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La tentation hagiographique dans les biographies de Pascal

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par Karine Lanini
Université Paris III-Sorbonne nouvelle -  1996
  

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II. La tentation hagiographique

«  `Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais'. Cette pensée que Pascal avait écrite devait être fausse dans son cas. Mort, il ne fut pas oublié, au contraire. La cause en fut le culte dont les Périer entourèrent sa mémoire.[...] Gilberte se voua à la sauvegarde des souvenirs de son  `saint'.»15(*).

Le récit de Gilberte ne répond manifestement pas aux lois du genre biographique ou historiographique, et pourtant il est reçu comme le seul témoignage biographique digne de ce nom. Gilberte écrit une vie, certes, mais une vie de saint. Alors, si son récit ne présentait pas les éléments incontournables d'une biographie, peut-on y trouver les marques du discours hagiographique ?

A. Constitution du récit hagiographique

Le genre hagiographique est rigoureusement codifié, et dans la mesure même où le récit de Gilberte se présente officiellement comme une biographie, il est évident qu'il serait peu pertinent d'assimiler son texte à la littérature hagiographique qui circule encore au XVIIème siècle. Avant Gilberte, personne ne voyait un saint en Pascal, quelque exemplaire qu'ait été sa vie, et cela fait toute la différence avec une vie de saint. En revanche, son récit présente de nombreuses similitudes avec les textes hagiographiques, similitudes qui donneront peut-être la clef de l'écriture de Gilberte.

D'une manière générale, on retrouve dans la Vie de Pascal tous les caractères du récit hagiographique, mais de façon un peu décalée, amoindrie, adaptée en somme. Ainsi, toute vie de saint se doit de commencer par un récit circonstancié de la naissance et de la généalogie du saint ; « Le sang est la métaphore de la gloire. D'où la nécessité d'une généalogie »16(*). Or, si Gilberte signale la généalogie de Pascal (quelques lignes à l'initiale du récit indiquent les témoins de son baptême), cette liste se limite à ses `parrin' et `marrine', comme pour limiter le récit au domaine du privé. Traditionnellement, la noblesse, la richesse et l'éducation du saint doivent être mises en valeur dès le début du récit. Dans le cas de la vie de Pascal, la noblesse familiale est indiquée mais non soulignée, et la richesse passée sous silence. En revanche, l'accent est mis sur la bonne éducation, qui constituera l'essentiel des premières pages. Ici, l'éducation est à la fois à l'image et à l'usage du saint : il présente tous les signes du génie et une instruction particulière est chargée de mettre en évidence, et en action ce qui est déjà en lui, élu qu'il est.,

L'apparition des signes de la foi vient après la naissance dans le récit hagiographique, foi qui se traduit presque toujours, à l'adolescence, par une rupture du saint et de l'autorité qui le gouverne : le plus souvent, le saint choisit la vie religieuse contre l'avis de sa famille et s'expose à son opprobre. Paradoxalement, la foi du jeune Blaise n'est jamais évoquée avant le récit de la première conversion, mais la rupture est bien présente : c'est contre l'avis de son père que Pascal étudie, ou plutôt découvre seul, la géométrie, lui qui « priait souvent [son] père de lui apprendre les mathématiques »17(*). Après avoir choisi le parti religieux, le saint se trouve confronté à l'autorité ecclésiastique, qui tente de le contrôler ou de le détourner de sa voie, mais il sait y résister, de même qu'il résistera au temps d'épreuve qu'il doit traverser pour se réaliser, la tentation repoussée faisant partie intégrante de la vie du saint. Dans le cas de Pascal, si nulle autorité ecclésiastique n'est à braver, sa résistance aux pressions des vanités du siècle se cristallise dans son rejet de la mondanité, en même temps que son repli du monde représente sa victoire sur la tentation. D'ailleurs, cette mise en retrait du monde s'accompagne ici de la même géographie que dans les vies de saint. La tentation « exile le saint de la ville au désert, dans les campagnes ou dans des terres lointaines, temps d'ascèse que clôt son illumination. Puis vient l'itinéraire qui le ramène à la ville ou qui conduit à lui la foule des villes - temps d'épiphanie, de miracles et de conversions »18(*). Or, Gilberte évoque la `retraite considérable'19(*) qui suivit sa période mondaine, période également suivie des conversions produites dans le sillage des saints, précédés toujours par leur réputation et leur popularité. En effet, la réputation de Pascal fut d'abord bâtie sur son génie scientifique - « on prenait son avis sur tout et avec autant de soin que de pas un autre ; car il avait des lumières si vives, qu'il est arrivé qu'il découvre des fautes dont les autres ne s'étaient pas aperçus »20(*) - mais bien vite sa foi prit le relais de cette réputation et c'est au sage plus qu'au savant qu'on vint demander conseil:

