la vitrine démocratique
sénégalaise" de sombrer dans le chaos.
5.4. Les résultats du second tour :
Le scrutin du 19 mars 2000 est un jour historique pour le
Sénégal. Le Président sortant, Abdou Diouf, est
très largement battu par Abdoulaye Wade, par plus de 281 363 voix
d'écart. Pour la première fois de son histoire, la
République sénégalaise vit une alternance
politique198.
- Electeurs inscrits : 2 725 650
- Votants : 1 667 775 (61,19 % de participation)
- Bulletins nuls : 10 474
- Suffrages exprimés : 1 657 301
- Abdoulaye Wade (PDS) : 969 332 soit 58,49 %
- Abdou Diouf (PS) : 687 969 soit 41,5 1 %
La faible différence entre le nombre de votants au
premier et second tour, 27 053 voix, indique que la tabaski n'a pas
provoqué, comme cela a été envisagé, un
effondrement de la participation. On pense donc légitimement que ce sont
à peu près les mêmes personnes qui ont voté lors des
deux tours de scrutin. Ce fait facilite le calcul des reports de voix en faveur
d'Abdou Diouf et Abdoulaye Wade.
On constate que l'appel de Djibo Kâ n'a pas
été entendu, puisque le score d'Abdou Diouf est similaire
à celui du premier tour. Pis, le candidat PS perd 2 917 voix en trois
semaines. Les 690 886 voix du 27 février représentaient donc le
seuil maximal de votes que pouvait recueillir Diouf en sa faveur 199 . L'appui
du fondateur de l'URD n'a permis d'enrayer le déclin dioufiste que dans
quelques localités spécifiques, le plus souvent à forte
coloration peul 200.
Abdoulaye Wade profite de l'incapacité dioufiste
à ratisser au-delà de son propre parti. Bénéficiant
du travail en amont effectué au sein du FRTE, le candidat PDS rassemble
autour de son nom la totalité des voix non-dioufistes, plus une grande
partie de celles recueillies...
196 Francis Kpatindé, "Veille de scrutin à
Dakar", Jeune Afrique, 21 mars 2000.
197 "L 'ONDH craint le pire au deuxième tour",
Le Monde, 16 mars 2000.
198 "Proclamation définitive des résultats du
scrutin du second tour", Le Soleil, 26 mars 2000.
199 A la lumière de ces résultats, on pense que
dès 1998, avec ses 612 559 suffrages, le PS avait déjà
atteint son seuil maximal de voix.
200 Linguère, fief électoral de Djibo Kâ, et
Podor, fortement peuplé de peuls, sont les deux seuls
départements où Abdou Diouf connaît une véritable
augmentation de son électorat, à hauteur de 20%.
par Djibo Kâ au premier tour. En effet, en additionnant
la totalité des suffrages obtenus par Wade, Niasse, Thiam, Fall,
Dièye et Sock, on arrive simplement à 862 070 voix. Par
conséquent, les électeurs de l'URD ont massivement choisi le camp
de l'alternance, selon les voeux de la direction exécutive du Renouveau,
permettant à Wade de réunir 969 332 voix.
Si Abdou Diouf était très largement en
tête au premier tour, il subit... une véritable déroute le
19 mars 2000. Il n'est en tête que dans 10 départements et 3
régions : Louga (62,26 %), Saint-Louis (60,64 %) et Tambacounda (51 %).
Ainsi, Diouf ne sort vainqueur que dans les zones où il a fait plus de
50 % au premier tour, excepté dans le département de
Linguère, qui a relativement bien suivi la consigne de vote de Djibo
Kâ. La région de Fatick est également l'exception qui
confirme la règle car le Président sortant, qui a obtenu la
majorité absolue au premier tour (51,40 %), est battu trois semaines
plus tard par Wade (47,90 % contre 52,10%).
Dans les régions qui lui sont historiquement hostiles,
Abdou Diouf perd encore plus largement : ses démarches d'entre-deux
tours pour élargir son électorat n'ont donc eu aucun effet. Il
enregistre 25,09 % dans la région de Dakar et obtient des
résultats médiocres dans les régions casamancaises : 34,2
1 % à Ziguinchor et 40,34 % à Kolda.
Plus surprenant, alors qu'il a réunit 46,9 8 % des
suffrages au premier tour, Diouf ne fait le 19 mars que 37,36 % dans la
région de Diourbel. Ceci s'explique par le rapprochement très
visible qui s'est opéré durant les derniers jours de campagne
entre le candidat libéral et le Khalife général des
Mourides, annonçant déjà implicitement la fin de
l'ère socialiste.
Excepté le cas particulier de Saint-Louis, bastion
historique des socialistes, Abdoulaye Wade recueille la majorité dans
les régions les plus influentes du pays. Les scores wadistes
frôlent parfois même le plébiscite, comme à Dakar
(74,9 1 %), Ziguinchor (65,79 %) ou Diourbel (62,64 %). Ces "bastions
libéraux" ont assuré la victoire de l'alternance, puisque dans la
seule région dakaroise, Abdoulaye Wade dispose d'une avance de... 216
432 voix sur son adversaire socialiste.
Dans les régions généralement favorables
au PS, le candidat libéral a su grâce à ses nombreux
soutiens inverser la tendance, augmentant parfois ses résultats
régionaux de... 40 % 201. Paradoxalement, c'est dans sa
région natale de Louga, qui est aussi celle d'Abdou Diouf et de Djibo
Kâ, que le candidat sopiste fait son plus mauvais pourcentage
régional : 37,74 % 202.
5.5. La victoire d'Abdoulaye Wade :
Les premiers résultats, relayés dans la
soirée du 19 mars 2000 par diverses radios sénégalaises,
annoncent une écrasante victoire du camp de l'alternance. Dans les
grandes agglomérations, le peuple chante en coeur à la gloire du
sopi tout en attendant avec angoisse une réaction du palais
présidentiel. En dépit des multiples garanties formulées
par Diouf au cours des derniers jours de campagne 203 , la population craint
que le Président ne se résigne pas à abandonner le
pouvoir.
Informé par son ami Habib Thiam, le candidat socialiste
apprend aux environs de minuit que
201 Dans la région de Kaolack, Abdoulaye Wade passe de
13,81 % le 27 février à 55,13 % le 19 mars 2000.
202 Abdoulaye Wade gagne toutefois dans son département
natal de Kébémer, avec 53,12 % des voix.
203 "(En cas de défaite) le président Abdou
Diouf prendra sa retraite politique définitivement, sans regarder en
arrière. En ce moment-là, je considérais que j 'ai fait ce
que je devais faire pour mon pays, avec mes moyens humains, des
réussites et des échecs, des forces et des faiblesses. En tout
cas, je ne regarderai pas en arrière. Je ne jugerai même pas les
actes de mon successeur". (242) Le Soleil, 6 mars 2000.
sa défaite est irréversible 204 . Il semble que
Diouf désire alors très rapidement publier un communiqué
reconnaissant sa défaite pour empêcher quelques esprits
mal-intentionnés, dont "plusieurs ministres et membres du bureau
politique du PS" (244), de proclamer contre toute logique la victoire
dioufiste 205.
Dans la matinée du 20 mars 2000, Abdou Diouf appelle
et félicite l'heureux vainqueur. L'initiative du second Président
de la République sénégalaise ouvre la voie à une
passation de pouvoir paisible et sans histoire. Si certains ont vu dans le
choix d'Abdou Diouf un acte intéressé, "pour
s'aménager une porte de sortie honorable" 206 , on voit
plutôt dans ce geste la haute conscience démocratique du chef de
l'Etat sénégalais, qui corrobore avec les nombreuses initiatives
dioufistes accomplies durant vingt ans en faveur de l'ouverture politique du
régime.
Bien que ce coup de fil ait eu plusieurs
précédents en Afrique 207 , l'écho favorable qu'il
reçoit à travers le monde permet à Abdou Diouf de
retrouver une renommée internationale quelque peu entamée depuis
la fin des années 1980. Il fait à présent
l'unanimité, tous les chefs d'Etat étrangers saluant aussi bien
la victoire wadiste que la dignité dioufiste 208 . Jeune Afrique,
très critique à l'égard de Diouf durant les derniers
mois de son mandat, adopte même un ton dithyrambique : "la
vérité est que le grand vain queur, aussi paradoxal que cela
puisse paraître, a bien été M. Abdou Diouf, le
Président sortant. Pour rendre à M. Diouf ce qui lui revient, il
faut crier sur tous les toits que c'est bien lui le vain queur quant au respect
des principes démocratiques" 209.
Le PS, qui tenait le pouvoir depuis l'ascension de Senghor
à la fin des années 1940, est quant à lui le grand perdant
des élections. La formation socialiste a été dans
l'incapacité de répondre aux bouleversements sociologiques du
pays et d'adapter son discours à un électorat de plus en plus
jeune et urbain, comme l'explique très bien Momar-Coumba Diop, Mamadou
Diouf et Aminata Diaw : "la complexité acquise par la
société sénégalaise au cours des vingt
dernières années a donné naissance à des groupes
d'une extraordinaire diversité. Groupes qui échappaient
totalement à la sociologie politique du PS et à ses modes de
mobilisation, de récompense, de sanction et, bien sûr, de
construction clientéliste" 210.
Outre cette incapacité du PS à capter les voix
de la nouvelle génération sénégalaise, cette
défaite s'explique également par la mise en place de garde-fous,
officiels ou officieux, qui ont garanti peu à peu la transparence des
élections à partir du milieu des années 1990. L'alternance
politique a donc été favorisée par :
- Une administration sénégalaise moins partisane,
contrôlée par des "jeunes massivement engagés dans les
procédures de surveillances des élections" et le ministre de
l'Intérieur, qui en dépit de son rôle ambigu dans
204 "Mon dispositif était fiable et je lui
communiquais les chiffres que j'obtenais au fur et à mesure : à
21 heures, ils étaient mauvais ; à minuit, la cause était
entendue. Abdou avait perdu, nous avions été battus aux
élections présidentielles". Habib Thiam, Par devoir et
amitié, pp.215, Paris, Rocher, 2001.
205 Les médias d'Etat refusent également dans
un premier temps de reconnaître la victoire wadiste. La RTS, par exemple,
au lieu de diffuser dans la soirée du 19 mars les scènes de
liesse dans le pays, préfère consacrer ses programmes... à
une émission musicale. Alioune Tine, secrétaire
général de la RADDHO, "Déclaration sur le
deuxième tour de scrutin de l'élection présidentielle du
19 mars 2000 au Sénégal", 2000.
206 Diop-Diouf-Diaw, "Le baobab a été
déraciné : L'alternance au Sénégal", PoA 78,
juin 2000.
207 Jeune Afrique évoque l'exemple cap-verdien de
1991 ou sud-africain de 1994. Francis Kpatindé, "De l'égo des
Sénégalais", Jeune Afrique, 28 mars 2000.
208 "Jacques Chirac félicite Abdoulaye Wade et rend
hommage à Abdou Diouf" et "Boutros-Boutros Ghali : une belle
leçon de démocratie ", Le Soleil, 22 mars 2000.
209 "Chapeau, le Sénégal !", Jeune
Afrique, 4 avril 2000.
210 Diop-Diouf-Diaw, "Le baobab a été
déraciné : L'alternance au Sénégal", PoA 78,
juin 2000.
l'affaire des cartes israéliennes, "a beaucoup
contribué à réhabiliter l'image des agents de l'Etat"
211
- Le poids des radios privées, qui par
l'intermédiaire de leurs envoyés spéciaux, ont
communiqué minute par minute les résultats des bureaux de vote en
direct, "rendant pratiquement impossible toute manipulation" 212
- L'emploi massif de téléphones cellulaires,
qui a permis aux délégués de chaque parti de transmettre
en temps réel les résultats à leurs états-majors et
aux journalistes de communiquer à leur rédaction toute tentative
de fraude. Par exemple, "des enveloppes déjà
apprêtées, avec un bulletin du candidat Abdou Diouf, ont
été trouvées à Pikine notamment, à Dalifort
et à Castor, mais la diffusion rapide de l'information par les radios a
permis de faire les correctifs nécessaires" 213
- L'action de l'ONEL qui, comme en 1998, a fait preuve
d'objectivité et a "alerté, interpellé, corrigé
et même proposé des sanctions" à l'attention des
administrateurs et citoyens récalcitrants
- La vigilance du FTRE, qui grâce à l'apport de
branches dissidentes socialistes, à savoir Djibo Kâ et surtout
Moustapha Niasse, a déjoué toutes les tentatives de "fraudes
industrielles" du PS
Grâce à ces gardes-fous, le peuple
sénégalais, lassé par vingt ans de paupérisation, a
pu opter
pour l'alternance politique. Abdou Diouf, symbole des
années noires du Sénégal, est aussi emporté par
l'usure du pouvoir, phénomène naturel dans toute
démocratie. Malgré son image
rassurante, son bon bilan démocratique, les
avancées notables dans le processus paix casamançais, le
redressement économique constaté durant les dernières
années de sa
présidence etc... un gouffre sépare en 2000 Diouf
des Sénégalais. Ces derniers aspirent à un changement de
personne à la tête de l'Etat. Dans leur esprit, Abdou Diouf
appartient au passé,
Abdoulaye Wade incarne l'espoir d'un avenir meilleur.
"A notre avis, écrit Assane Seck, Abdou
Diouf a été vaincu, non pas tant par de trop mauvaises
performances politiques, économiques ou sociales, mais par la
volonté exprimée de prolonger la durée de sa magistrature,
déjà trop longue, négligeant le fait que le temps use
toutes choses, si solides, si belles soient-elles" 214.
Pendant deux décennies, Diouf et Wade se sont combattus,
critiqués mais aussi estimés. C'est
pourquoi l'ancien et le nouveau Président oeuvrent
ensembles après le 19 mars pour assurer une transition en douceur, afin
que Abdoulaye Wade soit considéré le jour de son investiture
comme le Président de tous les Sénégalais. De
manière à rassurer le camp socialiste, Wade
rend une visite symbolique à la mère d'Abdou
Diouf avant d'aller le lendemain à la rencontre de son
prédécesseur au palais présidentiel 215 . Il multiplie
aussi les déclarations garantissant
qu'aucune "chasse aux sorcières" ne sera entreprise
envers les anciens dirigeants du pays. De son coté, Diouf observe un
silence presque total, attitude qu'il justifiera quelques années plus
tard : "je m'étais fixé une règle : il a
gagné, je ne veux plus qu'on entende ma voix, je ne veux plus être
au-devant de la scène" 216.
C'est avec une discrétion absolue qu'Abdou Diouf
prépare sa sortie, mais aussi le triomphe
d'Abdoulaye Wade, ses derniers jours à la tête de
l'Etat étant consacrés à... l'organisation de la
cérémonie d'investiture du 4 avril 2000. Cependant, il n'assiste
pas à la prestation de serment,
son successeur l'ayant invité à représenter
le Sénégal au Caire pour le premier sommet Afrique-Europe,
"excellente occasion pour Diouf de dire adieu à ses pairs"
217.
211 Alioune Tine, secrétaire général de la
RADDHO, "Déclaration sur le deuxième tour de scrutin de
l'élection présidentielle du 19 mars 2000 au
Sénégal", 2000.
212 Zyad Limam, "Un moment d'histoire africaine", Jeune
Afrique, 28 mars 2000.
213 Alioune Tine, secrétaire général de la
RADDHO, "Déclaration sur le deuxième tour de scrutin de
l'élection présidentielle du 19 mars 2000 au
Sénégal", 2000.
214 Assane Seck, Sénégal, émergence
d'une démocratie moderne (1945-2005) : un itinéraire politique,
Paris, Karthala, 2005.
215 "Visite de courtoisie de Me Wade à Adja Coumba
Dème", Le soleil, 22 mars 2000 et "Diouf- Wade :
première rencontre", Le Soleil, 23 mars 2000.
216 Abdou Diouf : entretiens avec Philippe Sainteny,
Emission livre d'or, RFI, 2005.
217 Francis Kpatindé, "Que va faire Diouf ?",
Jeune Afrique, 4 avril 2000.
Cette passation de pouvoir consensuelle est donc un exemple
pour l'Afrique, qui contraste avec la dureté du coup d'Etat ivoirien. En
s'envolant pour Le Caire, Abdou Diouf quitte ses fonctions
présidentielles avec simplicité et dignité, à
l'instar de Léopold Sédar Senghor vingt ans plus tôt
218.
218 "Abdou Diouf : je te téléphonerai, Monsieur
le Président", Le Soleil, 4 avril 2000.
Conclusion
L'alternance politique du 19 mars 2000 marque le changement
d'une époque. Abdou Diouf, Président en place depuis 1980, est
invité par le peuple sénégalais a quitté le
pouvoir. Bien qu'il soit battu par son ennemi politique de toujours, Abdoulaye
Wade, la passation de pouvoir est courtoise, voire chaleureuse.
L'exemplarité de cet évènement, qui tranche avec la
situation ivoirienne, surprend agréablement les contemporains. Pour eux,
le Sénégal est redevenu "la vitrine démocratique de
l'Afrique ".
Quel sens donner à cette alternance politique ? Le
sopi véhicule-t-il une volonté de changement profond de
la société sénégalaise, où prône-t-il
simplement des changements d'hommes à la tête de l'Etat ? La
complexité idéologique du front anti-dioufiste victorieux,
composé de libéraux, marxistes et nationalistes, renforce les
doutes quant à l'application d'une politique sociale et
économique cohérente. Le FAL est cimenté avant tout par un
programme faisant la part belle à des changements institutionnels
importants : suppression du Sénat, mise en place d'un régime
parlementaire, création d'un statut de l'opposition etc. Il
désire de ce fait renouer avec le bicéphalisme politique
abandonné à la suite de la crise de 1962. Cette
réinstauration permettrait au ticket Wade-Niasse, véritable
vainqueur de ces élections, de pouvoir travailler correctement. En cas
de dysfonctionnement, le risque de voir s'ériger un pouvoir strictement
présidentiel est réel, ce qui rendrait caduc l'espoir
suscité par le 19 mars 2000. De la solidité de ce binôme
dépend ainsi la réussite de l'alternance politique.
L'alternance politique sous-entend également une
volonté de renouveler le paysage politique, avec l'intégration
d'hommes neufs, capables grâce à des idées novatrices
d'insuffler une nouvelle politique au sein du gouvernement. Or, on
s'aperçoit que les personnalités qui entourent Abdoulaye Wade
lors de son investiture ont tous plus ou moins gravité à une
période donnée de leur carrière politique autour du
régime dioufiste, Landing Savané excepté. Peut-on alors
croire à la sincérité du discours wadiste qui
déclare vouloir rompre avec les pratiques socialistes ?
On peut en douter, d'autant plus que le nouveau régime
cherche avant même l'intronisation officielle de Wade à la
tête de l'Etat à attirer des hommes venus directement... du PS.
Cette transhumance politique s'explique par les intérêts que
génère celle-ci, aussi bien pour les recrutés que les
recruteurs. En effet, les dirigeants socialistes tentent en changeant de
couleur politique de conserver leur position prédominante dans leur
localité tandis le PDS et l'AFP, en plus d'achever politiquement le PS,
s'attachent les services d'hommes bien implantés, utiles dans l'optique
des prochaines législatives anticipées.
On assiste dès l'entre-deux tour à des
comportements politiques surprenants. Le cas le plus exemplaire est celui de
Mbaye Jacques Diop, traité dans ce mémoire, qui passe en l'espace
d'une semaine du bureau de campagne d'Abdou Diouf à une marche pour
l'alternance avec Abdoulaye Wade et Moustapha Niasse. Le régime qui se
met en place après le 19 mars 2000 fait ainsi la part belle au
"recyclage politique". En remettant dans la course des hommes reniés par
le vote... quelques jours auparavant, Abdoulaye Wade prend le risque de
maintenir les tares de la politique sénégalaise et par
conséquent de ne pas répondre au profond désir de
changement exprimé par le peuple.
L'alternance politique ne représente donc qu'une
étape dans le processus démocratique sénégalais. Si
elle marque l'aboutissement de l'ouverture dioufiste, elle ouvre
également une période nouvelle, aussi importante que la
précédente. Le septennat de Wade doit garantir les
acquis tout en proposant une amélioration de la
"vitrine sénégalaise". Le nouveau Président se doit par
conséquent de respecter divers engagements de campagne : instauration
d'un régime parlementaire, création d'une CENI, mise en place
d'une télévision privée etc. Pour que le
Sénégal puisse poursuivre son ouverture politique, le
régime a aussi besoin d'un contrepoids politique fort. Or, ni le PS,
terrassé par l'ampleur de sa défaite et miné par les
dissensions internes après la retraite d'Abdou Diouf, ni l'URD, encore
sous le choc de la "traîtrise" de Djibo Kâ, ne semblent en mesure
d'assumer ce rôle. Abdoulaye Wade n'a donc face à lui aucune
opposition "crédible" après mars 2000.
Ceci n'a jamais été le cas pour Abdou Diouf au
cours sa présidence. Dès ses premiers jours à la
tête du Sénégal, il est confronté à la
pugnacité wadiste. La lutt e permanente qui s'instaure entre les deux
hommes sert la cause démocratique sénégalaise. En effet,
la nature et le caractère de Diouf et Wade sont "politiquement
complémentaires". Abdou Diouf, est un homme favorable au consensus, d'un
naturel très calme, qui dès 1981 prononce à l'égard
de l'opposition des paroles apaisantes. Il offre ainsi un cadre légal de
protestation qui profite à Abdoulaye Wade. Le fondateur du PDS est un
homme de combat, harcelant quotidiennement le pouvoir et qui croit durant vingt
ans à la possibilité d'une alternance politique au
Sénégal. Chacun à leur manière, ils oeuvrent de ce
fait pour une plus grande ouverture du régime.
Cette ouverture est lente et progressive. Elle évolue
selon les périodes de la présidence dioufiste.
La période 1981-1983 est celle de l'Etat de
grâce. La politique choisie par Abdou Diouf est populaire. Il supprime le
quadripartisme senghorien tout en maintenant la politique économique de
son prédécesseur. Il déstabilise ainsi ses opposants qui
n'arrivent pas à trouver un discours alternatif. Diouf gagne par
conséquent relativement facilement les élections de 1983.
Les années 1983-1991 sont nettement plus difficiles
pour le chef de l'Etat. Il délaisse son "oeuvre démocratique"
pour concentrer son attention sur les problèmes économiques et
internationaux. Il présidentialise le régime et adopte une
"nouvelle politique" dévastatrice sur le plan de l'emploi. Si elle lui
permet de recevoir les "félicitations" des bailleurs de fonds, elle le
coupe de son électorat. Abdoulaye Wade récupère ce
mécontentement et façonne son image d'homme du peuple et de la
jeunesse. Les thèmes du sopi sont particulièrement bien
accueillis à Dakar. Ainsi, à l'annonce des résultats
électoraux controversés de 1988, la capitale se barricade.
Ces violences urbaines marquent un tournant dans l'histoire
politique sénégalaise. Le poids acquis par Wade dans la
première ville du Sénégal fait de lui un homme
incontournable. Diouf ne peut plus à présent l'ignorer, et entame
une série de rencontres officielles avec son principal opposant. Si le
dialogue est rétabli, la défiance est touj ours de mise, comme
l'atteste le boycott des élections municipales de 1990 par l'opposition.
Cet événement est un coup dur pour l'image démocratique du
pays. Abdou Diouf change alors de stratégie et convie Abdoulaye Wade au
gouvernement.
De 1991 à 2000, Abdou Diouf rompt avec le
présidentialisme pour faire du Sénégal "une
démocratie moderne". Il prend ses distances avec le PS, favorise
l'accès de l'opposition aux médias, autorise les radios
privées etc. La présence du PDS à deux reprises au
gouvernement permet également un rapprochement visible entre Diouf et
Wade, qui apprennent à se connaître et à se respecter.
Cette "alliance au sommet" facilite notamment l'adoption d'un code
électoral "presque parfait" en 1992.
On constate d'autres grandes avancées
démocratiques au cours du dernier septennat dioufiste
(régionalisation, ONEL, relative transparence des législatives de
1998 etc.), mais celles-ci ne sont pas appréciées à leur
juste valeur par les contemporains et les observateurs
internationaux, ces derniers concentrant leur attention - et
leurs reproches - sur quatre événements qui marquent les
dernières années de la présidence dioufiste.
- La dévaluation du Franc CFA, qui accentue la
paupérisation des Sénégalais
- Le conflit casamançais, qui altère l'image
démocratique et consensuelle du régime
- L'implosion du PS, qui retranscrit l'incapacité du
parti gouvernemental à s'ouvrir et
respecter les avis divergents
- La campagne anti-dioufiste menée par l'opposition
à l'étranger, qui donne une image désastreuse d'Abdou
Diouf, notamment lors de "la campagne de Paris"
Ces faits relèguent au second plan les avancées
démocratiques entreprises entre 1993 et 2000. A l'approche des
élections présidentielles, le "modèle
sénégalais" ne fait plus rêver. C'est pourquoi il revient
de façon si subite en pleine lumière après l'alternance du
19 mars. Les nombreux commentaires et travaux qui suivent la victoire wadiste
sont pratiquement tous altérés par ce qu'on a appelé dans
l'introduction de ce mémoire "le mirage de l'alternance politique". Ce
mirage a tendance à enjoliver l'avenir et à assombrir
caricaturalement le passé. De ce fait, les premiers écrits sur
l'alternance politique sénégalaise ne voient en Abdou Diouf qu'un
homme opportuniste, autocratique et corrompu.
Les auteurs justifient le plus souvent leur prise de position
négative en présentant le bilan économique des deux
décennies dioufistes. Or, le Sénégal n'est pas le seul
pays africain à avoir connu "une descente aux enfers" suite au second
choc pétrolier de 1979. Dans ce cas, est-il véritablement
justifié d'affirmer que Diouf a été directement
responsable de la paupérisation de son pays ? Et peut-on penser
qu'Abdoulaye Wade aurait fait mieux s'il avait été élu
dès 1983 ?
Sur le plan démocratique, ces mêmes auteurs
limitent l'action dioufiste à... son appel téléphonique du
20 mars et restent confus en ce qui concerne les différentes
étapes qui ont marqué la démocratisation du
Sénégal entre 1980 et 2000.
En offrant une vision détaillée et
complète de la présidence dioufiste, ce mémoire a donc
tenté d'expliquer la genèse de l'alternance politique du 19 mars.
On a désiré montrer qu'il existe avant 2000 de véritables
campagnes électorales, une presse d'Etat qui ouvre ses colonnes à
l'opposition (surtout après 1991), un dialogue entre le chef de l'Etat
et ses opposants etc. Si tout n'est pas parfait dans la démocratie
sénégalaise, loin s'en faut, ces éléments tendent
à démontrer que s'installe dans le pays, tout au long de
l'ère dioufiste, une véritable culture démocratique.
Bien évidemment, Abdoulaye Wade n'est pas
étranger à l'alternance du 19 mars. Dès 1978, il fait
preuve d'un indéniable courage politique en s'opposant ouvertement au
régime socialiste, en place depuis l'indépendance. Grâce
à ses talents oratoires et son intelligence politique, il rallie peu
à peu les mécontents à lui et s'impose comme le chef de
l'opposition. Il crée donc une dynamique qui lui permet de
conquérir démocratiquement le pouvoir. Cependant, il n'arrive
à ses fins que parce qu'il a les moyens légaux de le faire. Des
moyens offerts par Abdou Diouf.
Contrairement à d'autres dirigeants africains, tels que
le Président camerounais Paul Biya, à qui il est comparé
au début des années 1980, Abdou Diouf opte dès ses
premiers jours à la tête de l'Etat pour une prise en compte de
l'opposition, pratiquant régulièrement la politique "de la main
tendue". Du multipartisme intégral en 1981 à son départ en
toute simplicité du pouvoir en 2000, Abdou Diouf a souvent fait preuve
de sagesse et de réserve à l'égard de ses adversaires. Ces
qualités, socle de "l'oeuvre démocratique dioufiste", ont
grandement
contribué à faire du Sénégal une
démocratie saluée par l'ensemble de la communauté
internationale après le 19 mars 2000.
Sources
1. Archives :
Groupes d'études et de recherches du Parti socialiste,
le parti de Senghor à Abdou Diouf, Dakar, NEA, 1986.
SHELDAN, Gellar, le climat politique et la volonté de
réforme politique et économique au Sénégal (rapport
préparé pour l'USAID Sénégal), Dakar, 155 p.,
1997.
2. Sources imprimées : 2.1. Le Soleil :
"La dernière journée du Président
Senghor", 2 janvier 1981.
"Lettre de démission remise par Senghor", 2
janvier 1981.
"Abdou Diouf répond au Roi d'Arabie", 27 janvier
1981.
"Abdou Diouf : Des grandes actions tournées vers
l'intérieur... aux grands pas sur la scène internationale",
20 août 1981.
"Après Senghor, le déluge ?", 31
décembre 1981.
"Le changement", 6 avril 1983.
"La fin de l'Etat providence", 1 er septembre 1983.
"Abdou Diouf à la tête de l'OUA : le
Président de l'Afrique", 19 juillet 1985.
"Plus jamais ça", 16 avril 1987.
"Jean Collin à Thiès : "Wade, l'ambition
démesurée"", 31 août 1987.
"Discussion PS/ PDS", 20-2 1 février 1988.
"Sévère mise en garde à l'opposition ",
27-2 8 février 1988.
"Appel de Diouf pour négocier avec l'opposition ",
19 mai 1988.
"GER : les théoriciens de la pratique ", 5 mars
1989.
"Pillage de boutiques de maures : la honte", Le soleil,
24 avril 1989.
"Démission de Jean Collin", 13 avril 1990.
"Démission de Kéba Mbaye", 3 mars 1993.
"Après l'interpellation de M. Wade : le Parti
démocratique dénonce une machination ", 19 mai 1993.
"Flambée des prix : la population indignée",
16 janvier 1994.
"Un PS sur mesure", 1er avril 1996.
"L 'amendement Niadiar Sène rejeté ", 25
février 1998.
"Moustapha Niasse : ce sont les populations de Nioro qui
m'ont investi", 26 mars 1998. "OTD : l'opposition et nous", 1er
novembre 1999.
"Le oui de Djibo Kâ ", 15 mars 2000.
"Abdou Diouf : Je te téléphonerai, Monsieur le
Président", Le soleil, 4 avril 2000.
2.2. Le Nouvel Afrique-Asie :
AGBOTON, Alain, "Wade reste au gouvernement", n°
92, mai 1997. MALLEY, Simon, "Régionalisation
Sénégal", n° 93, juin 1997. ADE, Shagari, "Violente
campagne", n° 105, juin 1998.
BA Mehdi, "La démocratie virtuelle ", n°
107, août 1998.
LALOUPO Francis, "La fin de l'ère Diouf", n°
111, décembre 1998.
HODONOU Valentin, "Le retour triomphal de Wade", n°
123, décembre 1999. HODONOU Valentin, "L'opposition à
l'assaut de la forteresse", n° 125, février 2000. MARCHAND
Anne et DAGUERRE Philippe, "Le défi historique de la gauche",
n° 125, février 2000.
LALOUPO, Francis, "Cette prévisible victoire de
l'alternance ", n° 127, avril 2000. HODONOU, Valentin, "Un trio
complémentaire", n° 128, mai 2000.
HODONOU, Valentin, "Ce qui attend Wade", n° 128,
mai 2000.
2.3. Jeune Afrique :
N'DIAYE, Momar Kébé, "Abdou Diouf va jouer
l'ouverture", n°1045, 14 janvier 1981. ANDRIAMIRADO, Sennen, "Diouf
change d'opposant", n°1060, 29 avril 1981. N'DIAYE, Momar
Kébé, "Le trop plein", n°1073, 29 juillet 1981.
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Sénégalais en Gambie ?", n°1076, 20 août 1981.
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décembre 1981. KAMARA, Sylviane, "Une si longue absence",
n°1098, 20 janvier 1982.
DAHMANI, Abdelaziz, "La pluie vote Diouf", n° 1135,
6 octobre 1982.
DAHMANI, Abdelaziz, "Sénégal : C'est parti ",
n° 1150, 19 janvier 1983.
DIALLO, Siradiou, "Sous le signe du nationalisme",
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DIALLO, Siradiou, "Abdou Diouf ne sera plus le même",
n° 1157, 9 mars 1983. DIALLO, Siradiou, "L 'alternance est-elle
possible ? ", n° 1158, 16 mars 1983.
DIALLO, Siradiou, "Les frondeurs vont-ils payer ?",
n° 1160, 30 mars 1983. ANDRIAMIRADO, Sennen, "Les barons, c 'est
fini? ", n° 1204, 1er février 1984. KPATINDE, Francis, "La
démocratie en danger", Jeune Afrique, n° 1418, 9 mars 1988
ANDRIAMIRADO, Sennen, "Un Président obsédé par le sens
de l'Etat", n° 1419, 16 mars 1988.
ANDRIAMIRADO, Sennen, "Casamance c'est la guerre !",
n° 1653, 16 septembre 1992. FAES, Géraldine, "Sept jours
qui ébranlèrent Dakar", n° 1690, 2 juin 1993.
FALL, Elimane, "Disparition de Jésus-Christ ",
n° 1711, 27 octobre 1993.
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mars 1994.
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novembre 1999. KPATINDE, Francis, "Abdou Diouf : ma dernière
bataille", 8 janvier 2000.
KPATINDE, Francis, "L 'alternance en ligne de mire", 7
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KPATINDE, Francis,""De l'ego des
Sénégalais", 28 mars 2000.
2.4. Le Monde :
Le départ de Senghor et sa succession :
BIARNES, Pierre, "Le chasseur qui guette ne tousse pas",
21 octobre 1980.
BIARNES, Pierre, "Une situation difficile", 1er janvier
1981.
BIARNES, Pierre, "Abdou Diouf : une compétence
longuement éprouvée", 1er janvier 1981. BIARNES, Pierre,
"Senghor : incompris des africains anglophones", 2 janvier 1981.
BIARNES, Pierre, "Le président Abdou Diouf nomme M. Habib Thiam
Premier ministre", 3 janvier 1981.
BIARNES, Pierre, "La plupart des ministres reconduits ",
4 janvier 1981.
BIARNES, Pierre, "Le Premier ministre annonce que la
constitution ne limitera plus le nombre de partis politiques ", 2
février 1981.
BIARNES, Pierre, "Les cents jours du Président Diouf"
, 8 avril 1981.
DECRAENE, Philippe, "La visite du Premier ministre
sénégalais à Paris", 18 juin 1981. BIARNES, Pierre,
"La fin de la visite de M. Thiam à Paris", 21 juin 1981.
BIARNES, Pierre, "Sept partis animent désormais la vie
politique ", 11 juillet 1981. BIARNES, Pierre, "Dakar compte sur un
renforcement de l'aide française", 12 août 1981. BIARNES,
Pierre, "Sénégal : Une confédération
crée avec la Gambie", 21 août 1981. BIARNES, Pierre, "Le
chef de l'opposition parlementaire dénonce une machination contre son
parti ", 30 septembre 1981.
BIARNES, Pierre, "Le Sénégal et la Gambie ont
décidé de s'unir dans une Confédération, la
Sénégambie", 17 novembre 1981.
BIARNES, Pierre, "Le Président Abdou Diouf peut se
flatter d'un début de redressement économique", 2 janvier
1982.
BIARNES, Pierre, "La Confédération de
Sénégambie est entrée en vigueur le 1er février",
2 février 1982.
BIARNES, Pierre, "Dakar a réservé à M.
Mitterrand un accueil marqué par l'esprit de fraternité
socialiste ", 26 mai 1982.
BIARNES, Pierre, "Les troubles en Casamance", 28
août 1982.
BIARNES, Pierre, "Démission du ministre de
l'économie et des finances", 9 novembre 1982.
Les élections de 1983 :
BIARNES, Pierre, "Me Wade sera candidat à
l'élection présidentielle de février 1983 ", 27
novembre 1982.
BIARNES, Pierre, "Dakar reste confronté à
l'irrédentisme casamançais", 4 janvier 1983. BIARNES,
Pierre, "Veille d'élections au Sénégal : Un trop plein
démocratique", 25 février 1983.
BIARNES, Pierre, "Veille d'élections au
Sénégal : Un Président assuré de l'emporter",
26 février 1983.
BIARNES, Pierre, "Victoire électorale sans surprise du
Président Diouf et du Parti socialiste", 1er mars 1983.
BIARNES, Pierre, "L'opposition qualifie de mascarade les
élections du 27 février", 3 mars 1983.
BIARNES, Pierre, "M. Diouf annonce la prochaine suppression
du poste de Premier ministre et remanie le gouvernement", 5 avril 1983.
La nouvelle politique (1984-1988) :
BIARNES, Pierre, "Dakar envisage de plus en plus une
Sénégambie fédérale ou unitaire", 8 juillet
1983.
BIARNES, Pierre, "Le Président Diouf va devoir
accentuer la politique d'austérité ", 20 juillet 1983.
BIARNES, Pierre, "Dakar semble désarmé face
à l'agitation indépendantiste en BasseCasamance", 19
décembre 1983.
AFP, "Les opérations de ratissage se poursuivent
après les affrontements de la Casamance ", 21 décembre
1983.
BIARNES, Pierre, "Le Président Abdou Diouf entend
rénover et démocratiser la formation gouvernementale " , 21
janvier 1984.
BIARNES, Pierre, "Le Président Diouf renforce son
emprise sur le PS", 25 janvier 1984. AFP, "Démission du
Président de l'Assemblée nationale ", 13 avril 1984.
ZECCHINI, Laurent, "Le Sénégal : bourse plate",
26 juillet 1984.
ZECCHINI, Laurent, "Les messieurs du FMI", 27 juillet
1984.
DE LA GUERIVIERE, Jean," Encourager à faire pression
sur Pretoria", 12 octobre 1985. DE LA GUERIVIERE, Jean,"La
visite du Président du Sénégal à Paris",
26 novembre 1985.
Les élections de 1988 et leurs conséquences
:
ZECCHINI, Laurent, "L'opposition annonce une
"résistance cordonnée" à une "politique de violence"",
15 février 1987.
ZECCHINI, Laurent, "Un entretien avec le chef de l'Etat
sénégalais : Il faut aider le Tchad à aller à la
reconquête de son territoire" nous déclare M. Abdou Diouf",
24 mars 1987. ZECCHINI, Laurent, "A propos de la démocratie
sénégalaise : Une réponse de Me Wade", 1er avril
1987.
ZECCHINI, Laurent, "Le mal-vivre du Sénégal",
9 avril 1987.
ZECCHINI, Laurent, "La complainte des Diolas de Casamance",
9 avril 1987.
ZECCHINI, Laurent, "A propos de la démocratie
sénégalaise : Une mise au point du gouvernement de Dakar",
15 avril 1987.
ZECCHINI, Laurent, "Le gouvernement suspend tous les
policiers et démet le ministre de l'intérieur", 16 avril
1987.
SIDY, Gaye, "Pas d'altern ative pour l'Afrique", 9
juillet 1987.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Le club Paris
rééchelonne une part de la dette sénégalaise ",
20 novembre 1987.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Agitation lycéenne à
l'approche des élections", 21 février 1988. DE LA
GUERIVIERE, Jean, "Le Sénégal, oasis de démocratie",
23 février 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Plusieurs blessés au cours
d'incidents à Thiès ", 27 février 1988. DE LA
GUERIVIERE, Jean, "La campagne pour les élections du 28
février : Torpeur trompeuse en Casamance ", 27 février
1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean,"A la veille des
élections M. Diouf lance un avertissement à l'opposition",
28 février 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean,"Le pari du président
Diouf", 1er mars 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean,"Après les
élections du 28 février L'état d'urgence est
décrété à Dakar", 1er mars 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Ombres sur la démocratie
sénégalaise", 2 mars 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Me Abdoulaye Wade, l'opposant de
toujours ", 2 mars 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "M. Chirac "se réjouit" de la
victoire de M. Diouf" , 3 mars 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Les suites des élections du
28 février : L'extension des troubles de la capitale à la
province parait avoir été évitée ", 3 mars
1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean,"Libération du chef de la Ligue
démocratique", 4 mars 1988. DE LA GUERIVIERE, Jean, "Le
président Diouf veut une démocratie totale ", 6 mars 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Me Wade et douze membres de l'opposition
inculpés", 10 mars 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Un dirigeant de l'opposition en
liberté provisoire", 29 mars 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Jean Collin, le toubab de la
négritude", 7 avril 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Le président Abdou Diouf a
remanié son gouvernement", 7 avril 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Les manifestations en faveur de
l'opposition se poursuivent", 13 avril 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Levée du couvre-feu ",
19 avril 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "A l'ouverture du procès de Me
Wade, de violents incidents à Dakar", 23 avril 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Reprise du procès de Me
Wade", 28 avril 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Au procès de Me Wade, la
défense se retire", 1 er mai 1988. DE LA GUERIVIERE, Jean,
"Comment voter en Afrique ? ", 1 er mai 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Cinq ans de prison requis contre Me
Abdoulaye Wade", 4 mai 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Après des réquisitions
maximales contre Me Wade, tension persistante à Dakar", 5 mai
1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean,"Un an de prison avec sursis
pour M. Wade", 12 mai 1988. DE LA GUERIVIERE,
Jean,"Décrispation au Sénégal", 13 mai 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Après la levée de
l'état d'urgence : MM. Diouf et Wade se disent prêts à
dialoguer", 19 mai 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean,"Me Wade
bénéficiera de la loi d'amnistie", 27 mai 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "M. Diouf et Wade se sont mis
d'accord sur une " table ronde nationale ", 28 mai 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Vive tension sur le campus
universitaire de Dakar", 25 juin 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Prochaine table ronde entre le
gouvernement et l'opposition ", 29 juin 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "La "table ronde" reportée
sine die ", 21 juillet 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Désaccord à la " table
ronde " entre le pouvoir et l'opposition ", 19 juillet 1988.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Rupture de la table ronde avec
l'opposition ", 6 octobre 1988.
Du départ de Jean Collin à la première
cohabitation (1989-1992) :
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Marasme économique, un an
après la vague d'agitation : La démocratie
sénégalaise à l'épreuve ", 5 mars 1989.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Le parti gouvernemental remet ses
grandes décisions à plus tard", 7 mars 1989.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Me Wade et la stratégie du
recours", 16 mars 1989. DE LA GUERIVIERE, Jean, "Rentrée
politique de Me Wade", 14 mars 1989.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Le président Diouf annonce
des réformes politiques ", 5 avril 1989.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Les états d'âme de la
grande muette", 22 avril 1989.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Les affrontements entre
Sénégalais et Mauritaniens : l'expression anarchique d'un
mécontentement", 27 avril 1989.
FRITSCHER, Frédéric, "Sénégalais
contre Mauritaniens. Conflit fratricide au Sahel", 27 avril 1989.
FRITSCHER, Frédéric, "Maures contre
Négro-Africains ", 18 mai 1989.
FRITSCHER, Frédéric, "Entre le
Sénégal et la Mauritanie l'échec d'une communauté
de destin ", 18 mai 1989.
PERONCEL HUGOZ, Jean-Pierre, "Le troisième sommet
francophone s'ouvre à Dakar : Entre le drame sénégalais et
le vague à l'âme général", 23 mai 1989.
PERONCEL HUGOZ, Jean-Pierre, "Bicentenaire : En Afrique, le
Sénégal à la pointe de la célébration ",
1 er juillet 1989.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Rebondissement du conflit avec la
Mauritanie : La rupture diplomatique avec Nouakchott accroît la tension
dans la région ", 23 août 1989. DE LA GUERIVIERE, Jean,
"M. Abdou Diouf propose le gel de la Confédération de
Sénégambie", 25 août 1989.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Important remaniement
ministériel Le départ de M. Jean Collin marque la fin d'une
époque", 29 mars 1990.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Un rapport d'experts remis à
M. Rocard : L'agitation en Afrique francophone incite à un
réexamen de la coopération ", 31 mars 1990.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "M. Jean Collin démis de ses
fonctions au PS", 15 avril 1990. DE LA GUERIVIERE, Jean, "Signature
d'un accord de paix avec la Guinée-Bissau ", 1er juin 1990.
DE LA GUERIVIERE, Jean, "Les nouveaux opposants africains :
Les dirigeants des partis maintenant autorisés ou tolérés
se veulent rassurants à l'égard de Paris", 29 juin 1990. DE
LA GUERIVIERE, Jean, "Fin du congrès du Parti socialiste ", 31
juillet 1990. DE LA GUERIVIERE, Jean, "M. Habib Thiam nommé Premier
ministre ", 9 avril 1991. DE BARRIN, Jacques, "Ouverture politique
à Dakar Le chef de l'opposition entre au gouvernement", 10 avril
1991.
DE BARRIN, Jacques, "La nouvelle équipe ", 10
avril 1991.
DE BARRIN, Jacques, "Un nouvel acteur : Le Premier ministre
(...) personnage providentiel chargé d'assurer la transition
démocratique ", 8 juin 1991.
DE BARRIN, Jacques, "Washington annule 42 millions de dollars
de dettes du Sénégal", 12 septembre 1991.
DE BARRIN, Jacques, "Adoption d'un nouveau code
électoral", 22 septembre 1991.
DE BARRIN, Jacques, "Zaïre : Sous l'égide du
Sénégal, le pouvoir et l'opposition ont conclu un accord
politique ", 20 novembre 1991.
DE BARRIN, Jacques, "Le Président
sénégalais, M. Abdou Diouf, attendu au Zaïre", 22
novembre 1991.
DE BARRIN, Jacques, "Le Président Diouf a
rencontré son homologue mauritanien ", 23 novembre 1991.
SUBTIL, Marie Pierre, "A la veille du sommet de la
Conférence islamique, Etat de grâce politique et bombe sociale
à Dakar", 8 décembre 1991.
DE BARRIN, Jacques, "Après l'appel à la France
du Président sénégalais : le profond désarroi des
"nouveaux démocrates" africains", 14 décembre 1991.
SIMON, Catherine, "La démocratie à
tâtons : Des élections libres auront lieu cette année dans
une vingtaine de pays mais les régimes en place s'accrochent au
pouvoir", 25 avril 1992. DE BARRIN, Jacques, "M. Mitterrand à
la télévision sénégalaise : La France aidera les
pays africains qui s'imposent des règles démocratiques saines",
2 juin 1992.
DE BARRIN, Jacques, "En visite officielle à Paris, M.
Abdou Diouf évoques les inquiétudes du continent noir", 3
juin 1992.
FOTTORINO, Eric, "Le chef d'Etat sénégalais
Abdou Diouf élu à la tête de l'OUA ", 1er juillet
1992.
FOTTORINO, Eric, "Le franc CFA en question", 1er
août 1992.
FOTTORINO, Eric, "Quatre chefs d'Etats africains à
l'Elysée : Paris décide de ne pas dévaluer le franc CFA ",
1 er août.
FOTTORINO, Eric, "Maintien de la parité du franc CFA
", 2 août 1992.
Les élections de 1993 :
SUBTIL, Marie-Pierre, "Selon le numéro un de
l'opposition, l'élection présidentielle au Sénégal
ne mettra pas fin à la coalition gouvernementale", 19 septembre
1992. SUBTIL, Marie-Pierre, "M. Abdoulaye Wade quitte le gouvernement",
20 octobre 1992. SUBTIL, Marie-Pierre, "M. Abdou Diouf candidat
à sa succession", 29 décembre 1992. AULAGNON,
Michèle, "L'angoisse d'une année blanche au
Sénégal : L'approche de l'élection présidentielle,
en février, fait craindre la perturbation de l'année
universitaire ", 7 janvier 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Sous la protection d'un important
dispositif militaire, le Président Diouf défie les
séparatistes de Casamance ", 31 janvier 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Irréductible Casamance ",
19 février 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Le premier tour de l'élection
présidentielle M. Abdou Diouf n'est pas assuré de l'emporter",
20 février 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Le premier tour de l'élection
présidentielle : Des violences ont fait vingt-huit morts en Casamance ",
23 février 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Le premier tour du scrutin
présidentiel : L 'éventuelle réélection de M. Diouf
pourrait donner lieu à des troubles", 25 février 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Selon les premiers résultats M.
Abdou Diouf arrive largement en tête de l'élection
présidentielle ", 26 février 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Le dépouillement des votes pour
l'élection présidentielle dans l'impasse ", 28
février 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Sénégal : le "
modèle " à l'épreuve ", 2 mars 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "L 'élection
présidentielle Ultimatum du Conseil constitutionnel pour la proclamation
des résultats ", 4 mars 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Résultats définitifs de
l'élection présidentielle avant le 13 mars", 9 mars 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Vingt jours après le scrutin Le
Conseil constitutionnel a confirmé la réélection du
président Diouf" , 16 mars 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Un troisième mandat qui
s'annonce difficile", 16 mars 1993. SUBTIL, Marie-Pierre,
"Manifestations après la réélection de M. Abdou
Diouf", 17 mars 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Réforme du code
électoral", 6 avril 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "La révision du code
électoral a été adoptée ", 13 avril 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Elections législatives ", 9 mai 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Une forte abstention est attendue aux
élections législatives ", 11 mai 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "En dépit d'un net recul Le
Parti socialiste conserverait la majorité absolue à
l'Assemblée nationale", 13 mai 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Les élections
législatives : Le Parti socialiste conserve la majorité absolue",
16 mai 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "La dérive du modèle
sénégalais", 18 mai 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Après l'interpellation de M.
Wade Le Parti démocratique dénonce une machination ", 19 mai
1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Après une prolongation de sa
garde à vue Abdoulaye Wade a été remis en liberté
", 20 mai 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Abdoulaye Wade "trouve normal" d'avoir
été entendu comme témoin", 21 mai 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Deux arrestations après
l'assassinat de Babacar Sèye", 23 mai 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Le Conseil constitutionnel a
entériné les résultats des élections
législatives ", 26 mai 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Abdoulaye Wade ne fait pas partie du
nouveau gouvernement", 4 juin 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Le Parti démocratique affirme
que l'un de ses députés a été torturé",
6 juin 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "M. Cissokho élu
président de l'Assemblée nationale ", 11 juin 1993. SUBTIL,
Marie-Pierre, "Lors d'une manifestation interdite Plusieurs
députés d'opposition ont été momentanément
interpellés ", 29 juillet 1993.
DEGIOANNI, Bernard, "Les fonctionnaires au pain sec ",
31 août 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Grève générale
largement suivie à Dakar", 4 septembre 1993. SUBTIL, Marie-Pierre,
"Ajournement de la réduction des salaires des fonctionnaires",
11 septembre 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Les négociations entre les
syndicats et le gouvernement sont dans l'impasse ", 17 septembre 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Principale figure de l'opposition,
Abdoulaye Wade est inculpé d'atteinte à la sûreté de
l'Etat et de complicité d'assassinat ", 3 octobre 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Jean Collin, ancien numéro deux
du régime est mort", 20 octobre 1993.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Peines de prison légères
pour les manifestants de Dakar", 14 novembre 1993.
Le Sénégal face à la dévaluation
du franc CFA (1994) :
SUBTIL, Marie-Pierre, "Pleins pouvoirs économiques
accordés au Président Diouf", 22 janvier 1994.
FRITSCHER, Frédéric, "On est tous
dévalués ! ", 5 février 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Cinq morts à Dakar lors
d'émeutes consécutives à la dévaluation du franc
CFA", 18 février 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Emeutes de la dévaluation au
Sénégal", 18 février 1994".
SUBTIL, Marie-Pierre, "Le gouvernement estime que les
émeutes relevaient d'un plan savamment ourdi", 19 février
1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Les deux principaux dirigeants de
l'opposition ont été interpellés", 20 février
1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "La garde à vue des deux
principaux dirigeants de l'opposition a été prolongée",
22 février 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Prolongation de la garde à vue
des deux principaux dirigeants de l'opposition ", 24 février
1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Poursuites judiciaires contre
soixante-quinze opposants", 26 février 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Prochaine visite officielle du
Président sénégalais en France", 29 mars 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Abdou Diouf est venu à Paris
sans avoir libéré les principaux dirigeants de l'opposition ",
9 avril 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Le Président Diouf souhaite que
les opposants emprisonnés soient jugés " le plus rapidement
possible "", 14 avril 1994.
SUBTIL, Marie Pierre, "Ajournement du jugement des
inculpés dans l'assassinat de Me Seye", 20 mai 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Non-lieu pour Abdoulaye Wade", 28
mai 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Protestation du chef de l'opposition
incarcéré ", 5 juillet 1994. SUBTIL, Marie-Pierre, "Le
chef de l'opposition a été libéré ", 6 juillet
1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Non-lieu pour Me Wade et 141 personnes
impliquées dans les événements sanglants du 1 6
février", 21 juillet 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Non-lieu pour les deux principaux
chefs de l'opposition", 1er septembre 1994.
SUBTIL, Marie-Pierre, "Travaux forcés pour les
assassins de Babacar Sèye", 9 octobre 1994.
Apaisement et retour de Wade au gouvernement (1995) :
SCOTTO, Marcel, "Le président Diouf a reçu
Abdoulaye Wade", 7 janvier 1995. SCOTTO, Marcel, "Le
Sénégal en voie d'apaisement", 8 février 1995.
SCOTTO, Marcel, "L'opposition sénégalaise entre
au gouvernement", 17 mars 1995
Les élections régionales et municipales de 1996
:
SOTINEL, Thomas, "Me Wade, l'éternel adversaire du
président Diouf, vise la mairie de Dakar", 24 novembre 1996.
SOTINEL, Thomas, "De nouvelles élections locales",
27 novembre 1996.
SOTINEL, Thomas, "Les résultats des élections
contestés au Sénégal ", 1 er décembre 1996.
SOTINEL, Thomas, "Le Parti socialiste a remporté les
élections régionales ", 3 décembre 1996.
SOTINEL, Thomas, "La révolte sans issue de la
Casamance", 25 septembre 1997 SOTINEL, Thomas, "Le Parti socialiste
sénégalais en crise, "19 décembre 1997.
Les législatives de 1998 :
SOTINEL, Thomas, "Au Sénégal, le Parti
socialiste risque de perdre du terrain aux législatives ", 24 mai
1998.
SOTINEL, Thomas, "Au Sénégal, des partis
d'opposition contestent le résultat des élections ", 29 mai
1998.
SOTINEL, Thomas, "Le Parti socialiste du président
Diouf remporte les législatives au Sénégal", 2 juin
1998.
SOTINEL, Thomas, "Un économiste nommé Premier
ministre du Sénégal", 5 juillet 1998. SOTINEL, Thomas,
"Formation d'un nouveau gouvernement", 7 juillet 1998.
SOTINEL, Thomas, "La visite d'Abdou Diouf à Paris est
perturbée par les problèmes intérieurs du
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2000.
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fait bloc derrière M. Wade pour la présidentielle ", 12 mars
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WADE, Abdoulaye, Un destin pour l'Afrique, Paris,
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4. Source radiophonique : Abdou Diouf :
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politique du ventre, Paris, Fayard, 1989. BLANCHET Gilles, Elites et
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HYDEN, Goram et MICHAEL, Bratt, Gouverner l'Afrique, vers un
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2. Ouvrages sur la politique sénégalaise
:
COULON, Christian, Le marabout et le prince. Islam et pouvoir
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l'épreuve de la démocratie ou L'histoire du PS de la naissance
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1988.
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3. Ouvrages traitant de la vie politique
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4. Ouvrages sur le rôle des femmes dans la vie
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DIAW A., TOURE A., Femmes, éthique et politique,
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KONATE Abdourahmane, Le cri du mange-mil, L' Harmattan,
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6. Etudes
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GLAISE, Joseph, "Casamance : la contestation continue",
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COULON, Christian., "La démocratie
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GERARD, Jérôme, "Election présidentielle
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au Sénégal après la dévaluation ", PoA 56,
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Casamance", PoA 58, juin 1995.
MAATI, Monjib, "Comportement électoral, politique et
socialisation confrérique au Sénégal", PoA 69,
1998.
DIOP M-C., DIOUF M. et DIAW A., "Le baobab a
été déraciné : L'alternance au
Sénégal", pp.158, PoA 78, juin 2000.
6.2. Ouvrages compilant des études :
DIOP, Momar-Coumba (dir.), Le Sénégal
contemporain, Paris, Karthala, 2002. - O'BRIEN, Donal Cruise, "Le sens
de l'Etat au Sénégal".
- MBODJI, Mamadou, "Le Sénégal entre rupture
et mutation : citoyenneté en construction".
- GELLAR, Sheldon, "Pluralisme ou jacobinisme : quelle
démocratie pour le Sénégal ?" O'BRIEN, D. Cruise,
DIOP, Momar C. et DIOUF, Mamadou, La construction de l'Etat du
Sénégal, Paris, Karthala, 2002.
6.3. Thèses ou travaux de DEA :
CAMARA, Seydou, Autorité et pouvoir d'Etat au
Sénégal, mémoire de DEA d'anthropologie,
Université de Dakar, 1985-86.
DRAME Hassane, Le conflit casamançais : une crise
centre-périphérie, mémoire de DEA, Bordeaux, 1992.
GASSER Geneviève, "Manger ou s'en aller" : le conflit
ethno-régional casamançais et l'Etat sénégalais,
thèse de doctorat, Université de Montréal, 2000.
MARUT Jean-Claude, La question de Casamance,
Sénégal : une analyse régionale, thèse de
doctorat de géopolitique, Saint-Denis, 1999.
N'DIAYE, Hamad Jean Stanislas, "La communication politique
dans les élections au Sénégal: l'exemple du PS(Parti
Socialiste) et de l'AFP(Alliance des Forces de Progrès) en l'an 2000",
Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal).
TINE, Antoine, Du multiple à l'un et vice-versa ? Essai sur le
multipartisme au Sénégal (1974-1996), Institut
d'études politiques de Paris, 20 p., 1996.
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