DEUXIEME PARTIE : L'INFORMATION GEOGRAPHIQUE SUR
SUPPORT NUMERIQUE : QUELLES CONSEQUENCES ?
«La lecture des discours qui ont accompagné
la naissance
des nouveaux moyens de communication donne
parfois l'impression que l'histoire
bégaie»
Patrice FLICHY
INTRODUCTION : le réseau Internet
Le réseau est, selon LAMIZET et SILEM (1997), un
ensemble de lien ou de relation entre des éléments d'une
organisation, quelle soit sociale, linguistique, technologique ou neurologique.
D'un point de vue technologique, un réseau est un ensemble
d'éléments interconnectés, c'est-à-dire qui
permet la distribution ou le transport d'un message entre un émetteur et
un récepteur comme dans les réseaux entre ordinateurs de type
Internet.
Le sens moderne du concept de réseau puise ses origines
vers la fin du XVIIe et début XVIIIe siècle
avec notamment la découverte de l'infiniment petit. En effet, la
compréhension de la structure des matières comme réseau de
molécules donne une autre dimension au réseau. Les travaux de
BICHAT et de LAMARCK7(*),
qui ont abouti à la découverte de microstructures, ont permis de
comprendre le fonctionnement du corps vivant (et des organes) décrits
comme un ensemble de réseaux : les poumons, la circulation
sanguine,...Plus tard, Claude Henry de Saint Simon (1760-1825) dans «Le
mémoire sur la science de l'homme» confère au concept de
réseau, une signification particulière en renouvelant la lecture
du social à partir de la métaphore du vivant. La
«physiologie sociale» de Saint Simon se veut, selon MATTELART (2002),
une science de la réorganisation sociale, ménageant le passage du
«gouvernement des hommes» à «l'administration des
choses». La pensée saint- simonienne (pensée de l'organisme-
réseau) conçoit la société comme un système
organique, enchevêtrement ou tissage de réseaux et accorde une
place stratégique aux «réseaux matériels» (voix
de communication)...
Les réseaux techniques, aujourd'hui, modifient
fondamentalement l'accès et la distribution de l'information. On est
passé d'un stockage et d'une diffusion de l'information par unité
discrète, distincte, séparée (exemple : le livre)
à un stockage et une diffusion de l'information par flux continu
(exemple : télévision et radio). Les réseaux qui se
mettent en place aujourd'hui, ajoutent à cette diffusion une
capacité d'interaction en ce sens que tout intervenant peut être,
à la fois, le récepteur et l'émetteur s'il le
désire. C'est un flux non seulement continu, mais aussi multipolaire
où les rôles peuvent instantanément changer :
possibilité de réception /émission en même temps.
Internet est un des éléments de cette «toile
d'araignée mondiale», que le philosophe canadien Marshall McLuhan a
pu décrire comme l'extériorisation de notre propre système
nerveux.
Internet est un réseau qui a été
conçu pour des besoins militaires. L'ARPA (Agence américaine de
recherche avancé en matière de défense) a établi et
optimisé ce réseau pour résister à une attaque
nucléaire ou pour faire en sorte que même en cas d'attaque
nucléaire qui détruira un grand nombre de noeuds dans les
communications existantes, les messages puissent continuer à passer.
Internet est donc un réseau qui recherche en permanence la
possibilité de faire passer un message par n'importe quel endroit. En
pratique, les messages émis sont subdivisés en petits paquets
d'informations qui portent chacune l'adresse de l'émetteur et du
récepteur. Chacun de ces paquets passent par n'importe quel point du
réseau. La configuration est telle qu'il est tout à fait possible
de passer par New York, puis Romorantin, et enfin par Tokyo pour transmettre un
message entre Paris et Marseille. L'optimisation a été faite pour
que le message passe quoi qu'il arrive et non pas de façon continue.
En conséquence, la bande passante, la capacité
totale du réseau est subdivisée en autant de fraction qu'il y a
d'utilisateurs à un moment donné. Si les utilisateurs sont
nombreux ou si la demande de transmission d'information est forte, à un
moment donné, la quotité disponible pour chaque utilisateur peut
tendre vers zéro.
Les ordinateurs multimédia couplés à des
réseaux sont des outils qui ont changé notre relation à
l'écrit, au son et à l'image. Il offre la possibilité,
après apprentissage de techniques de recherche adéquates, de
s'approprier des documents de toute nature, de les copier, les reproduire, les
manipuler mais aussi, d'en créer d'autres, de les communiquer.
I. La géographie sur l'Internet : une
géographie très universitaire
S'il est encore possible aujourd'hui de se pencher de
façon exhaustive sur l'offre hors ligne (CDROM), il en va tout autrement
de l'Internet : le seul WEB compte plus de 30 millions de sites
répertoriés. Une requête sur le mot géographie
donne, selon les moteurs de recherche, près de 400'000 réponses
pour « geography » et 40'000 pour « géographie »
[Griselin & Ormaux, 1997]. Afin d'apprécier l'évolution ou
plutôt l'entrée en force de l'information géographique sur
le réseau, nous nous sommes prêtés au même exercice
avec le moteur de recherche Google et nous avons obtenu 9 300 000
résultats pour le terme «geography» et 912 000 pour
«géographie». Ce résultat met en évidence
l'entrée de l'information géographique dans «l'ère
électronique».
Depuis la création du Web en 1993, l'Internet a connu,
une multiplication de ses sites et une diversification de ses finalités,
mais on retrouve assez facilement la strate universitaire qui constituait de
manière quasi exclusive l'Internet des années 70 et 80.
L'Internet apparaît bien comme une immense source d'information pour peu
qu'on la sollicite de manière adéquate et qu'on fasse l'effort
d'identifier le document.
GRISELIN et ORMAUX avaient mené une étude sur la
présence de l'information géographique sur les supports
numériques notamment Internet en 1997. Les résultats, que nous
avons réactualisés (ou mis à jour), cataloguent
l'information géographique sur la toile en quatre grands
ensembles :
- Les pages les plus nombreuses concernent les
présentations, par les instituts ou départements de
géographie des diverses universités, de leur raison sociale, des
formations qu'ils proposent aux étudiants, et de leurs grands domaines
de recherche.
- En deuxième position apparaissent les informations
scientifiques, les cours, les mises au point thématiques qui permettent
véritablement d'acquérir des connaissances géographiques.
Encore mal structuré cet ensemble offre sans doute un important
potentiel. Comme le montre la rubrique Internet de la revue Mappemonde,
l'étudiant, l'enseignant, le chercheur ou le curieux peut
déjà y trouver nombre de matériaux intéressants. Ou
encore«Internet en débats- débats sur Internet»,
rubrique phare du site de l'association des professeurs d'histoire et de
géographie (APHG) et «Nouveautés sur le web» de la
revue Netcom. L'arrivée sur le réseau, de cours
d'agrégation mais aussi de documents pédagogiques fournis par des
associations de professeurs d'histoire- géographie est symptomatique
d'une évolution des comportements. A ce titre, nous citerons
«Géoconfluences», site de l'association des cafés
géographiques. Interface entre, d'une part, les universitaires et
chercheurs du monde de la géographie et d'autre part, entre les
enseignants des collèges et des lycées, Géoconfluences
s'adresse plus particulièrement à la communauté
enseignante mais aussi à tous les internautes curieux de
géographie. Il propose aux enseignants matière
à actualiser et poursuivre leur formation, ou à recueillir
documentation et idées pour préparer leurs cours et les
activités pédagogiques qu'ils sont amenés à
entreprendre avec leurs élèves.
Développé dans le cadre d'un partenariat entre
la DESCO et l'ENS- Lettres et Sciences Humaines de Lyon, Géoconfluences
est un site institutionnel proposant des ressources en Géographie. En
partant de la page Actualités, on peut accéder aux premiers
contenus à savoir les dossiers comportant chacun une information
scientifique, un corpus documentaire, un glossaire, des pistes pour une
géographie appliquée, des "brèves" et des comptes-rendus
de conférences. Implanté à l'ENS LSH à Lyon, il
bénéficie du soutien technique des services de l'école et
des apports scientifiques de la section et des laboratoires de
géographie de l'école.
- Plus ciblés « recherche», d'autres sites
sont développés par des laboratoires qui affichent leurs
problématiques, leurs méthodologies, leurs résultats,
voire leurs brouillons de publications. On peut donner comme exemple la page du
laboratoire Modélisation et Traitements Graphiques en Géographie
de l'université de Rouen ou celle du groupe de recherche Libergéo
du CNRS (GDR LiberGéo) dont les objectifs, outre la précision des
fondements de la discipline, sont d'aider les chercheurs, les équipes,
et au delà les usagers de la géographie à s'approprier de
nouveaux outils de la recherche et de la communication scientifique,
expérimenter de nouvelles formes d'organisation de la communauté
scientifique de telle manière que la géographie française
demeure une composante très active de la recherche contemporaine en
sciences sociales.
Dans le même créneau, mais plus
structurées, les revues électroniques8(*) dont nous aborderons dans les
prochaines lignes, font leur apparition sur la toile. Pour la France,
Mappemonde (dans sa version Internet), Cybergéo (exclusivement sur le
réseau), Netcom, mais aussi Historiens et Géographes la revue de
l'APHG constituent les principales exemples.
Toujours dans la mouvance universitaire, les bibliographies,
sommaires de revues, signalements de publications sont nombreux, d'utilisation
commode, et ont l'avantage d'être fréquemment mis à jour.
On les retrouve souvent sur les sites des bibliothèques universitaires,
des instituts ou simplement, sur des pages personnelles de professeurs. Ainsi,
le catalogue Galiléo de la Bibliothèque Nationale de Paris,
Goesource et Resources for Geographers offrent en ligne des ressources
inestimables en géographie. La base BN-OPALE contient, à elle
seule, plus de deux millions de références, et plus de dix
millions d'accès indexés. D'autres bases en ligne telles que
celle de l' IGN, du CNRS (voir Francis), de l'INRIA, de Meteosat, de l'INRETS
(Transports)...présentent une offre bibliographique
considérable.
- En dehors de ce premier ensemble, d'autres genres de pages
peuvent également, et à des degrés divers,
intéresser le géographe. Les sites liés au tourisme et aux
voyages, plus ou moins documentaires, plus ou moins utilitaires, peuvent offrir
des informations et des images exploitables. Les pages faisant la promotion
d'une collectivité locale ou d'un pays, plus rarement d'une entreprise
ou d'un produit (tel GPS), sont éventuellement utilisables, avec tout
l'esprit critique qui s'impose.
- Ensuite, on trouve un ensemble plus
hétéroclite constitué par les annonces et agendas divers,
les textes des associations de type classique et de ce que GRISELIN appelle les
«grandes causes». C'est le cas de la page l'association des
Cafés géographiques qui se veut un relais Internet pour tous les
Cafés géos9(*)
qui se développent librement et qui souhaiteraient se faire
connaître. Relais entre l'université, les organismes de recherches
(CNRS, EHESS, IRD, etc.) et toute personne intéressée par une
réflexion sur ses pratiques de l'espace, l'association organise des
Cafés débats visant à promouvoir le contact chercheurs-
amateurs car l'un des objectifs du café géographique est de mieux
faire connaître les travaux des chercheurs au «grand public».
Un résumé des débats, sous forme de rapport, est ensuite
publié sur le site de l'association où on peut également
trouver de nombreux liens vers d'autres pages (d'instituts ou d'association)
traitant de l'information géographique.
Cette première approche ne nous a sans doute pas
permis de circonscrire l'ensemble de la géographie sur l'Internet,
toutefois elle nous aura montré que la géographie est d'ores et
déjà présente sur le réseau et que les documents
sérieux y sont largement dominants. Il y a là
d'intéressantes perspectives pour les géographes, à la
fois comme utilisateurs et comme prestataires.
II- Les périodiques en géographie :
quelle présence sur Internet ?
Sous la direction de Ghislaine CHARTRON, Claire LEPEUTREC, en
juin 2000 et Marie LISSART, en juillet 2003, ont réalisé
des études prospectives sur les
revues
numériques francophones en sciences humaines et sociales. Elles se
sont intéressées en particulier aux périodiques en
géographie.
Le remarquable dossier de LEPEUTREC présente une large
sélection de périodiques en géographie, revues
diffusées sur Internet, avec des indications sur le projet
éditorial, le type de revue et la périodicité, les
accès possibles (sommaires, texte intégral, gratuité...),
et revues papier, avec leur éventuelle présence sur le
réseau. Les magazines électroniques ne sont pas oubliés.
(Voir annexes)
La première remarque qui s'impose est qu'en
dépit des avantages offerts par la publication numérique, peu de
revues entièrement électroniques sont diffusées dans les
disciplines des sciences humaines et sociales. Quant aux périodiques
francophones en géographie, elles se caractérisent par leur
faible présence sur Internet : aucune des grandes
revues traditionnelles ne fait l'objet d'une publication électronique,
tout au plus trouve t-on les tables des matières et quelques
résumés d'articles. En effet, Internet est utilisé plus
comme une vitrine du support papier que comme support alternatif.
Dans la majorité des cas, la version numérique
ne reproduit qu'une petite partie de l'exemplaire papier de la revue. Elle peut
en diffuser, par exemple les éléments structurants tels que le
sommaire, la bibliographie, des résumés d'articles. Mais elle
peut aussi contenir de larges extraits de la revue en présentant des
articles en texte intégral. La version numérisée agit, en
quelque sorte comme un promoteur de la revue papier en donnant une idée
de son contenu et de sa qualité. Les maisons d'édition n'ont
recours à Internet que comme un moyen de publicité et
d'information commerciale (tarifs, catalogues, possibilité d'abonnement
en ligne). Cependant l'enjeu commercial représenté par Internet
est de taille car chaque revue tient à assurer sa présence sur
Internet. (LEPEUTREC, 2000)
Dans cet univers, la revue Cybergéo entièrement
numérique sert de portail à la quasi-totalité des
périodiques en géographie. Elle diffuse les tables des
matières d'une trentaine d'entre elles (les plus importantes) dans sa
rubrique intitulée "revue des sommaires". Qui constitue bien souvent la
seule ouverture sur Internet de bon nombre de ces revues qui en majorité
ne disposent pas de sites Internet. Pour des revues qui disposent de leur
propre site un lien renvoie vers ce site.
Trois ans après cette étude, le paysage de
l'édition électronique des périodiques de
géographie a été revisité par Marie LISSART, en se
référant au dossier de LEPEUTREC. Elle se penche sur les acteurs
de l'édition numérique et note une tendance au
développement, lente mais perceptible (32 titres en plus ont
été répertoriés)
Les acteurs de l'édition numérique sont
essentiellement les institutions de recherche (laboratoires, universitaires,
associations) d'une part, les maisons d'édition (6 publications) d'autre
part et les organismes gouvernementaux, dans une moindre mesure.
La présence sur Internet des revues
sélectionnées se répartit selon le tableau 1:
Sans accès Internet
|
13
|
Présentation de la revue ou liste des numéros
parus
|
8
|
Sommaires en ligne
|
25
|
Accès aux articles (gratuit ou payant)
|
26
|
Total
|
72
|
|
Tableau 1 :
répartition des revues en géographie en fonction de la
présence sur Internet
Source Marie LISSART- URFIST Paris, juillet
2003
Ce tableau traduit, à première vue, une
présence significative des périodiques géographiques sur
Internet (59 revues sur 72 répertoriées ont une ouverture sur la
toile). Cependant, c'est une présence trompeuse car pour plus du quart,
Internet joue un rôle de vitrine à la version papier de la revue.
L'offre est sous la forme d'une simple fiche de présentation de la revue
(historique, objectifs, contacts) ou d'une liste des numéros parus.
Néanmoins, par la mise en ligne des sommaires et/ou
l'accès gratuit ou payant au texte intégral, la plupart des
revues géographiques s'attachent à tirer profit d'Internet.
Parmi les revues recensées, une (Eurékâ
Info) est, à l'origine en support papier ayant interrompu la diffusion
papier au profit d'une diffusion intégralement numérique.
D'autres sont exclusivement électroniques, créées ex
nihilo et n'existant pas sur support papier, c'est notamment le cas de
Cybergéo.
La périodicité des revues varie, les revues
dites "mouvantes" constituent réellement une nouvelle forme de
publication électronique : seul un numéro de la revue est
disponible en ligne, et il évolue au fur et à mesure de remises
à jour permanentes.
Pour résumer, les périodiques en
géographie sont peu présentes sur Internet. Et pourtant, l'enjeu
que représente l'édition numérique pour cette discipline
est de taille. L'édition papier de ces revues se révèle
une opération coûteuse que la demande limitée ne permet pas
de rentabiliser. Internet pourrait constituer un vecteur d'expression facile,
moins contraignant que le support papier. Cependant la tendance au
développement de l'offre en ligne, si elle se confirme dans les
années à venir, marquera une nouvelle ère pour la
diffusion de l'information géographique.
* 7 BICHAT fonda l'histologie et
LAMARCK, la biologie.
* 8 Nous consacrerons une
partie aux revues géographiques sur la toile.
* 9Le café
géographique, selon Jean-Marc PINET, professeur et animateur des
Cafés géos, contribue à expliciter une relation
profonde entre le géographe et la cité : l'espace et le temps
sont un bien commun à partager entre scientifiques et citoyens dans une
connivence géographique. La finalité du café géo
est, grâce au contact direct et à la convivialité du lieu,
d'expliciter et de critiquer ensemble un intérêt partagé
pour tout ce qui a trait au rapport entre les sociétés et leurs
territoires.
|