« Un certain nombre de gens de grande condition et de personnes d'esprit qu'il avait connues auparavant le venaient chercher dans sa retraite et demander ses avis ; d'autres, qui avaient des doutes sur des matières de foi, et qui savaient qu'il avait de grandes lumières là-dessus, recouraient aussi à lui »21(*).

Et cette popularité, signe d'élection du saint, se concrétise aussi dans une véritable attitude de croisé contre les hérétiques - l'une des plus longues anecdotes rapportées narre le rôle de Pascal dans la lutte contre un hérétique22(*) - et contre les athées, contre lesquels `il se [sentait] tellement animé'23(*), mais aussi à l'égard de ses proches et de la tiédeur de leurs sentiments religieux :

« Mon frère, continuant de plus en plus de rechercher les moyens de plaire à Dieu, cet amour de la perfection s'enflamma de telle sorte dès l'âge de 24 ans, qu'il se répandit sur toute la maison ; mon père, n'ayant pas de honte de se rendre aux enseignements de son fils, embrassa dès lors une vie plus exacte, par une pratique continuelle des vertus jusqu'à sa mort »24(*).

La conversion du père est symbolique : la plus haute figure d'autorité après dieu s'incline devant la puissance du saint, et cette influence se répand également sur Gilberte, dont tout le récit est parcouru des marques de cette influence ; dans les passages les plus personnels de Gilberte se fait entendre la parole en action du prédicateur, comme pour donner une réalité tangible à son attitude de croisé25(*). A cet égard, le texte de Gilberte se constitue presque en ex voto à la gloire de celui qui répandait la lumière autour de lui.

Pourtant, malgré ces similitudes, l'identification de ce texte aux vies de saint est compromise par le peu de valeur accordée par Gilberte aux faits et gestes de son frère. En effet, les hagiographies favorisent les anecdotes et les accidents d'une vie, accidents qui permettent aux signes de l'élection d'apparaître. `Res non verba', tel est leur credo, même si, comme le fait remarquer Michel de Certeau, `les res sont les verba dont le discours fait le culte d'un sens reçu'. Dans l'imagerie pascalienne transmise par Gilberte, seules subsistent les `verba'.

* 15 Album Pascal, commentaire de B. Dorival, Paris, 1978, Gallimard, p.173-176

* 16 Michel de Certeau, L'hagiographie, Paris, 1995, Encyclopaedia Universalis, p.160-165

* 17 La vie de Monsieur Pascal écrite par Madame Périer, sa soeur , p. 5

* 18 Michel de Certeau, L'hagiographie, Paris, 1995, Encyclopaedia Universalis, p.160-165

* 19 La vie de Monsieur Pascal écrite par Madame Périer, sa soeur , p.11

* 20 La vie de Monsieur Pascal écrite par Madame Périer, sa soeur , p.6

* 21 p.13

* 22 p. 8-9

* 23 p.16

* 24 p. 9

* 25 Voir en particulier le récit de l'influence de Pascal sur l'éducation de ses neveux et nièces, p. 23

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe