UNIVERSITÉ DE CAEN
Basse-Normandie
Juillet 2006
IUP Management du Social et de la Santé
Option Intervention Sociale et Développement
Mémoire de maîtrise
L'intégration des jeunes de l'adoption
internationale au Québec
Dis-moi d'où tu viens, je te dirais qui tu
es...
(Entretiens avec des adolescents adoptés
québécois de 14 à 21 ans)
Sous la direction de Dominique BEYNIER
Présenté par : Delphine MOYTIER
« Qu'elle éveille sympathie ou
soupçons, l'adoption interpelle la conscience de chacun avec la force
même d'un mythe »
Pierre Verdier
(Membre du Conseil supérieur de l'adoption en
France)
Sommaire
? Avant-propos
7
? Introduction
10
PREMIERE PARTIE : CONTEXTE DE LA
RECHERCHE
13
I. L'adoption depuis
l'Antiquité
14
II. L'adoption au
Québec
16
1. L'ADOPTION AU QUÉBEC, ÉTAT
DES LIEUX AU NIVEAU STATISTIQUE ET JURIDIQUE
18
A. L'adoption
québécoise en statistiques
18
B. L'adoption
québécoise au niveau juridique
23
? Chronologie exhaustive des lois
sur l'adoption au Québec
24
2. LE SYSTÈME D'ADOPTION AU
QUÉBEC
25
A. Les démarches
25
B. Les différents types
d'adoption
26
C. Typologie des parents
québécois adoptants
27
3. L'ADOPTION, UN MODE DE FILIATION
28
A. Evolution de la famille
29
B. La famille contemporaine
32
E. L'adolescent et sa
famille
34
? L'adolescence d'un point de vue
sociologique
34
? L'adolescence, une passage entre enfance
et âge adulte (vu par Françoise Dolto)
37
? Le lien entre abandon et adolescence
39
? L'adoption du point de vue de l'enfant
adopté
40
? L'adolescence à risque
41
? Le suicide des jeunes aux
Québec
42
? L'adoption, une longue histoire entre
l'enfant et ses parents adoptifs
44
4. L'INTÉGRATION DE L'ENFANT
ADOPTÉ
46
A. L'intégration, une notion
sociologique
46
? L'intégration et l'identité,
deux notions liées dans une adoption.
46
? Etre un adolescent d'origine
étrangère, un handicap à l'intégration
sociale ?
48
B. Emile Durkheim et
l'intégration de l'individu en société
48
C. La notion
d'identité
51
? L'identité, une notion importante
pour l'adopté
51
? Qu'en est-il chez les ados
adoptés ?
51
? L'identité physique
54
? Les questionnements de l'adolescent
adopté
54
? Les inquiétudes biologiques
54
? Aspect psychosocial
55
? L'identité raciale
56
? L'identité raciale chez
l'adolescent adopté
56
? L'abandon
57
? L'abandon
57
? Identité et interactionnisme
58
? Les adoptés ne sont pas
des migrants ordinaires
60
DEUXIEME PARTIE : TERRAIN, ENQUETE ET
RESULTATS
62
1. LES HYPOTHÈSES
63
? Explications
65
2. LA MÉTHODOLOGIE ET LE TERRAIN DU
MÉMOIRE, VÉRIFICATION DES HYPOTHÈSES
66
? Choix de l'outil
66
? Terrain
67
? Typologie personnes
interrogées
68
? Grille d'entretien
69
3. ANALYSE DES ENTRETIENS
71
I. L'adolescent et son
environnement familial
72
A. La famille adoptive de
l'adolescent
72
B. Le milieu social des
adolescents
76
C. Les parents et l'adoption (sujet
tabou ou sujet comme les autres ?)
78
? L'attachement
81
II. L'adolescent
adopté, l'intégration et son environnement social
83
A. Les activités des
adolescents
83
B. La participation aux services ou
aux associations de post-adoption et milieux de l'adoption
85
III. L'identité de
l'adolescent adopté
90
A. L'adolescence, une
période de passage avec des questions en plus
90
B. Questionnements des
adolescents
94
III. Quels sont les liens entre
adoption, culture, identité et pays d'origine sur
l'intégration de l'adolescent adopté ?
98
A. Vision de l'adoption par les
adolescents
98
B.
« Gérer » l'idée d'abandon
103
IV. Etre adolescent au
Québec et venir d'ailleurs (rapport avec le pays d'origine)
105
A. Recherche des origines, envie de
retrouvailles
108
B. Retrouver ses parents
biologiques, une aventure pour l'adolescent adopté
112
C. La difficulté de la
recherche d'antécédents en adoption internationale
117
V. Identité et culture,
liées toute durant la vie de l'adolescent
121
A. Identité
assimilatrice
123
B. L'identité
biculturelle
124
C. L'identité
internationale
126
VI. L'intégration des
adolescents dans la société québécoise
129
VII. Vision de la vue
future
134
? Bilans et projets futurs des
adolescents
134
CONCLUSION GÉNÉRALE DU
MÉMOIRE
138
TROISIÈME PARTIE : LES ANNEXES DU
DOSSIER
144
A. Bibliographie
145
B. Guide des entretiens
147
? La recherche des origines
151
C. Organismes et associations
contactés pour ce mémoire
153
? Organismes agréés
et association d'adoptions au Québec (avec pays d'adoption
principal)
153
D. Typologie des entretiens à
Montréal
158
E. Entretien type
159
F. Liste des thèmes du
mémoire
172
G. Thème spécifique
classé
173
H. Poème d'Afrique Noire sur la
tolérance (thème cher à l'adopté)
178
Remerciements
Mes remerciements vont tout d'abord aux familles, et plus
particulièrement aux adolescents qui ont accepté de participer
à ces entretiens avec moi. Sans eux, ce mémoire n'aurait pas vu
le jour, je les remercie donc de leur collaboration et de leurs
témoignages. L'adoption leur a donné cette large ouverture
d'esprit qu'ils n'ont pas hésité à me faire partager leur
vécu, afin de faire comprendre ce qu'est l'adoption à
l'adolescence.
Je remercie mon directeur de mémoire, Monsieur BEYNIER,
qui m'a soutenue durant cette année de recherche, et qui malgré
la distance entre Caen et Montréal, a su me guider et me conseiller pour
ce mémoire.
Je remercie les différents centres sociaux de
Montréal qui ont pu m'aider à rencontrer des adolescents
adoptés, et entrer en contact avec des associations d'adoptions, des
organismes et groupes de discussion post-adoption sur Montréal.
Je remercie également Madame G. Professeure à
l'Université du Québec à Montréal, qui m'a permis
de suivre son cours sans y être inscrite, par pure gentillesse et passion
pour l'adoption. J'ai pu, par ce cours, avoir des contacts de familles et
d'adolescents adoptés et mener à bien ma recherche.
· Avant-propos
L'enfance et l'adolescence sont les premières
étapes de la vie. Elles façonnent l'individu. En particulier,
l'adolescence est une étape sociale importante, marquant le passage de
l'enfance à l'âge adulte. En sociologie, l'âge est un
critère d'identification sociale, donc capital pour l'intégration
au sein même de la société. La notion d'adolescence est
assez complexe finalement dans nos sociétés occidentales.
L'adolescent entre dans une période où il va vouloir créer
sa propre identité, avec ses valeurs personnelles, en accord ou non avec
celles de ses parents. L'adolescence est bien souvent une période
où l'on se cherche une identité, où l'on façonne
son caractère.
Ce mémoire aura pour thème central l'adoption,
plus particulièrement, nous allons nous intéresser au vécu
des adolescents qui ont été adoptés. On peut aborder ce
thème sous différents aspects, sociologiques, psychologiques, ou
même juridiques. L'arrivée d'un enfant, quel qu'il soit,
bouleverse la vie familiale. L'adoption en elle-même et la post-adoption
sont des épreuves pour les parents, les enfants adoptés, et pour
le noyau familial tout entier.
Plus particulièrement, nous allons donc nous
intéresser à la façon dont les adolescents adoptés,
d'origines étrangères, vivent leur adoption et leur
intégration, cela au travers des notions d'identité, des
processus d'intégration familiale et sociale.
L'adoption est un mode de constitution de famille, de
filiation. Ce n'est pas le plus répandu mais, nous connaissons tous
quelqu'un qui a été adopté ou bien qui a adopté.
Cependant, ce n'est pas pour autant que nous comprenons comment cela est
vécu, par les parents adoptifs, comme par les enfants adoptés.
De plus, derrière l'adoption, est sous-entendue la
notion d'abandon, qui est un peut-être encore
« tabou » dans la société aujourd'hui. Cela
rend ce travail d'autant plus intéressant. Car la sociologie est une
science de la société. Emile Durkheim définissait la
sociologie comme « le système des sciences
sociologiques ». C'est une matière utile pour la
société, car elle sert à comprendre les mécanismes
et les processus des phénomènes sociaux, à les expliquer.
C'est ce que nous chercherons à faire pour ce thème de
l'adoption, croisant les notions de famille, d'adolescence,
d'intégration et d'identité.
Le thème de l'adoption peut être
étudié à travers diverses disciplines, la sociologie,
l'histoire, la psychologie, mais aussi la biologie. Pour ce mémoire,
nous nous intéresserons plutôt aux disciplines sociologiques et
psychologiques.
Nous aurons pour objectif d'observer comment ces adolescents
parviennent à vivre cette étape importante de la vie, à
travers différents facteurs comme l'intégration par le milieu
familial, par la vie sociale. Par quels processus et de quelle(s)
manière(s) l'adolescent vit-il son adoption ?
L'adoption est un sujet intéressant car il confronte
beaucoup de notions sociologiques et humaines comme le désir d'enfant,
la parentalité, l'amour, la filiation, l'intégration sociale,
l'identité sociale et culturelle.
J'ai donc choisi de travailler sur l'adoption, et plus
précisément sur l'intégration des adolescents
adoptés pour des raisons familiales. Ayant moi-même un cousin et
une cousine adoptés traversant la période de l'adolescence, je
m'intéresse particulièrement à ce sujet. J'ai pu remarquer
que l'adolescence, en particulier en tant qu'enfant adopté, peut poser
quelques questions et difficultés. J'ai donc eu le désir
d'approfondir le sujet sous les angles d'approches sociologiques et
psychologiques. Cette envie de comprendre s'est transformé en un but qui
est ici de comprendre les processus que ces adolescents mettent en place pour
« faire face » et gérer leur situation
d'adopté, afin de s'intégrer dans leur famille et dans
leur milieu social.
Je suis partie une année scolaire étudier au
Québec, à Montréal, à l'Université de
Montréal, en Maîtrise de Travail Social. Cette année
d'étude m'a permis de suivre un cours sur l'adoption internationale
à l'Université du Québec à Montréal,
donné par la Présidente de l'association FPAQ
(Fédération des Parents Adoptifs du Québec), une
association de parents adoptifs. Madame G. m'a ainsi mise en contact avec des
adolescents d'origine étrangère ayant été
adoptés et souhaitant témoigner.
J'ai donc effectué quatorze entretiens à
Montréal avec des jeunes entre quatorze et vingt et un ans, de diverses
origines, ayant été adoptés entre les âges de
quatorze jours et cinq ans. J'ai pu parler avec ces jeunes venant de divers
horizons comme le Guatemala, le Vietnam, la Corée du Sud,
Polynésie, Haïti, le Bengladesh, la Russie, la Chine etc. Ces
entretiens furent très instructifs et m'ont réellement appris ce
qu'était l'adoption et plus particulièrement ce que l'on
ressentait quand on était adopté. La partie analytique du
mémoire va nous permettre de découvrir les sentiments
vécus et les stratégies d'intégration de ces adolescents.
· Introduction
L'adoption, c'est l'arrivée dans une famille d'un
enfant ou d'un adolescent sans lien de consanguinité avec ses parents
adoptifs. Faire entrer un enfant dans une famille est, nous en conviendrons,
une aventure humaine, mais c'est aussi un phénomène sociologique.
L'adoption, c'est donner une famille à un enfant qui n'en a pas1(*), dans « le respect de
cet enfant, de ses parents naturels et de ses parents adoptifs ».
L'adopté prend sa place alors dans la société d'accueil et
dans le milieu social dans lequel il est amené à vivre.
L'adoption est un phénomène humain avec ses bons et moins bons
moments, c'est tout un processus qui se met en place.
L'adoption c'est « transplanter » un
enfant de son milieu originel où il sera différent de la
majorité et coupé de ses racines culturelles. N'est-ce pas
l'exposer plus tard à des problèmes d'identité que ne
saurait compenser le bien-être matériel ainsi obtenu ? C'est
à cet aspect du devenir des enfants de l'adoption internationale que
nous nous intéressons.
L'objectif de ce travail est de comprendre les
conséquences de l'adoption internationale sur les adolescents, sous
l'angle de trois dimensions clés de l'identité adoptive : celle
du développement de l'enfant; celle de ses liens de filiation et de son
appartenance familiale; celle de son insertion sociale au sens large.
Nous sommes bien conscient qu'il existe aujourd'hui plusieurs
types de famille (monoparentales, recomposées, homoparentales), et
l'adoption est un de ce type de famille. Le but n'est pas de montrer ici qu'une
famille adoptive a plus de difficultés qu'une autre, car chaque famille
peut connaître des problèmes. Il s'agit juste de
s'intéresser au facteur de l'adoption dans une famille, du point de vue
de l'adolescence.
Afin de comprendre l'adaptation et l'intégration des
jeunes de l'adoption internationale, nous allons, par les entretiens, explorer
la variété des stratégies identitaires d'adolescents de
l'adoption internationale
Nous nous intéresserons donc à l'adoption, au
processus même de l'adoption, puis à la manière dont cela
est vécu par des adolescents, et plus particulièrement les
adolescents d'origines étrangères. Aujourd'hui, à travers
l'évolution des différents modèles familiaux, et celle de
notre société, comment l'adolescent vit-il son adoption ?
Quels sont ses repères et comment les acquiert-il ?
La question « fil rouge » de notre projet
de mémoire est la suivante : de quelle(s) manière(s)
l'adolescent adopté d'origine étrangère s'intègre
t-il dans son milieu familial et dans son milieu social en
général ?
Quels sont les processus d'intégration, de
création de l'identité, dans le cadre d'une adoption
internationale au Québec ?
Pour répondre à cette problématique, nous
allons aborder différentes notions économiques, sociales et
psychologiques.
Avant tout, nous dresserons un état des lieux de
l'adoption au Québec. Quels sont les différents types
d'adoption ? Quelles lois la régissent ? Par quelles
étapes les adoptants québécois doivent-ils
passer ?
L'adoption est un mode de filiation, de création d'un
lien familial entre des individus, nous verrons donc, à travers
l'évolution de la famille, en quoi celle-ci a une influence sur
l'enfant, sur son intégration à son milieu. Nous pourrons aussi
nous demander s'il y a une culture familiale, et si celle-ci est importante
pour l'adolescent, notamment grâce aux données sur les profils
socio-économiques des adoptants québécois.
Le contexte politique et économique mondial a aussi une
influence dans l'adoption internationale québécoise, quelle est
la situation et quels sont les enjeux ?
L'adoption est comme nous l'avons dit un mode de filiation. Un
couple (le plus souvent) devient la famille d'un enfant qui n'a pas de lien de
sang avec les adoptants. C'est une procédure légale qui
crée de la parenté, qui crée un lien familial. La notion
de famille va donc être intéressante à étudier dans
ce contexte. Une famille qui a adopté a-t-elle plus de problèmes
qu'une famille « traditionnelle » ?
Nous allons donc parler de la famille contemporaine et de
l'influence que cela peut avoir sur l'adoption, et en particulier sur les
individus adoptés. Sachant que l'évolution de la famille au
Québec a été la même en France (augmentation des
divorces, des familles monoparentales, des familles homoparentales), nous ne
serons pas déstabilisés pour interpréter et comprendre les
résultats de l'enquête.
L'adolescence est aussi une des notions clés de ce
mémoire, nous essaierons donc de définir l'adolescence d'un point
de vue sociologique, son sens, et l'influence de cette étape dans une
intégration sociale. Pour cela, nous pourrons nous appuyer sur les
travaux de Françoise Dolto et de Patrick Delaroche. Comment se combinent
les notions d'adoption et d'adolescence ?
L'identité et l'intégration sociale sont des
processus qui démarrent dès l'enfance et prennent leur importance
à l'adolescence, d'où l'intérêt d'étudier
l'adoption à cette période de la vie de l'individu
L'objet de cette recherche est de découvrir quels sont
les facteurs de l'intégration familiale et sociale d'un adolescent
adopté, il va donc être utile de définir
l'intégration d'un individu dans une société, ses
étapes. Qu'est-ce que l'intégration en sociologie ? A
propos de la notion de l'intégration et de l'identité, nous
pourrons voir quel est le point de vue du sociologue Emile Durkheim ?
Aujourd'hui, le fait d'être une personne adoptée
et d'origine étrangère, est-il un
« handicap » à l'intégration ? C'est une
question que nous nous poserons dans le cadre de ce mémoire. De plus
nous pourrons nous demander ce que le gouvernement fait pour
l'intégration des ces personnes, et si c'est une volonté de les
intégrer à la société québécoise.
Nous développerons la notion importante de l'intégration
(familiale et sociale). Par quels processus l'individu adopté vit-il son
intégration dans sa famille, puis dans sa société
d'accueil ? Aussi, nous nous demanderons si le profil
socio-économique a une influence sur cette intégration des
jeunes. Mais nous développerons cela dans la partie
hypothèses du mémoire.
L'adolescence peut être une étape sociale
« difficile », que l'on ait des parents biologiques ou des
parents adoptifs. On peut donc se demander si l'intégration et la
création d'identité sont plus difficiles à l'adolescence
lorsque l'on est adopté ? Françoise Dolto a travaillé
sur l'adolescence, nous pourrons nous inspirer de son travail pour ce
mémoire sur l'adoption.
Une autre partie consistera à récapituler les
différentes hypothèses que nous émettrons dans ce
mémoire, et à les expliquer. Enfin nous terminerons par la
méthodologie du mémoire, l'application sur un terrain, la
vérification des hypothèses par le biais des entretiens avec de
jeunes adoptés québécois.
Première partie : Contexte de la recherche, l'adoption internationale
au Québec, l'intégration des adolescents adoptés
I. L'adoption depuis l'Antiquité
Il peut être utile de rappeler le contexte historique de
l'adoption pour bien comprendre ce phénomène.
Dès l'Antiquité, l'adoption est un
phénomène courant. Mais même si les lois régissant
l'adoption restent longtemps floues, une constante est
présente durant cette période : la primauté de
la puissance paternelle (pater familias romain). Les pères
avaient une forte influence sur leur famille. De plus, à cette
époque, ils étaient, à priori, supposés être
dépourvus de sentiments pour leurs enfants. Cependant c'est quelque
chose que nous pouvons remettre en cause.
L'adoption n'est donc pas un phénomène
récent2(*). Elle
existe depuis l'Antiquité gréco-romaine, et était un
thème récurrent des récits mythologiques et
historiques.
C'était une réponse à l'abandon des
enfants, qui était une manière tout à fait légale
de se « débarrasser » des enfants en trop.3(*) En effet, seuls ceux que les
parents désiraient élever étaient pris à la
naissance dans les bras du père de famille.
A la même époque, à Rome, deux conditions
étaient nécessaires pour adopter. Il fallait être citoyen
romain et avoir prouvé son aptitude à engendrer. Cependant, il
n'était pas obligatoire d'être marié. L'adoption servait
à maintenir un nom, une lignée qui risquait de
s'éteindre.
L'adoption était surtout réservée
à l'élite romaine, c'est-à-dire les citoyens. Jules
César adopta un fils, Octave, qui devient plus tard le
célèbre Auguste.
La Grèce antique adoptait aussi. Mais cela concernait
surtout les enfants « garçons », pour pallier
à l'absence d'un héritier dans une famille, et donc l'assurance
de la descendance, de la continuité du nom, de la transmission du
patrimoine. De plus, une moindre importance était accordée
à la consanguinité dans la filiation par rapport à
l'adoption. En effet, un père pouvait refuser son enfant biologique s'il
ne le reconnaissait pas, et au contraire, reconnaître un enfant qui
n'était pas de lui. Il n'était pas rare de voir un père de
famille accueillir un cousin ou un autre enfant dans son foyer. En
Grèce, l'adoption est surtout un moyen d'acquérir du pouvoir pour
une famille, pour les garçons seulement. La notion d'affection n'est
donc que rarement présente dans les adoptions antiques grecques.
La pratique de l'abandon a aussi perduré pendant toute
la période du Moyen Age. Certains enfants étaient
abandonnés dans des lieux publics (Eglise, écoles), où il
leur était donné une chance d'être sauvé.
Différentes institutions se mettent en place ici et là pour venir
en aide à ces enfants. A Paris, à cette époque, il y a eu
la construction de l'hôpital des Enfants trouvés par exemple.
Durant le haut Moyen Age, à peine un enfant
abandonné sur trois survit. Ils étaient considérés
comme inférieurs aux autres, qualifiés d'enfants
« bâtards ». Il était extrêmement
difficile pour un enfant adopté d'avoir une vie convenable et sans
danger.
Ils étaient abandonnés pour différentes
raisons. Ces enfants étaient souvent socialement
« inacceptables ». En effet, une mère abandonnait
son enfant lorsqu'elle sentait qu'elle avait engendré un enfant de
« la honte ». Au Moyen Age existaient les adoptions
d'honneur, qui étaient purement honorifiques et ne créaient pas
de lien familial4(*).
Toujours à cette période, l'adoption sert
à maintenir le nom de famille, une lignée prête à
s'éteindre, en cas d'absence « d'héritier
mâle ». Le droit qui s'appliquait était assez flou. Les
adoptants se désignaient eux-mêmes, en fonction des occasions, des
intérêts de chacun.
Cependant, à partir du XVIe siècle, un
règlement est appliqué, notamment grâce à
l'initiative des hôpitaux qui recueillent les orphelins et les enfants
abandonnés.
Depuis 1923, l'adoption est autorisée en France.
Cependant pour ce mémoire, nous étudierons le cas de l'adoption
au Québec.
II. L'adoption au Québec
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il est bon de faire un
point sur l'adoption au Québec.
Nous nous intéresserons uniquement à l'adoption
internationale, et non à l'adoption interne (au Québec). Combien
d'enfants sont-ils adoptés par an au Québec ? Quand
l'adoption a-t-elle été protégée par une loi ?
Autant de questions qui vont nous permettrent d'implanter les bases de ce
sujet, afin de chercher les processus qui font ou non l'intégration
familiale et sociale d'une personne adoptée, à l'adolescence.
Certaines informations que je donne dans ce mémoire me
sont venues du cours sur l'Adoption Internationale que j'ai suivi cette
année à l'UQAM (Université du Québec à
Montréal).
Les débuts de l'histoire de l'adoption au Canada ont
les mêmes origines que celles de la France, puisque le Québec et
le Canada, ou la « Nouvelle-France » ont été
découverts en 1534 par l'explorateur Jacques Cartier. Cependant, nous
nous intéresserons à l'adoption québécoise plus
précisément. C'est à partir du XVIIe
siècle que nous pourrons noter quelques différences entre la
France et le Québec au niveau du traitement que l'on accordait aux
enfants abandonnés et à l'adoption
Au XVIIe siècle, le taux de naissances
illégitimes est alors faible. Il faut savoir que, comme en France
à la même époque, les pressions sociales émanant de
la famille, de l'Eglise étaient fortes. Par exemple, dans les campagnes,
les enfants abandonnés grandissaient dans les familles dîtes
élargies, comme les oncles et tantes, les cousins. C'était une
société communautaire qui gardait et prenait soin des enfants
abandonnés. Abandonner son enfant était vu comme un
« pêché », une honte. Mais cela a-t-il
vraiment disparu aujourd'hui ?
Entre 1850 et 1900, l'industrialisation continue, et
s'accompagne d'un exode rural. Les populations des campagnes migrent vers les
grandes villes, comme celle de Montréal. Ces villes deviennent vite
surpeuplées et les gens vivent dans des conditions insalubres. Beaucoup
d'enfants sont donc envoyés dans les campagnes, ou dans des orphelinats,
où l'on pense qu'ils auront un meilleur cadre de vie. Certains enfants
ont souvent été abandonnés dans ce contexte de
pauvreté.
En 1860, il y avait alors douze orphelinats dans la seule
ville de Montréal. Ce qui peut nous montrer à quel point il y
avait un sérieux besoin pour les enfants abandonnés. Ces
orphelinats ouvraient leurs portes à des enfants retirés de
familles qualifiées « d'immorales » (problèmes
d'alcool, de violence). Ces enfants étaient placés de
manière temporaire, le temps que la famille, ou les parents
règlent leur problèmes.5(*) C'était, si on peut dire, les anciennes
familles d'accueil que nous avons actuellement en France.
Au XXe siècle, les abandons ont souvent pour
cause la pauvreté criante des populations urbaines surtout. Entre 1930
et 1950, les organismes religieux s'occupent de ces enfants, et créent
des orphelinats. Les « tours » (fenêtre située
à l'entrée des Eglises, permettant d'y déposer un enfant)
reviennent.
La société québécoise
d'après-guerre est toujours plus ou moins patriarcale. L'influence
catholique, même en ayant un peu moins d'influence qu'au XIXe
siècle, est assez présente. Lorsqu'une femme seule a un enfant,
elle est jugée socialement, on la traite de prostituée par
exemple. L'acceptation sociale de la monoparentalité n'existait pas
vraiment. Les femmes surtout étaient soumises aux préjugés
et à l'intolérance de l'époque.
C'est en 1924 que la première loi sur l'adoption fait
son apparition au Québec. L'adoption devient alors un mode de filiation
reconnu, un autre moyen de constituer une famille. L'enfant prend alors le nom
de ses parents adoptifs.
Dans les années 1940, les premiers travailleurs sociaux
apparaissent, ainsi que les familles d'accueil. On se préoccupe du
bien-être et du développement de l'enfant.
Les crèches sont des orphelinats pour les enfants entre
zéro et six ans et les orphelinats pour les enfants entre sept et dix
huit ans. En 1960, il y a alors seize crèches et cinquante trois
orphelinats au Québec. Celles-ci sont débordées et ont
beaucoup plus d'enfants que la capacité autorisée.
Les années 1970 voient l'apparition de la baisse de
l'influence de l'Eglise, de l'augmentation de l'indépendance de la
femme, de la création des plannings familiaux. Les moyens de
contraception, le féminisme, la hausse du travail des femmes, de la
monoparentalité favorisent une prise de conscience et donc une baisse du
nombre d'abandons.
1. L'adoption au Québec, état
des lieux au niveau statistique et juridique
A. L'adoption québécoise en
statistiques
Au Québec, il y différents types d'adoption,
tout comme en France. Il y a les adoptions internes et les adoptions
internationales, c'est-à-dire hors Québec. Les adoptions
internationales sont les plus nombreuses, en particulier avec la Chine. Il y a
75 000 adoptions dans le monde chaque année. Le Québec
adopte lui environ 800 enfants par an, pour spet millions d'habitants. Pour
comparaison, la France adopte 3000 enfants par an et les Etats-Unis 10 000.
Beaucoup des adoptions internationales
québécoises se font avec la Chine. Les petites filles chinoises
en particulier sont adoptées en grand nombre, de part la politique de
l'enfant unique en République Populaire de Chine.
Mais il faut savoir qu'en 1992, la Chine ferma temporairement
son système d'adoption à l'étranger avec le Québec
car les Chinois n'étaient pas reconnus canadiens aussi vite que les
autres étrangers. Le contexte politique peut donc avoir une influence
dans le domaine de l'adoption internationale.
Aussi, les pays du Nord sont ceux qui adoptent le plus, comme
le Danemark, la Suède, le Québec.
Avant les années 1990, l'adoption au Québec se
faisait par le biais des réseaux privés (les réseaux
d'amitié, de travail, les avocats, etc.). Aujourd'hui 90% des adoptions
se font par des organismes agréés.
Le Secrétariat à l'Adoption Internationale (SAI)
du Québec a édité en 2000 un portrait statistique des
adoptions internationales au Québec. Ce portrait concerne les adoptions
par organismes agrées, les types de couples qui adoptent, les pays
d'origine des enfants, etc. Le graphique ci-contre nous montre le nombre
d'enfants adoptés par le biais d'organismes agrées au
Québec en 2000. Les analyses statistiques ici sont basées sur les
données recueillies par le SAI au moment où il émet la
lettre de non-opposition à l'adoption d'un enfant. Cette lettre comprend
des renseignements généraux sur les adoptants et les enfants
adoptés. Le SAI est la source de donnée à la plus
complète et la plus fiable actuellement au Québec pour la
réalisation d'un portrait statistique. C'est pourquoi nous avons choisi
de nous intéresser aux données fournies par le SAI.
Nous voyons bien ici que de nombreuses adoptions se font par
organismes agrées. Sur 697 adoptions en 2000 au Québec, 600 on
été effectuées par le biais d'un organisme agrée.
Les pays de provenance des enfants sont assez divers. Mais on
constate que beaucoup viennent de la République Populaire de Chine,
compte tenu du contexte actuel.
La majorité des enfants adoptés sont des filles,
surtout dans le cas des adoptions en Chine. Par contre, pour les adoptions en
Roumanie, Russie, Mexique, Thaïlande, et Philippines, ce sont plutôt
des garçons qui sont adoptés. La moyenne d'âge de ces
enfants adoptés est aux alentours de 23,5 mois.
Voyons à présent rapidement la typologie des
parents adoptants au Québec.
L'âge moyen des parents qui adoptent est de 38,9 ans
pour les hommes et de 37,5 ans pour les femmes. Il peut y avoir des adoptants
célibataires, mais ce sont surtout des couples qui adoptent.
C'est dans la région du grand Montréal
(Montréal centre, Montérégie, Laval) que l'on adopte le
plus. Car cela regroupe 46,4% des adoptions québécoises. La
région de la ville de Québec adopte aussi. En effet, 11% des
adoptions québécoises internationales proviennent de cette
région.
Le Secrétariat d'Adoption Internationale gère
les acceptations des dossiers de parents demandant à adopter. Si le
dossier est en accord avec une possible adoption, le SAI émet aux
parents une « lettre de non-opposition » permettant de
continuer le processus d'adoption avec les différents organismes. Les
graphiques ci-dessous montrent le nombre de lettres de non-opposition selon les
principaux pays d'origine des enfants adoptés au Québec, en 2001,
2002 et 2003.
Nombres de lettres de non-opposition émises par le SAI
selon les cinq principaux pays d'origine en 2001
Total annuel d'adoptions internationales au
Québec : 745
Nombres de lettres de non-opposition du SAI en 2002
Total annuel d'adoptions internationales au
Québec : 817
Nombres de lettres de non-opposition des principaux pays
d'origine des adoptions internationales du SAI en 2003
Total annuel d'adoptions internationales : 908
De part ces graphiques, on peut constater que les adoptions
internationales québécoises s'effectuent majoritairement avec la
République Populaire de Chine. Comme nous l'avons dit
précédemment, la politique de l'enfant unique en Chine fait qu'il
y a de nombreux abandons d'enfants, et en particulier, de petites filles.
Depuis son ouverture à l'adoption internationale, la
Chine a beaucoup collaboré avec le Québec en adoption
internationale, car les orphelinats sont bondés et ne peuvent subvenir
aux besoins de tous ces enfants abandonnés.
B. L'adoption québécoise au niveau
juridique
Comme pour la France, l'adoption internationale
québécoise est régie par la Convention de la Haye.
Cette convention appuie la protection des enfants et la
coopération en matière d'adoption internationale. Elle a
été signée par 49 Etats, qui adaptent progressivement leur
législation afin de pouvoir la ratifier. De plus, quinze nouveaux Etats
y ont adhéré en 2004.
Le 29 mai 1993, le Canada ratifie donc la Convention
internationale de La Haye, tout comme des pays d'accueil comme l'Allemagne, la
Belgique, les Etats-Unis d'Amérique, la France, le Royaume-Uni, et des
pays. Les pays d'origine des enfants comme le Brésil, la Bulgarie, le
Chili, la Chine, Haïti, l'Inde, le Kenya, le Liban, Madagascar, le
Pérou, la Roumanie, l'Uruguay, le Venezuela, etc.
Cette convention de la Haye prévoit d'instaurer une
autorité centrale agréée, dans le pays d'origine de
l'enfant et dans celui des parents adoptifs.
La convention donne droit à l'enfant à
connaître ses origines. Elle concerne l'adoption des enfants mineurs dans
un autre pays que celui dans lequel ils sont nés. Cette convention vise
à réglementer l'adoption internationale pour garantir que les
adoptions internationales ont lieu dans l'intérêt supérieur
de l'enfant et le respect de ses droits fondamentaux, ainsi que pour
prévenir l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants, ce qui
donne lieu à un contrôle mais aussi à une harmonisation des
procédures. La convention de La Haye ne fait pas référence
à la nationalité des adoptants et des adoptés mais au pays
dans lequel vit l'enfant, le pays d'origine, et au pays qui va l'accueillir, le
pays d'accueil.
La Convention de la Haye est donc un système de
coopération entre les Etats contractants. Elle établit des
garanties dans l'intérêt de l'enfant, et obéit au principe
de subsidiarité. C'est-à-dire que l'adoption internationale ne
doit se faire qu'en dernier recours.
Les pays ce sont accordés pour que tout soit
mis en oeuvre pour qu'un enfant reste dans son pays d'origine, pour son
développement. Aussi, en cas de guerre ou de catastrophe naturelle
(comme le tsunami) dans un pays, il y a un délai de deux ans, durant
lequel aucune adoption n'est faite. Cela permet aux enfants, aux parents
sinistrés d'avoir le temps de retrouver des membres de leur famille.
L'adoption n'est pas toujours la solution pour un enfant. S'il a perdu ses
parents lors d'une catastrophe, il peut être confié à des
membres de sa famille, comme des oncles, des grands-parents.
La convention de la Haye a aussi établit des
interdictions contre le trafic d'enfant, et les abus de toutes sortes.
· Chronologie exhaustive des lois sur
l'adoption au Québec
- 1969 : vote de la première loi sur l'adoption
internationale (apparition de l'évaluation psychosociale du ou des
parent(s) voulant adopter.
- 1974 : loi de l'immigration pour faire entrer des
enfants étrangers au Québec
- Années 1980 : les organismes d'adoption et les
associations de parents commencent à se créer (comme la FPAQ)
- 1982 : créations du Secrétariat à
l'Adoption Internationale, le SAI et des Départements Protection
Jeunesse, les DPJ (notre DDASS française).
- 1987 : la loi 21 oblige les parents à une
évaluation psychosociale et au suivi d'un « cours de
sensibilisation » avant et après l'adoption (à cette
époque, beaucoup de manifestations de parents adoptifs mécontents
ont eu lieu, en effet, ces cours de sont pas dispensés aux parents dits
« naturels »
- 1990 : la République Populaire de Chine ouvre
ses portes à l'adoption internationale. C'est aujourd'hui le premier
pays d'origine des enfants québécois adoptés.
- 1993 : la Conférence de la Haye est
ratifiée par plus de trente pays du monde entier.
2. Le système d'adoption au
Québec
A. Les démarches
Tout d'abord, lorsque un ou des parent(s) veulent
adopter, ils doivent le plus souvent choisir un organisme
québécois agrée en adoption internationale. Cet organisme
prend alors le dossier en charge et aide les parents dans leurs
démarches d'adoption. Les tarifs pour une adoption au Québec sont
assez élevés, ils peuvent varier entre 9 000 et 30 000
dollars (soit entre 6 400 et 21 400 euros), selon le pays d'origine
de l'enfant. Entre la prise de décision d'adopter un enfant et la
naturalisation canadienne de l'enfant, il peut s'écouler entre trois
mois à six ans. Les processus peuvent être très longs,
comme en France. Cela dépend du contexte international, de la
rapidité de l'orphelinat local à faire le passeport de l'enfant,
etc. Il y beaucoup d'abandons de parents en cours de démarches
d'adoption, car c'est un parcours assez long et difficile.
Après cette évaluation, les
résultats (positifs) vont au SAI, puis à l'organisme qui
étudie le dossier.
Le SAI (Secrétariat à l'Adoption Internationale)
gère toutes les adoptions québécoises. Il donne aux
parents la permission ou non pour adopter. Si le dossier est accepté, le
SAI délivre alors une lettre de non-opposition. Les parents peuvent
alors continuer les démarches pour adopter.
Le SAI a différentes missions qui sont les
suivantes :
- coordonner les activités en matière d'adoption
internationale au Québec dans l'intérêt supérieur
des enfants et le respect des droits fondamentaux.
- aider et conseiller les personnes et les familles qui ont le
projet d'adopter un enfant domicilié hors du Québec et s'assurer
de la conformité de leur projet d'adoption (c'est pour cela que
différentes lettres de motivation, d'appui d'amis, de proches, de
notaires sont demandées, ainsi qu'une évaluation
psychosociale).
- recommander au Ministre de la Santé et des Services
Sociaux l'agrément d'organismes s'occupant d'adoption internationale.
- conseiller et soutenir les organismes agréés
et assure une surveillance de leurs activités dans le cadre prescrit par
la loi. Cela est important en vue d'éviter certains abus, de veiller
à ce que l'organisme ne soit pas motivé par le seul et unique
profit.
- veiller à l'application de la législation et
au respect des orientations du Québec et des règles
d'éthique
- élaborer avec les autorités compétentes
des pays étrangers des relations de travail et des accords en
matière d'adoption internationale dans le respect de leur
législation et de leur culture
L'évaluation psychosociale est une autre étape
obligatoire dans une adoption. C'est une évaluation sociale,
psychologique, culturelle et économique de la situation de la personne
ou du couple voulant adopter. Elle peut se faire soit de manière
privée (par un membre de l'Ordre des Travailleurs Sociaux ou l'Ordre des
Psychologues), soit de manière publique par la DPJ.
Cette évaluation a un coût non négligeable
et ne peut être refaite en cas de refus. Le gouvernement
québécois met réellement l'accent sur le bien-être
de l'enfant sur le futur milieu familial dans lequel il va vivre.
B. Les différents types d'adoption
Comme en France, il y a au
Québec l'adoption simple et l'adoption plénière.
L'adoption plénière6(*) donne à
l'adopté et à ses descendants les mêmes droits et
obligations que s'il était un enfant biologique. Cette filiation se
substitue à la filiation d'origine. Pour ce type d'adoption, les parents
adoptants doivent avoir trente ans ou plus et l'enfant doit être
âgé de moins de quinze ans.
L'adoption plénière est irrévocable.
C'est-à-dire que l'enfant adopté est en rupture complète
avec ses parents biologiques. Il devient un enfant entièrement
légitime du ou des parent(s) adoptant. Si l'enfant est adopté par
deux parents, l'autorité parentale est exercée par les deux
parents. Le jugement d'adoption fait alors figure de « nouvel acte de
naissance ».
Dans l'adoption simple7(*), l'adopté garde des liens avec sa famille
d'origine, et ses droits et obligations, notamment ses droits
héréditaires. Il garde de plus les mêmes droits
successoraux qu'un enfant légitime, dans sa famille adoptive. L'adoption
simple peut être révocable quand l'intérêt de
l'enfant l'exige et quand celui-ci le demande. L'adoption simple peut se
réaliser à n'importe quel âge de l'enfant ou adolescent,
néanmoins, celui-ci doit exprimer son accord lorsqu'il atteint ou
dépasse l'âge de quinze ans, et l'accord de ses parents
biologiques s'il est mineur.
Ce type d'adoption est plus rare que l'adoption
plénière et peut entraîner une certaine
« méfiance » du fait de garder des liens avec la
famille biologique. En effet, adopter un enfant par le biais de l'adoption
simple peut parfois créer des problèmes.
C. Typologie des parents québécois
adoptants
Il semble important de dresser une typologie de parents qui
adoptent au Québec. Car cela peut expliquer certains
phénomènes au niveau des jeunes et adolescents adoptés.
Nous allons voir que les couples ou les célibataires qui adoptent
appartiennent en majorité à une certaine classe sociale. Qui
sont-ils ? A quelles classe sociale appartiennent-ils ? Nous tirons
ces chiffres du Secrétariat à l'Adoption Internationale.
Tout d'abord, les personnes qui désirent adopter sont
des personnes qui désirent avoir un enfant, qui désirent donc
fonder une famille, pour se prolonger. Faire un enfant est un acte culturel,
cela diffère selon le pays où l'on se trouve. L'individu
perpétue le modèle familial qu'il a reçu.
La première cause d'adoption est l'infertilité
du couple, soit venant de la femme à 50%, de l'homme à 40%, ou
bien de cause inconnue.
L'infertilité augmente à cause de
différents facteurs, le stress, l'obésité, le tabac, les
modes de vie sédentaires, la pollution, les maladies sexuellement
transmissibles.
Les couples stériles peuvent vivre un sentiment de
honte face à cela, ils se sentent incapable de faire ce que tout le
monde peut faire, un enfant. C'est pourquoi certains couples (ou
célibataires) se dirigent vers l'adoption, ou bien vers la solution des
traitements médicaux, des essais en clinique pour des
fécondations in vitro.
Dans le cas du choix de l'adoption, le couple fait alors le
deuil de l'enfant biologique qu'il n'aura jamais. Ce deuil est indispensable
pour pouvoir évoluer et passer à autre chose.
Les adoptants à l'internationale sont pour 80% d'entre
eux entre 30 et 44 ans. Les femmes ont-elles entre 30 et 39 ans, et les hommes
entre 35 et 44 ans. Cela tient du fait que les couples désirent des
enfants de plus en plus tard, et aussi que les organismes tiennent à ce
que les personnes qui adoptent ne soient pas trop jeunes.
Il y a donc différentes causes pour avoir recours
à l'adoption. Les personnes qui adoptent sont souvent des couples
stériles, des couples homosexuels, des célibataires, des couples
plus âgés (42 ans et plus), des couples d'un deuxième
mariage, des couples avec enfants biologiques. Il a été
constaté que les couples avec enfants biologiques adoptaient plus
facilement des enfants plus vieux (3 ans et plus) ou bien des enfants
handicapés.
Profil socio-économique des
adoptants
43% des adoptants sont des administrateurs, ou des
professeurs. Ils appartiennent à une population relativement instruite
(16 ans de scolarité et plus), ils sont plus au courant des
façons de procéder pour constituer leur dossier, les
démarches à faire, les personnes à contacter. Les services
sociaux leur accordent aussi plus facilement l'autorisation pour adopter.
3. L'adoption, un mode de filiation
L'adoption est un
phénomène qui remet en cause la filiation de l'enfant
adopté. La famille d'adoption devient la famille légitime de cet
enfant. On attend alors de lui qu'il assimile, comme un autre enfant, la
culture, les moeurs de son nouveau milieu. Nous nous intéresserons aux
processus qui se mettent en place pour cela. Mais avant tout, il convient
d'étudier la famille au sens sociologique du terme. Qu'est-ce qu'une
famille aujourd'hui ? Un seul modèle existe-t-il ? Comment la
famille a-t-elle évolué au cours des siècles, en mouvance
avec la société ?
A. Evolution de la famille
On ne peut aborder le thème de l'adoption, sans traiter
de la sociologie de la famille. Cette partie va nous permettre de situer un peu
la famille dans son contexte historique si on peut dire.
Ce travail est nécessaire car l'adolescent
adopté évolue dans un milieu familial, dans un nouveau milieu
d'accueil. Les modèles familiaux ont évolué ces
dernières années. Nous allons donc devoir étudier la
famille au sens sociologique du terme afin de comprendre l'influence de
celle-ci sur les adolescents adoptés. Cet adolescent qui doit faire face
à ses deux cultures, sa culture d'origine, qu'il ne connaît pas
forcément, mais que peut être il aimerai connaître ; et
sa culture d'adoption, la culture de ses parents adoptifs, de son nouveau
milieu familial.
Aussi, la « culture familiale » a-t-elle
une importance sur l'adolescent ? La profession des parents est-elle
importante pour l'intégration de celui-ci dans son milieu
social ?
Nous pourrons utiliser les travaux de Louis Roussel,
démographe spécialiste des évolutions familiales et ceux
de François de Singly, sociologue qui travaille sur la famille
contemporaine. François de Singly nous permet de mieux comprendre les
changements actuels au sein de la famille moderne. Ces études sur la
sociologie de la famille vont nous être utile pour appréhender le
milieu dans lequel vit l'adolescent adopté, la façon dont il peut
évoluer, la façon dont il peut avoir sa place dans le milieu
familial, donc son intégration.
La famille est une institution présente dans toutes les
sociétés humaines8(*). Mais les formes qu'elle revêt, les fonctions
qu'elle remplit et les significations dont elle est porteuse sont variables
dans le temps, et d'une société à l'autre. La famille est
un phénomène essentiellement culturel, et a évolué
au cours des années. Connaître ses évolutions est donc
important si l'on veut étudier l'adoption, à travers
l'adolescence, et donc à travers la famille, de façon plus
générale.
Plusieurs facteurs ont fait que la famille a connu de
nombreuses évolutions tout au long des siècles, pour arriver aux
différentes formes qu'elle revêt aujourd'hui. La famille 9(*), c'est le groupe
parent(s)-enfant(s) unis par des liens multiples et variés pour se
soutenir moralement, matériellement et réciproquement au cours
d'une vie à travers les générations, favorisant ainsi leur
développement social, physique et affectif.
Depuis les années 1960, le modèle familial a
considérablement évolué, et cela au Québec comme en
France. Louis Roussel aborde cette évolution du modèle de la
famille, qui est passée par plusieurs étapes, et a recouvert
différentes formes et fonctions. La famille traditionnelle, jusqu'au
XIXe siècle, était orientée (en France comme au
Québec, assez semblables) vers la reproduction et la transmission d'un
patrimoine biologique, symbolique, et matériel. La famille est une
institution, tout comme, l'école, ou l'Etat par exemple aujourd'hui.
La démographie est aussi une discipline importante
à prendre en compte pour classer, répertorier, les modèles
familiaux. En effet, la famille traditionnelle, au XIXe siècle par
exemple, connaît une forte mortalité infantile, ainsi que de
nombreuses épidémies, famines. Le taux de fécondité
est fort, pour faire face à cette mortalité infantile.
Au XVIIe siècle, ce taux est environ de six ou sept
enfants par femme. La longévité, le contexte politique, les
guerres sont aussi des éléments à prendre en compte pour
analyser la famille. Beaucoup de femmes étaient en effet seules à
la maison, le mari étant décédé en tant que soldat,
ou alors par la maladie.
La famille monoparentale n'est pas un phénomène
récent. Avec les causes que nous avons cité plus haut, il
était fréquent qu'un des deux parents se retrouve seul avec ses
enfants.
Toujours au XIXe siècle, dans les classes sociales
favorisées, comme les classes plus modestes, les familles se devaient
d'avoir des enfants. La parentalité était un moyen de passer de
la jeunesse à l'âge adulte, pour la femme comme pour l'homme, en
ayant un fils de préférence. Avoir des enfants était aussi
un moyen de faire perdurer le nom familial, le patrimoine, l'identité
familiale en quelque sorte.
La notion de transmission, du nom de famille, du patrimoine,
de la culture familiale était très présente. Dans les
sociétés chrétiennes, la foi permettait aussi de faire
perdurer ce lien familial, terme que nous approfondirons plus tard dans ce
dossier.
Durant le siècle dernier, l'enfant acquit une plus
grande place dans la famille, au fur et à mesure que le risque de
mortalité reculait. En effet, la mortalité infantile était
très forte et il était fréquent qu'une femme perde un ou
plusieurs enfants durant sa vie. Donc, plus l'enfant s'éloignait de la
petite enfance, plus on lui accordait de valeur, car le risque de
mortalité se réduisait.
De même, le statut de l'enfant dans la famille
différait selon la classe sociale. Chez les artisans et
commerçants par exemple, la mise en nourrice était courante. La
femme travaillait et aidait son époux dans son entreprise, elle
n'endossait pas en même temps de rôle d'éducatrice. Ainsi
beaucoup d'enfants commencèrent les premières années de
leur vie dans une famille autre, élevés par une nourrice. Les
modèles familiaux différaient donc selon le milieu, la classe
sociale.
La famille fonctionne comme une institution, avec des droits
et devoirs, des rôles respectifs à jouer.
Au fil du temps, la famille s'est modernisé. La
question désormais ne sera plus de "survivre ensemble, mais d'être
heureux ensemble"10(*).
Majoritairement aujourd'hui dans notre société, l'enfant n'est
plus "qu'une bouche à nourrir, ni un petit salarié", il devient
un acteur à part entière dans la famille.
François de Singly a également travaillé
sur la famille, la famille d'aujourd'hui, nous pourrions même dire les
familles d'aujourd'hui, car nous allons voir qu'il existe plusieurs
modèles (en admettant que l'on peut « classer »
une famille dans un modèle).
B. La famille contemporaine
L'objectif de cette seconde partie est de prendre conscience
des changements de la famille d'aujourd'hui et de voir quelles sont les
conséquences de ces évolutions sur l'adolescent adopté,
qui vit dans la famille contemporaine.
Pour cette partie, nous nous demanderons donc quelle peut
être l'influence de la famille sur un adolescent adopté et
d'origine étrangère ?
Grâce aux études de l'INED et de l'INSEE, nous
connaissons aujourd'hui les transformations de la famille depuis les
années 196011(*).
Il y a une véritable « fracture » du modèle
familial unique aujourd'hui, avec l'existence de différents
modèles familiaux. Le nombre de mariages et de remariages a
diminué, et les unions libres (ou cohabitations) augmentent.
Les divorces et séparations sont aussi en augmentation.
Dans les grandes villes par exemples, 2/3 des couples divorcent et 1/3 en
province. Aussi, les familles monoparentales (un ménage composé
d'un parent et d'un ou plusieurs enfants) et les familles recomposées
sont des modèles familiaux de plus en plus courants. Il faut aussi
savoir que le nombre de naissances diminue. Un autre facteur important est
l'entrée des femmes sur le marché du travail dans les
années 1960. Ces mères qui s'intègrent dans le monde du
travail reconnu (car les femmes ont toujours travaillé), et donc des
couples dans lesquels les deux conjoints ont une activité
professionnelle.
Le mariage n'est donc plus l'institution aussi puissante
qu'elle était avant, quand elle marquait le début de la vie
commune et la protégeait. On peut dire que la famille est devenue
fragile, qu'elle est même en crise. Aujourd'hui ce sont les acteurs
sociaux, les conjoints qui décident de se séparer, et non plus
aussi souvent la maladie, la guerre ou la mort. De Singly dit que chaque
individu est de plus en plus en quête de la maîtrise de son destin
individuel. L'individu contemporain est en quête d'autonomie, de gestion
de son destin et l'héritage matériel et symbolique sont des
notions qui n'ont plus l'importance qu'elles avaient.
On peut aussi se demander pourquoi une majorité des
individus se trouvent être en quête d'autonomie
individuelle ?
On a constaté que les individus d'aujourd'hui sont en
quête constante d'individualité, d'autonomie, ce qu'ils pensent
être une liberté de plus. Les acteurs sociaux ont de moins en
moins envie d'endosser des rôles sociaux déjà
établis12(*), comme
par exemple, les rôles des mères, de pères, et de parents
classiques. Ils sont envie de créer de nouveaux rôles sociaux. Il
y a actuellement une dévalorisation des liens de dépendance
vis-à-vis des institutions et des personnes. Le mariage a perdu de sa
valeur dans le sens où il est « perçu comme un moyen
d'enferment dans des rôles déterminés à
l'avance13(*) ».
Le concubinage est donc une solution adoptée par de nombreux individus
afin de pallier à ce besoin d'individualité, à ce besoin
de liberté. C'est une forme d'union plus souple, moins
institutionnalisée que le mariage. C'est donc dans ces nouvelles formes
familiales possibles, entre autres, qu'évoluent certains adolescents
adoptés.
Nous pouvons nous demander dans quelle typologie familiale
grandissent en général les adolescents adoptés ?
Est-ce des couples mariés, des couples en concubinage, des personnes
célibataires ou des familles monoparentales ? La partie analytique
pourra répondre à ces questions, par le biais des entretiens
effectués auprès des jeunes.
Le milieu social peut être un facteur
d'intégration pour l'adolescent adopté. De quels milieux
sociaux proviennent alors les parents adoptants ?
Il a été montré que les couples ou
personnes qui adoptent proviennent souvent de milieux favorisés. Car
l'évaluation psychosociale juge ces couples ou ces personnes sur leur
catégorie sociale. De plus, et cela est regrettable, mais une adoption a
un coût et tout le monde n'a pas « les moyens »
d'adopter (surtout au Canada où une adoption coûte en moyenne
entre 6 000 et 21 000 euros).
On peut émettre l'hypothèse que les adolescents
adoptés provenant des milieux favorisés s'intègrent mieux
et plus rapidement que les catégories professionnelles
« défavorisées ». Nous pourrons
vérifier cela lors dans notre partie analytique.
D. L'adolescent et sa famille
· L'adolescence d'un point de vue sociologique
Avant d'être adolescent, l'individu est enfant. Il est
donc utile de s'intéresser quelque peu à la sociologie de
l'enfance.
Comme nous l'avons vu, l'enfant n'a pas toujours
été considéré comme il l'est aujourd'hui, comme un
individu à part entière. Au fil des siècles, l'idée
de l'enfance (et sa reconnaissance) a évolué.
Le regard que l'on porte sur un enfant varie selon la
société dans laquelle on se trouve. Un enfant n'est pas
considéré de la même façon, au Québec, en
Russie ou au Mali par exemple. Il n'aura en effet pas le même rôle.
Cependant, il est difficile de généraliser, de classer le
comportement d'une société envers ses enfants. Le rôle
social d'un enfant peut aussi varier selon le milieu social dans lequel on se
trouve.
Durant l'Antiquité14(*), l'enfant a une place centrale dans sa famille,
surtout s'il est un garçon. Un enfant y était souhaité et
aimé, car le contrôle des naissances existait déjà
à cette époque. On y fêtait même les anniversaires
des enfants. L'enfant est perçu comme un
« brouillon » de l'homme, qu'il faudra façonner,
éduquer, intégrer au fur et à mesure dans sa cité.
Mais ce n'est pas pour autant que l'enfant avait des droits, et s'il en avait,
ils n'étaient pas toujours respectés. Car comme nous l'avons vu
précédemment, beaucoup d'enfants étaient
abandonnées et les personnes qui les recueillaient pouvaient être
dépourvues de bonnes intentions. L'esclavage des enfants était
répandu.
L'enfant pouvait donc être très bien
considéré, tout comme il pouvait être traité comme
un sous-homme, et être réduit à l'esclavage. En fait, tout
dépendait du milieu social dans lequel se trouvait l'enfant.
La période du Moyen-âge15(*) n'améliorera pas
tellement la situation des enfants. L'enfant est perçu comme
« un passage obligé avant l'âge adulte », et
il n'était pas certain qu'il parvienne à cet âge. La
mortalité infantile étant très élevée
(à cause des maladies, des famines, des guerres), la perte d'un enfant
était répandue. Aussi donc, si on peut dire, la famille
« s'attachait moins » à un nouveau-né,
à un enfant qui pouvait mourir rapidement ; et la naissance d'un
autre le remplaçait aussitôt. L'enfant obtenait un rôle dans
la société médiévale seulement lorsqu'il arrivait
à un certain âge qui le protégeait relativement du risque
de mourir, l'adolescence. Les abandons d'enfants étaient de plus assez
répandus. Les enfants recueillis ne sont souvent pas bien
traités, et beaucoup meurent lors des transports par exemple, car l'on
ne tenait pas forcément compte de leur confort.
C'est au XVe siècle, avec la scolarisation,
que l'on prend conscience de l'enfant en tant qu'individu, mais cela sera
progressif.
Durant le période de la Renaissance, on se
préoccupe de l'éducation, de la santé physique et mentale
de l'enfant, on l'habille. Cela prend tout d'abord essence dans les familles
aisées. Mais, d'un autre côté, les châtiments
corporels sont autorisés à l'école, les faveurs sont plus
souvent faites aux garçons.
Aujourd'hui, au XXIe siècle, le statut de
l'enfant a changé. Une des raisons principale est que le taux de
natalité est en constante baisse, « les enfants se font
rares ». Même l'Etat a pris un rôle dans ses politiques
sociales menées pour l'enfant, par exemple avec les allocations
familiales, les aides sociales. L'enfant a un rôle central aujourd'hui
dans la famille, et même les médias en font une cible de choix.
Attardons nous maintenant à la sociologie de
l'adolescence, afin de comprendre quels sont les processus qui permettent
à l'adolescent adopté de se faire une place dans la
société et de s'intégrer socialement.
Le concept de l'adolescence est né avec la
Révolution, mais émerge véritablement au XIXe
siècle, où il acquiert d'abord ses fondements
médicaux16(*) et
psychologiques. Durant l'Antiquité, les rîtes de passage se
faisaient par l'embrigadement militaire pour les garçons, et par le
mariage pour les filles.
De même que dans les sociétés primitives,
il y avait des processus d'initiation à l'âge adulte. Par exemple,
chez les populations Manus, dans l'archipel de l'Amirauté, le percement
des oreilles était pratiqué.
Dans les sociétés médiévales, les
bachelleries se développent, ce sont des regroupements de jeunes
adolescents étudiants. En 1775, les moins de vingt ans forment 42% de la
population (alors que les plus de 70 ans forment 7% de la population). En 1789,
la Révolution Française est une révolution de la jeunesse,
qui va devenir une menace pour le pouvoir politique au 19e
siècle. Il est donc urgent de retarder le moment où les jeunes
seront indépendants et pourront assumer des responsabilités
politiques et sociales17(*). A la même époque, le
développement des villes voit apparaître le
phénomène des bandes, c'est le début des gangs. Aussi, les
jeunes ouvriers sont les premiers à manifester. Moins biens
payés, formés sur le tas, ils crient à l'injustice.
Alors, l'adolescence, vu comme dangereuse, devient un objet
d'étude pour la médecine, les pédagogues et même les
criminologues se penchent sur ce sujet. Ainsi, en 1900, le quotidien Le
Matin, crée une rubrique où sont relatés tous les
méfaits des jeunes de l'époque. « Le mythe d'une
recrudescence de la délinquance juvénile apparaît18(*) ».
Patrick Delaroche donne une définition précise
de l'adolescence. Pour lui, c'est « une prise de conscience
collective d'un crise psychique déclenchée par l'apparition du
pouvoir sexuel chez l'enfant et la recherche d'une issue hors du cadre
familial ». L'adolescence est un phénomène sociologique
révélant une crise psychologique et accompagnée d'un
manifestation physiologique, la puberté. L'adolescence c'est un passage
du statut d'enfant à celui de jeune adulte. Le jeune fait en quelque
sorte « le deuil » de son enfance.
Si on essaie de théoriser le phénomène,
on peut dire alors que l'adolescence, « c'est une prise de conscience
collective récente de l'existence d'une crise psychique
déclenchée par l'apparition du pouvoir sexuel chez l'enfant et
cherchant une issue hors du cadre familial »19(*). L'adolescence serai donc la
manifestation sociologique d'un phénomène sociologique.
Cette manifestation sociologique se fait-elle de la même
manière pour tous ? L'auteur parle de recherche d'une issue
« hors du cadre familial ». Cette recherche est-elle la
même pour tous, adolescent adopté ou non ? L'adolescent peut
en effet avoir besoin de vérifier sa nouvelle
« indépendance », de mettre à
l'épreuve ce passage de l'état d'enfant à l'état de
jeune adulte.
Nous pouvons ainsi nous demander par quels moyens l'adolescent
adopté commence-t-il à vivre ses expériences hors de sa
famille ?
Aujourd'hui les jeunes sont de plus en plus dépendants
de leurs parents et de plus en plus longtemps, avec notamment l'allongement de
la durée des études ajouté au célibat (le
phénomène « Tanguy »), la difficulté
de trouver un emploi. Ce phénomène peut exacerber les conflits
entre parents et adolescents.
Pour le cas des personnes adoptées, on peut se
demander si elles restent plus longtemps chez leurs parents ou si au contraire
elles aspirent plus vite à faire leur propre vie, indépendamment
et sans leurs parents. En d'autres termes, les adolescents adoptés
ont-ils un plus grand et un plus pressant besoin d'indépendance que les
autres adolescents ?
On parle aussi beaucoup de la « crise
d'adolescence ». Mais sachant qu'elle ne se produit souvent que dans
les sociétés « modernes », quels sont les
facteurs qui créent cette crise de passage ?
Est-ce les sociétés qui sont trop
individualistes, qui accordent trop d'importance à l'enfant, au jeune
qui autrefois était considéré comme « un
brouillon de l'homme » durant l'Antiquité ?
· L'adolescence, une passage entre enfance et âge
adulte (vu par Françoise Dolto)
Le phénomène de l'adoption peut être
compliqué à vivre durant la période de l'adolescence, tant
pour la personne adoptée que pour les parents adoptifs. Le fait de vivre
dans une famille qui n'est pas de « sang » peut être
difficile à vivre socialement, psychologiquement. Même si
heureusement, la plupart des enfants adoptés vivent heureux ;
certains peuvent vivre cela comme un traumatisme. Savoir qui l'on est, savoir
d'où l'on vient, sont des questions récurrentes chez l'enfant
adopté.
La psychanalyste Françoise Dolto a beaucoup
travaillé sur les questions de l'enfance et de l'adolescence. Elle a
d'ailleurs fait sa thèse de médecine sur le thème
« Psychanalyse et pédiatrie ».
Françoise Dolto situe l'adolescence entre treize et
dix-sept ans, même si les limites sont assez floues20(*). C'est un âge
intermédiaire, où tout change. On peut appeler cela une mutation,
un moment de fragilité. Elle compare l'adolescent à un homard
pendant sa mue, sans carapace, devant s'en fabriquer une autre, et en
attendant, confronté à différents
phénomènes. L'adolescence est une période de passage qui
sépare l'enfance à l'âge adulte, elle a pour centre la
puberté. C'est l'époque des changements, d'une part dans la
relation que l'adolescent entretient avec son propre corps qu'il
découvre. A cette période, on fait le deuil son enfance, du
passé.
L'adolescent, de plus quand il est adopté, entre dans
un moment de sa vie nouveau et insécurisé. Toutes sortes de
questions apparaissent. C'est aussi la période de la découverte
de son corps et du corps de l'autre, de l'apprentissage de la
sexualité.
L'adolescence, nous dit Dolto, est aussi un âge fragile,
où certains jeunes peuvent exprimer des difficultés. En effet,
l'adolescent ressent le besoin d'avoir un rôle dans la
société, d'être valorisé, écouté. Mais
ce besoin est-il satisfait chez tous les adolescents ?
Un adolescent adopté peut subir une forme de
stigmatisation, d'étiquetage sur sa situation. Le stigmate est une
marque qui laisse une trace, qui n'est donc pas sans conséquences.
La société a-t-elle un rôle à jouer
dans les politiques sociales envers la jeunesse, en particulier envers les
jeunes adolescents adoptés, pour satisfaire ce besoin de détenir
un rôle dans la vie sociale de son groupe, de son milieu
d'adoption ?
Le lien social peut permettre de redonner confiance,
d'être valorisé, c'est peut-être cela qui permet
l'intégration sociale de l'adolescent adopté.
Y a-t-il des politiques mises en oeuvre dans cet objectif
d'intégration sociale ?
La valorisation et l'accompagnement de ses jeunes à
situation plutôt « sensible » sont importants.
· Le lien entre abandon et adolescence
Le travail de Françoise Dolto a
bouleversé toutes les idées reçues. Elle a
démontré qu'il fallait savoir à quoi on renonçait
pour pouvoir changer de filiation. C'est pourquoi lorsqu'un enfant
reçoit un prénom, il est préférable de bien
réfléchir avant de le lui changer. Il est important de changer en
douceur en laissant le premier prénom figurer sur les papiers. Le
premier prénom est à la place du nom de famille dans la
structuration du psychisme de l'enfant.
L'exploitation de l'amnésie infantile (oubli de tout
ce qui se passe avant 5 ans) consiste à nier l'existence de ces
souvenirs. Or, l'inconscient viendra les lui rappeler. Pour aider un orphelin
à vivre sa destinée au mieux, il faut comprendre qu'il doit
supporter une blessure difficile à cicatriser.
La mère conçoit l'enfant et accouche, mais le
père déclare l'enfant, lui donnant une existence sociale. Or
souvent, dans les cas d'abandon, du père, on ne sait rien ou très
peu. Il est alors important de dire à l'enfant qu'on ne sait rien. Il ne
faut pas confondre secret de famille et secret d'état. Lorsque les
conseils de familles font du secret d'état sous couvert de morale, ils
sont destructeurs. Lorsque la mère fait du secret de famille en cachant
certaines choses, elle crée de la névrose, et c'est moins
dramatique. Comme la place du père est souvent vacante, le rôle du
père adoptif est parfois plus facile. L'adoption est l'une des
rares, grandes et magnifiques aventures encore possible dans notre
société.
Dolto pense qu'il est indispensable de dire à un
nouveau-né d'où il vient. A l'enfant de décider s'il
souhaite encore avoir accès à ses origines ou non. Car en effet,
si le secret sur la naissance est gardé, comment l'adolescent, une fois
devenu adulte, perçoit-il les notions de vérité et de
mensonge ?
Les raisons d'un secret sur une naissance peuvent être
perturbantes pour un adolescent. Dans la plupart des pays, la naissance
établit un lien de filiation entre une mère qui accouche et
l'enfant qu'elle met au monde. Ne pas connaître le déroulement de
sa venue au monde peut-être un handicap tant social que psychologique,
pour l'intégration de l'adolescent. La connaissance ou non de ses
origines est un point que j'ai pu développer lors de mes entretiens avec
les jeunes adoptés. Nous développerons cet aspect plus loin.
· L'adoption du point de vue de l'enfant adopté
Avec la question de l'adoption, survient aussi
inévitablement celle de l'abandon, qui est sous-entendue. En effet, une
adoption n'est permise que si l'enfant a été abandonné par
sa mère ou bien par les deux parents biologiques. Le
secret, l'anonymat sur l'histoire de l'enfant 21(*), de l'adolescent adopté
peut être très perturbante, lors de son développement.
Comme nous l'avons déjà dis, le secret peut
être lourd à porter, pour les parents et pour l'enfant. De
même, il existe toujours des réticences aujourd'hui dans le
système pour révéler aux enfants le contenu de leur
dossier.
La raison du secret peut être perturbantes pour un
adolescent. Après à son tour, comment voit-il la notion du
mensonge et de la vérité si on lui a toujours caché son
adoption ?
Les adoptions nationales et internationales sont de plus en
plus nombreuses depuis une trentaine d'années au Québec, tout
comme en France. Il est donc légitime de prendre en compte le point de
vue de l'enfant adopté. Auparavant, il était conseillé aux
parents adoptifs de ne pas parler de du passé de l'enfant, pour ne pas
les perturber. Cependant, ces conseils ont montré leurs limites dEmmant
les difficultés éprouvées par les enfants, adolescents et
jeunes adultes à vivre leur adoption sereinement. L'adoption est un
autre mode de parenté et de filiation, qui peut engendrer des
questionnements de la part des enfants adoptés, et de plus, si ils sont
d'origine étrangère.
Dans l'ouvrage, L'enfant adopté, comprendre la
blessure primitive, Nancy Newton Verrier fait part de son
expérience de mère adoptive, et de la souffrance qu'a pu
ressentir sa fille. L'auteur a pu comprendre cela grâce à
la relation forte qu'elle avait avec elle. Elle dit avoir dû affronter le
fait qu'elle ne pourra jamais prendre la place de sa mère de naissance,
alors qu'elle et son époux ont adopté leur fille à
l'âge de trois jours seulement. C'est par le dialogue qu'elle a pu
déceler puis comprendre la souffrance de sa fille.
Le lien entre la mère et son enfant ne commence pas
à la naissance mais pendant toute la période post-natale. Durant
la grossesse, une série d'événements physiologiques,
psychologiques et spirituels ont lieu. Si ce lien est interrompu par une
séparation de la mère de naissance, l'enfant garde inconsciemment
une expérience d'abandon et de perte, qui reste toujours. Cet ouvrage
est intéressant car il montre une face souvent
« taboue » de l'adoption, la souffrance de l'enfant
adopté. En plus du rôle éducatif, les parents adoptifs ont
un rôle « psychologique » vis-à-vis de leur
enfant. C'est-à-dire que leur comportement par rapport à
l'adoption, le fait de dévoiler ou non l'histoire de l'enfant, va
être capital pour son développement et ensuite son
intégration sociale.
· L'adolescence à risque
Un trop forte crise d'adolescence peut entraîner un
passage à l'acte. L'adolescent prouve par des actes qu'il peut franchir
les limites, les règles que lui impose la société. Il
convient alors de parler du thème de la prise de risque à
l'adolescence. Est-ce un passage obligé lors de cette transition de
l'enfance à l'âge adulte ? Une trop grande prise de risque
à cette période peut-elle engendrer un problème
d'intégration ?
On peut alors s'interroger : pourquoi l'adolescent
peut-il avoir besoin de cette prise de risque ?
L'adolescence, c'est un moment où se brouillent les
repères du jeune devenant adulte. Notre société
aujourd'hui est de plus une société de consommation. Les
adolescents sont autant consommateurs que la catégorie des 25/60 ans par
exemple22(*). Une
puissante culture adolescente règne, dans tous les domaines. Ce
phénomène peut être un tourbillon pour les jeunes, et leur
intégration.
Ces prises de risques ont pris une grande ampleur ces
dernières années. Voyons à présent quelles peuvent
être les différentes formes de prise de risques pour un
adolescent.
Le taux de suicide chez les adolescents est assez
inquiétant. Par an, il y a environ 50 000 tentatives de suicide en
France, 8 000 adolescents en meurent chaque année. Au
Québec, le taux de suicides des adolescents est de 7,6 à 14,8 par
100 000.
Dans son étude sur le suicide, Emile Durkheim analyse
les différents types de suicides. Pour le sociologue, le taux de suicide
varie selon le degré d'intégration des groupes sociaux dont fait
partie l'individu. L'intégration sociale à l'adolescence est donc
extrêmement important, et est facteur d'identité sociale.
L'intégration au moment de l'adolescence permet de se sentir semblable
aux autres. L'intégration et l'identification sont des facteurs
importants quand on est adopté et que l'on ne ressemble à aucun
membre de sa famille comme tout le monde. L'adolescent adopté a bien
souvent un réel besoin de s'identifier à un groupe de jeunes de
son âge, ou à un groupe de la même ethnie d'origine que lui.
· Le suicide des jeunes aux Québec
L'adolescence est parfois une période à risques.
Attardons nous un peu sur le problème du suicide des jeunes au
Québec. Il y a eu une hausse marquée du taux de suicide au Canada
dans les années 1960 et 1970; bien que ce taux se soit stabilisé
pendant les années 1980, il se situe toujours à un niveau jamais
atteint précédemment. Entre 1960 et 1978, le taux de suicide est
en effet passé de 7,6 à 14,8 pour 100 000 adolescents. Bien
que relativement stable au cours de la dernière décennie, il a
tout de même été environ deux fois plus élevé
que le taux affiché pendant presque toute la période comprise
entre 1921 et 1961 et il est demeuré nettement supérieur aux
sommets précédents observés pendant la Crise des
années 1930. De plus, il est important de noter que le nombre
réel de suicides au Canada est peut-être sous-estimé. En
effet, un décès n'est qualifié de suicide par les
autorités médicales et judiciaires que lorsque l'intention de la
victime est clairement démontrée.
Le gouvernement fédéral s'est penché sur
le problème du suicide en 1980 lorsqu'il a mis sur pied un groupe
d'étude national sur le suicide au Canada, qui a publié son
rapport en 1987. Bien que les statistiques remontent à 1985 et souvent
à des années antérieures, l'étude constitue
l'examen le plus exhaustif du phénomène réalisé
à ce jour au Canada. Le Groupe d'étude a dégagé
sept groupes démographiques à risque élevé.
Même si les hommes âgés de 20 à 24 ans font partie du
groupe dont la hausse du taux de suicide a été la plus
prononcée depuis vingt ans, de nettes augmentations ont
été constatées chez les jeunes de 15 à 19 ans,
là encore surtout chez les garçons. Le Groupe d'étude a
décrit et évalué une gamme de programmes de
prévention, d'intervention et de suivi et formulé quelques
recommandations au sujet non seulement des facteurs suicidogènes mais
aussi des moyens de prévenir les suicides. Le gouvernement
fédéral n'a pas pris de mesures importantes à la suite de
la publication du rapport.
Les autres risques actuels à l'adolescence en
général sont aussi les accidents de la route, qui tue chaque
année une majorité de la catégorie des 15/25 ans23(*). On peut se demander alors
pourquoi les jeunes sont-ils plus touchés par ce problème ?
Il y a à cela différentes raisons, la vitesse, l'alcool, la
drogue.
Les fugues, la violence, l'échec scolaire, la
toxicomanie, l'alcool, les troubles alimentaires sont autant de risques qui se
développent particulièrement chez les jeunes. On peut se demander
si les adolescents adoptés sont plus exposés à ces risques
ou pas.
L'adolescence connaît donc parfois des moments de crises
et cela peut se manifester par ces prises de risques à degrés
divers mais qui peuvent être à terme très dangereuses. La
prise de risque est à l'adolescence un « système
d'alarme » pour le jeune. C'est une façon de dire qu'il ne va
pas bien, qu'il ne se sent pas pleinement intégré, en accord avec
les règles, normes et valeurs que l'on lui propose.
· L'adoption, une longue histoire entre l'enfant et ses
parents adoptifs24(*)
L'auteur Myriam Szejer a dirigé la publication
d'un ouvrage collectif : Le bébé face à
l'abandon, le bébé face à l'adoption. Elle est
attachée à l'hôpital de Clamart auprès des
nourrissons et de leurs parents. Elle est présidente de l'association
« La cause des bébés ». Son travail va nous
permettre de voir les difficultés qu'il peut y avoir entre parents et
enfants adoptés, et les conséquences que cela peut avoir,
à terme.
Myriam Szejer travaille en maternité depuis 1990 et
s'est très vite occupée des accouchements dits « sous
X ». Elle a assisté aux consultations de Françoise
Dolto. Ce qui l'a passionné, c'est la réaction des
bébés nés sous X à qui on racontait leur histoire
pour qu'ils « aillent mieux ». Sa réflexion
personnelle l'a ensuite conduite à tenter de leur parler plus tôt,
dès la naissance. Car il est souvent constaté que les enfants
adoptés à qui l'on parle de leur histoire, de leur adoption, ont
moins de problèmes que les autres, à qui l'on ne dit rien.
C'est là que ses idées sur l'abandon naissent.
En effet, avant l'adoption, il y a un abandon25(*). Aujourd'hui, l'abandon
perdure encore plus ou moins comme un tabou à cacher au maximum.
Pourtant, on sait aujourd'hui que les secrets peuvent créer des
problèmes psychologiques et compromettre l'équilibre d'une
personne. Mais même les adoptions les plus réussies ne parviennent
pas à effacer la trace de l'abandon. Préserver le lien entre la
vie prénatale et la vie postnatale semble donc primordial, selon
l'auteur, car la naissance est une séparation. Des études
indiquent aujourd'hui que les facultés d'apprentissage à
l'adolescence seraient en relation avec l'âge de l'abandon, celui de
l'adoption et avec ce que l'enfant a eu à vivre entre ces deux moments.
C'est dans ce cadre que Myriam Szejer intervient et accompagne
les mères pendant leur grossesse et après. Elle les assiste pour
parler aux enfants. Les assistantes sociales informent les femmes susceptibles
d'abandonner leur enfant de leurs droits. Myriam Szejer a travaillé sur
la question de la transmission de l'histoire et de l'identité ;
pour « qu'accoucher dans le secret, ne soit pas forcément
priver l'enfant de son origine ». Les enfants
« emmagasinent » des choses pendant la grossesse, c'est une
mémoire inconsciente25(*). Une femme qui accouche garde dans son sang des
cellules de l'enfant qu'elle a mis au monde. La séparation n'est donc
jamais complète.
Dans les cas d'abandon, les perceptions postnatales ne sont
pas en accord avec les perceptions prénatales. L'ambiance familiale,
tous les repères disparaissent définitivement. La seule chose
faisant le lien, ce sont les paroles qui peuvent lui être dites. Tous les
individus abandonnés se posent en effet la même question :
pourquoi m'ont-ils abandonnés ? Dès la petite
enfance, les adoptés sont en quête de réponse à
cette question, et elle s'amplifie souvent à l'adolescence. Cette
question est même souvent plus importante que : « qui m'a
abandonné ? ». En fait, tout dépend de ce qui leur
a été dit ou non à l'enfant, à propose de ses
origines.
L'idéal, nous dit M. Szejer, « est de parler
le plus tôt possible avec l'enfant ». Ce qu'il fera
après de cette histoire lui appartient. Certains symptômes
d'enfants malades sont parfois une demande de sens inconsciente de la part de
l'enfant. Alors le seul fait de parler à l'enfant peut déclancher
un soulagement. Mais, il est rare que tous les éléments le
concernant soient dits à l'enfant. On demande parfois inconsciemment aux
adoptés de penser qu'ils sont l'enfant biologique de leur famille
adoptive. Jusqu'à récemment, il était courant de penser
que l'on ne souffrait pas de ce que l'on ne connaissait pas.
4. L'intégration de l'enfant
adopté
A. L'intégration,
une notion sociologique 26(*)
· L'intégration et l'identité, deux notions
liées dans une adoption.
On peut se demander alors, pourquoi s'intéresser
à la notion d'identité dans le domaine de l'adoption ? Quel
rôle a l'identité dans l'intégration d'un individu
adopté ? Dans cette partie nous allons voir combien cette notion
d'identité est fondamentale dans l'adoption.
L'intégration est « le fait de faire
partie de ». C'est un sentiment d'appartenance dans une
société donnée. L'intégration sociale est une
valeur, voire une norme. Mais quand on emploie le terme intégration, on
dit intégration à quoi ?
L'intégration est un terme au sens large qu'il nous
faut repréciser. Tous d'abord, il peut y avoir différentes sortes
d'intégration, sociale, familiale, financière, politique. Pour
cette recherche, nous nous intéresserons à l'intégration
familiale et sociale de l'adolescent.
L'intégration, est comme nous l'avons dit, un sentiment
d'appartenance à un groupe donné. C'est aussi le degré de
participation à la vie d'un groupe, à la façon dont les
autres membres du groupe vous perçoive, au rôle que vous avez.
L'intégration est une notion intimement liée
à l'adoption. En effet, lorsqu'une adoption se passe mal, car il peut y
avoir des adoptions en échec, qu'est-ce que cela veut dire ?
Inconsciemment, cela signifie que l'enfant ou l'adolescent
adopté n'a pas réussi « le travail »
d'intégration à son milieu, qu `il est resté en
dehors et n'est pas parvenu à s'y faire une place. Comme les
adolescents de parents naturels, les adolescents adoptés peuvent
avoir envie de goûter aux risques, aux interdits délimités
par la société ? Dans ce cas, est-ce que
l'intégration a échoué ? Est- pour autant que
l'adolescent ne pourra pas revenir à un comportement dit
« normal », après avoir tenté de tester ses
limites ?
La question de l'intégration de l'adolescent
adopté dans la société permet de découvrir les
rôles de la famille, la société, l'école, et aussi
le milieu associatif, sous toutes ses formes. L'adolescence est un
« rite »27(*) à vivre, mêlé d'un mélange
de contrôle et de liberté. On voudrait montrer que l'on est
capable de se risquer dans la société. L'entourage familial peut
permettre cette intégration.
Le mot intégration s'oppose à celui de
ségrégation, qui est la séparation de droit ou de fait de
personne en raison de leur race, de leur condition sociale ou de leur niveau
d'instruction. La reconnaissance sociale et l'estime de soi sont des
éléments fondamentaux d'une intégration. La
société a certainement un rôle à jouer dans
l'intégration d'un individu.
L'intégration d'un enfant adopté d'origine
étrangère est-elle plus difficile au niveau de
l'intégration que celle d'un enfant adopté d'origine
française ?
L'enfant adopté peut éprouver un sentiment
d'exclusion, de part sa couleur, son prénom à consonance
étrangère par exemple. Nous pouvons nous interroger sur les
facteurs sociaux qui expliquent ce phénomène.
L'intégration est l'opération par laquelle un individu
s'incorpore à un groupe, à un milieu.
La notion d'assimilation est proche et complète celle
d'intégration. Il y a assimilation d'une culture par un individu en
sociologie quand il y a suppression quasi complète de la culture
d'origine et adoption de la culture d'accueil. Le pays d'accueil a alors un
rôle à jouer dans cette intégration, par son comportement
social envers les étrangers.
En fait, nous supposons que l'adolescence est une
période importante pour l'intégration d'un individu. C'est
à ce moment qu'il commence à prendre ses décisions,
à décider en quelles valeurs il croit.
Les entretiens nous permettrons de voir comment ces
adolescents se sentent intégrés ou non dans leur famille et dans
leur société, dans leur pays d'accueil, malgré leur
adoption et ses questionnements, et les origines étrangères.
· Etre un adolescent d'origine étrangère,
un handicap à l'intégration sociale ?
En tant qu'adolescent adopté, on peut ce demander si
celui-ci connaît des difficultés s'incérer dans le milieu
où il se trouve, ou bien s'il y a un décalage avec ses pairs.
De plus, le fait d'être adopté à un très jeune
âge influence-t-il l'intégration de l'adolescent ? Il
est nécessaire d'envisager toutes ces questions pour traiter ce
thème. C'est une hypothèse que nous pourrons essayer de
vérifier ou non, lors des entretiens avec des adolescents.
Certains discours renferment parfois les individus dans des
catégories, dans des classes ou « sous-classes »,
avec des critères d'origine culturelle, sociales ou mêmes
raciales. Certaines personnes peuvent être désignées en
fonction de leur origine, de leur apparence, de leur mode de vie, de leur
religion, de leur nom ou prénom, et cela est souvent fondé sur
l'apparence physique. La question est de savoir si le fait d'être
d'origine étrangère pose des
« difficultés » à l'adolescent
adopté ? Car les discriminations existent et cela dans tous
les domaines et milieux, le logement, le milieu scolaire, le milieu sportif ou
autre.
Les entretiens vont nous permettre de voir si oui on non les
adolescents québécois ont des difficultés à
s'intégrer avec le fait d'avoir des origines
étrangères.
B. Emile Durkheim et l'intégration de
l'individu en société
A travers son ouvrage bien connu Le suicide28(*), Emile Durkheim a
étudié le principe d'intégration des individus en
société.
L'intégration désigne un état du
système social. Les individus d'une société donnée
sont intégrés quand il y a un degré élevé de
cohésion sociale. Tout comme la citoyenneté qui est un sentiment
d'appartenance à une collectivité politique, l'intégration
est un sentiment d'appartenance à une collectivité sociale. Pour
illustrer cela, nous allons pouvoir nous servir des enseignements qu'a
tiré Durkheim de son travail sur le suicide.
Pour le sociologue, le taux de suicide varie plus ou moins
selon le degré d'intégration de l'individu dans le groupe social
dont il fait partie. L'individu peut être relié à
différents groupes sociaux, familiaux, ethniques, religieux,
professionnels...
On distingue souvent deux types d'intégration :
l'intégration culturelle et l'intégration économique.
L'intégration culturelle, c'est lorsque les individus participent
à la vie commune, parlent la langue nationale aussi. Cette
intégration se rapproche de la notion d'assimilation.
L'intégration économique, c'est lorsque l'individu occupe un
travail stable qui lui procure un revenu permettant de bonnes conditions de
vie. Une société peut être repliée sur
elle-même culturellement mais réussir son intégration
économique.
Dans le cas de cette étude sur l'intégration des
adolescents adoptés, on peut ce demander si le fait de connaître
ou d'appartenir à un groupe de personnes ayant la même culture
d'origine que celui-ci l'aide à s'intégrer ? Si cela l'aide
à créer son identité sociale ? A la notion
d'intégration, on oppose celle d'exclusion sociale.
De quelles façons un adolescent
« exclu », non intégré en est-il
arrivé à cette situation ? Quelles sont les étapes de
l'exclusion d'un individu ?
Il y a intégration d'un individu dans un groupe
donné si celui-ci partage les mêmes normes, les mêmes
valeurs et principes, les mêmes comportements. La notion de norme sociale
peut être utile dans le cadre de ce mémoire sur
l'intégration.
Durkheim a travaillé sur la théorie du lien
social. Selon lui, le lien social n'est ni politique (résultat d'un
contrat entre les hommes), ni économique (résultat d'une
nécessité de l'échange), mais moral.
Il est moral dans le sens où ce lien est fondé
sur les règles qui permettent la vie en société. Le lien
social est lié à la norme sociale.
La norme est généralement définie comme
une règle de conduite sanctionnée, une règle qui est de
façon implicite acceptée par tous. L'adolescent adopté
doit-il répondre à la norme sociale de la même façon
que les autres adolescents ? A l'adolescence, comment envisage-t-on et
tient-on compte de cette norme ? Les adolescents adoptés ont-ils
envie de correspondre à cela ?
Si l'on suit le raisonnement et la méthode sociologique
de Durkheim, il faut étudier les faits sociaux comme des choses sans
s'attacher aux motivations individuelles.
Notre objet d'étude sera donc l'adolescent
adopté d'origine étrangère et la recherche
« scientifique » sera quels sont les facteurs de
l'intégration sociale de l'adolescent adopté d'origine
étrangère ?
Un fait social « est une manière d'agir, de
penser et de sentir, extérieurs à l'individu, et qui sont
doués d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à
lui »29(*). Le
fait social présent deux caractéristiques principales,
l'extériorité et la contrainte.
Un fait social est extérieur à l'homme parce
qu'il préexiste à l'individu lorsqu'il naît et perdure
lorsqu'il meurt. Cela s'applique aussi à l'adoption, un enfant
adopté aura ce statut toute sa vie. Aussi, le fait social s'impose
à l'individu comme une contrainte, car le non-respect des règles
de la vie sociale peut entraîner des sanctions de la part de la
société, et qu'au contraire, le respect de ces règles
permet souvent la réussite des actions que l'on entreprend. Mais,
souligne Durkheim, le caractère contraignant du fait social reste
souvent inaperçu car les règles de la vie sociale sont
intériorisées par les individus au cours du processus de
socialisation. Par rapport à l'adoption, on peut se demander si ce
processus de socialisation est le même pour un adolescent adopté
que pour un autre ?
Avec la notion de lien social s'accorde celle de
solidarité. Le lien social étant par nature invisible, son
analyse ne peut passer que par l'étude d'un de ses effets qui lui, serai
visible30(*). Voyons les
deux types de solidarité que Durkheim propose. Chacune d'elle correspond
à deux types de société.
Tout d'abord, la solidarité mécanique est celle
qui caractérise les sociétés traditionnelles. Elle est le
résultat de la similitude des consciences, et se manifeste par un droit
répressif.
La solidarité organique est celle qui
représente les sociétés modernes (ou organisées).
Elle est le résultat de la différenciation des fonctions sociales
qui rend nécessaire la division du travail ; les individus,
autonomes, sont liés les uns aux autres du fait de la
complémentarité des fonctions qu'ils occupent. La
solidarité organique se manifeste par un droit restitutif.
Aujourd'hui, nous serions donc dans un système de
solidarité organique. Est-ce que cette solidarité influe sur
l'intégration des adolescents adoptés ? Y a t il un
système mis en place pour les aider à cette
intégration ?
C. La notion d'identité
· L'identité, une notion importante pour
l'adopté
À l'adolescence, le défi se situe au niveau de
l'identité. L'adolescent doit répondre à la question "qui
suis-je ?". À cette période, il doit se
« distancier » de ses parents et découvrir sa propre
identité. Il cherche ses valeurs, son autonomie physique, intellectuelle
et affective. Durant l'adolescence, le jeune développe l'aspect cognitif
(la pensée abstraite, la réflexion). Certains adolescents peuvent
vivre des difficultés. Il peut s'agir souvent d'un
enchaînement de problèmes. Par exemple, le jeune qui vit des
problèmes d'estime de soi et de difficultés scolaires, peut se
lier d'amitié avec des groupes peu recommandables. Son groupe peut
l'amener à commettre des délits et l'amener à fuir ses
problèmes dans les drogues. Ils vivent ainsi plusieurs problèmes
qui peuvent s'aggraver.
· Qu'en est-il chez les ados adoptés ?
Les différentes recherches sont partagées,
à savoir si la crise est plus intense ou semblable chez les
adoptés par rapport aux non adoptés. On s'entend tous pour dire
qu'il y a plus d'enjeux à régler. En raison de
cette surcharge, certains disent que l'adolescence est vécue comme un
amplificateur des conflits vécus durant cette période. Elle est
plus longue et plus difficile.
La tâche identitaire, est en effet plus complexe chez
les ados adoptés. En plus des problèmes courants de
l'adolescence, ils doivent gérer les questions identitaires liées
à l'adoption. Tout ceci augmente donc le travail identitaire de
l'adolescent. Erikson, un psychanalyste américain (La psychologie du
Moi), a pu identifier certaines tâches identitaires propres aux
adolescents adoptés :
La
compréhension de ce que l'adoption signifie
Se forger
une identité propre (proche ou non de celles des parents adoptifs)
Se forger
une identité raciale et culturelle
L'acceptation des différences physiques avec les membres de sa
famille
Vivre et
accepter le phénomène d'abandon
Envisager
(si besoin) la possibilité de retrouvailles ou de voyage dans le pays
d'origine
Le jeune doit arriver à mieux comprendre ses origines
et la signification de l'adoption dans sa vie. Il doit accepter ses
différences et apprendre à bien vivre avec elles. Le
phénomène d'abandon et la double identité doivent
être reconnus.
Le terme d'identité est souvent utilisé en
sociologie. Un courant de sociologie contemporaine31(*) met en avant le thème
de l'identité personnelle pour signifier une nouvelle étape du
processus d'individualisation. L'identité est une notion importante pour
un adolescent adopté. Le fait d'arriver dans une famille non biologique
peut peut-être avoir des effets sur le sentiment d'appartenance à
un groupe, par le biais d'une identité propre. L'identité
différencie les individus entre eux. C'est aussi avant tout est un
processus complexe qui combine plusieurs éléments. Elle se
modifie en fonction des différentes expériences socialisantes.
Le sociologue Claude Dubar distingue deux dimensions dans
l'identité :
- une identité « pour soi », qui
est l'identité héritée, et aussi celle visée par
l'individu
- une identité « pour
autrui », qui est celle qu les autres valident ou non
C'est donc à travers ces notions peu évidentes
que l'adolescent vit ce moment de sa vie, et sa situation d'enfant
adopté. Avec l'identité, on aborde aussi d'autres notions, comme
le « soi », la « culture », les
« rôles sociaux »,
« l'individualisation », « le sentiment
d'appartenance ».
La notion de « soi » reste un des
premiers composant de l'identité personnelle, qui naît des
situations et interactions sociales, ainsi que les rituels sociaux.
L'adolescence est un des rituels sociaux de notre
époque. Est-ce donc par ce passage de l'enfance à l'âge
adulte que se mettrait en place une identité propre chez l'adolescent
adopté ? L'analyse des entretiens nous permettra de
répondre à cette question.
En plus des questions identitaires, (qui
suis-je ?) propres à l'ensemble des adolescents, viennent s'ajouter
les questions identificatoires32(*). D'où est ce que je viens ? Quelles sont
mes origines ? Dois-je en être fier ? À qui est-ce que
je ressemble ? D'où viennent mes talents, mes
habiletés ? Comment la société me
perçoit-elle ? Comment est-ce que je me perçois ?
L'adolescent doit également arriver à vivre avec
sa double identité. L'adopté a deux
« paires » de parents, les parents actuels et d'origine. Il
cherche à intégrer ses deux composantes dans sa vie. Comment
réussir à se façonner son identité en sachant que
l'on vient de parents inconnus ? Il est également difficile de se
sentir appartenir à une lignée familiale avec laquelle nous
n'avons pas de liens de sang. L'adolescent peut se sentir tiraillé
entre ses origines et sa vie actuelle. Il doit se forger une identité
à travers tout cela ; et doit également reconnaître
son passé. Pendant son enfance, l'individu adopté ce se pose pas
autant de questions sur sa filiation. Cependant, à l'adolescence, avec
sa quête identitaire, il doit faire face à son passé pour
bien comprendre qui il est33(*). Son passé fait parti de lui, il doit
l'intégrer dans son identité. Tout ce que l'adolescent a pu vivre
durant sa petite enfance, est réactivé à l'adolescence. Si
l'adolescent a une enfance difficile, il y a de fortes chances que la
période d'adolescence soit complexe34(*).
Le regard que les autres posent sur nous est aussi important
que la façon dont nous percevons les situations et notre façon
d'y répondre. Tous les facteurs entourant l'individu ainsi que ses
caractéristiques psychosociales, viennent influencer son
identité.
L'identité physique
Les adolescents développent leur identité en
voyant ce qui les rapproche et les différencie des autres, de la
société et de leur famille. Une grande part de leur
identité provient de leur apparence extérieure qui, durant
l'adolescence, prend beaucoup d'importance. Durant cette période, le
corps vit de grandes transformations. On ne peut qu'être concerné
par son apparence quand celle-ci se modifie. Avec cette transformation vient
également une redéfinition de la personne (caractère,
sexualité). Cette transformation les amène à se
questionner davantage sur leur origine biologique. C'est pourquoi certains
adolescents adoptés expriment à l'adolescence le désir de
chercher et de rencontrer la mère biologique ou les parents
biologiques35(*).
Les questionnements de l'adolescent adopté
Un des souhaits les plus importants des adolescents
adoptés est d'avoir des renseignements sur l'apparence physique de leurs
parents d'origine. Par la suite, ce sont les traits de caractères qui
les intéressent. Ce besoin viendrait du désir d'appartenir, de se
retrouver en quelqu'un. Il est difficile pour eux de se faire une idée
de leur physique, alors qu'ils ne ressemblent à personne. C'est un
étranger qui se retrouve dans leur miroir. Ils n'ont pas d'autres
modèles capables de leur montrer à quoi ils ressembleront une
fois la croissance terminée.
Suis-je beau ? Suis-je laid ? Leur impression aura
de l'impact sur leur estime de soi. Les adolescents adoptés se
questionnent beaucoup sur leur apparence physique. Ils en viennent à se
demander comment ce corps se transformera. Toutes ces questions sont
particulièrement troublantes pour les jeunes ne partageant pas la
même ethnie ou couleur de peau que celle de leurs parents.
Les inquiétudes biologiques
L'aspect biologique les amène également à
se questionner sur leurs antécédents médicaux. Y a-t-il
des cas de cancer dans ma famille biologique ? Viennent-ils d'une famille avec
des troubles cardiaques ? Vivent-ils vieux ? Y a-t-il une histoire de
maladie mentale ? Toutes ces questions, qui peuvent sembler anodines, pour une
personne qui n'a pas été adoptée, deviennent importantes
pour l'adopté. L'identification familiale tient aussi des
antécédents médicaux et de l'état de santé
de la famille. Venir d'ailleurs peut être en ce sens inquiétant
lorsque que le dossier de l'enfant n'indique rien à ce sujet (la plupart
des cas).
Aussi, certains adolescents peuvent peut-être être
plus à l'écoute de leurs symptômes, croyant qu'ils peuvent
potentiellement être fragiles face à une maladie. Ils se disent
que tout est envisageable, puisqu'ils ne connaissent rien de leurs
antécédents médicaux. Un certain mystère peut donc
entourer l'adoption lorsque le dossier ne contient aucune information sur le
passé et les antécédents de l'enfant adopté.
36(*)
Aspect psychosocial
C'est à l'adolescence que la recherche de visages
semblables prend de l'importance. L'adolescent cherche des personnes, des
modèles pouvant lui ressembler. Il se questionne devant une personne
avec qui il partage des traits physionomiques ou caractériels. Il
cherche à s'identifier à d'autres, aux personnes
rencontrées dans la rue par exemple.
La différence physique peut amener l'adolescent
à se sentir mal à l'aise avec sa famille adoptive. Il peut
être « gênant » de se promener avec des
parents blancs. C'est un rappel constant à la différence.
L'adolescent peut le vivre comme une exclusion au clan familial ou comme un
grand malaise.
Un autre facteur embarrassant durant la puberté est la
précocité de la maturation sexuelle chez plusieurs ethnies par
rapport à l'ethnie occidentale37(*). Ce phénomène cause plusieurs malaises
chez l'adolescent qui se sent décalé par rapport à ses
pairs. Il est perçu plus vieux que ses copains alors que sa maturation
émotive est souvent plus lente en raison des difficultés
reliées à l'abandon.
L'identité raciale
«L'identité raciale se réfère aux
valeurs que l'individu attache à son apparence physique et à sa
race en général ainsi qu'à la perception et les attitudes
reliées à l'expérience sociale d'appartenir à cette
race.38(*)»
«L'identité liée aux origines d'une
personne appartenant à un groupe minoritaire est fondée sur
l'appréciation qu'il se fait de sa différence par rapport au
groupe majoritaire, et sur sa façon dont il négocie cette
différence dans ses rapports sociaux»39(*).
Une personne intègre ce qu'elle juge important pour se
définir. Son appartenance à un groupe, à une
ethnicité est un facteur important. Elle se pose des questions
supplémentaires. Comment est-elle perçue de la majorité ?
Comment se perçoit-elle ? Comment perçoit-elle le groupe
majoritaire ? À quel groupe appartient-elle ? L'acceptation de la
différence physique est très importante pour que l'individu ait
son identité complète.
L'identité raciale chez l'adolescent
adopté
L'adolescent adopté a un problème plus complexe
à surmonter pour définir son identité. Il n'a pas de
parents qui lui ressemblent et la société ne lui offre pas de
point de repère. De plus, il vit avec le dilemme d'être
perçu comme québécois (dans le cas de cette étude
sur le Québec) dans sa famille et comme un étranger dans la
société.
Avec le développement cognitif de sa pensée,
l'adolescent est en mesure de comprendre ce que signifie être noir ou
chinois. Il réalise que sa couleur de peau est associée à
une culture. Il comprend ce que représente être perçu
haïtien ou chinois dans une société à majorité
blanche.
Les communautés d'origine ne sont pas perçues de
la même façon par le groupe majoritaire. Certaines sont beaucoup
mieux acceptées que d'autres (c'est ce que nous allons découvrir
avec l'analyse des entretiens). Chez certains individus adoptés on peut
aussi voir l'existence d'un manque de confiance en soi, et d'une mauvaise
estime de soi. L'abandon peut en être parfois la raison. Savoir qu'un
autre individu nous a abandonné est une chose difficile à
vivre.
L'abandon
Les problèmes liés aux adolescents
adoptés peuvent être liés à la perte de
l'attachement avec la mère biologique. La douleur de cette
séparation serait inscrite dans l'inconscient40(*). C'est ce qui les affecterait
le plus. Cette perte est difficilement exprimable. Elle est moins reconnue de
la société que la perte d'un être cher lors d'un deuil ou
divorce. Pourtant, cette perte est une dimension très importante de la
vie intérieure de l'adopté. L'enfant doit vivre le deuil de sa
mère biologique, de ce que sa vie aurait pu être. Cet abandon est
vécu avec plus de douleur en raison du manque d'explications concernant
les origines et les causes de cette séparation. Il est souvent moins
douloureux de savoir que de vivre dans l'ignorance.
Pour devenir un adulte complet, il devra se réconcilier
avec son passé, avec soi-même et être capable de poser un
regard positif sur sa vie. Il devra également pardonner. Il devra
travailler le rejet primal pour en arriver à pardonner et ne pas
blâmer ses parents (biologiques et adoptifs). L'adolescent doit quitter
le rêve et les fantasmes du roman familial pour accepter sa vie comme
elle est.41(*)
L'abandon
À l'adolescence, le phénomène d'abandon
est réactivé pour que le jeune puisse travailler sur cette
situation. Il lui amène à nouveau la crainte d'être
rejeté. Chez certains, tout ce passe dans le calme. Chez d'autres, on
assiste à des situations particulières. Certains adolescents ont
tellement peur du rejet, qu'ils nous donneront l'impression de tout faire pour
être rejetés. Ils tentent de savoir s'ils peuvent
s'éloigner sans que le lien ne se brise. Ils se servent de cette
attitude pour tester leurs parents, tester les liens qui les rattachent
ensemble. Des phrases comme "Tu n'es pas ma vraie mère !" seront
parfois entendues.
D'autres ont peur de s'affirmer, de crainte de ne plus
être aimé de leurs parents. Ils ont peur d'être
rejetés s'ils ne pensent pas comme eux. Ils ont peur de blesser leurs
parents s'ils viennent qu'à se révolter où
démontrer qu'ils sont différents d'eux. C'est ce qu'on appelle le
conflit de loyauté42(*). Ils seront totalement loyaux même si en dedans
ça brasse.
Il n'est pas rare de voir des adolescents inquiets à
l'idée de quitter le nid familial. Ils ont peur de revivre une perte en
s'éloignant de leurs parents. Ceux qui souhaitent quitter la
région pour étudier, seront très nerveux à cette
idée. Au contraire, chez les adoptés ayant eu des
« problèmes d'attachement », l'idée de
quitter le nid familial plus tôt est, pour eux, une solution qui leur
procure un grand soulagement. Ils ne vivent plus la tension des attentes
familiales pour lesquelles ils ne se sentent pas capables de
répondre.
Certains adolescents adoptés vivent un retard affectif
dû aux blessures et perturbations de leur situation. Ils
« mûrissent » plus tardivement et atteignent
l'autonomie affective plus tard.
· Identité et interactionnisme
La sociologie interactionniste 43(*) étudie les situations
d'interaction sociales pour mettre en valeur l'importance de la relation avec
autrui. Ces relations peuvent avoir divers objectifs, se différencier ou
au contraire se conformer ; se présenter aux autres ou se
protéger. Le regard des autres pèse de plus en plus sur les
identités individuelles. Si l'on rapporte cela à l'adoption, la
société a peut être un certain regard sur les personnes
adoptés en général. « Elle a été
abandonnée », « Mais d'où
vient-il ? » peuvent être des réflexions
qu'entendent les adolescents adoptés. Le poids du jugement social peut
être assez fort. De plus aujourd'hui sont multipliées les
situations de « face à face », par le biais par
exemple du système scolaire, de l'urbanisation, etc.
Les individus sont donc confrontés à des
scènes sociales où la « typification
réciproque 44(*)» conduit à un certain comportement
social. Mais ces interactions s'inscrivent dans des contextes sociaux
généraux. Il existe aussi des identités collectives. On
peut donc se demander de quelle manière l'adolescent adopté se
reconnaît dans ces identités, qui se créent et se
recréent sans cesse, par le biais par exemple des réseaux de
sociabilité.
Ces réseaux peuvent être la famille, les pairs,
le réseau des activités extrascolaires, ou bien le milieu
associatif. La sociologie montre l'importance des processus de socialisation
pour désigner le long apprentissage des valeurs, des normes et
règles sociales. Car les individus qui partagent les mêmes habitus
(cf. la sociologie de Pierre Bourdieu), les mêmes valeurs se
reconnaissent entre eux et « s'identifient ».
Un autre sociologue, Max Weber exprimait lui des oppositions
à la pertinence du terme d'identité, à propos de laquelle
il disait : « L'identité n'est jamais du point de vue
sociologique qu'un état des choses simplement relatif et
flottant45(*) ».
Mais c'est peut être ce caractère instable et subjectif qui fait
la richesse du terme d'identité.
Cependant, il faut être prudent avec la notion
d'identité, lorsqu'elle est exclusive, cela peut déboucher sur la
violence et le rejet de l'autre.
Notamment par rapport à l'adoption, un adolescent ne
peut résumer son identité uniquement par son statut
d'adopté, il lui faut trouver d'autres éléments
intégrateurs et identificateurs (comme une passion, un loisir, des
aptitudes); nous verrons avec les différentes hypothèses quels
peuvent être ces éléments.
Pour résumer ce que nous avons exposé, nous
pouvons dire que l'identité est en fait une articulation entre plusieurs
facteurs sociaux, individuels et collectifs. L'identité permet
le processus d'identification et de différenciation sociale.
L'identité donne un sens aux actes, aux comportements sociaux.
Grâce à cela on peut interpréter l'évolution des
cadres, des milieux de socialisation que sont la famille, les pairs ou les
milieux d'activités extrascolaires et associatives.
· Les adoptés ne sont pas des migrants
ordinaires46(*)
Les individus adoptés sont en effet des
« migrants », des personnes venues d'ailleurs. Si l'on
devait définir ce qu'est un « migrant ordinaire »,
on pourrait par exemple parler des réfugiés politiques, des
réfugiés économiques, des travailleurs installés
dans un autre pays, à cause de leur profession, etc. Ce qui est
important de dire, c'est qu'un migrant ordinaire ne remet pas en cause se
filiation, ni les relations qu'il a avec sa famille, ou ses amis. Pour lui, il
n'y a pas de rupture du sentiment d'appartenance avec son pays d'origine. Le
migrant ordinaire vit sa culture d'origine dans le pays d'accueil, il n'y a pas
de rupture, il y a conciliation des deux cultures. Il faut souvent au moins
trois générations avant qu'un descendant de migrants soit
totalement assimilé à la culture du pays d'accueil.
L'enfant adopté lui est très différent
du migrant ordinaire. Car bien souvent, il y a une rupture assez vive avec sa
famille biologique, avec sa culture d'origine. Une personne adoptée ne
reconnaît plus sa famille biologique comme sa famille proprement dite. On
peut dire qu'un enfant adopté ressent l'abandon, même de
façon imperceptible. Une adolescente que j'ai rencontré lors de
mes entretiens m'avait confié avoir été adoptée
à quatorze jours, et l'a ressenti. Car elle a des difficultés
à aimer, à se laisser aller dans une relation, amicale ou
même amoureuse...La cassure créée par l'abandon de la
mère peut engendrer un sentiment perpétuel
d'insécurité affective quand l'enfant adopté
grandit ; ainsi qu'un sentiment de culpabilité. Car dans son
inconscient, l'enfant abandonné pense qu'il a été
abandonné parce qu'il a fait une bêtise.
Mais revenons à la notion de migrant qu'est
l'adopté. Comme nous l'avons dit, la rupture de l'adopté avec le
pays d'origine est souvent totale, surtout dans une adoption
plénière (les plus rependues). Cette rupture peut être
voulue par le pays d'origine lui-même. L'enfant adopté peut donc
ressentir deux types d'abandon, de sa mère biologique d'abord, puis de
son pays d'origine ensuite.
L'enfant adopté n'a, bien souvent, jamais parlé
sa langue d'origine. Sauf dans les cas d'adoptions tardives, mais il se produit
un phénomène d'oubli de la langue souvent. L'enfant adopté
n'a pas été immergé dans sa culture d'origine. Même
si il fait des recherches à l'adolescence sur son pays, il manque cette
immersion culturelle que l'enfant adopté n'a pas eue dans son pays. La
plupart du temps, l'enfant n'a pas de personnes dans son entourage lui
permettant de lui faire connaître sa culture d'origine.47(*)
Deuxième partie : L'enquête, le terrain, les résultats, le
vécu des adolescents
1. Les
hypothèses
Afin de répondre à
la problématique, quels sont les facteurs d'intégration de
l'adolescent d'origine étrangère adopté, nous pouvons
émettre différentes hypothèses classées ici
par catégories.
1. Les rôles des parents adoptifs, du milieu familial
et des proches peuvent influer sur l'adolescent adopté et son
intégration.
· Le dialogue entre les parents et l'adolescent sur son
adoption favorise son acceptation de l'adoption, son intégration et sa
création d'identité.
· Le rôle des parents adoptifs est important dans
une adoption. Le fait d'avoir toujours dit à leur enfant qu'il avait
été adopté est bénéfique pour l'adolescent.
· Les parents adoptifs ont un rôle à jouer
pour construire le lien d'attachement avec leur enfant adopté.
· L'acceptation de l'adoption dans la famille en
général (oncles, tantes, cousins, grands-parents) favorise le
sentiment d'appartenance et d'intégration familiale de l'adolescent
· L'intégration de ces adolescents est plus facile
lorsqu'ils viennent d'un milieu social favorisé.
· La perception des adolescents sur eux-mêmes
dépend de celles des parents adoptifs sur leurs enfants.
2. L'intégration de l'adolescent se fait par sa vie
sociale, par des activités sportives, culturelles.
· Si l'adolescent adopté a un réseau
d'amis, cela va favoriser son intégration, plus encore si certains sont
d'origine étrangère comme lui.
· Faire parti d'un mouvement sportif, culturel ou
scolaire est un facteur d'intégration et de création
d'identité pour l'adolescent.
· Participer à un groupe de discussion de
post-adoption, ou à un mouvement de retrouvailles aide l'adolescent
adopté à être mieux dans sa peau, et à
s'intégrer. Car il se sent acteur et à un rôle à
jouer dans son adoption.
3. Hypothèses des liens entre adolescence et
recherche des origines.
· L'adolescence, une étape importante aujourd'hui
dans notre société fait que l'adoption est une difficulté
de plus pour la construction identitaire.
· La notion d'abandon est une difficulté en plus
à l'adolescence.
· Le comportement des parents vis-à-vis des
origines de leur enfant est important pour le développement de
l'adolescent
· Si l'adolescent connaît sa culture d'origine, il
aura plus de facilités à accepter son adoption.
· Les adolescents de l'adoption internationale
développent une double identité, selon l'attirance ou non qu'ils
ont de leur pays d'origine.
· Les adolescents de l'adoption internationale
connaissent le racisme au Québec, ce qui peut les affecter dans leur
développement et leur intégration.
· Retrouver sa mère ou sa famille biologique est
un élément déterminant pour savoir qui l'on est dans le
cas d'une adoption.
· Explications
Nous avons abordé nombres de ces hypothèses au
cours de ce dossier. Mais n'avons pas réellement expliqué
pourquoi la recherche des origines serait un facteur d'intégration
à l'adolescence de l'individu adopté. Ce qui n'est
peut-être pas une idée vraie, mais sera à
vérifier.
De plus en plus nombreux sont ceux qui cherchent à
connaître leurs origines, leur véritable histoire, et même
à rencontrer leurs parents ou mère biologique(s).
Les organismes d'adoption reçoivent de nombreuses
lettres de personnes adoptées demandant des renseignements sur leurs
origines. Ces lettres commencent souvent par : « J'aimerais
savoir qui je suis », « C'est injuste »,
« Je suis une enfant adoptée et depuis longtemps je souffre
intérieurement », « Je me suis toujours sentie
aimée sincèrement par ma famille adoptive, mais quelque part je
me sens différente », « Un jour j'ai eu un
avertissement à l'école pour un devoir non rendu sur la
généalogie », « C'est mon
histoire », ...
Tout ceci montre la souffrance que peuvent éprouver les
individus adoptés. Pour beaucoup, la recherche des origines et son
aboutissement sont des étapes indispensables à la construction
identitaire.
Le sentiment « d'être
différent » est souvent présent dans l'esprit d'un
individu adopté. Son intégration sociale nécessite de
connaître sa « véritable histoire », son
arrivée dans la société, connaître ses premiers pas
dans le monde.
Aussi les enfants adoptés désirent
connaître ce bout de leur vie qui leur est inconnu. Tout dépend de
l'âge auquel ils ont été adoptés mais beaucoup n'ont
pas les mêmes souvenirs d'enfance que les enfants dits
« biologiques ». Les premiers mots, la première
dent, tous ces petits souvenirs qui semblent normaux sont inconnus pour
certains enfants adoptés.
Cette recherche des origines est souvent entreprise pour
combler ce manque de souvenirs, ces insupportables interrogations sur soi, sa
possible ressemblance physique avec un parent inconnu.
L'association peut-être un moyen pour l'adolescent de
s'intégrer socialement dans la société, de se
façonner une identité propre, au-delà d'être un
adolescent adopté.
Nous pouvons mettre cette hypothèse en avant, car le
terrain de l'association EFA 50 va nous permettre d'analyser cela. Le premier
entretien exploratoire va permettre de faire ressortir différents
facteurs.
2. La méthodologie et le terrain du
mémoire, vérification des hypothèses
· Choix de l'outil
J'ai effectué mon enquête par le biais
d'entretiens semi-directifs d'une durée d'au moins une heure et demie
avec des adolescents adoptés. Je me suis entretenue avec des jeunes
québécois âgés entre quatorze et vingt et un ans.
Ces personnes, hommes ou femmes, seront aussi d'origine
étrangère, afin de traiter de la question de
l'intégration, avec des facteurs tel que la couleur de peau, la culture,
le prénom à consonance étrangère. La méthode
qualitative me parait la plus appropriée pour ce travail. L'entretien
permet d'apprécier le caractère qualitatif de cette recherche sur
l'intégration des adolescents adoptés au Québec. Le
questionnaire offre moins de possibilités.
Par un entretien, nous pouvons comprendre en profondeur le
parcours de l'adolescent dans son adoption, les sentiments, les situations
qu'il a connu. L'étude qualitative a ce caractère
d'approfondissement du sujet qui convenait pour ce mémoire.
L'entretien est un bon moyen pour faire parler les adolescents
adoptés, les laisser raconter leur histoire, leur vécu,
expliquer leurs sentiments. L'adoption est un sujet assez complexe et intime,
car il aborde des sujets comme la famille, les origines, le secret,
l'intégration, qui peuvent être des sujets difficiles pour
certains adolescents. L'entretien permet de rentrer « petit à
petit » dans le sujet, quand le climat de confiance est
instauré entre l'adolescent et l'étudiant.
Cette enquête comporte un volet concertant les
représentations des adolescents sur leur adoption, sur leur
intégration, sur la société québécoise.
C'est pourquoi le choix de la méthode qualitative, grâce à
des entretiens semi-directifs fut retenue. Cela permet de tenir compte des
expressions, des émotions, des opinions des adolescents adoptés.
Dans l'ouvrage de Gotman et Blanchet, il est dit que
« l'entretien fait construire un discours (...), il impose
à chaque fois que l'on ignore le monde de référence, ou
que l'on ne veut pas décider a priori du système de
cohérence interne des informations
recherchées. ».48(*)
L'entretien permet de plus d'instaurer un certain climat de
confiance, afin de créer un dialogue intéressant pour ce travail.
Les questionnaires me semblaient trop « froids » pour
parler d'un sujet comme l'adoption. Il me semble aussi que par des
questionnaires, je n'aurais pas eu toutes les réponses aux questions que
je me posais sur l'intégration des adolescents adoptés au
Québec.
· Terrain
Avant de partir étudier à l'Université de
Montréal, j'ai tenté de contacter les différentes
associations et organismes d'adoptions et de post-adoption à
Montréal et ses environs ; en expliquant le but de ma recherche et
de mon enquête auprès des jeunes. Madame Gagnon, Présidente
de la FPAQ, la Fédération des Parents Adoptants du Québec,
a répondu à ma requête. J'ai suivi son cours d'Adoption
internationale, et j'ai ainsi pu être en contact avec des jeunes (entre
14 et 21 ans), d'origine étrangère et ayant été
adoptés entre l'âge de 14 jours et 5 ans.
La FPAQ est une association de parents, qui se
réunissent régulièrement, éditent un journal,
conseillent les futurs parents.
Cette fédération a différents
objectifs :
- regrouper les parents désirant adopter ou ayant
déjà adopté un ou des enfants d'un pays étranger
- promouvoir des interventions ayant comme objectif premier le
meilleur intérêt de l'enfant
- transmettre de l'information et soutenir les parents
avant, pendant et après l'adoption
- favoriser les échanges et un travail de concertation
avec les autres associations de parents
- favoriser des échanges d'idées avec les
intervenants en adoption (travailleurs sociaux, psychologues, médecins)
en vue d'une meilleure compréhension de la réalité des
familles adoptives
- participer à des projets humanitaires qui visent
à améliorer les conditions de vie d'enfants dans d'autres pays
J'ai donc fait pour ce mémoire quatorze entretiens
d'une heure et demie à deux heures chacun, selon chaque adolescent que
j'ai pu rencontrer. Ces jeunes habitaient soit sur Montréal, ou soit sur
Québec, villes importantes au Québec. Les entretiens se sont
déroulés entre les périodes d'octobre 2005 et
décembre 2005, soit chez moi, soit chez l'adolescent, et selon les
possibilités. J'ai pu rencontrer ces adolescents soit par le biais de
parents adoptifs ayant été contactés par Madame Gagnon,
soit par le biais de relations de la FPAQ qui a communiqué aux
adolescents mon enquête sur l'adoption.
· Typologie personnes
interrogées
Voici à présent la typologie des adolescents
adoptés ayant participés aux entretiens. Ils ont
été quatorze à participer à cette étude,
dans la ville de Montréal, au Québéc.
|
Age
|
Sexe
|
Adopté à :
|
Pays d'origine
|
Rachelle
|
21
|
F
|
2 ans
|
Bangladesh
|
Gabriel
|
14
|
M
|
3 ans
|
Viêt-Nam et Belgique
|
Laurence
|
18
|
F
|
5 mois
|
Corée du Sud
|
Samuel
|
18
|
M
|
2 ans
|
Jamaïque
|
Mickæl
|
17
|
M
|
5 ans
|
Russie
|
Marie
|
15
|
F
|
3 mois
|
Guatemala
|
Carolina
|
13
|
F
|
5 ans
|
Chine
|
Stéphane
|
18
|
M
|
5 ans
|
Québec
|
Elodie
|
16
|
F
|
4 mois
|
Corée du Sud
|
Emma
|
15
|
F
|
5 ans
|
Polynésie
|
Marie-Pierre
|
21
|
F
|
14 jours
|
Liban
|
Ariane
|
21
|
F
|
5 mois
|
Haïti
|
Christine
|
21
|
F
|
2 ans et demi
|
Philippines
|
Karine
|
14
|
F
|
5 mois
|
Guatemala
|
· Grille d'entretien
Après avoir élaboré, puis
décomposé les hypothèses par thème, nous avons pu
créer la grille d'entretien. La grille d'entretien est la base de
l'enquête qualitative. Elle permet, durant l'entretien, d'avoir une base
de thèmes, de questions à traiter avec la personne. La grille
d'entretien de ce mémoire est composée de différents
thèmes qui sous-tendent celui de l'intégration, puis de questions
plus précises, si l'adolescent adopté n'abordait pas de
lui-même ces points-là. La grille d'entretien est
constituée de thème permettant après l'analyse de
répondre aux différentes questions posées dans cette
recherche.
Un premier entretien exploratoire a été
réalisé en France durant l'année de Maîtrise
à Caen, afin de tester la fiabilité de la grille et son
efficacité dans cette recherche. Ce premier entretien a
été réalisé à Cherbourg, avec une
adolescente de dix huit ans, adopté à l'âge de trois moi,
d'origine algérienne et antillaise. Ce premier travail avait ainsi
permis de tester la grille et d'en voir les points forts et les défauts.
Cet entretien n'a pas été traité dans ce mémoire
car il a été réalisé avec une personne
française, et le mémoire traite des adolescents adoptés
québécois.
Voyons à présent les différents
thèmes de cette grille d'entretien :
Thème 1 : Informations sur la personne
adoptée (âge, situation familiale, profession des parents, niveau
d'étude ou situation actuelle, lieu d'habitat, loisirs)
Thème 2 : Informations sur l'adoption en
elle-même (type d'adoption, âge de l'adolescent à
l'adoption, longueur de la procédure, cause de l'adoption, rapports
familiaux, vision de l'adoption par l'adolescent)
Thème 3 : L'adoption et l'adolescence
(définition de l'adolescence pour l'adolescent, questions posées
à cette période, vécu, relations avec les parents, avec la
famille en général, avec les amis, besoin ou non d'aide
spécifique, bilan de cette période)
Thème 4 : L'adoption et les origines (sentiments
par rapport aux origines, vécu, expériences, anecdotes par
rapport à cela, intérêt pour les origines, conciliation
entre les deux origines, besoin de recherche des origines ou non, quelles
démarches, parents biologiques, l'abandon)
Thème 5 : L'adoption et la société
québécoise (le regard de la société
québécoise sur l'adoption, facteurs et possibilité
d'intégration, anecdotes)
Thème 6 : L'adoption et l'identité (quelle
identité se construit l'adolescent, stratégies identitaires,
besoin d'identification à d'autres groupes, estime de soi)
Thème 7 : L'adoption et l'intégration
(sentiment d'intégration familiale, d'intégration sociale ;
vison de l'intégration au Québec, possibilité
d'intégration pour les personnes
« étrangères », facteurs
d'intégration, regard des autres)
Thème 9 : Association d'adoption et de
post-adoption (besoin de faire partie de ces mouvements, besoin
d'identification et d'aide, opinions sur ces groupes, envie de
témoigner)
Thème 10 : Adoption et avenir (quelle vision de
l'avenir a l'adolescent, quelle famille souhaite-t-il, adoption pour
lui-même ou pas, projets, doutes, envies, bilan personne de
l'adoption)
3. Analyse des entretiens
Les entretiens effectués à Montréal vont
nous permettre de vérifier ou non les hypothèses émises
dans ce travail de recherche. Nous pourrons analyser ces entretiens selon
différents thèmes, érigés par les
hypothèses.
Comme il a été dit précédemment,
nous avons effectué quatorze entretiens, sur la ville de
Montréal, auprès de jeunes âgés entre quatorze et
vingt et un ans. Ces entretiens ont pu se faire avec l'aide de la
Fédération des Parents Adoptants du Québec, l'association
d'adoption Emmanuel, le service de post- adoption de Saint-Louis du Parc
à Montréal et l'association Formons une famille.
Ces entretiens se sont fais soit chez moi, soit chez la
personnes interrogée, selon les disponibilités de chacun et les
emplois du temps. La durée d'un entretien était de une heure
trente à deux heures trente environ, selon le vécu,
l'expérience et l'envie de se dévoiler de l'adolescent. Afin de
préserver l'anonymat des adolescents, j'ai modifié les
prénoms des références des extraits des entretiens.
Nous allons étudier des extraits d'entretiens49(*) selon différents angles
d'approches, afin de vérifier ou non les hypothèses posées
dans ce mémoire. Cette partie a l'objectif de « donner la
parole » aux adolescents adoptés, afin de mieux les
comprendre. Les références aux entretiens seront faites de la
manière suivante : le nom fictif de l'adolescent sera cité
au début ou en fin de citation, ainsi que le numéro de page de
l'entretien concerné.
Cette partie analytique contient volontairement de nombreuses
citations des adolescents. Il nous a paru normal de les citer le plus souvent
possible, à bon escient, afin de montrer réellement le
vécu, les émotions ressenties par les adolescents. Ils sont les
plus à même de parler de l'adoption et de leur intégration.
Ils sont les spécialistes en la matière de part leurs
expériences.
I.
L'adolescent et son environnement familial
A. La famille adoptive de
l'adolescent
L'adolescent adopté évolue dans une famille qui
l'a désiré et adopté. C'est le lieu où il apprend
sa culture d'accueil, sa langue qui va devenir sa langue maternelle. Il va se
sociabiliser dans ce noyau familial. La famille est une institution
présente dans toutes les sociétés humaines50(*). Mais les formes qu'elle
revêt, les fonctions qu'elle remplit et les significations dont elle est
porteuse sont variables dans le temps, et d'une société à
l'autre. La famille est un facteur affectif, socialisateur pour l'enfant et
l'adolescent. Le fait d'être adopté peut changer quelque peu les
caractéristiques habituelles que l'on connait sur la famille (le
sentiment de faire groupe, les ressemblances). L'adoption est en quelque sorte
un défi pour la famille et pour l'enfant adopté, qui doivent
réussir à créer une unité familiale, par
l'intégration de l'adolescent au sein de sa famille.
· L'adolescent et le contexte familial
Ariane, fille de parents divorcés, est la seule fille
adoptive de la famille. Elle m'a confié « J'ai
été adoptée parce que mes parents ne pouvaient pas avoir
d'enfants » (page 3). La cause la plus courante d'une
adoption internationale est bien souvent l'infertilité des parents (dans
90% des adoptions internationales ; un des deux parents ou les deux sont
stériles51(*)). Le
tiers des adolescents adoptés interviewés pour cette recherche
ont des parents stériles qui ont alors eu recours à l'adoption.
Il y a bien évidemment d'autres solutions pour être parent, comme
la fécondation in vitro, l'insémination artificielle. Mais
l'adoption est une façon de devenir parent assez appréciée
car elle a de plus parfois un aspect humanitaire qui motive les parents
à suivre ce long processus. Mais nous devons aussi signaler que lorsque
la seule motivation d'adopter est l'aspect humanitaire, il peut y avoir un
délaissement des parents envers l'enfant ; ou bien un sentiment
d'être redevable pour l'enfant, qui peut s'avérer néfaste
pour l'estime de lui-même et son développement.
Tout le contexte familial est donc très important
pour le développement des adolescents adoptés, afin de favoriser
leur intégration au sein de la société
québécoise.
Lors de ces entretiens, j'ai pu remarquer que ces adolescents
provenaient de familles différentes (familles nombreuses, famille avec
enfant unique, famille très impliquée dans le milieu de
l'adoption, etc). Voyons donc ces différentes typologies familiales.
Il y a tout d'abord les familles nombreuses, où tous
les enfants ont été adoptés. C'est un facteur favorisant
l'intégration familiale et l'attachement car tous les enfants sont mis
au même « niveau ». Il n'y a pas de différence
entre les enfants qui ont tous la même histoire, une histoire d'adoption.
Car, comme me le disait Emma, «Et puis c'est sûr que ce
n'est pas facile pour mes frères et soeurs de me comprendre, comme je
suis la seule adoptée de la famille, ça n'est pas
forcément facile à vivre. »
(Page 3). Nous voyons bien ici qu'être la seule adoptée
dans la famille crée un sentiment de différence chez
l'adolescent, qui est le seul à se poser des questions sur son
identité, sur ses origines, sur sa mère biologique. Emma avait de
plus été adoptée à l'âge de cinq ans, ce qui
ne facilite pas les choses pour l'intégration, l'apprentissage de la
langue, l'attachement à la famille. Emma avait ainsi fait le choix il y
a un an de retourner dans son pays d'origine, afin d'avoir les réponses
aux questions qu'elle se posait sans cesse.
Appartenir à une famille nombreuse peut donc être
positif pour l'adopté quand les autres enfants ont aussi
été adoptés. Cependant, avoir une grande famille, peut
créer un sentiment de différence, comme le disait Laurence lors
de son entretien : « Puis là, tu dis que tu as
une grosse famille dans une société où la famille
dépasse pas plus de quatre ou cinq enfants maximum là. Ma
mère ça ne l'a dérange pas d'en parler, elle peut en
parler cinquante fois de suite sans problèmes » (Page
5). Nous voyons bien ici que la famille nombreuse n'est plus une
majorité dans les sociétés occidentales ; que ce soit
au Québec comme en France. Appartenir à une famille nombreuse est
parfois objet de curiosité pour les autres individus. Quand les enfants
ont de plus été adoptés, c'est un véritable
phénomène dans l'entourage de la famille.
Il ressort de ces entretiens que l'adoption, et le fait
d'avoir une culture d'origine (même inconnue) sont des
phénomènes qui amènent les personnes concernées
à une certaine ouverture d'esprit. Tout d'abord, la facilité avec
laquelle j'ai pu trouver des adolescents intéressés à
parler de leur vie sans me connaître m'a surprise. Cette recherche s'est
fait avec un certain naturel, une facilité à entrer en contact
avec des adolescents adoptés. Les personnes qui sont de près ou
de loin en contact avec le domaine de l'adoption ont une nette facilité
à parler de leurs expériences, à partager leurs opinions.
L'adoption, comme nous le disions tout à l'heure, à une certaine
dimension « publique » qui semble naturelle. Ces
adolescents m'ont ainsi fait confiance pour me confier leur vie et leurs
expériences. Cela est peut-être dû au fait que je sois
moi-même jeune, ce qui effraie moins lors d'un entretien.
L'adolescent adopté a donc en général un
évident sentiment d'ouverture, comme par exemple, Michael, dix huit ans:
« Dans ma famille, on est vraiment ouvert là, on aime
beaucoup les enfants. On est deux enfants à venir de l'extérieur
et ça fait du bien, ça fait chaud au coeur, ça ouvre sur
le monde quoi. » (Page 5). L'adoption, la culture d'origine
apportent en effet une certaine vision de la vie dans la famille, et
l'adolescent grandit et évolue dans ce contexte là. J'ai souvent
remarqué que les adolescents adoptés sont très
tolérants envers les différences, car quelque part, ils ont
goûté à cette différence. Dans les entretiens, ils
m'ont souvent manifesté leur dégoût et leur
incompréhension face au racisme. L'adoption est un facteur de
tolérance car le vécu des adolescents leur a fait comprendre
qu'il faut accepter les différences de chacun pour que tout le monde
soit bien.
Ces adolescents ont bien souvent une bonne perception
d'eux-mêmes et de leur adoption, ce qui fait qu'ils ont une bonne
confiance en eux, car leurs parents ont eu beaucoup de dialogues avec eux.
Ensuite, viennent les familles où adopter est une
philosophie de vie, avec enfants biologiques ou non. C'est le cas de la famille
de Laurence. « Dans ma famille, on est huit enfants
adoptés, tous de différentes origines. (Page 3).
« On habite dans une maison, c'est quand même
assez simple... Ma mère reste à la maison pour élever les
enfants mais elle travaille beaucoup avec les associations d'adoption ici au
Québec, c'est vraiment son truc l'adoption ». (Page
4). Ces familles sont souvent assez impliquées dans le système de
l'adoption, et continuent à être actives dans ce milieu,
même sans nouvelle adoption prévue. Nous verrons alors que
l'implication des parents dans le milieu de l'adoption peut donner envie
à certains adolescents de s'impliquer eux-mêmes dans ces
organismes.
Nous nous sommes aussi intéressés à la
proximité géographique de la famille élargie des familles
de l'adolescent. Laurence me témoignait
ainsi « On n'a pas trop de famille ici à
Montréal. Mais on a la soeur de ma mère qui habite près de
chez nous, on a une relation vraiment intéressante avec elle. Mais ce
n'est pas le cas avec tout le monde » (page 3). Parfois,
certains membres de la famille de l'adolescent sont contre l'adoption et ne
comprennent pas les parents adoptifs. Cela peut avoir comme conséquence
le rejet de l'adolescent adopté, ce qui peut engendrer des
fâcheries, voir des conflits familiaux assez conséquents.
« Avec mon oncle, ça va plutôt moins bien,
disons que ce n'est pas toujours facile d'accepter le fait que l'on soient
adoptés. C'est trop différent pour lui, il a du mal à
s'ouvrir à notre famille recomposée » (page 3,
Laurence). « Du côté de mon père,
ça doit faire 5 ans qu'on ne leur parle plus. Ils ont du mal à
accepter les adoptions et tout ça. Donc ce qui fait qu'on est
fâchés ». (Page 3, Marie-Pierre). Ce
témoignage nous montre bien que l'adoption peut créer des
tensions familiales, au niveau de la famille élargie surtout. Ces
tensions peuvent même aller jusqu'à créer un
éclatement familial. Cela peut sembler paradoxal car l'adoption est en
soi un « agrandissement » de la famille, avec
l'arrivée d'un ou de plusieurs enfants. Mais il peut y avoir un
« rétrécissement » familial lorsque certains
membres de la famille n'acceptent pas l'adoption de la part du couple. Il est
de plus étonnant de constater que l'adoption, qui est un projet de
couple, donc privé, prend une dimension « publique »
aux yeux de la famille.
Cela se ressent beaucoup moins lors de l'arrivée d'un
enfant dit biologique. Cette intrusion de la famille élargie
(grands-parents, oncles, tantes, cousins) au sein du projet du couple peut
parfois créer des tensions familiales que ressent fortement
l'adolescent. Certains m'ont confié être déçus de ne
pas former une famille comme les autres, unie à cause de ces tensions
familiales. Cependant, nous serons d'accord pour dire que l'adoption n'est pas
le seul facteur d'éclatement familial. Les conflits, secrets de familles
existent partout. Mais il semblerait que l'adoption, le fait d'accueillir un
enfant venu d'ailleurs puisse créer un certain malaise chez certaines
personnes. Dans ce cas précis de conflit, nous pouvons dire que
l'adolescent connaît une intégration familiale au sens large assez
difficile. Le noyau familial (parents/enfants) doit donc être solide pour
palier ce manque.
B. Le milieu social des adolescents
L'adolescent évolue donc dans un contexte familial
précis, il fréquente un établissement scolaire, a des
activités et des loisirs spécifiques, ses parents occupent ou non
des emplois. Nous nous sommes donc aussi intéressés au milieu
social de l'adolescent afin de mieux comprendre son parcours, à travers
son adoption.
« Mes parents sont divorcés, ma
mère travaille au gouvernement, elle est fonctionnaire, et mon
père travaille hors de Montréal, dans la
construction. » (Ariane, page 1). Les parents d'Ariane ont
relativement un bon niveau social. Cependant, l'enfance et l'adolescence
d'Ariane n'ont pas forcément été très gaies
à cause du manque de communication ou d'une mauvaise communication entre
ses parents et elle. « Ils n'étaient pas trop ouvert
à ma culture d'origine...Tout ce qu'on me disait sur Haïti,
c'était oh oui c'est pauvre et tout...des choses négatives, je
n'avais pas d'informations sur tout ça ». (Page 8).
Le danger pour les parents adoptifs est d'avoir le
sentiment d'avoir « sauvé » leur enfant de la
misère de son pays en l'adoptant. Il ne faut pas que l'adoption soit
faite comme un geste humanitaire car cela provoque bien souvent des
problèmes entre les parents et l'enfant adopté. Le
non-intéressement des parents pour la culture d'origine de l'adolescent
est perçu comme une négation d'eux-mêmes.
L'intérêt porté à la culture d'origine et sur
l'adolescent est très important pour son développement et son
estime personnelle. Les relations qu'entretient l'adolescent avec ses parents
peuvent se refléter dans les relations qu'il aura avec la
société en général.
Une des grandes originalités de l'adoption est que
l'adopté se retrouve avec quatre parents, dont deux qu'il connaît,
qui l'ont aimé et élevé. Cela peut être vécu
assez difficilement à l'adolescence ; où l'on a
précisément besoin de repères précis et où
la situation peut parfois paraître floue.
Afin de mieux connaître les adolescents avec qui nous
avons fait les entretiens, nous avons élaborés une typologie des
adolescents interviewés à Montréal (les
prénoms attribués ont été changés). Le
tableau qui suit permet de se rendre compte des situations des jeunes qui ont
volontairement répondu aux différentes questions dans le but de
cette recherche de Maîtrise.
|
Age
|
Sexe
|
Adopté à :
|
Pays d'origine
|
Profession des parents
|
Intégré
|
Rachelle
|
21
|
F
|
2 ans
|
Bangladesh
|
Ingénieur,
Infirmière
|
Oui
|
Gabriel
|
14
|
M
|
3 ans
|
Viêt-Nam, Belgique
|
Travailleur social, mère au foyer
|
Non
|
Laurence
|
18
|
F
|
5 mois
|
Corée du Sud
|
Milieu adoption, ouvrier
|
Oui
|
Samuel
|
18
|
M
|
2 ans
|
Jamaïque
|
Ingénieur, infirmière
|
Oui
|
Mickæl
|
17
|
M
|
5 ans
|
Russie
|
Fonctionnaires
|
Oui
|
Marie
|
15
|
F
|
3 mois
|
Guatemala
|
Chef de chantier,
Professeur d'université
|
Oui
|
Carolina
|
13
|
F
|
5 ans
|
Chine
|
Professeurs
|
Oui
|
Stéphane
|
18
|
M
|
5 ans
|
Québec
|
Fonctionnaires
|
Non
|
Elodie
|
16
|
F
|
4 mois
|
Corée du Sud
|
Ouvrier,
Mère au foyer
|
Oui
|
Emma
|
15
|
F
|
5 ans
|
Polynésie
|
Fonctionnaires
|
Non
|
Marie-Pierre
|
21
|
F
|
14 jours
|
Liban
|
Psycho
Thérapeute,
Mécanicien
|
Non
|
Ariane
|
21
|
F
|
5 mois
|
Haïti
|
Fonctionnaire, ouvrier
|
Oui
|
Christine
|
21
|
F
|
2 ans et demi
|
Philippines
|
Mère psycho
thérapeute
|
Oui
|
Karine
|
14
|
F
|
5 mois
|
Guatemala
|
Parents au foyer
|
Oui
|
Nous avons donc ici les catégories
socioprofessionnelles des parents des adolescents adoptés. Il semblerait
que le lien entre le métier, le milieu social des parents et le niveau
d'intégration des adolescents ne soit pas si évident que cela.
L'intégration familiale dépend beaucoup du contexte dans lequel
l'adolescent a été élevé, et non pas le niveau
financier des parents. L'amour et le dialogue sont essentiellement des facteurs
d'intégration familial pour l'adolescent. Il y a de plus le
caractère de l'adolescent qui est assez important dans une adoption.
Chacun ne réagit pas de la même manière face à une
adoption et les questions qu'elle soulève. La réaction de
l'adolescent par rapport à son adoption dépend de son aptitude
à réagir face à tous ses questionnements.
Le milieu familial est important pour l'intégration
sociale et familiale des adolescents. Par exemple, le fait d'appartenir
à une famille nombreuse où tous les enfants ont été
adoptés aide à l'intégration et au sentiment d'être
bien. Les relations familiales élargies sont elles aussi importantes. En
particulier lorsqu'un conflit éclate dans la famille à cause de
l'adoption de l'adolescent. Celui-ci peut ressentir une forte
culpabilité, et une honte par rapport à son adoption.
C. Les parents et l'adoption (sujet tabou ou sujet
comme les autres ?)
L'adolescent peut mettre en place un processus identitaire
selon le contexte familial où il évolue, et plus
précisément selon la façon dont les parents adoptifs
abordent le thème de l'adoption et des origines de l'adopté.
Comme le témoigne Ariane « Ce n'est pas un sujet dont
on parle souvent en famille (page 3), mes parents ne m'ont
jamais donné d'information, c'est moi qui ai dû aller chercher
ça toute seule » (page 8). « Ils
n'étaient pas trop ouverts à ma culture d'origine (...) quand tu
es jeune, on te donne les informations qu'on veut bien te
donner. » (Page 8). On sent bien ici l'amertume, et le
regret face aux manques d'intérêt qu'ont porté les parents
envers cette adoption. Le regard des parents sur leurs enfants adoptifs est
extrêmement important pour l'estime qu'il aura de soi-même, ainsi
que pour son comportement en société.
« Les parents, ils ont un rôle
à jouer dans une adoption, surtout internationale, parce que leur regard
va influencer la façon dont le jeune se verra plus tard. C'est
très important ça, tu dois le mettre dans ton
mémoire ! » (Christine, page 4). Cette jeune
femme conseillait donc de mettre cette citation dans ce mémoire, c'est
chose faite. Le but était ici d'insister sur l'importance du rôle
des parents adoptifs envers leur enfant. L'intégration de leur enfant se
fait aussi par eux.
La plupart des adolescents m'ont confié avoir
été mis au courant de leur adoption dès qu'ils ont
été en âge de comprendre. C'est la situation la plus
courante. De plus, comme me l'ont signalé certains, il est difficile de
garder une adoption secrète lorsque l'on n'est pas de la même
couleur de peau que ses parents. Christine me disait ainsi
« J'ai toujours su que j'étais adoptée, de
toute façon ça parait là (rires), on n'est pas de la
même couleur. Ca n'a jamais été caché dans notre
famille. Mes parents fêtaient même chaque année notre
arrivée, un anniversaire d'adoption en quelque
sorte. » (Page 2)
Le fait de savoir que l'on a été adopté
semble être primordial pour la création d'identité et le
bien-être des adolescents. L'abandon étant déjà
présent dans les esprits, un second secret pourrait avoir de lourdes
conséquences pour l'attachement des adolescents envers leurs parents,
ainsi que pour leur bon développement.
Aucun des adolescents interrogés n'a découvert
son adoption par hasard. Tous l'ont su par leurs parents quand ils ont
été en âge de comprendre ce qu'était l'adoption,
souvent vers trois ou quatre ans. C'est un facteur très important dans
une adoption. Le dialogue est bien souvent le moyen utilisé pour faire
face aux différentes questions, aux différents doutes des
adolescents adoptés. « Puis on parle bien oui,
ça se passe bien, il y a beaucoup de dialogue chez nous en
fait » (Stéphane, page 4). Le dialogue, est comme
dans toute famille, très important pour
l'homogénéité de la famille. Les adolescents
adoptés ressentent encore plus ce besoin de communiquer, même si
ils ne l'expriment pas directement. Les questionnements sur les origines, sur
leur couleur de peau, sur les remarques des autres jeunes sont tant de soucis
pour l'adolescent qu'il a besoin de faire part de tout cela. Les adolescents
adoptés apprécient le fait que les parents aient toujours
parlé de leur adoption avec eux. « Ma mère nous
a tout raconté en détails, comment ça s'est passé,
elle m'a même montré les papiers pour les démarches
d'adoption. Avec elle ça ne me gêne pas (page 5)
Mais j'apprécie de pouvoir en parler avec elle, car c'est vrai que
ça aurait pu être un sujet tabou (page 5). Il est vrai
que le fait d'avoir un tabou dans la famille concernant l'adoption de
l'adolescent émet une sorte de gêne familiale qui peut engendrer
différents problèmes si ce tabou n'est pas abordé.
Ce tabou n'a souvent pas lieu dans les familles adoptives de
part les différences (de couleur en particulier) obligent en
quelque sort les parents à parler de l'adoption à leur enfant.
« Mais je me dis aussi que là je ne ressemble pas trop
à ma mère dû au fait que je sois asiatique, sinon je me
serais posée des questions ». (Mijanou-Laurence, page
5)
La plupart des parents abordent assez tôt la question de
l'adoption avec leur enfant, ce qui facilite la compréhension de la
situation. « Mes parents m'ont parlé tôt de mon
adoption, ça n'a jamais été un secret, de toute
façon ma couleur... (Page 3) Ils nous ont dit, tu es
née dans le ventre d'une autre femme, et peut-être pas dans le bon
ventre, l'avion t'a amené chez nous et voilà
(rires) » (Rachelle, page 3)
Une des hypothèses du mémoire était
de vérifier si le comportement des adolescents vis-à-vis de
l'adoption avait un impact sur l'adolescent et son intégration.
D'après ces entretiens, nous pouvons dire que les adolescents
perçoivent de façon positive d'avoir été mis
tôt au courant de leur adoption. Le dialogue parent enfant est
extrêmement important dans les relations familiales. Il l'est encore plus
dans le cas d'une adoption internationale de surcroît.
L'intégration familiale de l'adolescent sera
largement favorisée si les parents adoptifs ont toujours abordé
la question de l'adoption, et su répondre aux différents
questionnements de l'adolescent. Plus de la moitié des adolescents ayant
fait l'entretien ont confié que le fait de savoir qu'ils avaient
été adoptés les a aidé à se
développer et s'intégrer. L'adoption dans le secret n'en aurait
été que plus lourde à porter. L'abandon étant
déjà en soi un secret (quand on ne connaît pas toutes les
circonstance de l'abandon), un secret supplémentaire venant des parents
adoptifs est très dur à gérer pour les adolescents. La loi
du secret est vraiment la pire des choses dans une adoption (interne ou
internationale). Lorsque l'adolescent apprend à un âge tardif (par
ses parents ou par autrui), son adoption, il a le sentiment d'avoir
été trompé, bafoué dans son intimité. Tout
ce qui faisait ses repères (ses parents, sa famille, ses amis) se trouve
remis en cause.
C'est pourquoi les adolescents adoptés
reconnaissent majoritairement que le fait d'avoir toujours su qu'ils avaient
été adoptés les a aidé à se construire et
à s'intégrer dans la société ; car ils
savaient qui ils étaient.
La perception des adolescents adoptés sur
eux-mêmes dépend aussi de la perception que les parents adoptifs
ont sur leurs adolescents, de la façon dont on leur a parlé de
leur adoption et de leur histoire.
· L'attachement
Au cours de mon année d'études à
Montréal, j'ai pu suivre un cours sur l'adoption internationale au
Québec, donnée par la Présidente de la
Fédération des Parents Adoptants du Québec. Ce cours
expliquait notamment ce qu'étaient les possibles problèmes
d'attachement des enfants et adolescents adoptés.
L'attachement se fait généralement entre les
âges de neuf à dix huit mois, avec les personnes
référents qui s'occupent de lui le plus souvent (mères,
pères, personnels hospitaliers, personnels d'orphelinats). Si par
exemple, un enfant pleure sans arrêt, et que personne ne vient à
lui, l'enfant va petit à petit se renfermer. Dans ce cas, il y aura
possibilités de troubles de l'attachement, car il devient méfiant
et sa confiance diminue. Tous les enfants abandonnés ont un
« défi d'attachement » face à leurs parents
adoptifs. Ce sont en effet « les survivants » de ce qu'ils
ressentent comme un « rejet » de leur mère.
Cette notion de rejet est présente consciemment ou
inconsciemment dans presque tous les entretiens effectués. C'est
pourquoi l'enfant adopté a besoin de sécurité, de
rîtes (alimentation, bains, coucher). La routine et l'habitude sont
sécurisantes pour lui. Ces repères sont tout aussi importants
à l'adolescence, lors de la quête de l'identité propre
à tout adolescent.
Même si les adolescents ont dans la majorité des
cas compris pourquoi ils avaient été confiés à
l'adoption, ils ont éternellement cette question en eux : pourquoi
moi ? Pourquoi m'avoir abandonné moi alors qu'elle a gardé
mes autres frères et soeurs ? Le sentiment de culpabilité
peut aussi se manifester.
A six ou sept mois, un enfant sait ce qui est important pour
lui. L'attachement dépend aussi de la relation entre l'enfant
adopté et ses parents adoptifs. Parfois, au début, l'enfant ne
s'attache qu'à un parent. Cela peut par exemple être avec la
mère si l'enfant adopté n'a connu que des femmes à
l'orphelinat et ne connaît pas d'hommes. L'enfant peut de plus arriver
avec des carences affectives importantes. Il peut être bon de s'impliquer
dans la future adoption des enfants, leur faire écouter des sons
nouveaux, leur montrer des personnes de peau blanches, pour préparer
à la transition.
Dans cette enquête, le témoignage le plus
révélateur du problème d'attachement est celui de
Marie-Pierre (voir dans les annexes du mémoire). Marie-Pierre a des
problèmes d'attachement avec ses parents, mais aussi avec ses amis
(hommes ou garçons). La difficulté majeure pour elle est
d'accepter sa situation d'adoptée ainsi que ses parents.
« Mon frère et ma soeur, on s'aime parce que c'est
nous ! Mais mes parents, ils nous aiment parce qu'ils voulaient des
enfants, mais pas parce que c'est nous... Et puis c'est tombé sur nous
cette adoption » (page 5). « On est plus
comme des colocataires qu'une vraie famille quoi. Je n'ai pas de lien assez
fort avec ma mère. Enfin c'est ce que je pense mais pas
elle ». (Page 7). Le problème d'attachement ici est
connu par Marie-Pierre elle-même ; elle est en consciente et en
souffre. Mais il est très difficile de régler un problème
d'attachement, engendré par une blessure psychologique profonde :
l'abandon de la mère biologique. Cet abandon, même lorsqu'il est
perçu comme un geste de courage et d'amour par la mère, est
difficile à accepter pour l'adolescent.
L'attachement se fait aussi bien sûr par le comportement
des parents adoptifs, l'attitude qu'ils ont envers leur enfant.
« Mes parents, ils ont toujours été ensemble,
ils font petit couple heureux ensemble, et du coup, mes frères et soeurs
et moi, on s'est senti comme un peu exclus. C'est rare qu'on ait eu le
sentiment de former une famille » (Marie-Pierre, page 5)
On voit bien ici qu'il y a un véritable trouble
d'attachement, tant pour l'adopté que pour ses frères et soeurs
adoptés eux aussi. C'est pourquoi le contexte de l'adoption, le climat
familial, les motivations des parents adoptifs sont des éléments
extrêmement importants pour les adolescents adoptés. Il semble
primordial pour les enfants et les adolescents de sentir qu'ils font partie de
la famille à part entière, qu'ils ne sont pas là au
hasard, mais parce qu'on les a désirés.
Dans ces problèmes précis d'attachement, on
reconnaît bien sur que l'intégration familiale n'est pas
réussie. Cela engendre bien sûr beaucoup de conflits au sein de la
famille, tant au niveau des adolescents que des parents adoptifs. Les parents
se sentent dépourvus face à cette situation, et culpabilisent
bien souvent. Mais il faut savoir qu'un problème d'attachement n'est pas
toujours la faute d'une personne uniquement. L'adolescent peut avoir des
difficultés à s'attacher à sa famille, malgré la
meilleure volonté des parents. L'adoption est toujours un pari qu'il
faut gagner. « Moi j'ai un trouble de l'attachement,
malgré ce que dit ma mère. Mais elle a du mal à accepter
ça je pense aussi. Ce n'est pas facile pour elle. (Page 13)
Même si j'ai un grand respect pour mes parents (...), je le sens
en moi que ce n'est pas mes parents là, ce n'est pas de ma faute mais je
le sens. (Page 13)». (Marie-Pierre, page 14) L'adoption a ici
créé des problèmes chez Marie-Pierre. Son
intégration familiale n'est pas complétée. Elle ne se sent
pas complètement faisant partie de la famille.
« Je sais que mon adoption m'a apporté
des problèmes que j'essaie de régler, et puis ce n'est pas un
problème facile à régler car, ce sont des problèmes
psychologiques (page 14). Je vais m'éloigner pour ne
pas souffrir d'aimer en fait, pour ne jamais être déçue. Je
suis toujours sur la défensive, tout le temps. »
L'adoption a donc produit un sentiment d'autodéfense
perpétuel chez Marie-Pierre. Ayant vécu son adoption comme un
abandon de sa mère biologique, elle s'est créé un mode de
relations sociales limitées. Elle a peur d'aimer et d'être
rejetée par la suite.
Cependant, un problème d'attachement
n'empêche pas l'intégration sociale de l'adolescent adopté.
L'exemple de Marie-Pierre est le plus parlant. Elle a un véritable souci
d'attachement dans sa famille adoptive mais est très bien
intégrée socialement. Elle s'occupe notamment d'une
petite fille de sept ans ayant été maltraité par son
père, et prévoit de devenir sa tutrice. Il semblerait que
l'adoption ait provoqué chez Marie-Pierre un sentiment de
responsabilité envers cette enfant, qui a été
abandonnée affectivement par son père. Peut-être est-ce une
façon de répondre à l'abandon qu'elle a elle-même
connu.
II. L'adolescent
adopté, l'intégration et son environnement social
A. Les activités des adolescents
Nous nous sommes intéressés au fait de
participer à des activités, d'avoir une vie sociale autre que
l'école ou le système scolaire, dans le cas d'une adoption
internationale.
On a pu constater que les adolescents adoptés avaient
une certaine ouverture d'esprit et envie de découvrir d'autres cultures,
des sports, d'être avec les autres. Beaucoup de ces adolescents, comme
tout adolescent, participent ou ont participé à des
activités sportives ou culturelles. « Au secondaire,
je faisais partie du club interculturel, on organisait des soirées
à thèmes, j'aimais bien participer à ça,
c'était sympa. La plupart venaient aussi d'autres
cultures ». (Christine, page 6). Tous m'ont
témoigné leur envie de faire quelque chose avec les
autres, de s'ouvrir à d'autres activités.
« Je joue au soccer, c'est important pour moi, j'aime
ça faire partie d'une équipe c'est le fun je
trouve » (Karine, page 6).
Une activité culturelle peut aussi être le moyen
de découvrir ou de mieux connaître sa culture d'origine, comme
pour Marie-Pierre par exemple « Pour me rapprocher de ma
culture, j'ai pris des cours de Baladi, c'est une danse
arabe » (Page 12). Pratiquer cette danse orientale lui
permet de se rapprocher de sa culture dite de sang, en l'occurrence
ici, la culture libanaise.
D'autres adolescents, comme Gabriel, quatorze ans, ont
développé une forte amitié avec d'autres jeunes du
quartier. « J'ai aussi plein d'amis dans le quartier, on fait
pleins de choses ensemble. On est un bon groupe de gars là, des noirs,
des arabes. On joue beaucoup au basket, au hockey, dans le quartier, on fait
pas mal de sport... Aussi on a un studio pour faire du rap ensemble, à
quatre, et on devrait enregistrer un titre bientôt ».
(Page 8). L'adolescence est bien souvent le moment où l'on a besoin de
faire partie, de s'identifier à un groupe, pour développer une
identité. C'est donc le cas de Gabriel, comme tous les autres
adolescents de son âge, qu'ils soient adoptés ou non. La
cohésion d'un groupe permet de faire des projets, comme ici
d'enregistrer un titre de musique rap à Montréal.
Il y a aussi les relations soudées grâce à
l'adoption, comme ce fut le cas pour Marie, quinze ans :
« Je suis arrivée avec d'autres filles du Guatemala
aussi, on est comme des soeurs en fait. On se voit chaque année, on
mange ensemble. C'est important de nous revoir comme ça tous les ans, on
est très proches » (Page 7). L'adoption de Marie
s'est faire en même temps que d'autres enfants du Guatemala. Les parents
ont gardé contacts, et leurs filles aussi. Ce qui fait que ces jeunes
sont désormais très soudés par leur histoire commune, et
se fréquentent ainsi une fois par an. Ces rencontres sont importantes
pour un jeune, car cela fait partie de son histoire, de son passé. Ces
moments peuvent ainsi servir à se remémorer les moments de
l'arrivée, que ce soit avec des photos, des vidéos qu'ont
conservés les parents. Ce sont des moments de ressources pour
l'adolescent, qui rappellent qu'il n'est pas le seul à vivre cette
histoire-là.
Nous pouvons dire que ces activités permettent
l'intégration sociale des adolescents, qui appartiennent ainsi à
un groupe. Ils ne sont plus différents mais compléments d'un
groupe qui a besoin d'eux pendant les matchs de soccer par exemple, ou pendant
une réunion avec d'autres adoptés.
L'activité sportive ou culturelle peut aussi
être le moyen de découvrir de façon ludique sa culture
d'origine, comme c'est le cas pour Marie-Pierre. La danse lui a permis de
rencontrer d'autres personnes de la même origine qu'elle. Cela lui a
permis de discuter avec des libanais, tunisiens, marocains de la culture arabe
qu'elle ne connaissait pas. En ce sens, pratiquer une activité en lien
avec sa culture d'origine peut être facteur de création
d'identité et d'intégration au sein d'un groupe ethnique.
B. La participation aux services ou aux associations
de post-adoption et milieux de l'adoption
L'objectif de cette partie est de voir si les adolescents
adoptés participent à des activités dans le domaine de
l'adoption ou de la post-adoption. L'hypothèse sur le rôle des
associations ou des activités dans l'adoption était de savoir si
la participation à ces activités engendrait une meilleure
acceptation de l'adoption, et une meilleure intégration chez
l'adolescent.
Les jeunes ne sont pas tous égaux devant l'information
dans le milieu de l'adoption. C'est ce qu'on a pu constater grâce
à la recherche pour ce mémoire. Certains connaissent l'existence
de groupes de post-adoption sur Montréal, voir y participent. Tandis que
d'autres ignoraient totalement qu'ils pouvaient participer à des groupes
de discussion et rencontrer d'autres adolescents adoptés comme eux.
L'entretien a dans ce sens était bénéfique pour certains
à qui j'ai appris l'existence de ces services de post-adoption au
Québec.
Les adolescents qui connaissent ou participent à
ces activités
Certains adolescents sont poussés par leurs parents
pour aller à ces rencontres de post-adoption, mais cela ne marche pas
à chaque fois. « Ma mère m'a proposé de
faire partie d'un groupe de post-adoption avec d'autres jeunes, mais ça
ne m'avait pas intéressé. Mais je trouve ça bien pour ceux
qui en ont besoin, au contraire ! » (Laurence, page
10). Le fait est que chaque personne est différente, et ne réagit
pas de la même façon face aux aides apportées. Les
adolescents n'ont pas tous besoin, ou disent ne pas avoir besoin, de faire
partie de ces groupes. Cela dépend en effet de différents
facteurs : la maturité à parler de son adoption, le regard
que l'on y porte, les besoins, la relation avec les parents adoptifs.
De plus, comme le témoignait à juste titre
Gabriel : « Je veux dire aussi que quand on est
adopté, on est quelqu'un de normal. Je ne suis pas obligé de
rencontrer sans arrêt des adoptés comme moi. C'est pas une maladie
d'être adopté quoi !...
Dans une autre famille j'aurais peut-être pu avoir des
problèmes, mais ici, ils me font sentir comme si je n'étais pas
adopté ». (Page 9).
C'est une chose très importante à signaler. Tous
les adolescents n'ont pas envie d'être observées comme
« des bêtes curieuses ». L'adoption est un fait, un
phénomène familial. Mais il faut en effet avoir conscience que ce
n'est qu'une étape de la vie, et la vie suit son cours ensuite pour la
majorité des adolescents.
Comme le disait aussi Stéphane, dix huit ans,
« J'ai remarqué que c'était le traumatisme des
enfants qui n'étaient pas adoptés d'être adopté
(...), c'est plutôt les autres qui pensent que l'adoption crée des
problèmes, mais pas moi (page 7) J'ai un truc à
dire aux gens, arrêtez de vous inquiéter pour les adoptés,
même si tu connais pas ta mère là, ça changera pas
ta vie (page 8). Stéphane, dix huit ans, conçoit ici son
adoption comme quelque chose de banal. Il veut effacer cette image que l'on a
sur l'adoption, le côté tragique.
Chez certains adolescents, l'adoption n'est pas le
phénomène le plus important dans leur vie. Ils ont accepté
ce fait, et vivent avec, tout à fait naturellement. Ce qui explique donc
que tous n'ont pas envie d'aller exposer leurs histoires d'adoptions et leurs
expériences. Ils ne s'attardent pas là-dessus. Cependant, on peut
aussi penser que l'adolescence étant une période où il est
difficile de se confier, certains adolescents n'ont peut-être pas tout
dévoilé durant l'entretien. Mais comme le prescrit la recherche
en sociologie, il sera accordé toute la confiance nécessaire
à la véracité des entretiens obtenus.
Christine est originaire des Philippines et a vingt et un ans.
Elle fait partie d'un groupe de retrouvailles sur Montréal en tant que
bénévole, avec sa mère. « On aide les
personnes adoptées qui veulent retrouver leurs parents biologiques, ou
les parents qui veulent retrouver des enfants qu'ils ont mis en adoption. On
les prépare aux retrouvailles (...) c'est difficile, moi aussi je suis
passée par là. » (Page 7)
Concernant l'existence des groupes de post-adoption
« Moi je n'ai pas eu besoin de faire partie d'un groupe ou
quoi. Mais pour les jeunes qui en ont besoin, je pense qu'il y a pas mal de
centres communautaires qui sont là pour les adoptés
(page 7) J'ai fait un stage pour aider les immigrés
à apprendre le français, tous les samedis, j'allais avec ces gens
pour les aider à lire, à écrire. (Page 7). On
voit ici la détermination de Christine à aider les autres, qui
comme elle, viennent d'ailleurs. Cela correspond bien à la notion
d'ouverture d'esprit des adoptés dont nous parlions
précédemment.
Il y a aussi le cas des adolescents dont les parents sont
impliqués dans le milieu de l'adoption au Québec.
« Ma mère est la présidente de l'association,
elle écrit le journal de l'association, c'est vraiment elle qui s'occupe
de tout, et mon père il est le trésorier. Je trouve ça
bien qu'ils fassent ça, ça m'intéresse beaucoup,
d'ailleurs je vais à toutes les réunions, je m'occupe des enfants
quand leurs parents sont en réunions » (Marie, page
6). On voit ici l'implication de Marie dans ces mouvements, par le biais de
l'activité des ses parents. Le fait que les parents participent à
ces activités montre à l'adolescent qu'ils s'intéressent
à l'adoption, qu'ils aiment ce milieu, ce qui est valorisant pour les
adolescents. Ce facteur favorise de plus l'intégration familiale de
l'adolescent, ayant le sentiment qu'on s'intéresse à lui et
à son adoption. « C'est vrai que je suis fière
que mes parents s'intéressent à cette culture, parce que
ça montre qu'ils s'intéressent à moi aussi. Si ils ne
s'intéressaient pas à ma culture, je ne serais pas
intéressante pour eux. C'est une partie de moi, donc ça me fait
plaisir qu'ils s'y intéressent autant. » (Marie, page
4)
Karine, quatorze ans, originaire du Guatemala fait aussi
beaucoup dans le domaine de l'adoption. Elle a déjà
participé à un interview du magazine féminin Elle
québécois. « Ma mère est dans
l'adoption, elle fait du bénévolat (...) ce qui fait qu'on parle
beaucoup, donc elle sait ce que je ressens en fait... Elle fait partie du
Conseil d'Adoption du Canada (page 3) Des fois, je participe
aux conférences de son organisme, je témoigne (...), je participe
pas mal sur Internet, il y a des forums par exemple. (Page 3)
Je partage ce que je ressens. Ca fait du bien parce que je sais que
j'aide d'autres parents adoptifs qui se demandent comment ça sera
après avec leur enfant. (Page 3).
La participation aux réunions permet de
témoigner ce que l'on ressent, aux futurs parents adoptifs, aux
adolescents aussi. On peut dire que cette mission de
« témoignage » qu'a Karine va lui permettre de se
sentir mieux dans sa peau, voir de se sentir mieux intégrée dans
la société québécoise puisqu'elle y a un rôle
important.
Karine ajoute de plus, « Aussi, j'allais aux
réunions de la Fédération des Parents Adoptants du
Québec, comme ça je rencontrais d'autres personnes du Guatemala,
et d'autres pays, donc j'aimais bien ça. C'était le fun de voir
que je n'étais pas toute seule. (Page 6). La participation
à ces réunions permet donc à Karine de voir qu'elle n'est
pas la seule dans sa situation d'adoptée. Cela apporte un
réconfort et atténue le sentiment d'être différent
qui peut parfois être ressenti. Ses témoignages sont d'une grande
utilité dans l'association. « J'ai expliqué ce
que ce voyage m'avait apporté. Je suis contente de pouvoir aider les
gens. Après mon témoignage, un couple de parents est venu me
voir. Ils ont décidé de faire une adoption ouverte. Donc en fait,
à cause de moi, l'enfant va sûrement connaître sa famille
biologique. Je suis vraiment contente. » (Karine, page 7).
Témoigner sur son adoption a ici des effets très positifs puisque
Karine a réussi à démontrer à un couple d'une
adoption ouverte pouvait être intéressante aussi pour l'enfant.
52(*)
Sur trois personnes participantes à ces
activités de post-adoption et de conseil à l'adoption ou aux
retrouvailles ; tous sont enchantés d'y participer. Cela
développe leur connaissance du milieu de l'adoption, leur permet de
rencontrer des parents adoptants, des enfants, des adolescents adoptés.
Ils peuvent ainsi partager leurs expériences. La participation à
ces activités a donc un effet très positif sur les adolescents et
un rôle intégrateur dans le milieu de l'adoption.
Le danger cependant est que l'adolescent ne
fréquente que des personnes adoptées et n'ait pas de contacts
avec d'autre adolescents. Toutefois, ce n'était le cas d'aucun des
adolescents interviewés à Montréal.
Les adolescents qui ignorent l'existence de ces
activités
Certains adolescents au Québec (mais cela peut
sûrement se vérifier en France) ignorent l'existence de groupes de
post-adoption au Québec, et à Montréal. Les entretiens ont
mis le doigt sur une défaillance des services sociaux de Montréal
en matière d'adoption. Au terme de l'entretien, nous avions donc bien
souvent une conversation à propos de ces groupes de discussion sur
l'adoption, sur les retrouvailles. J'ai ainsi pu orienter les jeunes vers des
centres sociaux, des organismes montréalais offrant des services dans le
domaine de l'adoption. Pour certains, les entretiens ont donc été
instructifs.
La plus révoltée en apprenant l'existence des
groupes de discussion sur l'adoption a été Ariane.
« Je n'ai jamais été au courant de
ça ! Il faut aller où pour avoir ses
informations-là ? Je trouve dommage que tout le processus de
l'adoption soit centré sur les parents et non pas sur les enfants.
(Page 10). Cela n'est pas tout à fait faux. Il y a plus
d'organismes s'occupant des parents que des enfants et adolescents.
« Quand tu vois les reportages, tout est
recentré sur les parents, sur leurs problèmes, et moi je trouve
qu'il n'y a pas assez de choses faites au Québec pour les ados et les
enfants » (Ariane, page 10). Ce témoignage montre
bien l'ignorance de certaines jeunes envers l'existence de services d'aide
post-adoption. C'est assez dommage que des jeunes adoptés ne puissent
pas en profiter. Car cela pourrait régler quelques uns des
problèmes et questions qu'ils se posent.
De ce constat, j'ai donc pris quelques initiatives, en
contactant les services de post-adoption de Montréal. J'ai fait circuler
l'information du fait que certains adolescents n'avaient jamais entendu parler
de ces services à Montréal ; et qu'il serait bon de
s'associer avec les organismes d'adoption pour qu'ils informent parents et
enfants lors de l'adoption.
Parfois, le jeune adopté ressent comme un
« délaissement » concernant les adoptés.
« C'est bien de se pencher là-dessus parce que quelque
part c'est une problématique. L'adoption ce n'est pas rien, c'est un
abandon, c'est comme si on centre juste sur le fait que le parent est content,
il a eu son enfant ! »
...« L'enfant il est quoi là-dedans,
c'est comme un traumatisme dont il faudrait s'occuper, parce que après
cela peut avoir des conséquences quoi. » (Ariane,
pages 10 et 11). De la part de certains jeunes, on constate que l'adoption a
parfois été source de difficultés et que participer
à un groupe de discussion les aurait nettement aidés.
« Si on m'avait proposé, j'aurais sûrement
été voir, vers treize ans, ça m'aurait
intéressé (page 5) Si il y avait un groupe sur
la Corée du Sud, j'irais voir oui, par
curiosité ». (Elodie, page 5).
Là encore, cette adolescente de dix huit ans a été mal
conseillée concernant un groupe de discussion. « Je ne
savais même pas que ça existait. Je n'ai jamais entendu parler de
ça. C'est vrai que si j'avais pu, j'aurais été. Dire mon
vécu, raconter mon adoption. Ca m'aurait dit dans ma tête que je
ne suis pas tout seul (page 8) Mais c'est vrai que ça
manque un peu les groupes de discussion sur l'adoption, sur les pays d'origine,
ça pourrait aider des enfants ou des adolescents qui ont des
difficultés avec ça ». (Michael, Page 11)
Même si les parents dialoguent avec leur adolescent
adopté, un groupe de discussion peut être un complément.
Car l'adolescent ne dirait pas obligatoirement tout ce qu'il a sur le coeur
à ses parents. « Faut pas que le
parent croie qu'il est un super héros et qu'il va dealer tout seul, il y
a des services et il faut voir ça avec eux pour se faire
aider » (Rachelle, page 7)
Le constat de cette partie est assez frappant. Des
services de post-adoption existent, mais tous les adolescents ne sont
malheureusement pas au courant. La faute à qui ? Aux parents
non-informés ? Aux services sociaux et associations qui ne font pas
assez de publicité pour leurs services ? Aux organismes d'adoption
qui pourraient informer les parents lors de l'adoption de
l'enfant ?
Ce qui est dommage, c'est que si les adolescents avaient
eu l'information, certains y auraient participé. Le Québec a donc
encore du travail à faire dans son information de services, notamment
dans le domaine de l'adoption, afin que toutes les personnes
intéressées puissent bénéficier de l'aide
proposée.
III. L'identité de l'adolescent
adopté
A. L'adolescence, une période de passage avec
des questions en plus
L'adolescence est une période de crise nous en
conviendrons. Elle se manifeste différemment selon les adolescents,
adoptés ou non. Car comme on l'appelle, « la crise de
l'adolescence » n'est pas l'apanage uniquement des personnes
adoptées. D'ailleurs, pour la plupart, l'adolescence des adoptés
ressemble à celle des autres jeunes. Pour chacun d'eux, ce moment de la
vie est une période de changements physiques, de questionnements sur le
sens de la vie, de la remise en cause des parents et la recherche de
l'identité personnelle.
Dans le cas d'une adoption, il y a ce qu'on appelle une
« phase de réaménagement », un passage
fréquent à l'adolescence. L'adolescent adopté construit
alors son « roman familial ». Il idéalise ses
parents biologiques, sa famille, c'est une histoire familiale imaginaire et
romancée. C'est un besoin pour l'équilibre. Il faut aussi
accepter le fait que l'on a été abandonné, afin
d'être épanoui dans sa relation avec ses parents adoptifs. Le
roman familial (selon Freud) consiste, pour un enfant, à inventer et
à amplifier la situation familiale, au point de se réinventer des
parents d'un niveau supérieur que ce qu'ils sont en
réalité. Ce même fantasme détermine ses actes plus
tard à l'âge adulte.
Qu'est ce que le roman familial ?
Attardons nous quelque peu sur la notion de roman familial.
Tout enfant biologique ou adopté, utilise à un moment ou un
autre, le roman familial. C'est un moyen d'apaiser des tensions
intérieures. L'enfant idéalise ses parents. Il les souhaite
parfaits et il les voit ainsi. Vient un moment où il réalise que,
malheureusement, ils ne sont pas parfaits. Pour remédier à cette
situation, qui lui cause des problèmes, l'enfant met en action son
imaginaire et se met à fantasmer à des parents idéaux.
Certains en viennent à penser qu'ils ne viennent pas de la famille,
qu'ils ont été kidnappés et que, quelque part au loin,
existe une famille aimante et compréhensive qui les aimerait tendrement.
L'enfant biologique peut penser avoir été adopté,
même s'il a toutes les preuves contraires. Le roman familial atteint son
apogée à l'adolescence.
Chez les adolescents adoptés...
Pour les enfants adoptés, la situation est
différente. Il existe bel et bien quelqu'un, au loin, qui pourrait bien
s'inquiéter de lui, qui pourrait bien l'aimer comme il le souhaite. De
plus, cette personne pourrait bien lui ressembler. Pour cette raison, le roman
familial demeure vivant plus longtemps dans l'esprit des jeunes adoptés.
Il est présent chez plusieurs durant l'adolescence et parfois même
jusqu'à l'âge adulte. L'enfant adopté se sert du roman
familial pour apaiser son mal d'abandon. Pour mieux vivre cette situation, il
garde espoir d'avoir été voulu par ses parents de naissance. Ils
les idéalisent. C'est à cette image de parents d'origine parfaits
que le jeune compare ses parents adoptifs.
Il ne faut pas oublier que le roman familial sert d'outil pour
réduire le mal ressenti par rapport à
« l'imperfection » de ses parents.
« C'est sûr que des fois, pour blesser ma mère,
je lui dit, oh t'es pas ma mère de toute façon. Mais c'est
sûr que c'est injuste parce qu'elle est super, mais bon, je dis ça
quand je suis très énervé. » (Gabriel,
page 5). Ce mal est encore plus intense chez l'adopté qui doit vivre
avec le deuil de ses origines. Tant que le travail de réconciliation
avec son passé n'est pas fait, le jeune voudra se protéger en
entretenant le plus possible le roman familial.
L'adolescence est une période de confrontation de
valeurs avec les parents. Comme tous adolescents, l'ado adopté se
cherche, cherche ses valeurs. Cela ne se fait pas sans remise en question, sans
argumentation. Ce processus normal de conflits de valeurs avec les parents, est
souvent mis sur le dos de l'adoption. Plusieurs ados en viennent à
penser que les parents de naissance, les comprendraient beaucoup mieux que les
parents actuels. « Si j'étais avec
mes parents de naissance, eux ils me comprendraient ! »
(Gabriel, page 5). Le roman familial est toujours en fonction chez l'adolescent
adopté.
Il y a des limites au roman familial chez l'adopté.
L'adolescent qui développe ses capacités cognitives vient
à réaliser toute l'ampleur de l'abandon et arrive difficilement
à se protéger de cette réalité par le roman
familial. La fuite vers l'imaginaire n'est plus possible. Il acquiert un esprit
plus logique, l'adolescent peut réfléchir sur les
possibilités perdues. Il est en position de se demander comment sa vie
aurait pu être s'il n'avait pas été adopté. Ces
questions plus terre à terre viennent réduire l'importance du
roman familial.
L'adolescence est un passage où les questions
d'identité arrivent, si elles ne sont pas arrivées avant à
l'enfance. L'adolescent adopté peut se poser les questions
« qui suis-je ? L'adolescent adopté appartient
génétiquement à un groupe, et culturellement à un
autre, ce qui peut être assez difficile à vivre. Il appartient aux
deux groupes, ils font partie de lui. « Je pense que la
famille qui va adopter, c'est important que au début au moins, elle
s'adapte au jeune et non que nous on s'adapte à eux (...), il faut
laisser ce jeune-là s'introduire lui-même dans sa nouvelle
culture, il faut le laisser faire la transition » (Rachelle,
page 7)
C'est pourquoi la relation que l'adolescent a avec ses parents
est primordiale pour son développement et sa création
d'identité. « Des fois, pour blesser ma mère,
je lui dit, oh t'es pas ma mère de toute façon. Mais c'est
sûr que c'est injuste parce qu'elle est super, mais bon je dis ça
quand je suis très énervé ». (Gabriel,
Page 5). « Ma mère adoptive a toujours
été très ouverte à ça, on se parlait, c'est
pour ça que je pense que mon adolescence s'est passée
normalement. » (Page 3). La dialogue est ici
démontré comme très important à l'adolescence. Le
fait qu'il n'y ait aucun tabou (surtout pas sur l'adoption) favorise le
bien-être puis l'intégration sociale de l'adolescent. Les parents
qui montrent une certaine fierté envers leur adolescent permettent
à se dernier son épanouissement maximal. L'harmonie de
l'adolescent dépend de la façon dont les parents auront
parlé de l'adoption à l'adolescent et des outils qu'ils lui
auront donné pour répondre aux autres. « Nos
parents nous ont toujours donné les outils pour nous défendre,
pour répondre aux attaques » (Rachelle, page 5). Le
rôle des parents dans une adoption permet ou non l'intégration de
l'adolescent. Si ces derniers « équipent »
l'adolescent pour répondre aux attaques, il sera plus sûr de lui.
« L'adolescence, ça a
été un peu tendu, c'est sûr (...) Au final il y a des
moments positifs et des moments négatifs (...) La sortie de
l'adolescence a été une période plus heureuse (...) Quand
tu es chez tes parents, c'est eux qui te façonnent, et quand tu sors de
ça, c'est comme si tu commençais à
t'affirmer » (Ariane, page 4). L'adolescence des adolescents
adoptés peut être semblable à certains niveaux à
celle des non-adoptés (tensions avec les parents, demande
d'indépendance). Mais c'est un fait que les adoptés doivent
créer leur identité plus intensément que les autres. Le
fait d'avoir des origines étrangères n'est pas neutre. Le regard
d'autrui, les questionnements identitaires ajoutent une difficulté en
plus à l'adolescence des adoptés.
Cependant, certains adolescents perçoivent leur
adolescence comme semblable aux autres. Pour eux, l'adoption ne change rien
à la difficulté de l'adolescence. « C'est vrai
qu'il y a eu plus de tensions à cette période, mais ça
n'avait aucun lien avec le fait que j'étais adoptée, je vois pas.
C'était vraiment parce que c'était l'adolescence, on
s'engueulait, mais ce n'était pas sur ce sujet-là quoi.
(...) Pour moi, cela n'a jamais été comme une
barrière à porter mon adoption. Les disputes et tensions
familiales à l'adolescence ne sont donc pas toujours obligatoirement
liées à l'adoption. « Que je m'engueule avec ma
soeur qui vient de Chine ou ma soeur qui vient du Vietnam, il n'y a pas de
relations avec l'adoption. (Laurence, page 9)
Un des facteurs expliquant cela est l'acceptation de
l'adoption par l'adolescent. La façon dont il voit son adoption sera
primordiale dans la manière dont son adolescence va se passer.
« Moi je pense que ça c'est bien passé, comme
les autres quoi, c'est juste que tout dépend du fait de ton acceptation
que tu soies adopté. (...) Si tu ne l'a pas
accepté depuis l'âge de cinq ans, l'adolescence sera encore pire,
parce que là tu vas encore chercher ton identité sexuelle,
culturelle, tu as plein d'identité à trouver. Avec l'adoption, tu
as une identité de plus à trouver, donc parfois ça peut
être difficile ». (Laurence, page 9). Cette
adolescente de dix-huit nous montre bien quel parcours peut être
l'adolescence, et en même temps, que l'adoption peut créer des
difficultés supplémentaires pour l'adolescent, notamment au
niveau de l'identité qui va alors être plus complexe à
trouver. L'important dans une adoption, c'est la manière dont cela est
perçu par l'enfant, et aussi à l'origine, par les parents
adoptifs.
B. Questionnements des adolescents
L'adoption augmente la difficulté de l'adolescence sur
la création de l'identité, la peur du rejet ou de l'abandon,
l'équilibre entre des besoins d'encadrement et d'autonomie, le sentiment
d'appartenance à la famille et au milieu de vie et la curiosité
au sujet de ses origines. La création de l'identité des
adolescents adoptés peut être plus complexe parce qu'ils ont en
quelque sorte « deux familles », comme le dit
Stéphane, dix sept ans « Genre là j'ai deux
mères, c'est ben mieux encore...Puis ils s'entendent bien ensemble, et
puis c'est parfait, genre ça ne me dérange pas du tout
là. » (Page 4)
Cependant, pour certains, il leur apparaît
difficile de départager jusqu'à quel point ils sont semblables ou
différents de leurs « deux paires de parents »,
surtout que le plus souvent ils ne savent rien de leurs parents de naissance.
Les adolescents adoptés se posent différentes sortes de questions
comme « d'où me vient tel ou tel trait de
caractère », « talent ou
intérêt » ? « Est-ce que j'ai des
frères et soeurs » ? « Est-ce que tous les
membres de ma famille d'origine sont petits ou grands » ? Ces
questions sans réponses sont autant d'interrogations qui peuvent
perturber l'adolescent dans son développement, si les questions prennent
trop de place dans sa vie.
Souvent, les parents adoptifs n'ont pas de réponses
à ces questions bien légitimes. Les adolescents adoptés
peuvent se replier sur eux-mêmes ou chercher à fuir loin de la
maison pour trouver leur véritable identité. Ils peuvent
être très critiques de la façon dont leurs parents adoptifs
les ont préparé à leur statut d'enfant adopté. Par
ailleurs, il est bien possible que certains adolescents craignent de quitter la
maison parce qu'ils ont déjà souffert de la perte de leurs
parents de naissance. Par exemple, s'ils doivent aller poursuivre des
études loin de leur foyer, certains adolescents adoptés peuvent
craindre que leurs parents adoptifs vont les oublier, qu'il n'y aura plus de
«maison» où retourner. Ils auront peur d'être
abandonnés.
La tension entre les parents qui ne veulent pas perdre le
contrôle et les adolescents qui exigent plus d'autonomie
est une notion essentielle de l'adolescence. Les enfants
adoptés peuvent la ressentir plus profondément parce qu'ils ont
le sentiment que quelqu'un d'autre a toujours décidé à
leur place. Leur mère de naissance a décidé de les confier
en adoption; leurs parents adoptifs ont décidé de les accepter.
Ces derniers peuvent craindre, à tord ou à raison, que leur
enfant est prédisposé à avoir des problèmes de
comportements parce qu'il a eu un départ plus difficile dans la vie
(surtout pour un enfant adopté alors qu'il n'était plus
bébé).
En raison de ces craintes, les parents adoptifs peuvent
resserrer leur contrôle au moment même où l'adolescent veut
plus de liberté. L'enfant peut en déduire que ses parents
manquent de confiance en lui. Il faut alors que les parents et les adolescents
arrivent à conclure une entente sur ce qui constitue un comportement
digne de confiance, dans tous les domaines (école, choix des amis, choix
d'activités). Ils peuvent convenir des privilèges et des
conséquences associés au fait de démontrer ou de ne pas
démontrer tel ou tel comportement. Si les deux parties ont leur mot
à dire, il y aura moins de luttes de pouvoir.
Les adolescents adoptés ont moins de points de
repères pour comprendre qui ils sont, d'où ils tiennent leur
identité. En fait, on leur fait souvent remarquer qu'ils sont
différents : ils ne ressemblent pas à leurs parents, ni
à leur frères et soeurs. Pas surprenant alors que l'adolescent
puisse ressentir un sentiment de non appartenance. Les enfants de familles
transraciales peuvent ressentir encore davantage ce sentiment
d'aliénation. Ils deviennent très conscients de leurs
différences physiques et ils luttent pour concilier leur origine
culturelle à leur perception d'eux-mêmes. Les parents adoptifs
peuvent augmenter le sentiment d'appartenance à la famille en
fréquentant des adultes et des enfants de la même origine
culturelle que leur adolescent.
Dans la partie problématique de ce mémoire, nous
avons parlé des travaux de Françoise Dolto. Elle situe
l'adolescence entre treize et dix-sept ans, même si les limites sont
assez floues53(*). C'est
un âge intermédiaire, où tout évolue. On peut
appeler cela une période de « mutation », un moment
de fragilité. Elle compare en effet l'adolescent à un homard
pendant sa mue, sans carapace, devant s'en fabriquer une autre. L'adolescence
est une période de passage qui sépare l'enfance à
l'âge adulte, elle a pour centre la puberté. C'est l'époque
des changements, d'une part dans la relation que l'adolescent entretient avec
son propre corps qu'il découvre. A cette période, on fait le
deuil son enfance, du passé.
L'adolescent, de plus quand il est adopté, entre dans
un moment de sa vie nouveau et insécurisé. Toutes sortes de
questions apparaissent. C'est aussi la période de la découverte
de son corps et du corps de l'autre, de l'apprentissage de la sexualité.
Il doit créer sa propre identité, partagée entre
l'identité et la culture québécoise, et sa culture
d'origine, qui parfois peut lui poser des questions. « C'est
sûr qu'il y a plus de questions que quand j'étais petite en fait.
Il y a des choses que je comprends mieux aussi. Les questions que je me pose le
plus, c'est à qui je ressemble moi ? (...) Parce
que mes amies ont les yeux de leur mère par exemple, ou les cheveux de
leur père. Moi je ne sais pas à qui je ressemble
(...).
Les questions de la ressemblance physique avec les parents
sont de véritables problèmes chez les adolescents. Ne pas avoir
de référents en matière de physique peut être assez
déstabilisant finalement. De plus, dans toutes les familles dîtes
« traditionnelles », on compare souvent les enfants
à leurs parents ; celui-ci ressemble à son père, etc.
Cela peut créer et accentuer le sentiment de différence de la
part des adolescents. « Mais j'aimerais juste pouvoir faire
le lien entre moi et mes parents en fait. C'est le côté
biologique, à qui je ressemble le plus et puis tout ça qui me
questionne ». (Karine, page 3). Savoir à qui on
ressemble fait dont partie des questions les plus récurrentes chez les
adolescents adoptés.
Les origines peuvent être sujette à
interrogations, voire à angoisse, pour certains jeunes qui n'ont pas
vraiment d'informations sur leurs parents biologiques, sur leur pays d'origine.
Chez certains, les origines peuvent même être motif de gêne
dans la mesure où elle indique une autre appartenance que la culture
québécoise.
L'adoption établi un lien de filiation entre les
parents et l'enfant adopté, mais cela n'efface pas les interrogations et
les difficultés pouvant se poser.
Elodie nous a ainsi livré son témoignage
concernant son adolescence. « C'est sûr qu'il y a plus
de questions qui se posent en fait. Parce qu'on est plus grand, qu'on
s'intéresse plus quoi (...) C'est plutôt les
autres qui s'intéressent plus à ton histoire. On a plus de liens,
on a grandi, on est plus amis. Donc ils osent plus nous poser des questions par
rapport à l'enfance. (...). L'adolescence est aussi un
période où l'on a plus de fréquentations, plus d'amis, ce
qui favorise les discussions sur l'adoption, et incite l'adolescent à en
parler.
« Ma crise d'adolescence si on peut dire,
ça s'est passé vers l'âge de 14 ans. Mais bon ce
n'était pas une crise plus importante parce que j'étais
adoptée. (...)
Mais vraiment j'avais les mêmes conflits que les
autres ados, par exemple pour les sorties etc. (...) Mais je
ne regrette pas cette période, car ça fait mûrir quand
même. Pour moi c'est une période positive qui m'a permis de passer
à autre chose. C'est une sorte de transition entre l'enfance et
l'âge adulte. « (Elodie, page 2). La plupart des
adolescents sont d'accord pour dire que l'adolescence est une période
qui les fait grandir et mûrir. Certains profitent des questionnements de
l'adolescence pour faire des recherches sur leurs origines, pour poser plus de
questions à leurs parents.
L'adolescence est souvent synonyme d'instabilité et de
tensions. « J'ai remarqué que j'ai changé quand
même, par rapport à quand j'étais petit. Des fois avec ma
mère on s'engueule. Avant j'étais gentil et calme. Mais
maintenant, je suis baveux, j'aime ça me chicaner. Aussi je
déteste qu'on me donne des ordres ». (Gabriel, page
4) ; il y a différentes façon de vivre son adolescence
lorsque l'on est adopté. Certains, comme chez Gabriel, peuvent
développer une agressivité. Ils ont une adolescence assez
orageuse, avec des possibles passages à l'acte, fugues, colères,
reproches violents, rejet du scolaire. Cela peut être des moments
pénibles à supporter pour les parents et la famille en
général. « Je n'étais pas du tout
stable, je restais, je repartais de chez moi, je ne me sentais pas à ma
place dans cette maison là. Peut-être si on avait formé une
vraie famille comme tout le monde, je ne serais pas partie comme
ça. » (Marie-Pierre, Page 7). Ces
adolescents ont besoin d'exprimer la haine et la révolte qui les habite
du fait de leur abandon. « Je pense souvent à mon
abandon. Mais je me dis, ben si ils m'ont abandonné, c'est qu'ils
avaient de bonnes raisons. Je ne veux pas trop chercher non
plus. » (Samuel, page 2)
L'adolescence, qui débute vers douze/treize ans, est
une période de questions, de remise en questions.
« Vers l'âge de 15 ans, j'ai commencé à
poser des questions sur mon adoption (...) j'ai eu l'information sur mes
origines. Je me posais aussi des questions sur la sexualité, qui je
suis, d'où je viens. Donc à cette période, j'ai
découvert mes réponses. (Page 6). « Avoir ses
réponses », une expression commune à de nombreux
adolescents. L'adolescent a envie de savoir, de connaître, de
comprendre son histoire personnelle ; ce qui l'a amené à
être abandonné, puis adopté au Québec. Il est
important de savoir d'où l'on vient pour savoir où on va.
« J'ai eu une belle adolescence, assez difficile, mais
pleine d'émotions. Mais j'ai survécu on peut dire.
(Michael, page 7)
Sur les quatorze entretiens effectués, il
semblerait que la moitié des adolescents adoptés aient plus de
difficultés que les autres adolescents non-adoptés. Surtout en
matière de questionnements identitaires, d'interrogations sur la famille
biologique ; l'adolescent a plus de travail à faire pour sa
création d'identité. L'adoption peut donc être une
difficulté supplémentaire à l'adolescence, avec, comme
nous l'avons dit, une identité en plus à trouver par rapport aux
autres adolescents.
III. Quels sont les liens entre adoption, culture,
identité et pays d'origine sur l'intégration de l'adolescent
adopté ?
A. Vision de l'adoption par les adolescents
Nous nous sommes intéressés à la vision
qu'ont les adolescents de leur adoption. Est-ce cela leur a apporté des
choses en plus ? Est-ce qu'ils regrettent ?
L'adoption peut tout d'abord être vu et vécu
comme une richesse et une chance. « C'est une bonne chose
(...) ça m'a donné des opportunités que
j'ai su saisir. » (Ariane, page 3). Les
enfants adoptés sont en effet généralement informés
du fait qu'ils viennent d'un pays où les conditions de vie son
difficiles, et que leur adoption a été une chance pour eux.
Christine dit avoir eu une belle vie grâce à son adoption,
« J'ai eu une belle adoption, une belle vie, mes parents
m'ont bien élevées, je n'ai jamais rien manqué, je
m'estime vraiment chanceuse d'avoir été adoptée
(page 3) Parce que bon les Philippines ben j'aurais pu mal
finir, enfin avec la prostitution et tout, ma vie n'aurait pas
été la même je pense. (Christine, page 3).
L'adoption ici est perçue par Christine comme un
facteur de « chance », compte tenu du
contexte de certains pays pauvres d'om viennent les enfants adoptés.
Cependant, comment être sûr que l'enfant n'aurait pas eu une vie
meilleure s'il était resté dans son pays. Le fait de s'estimer
chanceux peut parfois créer un sentiment de rejet par rapport au pays
d'origine à cause de sa pauvreté.
Certains adolescents adoptés ont un regard assez dur,
mais réaliste, sur l'adoption. Malgré le fait que cela aide
certains couples stériles, l'adoption
« enlève » en effet des enfants à un pays. La
jeunesse étant bien souvent l'avenir d'un pays, de quel
côté peut-on juger l'adoption ? Du côté des
parents stériles en occident ? Du côté du pays qui met
certains enfants en adoption ? « Tu sais, ça
coûte 15 00054(*)
dollars pour adopter un enfant, est-ce qu'on donne l'argent à la famille
qui donne son enfant ? Est-ce que le pays est mieux après
ça ? C'est comme une grosse machine faite pour le parent adoptif,
on s'en fout de l'enfant, des parents bio. (...) Je ne trouve pas correct de
voir l'être humain en terme d'argent, je trouve que les frais d'adoption
n'ont pas d'allure quoi je me questionne sur la légitimité de
tout ça. (Page 11). Ariane exprime ici son indignation par
rapport à la « légitimité » de
l'adoption. « J'aimerais qu'une partie soit investie dans le
pays, dans les orphelinats, ça doit créer des
emplois. » (Ariane, Page 11). Le côté
« financier » des adoptions internationales est en effet
discutable, quand on voit les frais d'adoption à l'étranger. Cela
sélectionne aussi les parents qui veulent adopter. Car tout le monde ne
peut pas se le permettre.
Certains adolescents sont réellement
sensibilisés au côté financier de l'adoption internationale
en général au Québec. Comme Ariane, certains aimeraient
que l'argent reçu par les orphelinats, les organismes, soit
réinvesti dans le pays, afin d'éviter un trop grand nombre
d'abandon à l'avenir. Il est intéressant de constater que les
adolescents ont a coeur l'avenir des futurs enfants, qui comme eux pourraient
être abandonnés. On comprend bien sûr la motivation de ces
principes. Ils se sentent concernés par ce qu'il ont vécu, et ne
veulent pas que ça se reproduise.
L'adoption peut aussi être
perçue donc comme une richesse du fait d'avoir des origines
étrangères. « C'est une richesse c'est
sûr, parce que tout le monde peut pas aller chercher au niveau de ses
origines, c'est un plus par rapport aux autres » (Ariane,
Page 7). « Moi je sais que j'aime ça être comme
ça, différente, c'est une certaine richesse, on a un truc
à raconter. Ca ne me dérange pas en fait ».
(Karine, page 5). L'adoption est une façon de se démarquer d'une
certaine façon. Certains adolescents adoptés développent
une sorte de fierté à avoir été adopté, car
ils ont une histoire à raconter. Quand on sait qu'à
l'adolescence, les jeunes recherchent souvent à se démarquer des
autres, en ayant un signe distinctif, l'adoption est pour certains ce moyen de
se démarquer. « Quand je racontais ça, les gens
avaient les larmes aux yeux, les filles surtout » (Rires)
(Gabriel, page 7). Gabriel racontait en effet pouvoir
« frimer » avec son adoption, qui attire toujours
l'attention. D'une nature assez sociable, Gabriel n'a pas de difficulté
de raconter son histoire à ses camarades, il en a même fait un
atout, voir parfois malheureusement, une arme contre sa mère, pour
justifier une erreur de comportement.
« J'ai vraiment l'impression que c'est une
richesse d'avoir été adoptée, car je sais qu'au
Québec, il n'y a pas beaucoup de natalité, et le pays vieillit,
on n'a pas assez de bébés (page 10). Le Québec
est en effet un pays, où comme les autres pays occidentaux, le taux de
natalité est faible. Certains adolescents perçoivent donc
l'adoption comme un moyen de « peupler » le Québec
en quelque sorte. Par contre, ils sont conscients que l'adoption doit
être faite dans un vrai but de désir et d'amour de la part des
parents. Il est surprenant de voir que certains adolescents ont conscience de
ce fait de dénatalité au Québec.
« Il faudrait vraiment que ce soit pour
l'amour d'un enfant là, pas juste dire ok j'ai adopté un enfant,
pour qu'on paraisse bien là. Il faut vraiment que ça soit fait
dans l'objectif du bien-être de l'enfant. »
(Christine, page 10). Ce témoignage est très important
car cela démontre que les adolescents ont réellement compris
l'enjeu de l'adoption. Comme nous le disions précédemment, le
rôle des parents adoptifs est important pour les adoptés. Ils
doivent avoir conscience d'avoir été adopté dans un
réel geste d'amour, et non pas par choix
« humanitaire ».
Cette notion d'amour est véritablement importante
pour l'adolescent. Il doit ressentir le fait d'avoir été
désiré par ses parents adoptifs, sans avoir le sentiment
d'être redevable envers eux.
Face à leur adoption, il peut parfois y avoir un
sentiment de toujours devoir se justifier, parler de son adoption, expliquer
pourquoi. « J'ai développé une espèce
de...Je suis comme tannée d'en parler avec les gens, j'ai l'impression
d'être comme un extra-terrestre à chaque fois que j'en parle. J'en
ai un peu marre de devoir tout expliquer (page 5) Je ne
m'attarde pas trop sur le sujet avec mes amis, je veux dire, je leur explique
si on me questionne et tout, sauf que c'est pas plus que ça tu
vois (Laurence, page 6).
L'adoption entraîne en effet une sorte d'effet
« loupe » sur la vie privée de l'adolescent et sa
famille en général. L'infertilité des parents,
l'intimité de la famille, tout est en quelque sorte mis à nu avec
l'adoption. Les individus pensent devoir savoir la vérité sur la
famille concernée sur l'adoption. Alors que dans les cas
d'arrivée d'enfant par « voie normale », il n'y pas
tant d'intrusions. Emma nous confie ainsi :
« À certaines copines je parle de mon adoption
oui. Elles me posent des questions parce que je suis plus mate que mes
frères et soeurs. (Page 1) Des fois ça me
gêne pas d'en parler et des fois un peu plus. Parce que des fois, elles
vont chercher loin quoi, c'est un peu indiscret donc là ça
m'énerve ». (Emma, page 1). Les autres individus
non-adoptés n'ont peut être pas conscience d'être indiscrets
parfois avec les questions que la vie de l'adolescent. Il convient d'avoir un
certain recul par rapport à ça, et de ne pas constamment harceler
l'adolescent de questions qui pourraient le gêner.
Comme nous l'avons dit précédemment, les
adolescents adoptés ont constatés que les parents sont plus pris
en charge que les adoptés eux-mêmes. « Souvent
on s'occupe plus du bien-être des adultes, des parents. Il faut aussi
aider les enfants adoptés qui veulent faire des retrouvailles. Pour les
adoptions internationales, c'est beaucoup avec les prêtres puis les
religieuses qu'il faut faire ça, ils sont plus ouverts d'esprit que les
autres » (Christine, page 10). Pour Christine, qui est
bénévole dans un groupe de retrouvailles, en ayant faites
elle-même, la recherche des antécédents peut être
bénéfique pour l'adopté.
« Mais c'est vrai que dans les
médias, c'est toujours caché, dans les films, c'est toujours
assez tragique une adoption. Et après les gens, ils croient qu'une
adoption c'est forcément dur. (Page 2) Je pense que
c'est quelque chose de bien pour les enfants oui. Après, tout
dépend des circonstances de l'adoption quoi. Quand il y a des petits
adoptés à 7 ans, bon. (Page 2). Les médias font
en effet souvent l'amalgame entre drame familial et adoption. Les adoptions
sont en effet des histoires d'amour, et il convient de ne pas faire tourner
cela au tragique. Comme nous le dit Elodie, « Il y a les
parents qui ne peuvent pas s'occuper de leurs enfants et qui les mettent en
orphelinat ou autres. Et de l'autre côté, il y a les gens qui sont
stériles, qui peuvent s'en occuper. Ca évite d'avoir trop
d'orphelins dans le monde ». (Page 5).
Cependant, l'adoption, acceptée la plupart du temps par
la plupart des adolescents, peut entraîner
quelques« Mon adoption a je pense, modifié ma vie.
Parce que j'ai de la misère à faire confiance aux personnes, je
ne peux pas avoir un chum (copain) stable. Moi j'ai
l'impression que c'est à cause de mon adoption que je suis comme
ça. » (Marie-Pierre, page 5).
L'attachement est un défi pour tous les enfants et
adolescents adoptés. La notion d'abandon est présente à
l'esprit des adoptés. Certains peuvent avoir du mal à aimer de
nouveau, à s'attacher à leurs parents adoptifs, et à leur
entourage en général. Quand l'enfant ne parvient pas à
établir ce lien sélectif d'attache avec ses parents ; cela
peut entraîner toute une série de comportements sociaux
inadéquats (comme c'est le cas de Marie-Pierre). Dans ce cas
précis, l'adolescence sent qu'elle ne parvient pas à aimer,
à faire confiance aux gens (amis, copains). Son abandon, puis son
adoption (pourtant à l'âge de quatorze jours55(*)) ont ouvert une blessure dure
à refermer. L'adolescent ou l'enfant victime de problème
d'attachement a un souci avec l'amour, avec la confiance. Au lieu de former de
nouveaux liens d'attachement, l'enfant se détourne de la relation avec
autrui. C'est comme si il avait abandonné l'idée qu'on ne pouvait
pas répondre à ses besoins affectifs. Les troubles de
l'attachement entraînent que l'on se montre peut disposé à
aimer et à se laisser aimer, en se liant de façon superficielle
aux adultes.
L'absence de lien d'attachement peut entraîner de
plus une mauvaise intégration sociale à l'âge adulte.
L'adoption peut donc créer de grandes blessures
comme l'absence de liens d'attachements avec les parents adoptifs. Dans ces
cas-là, l'intégration familiale de l'adolescent est assez
difficile, ainsi que son intégration sociale puisqu'il a du mal à
faire confiance aux autres adultes.
D'autres adolescents sont en contacts avec leur mère
biologique et le vivent bien. « Tu sais, c'est comme si
c'était ma vraie famille, genre là j'ai deux mères, c'est
ben mieux encore. Puis ils s'entendent bien ensemble, et puis c'est parfait,
genre ça ne me dérange pas du tout là.
(Stéphane, page 4). Il faut en effet savoir gérer le fait d'avoir
plusieurs parents (biologiques, adoptifs). Même si les vrais parents sont
ceux qui ont élevé et aimé leur enfant.
Michael a été adopté à
l'âge de cinq ans, ce qui est assez tard pour une adoption. Il se
souvient très bien de son adoption, du jour où il est sorti de
l'orphelinat (ce qui était très rare), et des émotions
qu'il a eu, en voyant sa mère adoptive qui ressemblait à sa
mère biologique. On retrouve encore ici cet éternel sentiment de
« chance » part rapport à l'adoption du fait des
situations de certains pays. « Quand j'ai vu ma mère
adoptive, j'ai tout de suite senti que j'allais l'aimer parce qu'elle
ressemblait à ma mère. (Page 4) Ca me fait
pleurer des fois, parce que ça me dit dans ma tête, ils se sont
déplacés pour le voir, ça a pris du temps dans leur
tête pour dire « c'est ce garçon là qu'on veut,
pas un autre », il y a beaucoup d'émotions (page 5).
D'un sens il ont bien fait de m'adopter là, parce qu'en
orphelinat, on n'est pas heureux. Je serai peut-être parti à la
guerre. » (Michael, page 5). Ce jeune de dix huit ans
s'estime donc « heureux » d'avoir été
adopté, estimant qu'il aurait sans doute été
B. « Gérer » l'idée
d'abandon
L'effet de l'abandon sur l'enfant et l'adolescent
dépend de nombreux facteurs, comme l'âge à l'adoption, le
vécu avant l'adoption, les parents adoptifs, le caractère et
l'acceptation de l'adolescent adopté. Certains problèmes
liés aux adolescents adoptés peuvent parfois être
liés à la perte de l'attachement avec la mère biologique.
La douleur de cette séparation serait inscrite dans l'inconscient. C'est
ce qui les affecterait le plus. Cette perte est difficilement exprimable.
« Il y a trop de choses qui se passent dans la vie d'un coup,
et c'est difficile d'accepter un abandon et de comprendre pourquoi. C'est
beaucoup de travail sur soi » (Rachelle,
page 7)
Elle est moins reconnue de la société que la
perte d'un être cher lors d'un deuil ou divorce. Pourtant, cette perte
est une dimension très importante de la vie intérieure de
l'adopté. L'enfant doit vivre le deuil de sa mère de naissance,
de ce que sa vie aurait pu être. « Par rapport à
mon abandon (...) en fait, elle n'avait pas trop le choix.
Elle savait que si je restais avec elle, je n'avais pas une bonne vie, tandis
que si elle me mettait dans un orphelinat, j'allais avoir une vie plus
merveilleuse qu'au Guatemala. Dans le fond je suis contente qu'elle ait fait
ça, je suis vraiment contente ». (Marie, page 4)
Cet abandon est vécu avec plus de douleur en raison du
manque d'explication concernant les origines et les causes de cette
séparation. Il est souvent moins douloureux de savoir que de vivre dans
l'ignorance, même si la vérité est difficile. Par exemple,
Emma, quinze ans, a fait les démarches de retrouvailles de ses parents
biologiques à Polynésie. « J'ai parlé
avec ma mère (biologique) de mon abandon, de
tout ça. Elle m'a éclairci un peu la situation. Ca m'a fait du
bien en fait, je me sentais mieux après. Mais elle ne regrette pas tout
ça, elle pense que c'était aussi me donner une chance d'avoir une
vie meilleure ici ». (Page 3).
Pour devenir adulte, l'adolescent doit se réconcilier
avec son passé, avec soi-même et être capable de poser un
regard positif sur sa vie. Il devra également pardonner.
« Si un jour je les ai en face de moi, je pense que la
question première qui me viendrait c'est d'abord le pourquoi ? Puis
ce que je leur dirai, c'est merci, dans le fond je vois ça comme un acte
d'amour là ». (Rachelle, page 6). L'adolescent doit
« travailler » sur ce qu'il ressent comme un
« rejet » pour en arriver à pardonner et ne pas
blâmer ses parents biologiques, et ses parents adoptifs. L'adolescent
doit quitter le rêve et les fantasmes du roman familial pour accepter sa
vie comme elle est. « J'ai pas eu plus de problèmes
que les autres à cause de mon adoption tu vois. Les seules questions
qu'on peut se poser, c'est notre identité, pourquoi nos parents
biologiques nous ont mis en adoption, abandonnés. »
(Christine, page 3).
Cependant, l'abandon, puis l'adoption a parfois des impacts
négatifs au niveau des relations avec les autres, comme Marie-Pierre.
« Avec mon adoption, je sens que j'ai du mal à
m'attacher à quelqu'un en fait. L'abandon a vraiment eu des impacts sur
moi. J'ai été abandonné deux fois, une fois par ma
mère, et une autre fois par l'hôpital où
j'étais. (Page 11) J'ai toujours peut inconsciemment
d'être abandonnée encore une fois (page 11). Il est vrai
que ce qui est perçu comme un abandon (de la mère et du service
hospitalier) est ressenti inconsciemment par l'enfant, même à
moins d'un mois. « Quand je sens que j'ai un peu trop d'amour
pour cette personne là, et bien je fais tout pour qu'on se
quitte (page 11). C'est juste pour être sûre de ne
pas l'aimer là, et puis de ne pas souffrir non plus je
pense ». (Page 11) La peur d'être « à
nouveau rejeté » est perpétuellement dans l'esprit de
certains adolescents adoptés. Ce qui est perçu comme un abandon
par l'enfant et l'adolescent peut donc entraîner des séquelles
psychologiques gênantes pour l'adopté. Il peut même
jusqu'à ressentir de la difficulté à aimer les autres, de
peur d'être à nouveau rejeté.
IV. Etre adolescent au Québec et venir
d'ailleurs (rapport avec le pays d'origine)
L'absence de ressemblances physiques avec ses parents est bien
souvent le lot de nombreux adoptés. Lorsque l'on est noir et que ses
parents sont blancs, difficiles de s'identifier à ses parents, surtout
à l'adolescence où l'on a besoin de repères. C'est alors
plutôt au niveau des caractères que des ressemblances vont
apparaîtrent. « Tu sais les gens disent, oh moi je
ressemble à ma mère tout ça...C'est ça qui est le
plus embêtant si on peut dire... C'est plutôt côté
caractère où on va se trouver des points communs en
fait. » (Laurence, page 10). L'enfant naît dans une
famille biologique, mais grandit dans une autre famille, une famille dite de
« coeur ». C'est donc un défi pour les parents et
l'adolescent que de passer outre les remarques gênantes des autres
individus concernant les ressemblances physiques.
L'adolescent n'a pas toujours les informations concernant ses
origines et ses parents biologiques. « J'ai été
voir un physionomiste. Eux ils peuvent te dire, en regardant les traits du
visage, tes cheveux, tes sourcils, te dire d'où tu viens vraiment. Donc
il a dit que c'était pratiquement sûr que j'étais libanaise
en fait. » (Marie-Pierre, Page 8)
L'adolescent adopté a un problème plus
complexe à surmonter pour définir son identité. Il n'a pas
de parents qui lui ressemblent et la société ne lui offre pas de
point de repère. De plus, il vit avec le dilemme d'être
perçu comme québécois dans sa famille et comme un
étranger dans la société. Avec le développement
cognitif et de sa pensée, l'adolescent est en mesure de comprendre ce
que signifie être noir ou chinois. Il réalise que sa couleur de
peau est associée à une culture. Il comprend ce que
représente être perçu haïtien ou chinois dans une
société à majorité blanche.
Les communautés d'origine ne sont pas perçues de
la même façon par le groupe dit
« majoritaire ». Certaines sont beaucoup mieux
acceptées que d'autres. Ce sont les adolescents à peau noire qui
vivent le plus de difficultés. Ils doivent vivre avec le fait
d'être adoptés et de provenir d'une minorité
stéréotypée négativement par la majorité.
« C'est un rejet un peu car tu ne connais pas tes
origines (page 3). C'est sûr que j'aurais aimé
connaître mes vrais parents, mais justement, faut se dire qu'il faut
regarder droit devant et que ça donne rien d'y
penser » (Ariane, page 4)
Parfois, l'adolescence est le moment où l'on commence
à se poser des questions sur ses origines, comme ce fut le cas pour
Laurence à treize ans. « Vers treize ans je me suis
mise à accepter le fait que bon...Mes parents me disaient, tu en as
quand même une petite partie, quand tu te regardes dans le miroir.
Maintenant j'accepte plus le fait que je viens de Corée, que j'ai
été adoptée. (page 6). Avec la maturité,
l'adolescence permet bien souvent de franchir une étape au niveau de son
acceptation de son adoption, et donc de ses origines étrangères.
L'adolescence est pour cette raison une étape primordiale pour le
développement de l'individu adopté. L'acceptation ou non qu'il va
développer sur son adoption déterminera en partie
Certains adolescents ont un intéressement pour leur
pays d'origine, essaie de se renseigner sur l'actualité, sur la vie
quotidienne. « Parfois on écoute les informations du
pays, des fois on essaie des recettes des Philippines, je m'informe sur ce
qu'il se passe là-bas. (Page 4). J'aimerais bien
apprendre la langue des Philippines, rencontrer des Philippins, mais bon tu
sais ici au Québec, il n'y en a pas beaucoup. (Page 4). Comme
pour les groupes de discussion post-adoption, on peut constater qu'il y a un
besoin de rencontrer d'autres jeunes de la même origine, pour apprendre
sur le pays. « J'ai pu m'y intéresser aussi car mes
parents n'ont jamais été fermés vis-à-vis de cette
culture, ils ne m'ont jamais dit, ces gens sont pauvres, ils vivent
mal » (Christine, page 4). Le regard des parents sur la
culture d'origine de l'adolescent est très important pour le regard
qu'il va lui-même porter sur sa culture d'origine, ainsi que sur
lui-même.
De plus, les réseaux de sociabilité que
développent certains adoptés témoignent de la
volonté prioritaire à s'identifier d'abord au pays d'accueil. En
1992, Terre des hommes, un organisme d'adoption international
québécois, a fait une enquête sur ce thème. Elle a
été réalisée sur 450 foyers adoptifs. Les
résultats montrent que 80% des enfants adoptés à
l'internationale on des amis, et que 14% recherchent des contacts avec des
personnes de leur pays d'origine.
Le développement de l'identité ethnique sera
influencé par l'importance de la diversité ethnique dans le
milieu d'accueil, et part la tolérance du pays d'accueil envers ces
ethnies.
Certains adolescents connaissent une certaine reconnaissance
de la part d'individus de la même ethnie qu'eux au Québec.
« Souvent, dans la rue, les gens m'abordent et me parlent en
arabe, car ils pensent que je suis comme eux. Donc parfois c'est
marrant. » (Page 9)
Les contacts avec des gens de la même origine que soi
permettent à l'adolescent de lui donner une idée plus
précise de ce qu'est sa culture d'origine, comme ce fut le cas pour
Marie-Pierre. « J'ai eu un copain musulman. J'ai vraiment
vécu dans cette culture-là pendant un bon moment. J'ai fait le
ramadan avec eux, j'ai mangé comme eux, j'étais vraiment
immergée. (Page 9) Il est intéressant de voir que
Marie-Pierre s'est immergée dans la culture de son copain musulman.
Etant libanaise, elle a du être attirée consciemment ou non par
cette culture qui est en lien indirectement avec elle. Cependant, être en
contact avec sa culture d'origine ne signifie pas pour autant être en
accord avec, comme ce fut le cas ici. « Il y a des choses
dans lesquelles j'approuve et puis d'autres choses un peu moins
là. » (Marie-Pierre, page 9). Marie-Pierre
confiait ne pas trop être en accord avec l'Islam, durant la
période où elle a pratiqué cette religion. Cela montre
bien qu'elle a suffisamment été
« imprégnée » de la culture
québécoise (plutôt catholique), et qu'elle n'a pas eu le
besoin de s'identifier à l'Islam pour compléter son
identité.
A. Recherche des origines, envie de retrouvailles
La recherche des origines est un sujet assez délicat
à traiter, tant il aborde des thèmes sensibles, comme l'abandon,
le rejet, la filiation, les ressemblances. Certains adolescents ont besoin de
faire des recherches pour retrouver leur famille biologique ; tandis que
d'autres n'ont absolument rien envie de savoir sur ce sujet. Les retrouvailles
est un phénomène assez important au Québec, il existe
même des sites Internet où l'on peut s'inscrire et lancer une
recherche, notamment par le biais du site québécois :
www.mouvement-retrouvailles.qc.ca. Des adolescents adoptés, des
mères ayant confié leur enfant peuvent ainsi débuter une
recherche à travers le Québec pour retrouver leurs
antécédents.
Cette partie de l'entretien est celle qui a suscité le
plus de discussion de la part des adolescents. Les retrouvailles, la
mère biologique sont des sujets qui intéressent beaucoup les
adolescents. C'est pourquoi les questions de origines et des retrouvailles les
ont beaucoup stimulé.
Les recherches d'antécédents et les
retrouvailles sont deux choses bien distinctes. La recherche
d'antécédents concerne les informations sur les parents, le nom
d'origine, le dossier médical. Les retrouvailles concernent justement le
fait d'entrer en contact avec ses parents, de chercher à les rencontrer.
Tout d'abord, il convient de dire que retrouver ses origines
et sa famille ou sa mère biologique, c'est prouver qu'on ne vient pas du
néant, de nulle part. Les personnes qui veulent faire des
retrouvailles ont parfois vécu des problèmes dans leur adoption.
Ils se sentent incomplets, sentent comme un vide, un manque à combler,
à expliquer. A l'âge de quatorze ans, l'enfant adopté a
droit à connaître son dossier au Québec. C'est donc parfois
à cet âge là que des questions peuvent subvenir sur les
origines et la famille biologique. « Quand je vais
être là-bas, je vais regarder autour, les femmes qui seront dans
la rue. Je me demanderais si ce n'est pas ma mère. (Page 5)
Marie va en effet partie en voyage bientôt avec ses parents, au
Guatemala, son pays d'origine. Elle va donc pouvoir découvrir son pays,
rencontrer des gens qui lui ressemblent mais qu'elle n'a jamais vues. De plus,
Marie va observer les femmes du pays pour voir si il n'y en aurait pas une qui
pourrait être sa mère. Avant une rencontre avec sa mère
biologique, on « fantasme », on imagine comment cela
pourrait se passer, ce qu'on pourrait dire. « Si je l'avais
en face de moi, je lui dirais merci je crois. Et puis je crois qu'elle serait
contente de ce que je suis devenue. Elle serait rassurée que tout aille
bien pour moi, que je fais des études (page 5). Marie va partie
au Guatemala bientôt avec ses parents adoptifs et son frère lui
aussi adopté. « Quand je vais aller là-bas, je
vais peut-être essayer de la retrouver parce que j'aimerais ça la
rencontrer. Mais d'un autre côté j'ai aussi peur qu'elle veuille
que je reste avec elle. Parce qu'il faudrait que je lui explique que ma vie est
ici. Mais si je la rencontre, je pense que je ne resterais pas en contact avec
elle » (page 5). L'adolescent a bien souvent conscience des
conséquences que peuvent avoir des retrouvailles avec la mère
biologique. Il est en effet possible que la mère demande à
l'adolescent de rester avec elle. Car une mère qui abandonne choisit ce
qui lui semble être le meilleur avenir pour son enfant. C'est pourquoi
retrouver un enfant que l'on a mis en adoption peut être un
véritable choc pour la mère, qui désire que son enfant
reste avec elle.
Souvent, les adolescents « excusent » leur
mère biologique par différentes raisons, « elle
était trop jeune », « elle n'avait pas d'argent, pas
de famille qui la soutenait ». Le père biologique lui
bénéficie de moins de compréhension de la part de
l'adolescent adopté, comme le témoigne Marie :
« Mon père biologique lui c'est différent,
parce qu'il a abandonné ma mère biologique, puis moi aussi. Donc
si je le voyais, je serai un peu fâchée»
(Page 5)
Certains adolescents font les recherches par eux-mêmes,
sur leur culture d'origine et leurs racines. « J'ai lu
beaucoup sur Haïti, j'ai fais des recherches, puis je suis allée
deux fois à Haïti (page 5) J'ai fait ça par
moi-même, on ne m'a jamais mise en contact avec la culture
haïtienne... J'ai appris à parler créole, j'ai beaucoup
écouté la radio. (page 5) Ca a été
un choc culturel vraiment (...), tu vois les gens, c'est comme si tu ne pouvais
pas être objectif par rapport à ce que tu vois (page 6).
Ici, Ariane e eu un choc culturel et personnel en allant à Haïti,
son pays d'origine, car ce pays est en ce moment en crise économique.
Visiter son pays d'origine peut créer un véritable choc sur
l'adolescent, et sur son adoption. « Tu te dis, pourquoi moi,
j'aurais pu être dans leur situation aussi (page 6)
Aussi, de voir des gens qui te ressemblent, c'est pas habituel. Tu te rends
compte que les gens sont comme toi au niveau de la couleur de peau, mais tu es
tellement différent d'eux (page 6). Les adolescents
adoptés ont en effet un physique différent, mais ont pour la
plupart intégré la culture d'accueil, celle du Québec.
C'est pourquoi visiter son pays natal peut être
déstabilisant voir dérangeant. Cela peut donner lieu à une
remise en cause sur soi de la part de l'adolescence. Il peut en effet se sentir
différent au Québec à cause de ses origines et de sa
couleur de peau ; et se sentir différent dans son pays d'origine en
raison de sa culture. C'est pourquoi il faut être vigilant avec les
retrouvailles, surtout à l'adolescence. C'est pourquoi les besoins de
l'adolescent doivent être écouté de la part des parents,
tout en ayant conscience de la fragilité de leur enfant au niveau de la
création de son identité.
De plus, l'adolescence est un moment où normalement le
jeune doit apprendre à se détacher de ses parents. En faisant des
retrouvailles à ce moment, c'est le contraire qui se produit.
L'adolescent aura à décider comment cette nouvelle relation
s'intégrera dans sa vie. Les rencontres apportent leurs lots de
réponses mais elles amènent aussi beaucoup de questionnements et
risquent de nuire à la recherche d'identité de l'adolescent.
Savoir que l'on a deux paires de parents est quelque chose, vivre avec, en est
une autre. C'est une situation très complexe à vivre. Qui
appelle-on maman ? Comment appeler la mère de naissance si ce n'est pas
maman ? Quel genre de fréquentation entretenir ?
Cependant, tout ceci dépend des situations familiales
de chaque adolescent, et de son aptitude à gérer cette situation.
« Le fait que je connaisse mes deux mères, je pense
que ça m'aide à me sentir bien. Peut-être que si le les
connaissais pas, alors là, j'aurais des
problèmes » (Stéphane, page 5).
Stéphana pense ici que connaître sa mère biologique l'aide
car il sait d'où il vient, il connaît son histoire. Cependant,
chaque histoire peut être différente selon la personnalité
de l'adolescent.
Au Québec, l'accès au dossier est permis
dès l'âge de quatorze ans ; il n'y a pas toujours les
renseignements nécessaires pour faire des retrouvailles.
« Avec mes papiers, c'est vraiment incomplet, tu ne peux pas
faire grand-chose » (page 5). « J'ai un
peu laissé tomber mes recherches à cause de mon
dossier » (page 7). Ariane a donc « laisser
tomber » ses recherches à cause d'un dossier incomplet. Un
certain découragement peut donc envahir l'adolescent lorsqu'il sent
qu'il ne trouvera aucune information à cause du vide dans son dossier.
Dans ce cas, le découragement prend le dessus et l'adolescent abandonne
ses recherches en se faisant une raison. « Comme si il y
avait des choses un peu plus essentielles, puis aussi quand tu vois la
situation à Haïti, tu te dis, qu'est-ce que ça
m'apporterais ? » (Page 8). On voit bien ici un certain
désabusement face au pays d'origine, qui semble de rien pouvoir apporter
de bon. Il y a une sorte de dilemme face aux retrouvailles chez l'adolescent.
« D'un côté ça peut être
extraordinaire, mais d'un autre côté ça peut t'emmener dans
un engrenage aussi (...) on va te demander de
l'argent et tout là... ». (Ariane, page 8). Ariane
souligne ici un point intéressant. Elle a peur qu'en faisant des
retrouvailles, on lui demande de l'argent. C'est un avis curieux mettant en
avant la pauvreté de la famille d'origine qui demanderait de l'argent,
une fois mise en contact avec le fils ou la fille abandonné. On peut se
demander si cette réflexion émane de l'adolescent lui-même
ou bien des parents adoptifs qui ont une mauvaise image du pays d'origine de
l'enfant. Car il convient de signaler que les parents d'Ariane lui ont toujours
dit qu'ils l'avaient sauvé de la misère, que ses parents
étaient des paresseux ou autres choses comme cela.
D'autres adolescents n'ont pas besoin de faire des
retrouvailles. Ils vivent bien leur adoption, et n'ont pas envie de se
confronter à cet aspect de leur vie qui leur échappe, à la
pauvreté de leur pays. Certains aussi n'ont pas envie de
« blesser » leurs parents adoptifs en recherchant des
parents qu'ils ont déjà. Cependant aujourd'hui au Québec,
il y a une volonté de donner aux adolescents toute l'information
possible, notamment avec l'adhésion aux principes de la Convention de la
Haye. De plus, le fait de faire des retrouvailles va-t-il résoudre
obligatoirement les problèmes liés à l'adolescence ?
« J'ai jamais eu comme un intéressement profond
à aller chercher comme qui étaient mes vrais parents, si on peut
les appeler comme ça. C'est surtout passé sur le
côté identité en fait. C'est la ressemblance qui me
gênait le plus en fait ». (Laurence, page 8). Il est
difficile pour eux de se faire une idée de leur physique, alors qu'ils
ne ressemblent à personne. C'est un étranger qui se retrouve dans
leur miroir. Ils n'ont pas de modèles susceptibles de leur montrer
à quoi ils ressembleront une fois la croissance complétée.
Leur impression aura de l'impact sur leur estime de soi. Les
adolescents adoptés se questionnent beaucoup sur leur apparence
physique. Ils en viennent à se demander comment ce corps se
transformera. Toutes ces questions sont particulièrement troublantes
pour les jeunes ne partageant pas la même origine que celle de leurs
parents adoptifs. « J'aimerais un jour aller en Jamaïque
pour connaître mon pays, voir le soleil tout ça. J'irai avec mes
amis, on en a déjà parlé. J'essayerai peut-être de
retrouver ma mère biologique oui, si c'est possible. Pour voir un peu
à qui je ressemble en fait. » (Samuel, page 2)
La mère biologique est très souvent
idéalisée par le phénomène du roman familial. C'est
à la perfection de cette mère que l'enfant va comparer sa
mère adoptive. Le danger quand l'enfant idéalise trop sa
mère d'origine, est de risquer de ne pas s'attacher complètement
ou aussi facilement à sa mère actuelle. Il n'a pas la
capacité de voir en demi-teinte. Tout est bon ou mauvais. La mère
adoptive peut donc se voir offrir le rôle de fausse et mauvaise
mère. L'enfant se protège en idéalisant sa mère de
naissance.
L'adolescent peut également en déduire que si
cette femme est bonne et qu'elle ne l'a pas gardé, c'est peut-être
parce que lui, est un problème, un mauvais bébé ? Il
agira en fonction de l'image qu'il a de lui pour se donner raison. À un
certain point, à l'adolescence, le jeune a besoin, pour se structurer,
du droit de « haïr » ses géniteurs. Si, au lieu
de penser que lui n'a pas de valeur, il fait porter le blâme à
cette mère d'origine qui l'a abandonné, il risque beaucoup moins
d'en ressortir écorché. Il faut donc accepter cette haine
passagère envers la mère d'origine.
B.
Retrouver ses parents biologiques, une aventure pour l'adolescent
adopté.
Plusieurs des adolescents avec qui nous avons fait les
entretiens ont fait des retrouvailles avec leur mère, ou leur famille
biologique toute entière. « En 1998, j'ai
retrouvé toute la famille biologique, j'ai rencontré ma
mère, mon père, mes frères, mes deux soeurs, leurs
conjoints, mes neveux, mes nièces, mon parrain, oncles, tantes, cousins,
cousines. J'ai rencontré toute la tribu au
complet ! » (Christine, page 8). On peut alors imaginer
le choc émotionnel lors de cette rencontre ; où l'on voit
enfin des personnes qui nous ressemblent. Christine poursuit en nous racontant
la rencontre avec sa famille biologique. « Quand je suis
sortie de l'aéroport, j'ai même pas eu le temps de lever la
tête puis une femme a sauté sur moi ! Puis j'ai vu une tonne
de personnes autour de moi, je ne savais pas qui était
qui ! (Page 8). On imagine l'émotion qui doit bouleverser
l'adolescent et la famille biologique elle-même lors de cette rencontre
que chacun a imaginé depuis si longtemps (le roman familial).
« Au final je suis restée deux mois et demi
là-bas, j'ai vécu dans la maison avec eux (page 8).
J'ai vécu dans le bidonville avec ma famille biologique. J'ai
vraiment connu la vie quotidienne, c'est quelque chose quand même de
vivre dans un bidonville ! J'ai adoré mon voyage,
j'ai adoré mon expérience, j'ai même hâte d'y
retourner » (page 9). Ce voyage a pour cette adolescente,
comblé un manque qu'elle avait sur ses origines, sur ces racines. Elle a
pu voir qu'où elle venait, à quoi ressemblaient ses parents, sa
famille, dans quelles circonstances ils avaient dû le confier à
l'adoption. Toutes ces questions si chères ont adolescents
adoptés peuvent donc trouver une réponse lors des retrouvailles
avec sa famille biologique.
Les parents adoptifs et les retrouvailles de leur
adolescent
Le fait de retrouver ses parents biologiques peut faire
prendre conscience à l'adolescent qui sont ses vrais parents
(même s'il le savait déjà). « J'ai su aux
Philippines qui était ma vraie mère, même que je avais
appelé ma mère adoptive pour lui dire que je savais qui
était ma vraie mère, que c'était elle, ma mère
adoptive. » (Christine, page 9). Car il faut aussi avoir
conscience que les retrouvailles sont dures pour tout le monde, adolescents,
parents biologiques et parents adoptifs surtout.
La possibilité que l'adolescent adopté
veuille chercher ses parents biologiques soulève toutes sortes de
préoccupations chez les parents adoptifs. Cela peut susciter des
réactions émotives et de l'appréhension. Globalement, on
pourrait dire que c'est une grande peur de l'inconnu : qu'est-ce qui va se
passer ? En tout cas, cela est mieux vécu par toute la famille si
on y a réfléchi et discuté ensemble. Car retrouver ses
parents biologiques n'est pas anodin. Les parents adoptifs qui ont
élevé et aimé leur enfant comme le leur peuvent avoir du
mal à accepter des retrouvailles. Cependant, on doit quand même
s'y attendre lorsqu'on rentre dans un projet d'adoption. L'adolescent est dans
son droit quand il réclame de rencontrer ses parents biologiques. On a
tous le droit de savoir d'où l'on vient, surtout à l'adolescence.
Les parents adoptifs ont eux aussi des questionnement par
rapport à l'adoption et à la recherche des origines. Ils peuvent
ressentir différentes émotions face à l'envie de
retrouvailles de leur adolescent adopté.
· La remise en question. Pour quelles raisons a-t-on
adopté ? Qu'elles étaient nos motivations ? Est-ce
qu'on a eu tord d'éloigner l'enfant de son pays natal ? Est-ce
qu'il aurait été mieux de rester là-bas ?
· Le sentiment d'abandon. Après toutes ces
années consacrées à lui, est-ce qu'on va devoir partager
notre enfant avec les parents naturels ? Est-ce qu'on va perdre son
amour ? Est-ce qu'il voudra retourner dans son pays ? Est-ce qu'il
voudra retourner dans sa communauté et nous ignorer ?
· L'ambivalence. «Ce n'est pas mon problème
s'il veut chercher des mondes hypothétiques, il se débrouillera
tout seul. Mais, au fond, je l'aime alors je devrais l'aider dans ses
recherches.»
· L'instinct de protection. Peut-être est-il mieux
qu'il ne sache pas ? Peut-être qu'il n'aimera pas ce qu'il va
trouver ? Qu'il pensera qu'il a eu trop de chance et qu'il se sentira
coupable que sa famille d'origine soit si défavorisée ?
· La peur des conséquences. Est-ce qu'il faudra
entretenir des relations avec les parents de naissance ? Qu'est-ce qu'ils
demanderont ? Est-ce qu'ils viendront ici ou devra-t-on aller les
rencontrer ?
Marie va elle aussi entamer un voyage dans son pays d'origine,
le Guatemala, avec ses parents adoptifs ainsi que son frère.
« Ma mère était une Maya, et mon père
peut être un Blanc. Enfin je pense qu'il devait être espagnol, car
j'ai des traits assez espagnols là. (Page 3) Quand on n'a pas
de renseignements assez précis sur ses origines, on fait des
suppositions, on imagine ses parents, leur couleur, leurs traits de visage.
L'adolescent essaie de combler son manque d'information par des suppositions
qu'il peut vérifier si il entame une démarche de retrouvailles.
« On y va aux vacances de noël tous les quatre. On va
aller au Guatemala et en Colombie, pour voir un peu nos pays à moi et
mon frère. Je m'attends vraiment à pleins de choses
extraordinaires, vraiment différentes d'ici. Tout va être
différent, les paysages, les couleurs, les vêtements
(page 4). L'excitation de Marie à partir dans son pays d'origine
était palpable. Elle s'attend à beaucoup de choses et
d'explications sur ses origines ; tout en étant consciente de ce
à quoi il faut s'attendre. « Ma mère m'a dit
que c'est quand même un pays pauvre. Donc c'est sûr que ça
me touche parce que j'aurais pu rester là. J'aurais pu être
à leur place tu sais ». (Page 5)
On retrouve ici cette notion de chance à avoir
été adoptée dans un pays riche, où une vie
meilleure attendait l'adolescent. Il est bon que l'adolescent parte dans son
pays avec une certain recul, si possible. Il doit prendre conscience que ce
pays est son pays d'origine, mais qu'il est aussi québécois.
Le fait d'aller dans son pays d'origine peut être assez
déstabilisant car c'est une partie de soi que l'on ne connaît pas.
Comme le confiait Ariane, c'est comme si l'adolescent avait
« dormi » pendant tout ce temps-là. Car son pays a
évolué sans lui, sans qu'il puisse participer à la vie de
son pays d'origine.
Emma a elle aussi fait des retrouvailles en Polynésie,
à l'âge de quinze ans « Il y a un an, je suis
retournée vivre là-bas un an, parce que ça me manquait
trop. J'avais plein de questions dans ma tête, et j'avais besoin d'avoir
des réponses à tout ça. (Page 2) Avoir besoin de
réponses primordiales sur soi permet d'évoluer, de savoir qui
l'on est, pour savoir où aller. « Je n'étais
pas bien avec ma famille, je souffrais beaucoup, donc j'ai eu besoin de partir,
pour me découvrir, savoir qui j'étais. (Page 2). Emma
explique ici très bien pourquoi elle a voulu partir du Québec,
pour retrouver son pays d'origine. Elle y est restée une année
scolaire, et a vécu avec sa famille biologique. Elle a ainsi pu voir
comment ils vivaient, poser les questions qui la perturbaient.
Savoir qui l'on est, une des questions centrales à
l'adolescence, en particulier quand on est adopté. L'adolescent
adopté a un problème plus complexe à surmonter pour
définir son identité. Il n'a pas de parents qui lui ressemblent
et la société ne lui offre pas de point de repère. De
plus, il vit avec le dilemme d'être perçu comme
québécois dans sa famille et comme un étranger dans la
société.
« Donc j'ai vécu là-bas, avec
la culture du pays, les coutumes etc., ça m'a fait du bien de retrouver
tout ça. J'ai vécu avec ma famille biologique, avec mes
frères et soeurs de là-bas. Je me suis bien adaptée
à cette vie-là. » (Emma, page 2).
« En fait, j'ai même hésité à
repartir de là-bas tellement j'étais bien, donc j'ai vraiment
hésité. Parce que c'était bien pour moi. J'étais
vraiment dans mon élément en fait. Tout le monde me ressemblait,
je n'étais plus différente. (Page 2). Le fait
d'être retournée dans son pays d'accueil a fait naître en
Emma le sentiment de ne plus être différente des autres, de
ressembler à tout le monde, d'être de la même couleur.
« En fait je suis revenue parce que quand même ils
m'avaient adoptée, donc voilà, je ne pouvais pas leur faire
ça. » (Page 2). Ce témoignage est assez
fort. Cette adolescente est rentrée chez elle pour faire plaisir en
quelque sorte à ses parents adoptifs, qui auraient mal pris le fait
qu'elle reste dans son pays d'origine. On prend ici conscience que certains
adolescents ont le sentiment d'être redevable envers leurs parents
adoptifs, et freinent leur envie de connaître, voir de rester avec leur
famille biologique (même si cela concerne une minorité des cas).
Dans ce cas, l'intégration familiale de cette
adolescente est assez superficielle, car elle semble donner le sentiment
d'être heureuse, alors qu'il y a un énorme manque en elle. Elle
dissimule donc ce manque pour ne pas décevoir ses parents adoptifs.
« Mon coeur est là-bas, malgré que je sois
bien ici, ça change rien. Je suis peut-être disons 80%
polynésienne et 20% québécoise, quelque chose comme
ça. » (Emma, page 2). Emma a une identité
biculturelle, avec une dominante polynésienne assez forte. Cela est peut
être aussi dû au fait qu'elle ait été adoptée
à l'âge de cinq ans ; ce fut une adoption assez tardive. Emma
a sûrement été très choquée par ce
changement. Cinq ans est un âge où l'enfant se rend très
bien compte de se qui se passe. L'enfant a ressenti que sa mère l'a
« laissé » se faire adopter. On peut dire donc
qu'une adoption tardive entraîne plus de difficultés qu'une
adoption à l'âge de zéro à un an par exemple. Plus
l'enfant va être vieux lors de son adoption, plus il aura conscience de
ce qui se passe. L'adolescence d'un enfant adopté tardivement donc avoir
plus de difficultés qu'une adoption à bas âge.
C'est pourquoi les adolescents adoptés tardivement
auront peut être plus tendance que les autres à vouloir faire des
retrouvailles, compte tenu des souvenirs qu'ils ont de leur enfance.
Parfois, le fait de devenir parent à son tour peut
donner l'envie de chercher ses racines, son origine.
« Peut-être qu'avant d'avoir des enfants, je chercherai
à rencontrer ma mère biologique. Je pense que ça
m'aiderait aussi à régler certains problèmes que j'ai avec
mes relations avec les autres. Je ne suis pas encore prête aujourd'hui en
fait. » (Page 12) Retrouver sa mère biologique
demande une certaine préparation et disponibilité psychologique.
C'est-à-dire que l'adolescent doit être prêt à la
rencontrer et à ses conséquences. A partir du moment où
aura lieu cette rencontre, certaines choses peuvent être remises en
question, son origine, sa famille adoptive, son identité. Il est donc
primordial d'être prêt à cette rencontre et d'y avoir
mûrement réfléchi.
Certains adolescents repoussent avec sagesse l'envie
de retrouver leur mère biologique, de peur d'être
déçue d'elle. « Depuis que je sais que je suis
adoptée, je me suis crée une image de ma mère dans ma
tête. Donc si je la voie un jour, je risque d'être
déçue de la réalité »
(Marie-Pierre, page 12). Comme nous parlions précédemment du
roman familial crée par l'enfant et l'adolescent, il peut y avoir une
résignation à faire des démarches de retrouvailles. De
plus, comme le témoigne Stéphane, « Si on est
heureux, pourquoi aller chercher dans le passé ? Parce que si tes
parents biologiques ne te cherchent pas, pourquoi tu irais vers eux ?
C'est ça la bonne question à se poser » (Page
8). Cet adolescent de dix sept ans nous émet ici l'idée qu'il n'y
a pas de raisons que l'adolescent recherche ses parents biologiques, puisque
eux ne le cherchent pas. Cela peut montrer l'amerthume que certains adolescents
ont par rapport à leurs parents biologiques et leur abandon plus
précisément.
Aussi, le rôle de la famille est très important
pour nous le disions. « Je pense qu'il y a un lien entre le
fait de rechercher ses parents bios et la façon dont on a
été élevé, dont on a grandi. Tu vois, nous, toute
la gagne, les quinze enfants, on ne recherche pas à retrouver nos
parents biologiques (...), on s'en fout ».
(Rachelle, page 4). Rachelle fait ici un lien entre le fait d'être bien
dans sa famille et de vouloir rechercher ses origines. C'est une
hypothèse intéressante. Cependant, il y a aussi des adolescents
qui ont confié lors de ces entretiens, être heureux dans leur
famille, mais vouloir tout de même faire des recherches sur leurs
origines. C'est légitime.
C. La difficulté de
la recherche d'antécédents en adoption internationale
La recherche des
antécédents en adoption internationale pose des problèmes
particuliers qui ne sont pas rencontrés en adoption interne. D'abord,
les recherches doivent se faire dans deux pays : le pays d'adoption et le
pays d'origine. Ensuite, il faut composer avec les lois de ces pays ainsi
qu'avec les différences de langues et de cultures. Pour que cette
recherche d'antécédents ait plus de chances de succès, il
est primordial que les parents adoptifs y contribuent dès l'adoption en
conservant précieusement toutes les informations qu'ils auront pu
recueillir sur la famille d'origine de l'enfant adopté. En effet, les
documents obtenus durant le processus d'adoption constituent la base de la
recherche d'antécédents : certificat de naissance, rapports
sur la situation familiale, document concernant le consentement à
l'adoption, examen médical, etc. Tous ces documents peuvent fournir des
pistes de recherche.
Par ailleurs, le Secrétariat à l'adoption
internationale du Québec (SAI) voit à la conservation des
dossiers d'adoption internationale en collaboration avec les organismes
agréés. Les dossiers d'adoption du SAI sont microfilmés et
conservés à Québec. De plus, depuis le printemps 1997, les
organismes agréés envoient graduellement au SAI les dossiers
complétés depuis un certain temps; ils sont alors
fusionnés avec ceux du SAI et envoyés pour conservation.
Tableau représentant les possibilités de
retrouvailles selon le pays d'origine 56(*)
Aperçu des possibilités de
retrouvailles dans divers pays
|
Chine
|
Pas de retrouvailles possibles, la majorité des enfants
sont abandonnés sans aucune information sur les parents biologiques.
|
Colombie
|
Depuis 1993, la loi ne permet pas les retrouvailles. Mais les
adoptants ont parfois le nom de famille de l'enfant.
|
Corée du sud
|
Possibilités de retrouvailles. Infrastructures mises en
place par le bien-être social coréen.
|
Haïti
|
Possibilités de retrouvailles. Très bien
accepté et souhaité; des retrouvailles ont été
réalisées.
|
Inde
|
Peu de possibilité de retrouvailles.
|
Philippines
|
Possibilités de retrouvailles. Il y a une étude
sociale de l'enfant. Les adoptants ont parfois le nom des parents de naissance
mais ceux-ci ignorent dans quel pays l'enfant a été
adopté.
|
Roumanie
|
Possibilités de retrouvailles. Les parents adoptifs
connaissent l'identité des parents de naissance et l'histoire sociale de
l'enfant.
|
Taiwan
|
Possibilités de retrouvailles. Infrastructures en
place.
|
Thaïlande
|
Peu de possibilité de retrouvailles. Majorité
des enfants abandonnés sans trace des parents.
|
L
La Convention de la Haye prévoit que les
autorités centrales des pays signataires mettent en place des
mécanismes pour rendre possible les retrouvailles. Pour l'instant,
lorsqu'il y a une demande, les dossiers sont traités par les Centres
Jeunesse régionaux qui s'occupent des retrouvailles dans le cas des
adoptions réalisées au Québec. On connaîtra la
procédure retenue en ce domaine lorsque la loi québécoise
sera adaptée à la Convention de la Haye.
Dans le futur, il sera donc possible de s'adresser au SAI, ou
à un autre organisme le cas échéant, pour entreprendre des
recherches d'antécédents. Selon les cas d'adoption, il est
possible que les dossiers contiennent certains documents que les parents
adoptifs n'ont pas eus en main (par exemple, des documents officiels
échangés avec les autorités étrangères) et,
vice versa, les parents peuvent avoir eu des informations additionnelles en se
rendant dans le pays. En ce qui concerne la recherche
d'antécédents dans les pays d'origine, la situation dépend
du pays et bien sûr des conditions dans lesquelles l'enfant a
été adopté. D'abord, dans certains pays, la loi ne permet
pas les retrouvailles. De plus, beaucoup d'enfants sont abandonnés sans
information sur l'identité des parents de naissance. Souvent, la date de
naissance et donc l'âge de l'enfant sont fictifs ou approximatifs. De
plus, le lieu de la naissance peut aussi être erroné ou inconnu.
Par contre, il est aussi possible que certains intervenants dans le processus,
par exemple, les avocats étrangers et bien sûr les
autorités gouvernementales, disposent de certains renseignements.
En adoption internationale, la démarche comporte
plusieurs difficultés. D'abord, il y aura la barrière de la
langue du pays d'origine. Plus profondément, la recherche des
antécédents souligne inévitablement la différence
de l'adopté : il ne possède pas la culture du pays d'origine
et les retrouvailles ne réduiront pas cette différence.
« C'est la culture québécoise qui est empreinte
en moi, donc le physique ne veut plus dire grand-chose. C'est comme si j'avais
dormi pendant vingt ans » (Ariane, Page 6).
Par ailleurs, la recherche d'antécédents peut
avoir plusieurs conséquences pour l'enfant adopté :
- la possibilité de vérifier des ressemblances
physiques
- la connaissance de la vérité sur son histoire
personnelle; pourquoi les parents biologiques l'ont confié en
adoption
- la réduction du sentiment de vide laissé par
l'abandon, la guérison au moins partielle de cette blessure
intérieur
- l'apaisement de la colère de l'adolescent
- la création de nouveaux liens avec des gens qui vous
ressemblent
Pour résumer un peu cette partie, nous pouvons dire
que la recherche d'antécédents participe au bien-être et
à l'intégration de l'adolescent. Les trois quarts des adolescents
interviewés ici ont fait des recherches ou prévoyaient d'en faire
prochainement. Comme Karine, Christine et Emma qui ont rencontrés leurs
mères ou familles adoptives, les adolescents ont besoin à un
moment ou à un autre de savoir leur histoire. Savoir pourquoi l'on a
été abandonné, dans quelles circonstances, à quel
moment de la vie de leur mère, etc.... Toutes ces questions s'amplifient
à l'adolescence et ont besoin de réponses. Cependant, les parents
doivent être vigilants par rapport à cette demande de recherches
des origines, surtout à l'adolescence. C'est une période fragile
où rencontrer ses parents biologiques peut être assez perturbant.
Faire des démarches de retrouvailles doit donc répondre à
une motivation saine de la part de l'adolescent, qui doit être bien
préparer à ce qu'il va vivre, à ce qu'il va entendre.
L'adolescent peut donc s'il en a besoin entamer des
recherches sur ses origines, à condition d'être bien
épaulé par ses parents, d'avoir une réelle motivation
saine, et d'être préparé à la rencontre.
V. Identité et culture, liées toute
durant la vie de l'adolescent
Chez l'enfant, le questionnement identitaire se
réactive à chaque étape de son évolution, au fur et
à mesure de son développement. A l'adolescence, les
questionnements identitaires se font de plus en plus fréquents. Tout
adolescent, adopté ou non, doit répondre à la question
« qui suis je ?». Comme nous l'avons vu
précédemment dans la partie « questionnement des
adolescents », de nombreuses interrogations viennent à
l'adolescence. Ce qui peut bien souvent perturber la vie familiale comme nous
le confiait Rachelle « J'ai passé une adolescence
assez rock'nd roll'. » (Page 4). L'adolescent doit alors
affermir ses choix, déterminer le style qui lui convient. Quand ces
choix sont affermis, il se différencie suffisamment de ses parents pour
ne plus avoir besoin de s'opposer à eux pour exister. La
complexité avec l'adoption tient du fait qu'il y a de multiples
identités à trouver. « Si tu n'as pas
accepté ton adoption depuis l'âge de cinq ans, l'adolescence sera
encore pire, parce que là tu vas encore chercher ton identité
sexuelle, culturelle, tu as pleins d'identité à trouver. Avec
l'adoption, tu as une identité de plus à trouver, donc parfois
ça peut être difficile. » (Laurence, page 9).
Laurence nous exprime bien ici la difficulté que l'adoption,
jumelée à l'adolescence, peut poser.
L'adoption, et donc les origines, peuvent en effet être
sujettes à interrogation, voire à angoisse chez certains
adolescents.
L'adolescent doit réussir à façonner sa
propre identité, et se démarque petit à petit de ses
parents. L'adoption crée deux sortes d'identité en fait. Il y a
l'adoption dite raciale (couleur de peau, cheveux, corpulence,
métabolisme), et l'identité culturelle ou ethnique (les acquis
éducatifs, la langue, le comportement, la religion, le groupe social).
« C'est sûr que je me sens plus proche de la culture
québécoise, parce que c'est là que j'ai grandi. J'ai une
partie du Québec et de Haïti en moi. (Page 7) ;
Mais en même temps c'est vrai que j'ai essayé de me
rapprocher de la culture haïtienne, mais je ne serais jamais
haïtienne parce que je n'ai jamais vécu
là-bas ». (Ariane, page 7)
On a pu constater différentes stratégies
identitaires chez les adolescents adoptés. Il a tout d'abord la
stratégie d'assimilation de la culture du pays d'accueil, qui
s'accompagne de peu d'intérêt pour le pays d'origine. A
l'opposé, il y a le refus de la culture d'accueil, avec la fierté
de la couleur de peau, la recherche des origines.
Ces identités font que les adoptés
gèrent différemment leur statut d'adopté.
L'intégration dépend aussi du pays d'origine et donc de la
couleur de peau. On peut constater que les personnes d'origines asiatiques
(Corée du Sud, Chine, Cambodge) ont moins de difficultés à
s'intégrer au sein de la société que les personnes de peau
noire. Car ils ont des préjugés plutôt
« positifs » (travailleurs, discrets). Alors que les
personnes noires peuvent vivre un racisme assez fort parfois. Comme nous
l'explique Ariane, « Je me sens intégrée mais
en même temps il faut se battre pour ça, des fois il arrive des
petits incidents, et bon il ne faut pas laisser ça passer.
(...) Tu sais c'est bizarre, comme si pour eux dans leur
tête, Noir ne pouvait pas rimer avec un bon emploi. Faut toujours se
justifier. (...) Inconsciemment là c'est un
préjugé, ils ne me voient pas à une bonne place dans la
société, tu ressens un peu de racisme quoi. Moi ma
théorie, c'est qu'une personne noire, quand elle arrive dans un nouvel
endroit, elle part pas à 100% mais à 80%, donc il faut remonter
la pente. C'est une sorte de handicap oui ». (Ariane, page
8). De plus, l'intégration est plus facile selon le milieu
fréquenté. Si la famille vit dans un quartier, dans un milieu
multiethnique, l'intégration sera plus facile car il y a aussi d'autres
étrangers.
L'adolescent doit également arriver à composer
avec sa double identité. L'adopté a deux paires de parents, les
parents actuels et d'origine. Il cherche à intégrer ses deux
composantes dans sa vie. À qui s'associe-t-il ? Comment
réussir à se distancier de parents inconnus ? Il est
difficile de se séparer de parents que l'on ne connaît pas ou de
se sentir appartenir à une lignée généalogique qui
nous est inconnue. « J'ai connu beaucoup de cultures
différentes et j'aime ça. Parce que moi, je ne peux pas dire, je
suis québécoise à 100% en fait. Car le fait d'avoir connu
d'autres cultures fait que je suis un peu tout à la fois (page
10)
Je pense que ça me donne plus
d'ouverture d'esprit, par rapport au autres, comme je vois, mes cousins, ils ne
sortent qu'avec des québécois, c'est un peu
fermé. » (Marie-Pierre, page 11)
Il est également difficile de se sentir appartenir
à une lignée familiale avec laquelle nous n'avons pas de liens de
sang. Qui suis-je face à cette grande famille adoptive, quelle est ma
place ? L'adolescent se sent tiraillé entre ses origines et sa vie
actuelle. « C'est sûr que je me sens plus proche de la
culture québécoise, parce que c'est là que j'ai grandi.
J'ai une partie du Québec et de Haïti en moi. (Page 7)
Mais en même temps c'est vrai que j'ai essayé de me
rapprocher de la culture haïtienne, mais je ne serais jamais
haïtienne parce que je n'ai jamais vécu
là-bas. » (Ariane, Page 7). Il doit se forger une
identité à travers tout cela. Il lui faut également
à reconnaître son passé. Pendant son enfance, l'adolescent
a relégué aux oubliettes ce qui se rattachait à son
origine. À l'adolescence, avec sa quête identitaire, il doit
rouvrir son passé pour bien comprendre qui il est. Son passé fait
parti de lui, il doit l'intégrer dans son identité. Tout ce que
l'adolescent a pu vivre durant sa petite enfance, est réactivé
à l'adolescence. Si l'adolescent a une enfance difficile, il y a de
fortes chances que la période d'adolescence soit complexe.
Concernant l'identité des adolescents adoptés,
on peut les classer en trois groupes, selon les réponses qu'ils ont
donné aux entretiens. La grande majorité endosse
l'identité de leur pays d'adoption, il y a alors assimilation
de la culture. Un autre groupe des adolescents opte plutôt pour le
biculturel. Ils ont la culture québécoise et leur culture
d'origine, le tout formant une identité biculturelle.
Nous allons donc voir comment les adolescents s'identifient
à leur société d'adoption. Ils ont été
classés selon trois types d'identité, des stratégies
identitaires : assimilatrice, biculturelle et internationale.
A.
Identité assimilatrice
Il s'agit de la stratégie la plus courante. L'ado
adopté s'identifie à la société d'adoption. La
couleur est presque ignorée mais il l'accepte bien. Il ne la
considère pas importante dans la définition de soi. Il lui arrive
d'oublier qu'il est de couleur. Le jeune développe une faible
identité d'origine ethnique. Les jeunes se sentent
québécois ou canadiens en raison de leur ressemblance avec leur
milieu. Ils mangent, pensent, parlent et s'habillent québécois ou
canadien. Ils sont bien intégrés. « Je me sens
québécoise quand même parce que j'ai été
élevée dans une culture québécoise, avec des
parents québécois ; mais c'est les autres qui font que tu te
sens différent, qui te regardent d'un drôle d'air, c'est eux qui
donnent des problèmes » (Christine, page) . Certains
ont de la difficulté avec leur couleur car ils sentent la pression de la
société à vouloir les définir autrement. Ils
persistent quand même à vouloir appartenir à ce groupe. Ces
jeunes ne sont pas à l'aise avec les gens de leur communauté
d'origine car ils ne se sentent pas reliés à ce groupe.
C'est là que presque la totalité des adolescents
adoptés d'Asie se situe. À part leurs yeux bridés, la
société les voient blancs et eux, par le même fait, se
voient ainsi. La couleur de peau, passe inaperçue. Leur
communauté d'origine est plutôt bien vue. Leurs résultats
scolaires sont souvent attribués à leur origine.
« Des fois, c'est toujours les espèces de
préjugés qui ressortent... Tu es asiatique, tu dois être
bonne à l'école. Ce n'est pas parce que tu es asiatique, que tu
as toujours des 100% ! (Le vingt sur vingt en France)
(Rires) (Laurence, page 8).
L'image de grâce entourant les petites filles les aide
à bien s'intégrer et à se faire accepter. La
majorité parmi eux, vit des moqueries mais rien de bien méchant.
Puisqu'ils sont mieux acceptés de la majorité, les Asiatiques ont
moins tendance à penser à leur identité ethnique. Il est
facile pour eux d'oublier qu'ils sont d'origine chinoise.
Rachelle est originaire du Bangladesh. « Je
me sens plus proche de la culture québécoise, car la culture
musulmane ça m'est absolument impossible, je n'ai aucune affinité
avec cette culture ». (Page 6). Elle rejette ici sa culture
d'origine, à cause de la religion dominante du pays. Cependant, Rachelle
n'a jamais été au Bangladesh. On peur supposer
éventuellement que si elle allait un jour dans son pays d'origine, elle
aurait peut être un avis différent sur cette culture dont elle dit
n'avoir aucune affinité. Car bien souvent, on se fait une image d'un
pays avec pour seul point de vue celui de médias, qui peut être
faussé. Mais il faut pouvoir se faire sa propre opinion.
B.
L'identité biculturelle
Certains adolescents adoptés s'identifient à ce
groupe. Ils se sentent appartenir à « deux mondes »,
celui de leur adoption et celui avec lequel ils partagent des ressemblances
physiques. Ce choix est utilisé presque
entièrement par les noirs. Une insatisfaction des rapports avec le
groupe majoritaire et un sentiment de rejet seraient à l'origine de ce
choix. Ils rencontrent plus d'obstacles à leur intégration.
« Je me tenais beaucoup avec des asiatiques
en fait, sauf que je n'avais pas juste des amis asiatiques. C'était
vraiment comme je dirais égal, 50% d'amis québécois, et
50% d'amis asiatiques. (Page 9) Inconsciemment, l'adolescent
adopté peut parfois avoir tendance à aller vers des amis de la
même origine que lui. Il a donc dans ses fréquentations des amis
québécois, et des amis asiatiques ; et cela de
manière tout à fait inconsciente, comme le dit Laurence :
« Je ne me suis jamais attardée sur ça, mais
quand j'y repense, je me dis oui peut-être qu'en fait il y avait une
petite attirance vers les asiatiques, je suis entre les
deux. » (Laurence, page 9). « Je suis entre les
deux », telle est bien la définition de l'identité
biculturelle. L'adolescent crée et complète son identité
avec les deux cultures : la culture québécoise et la culture
d'origine. Les deux aspects de son identité sont primordiaux pour son
bien-être et son développement. L'adolescent a besoin des deux, si
on lui en enlève une partie, il aura un manque. Le physique crée
donc ce besoin d'être en contact avec des personnes de la même
origine que soit. On va vers ceux qui nous ressemblent, on a envie d'être
comme les autres.
La communauté d'origine haïtienne est celle qui
subit le plus de préjudices et de rejet. Certaines personnes associent
souvent les gens de race noire à la paresse intellectuelle, la violence
et la délinquance. « Je me sens intégrée
mais en même temps il faut se battre pour ça, des fois il arrive
des petits incidents, et bon il ne faut pas laisser ça passer.
(Page 8). Tu sais c'est bizarre, comme si pour eux dans leur
tête, Noir ne pouvait pas rimer avec un bon emploi. Faut toujours se
justifier. » (Page 8) D'origine haïtienne, Ariane a
déjà été victime de racisme, que ce soit dans la
rue, à l'école, dans le réseau familial. Elle a
été de nombreuses fois victimes de préjugés
racistes sur sa couleur de peau. Notamment dans le domaine de l'insertion, dans
une classe ou autre, Ariane a souvent ressenti une différence de la part
des autres. « Inconsciemment là c'est un
préjugé, ils ne me voient pas à une bonne place dans la
société, tu ressens un peu de racisme quoi... Moi ma
théorie, c'est qu'une personne noire, quand elle arrive dans un nouvel
endroit, elle part pas à 100% mais à 80%, donc il faut remonter
la pente. (Page 8)Les personnes noires sont en générale
plus gênée par les réflexions racistes que les personnes
asiatiques par exemple. Il y a plus de préjugés raciaux sur les
noirs que sur les asiatiques. On imagine la situation dans
laquelle se retrouve Ariane. Il lui faut non seulement gérer son
adoption et les questions que cela entraîne, mais aussi les effets de sa
couleur de peau sur les autres individus. On imagine bien que gérer le
racisme à l'adolescence doit être difficile. Surtout que ses
parents sont blancs. Il lui est donc peut être plus difficile de confier
ses difficultés à ses parents qui ne connaissent pas le racisme.
Ariane vit ça assez mal : « C'est une sorte de
handicap oui. Quand il faut faire des groupes de travail, les Blancs se
dépêchent de se mettre entre eux et les étrangers se
mettent entre eux du coup ». (Ariane, page 8) Les
préjugés raciaux entraînent donc un regroupement ethnique
de la part des individus, notamment lors des travaux scolaires en groupes.
On peut dire que le fait d'avoir une identité
biculturelle est parfois une résultante du fait de la difficulté
de s'intégrer dans la société. Les adolescents
adoptés se créent une double identité afin de combler le
manque qu'ils ont par rapport à leur pays d'origine. Il y aurait donc au
final deux facteurs qui engendreraient la construction d'une identité
biculturelle chez l'adolescent :
- avoir des origines étrangères n'est pas
sans conséquences et l'adolescent a besoin d'avoir cette double
identité pour se sentir québécois et sentir aussi qu'il a
une partie de son pays d'origine en lui
- vivre des expériences de racisme, de
ségrégation entraîne un développement de
l'identité de culture d'origine. L'adolescent se raccroche à ce
à quoi il ressemble
Quand on demande à Karine qu'elle est la part dominante
dans son identité, elle répondait« Je pense que c'est
la culture guatémaltèque, parce que quand je voyage, c'est mon
pays et je le sens. Ce n'est pas que je n'aime pas le Québec, mais le
Guatemala, c'est mon pays, ce qui fait que j'ai besoin des deux pour être
bien en fait. » (Karine, page 5) Karine aussi est biculturelle, et a
besoin des deux parts pour être bien. Elle ne peut se résoudre
à oublier la partie guatémaltèque qui est en elle,
ça serait renier son passé.
C.
L'identité internationale
Pour une autre partie des adolescents adoptés, c'est la
personne qui compte. Ils fréquentent toutes les races sans
préférence. Ils sont membres du monde et ne se sentent pas
appartenir à un groupe en particulier. Ils se perçoivent comme
des agents de paix venus réduire le racisme. Ils vivent un inconfort
face à leur race et travaillent pour faire accepter leurs
différences. « Moi je me suis élevée
toute seule, avec les valeurs de différentes cultures qui me plaisent,
je ne suis pas à 100% québécoise, je suis aussi un peu
libanaise, et un peu des autres cultures aussi ».
(Marie-Pierre, page 13)
Il est difficile pour l'adolescent adopté d'origine
différente à la majorité de la société, de
ne pas se questionner sur son identité. La logique veut que le jeune qui
vive ici adopte les valeurs d'ici et se perçoive comme membre de la
société dans laquelle il vit. Quand l'adolescent vit des
difficultés, des choix se présentent à lui, persister
à s'assimiler ou choisir de se définir autrement. La
majorité des jeunes a une identité ethnique beaucoup moins
prononcée que les enfants adoptés par des parents de même
ethnie. C'est en effet le cas de Michael, dix huit ans, adopté de Russie
à l'âge de cinq ans. Nous avons fait un entretien avec lui pour
vérifier s'il avait moins de problèmes d'intégration que
les autres, de part l'absence de différence de couleur de peau. Il vit
en effet son adoption mieux que les autres, puisqu'il n'a que son
identité à trouver par rapport à son adoption, et non pas
par rapport à sa couleur de peau. Cependant, il se pose tout de
même des questions sur ses origines russes et aimerait un jour en savoir
plus, et faire des démarches de retrouvailles.
L'adolescent met en place différentes stratégies
identitaires que l'on peut présenter sous formes d'un tableau, afin
d'avoir uns vision synthétique57(*).
Stratégies identitaires des adolescents
adoptés d'origine étrangère
|
Assimilation à la culture québécoise
|
Biculturel (conciliation de la culture québécoise
et d'origine)
|
Internationaliste
(dont un fort intérêt pour la culture
d'origine)
|
Identité dominante
|
Identification à la culture québécoise
|
Identité dominante québécoise
|
Se définissent d'abord comme individualités
|
|
|
Développement d'une identité de couleur
|
Pas ou peu d'identification à la culture
québécoise
|
Rapport à l'identité de couleur de peau
|
Evacuation de l'identité de couleur
|
Fierté par rapport à la couleur de peau
|
Identification aux groupes d'origines
|
Relations sociales
|
Fréquentation forte de québécois ou de
blancs
|
Fréquentation de québécois et de
différents groupes ethniques
|
Fréquentation de groupes ethniques d'origines de
l'adopté
|
Rapport à la communauté d'origine
|
Indifférence ou rejet de relations avec la
communauté d'origine
|
Connaissances et valorisation de la culture d'origine,
appropriation des traditions et de la culture d'origine
|
Volonté d'ouverture et de mélange des cultures au
Québec, relations avec la communauté et famille d'origine
|
Rapport au pays d'origine
|
Peu ou pas d'informations sur le pays d'origine
|
Quelques connaissances et intérêts pour le pays
d'origine
|
Fort intérêt pour le pays d'origine, voir pour la
famille biologique et les antécédents
|
Stratégies privilégiées
|
Stratégies d'assimilation individuelles
|
Acculturation, conciliation des deux cultures, promotion des
groupes ethniques
|
Difficultés, voir rejet envers la culture
québécoise et/ou la famille adoptive
|
Intégration sociale (globalement)
|
Bonne
|
Moyenne
|
Faible
|
Ce tableau n'est bien évidemment pas
représentatif de toutes les situations des adolescents adoptés
rencontrés. Il représente une synthèse des entretiens. En
faisant un bilan des résultats des entretiens, on a pu voir que les
adolescents adoptés ont pour beaucoup, développé une
identité double, ou biculturelle. Ils se sentent d'une part
québécois, et d'une autre part ils ressentent aussi la part de
leur culture d'origine, même s'ils ne la connaissent pas.
VI. L'intégration des adolescents dans la
société québécoise
Comme nous l'avons vu, l'adolescent peut
connaître des problèmes avec les autres individus, de part sa
couleur de peau. Nous nous intéresserons donc à
l'intégration des adolescents adoptés dans la
société québécoise aujourd'hui. Que
vivent-ils ? Quelles sont les réactions des autres individus
lorsqu'ils racontent leur histoire ? Quels sont les éléments
qui les ont aidé à s'intégrer ?
« Je ne sais pas si on peut parler
d'intégration car j'ai toujours été là, mais c'est
sûr qu'au primaire, ce n'est pas trop évident, on te traite de
chocolat des choses comme ça. (Page 9) Il est normal
d'être surpris de la question de l'intégration chez les
adoptés. En effet, comme le souligne Ariane, elle a toujours
été là. Elle a en effet oublié sa toute petite
enfance à Haïti, car elle était trop jeune. Donc pour
elle, elle a toujours été québécoise. Ce n'est pas
toujours l'avis des autres québécois. « On te
parle comme si tu venais d'arriver alors que tu as toujours été
là » (page 8).
L'adolescent adopté est souvent perçu comme
un immigré venant d'arriver au Québec, alors qu'il est là
depuis son enfance. Cela peut être perturbant pour un adolescent
d'être pris pour quelqu'un que l'on n'est pas. Il convient que les
parents adoptifs doivent être très présents pour aider
l'adolescent à surmonter ces épreuves. Le dialogue est alors
très important et peut aider à résoudre des
problèmes d'identité. Comme nous le fait comprend Laurence,
« la famille, mes parents, mes soeurs, tu te rends
compte que c'est vraiment des gens sur qui tu peux compter.
Quelque part je me dis que j'ai eu de la chance que tous mes
frères et soeurs soient adoptés car on peut se comprendre
mutuellement, car on vit la même chose. Parce que j'imagine que quand tu
es le seul adopté de la famille, tu as sûrement des questions qui
te viennent, et tu vois que les gens ne vivent pas la même chose que
toi ». La solidarité familiale est très
importante pour les adolescents adoptés. C'est une cellule de
repères pour l'adolescent ; surtout quand ses frères et
soeurs ont eux aussi été adoptés. Il peut ainsi se confier
à eux au besoin.
Le Québec peut parfois avoir un rôle flou
vis-à-vis des étrangers ; notamment au niveau de
l'intégration des personnes immigrantes. « Je pense
que comparativement au reste du Canada, le Québec a un peu plus de mal
à dealer avec les étrangers. Ils sont très possessifs de
leurs emplois, de leur culture, de la langue française seulement. On
sent beaucoup le fédéralisme. » (Rachelle,
page 8). Cependant, il convient de rappeler que le racisme existe partout, au
Québec comme en France. Les adolescents ont parfois nettement ressenti
une animosité de la part de certains québécois pas
très accueillants envers les étrangers. « Une
fois, un gars m'a craché dessus en me disant « moi je suis
québécois », ça m'a vraiment fait mal.
(Page 5) Christine a connu des remarques racistes toute sa vie.
« Un autre jour aussi j'étais caissière et
là un client passe et dit « en v'la une autre qui vient de
nous piquer un job ! » » (Page
5)
Concernant l'intégration dans la
société, certains adolescent n'ont pas ressenti avoir besoin de
faire des efforts plus que les autres.
« J'ai pas eu besoin de faire d'efforts
supplémentaires pour m'intégrer, vis-à-vis des autres,
j'ai toujours su me défendre (...) ma mère adoptive m'a
donné les bons outils pour me défendre face à tout
ça. (Christine, page 5) Encore une fois, le rôle des
parents adoptifs est souligné puisqu'il permet d'armer l'adolescent face
aux réprimandes possibles des autres individus. Il est important que
l'adolescent soit bien épaulé face aux réactions des
autres individus, dérangés par une couleur de peau autre que
blanche. « Une fois aux douanes, on m'a refusée
l'accès parce que j'étais de couleur (...), les
Américains des fois ils sont un peu comme ça, ils ont assez peur
depuis le 11 septembre. (Christine, page 6) L'actualité, le
rôle des médias peut aussi engendrer des situations
étranges. Ici, l'impact des attentats du 11 septembre 2001 aux
Etats-Unis a eu un véritable impact sur les mentalités concernant
les personnes étrangères. Ici, Christine s'est vu refusé
l'accès à un départ en avion à cause de sa couleur
de peau, alors qu'elle avait des papiers en règle.
La différence de couleur, insignifiante dans la
famille peut donc devenir importante aux yeux des autres, et crée une
certaine distance sociale. Un certains nombres d'adolescents connaissent des
difficultés à s'intégrer dans leur milieu scolaire
à cause de leurs origines. C'est en effet lorsqu'ils entrent dans le
système scolaire que qu'ils sont susceptibles de connaître des
situations de rejet qui peuvent les marquer longtemps.
« Quand j'étais petite, il y en a qui ne m'acceptaient
pas. Donc ça c'était à l'école primaire, il y en a
qui ne m'acceptaient pas. Ils faisaient beaucoup de remarques. Ca ça me
faisait du mal (Page 5). L'acceptation de l'enfant adopté par
ses camarades peut dépendre des stéréotypes que ces
derniers ont reçu dans leur propre famille sur l'adoption, sur les
immigrants au Québec etc.
Concernant l'intégration, Marie nous a confié,
« Je crois que c'est moi, je me suis intégrée
moi-même, ça m'a aidée. J'ai dû faire des efforts
pour m'intégrer. C'est vrai qu'on doit en faire plus que les autres pour
ça. On doit prouver qu'on est comme eux, même si on est de couleur
différente. » (Page 6) La couleur de peau peut donc
créer des différences. Il faut prouver qu'on est comme
les blancs. C'est un témoignage assez dur à entendre de la part
d'une adolescente. Malgré son âge, elle a pu percevoir les
différences sociales qu'il existait à cause de la couleur de
peau. Dans les cas d'adoptions internationales, l'intégration peut donc
être un combat perpétuel, contre les préjugés, des
adultes comme des enfants de l'école. On peut se demande de quelle
manière l'adolescent parvient-il à faire l'impasse ou à
gérer cette situation difficile. Quels sont les éléments,
les personnes qui ont aidé à l'intégration ?
« C'est surtout quand j'ai eu un copain que je me suis sentie
bien avec moi-même, et aussi quand j'ai quitté Québec pour
venir à Montréal. J'avais besoin de partir (Ariane, page
5). Ariane a donc commencé à se sentir intégrée
quand elle a eu un copain à l'adolescence. En effet, pour de nombreux
jeunes, cela signifie que l'on est accepté, que l'on peut être
aimé par quelqu'un d'autre que sa famille. Comme nous l'avons aussi dit,
la famille et les amis sont des éléments très importants
pour l'intégration de l'adolescent, car ils peuvent l'aider dans les
moments difficiles.
Parfois, le soucis d'intégration est tel que certains
adolescents déclarent : « Si j'avais
été adoptée « blanche »,
je crois que ça aurait été plus facile oui. Ce n'est pas
l'adoption en elle-même qui est gênante, mais c'est la couleur de
peau qui fait que ça change quelque chose. » (Marie,
page 6) Tout est dit ; ce n'est donc pas tant l'adoption qui est
gênante aux yeux des autres individus, mais bien la couleur de peau.
C'est la différence physique visible qui gêne les gens.
Les opposants aux adoptions internationales sont d'avis
qu'elles ne favorisent ni l'intérêt de l'enfant qui est
susceptibles d'éprouver des problèmes d'identité au cours
de leur développement ; ni la pays d'origine qui se retrouve
dépourvu d'une partie de sa jeunesse. Ils pensent aussi que les parents
blancs ne peuvent pas réellement aider leurs enfants de couleur face au
racisme et à la discrimination. D'ailleurs un mouvement de travailleurs
sociaux noirs américains (National Association of Black Social Workers)
est parvenu à freiner très fortement les adoptions
internationales aux Etats-Unis au cours de ces trente dernières
années.
Les adolescents de l'adoption internationale doivent non
seulement gérer leur adoption et les questionnements que cela
entraîne, mais aussi les réactions primaires des gens
face aux personnes de couleur. « Quand j'étais plus
petite à l'école, on nous demandait d'où on venait. Moi je
trouvait que c'était une forme de racisme. Des fois on me demandait,
pourquoi t'es ici ? A force ça a commencé à
m'énerver (page 5). Les questions incessantes envers
l'adolescent ou l'enfant adopté peuvent devenir pénibles, car il
faut toujours se justifier, expliquer. Etre toujours le centre d'attention
(positive ou négative) peut être difficile à vivre à
l'adolescence.
D'autres adolescents vivent très bien le fait qu'on
leur pose des questions sur leurs origines, sur leur adoption.
« Ici les gens aiment bien demander d'où je viens, ils
sont curieux. En ce moment, c'est la mode de se bronzer, ils me demandent
comment j'ai fait pour être aussi bronzée. Ils sont assez gentils
oui. (Page 5). Marie connaît une attention positive de part
sa couleur de peau, et la mode d'être
« bronzé » actuellement. Cela explique qu'elle le
vive plutôt bien, puisque l'attention sociale sur elle est positive.
Cependant, elle reste lucide sur le fait d'avoir
été adopté et des difficultés que cela comporte.
« C'est peut-être un peu plus compliqué quand on
a été adopté, et puis ce que ça apporte avec, ce
qui fait que tu as des parents biologiques, que tu cherches à qui tu
ressembles. Mais je sais qui je suis. Il me reste juste une couple de choses
à assembler. (Page 6) Karine désirerait en effet entamer
une recherche pour faire des retrouvailles avec sa famille d'accueil, puis
éventuellement, sa famille biologique. Cela lui permettre d'obtenir les
réponses aux questions qu'elle se pose. « Mais je me
sens intégrée partout en fait, je ne me sens pas
différente d'avoir été adoptée. Il me reste juste
deux ou trois affaires à régler. (Karine, page 6)
Gabriel lui dit ne jamais avoir vécu de racisme. Encore
un fois, il est d'origine asiatique, et les personnes asiatiques ont moins de
difficultés que les autres à s'intégrer et à se
faire accepter. C'est vrai que j'ai remarqué qu'il y a moins de
racisme envers les asiatiques qu'envers les noirs en
général. » (Gabriel, page 9). Gabriel nous
confirme donc avoir le sentiment de la plus grande acceptation des asiatiques
par rapport aux personnes noires. Il y a moins de préjugées
sociaux négatifs. « Je n'ai jamais vécu de
racisme ou de truc comme ça. Comme j'ai l'accent
québécois, on voit bien que je suis ici depuis longtemps.
(Page 6) En effet, le fort accent québécois permet de se
faire une idée de vie au Québec. Cela permet à Gabriel de
« prouver » en quelque sorte qu'il est bien d'ici, mais
qu'il a été adopté. « J'ai des amis
noirs et arabes, ils me racontent ce qu'ils vivent ici à
Montréal. C'est vrai qu'il y a pas mal de québécois qui
sont racistes. On ne les voit pas nous, mais eux le ressentent, ils voient les
regards. » (Page 8). Gabriel a des amis noirs et arabes, ce
qui lui permet de savoir comment ils vivent eux-mêmes leur
intégration au sein de la société
québécoise.
Pour faire un bilan sur cette partie, nous pouvons dire
différentes choses. Tout d'abord, presque tous les adolescents ayant
fait les entretiens ont connu une fois au moins des réflexions
négatives sur leur couleur de peau. C'est une difficulté de plus
à l'adolescent, qui s'ajoute à celle de la recherche
d'identité de part l'adoption. Il est en effet difficile de se
créer une identité saine lorsque l'on est rejeté par les
autres à cause de son physique et de son histoire. A l'hypothèse
sur le rejet à cause des origines, nous pouvons répondre qu'un
tiers des adolescents adoptés ont déjà été
rejetés à cause de cela. Les personnes de couleur de peau noire
en particulier connaissent plus de difficultés que les autres, à
cause de préjugés raciaux négatifs. Ils doivent prouver
qu'ils sont aussi intéressants et sociables que les autres. Ils doivent
faire plus d'efforts que les autres pour se faire accepter, après avoir
répondu à tout une série de questions incessante sur leur
histoire. Les personnes asiatiques ont elles beaucoup moins de mal à
s'intégrer en vue des préjugés positifs qui perdurent sur
leur ethnie. Les individus voient les personnes asiatiques comme des personnes
calmes, travailleuses, discrètes, et sont ainsi mieux acceptées.
Cependant, ces préjugés peuvent aussi être gênants,
notamment au niveau de l'attente de bons résultats scolaires.
VII. Vision de la vue future
· Bilans et projets futurs des adolescents
Nous nous sommes intéressés aux envies et
projets des adolescents adoptés, afin de voir quels étaient leurs
objectifs futurs.
Bilan de l'adoption
Beaucoup des adolescent m'ont confié s'estimer chanceux
d'avoir été adoptés. Ils ont conscience qu'ils n'auraient
pas eu la même vie s'ils étaient restés dans leur pays avec
leur famille adoptive. « Je pense que j'ai beaucoup plus de
chances de réussir ma vie ici, qu'en étant au Guatemala. Je veux
continuer à faire ce que je fais, à aider les gens, à
travailler dans le social. » (Karine, page 7)
Cependant, être adopter est pour eux synonyme de
beaucoup d'interrogations sur ces origines, sur son identité.
« Je me dis qu'il faut être positif et se donner les
moyens d'atteindre ses objectifs, c'est sûr que des fois tu doute, mais
il ne faut pas s'arrêter à ça sinon tu fais une
dépression (rires) (page 11). Ariane
dévoile ici les moments de doutes qu'elle a pu avoir tout au long de son
adolescence. Mais elle réussi à s'en sortir en allant de l'avant,
en combattant les préjugés sur sa couleur de peau, sur ses
origines haïtiennes. Aussi, aller visiter son pays lui a permis de mettre
des images sur ce pays qui est une partie d'elle-même. Elle a pu
constater la pauvreté qui existe, et à laquelle elle a
échappé.
Quand on l'interroge sur sa vie de famille plus tard, et le
fait de vouloir des enfants, elle répond : « J'ai
envie d'avoir des enfants, mais en adoption...Enfin je suis un peu critique
face à l'adoption, nan c'est bien en soi, mais je me pose des questions,
j'ai des réserves. » (Ariane, page 11). Les
réserves sont en fait des points d'interrogations face au pays
d'origine. Est-ce véritablement aider le pays que de lui
retirer ses enfants orphelins, qui sont l'avenir, même pour un
pays en crise comme Haïti. Certains adolescents adoptés aimeraient
en effet que l'on prenne plus en compte l'avis du pays d'origine, et son
avenir. Il faudrait plus d'aides de la part des pays d'accueil, afin d'aider le
pays à se sortir de sa pauvreté. Par exemple, Ariane
suggérait que les sommes versées par les parents adoptifs aillent
directement pour des projets de développement du pays.
Christine elle au contraire est tout à fait d'accord
pour adoption plus tard, pourvu que son copain le soit aussi. Cela ne lui pose
aucun problème. « C'est sûr que j'aimerais bien
avoir des enfants, et pourquoi pas adopter, mais il faut aussi que le chum soit
ok pour adopter » (Christine, page 9)
Projets professionnels et bénévolat
On a pu remarquer que les adolescents ont une certaine
attirance pour les métiers dans le secteur de la santé ou du
travail social. Par exemple, Laurence, « J'aimerais devenir
infirmière, je trouve que c'est un beau métier que d'aider les
gens, donc là j'apprend la technique du
métier » (Laurence, page 3)
Marie elle, se destine à une carrière
plutôt sociale, axée sur le travail en post-adoption, qu'elle a
déjà eu l'occasion de pratiquer en aidant sa mère dans son
travail associatif. « C'est vrai que plus tard, pourquoi pas
travailler dans un groupe d'adolescent avec des adoptés, j'aimerais
ça. (Page 6). Karine témoigne aussi ce souhait de rester
et d'évoluer dans le domaine de l'adoption et de la post-adoption.
« Moi j'aimerais vraiment travailler là-dedans,
continuer à témoigner. Je pense devenir assistante sociale. Il
n'y a pas longtemps, on a été avec ma mère à une
conférence au Texas, sur l'importance des liens avec la famille
biologique dans une adoption (page 7)
Gabriel lui envisage de partie en mission humanitaire avec sa
mère biologique, restée en Belgique. Ils se voient tous les ans.
Partir avec sa mère (qui est en fait une religieuse) va lui permettre de
développer la relation qu'il a déjà avec elle.
« Cet été avec ma mère biologique, on va
au Cameroun, on va faire de l'humanitaire, travailler dans un orphelinat, ils
sont très pauvres. (Page 10) Encore une fois, on note le
souhait d'aller aider les gens de la part de cet adolescent de quatorze ans. Au
niveau de son projet professionnel, il ajoute :
« Si j'avais les notes qu'il faut, j'aimerais quand
même être médecin en Afrique, médecin ou
vétérinaire. (Page 10)
Famille future de l'adolescent adopté
L'entretien comportait une question concernant les souhaits de
la future famille de l'adolescent. Emma elle, nous confiait :
« Je pense que je me marierai plutôt avec quelqu'un de
Polynésie oui, je préférerais je
pense ». (Emma, page 4). Adoptée à l'âge
de cinq ans, elle a eu besoin de retrouver sa famille biologique durant un an,
pour avoir les réponses à ses questions. Elle souhaitera donc se
marier avec un homme de son pays d'origine plus tard.
Concernant sa famille, Gabriel a émis certaines peurs,
au niveau de son père biologique. « Je me demande
parfois si j'ai des enfants plus tard, qu'ils deviennent comme mon père
(qui a violé sa mère), ça oui
ça me fait peur. (Page 10). Le père biologique de
Gabriel était un soldat cambodgien qui fut emprisonné dans un
camp durant la guerre. Cet homme a subit plusieurs épreuves, a perdu
toute sa famille durant le conflit. Cet homme a violé la mère
biologique de Gabriel. Son témoignage était difficile à
écouter. C'est pourquoi Gabriel a peur d'avoir dans ses gênes, un
trait de caractère commun avec son père biologique, concernant sa
violence. C'est une inquiétude récurrente chez les adolescents
adoptés qui n'ont pas d'informations sur leur famille. Ils se posent des
questions au niveau biologique, physiologique. « Plus tard,
j'aimerais me marier avec une latino, et aussi adopter. De toute façon,
tant que tu as des enfants et puis que tu les aimes, peu importe comment tu les
as eu ». (Gabriel, page 10)
Marie-Pierre elle voit plutôt sa future famille en tant
que femme indépendant et célibataire. Ayant un problème
d'attachement avec ses parents adoptifs, son souci d'aimer se diffuse jusque
dans ses relations personnelles et affectives. « Je ne suis
pas une grande partisane de l'amour alors (rires), j'ai de la misère
à croire au mariage et à l'amour. Je suis un peu aigrie à
ce niveau-là. Je n'ai pas besoin de mari, j'adopterais sûrement
des enfants, je serais une femme indépendante. J'ai même
déjà refusé des fiançailles ».
(Marie-Pierre, page 14)
Emma se pose quand à elle des questions sur son lieu
d'habitat plus tard, le Québec ou la Polynésie ? Elle y
réfléchit encore... « Je ne sais pas où
j'aimerais vivre plus tard, parce que je me sens bien là-bas, et je me
sens bien ici. En fait les deux font partie de moi. J'ai une moitié des
deux en moi. Mais quand même je suis plus polynésienne que
québécoise ». (Emma, page 2)
Stéphane lui voit sa famille de manière
originale. « Ma famille, je la vois assez originale, par un
père, une mère et un enfant. Mais des parents, et puis tout un
groupe d'enfants, de tous horizons différents, de toutes origines (...),
de toute façon, je sous ouvert ». (Michael, page 11)
Ici encore, on peut voir que l'adoption créée une ouverture
d'esprit vis-à-vis des typologies familiales, vis-à-vis des
différentes possibilités de fonder une famille.
Nous laisserons à Stéphane le soin de terminer
cette partie. Il a dix huit ans et a bien résumé son adoption,
malgré les difficultés de recherche d'identité qu'il a pu
rencontrer. « Ben moi mon avenir est bien parti là, il
y a eu une bonne base. L'arbre est en train de pousser et il y a les feuilles
qui sortent qui s'épanouissent. Tout ceci grâce à mes
parents, grâce à mes proches, à mes amis (page
11). J'aimerais bien faire quelque chose dans le domaine de l'adoption
(...) rendre des parents heureux, voir le plus beau jour de leur vie, et les
avoir aidé pour ça (page 11).
Conclusion générale du mémoire
Ce travail nous aura montré que l'adoption est un vaste
chantier à explorer. Le thème de l'intégration des
adolescents adoptés d'origine étrangère l'est encore plus.
L'adoption n'est pas un phénomène familial anodin, il peut poser
des difficultés aux jeunes et aux familles concernées. Même
si l'adoption est un acte d'amour et de désir d'enfant, il est certain
que les adolescents se poseront toujours des questions sur leur
identité, sur leurs racines ; même s'ils n'en parlent pas.
C'est quelque chose de tellement personnel que cela peut même devenir
tabou parfois.
Notre travail nous a donc permis de comprendre le
phénomène de l'adoption, à travers le regard des
adolescents adoptés au Québec, à Montréal. Nous
avons pu ainsi entrer dans le vécu même des adolescents
adoptés, comprendre comment ils ressentaient la notion d'abandon, qui a
un sens fort au niveau sociologique et psychologique.
Une des questions principales du mémoire était
du connaître les facteurs qui favorisent, qui aident l'adolescent
à s'intégrer. Est-ce le fait d'appartenir à une
association d'aide à l'adoption ou une association autre ? Est-ce
le fait de rechercher et de trouver ses origines qui permet de faire le
« deuil » de son enfance, de son adolescence, afin de
commencer sa propre vie ?
Comme nous l'avons dit longuement dans ce mémoire,
l'adolescence peut être une période confuse pour certains jeunes.
Ceux qui ont été adopté ont des besoins particuliers en
terme de création de leur identité et d'équilibre entre
leur besoin d'encadrement et de liberté. Ils doivent composer avec des
sentiments de rejet et d'abandon et ils ont besoin de se réapproprier
leurs racines. Lors de demande de retrouvailles, nous avons vu que des parents
adoptifs ouverts et compréhensifs, qui ne se sentent pas remis en
question par la démarche de leur adolescent, peuvent aider beaucoup
celui-ci à trouver son chemin. Avec cette aide, les adolescents
adoptés peuvent franchir cette étape cruciale de leur vie aussi
bien que les adolescents qui n'ont pas été adoptés. Ils
peuvent même forger des liens familiaux encore plus forts qui
continueront de nourrir leurs relations futures.
Les enfants adoptés à l'étranger ne font
pas exception aux autres enfants adoptés de façon interne (au
Québec). Ils ont eux aussi à assumer l'expérience de perte
et de deuil que représente la rupture définitive avec leur
famille biologique (en cas d'adoption fermée). Il a de plus la perte de
la culture d'origine, mais nous avons vu que de nombreux adolescents
s'intéressent à cette partie, et entament des recherches sur le
pays, ou sur leur famille biologique. Les adolescents adoptés doivent
donc apprendre à vivre avec ce qu'ils sont, leur passé, leur
histoire, et leur vie au sein de leur famille adoptive, au sein de la
société québécoise.
Tout au long de la partie analytique de ce mémoire,
nous avons apporté des réponses aux hypothèses que nous
nous étions posés. Il y a différents
éléments qui favorisent l'intégration et la
création d'identité des adolescents adoptés.
Nous avons pu voir que le contexte familial est très
important pour le développement des adolescents adoptés, afin de
favoriser leur intégration au sein de la société
québécoise. Le danger pour les parents adoptifs est d'avoir le
sentiment d'avoir « sauvé » leur enfant de la
misère de son pays en l'adoptant. Il ne faut pas que l'adoption soit
fait comme un geste humanitaire car cela provoque bien souvent des
problèmes entre les parents et l'enfant adopté. Le
non-intéressement des parents pour la culture d'origine de l'adolescent
est perçu comme une négation d'eux-mêmes.
L'intérêt porté à la culture d'origine et sur
l'adolescent est très important pour son développement et son
estime personnelle. Les relations qu'entretient l'adolescent avec ses parents
peuvent se refléter dans les relations qu'il aura avec la
société en général.
L'implication familiale dans le milieu de l'adoption peut
être importante pour l'intégration sociale et familiale des
adolescents. Les adolescents dont les parents sont actifs dans le milieu de
l'adoption ont moins de difficultés que les autres à parler de
leur adoption. Pour résumer, le plus le milieu familial est
ouvert au sujet de l'adoption, et plus l'adolescent sera à
l'aise avec cela. Par exemple, le fait d'appartenir à une famille
nombreuse où tous les enfants ont été adoptés aide
à l'intégration et au sentiment d'être bien. Les relations
familiales élargies sont elles aussi importantes. En particulier
lorsqu'un conflit éclate dans la famille à cause de l'adoption de
l'adolescent. Celui-ci peut ressentir une forte culpabilité, et une
honte par rapport à son adoption.
Une des hypothèses du mémoire était de
vérifier si le comportement des adolescents vis-à-vis de
l'adoption avait un impact sur l'adolescent et son intégration.
D'après ces entretiens, nous pouvons dire que les adolescents
perçoivent de façon positive d'avoir été mis
tôt au courant de leur adoption. Le dialogue parent enfant est
extrêmement important dans les relations familiales. Il l'est encore plus
dans le cas d'une adoption internationale de surcroît.
L'intégration familiale de l'adolescent sera largement
favorisée si les parents adoptifs ont toujours abordé la question
de l'adoption, et su répondre aux différents questionnements de
l'adolescent. Plus de la moitié des adolescents ayant fait l'entretien
ont confié que le fait de savoir qu'ils avaient été
adoptés les a aidé à se développer et
s'intégrer. L'adoption dans le secret n'en aurait été que
plus lourde à porter.
C'est pourquoi les adolescents adoptés reconnaissent
majoritairement que le fait d'avoir toujours su qu'ils avaient
été adoptés les a aidé à se construire et
à s'intégrer dans la société ; car ils
savaient qui ils étaient.
Nous pouvons aussi dire que des activités de
post-adoption permettent l'intégration sociale des adolescents, qui
appartiennent ainsi à un groupe. Ils ne sont plus différents mais
compléments d'un groupe qui a besoin d'eux pendant les matchs de soccer
par exemple, ou pendant une réunion avec d'autres adoptés.
L'activité sportive ou culturelle peut aussi être
le moyen de découvrir de façon ludique sa culture d'origine.
Pratiquer une activité en lien avec sa culture d'origine peut être
facteur de création d'identité et d'intégration au sein
d'un groupe ethnique.
Nous avons aussi vu que certains adolescents ont
véritablement connu le racisme, qui peut être un frein à
leur intégration au Québec. Certains d'entres eux ont
déjà été rejetés, de part leur couleur de
peau. Ces rejets peuvent donc parfois expliquer le type d'identité
créée par l'adolescent. Il façonne son identité
selon ses expériences de relations sociales. C'est pourquoi l'accueil
des personnes d'origines étrangères est très important
pour l'intégration. La société a un vrai rôle dans
cela.
Nous pouvons dire que certains adolescents adoptés
peuvent avoir des problèmes d'intégration par rapport aux autres
adolescents. Le fait de venir d'ailleurs, d'un autre pays que le Québec
ajoute une question au mystère de l'adoption. Ce qui explique la
nécessité qu'ils éprouvent à retrouver leurs
origines. Cependant, ce besoin de savoir qui l'on est, d'où l'on vient
s'exprime différemment selon le caractère de l'adolescent, son
milieu d'accueil, ses parents adoptifs, etc.
Le facteur des origines étrangères est un
élément important dans l'intégration d'un adolescent. Les
adolescents adoptés doivent savoir combattre cela et avancer.
Les adolescents adoptés ont donc relativement une
bonne intégration au Québec. Mais cela n'est pas sans mal. Ils
vivent le rejet des autres (école, vie de quartier, activités
extra-scolaires), des enfants comme des adultes. L'adolescent doit plus que
jamais se battre contre les préjugés sur les étrangers qui
perdurent au Québec. L'adolescent doit apprendre à concilier sa
double identité, québécoise et d'origine. Certains auront
besoin de faire des démarches de retrouvailles, pour mettre un visage
sur leur famille d'origine. D'autres préféreront garder ces
images dans leur imaginaire et se contentent du roman familial qu'ils se sont
inventés.
Au-delà des réponses apportées à
la problématique, ce travail m'aura beaucoup apporté. Les
entretiens, se sont avérés très enrichissants pour moi, et
pour les adolescents aussi. Ce fût des échanges très
intéressants, tant sur le plan du travail social, car j'ai pu voir quels
étaient les besoins de ces adolescents, tant sur le plan humains car les
échanges étaient vraiment très intéressants.
Ces entretiens ont de plus permis de « rendre
service » aux adolescents, car certains ne connaissaient pas les
services de post-adoption de Montréal. J'ai ainsi pu, à la fin de
l'entretien, répondre à leurs questions et les orienter vers le
service adéquat quand il y avait un besoin. Ce mémoire m'aura
permis, d'une certaine manière, de faire un pas dans le travail
social, puisque j'ai pu aider certains adolescents en demande de services
spécifiques dans le domaine de l'adoption.
J'ai malgré tout conscience que ces entretiens ne
reflètent peut-être pas la réalité des adolescents
d'origine étrangère, car ce n'est qu'un petit échantillon
(quatorze adolescents) qui a répondu à l'appel de cette
recherche. Peut-être que les adolescents mal intégrés et
ayant des problèmes familiaux ne désirent pas témoigner de
tout ceci. Cependant, les entretiens effectués ont permis de
représenter différentes catégories d'adolescents. Ils
peuvent se diviser en trois groupes ; comme nous l'avons souligné
pour les stratégies identitaires. Il y a les adolescents qui se sentent
québécois à part entière, et se perçoivent
même comme « blancs », de même façon que
leurs parents. Ce groupe ne s'intéresse pas vraiment à son pays
d'origine. Ils ne se sentent pas concernés par leur culture d'origine et
n'éprouvent pas le besoin de faire des retrouvailles. Le second groupe
est plus partagé dans une double identité assumée. Ils
assument la culture québécoise qu'ils ont en eux, mais aussi la
partie plus mystérieuse de leur pays d'origine, qu'ils ne
renient pas. Avoir cette double identité les fait sentir citoyen du
monde, ils appartiennent à plusieurs cultures et en sont fiers. Enfin le
dernier groupe, le plus minoritaire, se sent plutôt appartenir à
la culture de leur pays d'origine. Dans ces cas-là, il peut y avoir des
problèmes d'attachement avec la famille d'accueil de part les
questionnements qui se posent.
Pour répondre à la question de
l'intégration, celle-ci se manifeste de façon crescendo
selon le groupe identitaire d'appartenance. On pourra dire que plus
l'adolescent sent appartenir à sa culture d'origine, et moins il sera
intégré. Cela s'explique par le manque qu'il éprouve
vis-à-vis de son pays et de sa famille biologique. Alors que le premier
groupe se verra assez bien intégré de part son
désintéressement à son pays d'origine et son
investissement dans sa vie québécoise.
Il convient d'insister sur le fait que la couleur de peau aura
posé des difficultés à certains adolescents. La plupart
d'entre eux ont déjà ressenti et vécu le racisme à
leur âge. On peut donc imagine ce qui les attend durant leur vie
d'adulte. Sauront-ils gérer cela au quotidien, avec leur propre famille,
leurs propres enfants ? Nous pourrions proposer comme sujet d'ouverture la
construction de la propre famille de l'individu adopté. Quels types de
familles les personnes adoptées privilégient-elles ?
Ont-elles désirés des enfants ? De quelles manières
ont-elles eu ces enfants ?
Troisième partie : les annexes du dossier
A. Bibliographie
CAMDESSUS Brigitte, (sous la direction de), L'adoption, une aventure
familiale, éditions ESF éditeur, collection Le Monde de la
Famille, Paris, 1995, 238 pages.
COSSEE
Claire, LADA Emmanuelle, RIGONI Isabelle, Faire figure d'étranger,
regards croisés sur la production de l'altérité,
éditions Armand Colin, Paris, 2004, 319 pages.
DELAISI
Geneviève, VERDIER Pierre, Enfant de personne, éditions
Odile Jacob, Paris, 1994, 359 pages.
DELAROCHE
Patrick, L'adolescence, éditions Armand Colin, Paris, 2000, 128
pages
DOLTO
Françoise, DOLTO-TOLITCH Catherine, Paroles pour adolescents, le
complexe du homard, éditions Hatier, Paris, 1989, 186 pages.
DUBOSC
M., VERDIER Pierre, Face au secret des origines, éditions
Dunod, Paris, 2000.
DURKHEIM
Emile, Le suicide, éditions Presses Universitaires
Françaises, Paris, 1897, pages.
ERIKSON
Erik, Adolescence et crise, la quête de l'identité,
éditions Flammarion, Paris, 1972, 348 pages.
ETIENNE
Jean, BLOESS Françoise, NORECK J.Pierre, ROUX J.Pierre, La
sociologie, éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
LE BRETON
David, L'adolescence à risque, éditions Autrement,
collection Mutations, Paris, 2002, 184 pages.
MAURY
Françoise, L'adoption interraciale, éditions
L'Harmattan, collection Psychologies, Paris, 1999, 330 pages.
NEXTON
VERRIER Nancy, L'enfant adopté, comprendre la blessure primitive,
éditions De Boeck, 2e édition 2004, 239 pages.
ROUSSEL
Louis, La famille incertaine, éditions Odile Jacob, Paris,
1989, 279 pages.
SINGLY
(De) François, Sociologie de la famille contemporaine,
édition Armand Colin, collection Sciences sociales, 2e
édition réactualisée, Paris, 2004, 128 pages.
SZEJER
Myriam, Le bébé face à l'abandon, le
bébé face à l'adoption, éditions Alban Michel,
Paris, 2000, 298 pages.
B. Guide des entretiens
· Informations sur la personne
enquêtée
Merci d'avoir accepté cet entretien. Avant tout, avez-vous
des questions à me poser ?
Pouvez-vous tout d'abord me parler de vous ?
(Questions à poser si la personne n'en parle
pas :)
Quel est votre âge ?
De quelle
origine ethnique êtes-vous ?
Quelle
est ta nationalité ?
Où
habitez-vous ? Avec qui ? Type d'habitat ? Ville ou
campagne ? Depuis combien de temps ?
Quelle
est votre situation matrimoniale ?
Avez-vous
des enfants ?
Faîtes-vous des études ou travaillez-vous ? Dans quel(s)
domaines ?
Pouvez-vous me parlez de votre situation
familiale ?
Vos parents sont-ils de nationalité
québécoise ?
Exercent-ils une profession ? Si oui, laquelle ?
Habitez-vous près de vos grands-parents, oncles et tantes,
etc. ?
Avez-vous
des frères et soeurs ? Si oui ont-ils été
adoptés ?
Pouvez-vous me parler de votre vie familiale ?
· Informations sur l'adoption
Pouvez-vous me parler de votre adoption ?
A quel âge avez-vous été
adopté ?
Savez-vous par quel type de procédure ?
Connaissez-vous les démarches qu'on fait vos parents adoptifs pour
cela ?
Savez-vous pourquoi vos parents désiraient adopter ? Si oui pouvez-
vous dire pourquoi ?
Savez-vous combien de temps a mis la procédure d'adoption ?
Connaissez-vous le contexte de votre pays d'origine à l'époque
où vos parents vous ont adopté ?
Comment avez-vous vécu votre adoption ?
A
quel âge avez-vous appris que vous avez été
adopté ?
Comment
voyez-vous l'adoption personnellement ?
Comment
l'avez-vous vécu ?
Est-ce
que l'adoption est un sujet comme les autres chez vous ? En parlez-vous
souvent avec vos parents ? Votre famille en général ?
Vos amis ?
Quel
regard avez-vous face à votre adoption ?
Pourriez-vous décrire vos rapports avec vos parents ? Vos
frères et soeurs si vous en avez ?
Pouvez-vous donner une définition de la famille selon vous ?
· Adoption et adolescence
Nous allons maintenant aborder la question de l'adoption et
de l'adolescence. Que pouvez-vous me dire à ce sujet ? Comment
avez-vous vécu cette période ?
Pourriez-vous définir l'adolescence ?
Pensez-vous que l'adolescence est plus « difficile »
lorsque l'on a été adopté ?
Avez-vous ou avez-vous eu des difficultés à cette
période ?
Quelles
sont les questions que vous vous êtes posés ?
Quelles
ont été vos relations avec vos parents à cette
période ? Avec les autres en général ?
Avez-vous
eu besoin d'une aide durant cette période ?
Quel
est votre regard sur ces deux phénomènes ?
· Adoption et origines
Pouvez-vous me parler de vos origines et de votre adoption
?
Pouvez-vous me parler de vos origines et de ce que vous savez sur
celles-ci ?
Comment
ressentez-vous le fait d'être d'origine étrangère et
adopté ? regard des autres ? québécois ou
pas ? deux cultures ?
Quel
lien pouvez-vous faire entre les deux ?
Comment
pensez-vous que la société perçoit les personnes d'origine
étrangère ?
Avez-vous
des expériences, des anecdotes à raconter par rapport à
cela ?
Connaissez-vous vôtre culture d'origine ? Si oui, est-ce vous
qui avez fait les démarches pour connaître cette culture ?
Comment
se situent vos parents par rapport à votre culture d'origine ?
Pourriez-vous me dire de quelle culture vous sentez-vous la plus
proche ?
Avez-vous du plaisir à parler de ton adoption et tes des
origines ?
· Adoption et société
Aujourd'hui, comment percevez-vous
le regard de la société sur propos de l'adoption ?
Comment avez-vous vécu ou vivez-vous le fait
d'être une personne adoptée dans le système scolaire par
exemple ? Avez-vous des anecdotes par rapport à cela ?
Comment
avez-vous vécu le faire d'être une personne d'origine
étrangère ?
Le regard
des autres a-t-il été un problème ?
· Adoption et identité
A l'adolescence, se pose-t-on plus de questions sur son
identité lorsque l'on est adopté ?
Pensez-vous qu'il est plus difficile d'avoir sa propre
identité lorsque l'on a été adopté ? Est-ce
pour vous une richesse ou un handicap ?
A
l'adolescence, comment ressent-on le fait d'être adopté ?
Avez-vous
eu besoin d'une aide ? Si oui, qui vous a aidé durant cette
période ?
Avez-vous
eu besoin de « tester vos limites » durant cette
période ?
Avez-vous
eu besoin de vous renseigner sur votre culture d'origine, de savoir d'où
vous veniez ?
Avez-vous
eu besoin de rencontrer des personnes adoptées ? Des personnes
ayant les mêmes origines que vous ?
Comment
s'est passé la relation avec vos parents durant cette
période ?
Comment
pourriez-vous définir votre identité aujourd'hui ?
· Adoption et intégration
Vous sentez-vous intégré aujourd'hui ? Dans
votre famille ? Dans votre milieu social ? Dans la
société ?
Avez-vous
des amis adoptés ou pas ? De quels origines sont- ils ? Si
oui, qu'est ce que cela vous apporte ?
En
parlez-vous avec les autres ?
Comment
avez-vous vécu cela au Québec ? Avez-vous déjà
eu ou avez-vous eu des problèmes avec les
québécois ?
Pour vous, quels sont les éléments importants
pour une bonne intégration lorsque l'on est adopté ?
Pensez-vous que la société donne toutes « ses
chances » aux personnes adoptées pour
s'intégrer ?
Y aurait
il des améliorations à apporter ? Dans quels domaines ?
Sous quelles formes ?
Pensez-vous qu'il devrait y avoir des actions de l'Etat pour les personnes, et
les adolescents adoptés en particulier (comme des associations pour
adolescents, des groupes de discussions, etc.) ?
Avez-vous
ressenti une rupture avec votre culture d'origine ?
· La recherche des origines
Souhaitez-vous faire ou avez-vous fait des recherches pour
avoir des informations sur vos parents biologiques ?
Avez-vous des informations sur vos parents biologiques ?
Souhaiteriez-vous en avoir plus ?
Si oui,
Est-ce une envie depuis longtemps ?
Pourquoi
souhaitez-vous faire ces démarches ?
Que
pensez-vous que cela va vous apporter ?
Quels
sentiments avez-vous pour vos parents biologiques ?
Que
ressentez-vous lorsque vous pensez à l'abandon ? Savez vous
pourquoi l'ont vous a abandonné ?
Comprenez-vous cela ?
· Adoption et association
Pensez-vous qu'une association a un rôle à
jouer dans l'intégration d'une personne adoptée ?
Faites vous partie d'une association d'adoption, de conseil ou
d'aide post-adoption ?
Vos
parents font-ils partie d'une association ?
Vos
parents sont-ils toujours en contact avec l'organisme ou l'institution qui les
ai aidé à adopter ?
Si oui
quelle est leur part d'activité dans cette association ?
· Adoption et avenir
Comment voyez-vous votre avenir aujourd'hui ?
Etes-vous confiant en l'avenir ?
Avez-vous des peurs, des doutes ?
Avez-vous des projets ?
Comment
envisagez-vous votre propre famille plus tard ?
Pensez
vous que vous aurez besoin de vous marier avec quelqu'un de votre pays
d'origine ou pas ?
Souhaitez-vous adopter des enfants ? Pourquoi ?
Connaissez vous la législation de l'adoption au Québec ?
Pensez-vous qu'il y a des améliorations à faire au niveau de la
législation dans le domaine de l'adoption
québécoise ?
Dans
votre vie aujourd'hui, que gardez vous le plus à l'esprit, votre
adoption ou bien votre abandon ?
Avez-vous des remarques à faire ou bien des
questions à me poser ?
Comment avez-vous trouvé cet entretien ?
Merci beaucoup pour votre participation.
C. Organismes et
associations contactés pour ce mémoire
La FPAQ (Fédération des Parents
adoptants du Québec)
Groupes familiaux de Retrouvailles
apprivoisées, à Montréal
CLSC Saint-Louis du Parc (Montréal),
prévention et intervention psychothérapeutique pour les parents,
groupe de discussion post-adoption pour les enfants, à
Montréal
Société Formons une famille
(spécialisée dans les adoptions en Chine, aux Philippines,
au Cambodge, au Vietnam, et à l'Ile Dominicaine), à
Montréal
· Organismes agréés et association
d'adoptions au Québec (avec pays d'adoption principal)
Adoption internationale (Ukraine) 4420, rue
Sainte-Catherine Ouest Westmount (Qc) H3Z
1R2 Téléphone : (514) 933-4453 Télécopieur :
(514) 934-3134 Courriel :
rosiesz@videotron.ca
Agence d'adoption « le nid familial au Québec
» (Russie) 1785, Impasse
Darsigny Saint-Hyacinthe (Qc) J2S 8S6 Courriel :
lenidfamilial@yahoo.ca
Agence d'adoption pour la vie
(Géorgie) 157, rue Saint-Paul Ouest, Bureau M2 Montréal
(Québec) H2Y 1Z5 Téléphone : (514) 730-0755 Courriel
:
viktoriareuter@hotmail.com
Agence québécoise d'adoption
internationale (Roumanie) 22, rue Roland-Tremblay Gatineau
Québec (Qc) J8T 1S3 Téléphone : (819)
246-0295 Télécopieur : (819) 246-0295 Courriel :
aqai@sympatico.ca Web :
www3.sympatico.ca/tommasini.lepore/AQAIFRENCH.html
Alliance des familles du
Québec (Kazakhstan) 1144, rue Des
Géraniums Laval (Qc) H7Y 2G6 Téléphone : (450)
969-5727 Téléphone : 1 866 969-5727 (sans
frais) Télécopieur : (450) 969-5727 Courriel :
adoptquebec@yahoo.ca Web :
www.adoptquebec.com
Appel (Adoption permanente pour enfants
latino-américains) (Colombie) 5089, rue Mills Rock Forest (Qc) J1N
3B6 Téléphone : (819) 565-0222 Télécopieur :
(819) 565-0222 Courriel :
appelinc@sympatico.ca Web
:
www3.sympatico.ca/appelinc/
Au Berceau de la vie, inc. (Russie) 120,
rue Ferland, app. PHB Verdun (Qc) H3E 1L1 Téléphone :
(514) 362-0292 Téléphone : 1 877 362-0292 (sans
frais) Télécopieur : (514) 761-3904 Courriel :
info@adoptioncanada.org Web
:
www.adoptioncanada.org/fr
Chemin du bonheur (Mexique) 195, rue
Beethoven Châteauguay (Québec) J6K
2Y5 Téléphone : (514) 342-0095 Télécopieur :
(450) 691-8166 Courriel :
chemindubonheur@yahoo.ca
Corporation accueillons un enfant
(Haïti) 2900, chemin Quatre-Bourgeois, bureau 203 Sainte-Foy (Qc)
G1V 1Y4 Téléphone : (418)
651-2608 Télécopieur : (418) 651-2608 Courriel :
accueillons@hotmail.com Web
:
www.accueillons.org
Enfance sans frontières (Bélarus,
Lituanie, Russie) 7566, boulEmmard Saint-Martin Ouest Laval (Qc) H7X
3S4 Téléphone : (450) 969-9297 Cellulaire : (514)
952-9441 Télécopieur : (450) 969-9297 Courriel :
esf@videotron.ca
Enfants d'Orient, adoption et parrainage du
Québec (Corée du Sud, Taiwan, Thaïlande) 12 383,
rue Fernand-Gauthier Montréal (Qc) H1E
6C4 Téléphone : (514) 881-1514 Télécopieur :
(514) 881-6014 Courriel :
enfantsdorient@enfantsdorient.org Web
:
www.enfantsdorient.org
Enfants du monde (Chine) 1600, boulEmmard
Henri-Bourassa Ouest, bureau 400 Montréal (Qc) H3M
3E2 Téléphone : (514) 332-6332 1 800
381-3588 (sans frais) Télécopieur : (514) 332-9152 Courriel
:
info@enfantsdumonde.org Web
:
www.enfantsdumonde.org
Société d'adoption internationale un enfant
heureux, inc. (Ukraine) 2219, boulEmmard Shevchenko LaSalle
(Qc) H8N 2Y1 Téléphone : (514) 366-8325 Cellulaire :
(514) 812-4542 (Président) Cellulaire : (514) 994-9484
(Vice-président) Télécopieur : (514)
366-8325 Courriel :
mskitnevski@adoptionquebec.org Web
:
www.adoptionquebec.org
Société d'adoption parents sans
frontières (Chine) Bureau 301 2100, boulEmmard
René-Gaultier Varennes (Qc) J3X 1P1 Téléphone :
(450) 652-1992 Télécopieur : (450) 652-5455 Courriel :
psf@qc.aira.com Web :
www.parentssansfrontieres.com
Société d'adoption québécoise
une grande famille (Russie) 360, rue Victoria, bureau
402 Westmount (Qc) H3Z 2N4 Téléphone : (514)
693-0414 Télécopieur : (514)
693-0914 Télécopieur :
info@adoptionscanada.com
Société formons une famille,
inc. (Cambodge, Chine, Pérou, Viêt Nam,
Philippines) 2120, rue Sherbrooke Est, bureau 1101 Montréal (Qc)
H2K 1C3 Téléphone : (514) 287-7290 (Région de
Montréal) Téléphone : (418) 386-3080 (Région de
Québec) Téléphone : (418) 276-2404 (Région du
Saguenay - Lac-Saint-Jean) Télécopieur : (514) 287-9902
(Région de Montréal) Télécopieur : (418)
386-4255 (Région de Québec) Courriel :
info@formonsunefamille.com Web
:
www.formonsunefamille.com
Soleil des nations (Bolivie, Colombie,
Haïti) 3005, Côte Rosemont, Case
postale 20025 Trois-Rivières (Qc) G8Z
4T9 Téléphone : (819) 693-3223 Télécopieur :
(819) 693-3206 Courriel :
courrier@soleildesnations.org Web
:
www.soleildesnations.org
TDH pour les enfants, inc. (Honduras,
Moldavie, République slovaque, Viêt Nam, Russie, Ukraine) 2520,
rue Lionel-Groulx, 3e étage Montréal (Qc) H3J
1J8 Téléphone : (514) 937-3325 Télécopieur :
(514) 933-7125 Courriel :
dorinda@tdh.ca Web :
www.tdh.ca
D. Typologie des
entretiens à Montréal
|
Age
|
Sexe
|
Adopté à :
|
Pays d'origine
|
Profession des parents
|
Recherche d'origines
|
Rachelle
|
21
|
F
|
2 ans
|
Bangladesh
|
Ingénieur,
Infirmière
|
Non
|
Gabriel
|
14
|
M
|
3 ans
|
Viêt-Nam, Belgique
|
Travailleur social, mère au foyer
|
Oui
|
Mijanou
-
Laurence
|
18
|
F
|
5 mois
|
Corée du Sud
|
Milieu adoption, ouvrier
|
Non
|
Samuel
|
18
|
M
|
2 ans
|
Jamaïque
|
Ingénieur, infirmière
|
Non
|
Mickæl
|
17
|
M
|
5 ans
|
Russie
|
Fonctionnaires
|
Oui
|
Marie
|
15
|
F
|
3 mois
|
Guatemala
|
Chef chantier,
Professeur d'université
|
Oui
|
Carolina
|
13
|
F
|
5 ans
|
Chine
|
Professeurs
|
Non
|
Stéphane
|
18
|
M
|
5 ans
|
Québec
|
Fonctionnaires
|
Oui
|
Elodie
|
16
|
F
|
4 mois
|
Corée du Sud
|
Ouvrier,
Mère au foyer
|
Non
|
Emma
|
15
|
F
|
5 ans
|
Wallis et Fututa
|
Fonctionnaires
|
Oui
|
Marie-Pierre
|
21
|
F
|
14 jours
|
Liban
|
Psycho
Thérapeute,
Mécanicien
|
Oui
|
Ariane
|
21
|
F
|
5 mois
|
Haïti
|
Fonctionnaire, ouvrier
|
Non
|
Christine
|
21
|
F
|
2 ans et demi
|
Philippines
|
Mère psycho
thérapeute
|
Oui
|
Karine
|
14
|
F
|
5 mois
|
Guatemala
|
Parents au foyer
|
Oui
|
E. Entretien type
L'entretien que j'ai choisi de mettre en annexe dans ce
mémoire est l'entretien d'une jeune de 20 ans, adoptée à
l'âge de quatorze jours. Cette adoption pourrait sembler idéale,
car cette jeune femme a été adoptée tôt dans sa vie.
Mais nous allons voir que l'adoption a malgré tout laisser des traces et
pose des difficultés. Marie-Pierre a été adoptée au
Québec, à Montréal. Elle est d'origine libanaise. J'ai
effectué cet entretien le 16 novembre 2005 chez la jeune femme
adoptée. L'entretien a duré environ une heure et demie en tout.
Marie-Pierre, que tous ses amis appellent Nala, est une fille
de vingt ans, qui a arrêté ses études à quinze ans,
après sa fugue, pour travailler auprès des enfants.
C'est par sa mère, qui est psychologue à
Pétales, une association pour les troubles de l'attachement des enfants
adoptés à l'internationales, que j'ai pu avoir un entretien avec
Marie-Pierre.
Elle est originaire du Liban, du côté de sa
mère, car elle ne sait rien de son père biologique, ce qui
l'ennuie beaucoup.
Marie-Pierre a été adoptée à
quatorze jours, mais a des troubles de l'attachement avec ses parents depuis
toujours. Ses frères et soeurs, plus jeunes, adoptés eux aussi,
sont actuellement en foyer d'accueil, car ils avaient eu aussi des
problèmes d'attachement avec leur famille adoptive.
Marie-Pierre a fait une fugue à quinze ans, c'est aussi
à ce moment qu'elle a commencé à faire des recherches sur
ses origines. Elle m'a dit ne pas sentir faire partie de sa famille,
malgré l'amour que lui donne ses parents. Cela a peu être un lien
avec sa famille élargie, qui n'accepte pas l'adoption en
général, et les étrangers aussi. Marie-Pierre n'a donc pas
trop de lien avec cette famille élargie qui l'a rejette.
A ce propos, elle a d'ailleurs déjà vécu
du racisme de la part des gens dans la rue, c'est quelque chose de très
dur à supporter.
Avec son travail d'animatrice pour enfants, Marie-Pierre a
véritablement trouvé sa voie, et un rôle dans la
société. Elle a commencé cela à l'âge de
quinze ans. Elle a même signalé une enfant de 6 ans
maltraitée aux Départements de Protection de la Jeunesse ;
et est devenue la tutrice légale de cette enfant.
J'ai senti qu'elle se sent vraiment investie dans cette
mission, et s'occupe de cette enfant comme si c'était le sien.
Marie-Pierre me semble donc intégrée dans la
société québécoise, mais assez peu dans sa famille
adoptive à cause du problème d'attachement, difficulté
chez les adoptés.
ENTRETIEN
Donc pour commencer, j'aurais voulu que tu me parle de toi
un peu...
Ok, donc, je m'appelle Marie-Pierre, je travaille pour la
commission scolaire pour la pointe de l'Ile là, je travaille pour deux
écoles primaires, pour le service de garde. Ca va de la maternelle aux
enfants de 8/9 ans par là...Je fais ça depuis que j'ai 15 ans
là, et aujourd'hui j'ai 20 ans. J'aime beaucoup ce travail là
avec les enfants, ça m'apporte beaucoup je trouve. C'est vraiment
ça que j'aime faire oui. J'ai arrêté mes études en
fait, il n'y a pas longtemps. Avant je travaillais, j'avais deux jobs
là, et en même temps j'allais à l'école.
Et comment es tu venue à travailler ?
Ben en fait, c'est parce qu'avant je travaillais, enfin mon
premier job a été d'être monitrice de camps de vacances,
puis là, on m'a demandé de remplacer une personne une
journée, et puis à un moment donné la personne que je
remplaçais est partie définitivement. Donc là ils m'ont
demandé si je voulais bien travailler plus souvent chez eux, alors j'ai
dit oui parce que ça me plaisais.
Mais parce qu'en fait c'est les mêmes enfants, moi je
travaille encore comme monitrice l'été et puis je les ai à
la commission scolaire, ce qui fait que c'est toujours les mêmes jeunes
que je vois, et on est très attachés. Je les ai vu grandir, ce
qui fait que j'aime ça comme travail.
Et pourrais-tu me présenter ta famille un
peu...
Et bien en fait, ma mère est comment on dit...psycho
éducatrice...ou quelque chose comme ça (Rires). Et mon
père il a son garage, ce qui fait qu'il est mécanicien. Ma soeur
et mon frère n'habitent plus avec nous, ils sont au secondaire. Ils ont
aussi été adoptés comme moi...Eux c'est des frères
et soeurs biologiques en fait, mais ils sont d'origine
québécoise. Moi je suis d'origine libanaise je pense...
Du côté de ma mère, on voit assez souvent
la famille, ils n'habitent pas trop loin de chez nous. Mais du
côté de mon père, ça doit faire cinq ans qu'on leur
parle plus je pense. C'est un peu lié à mon frère et ma
soeur là...Ils ont du mal à accepter les adoptions et tout
ça...Donc ce qui fait qu'on est fâchés. Mais c'est le
frère de ma mère qui a commencé toute cette
histoire-là. Enfin nous on se dit tant pis, c'est dommage mais ce n'est
pas de notre faute quand même là. Il faut savoir accepter les
différences et certains membres de la famille ont du mal à faire
ce pas là.
Hum, je vois, mais voudrais-tu justement me parler un peu
de ton adoption, comment ça s'est passé ?
Et bien, j'avais quatorze jours quand j'ai été
adoptée en fait. J'étais vraiment petite, et puis, bah en fait je
suis née à l'Hôpital Rosemont à Montréal.
Puis ma mère, elle a accouché de moi, et puis elle est partie en
fait. Puis les médecins m'ont gardé à l'hôpital
pendant deux semaines et puis. Et après ça, je suis venue chez
mes parents ici en fait.
J'ai appris que j'avais été adoptée vers
6/7 ans à peu près, sauf que je ne savais pas trop ce que
ça voulait dire...Mais j'ai vraiment réagis et compris ce que
ça voulait dire vers 8/9 ans quand mon frère et ma soeur sont
arrivées eux aussi. Puis tu sais à l'école tu apprends que
ta mère elle a un gros ventre et tout ça. Et puis moi là,
j'ai eu un frère et une soeur du jour au lendemain ! Donc c'est
sûr que, c'est là que j'ai le plus réalisé oui c'est
ça...Au début, j'étais vraiment contente de les avoir ici,
on jouait ensemble et puis tout...Mais c'est vrai qu'après un an
ça a été assez le bordel là...On est une famille
où il y a eu pas mal de chicanes, de disputes à cause de...je ne
sais pas si l'adoption en est la cause, mais bon, il y a toujours des histoires
chez nous.
Et comment parlez-vous de l'adoption chez
vous ?
Ben chez nous ça va, il n'y a pas de tabou vraiment
là, pas dans la famille ici. Mais j'ai un oncle qui a adoptée une
petite fille là, mais ça a fait beaucoup d'histoires car tout le
monde voulait que ce soit une fille qui ressemble à une petite
québécoise là, une blanche quoi. Pour pas que ça
paraisse qu'elle a été adoptée, et pour ne pas lui dire,
enfin bon...Et puis nous chez moi, on lui disait, mais si tu ne lui dit pas,
nous on lui diras quand elle seras plus vieille. Ce qui fait que ça a
fait assez d'histoires. Et puis tu sais, quand tu adoptes, tu peux voir des
cassettes, pour voir les enfants, et puis ils
disaient : « Oh elle a les yeux trop bridés, oh il a
le teint trop foncé ! » enfin des choses comme ça.
Puis là je me disais...enfin ça a fait bien de la chicane dans la
famille tu vois...Moi vraiment ça m'a dégoûtée tout
ça. On les aurait cru dans un magasin, ou en train de faire un
prêt pour une maison là. Vraiment ça n'avait pas d'allure
tout ça...Donc ce qui fait qu'on est un peu tous en froid à cause
de ça. Tu veux un enfant là, tu sais...Tu vas pas aller choisir
la couleur quoi ! Alors nous on leur disais, « Mais
qu'est-ce que ça peut faire qu'elle soit pas
québécoise ? ». Et eux ils disaient,
« Oui mais ça va paraître qu'elle a été
adoptée, et puis les gens vont lui poser des questions... ».
Mais nous on se disait, mais elle est adoptée, pourquoi le cacher aux
autres gens, ce n'est pas une honte quoi...Surtout moi, ça
m'énervait beaucoup là...
Peux -tu me dire pourquoi on t'a
adoptée ?
Et bien mes parents étaient infertiles, donc ce qui
fait qu'ils ne pouvaient pas avoir d'enfants, donc c'est pour ça qu'ils
ont adopté. En fait ma mère adoptive est tombée enceinte
quand elle était jeune là, puis elle avait avorté en fait.
Ella avait pris la pilule du lendemain...Mais à cette
époque-là, les médicaments contraceptifs étaient
vraiment beaucoup plus forts...Ce qui a fait qu'il y a un certain nombre de ces
femmes là, de cette époque qui sont devenus stériles
à cause de ces pilules du lendemain là...Donc cette histoire a
fait qu'ils ont adopté pour avoir des enfants, ils nous ont
adoptés tous les trois. Mais je te dirais que mon frère et ma
soeur n'habitent plus avec nous, ils sont en foyer d'accueil maintenant, il y a
moins d'histoires. Mais on continue à les voir de temps en temps.
J'aimerais aussi savoir quel regard tu as sur ton
adoption ?
Ben ça dépend parce que en fait, je peux dire
que j'ai l'impression d'être plus proche de mon frère et de ma
soeur que de mes parents. Bien que je n'habite pas avec eux là (ses
frères et soeurs).
En fait mon adoption a, je pense, modifié ma
vie...Parce que j'ai de la misère à faire confiance aux
personnes, je peux pas avoir un chum stable, pas quelque chose comme tu sais de
vraiment stable dans ma vie. Ca je n'y arrive pas du tout...Moi j'ai
l'impression que c'est à cause de mon adoption que je suis comme
ça en fait, je peux pas te le certifier, mais oui peut-être...Je
veux dire, mon frère et ma soeur ont été adopté, et
j'ai seulement qu'un ami qui a été adopté...Et lui il est
comme moi. Mais à part ça, mes autres amis ne sont pas vraiment
comme moi, ceux qui habitent avec leurs parents. C'est pour ça que
ça me donne l'impression que c'est peut-être à cause de
ça.
Et tu disais que tu es plus proche de tes frères et
soeurs que de tes parents...
Oui enfin je veux dire, mes parents, ils étaient
stériles, ils n'ont donc adopté mais, comment je pourrais dire
ça...Mon frère et ma soeur, on s'aiment parce que c'est
nous ! Mais mes parents, ils nous aiment parce qu'ils voulaient des
enfants, mais pas parce que c'est nous. Tu vois ? Et puis c'est
tombé sur nous cette adoption.
Des fois je leur en parle de ça, de ce que je ressens,
mais...Ma mère me dit, mais non Marie-Pierre, c'est pas ça...Mais
tu sais mes parents, c'est rare de nos jours, je veux dire ça fait 35
ans qu'ils sont mariés. Ils ont toujours été ensemble, je
veux dire, ils n'ont jamais eu d'autres chums ni d'autres blondes là. Et
tu vois, c'est sûr qu'ils font « petit couple heureux
ensemble » et du coup, mes frères et soeurs et moi, on s'est
des fois sentis comme un peu exclus. C'est rare qu'on ait eu le sentiment de
former un famille là je te dirais...C'est assez dur à dire
là mais c'est la vérité oui. On n'est pas comme toutes les
autres familles. Je ne sais pas à quoi c'est dû. Si c'est à
cause de moi, de mes frères et soeurs, de mes parents, de l'adoption en
général, je ne sais pas trop...
J'aimerais maintenant que nous parlions de ton
adolescence...
Ben en fait heu, mon frère et ma soeur sont
arrivés, j'avais 9 ans, et puis à l'âge de 15 ans, ma soeur
et moi ça ne fonctionnait vraiment plus, et puis à un moment
donné je suis partie...Donc à ce moment-là je suis partie
chez ma tante pendant un mois. Et pendant ce temps-là ma soeur a
été placée en foyer de groupe temporaire
là...Après ça je suis revenue chez nous, mais vraiment pas
longtemps, deux mois environ. Je suis repartie car ça faisait 6 mois que
j'étais avec mon copain, et comme ça ne marchait plus trop
à la maison, je suis partie habiter chez lui et ses parents. Et puis
après ça on a été habité en appartement.
Parce qu'on travaillait tous les deux. Moi j'allais à l'école et
je travaillais en même temps...Je gérais les deux en même
temps...
Mais c'est vrai que cette période-là ma fait du
bien, ça m'a détendu. Mais bon ma mère elle n'était
pas trop d'accord avec ça, donc pendant un an elle a eu du mal à
l'accepter, car je suis partie chez lui...Et bon ça lui a fait du mal.
Parce que la mère de mon copain était presque comme ma
mère là tu vois. Des fois quand mon copain n'était pas
chez lui, moi j'y étais, et j'allais faire les courses avec la
mère de mon copain, elle était super. On a vraiment eu une
relation comme proches là...Et donc ma mère a été
un peu jalouse, mais c'est vrai que je me sentais plus proche de la mère
de mon copain que de ma mère. Mais bon, les deux maisons étaient
assez proches d'ici, je veux dire, on se voyait quand même là...Je
passais souvent à la maison, mais je préférais habiter
ailleurs, je me sentais mieux.
Tandis que quand je suis partie m'installer en appartement
avec lui, j'étais beaucoup plus loin d'eux. J'allais au CEGEP (centre de
formation spécialisé), j'avais deux jobs en plus de mes cours. Je
te dirais que ces deux années, on ne s'est vus qu'aux fêtes
pratiquement, genre à Noël, etc. Donc c'est vrai qu'entre les
âges de 15 et 17/18 ans, il y a eu une coupure avec mes parents, je ne
vivais pas avec eux.
C'est vrai qu'à cette période de l'adolescence,
je n'ai pas été longtemps avec mon frère et ma soeur
là. Car mon frère a aussi été placé pendant
que j'étais en appartement. C'est vrai que je ne les ai pas vu grandir
vraiment là. On a pas trop eu une vie de famille unie tu vois. Moi je ne
me sentais pas bien, eux ils ont été placés. Eux ils ont
été adoptés plus vieux, à 2 ans et 4 ans. Ils
sont d'origine québécoise aussi. Donc ils sont tous les deux en
foyer de groupes jusqu'à leur 18e anniversaire en fait. Mais
après ça je ne pense pas qu'ils reviennent ici, ils vont devoir
trouver un emploi en fait.
Bon, mais mon adolescence, entre l'âge de 15 et 20, je
te dirais que je n'étais pas du tout stable. Je restais, je repartais de
chez moi. Des fois j'étais 2 semaines ou plusieurs mois sans les voir.
Parce que je voulais souffler, et je ne me sentais pas à ma place dans
cette maison là...Peut-être que si on avait formé une vraie
famille comme tout le monde, je ne serais pas partie comme ça de chez
moi, et mes frères et soeurs non plus...
En fait là je suis revenue chez mes parents, ça
doit faire...un an ce mois-ci je crois oui. Oui je suis ici, mais encore
là, ça ne sera pas pour long je pense...Parce qu'en fait, avec
mon copain, ça n'a pas fonctionné, donc on s'est laissé,
et j'ai été en appartement avec une de mes amies, ce qui a plus
ou moins bien fonctionné aussi (rires). Donc après ça,
j'ai été habitué dans l'appartement en haut de chez mes
parents. Et puis au final je suis revenue chez mes parents.
Mais tu vois ici, on est plus comme des
« colocataires » que comme une vraie famille quoi. Je n'ai
pas un lien assez fort avec ma mère. Enfin c'est ce que je pense moi,
mais pas elle. Et avec mon père c'est pas vraiment mieux en fait.
Y-a-t-il des personnes qui ont été
importantes pour toi durant cette période ?
Heu, ben je te dirais que tout le long de mon secondaire, j'ai
une amie avec qui j'étais vraiment proche, pour te dire, mon linge
était ici, mes meubles étaient ici, mais je dormais tout le temps
chez elle. Et elle dormait chez moi. On était tout le temps ensemble. Et
c'est aussi à ce moment là que j'ai eu pas mal
d'intérêts pour mon frère et ma soeur. Cette amie
là, mes parents l'aimaient bien, mon frère et ma soeur aussi.
Quand on avait une chicane, elle réussissait à nous
réconcilier même. C'est vrai qu'elle a été
importante pour moi à cette époque-ci. Aujourd'hui je la vois
moins, car nos horaires de travail sont inverses là, mais on se voit
quand même de temps en temps.
OK, et pourrait-on parler de tes origines
maintenant ?
Ben ce qui est arrivé, c'est qu'en j'ai eu 14 ans, j'ai
voulu savoir, bah c'est sûr que, je n'avais des amis que
québécois...Je connaissais une chinoise, mais c'était la
seule de l'école. Donc vraiment dans mon école, il y avait que
des québécois. Mais quand on a déménagé ici,
dans ce quartier, on dEmmait même chercher les québécois
(rires), car c'est un quartier multiethnique en fait. Donc c'était
vraiment l'inverse, et c'est sûr que...Enfin dans l'autre quartier, on me
demandait « oh mais tu viens d'où ? Tu es de quelle
ethnie ? », donc c'est vrai que j'avais envie de pouvoir leur
répondre, mais je ne savais pas grand-chose...
Et aussi j'avais des amis qui étaient arabes là,
et ils disaient que j'étais leur soeur et tout ça...Donc
là je me suis posée des questions...Et j'ai demandé mon
dossier, car on a droit à voir son dossier à 14 ans. Mais il y
avait pas beaucoup de descriptions, tout ce qu'il y avait c'est, la couleur de
peau de ma mère, qu'elle était basanée, qu'elle
était voilée, la couleur de ses yeux...Mais bon, ça m'a
pas donné beaucoup d'informations quoi...Donc après ça,
j'ai été voir un spécialiste des traits du visage
là, un physionomiste je crois que ça s'appelle. Et eux ils
peuvent te dire, en regardant tes traits de visage, tes cheveux, tes sourcils,
te dire d'où tu viens vraiment, mais c'est assez précis. Donc il
m'a dit que c'était pratiquement sûr que j'étais libanaise
en fait...Il m'a aussi aidé à voir les différences entre
les marocains, les algériens, les libanais, les tunisiens, etc.
Donc c'est vers 15 ans que j'ai su ça en fait.
C'est sûr que ça ne me donne pas une
certification mais bon déjà c'est un indice pour savoir
d'où je viens.
Et aussi un jour, je suis aller postuler pour un emploi dans
un restaurant libanais à Montréal, et tout de suite, la
propriétaire m'a parlé en arabe. Alors moi je lui dis, mais je ne
suis pas arabe ! Elle me dit, t'es pas arabe ? Et donc elle m'a
embauchée quand même. Et puis il y avait un client qui venait
souvent manger dans ce restaurant là, et il m'apprenait des mots en
arabe, et il était surpris parce que j'apprenais vite, je n'avais pas de
problème pour la prononciation. Mais on m'a dit que même dans le
ventre de ta mère, c'est des sons que tu entend, que tu retiens, et donc
c'est pour ça que ça n'était pas trop difficile pour moi.
Et c'est vrai que souvent dans la rue, les gens m'abordent et
me parlent en arabe, car ils pensent que je suis comme eux. Donc parfois c'est
marrant.
Connais tu des choses sur ton pays ?
Heu ouais, quand même un peu là. Je te dirais
que, en fait, j'ai eu un copain qui était bosniaque, il était
musulman en fait. Puis bon c'est sûr qu'on était vraiment proches,
j'étais amie de sa soeur aussi, enfin je veux dire, j'ai vraiment
vécu dans cette culture là pendant un bon moment. J'ai fait le
ramadan avec eux, j'ai mangé comme eux, j'étais vraiment
immergée dans cette culture-là. Mais bon, je te dirais qu'il y a
des choses dans lesquelles, j'approuve et puis d'autres choses un peu moins
là. Mais tout ne m'a pas plu dans cette culture.
Mais j'ai aussi des amis haïtiens, et puis chaque culture
que j'ai pu connaître dans ma vie a fait que j'ai pris un petit peu de
chaque. Mais c'est sûr que j'ai été élevée
dans la culture québécoise.
Et aurais -tu envie d'aller dans ton pays d'origine un jour
ou pas ?
Ben oui là, peut-être pour en apprendre plus, je
ne sais pas trop mais...Oui c'est sûr qu'un jour je partirais là
bas pour voir comment c'est et tout ça.
Et aussi je voulais savoir, comment parles tu de ton
adoption autour de toi ?
Heu oui, j'en parle quand même, ça ne me
dérange pas. Mais ça fait drôle parce que des fois, si je
commence à connaître quelqu'un ou quoi...Parce qu'en plus de mon
job à l'école, j'ai toujours travaillé le soir, donc ce
qui fait que je connais pas mal de monde en fait. Donc là, quand les
gens me parlent en arabe, je dis que j'ai été adoptée, et
là ils me disent oh excuse moi. Ils deviennent mal à l'aise, et
moi je dis, ben c'est pas grave là... (Rires), Je leur dis, tu sais je
viens pas de te dire que quelqu'un est mort là. Je vois pas ça de
façon négative moi...Donc, moi je leur en parle, il n'y a pas de
problèmes.
Un jour j'ai rencontré un autre gars, qui lui aussi a
été adopté. Mais lui, il ne vivait pas ça comme moi
en fait. Lui il est haïtien et ses parents sont québécois,
donc lui je veux dire, c'est clair qu'il a été adopté,
ça se voit quoi. Avec lui c'est vrai qu'on en parle souvent de
l'adoption, ça nous fait du bien. Mais lui c'est tellement flagrant
qu'il a été adopté, qu'il le vit peut être moins
bien que moi je pense. Moi j'étais un peu moins gênée d'en
parler je pense, car j'en souffrais moins que lui. C'est ça qu'on a
constaté là en fait.
Comment vis tu l'adoption ? Qu'est-ce que cela
représente pour toi ?
Bah moi ce que je peux dire, c'est que comme j'ai
habité dans un quartier multiethnique, j'ai connu comme beaucoup de
cultures différentes, et j'aime ça...Parce que moi, je ne peux
pas dire, je suis québécoise à 100% en fait. Car le fait
d'avoir connu d'autres cultures fait que je suis un peu tout à la fois.
Je parle arabe, je parle créole. Tu sais j'aime ça, parce que mes
amis sont touts étrangers, et ça me plait oui. Tu sais je ne
mange jamais la même chose, je mange selon les cultures.
Et je pense que ça me donne plus d'ouvertures
d'esprits, par rapport aux autres. Comme je vois mes cousins eux, ils ne
sortent qu'avec des québécois. Mais je trouve que c'est un petit
peu « fermé » là comme situation.
Je pense que mon adoption m'a donné une certaine
ouverture d'esprit en fait, et plus de tolérance envers les
différences aussi. Parce que des fois, dans la rue, on entend des choses
comme, « c'est pas une québécoise
celle-là », donc ces préjugés là me font
du mal, c'est jamais très agréable.
Aussi, avec mon adoption, je sens que j'ai du mal à
m'attacher à quelqu'un en fait.
Ma psy m'avait expliqué que c'est la séparation
avec ma mère qui a fait que je suis comme ça. L'abandon a
vraiment eu des impacts sur moi. J'ai été abandonnée deux
fois. Une fois par ma mère, c'est qui est un gros choc, et une autre
fois abandonnée par l'hôpital ou j'étais. Les dames qui se
sont occupées de moi quand j'y étais, je m'y été
attachée, et ça a donc fait une autre coupure en fait.
Donc du coup dans mes relations, j'ai toujours peur
inconsciemment d'être abandonné encore une fois.
Donc j'ai des relations avec des personnes, mais quand je sens
que j'ai un peu trop d'amour pour cette personne là, et bien je fais
tout pour qu'on se quitte. C'est juste pour être sûre de ne pas
l'aimer là, et puis de ne pas souffrir non plus je pense...
Et du coup pour moi les enfants c'est comme très
important. Je suis vraiment très proche de ces enfants là, comme
je l'ai été de mon frère et de ma soeur.
Ok, oui, et aussi peux-tu me parler de tes parents
biologiques un peu ?
Oui et bien je n'ai jamais vu ni l'un ni l'autre. Mais c'est
drôle, parce qu'avant que mon frère et ma soeur arrivent, à
8 ans, je dEmmais faire un dessin comme ça approximatif de ce à
quoi ma mère pouvait ressembler...Et j'avais fais comme dessin une dame
voilée, alors que j'en avais jamais vue (sauf quand je suis née),
et j'avais découpée une photo de moi que j'avais collée
à côté.
Une fois aussi, j'ai été à
l'hôpital où ma mère avait accouchée, et j'ai vu le
médecin qui s'est occupé d'elle. Et puis il m'a dit «
oh c'est frappant comme tu lui ressemble là, si on te met 6 ou 7 ans de
plus, c'est elle là ! ».
Donc c'est vrai que ça m'a fait plaisir quoi, ça
m'a fait quelque chose. Je me disais elle n'est pas avec moi, mais je lui
ressemble quand même donc un peu d'elle-même est avec moi.
Mais peut-être qu'avant d'avoir des enfants, je
chercherais à rencontrer ma mère biologique. Je pense que
ça m'aiderait aussi à régler certains problèmes que
j'ai avec mes relations avec les autres. Je ne suis pas encore prête
aujourd'hui en fait.
Et as-tu pu avoir d'autres informations en plus sur ton
dossier là ?
Ben oui, j'ai eu d'autres informations, mais ce n'était
pas les bonnes, car elles étaient un peu fausses. C'était les
infos de sa soeur...Donc j'ai ses coordonnées mais je n'ai jamais
été encore, je verrais. Peut-être un jour oui...Mais j'ai
été voir un psy pendant un an et demi et elle m'a dit des choses
sur moi. Par exemple, elle m'a dit que depuis que je sais que je suis
adoptée, je me suis crée une image de ma mère dans ma
tête. Et donc si je la vois un jour, je risque d'être
déçue de la réalité. Donc je préfère
garder ça intact dans ma tête pour ne pas être
déçue.
Pour me rapprocher de ma culture, j'ai pris des cours de
Baladi, c'est une danse arabe. C'est à 14 ans que j'ai commencé,
et j'ai bien aimé ça, j'ai aussi fais du judo.
Mais c'est sûr que cette culture là est vraiment
stricte là, et je sais que ce n'est pas fait pour moi. Ca manque de
liberté je pense.
Que pense tu de l'accueil des québécois
vis-à-vis des personnes étrangères ?
Ben c'est sûr qu'il y a des préjugés
encore aujourd'hui, et du racisme. Même dans ma famille proche là,
il y a des personnes racistes. C'est vraiment une chose que je ne comprend pas
là. Je ne vois pas comment une personne d'une autre couleur serai moins
gentille qu'une autre là. C'est vraiment bizarre. Et j'ai vraiment du
mal à pardonner aux gens qui sont comme ça, je suis assez
rancunière en fait. Je ne peux pas oublier ce qu'ils ont dit...
(Silence). En fait, ce que je peux te dire sur mon adoption et tout ça,
c'est que je me suis un peu élevée toute seule, avec les valeurs
des différentes cultures qui me plaisent, je ne suis pas à 100%
québécoise, je suis aussi un peu libanaise et un peu des autres
cultures aussi. Je suis un petit mélange de plusieurs cultures en
même temps, je jongle avec tout ça en fait, et ça me plait
bien... (Silence) C'est vrai que le rôle des parents est super important
dans une adoption, ça c'est clair ! Mais bon, moi, bien que ma
mère fasse partie de l'association PETALES QUÉBEC, pour
les personnes adoptées en troubles de l'attachement, je ne sens pas que
son métier m'aide plus que ça non. Moi oui j'ai un trouble de
l'attachement, malgré ce que dit ma mère. Mais elle a du mal
à accepter ça je pense aussi. Ce n'est pas facile pour elle, mais
bon pour moi non plus.
Mais je veux dire, moi je le sais que j'ai des troubles
à ce niveau là. Même si j'ai un grand respect pour mes
parents là, il n'empêche que ça met un espèce de
froid avec ça. Parce que je le sens en moi que ce n'est pas mes parents,
ce n'est pas de ma faute, mais je le sens. Ca reste tout le temps en moi, que
je le veuille ou pas là, tu sais.
Ok et pour terminer, peut tu me parler un peu de ton
avenir, comment vois tu les choses, as-tu des projets ?
Ben en fait, je retourne aux études en gestion de
commerce, je vais ouvrir un magasin de lingerie avec une des mes amies
là. Je vais donc arrêter mon travail avec les enfants, même
si ça va être difficile là, mais il va falloir là.
Aussi au niveau de l'adoption, j'ai comme plus
d'intérêts à voir ma mère qu'à voir mon
père. Je ne sais pas si c'est parce que je suis une fille là
mais...
Mais je ne veux pas me mettre en tête que voir ma
mère va m'aider à régler tous mes problèmes, mais
ça changerais peut-être ma manière de penser ou
d'être là.
Aussi, je suis devenue tutrice d'une petite fille là
qui est dans mon école, qui a été maltraitée dans
sa famille. Je suis responsable d'elle, elle est un peu comme ma fille, et
c'est moi qui vais aux réunions, je surveille ses devoirs...Elle a
été abusé par son père en fait, et les voisins un
jour, ils l'ont dit à la DPJ et donc la police est venue la chercher
chez elle, ils ont pris ses affaires et sont partis avec elle. La pauvre elle
pleurait...Enfin moi je m'occupe d'elle, c'est un peu comme ma fille là,
je l'aime beaucoup, et je suis responsable d'elle...C'est important pour moi
ça...
Mais au niveau de ma famille à moi plus tard, je ne
suis pas une grande partisane de l'amour alors (rires), même si j'ai
l'exemple du mariage des mes parents, j'ai de la misère à croire
au mariage et à l'amour. Je suis un peu aigrie à ce niveau
là...Je n'ai pas besoin de mari là, j'adopterai sûrement
des enfants, je serais une femme indépendante. J'ai même
déjà refusé des fiançailles en fait, je pense que
c'est à cause de mon problème d'aimer là. J'ai vraiment du
mal à faire confiance aux gens, aux hommes comme aux femmes. Il va
falloir que je règle ce problème ça pour avancer un peu,
et être mieux, être heureuse...
Je sens que mon adoption m'a apporté des
problèmes que j'essaie de régler mais qui ne le sont pas encore.
Et puis c'est pas un problème facile non plus à régler,
c'est pas comme si j'étais une droguée et que je dEmmais aller en
cure de désintox' là. Moi c'est plus compliqué que
ça, car ce sont des problèmes psychologiques...
Mon problème est que quand je vois que je m'attache
trop, que ce soit à un garçon ou à une amie fille, je vais
m'éloigner pour ne pas souffrir d'aimer en fait, pour ne jamais
être déçue. Je suis toujours sur la défensive, tout
le temps, tout le temps.
Peux tu me dire pourquoi tu as accepté cet entretien
avec moi en fait ?
Ben moi ça ne me gêne pas de parler de mon
adoption quand les gens s'y intéressent en fait...J'ai accepté
ça parce que je sais qu'on ne se reverra plus et que tu ne vas pas
m'analyser toi... (Rires) Je sais qu'on a de la distance après et que je
ne te reverrai pas, donc je n'ai pas de honte à te confier tout
ça. Au contraire, ça me fait même du bien de te dire
certaines choses. Ca me permettra peut-être de faire le point sur des
affaires qui sont en moi là...
Et bien je te remercie de m'avoir accordé cet
entretien...Merci beaucoup.
Mais de rien, ça me fait plaisir...
F. Liste des thèmes du mémoire
Voyons à présent les différents
thèmes de ce mémoire :
Thème 1 : Informations sur la personne
adoptée (âge, situation familiale, profession des parents, niveau
d'étude ou situation actuelle, lieu d'habitat, loisirs)
Thème 2 : Informations sur l'adoption en
elle-même (type d'adoption, âge de l'adolescent à
l'adoption, longueur de la procédure, cause de l'adoption, rapports
familiaux, vision de l'adoption par l'adolescent)
Thème 3 : L'adoption et l'adolescence
(définition de l'adolescence pour l'adolescent, questions posées
à cette période, vécu, relations avec la parents, avec la
famille en général, avec les amis, besoin ou non d'aide
spécifique, bilan de cette période)
Thème 4 : L'adoption et les origines (sentiments
par rapport aux origines, vécu, expériences, anecdotes par
rapport à cela, intérêt pour les origines, conciliation
entre les deux origines, besoin de recherche des origines ou non, quelles
démarches, parents biologiques, l'abandon)
Thème 5 : L'adoption et la société
québécoise (le regard de la société
québécoise sur l'adoption, facteurs et possibilité
d'intégration, anecdotes)
Thème 6 : L'adoption et identité (quelle
identité se construit l'adolescent, stratégies identitaires,
besoin d'identification à d'autres groupes, estime de soi)
Thème 7 : L'adoption et l'intégration
(sentiment d'intégration familiale, d'intégration sociale ;
vison de l'intégration au Québec, possibilité
d'intégration pour les personnes
« étrangères », facteurs
d'intégration, regard des autres)
Thème 9 : Association d'adoption et de
post-adoption (besoin de faire partie de ces mouvements, besoin
d'identification et d'aide, opinions sur ces groupes, envie de
témoigner)
Thème 10 : Adoption et avenir (quelle vision de
l'avenir a l'adolescent, quelle famille souhaite-t-il, adoption pour
lui-même ou pas, projets, doutes, envies, bilan personne de
l'adoption)
G. Thème spécifique classé
Voici à présent un thème
spécifique du mémoire, classé par entretiens. Les
citations relevées sont celles qui sont le plus parlantes des sentiments
ressentis par les adolescents adoptés. Le thème choisi est celui
de La recherche des origines, plus précisément recherche
de la mère biologique, ou bien de la famille biologique en
général. Nous allons voir que chaque adolescent ne
« gère » pas cela de la même façon. La
recherche des origines dépend du contexte familial, du caractère,
de la psychologie, du stade de développement de l'adolescent
adopté.
Ariane
Avec mes papiers, c'est vraiment incomplet, tu ne peux pas
faire grand-chose (page 5)
J'ai un peu laissé tomber mes recherches à cause
de mon dossier (page 7), comme si il y avait des choses un peu plus
essentielles, puis aussi quand tu vois la situation à Haïti, tu te
dis, qu'est-ce que ça m'apporterais ? (Page 8)
D'un côté ça peut être
extraordinaire, mais d'un autre côté ça peut t'emmener dans
un engrenage aussi (...) on va te demander de l'argent et tout là....
(Page 8)
Laurence
Je n'ai jamais eu comme un intéressement profond
à aller chercher comme qui étaient mes vrais parents, si on peut
les appeler comme ça. C'est surtout passé sur le
côté identité en fait. C'est la ressemblance qui me
gênait le plus en fait (page 8)
Il y en a pour qui les parents génétiques ont
vraiment une importance. Moi je n'ai jamais eu envie de les trouver, ils ne
m'ont pas manqué, je savais qui étaient mes parents (page 10)
Christine
Même qu'on avait accès aux photos de notre
mère biologique, les seules photos qu'on avait et aussi de nos autres
frères et soeurs. (Page 2)
Si ma mère biologique nous a mise en adoption, c'est
parce que notre père nous avait quitté, elle n'avait pas les
moyens de nourrir ses 5 enfants, donc elle a gardé le plus vieux des
garçons. (Page 4)
Je le remercie vraiment de m'avoir mise en adoption, parce que
j'étais vraiment très malade. Si elle m'avait gardée, je
ne serais peut-être pas là à parler de mon adoption (page
4)
Je la remercie parce que j'ai eu une bonne famille qui m'a
donné tout ce dont j'avais besoin, de l'amour, les choses
matérielles, l'éducation. J'ai vraiment manqué de rien
(page 5)
En 1998, j'ai retrouvé toute la famille biologique,
j'ai rencontré ma mère, mon père, mes frères, mes
deux soeurs, leurs conjoints, mes neveux, mes nièces, mon parrain,
oncles, tantes, cousins, cousines. J'ai rencontré toute la tribu au
complet ! (Page 8)
Quand je suis sortie de l'aéroport, je n'ai même
pas eu le temps de lever la tête puis une femme a sauté sur
moi ! Puis j'ai vu une tonne de personnes autour de moi, je ne savais pas
qui était qui ! (Page 8)
Au final je suis restée deux mois et demi
là-bas, j'ai vécu dans la maison avec eux (page 8)
J'ai vécu dans le bidonville avec ma famille
biologique. J'ai vraiment connu la vie quotidienne, c'est quelque chose quand
même de vivre dans un bidonville ! (page 9)
J'ai adoré mon voyage, j'ai adoré mon
expérience, j'ai même hâte d'y retourner (page 9)
J'ai su aux Philippines qui était ma vraie mère,
même que je avais appelé ma mère adoptive pour lui dire que
je savais qui était ma vraie mère, que c'était elle, ma
mère adoptive. (Page 9)
Marie
Ma mère était une Maya, et mon père peut
être un Blanc. Enfin je pense qu'il dEmmait être espagnol, car j'ai
des traits assez espagnols là. (Page 3)
Par rapport à mon abandon (...) en fait, elle n'avait
pas trop le choix. Elle savait que si je restais avec elle, je n'avais pas une
bonne vie, tandis que si elle me mettait dans un orphelinat, j'allais avoir une
vie plus merveilleuse qu'au Guatemala. Dans le fond je suis contente qu'elle
ait fait ça, je suis vraiment contente (page 4)
On y va aux vacances de noël tous les quatre. On va aller
au Guatemala et en Colombie, pour voir un peu nos pays à moi et mon
frère. Je m'attends vraiment à pleins de choses extraordinaires,
vraiment différentes d'ici. Tout va être différent, les
paysages, les couleurs, les vêtements (page 4)
J'ai fait quelques recherches sur Internet, mais je ne connais
pas vraiment. On va visiter les alentours, ce qui est important en fait.
Découvrir un peu le pays quoi. (Page 4)
Ma mère m'a dit que c'est quand même un pays
pauvre. Donc c'est sûr que ça me touche parce que j'aurais pu
rester là. J'aurais pu être à leur place tu sais (page
5)
Quand je vais être là-bas, je vais regarder
autour, les femmes qui seront dans la rue. Je me demanderais si ce n'est pas ma
mère. Si jamais il y a quelqu'un qui me ressemble, je risque de me
demander ça oui. (Page 5)
Si je l'avais en face de moi, je lui dirais merci je crois. Et
puis je crois qu'elle serait contente de ce que je suis devenue. Elle serait
rassurée que tout va bien pour moi, que je fais des études (page
5)
Quand je vais aller là-bas, je vais peut-être
essayer de la retrouver parce que j'aimerais ça la rencontrer ?
Mais d'un autre côté j'ai aussi peur qu'elle veuille que je reste
avec elle. Parce qu'il faudrait que je lui explique que ma vie est ici. Mais si
je la rencontre, je pense que je ne resterais pas en contact avec elle (page
5)
Mon père biologique lui c'est différent, parce
qu'il a abandonné ma mère biologique, puis moi aussi. Donc si je
le voyais, je serai un peu fâchée mais je ne peux pas trop lui en
vouloir, même si j'ai le droit. (Page 5)
Karine
J'ai toujours été en contact avec eux (la
famille d'accueil). La première fois que je les ai vu, j'ai passé
un mois avec eux, on a visité le pays aussi, car je voulais voir comment
c'était. (Page 4)
Mais mes parents le vivent bien, parce qu'on forme une grande
famille en fait. Ils ont conscience que ça fait partie de mon
passé. (Page 4)
Si un jour je les rencontre, je leur dirais que je ne suis pas
fâchée, mais je voudrais juste savoir pourquoi ils ont fait
ça, dans quelles circonstances. Qu'ils me racontent l'histoire dans
laquelle je suis née et tout ça. (Page 6)
Je garderais toujours à l'esprit que ma mère m'a
mise en adoption, il lui a fallut du courage pour me mettre en adoption. J'ai
la chance de pouvoir vivre ici. C'est pour ça que je la remercie (page
7)
Emma
Il y a un an, je suis retournée vivre là-bas un
an, parce que ça me manquait trop. J'avais plein de questions dans ma
tête, et j'avais besoin d'avoir des réponses à tout
ça. (Page 2)
Je n'étais pas bien avec ma famille, je souffrais
beaucoup, donc j'ai eu besoin de partir, pour me découvrir, savoir qui
j'étais. (Page 2)
Donc j'ai vécu là-bas, avec la culture du pays,
les coutumes etc, ça m'a fait du bien de retrouver tout ça. J'ai
vécu avec ma famille biologique, avec mes frères et soeurs de
là-bas. Je me suis bien adaptée à cette vie-là
ouais. (Page 2)
En fait, j'ai même hésité à
repartir de là-bas tellement j'étais bien, donc j'ai vraiment
hésité. Parce que c'était bien pour moi. J'étais
vraiment dans mon élément en fait. Tout le monde me ressemblait,
je n'étais plus différente. (Page 2)
En fait je suis revenue parce que quand même ils
m'avaient adoptée, donc voilà, je ne pouvais pas leur faire
ça. (Page 2)
De toute façon on y va tous les cinq ans à
Wallis, avec toute la famille (page 2)
Mon coeur est là-bas, bien que je sois bien ici,
ça change rien. Je suis peut-être disons 80% wallisienne et 20%
québécoise, quelque chose comme ça. (Page 2)
Je voulais savoir, connaître mes parents
biologiques, pourquoi ils avaient laissé me faire adopter. J'avais envie
de savoir qui ils étaient. (Page 3)
En fait moi j'écris, et eux me
téléphonent pour prendre des nouvelles, pour voir si ça se
passe bien et tout ça. (Page 3)
Gabriel
Elle ne vit pas ça bien, elle me
téléphone tout le temps, elle est de mauvaise humeur, donc
à force j'en ai un peu marre. (...) parce qu'elle voulait trop prendre
sa place de mère, et puis j'avais déjà une mère
(Page 3)
A l'aéroport, toute sa famille m'attendait. Ca a
été un choc, parce que tout le monde était content de me
connaître. Tout le monde voulait que je reste là-bas. (page 5)
Moi la Belgique, j'aime pas ça, je trouve ça
très beau, mais je n'y retournerais pas, c'est pas mon pays de toute
façon, ça me fais trop penser à mon passé. (Page
5)
Mon père biologique, je ne veux pas le connaître,
c'est quelqu'un qui a violé ma mère. Je n'ai pas du tout envie
d'aller au Vietnam pour voir comment c'est par exemple. (Page 6)
Marie-Pierre
Peut-être qu'avant d'avoir des enfants, je chercherai
à rencontrer ma mère biologique. Je pense que ça
m'aiderait aussi à régler certains problèmes que j'ai avec
mes relations avec les autres. Je ne suis pas encore prête aujourd'hui en
fait. (Page 12)
Depuis que je sais que je suis adoptée, je me suis
crée une image de ma mère dans ma tête. Donc si je la voie
un jour, je risque d'être déçue de la réalité
(page 12)
Samuel
J'aimerais un jour aller en Jamaïque pour connaître
mon pays. Voir le soleil tout ça. J'irai avec mes amis, on en a
déjà parlé. J'essayerai peut-être de retrouver ma
mère biologique oui, si c'est possible. Pour voir un peu à qui je
ressemble en fait. (Page 2)
Stéphane
C'est vrai que ça m'a fait plaisir de voir quelqu'un
à qui je ressemblait enfin finalement. Aussi, elle me comprend et fait
les mêmes choses que moi (page 7)
Si on est heureux, pourquoi aller chercher dans le
passé ? Parce que si tes parents biologiques ne te cherchent pas,
pourquoi tu irais vers eux ? C'est ça la bonne question à se
poser (page 8)
Rachelle
Je pense qu'il y a un lien entre le fait de rechercher ses
parents bios et la façon dont on a été
élevé, dont on a grandi. Tu vois, nous, toute la gagne, les
quinze enfants, on ne recherche pas à retrouver nos parents biologiques
(...), on s'en fout (page 4)
Stéphane
Je n'ai pas de souvenirs précis de ma mère
biologique, très peu. Ce n'est rien qu'une petite image d'une femme aux
longs cheveux noirs. Je ne me rappelle plus (page 8)
Si je la rencontrais, je luis dirais « pourquoi tu
m'as laissé là, est-ce que c'était une bonne
affaire ? », j'aimerais connaître toute l'histoire
familiale, mes racines. C'est ça qui me manque un peu oui (page 9)
H. Poème d'Afrique Noire sur la
tolérance
Lorsque je nais, je suis noir.
Lorsque je grandis, je suis
noir.
Lorsque je suis malade, je suis
noir.
Lorsque j'ai froid, je suis
noir.
Lorsque j'ai peur je suis noir.
Lorsque je vais au soleil, je suis
noir.
Et lorsque je meurs, je suis et je
reste noir.
Toi homme blanc,
Tu nais, tu es rose.
Tu grandis, tu es pêche.
Tu es malade, tu es vert.
Tu as froid, tu es bleu.
Tu as peur, tu es blanc.
Tu vas au soleil, tu es rouge.
Et lorsque tu meurs, tu es
mauve.
Et tu oses me traiter d'homme de
couleur !
Poème populaire
d'Afrique du Sud
MOYTIER Delphine
Juillet 2006
Maîtrise IUP Mangement du Social et de la
Santé
Option : intervention et développement
(Formation initiale)
Les adolescents de l'adoption internationale au
Québec, quelle intégration ?
La famille est une des valeurs actuelles qui persiste encore
aujourd'hui. L'adoption, comme mode de filiation, est un modèle familial
de plus en plus répandu, en France, comme au Québec. Le domaine
de la famille adoptive reste et constitue un sujet d'étude passionnant
en sociologie et en psychologie.
Adopter, c'est transplanter un enfant de son milieu originel
dans un nouveau milieu, plus précisément pour notre étude,
au Québec. L'adolescent adopté va connaître le fait
d'être différent de la majorité, coupé de ses
racines culturelles. Il va aussi devoir se créer sa propre
identité, mêlée de culture québécoise et de
sa culture d'origine. L'objet de cette recherche est l'intégration des
adolescents adoptés au Québec. Comment ces jeunes concilient-ils
adoption, adolescence et identité à travers une
adoption internationale ?
Grâce à des auteurs comme Durkheim, Dolto ou
Verdier, nous avons pu constituer une base théorique appuyant notre
recherche. L'adoption internationale croise les termes de famille, de culture,
d'identité, d'intégration, de couleur de peau, de
société et de lien social.
A travers quatorze entretiens d'adolescents
adoptés à Montréal, nous allons voir quelles sont les
stratégies de création d'identité et d'intégration
au sein d'une société québécoise en
éternelle mouvance, mêlée de culture américaine, de
culture française et des cultures migrantes. Nous allons
découvrir quelle(s) place(s) se font ces adolescents dans un contexte
d'adoption internationale aujourd'hui au Québec.
Mots clés : adoption, adolescence, famille,
identité, intégration, origines, société
Nombres de pages : 179
Annexes (en volume de pages) : 35
Centre de formation : IUP Management Social et Santé
Université de Caen
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* 1 CAMDESSUS Brigitte,
L'adoption, une aventure familiale, éditions ESF, collection Le
Monde de la famille, Paris, 1995, 238 pages.
* 2 VERDIER Pierre, Face au
secret des origines, éditions Dunod, Paris, 2000.
* 3 Ibid
* 4 CAMDESSUS Brigitte,
L'adoption, une aventure familiale, éditions ESF
éditeur, 1995, 238 pages.
* 5 Aujourd'hui, c'est
l'Etat, et plus particulièrement les DPJ (Départements de
Protection de la Jeunesse) qui gèrent cela. Ce sont les services sociaux
qui jugent si l'enfant a besoin d'être placé dans une famille
d'accueil.
* 6 CAMDESSUS Brigitte, (sous la
direction de), L'adoption, une aventure familiale, éditions ESF
éditeur, collection Le Monde de la Famille, Paris, 1995, 238 pages.
* 7 CAMDESSUS Brigitte, (sous la
direction de), L'adoption, une aventure familiale, éditions ESF
éditeur, collection Le Monde de la Famille, Paris, 1995, 238 pages.
* 8 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK Jean-Pierre, ROUX Jean-Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 9 ROUSSEL Louis, La
famille incertaine, éditions Odile Jacob, Paris, 1989, 279
pages.
* 10 ROUSSEL Louis, La
famille incertaine, éditions Odile Jacob, Paris, 1989, 279
pages.
* 11 SINGLY (De)
François, Sociologie de la famille contemporaine,
édition Armand Colin, collection Sciences sociales, 2e
édition réactualisée, Paris, 2004, 128 pages.
* 12 SINGLY (De)
François, Sociologie de la famille contemporaine,
édition Armand Colin, collection Sciences sociales, 2e
édition réactualisée, Paris, 2004, 128 pages.
* 13 Ibid
* 14 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK J.Pierre, ROUX J.Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 15 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK J.Pierre, ROUX J.Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 16 DELAROCHE Patrick,
L'adolescence, éditions Armand Colin, Paris, 2000, 128 pages
* 17 DELAROCHE Patrick,
L'adolescence, éditions Armand Colin, Paris, 2000, 128 pages
* 18 Ibid
* 19 DELAROCHE Patrick,
L'adolescence, éditions Armand Colin, Paris, 2000.
* 20 DOLTO Françoise,
DOLTO-TOLITCH Catherine, Paroles pour adolescents, le complexe du homard,
Hatier, Paris, 1989, 186 pages.
* 21 DELAISI Geneviève
et VERDIER Pierre, Enfant de personne, éditions Odile Jacob,
Paris, 1994.
* 22 LE BRETON David,
L'adolescence à risque, éditions Autrement, collection
Mutations, Paris, 2002, 184 pages.
* 23 LE BRETON David,
L'adolescence à risque, éditions Autrement, collection
Mutations, Paris, 2002, 184 pages.
* 24 SZEJER Myriam, Le
bébé face à l'abandon, le bébé face à
l'adoption, éditions Alban Michel, Paris, 2000, 298 pages.
* 25 SZEJER Myriam, Le
bébé face à l'abandon, le bébé face à
l'adoption, éditions Alban Michel, Paris, 2000, 298 pages.
* 26 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK J.Pierre, ROUX J.Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 27 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK J.Pierre, ROUX J.Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 28 DURKHEIM Emile, Le
suicide, éditions PUF, collection Quadrige, Paris, 1897, 463
pages.
* 29 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK J.Pierre, ROUX J.Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 30 Ibid
* 31 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK J.Pierre, ROUX J.Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 32 MORRIER Ginette, Les
stratégies identitaires des adolescents de l'adoption internationale
appartenant à deux groupes racisés, Mémoire de
maîtrise en sociologie, Université du Québec à
Montréal, mars 1995.
* 33 MAURY Françoise,
L'adoption interraciale, éditions L'Harmattan INC,
Montréal, 1999, 330 pages.
* 34 Ibid
* 35 MAURY Françoise,
L'adoption interraciale, éditions L'Harmattan INC,
Montréal, 1999, 330 pages.
* 36 MAURY Françoise,
L'adoption interraciale, éditions L'Harmattan INC,
Montréal, 1999, 330 pages.
* 37 Ibid
* 38 MORRIER Ginette, Les
stratégies identitaires des adolescents de l'adoption internationale
appartenant à deux groupes racisés, Mémoire de
maîtrise en sociologie, Université du Québec à
Montréal, mars 1995.
* 39 Ibid
* 40 MAURY Françoise,
L'adoption interraciale, éditions L'Harmattan INC,
Montréal, 1999, 330 pages.
* 41 Ibid
* 42 MAURY Françoise,
L'adoption interraciale, éditions L'Harmattan INC,
Montréal, 1999, 330 pages.
* 43 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK J.Pierre, ROUX J.Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 44 Ibid
* 45 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK J.Pierre, ROUX J.Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 46 MAURY Françoise,
L'adoption interraciale, éditions L'Harmattan, collection
Psychologies, Paris, 1999, 330 pages.
* 47 MAURY Françoise,
L'adoption interraciale, éditions L'Harmattan, collection
Psychologies, Paris, 1999, 330 pages.
* 48 BLANCHET A., GOTMAN
A., L'enquête et ses méthodes : l'entretien,
édition Nathan, 2001.
* 49 Les
références aux entretiens seront faites de la manière
suivante : le nom fictif de l'adolescent sera cité au début
ou en fin de citation, ainsi que le numéro de page de l'entretien
concerné.
* 50 ETIENNE Jean, BLOESS
Françoise, NORECK Jean-Pierre, ROUX Jean-Pierre, La sociologie,
éditions Hatier, Paris, 2004, 447 pages.
* 51 Source 2001 du
Secrétariat d'Adoption Internationale du Québec (le SAI)
* 52 Dans une adoption
ouverte, l'enfant adopté garde contact avec sa famille ou sa mère
biologique, contrairement à l'adoption fermée (en France comme au
Québec).
* 53 DOLTO Françoise,
DOLTO-TOLITCH Catherine, Paroles pour adolescents, le complexe du homard,
Hatier, Paris, 1989, 186 pages.
* 54 Devant les tarifs
exorbitants de certaines adoptions internationales, La Banque Nationale du
Canada propose même des « solutions de
financement » pour aider les parents lors d'un projet d'adoption. On
peut lire sur le site Internet de la banque « À la Banque
Nationale, nous sommes conscients que beaucoup de parents sont contraints,
faute d'argent, de retarder ce qui constitue la réalisation de leur plus
grand rêve, l'adoption d'un enfant. C'est pourquoi nous avons
conçu un programme spécifique pour vous soutenir
financièrement dans votre démarche d'adoption. »
* 55 Pourtant, plus la
période passée sans référence maternelle stable est
longue, plus il y a une risque de problème d'attachement.
* 56 Voir le site
www.quebecadoption.net
* 57 MORRIER Ginette,
Les stratégies identitaires des adolescents de l'adoption
internationale appartenant à deux groupes racisés,
Mémoire de maîtrise en sociologie, Université du
Québec à Montréal, mars 1995.
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