L'objet central de l'exposition Rodin in Lewes
est Le Baiser (The Kiss), une des sculptures les plus
célèbres d'Auguste Rodin, dont une version en marbre fut
commandée par Edward Perry Warren, habitant de Lewes (East-Sussex), au
début du siècle.
Cette statue est prêtée par la Tate Gallery de
Londres pour une durée de cinq mois, et constitue le point central d'une
exposition de sculptures de Rodin à deux personnages. Les oeuvres
exposées autour du Baiser ont été
prêtées par le Musée Rodin et le Victoria & Albert
Museum, et ont été sélectionnées pour illustrer
à quel point Rodin maîtrisait la sculpture du corps humain, en
particulier dans la représentation de couples, et ce en utilisant
différents matériaux - marbre, bronze, terracotta,
plâtre.
L'exposition se situe dans la mairie de Lewes qui a
été récemment remise à neuf, dans la salle
même ou Le Baiser fut présentée pour la premiere
fois aux habitants de Lewes, en 1914.
Ce projet fut inspiré par la redécouverte de
l'histoire hors du commun de cette version du Baiser, qui se retrouva
dans la ville tranquille et traditionnellement conservatrice de Lewes pendant
presque trente ans, de 1904 à 1933.
John May, écrivain et journaliste résidant
à Lewes et admirateur passionné de Rodin passa plusieurs
années à faire des recherches sur l'histoire du Baiser, et
à essayer d'organiser un projet culturel autour de la statue. Ces
efforts aboutirent à la mise en oeuvre du projet Rodin 2000,
dont l'exposition Rodin in Lewes est l'événement
central.
Le commissaire de l'exposition est Ann Eliott, reconnue en
Grande-Bretagne comme faisant autorité en matière de sculpture du
XXème siècle.
L'exposition a lieu du 5 Juin au 30 octobre, du lundi au
vendredi de 9h30 à 17h30, 15h00 pour les écoles et les groupes
scolaires. Les samedis et dimanches, l'exposition est ouverte de 11h00 à
18h00.
Les tarifs sont les suivants:
3 livres tarif normal (30 francs), 2,5 livres tarif
réduit (25 francs), 2 livres enfants de 5 à 16 ans (20 francs),
gratuit pour les enfants en dessous de 5 ans.
Le Baiser représente les amants Paolo et
Francesca de L'Enfer de Dante, la principale source d'inspiration de
Rodin pour la réalisation de son oeuvre monumentale inachevée,
Les Portes de L'Enfer. Le couple apparaît dans les toutes
premières esquisses de cette oeuvre, dans un bas-relief au centre du
battant gauche de la porte. En 1886 Rodin réalisa une statue des amants,
et en 1887 l'Etat français lui commanda une version du groupe en marbre
et de taille supérieure à la taille humaine. Rodin se plaignit de
la difficulté à agrandir une oeuvre conçue sur une plus
petite échelle. Ce n'est qu'en 1898 qu'il exposa au Salon de la
Société Nationale la statue dans sa forme finale, aux
côtés d'une de ses oeuvres les plus controversées, la
statue géante de Balzac.
C'est à ce Salon que le peintre William Rothenstein vit
la statue et pensa que sa «sexualité païenne» plairait
à son ami E.P Warren.
Riche américain originaire de Boston, E.P Warren
s'était récemment installé avec son partenaire John
Marshall à Lewes, dans une superbe bâtisse de style
Géorgien. Ils étaient tous deux de fervents collectionneurs
d'art, en particulier d'art antique, et enrichirent de pièces majeures
les collections d'art antique du Boston Fine Arts Museum, du New York
Metropolitan Museum et du Leipzig Museum. Parmi les oeuvres antiques qu'ils
avaient acquises se trouvaient un buste de Chios, considérée
comme une des sculptures grecques antiques les plus harmonieuses que l'on
possède, un buste d'Aphrodite, une buste en bronze de
l'impératrice romaine Livia, et un torse d'Hermès.
Le tandem Warren/Marshall était à l'origine
d'une «confrérie» d'esthètes amoureux des arts, dont le
cercle d'amis était rapidement élargi et comprenait les peintres
William Rothenstein, John Fothergill et Roger Fry. Fothergill et Rothenstein
avaient convaincu Warren de financer la Carfax Gallery de Londres, ou
étaient exposées des oeuvres d'artistes contemporains - Walter
Sickert, Augustus John, William Orpen, Auguste Rodin.
Rothenstein parla donc du Baiser à Warren qui
rendit visite à Rodin à l'automne 1900, et lui commanda une
nouvelle version de la statue pour un prix de £ 1000.
Les détails du contrat ont été
retrouvés. La statue devrait être exécutée dans le
marbre le plus fin possible, et le sexe de l'homme devrait être
distinctement représenté (dans d'autres versions il était
soit omis soit indistinct), et le tout devrait être livre dans les 18
mois. Pendant que Rodin travaillait sur Le Baiser dans son studio de
Montparnasse, Marshall lui rendit plusieurs fois visite, lui commanda d'autres
sculptures - dont un buste du politicien et aventurier Henri Rochefort, et une
copie du premier chef-d'oeuvre de Rodin, L'Homme au Nez Cassé -
; et le persuada de venir à Lewes en 1903 en signe d'amitié. A
cette époque Rodin était le plus célèbre artiste
alors en vie.
La version du Baiser commandée par Marshall
arriva à Lewes en 1904. Deux autres version similaires en marbre furent
exécutées, toujours selon l'original commandé par
l'état français. La première, réalisée
à la même époque que la commande de Marshall, se trouve au
Carlsberg Glypotek de Copenhague, et fut commandée en 1902 par Carol
Jacobsen, le fondateur de ce musée. La seconde version se trouve au
Rodin Museum de Chicago et fut sculptée par H.Greber en 1929,
après la mort de Rodin. En effet Rodin avait de nombreux assistants
autour de lui, qui la plupart du temps sculptaient les oeuvres d'après
le modèle original créé par Rodin, ce qui faisait du
studio Rodin un lieu de production intensive. Durant les 20 dernières
années de la vie du sculpteur, 329 exemplaires du Baiser en
bronze, en quatre taille différentes, furent mis sur le
marché.
Bien que les différentes versions en marbre du
Baiser aient été sculptées par des assistants, selon
la pratique de l'époque, on soutient que Rodin lui-même acheva la
version vendue à E.P Warren.
En 1914 Warren prêta la statue à la mairie de
Lewes pour qu'elle soit exposée publiquement. Peu après son
installation, les fervents puritains locaux lancèrent une campagne pour
que l'on recouvre la statue d'un voile qui la déroberait aux yeux du
public. Leur argument était que, en ces temps de guerre, la vue d'une
statue à l'érotisme si exacerbé était
déconseillée aux jeunes soldats en garnison dans la mairie.
En 1917 on retourna la statue chez Warren, et la elle fut
entreposée dans une écurie où elle resta jusqu'à la
mort de Warren en 1929. La statue fut alors mise aux enchères, mais ne
réussit pas à atteindre son prix de réserve, la cote de
Rodin ayant quelque peu chutée. Elle fut donc replacée dans
l'écurie.
Quelques années plus tard, la statue fut offerte par H.
Asa Thomas, l'exécuteur testamentaire de Warren, à n'importe quel
musée qui paierait le coût du transport et l'assurance. L'offre
fut acceptée par la Cheltenham Art Gallery en 1933, et la statue y resta
pendant six ans, avant être prêtée à la Tate Gallery
de Londres peu avant la seconde guerre mondiale.
En 1952 John Rothenstein, directeur de la Tate Gallery et
fils de William, qui était à l'origine du marché entre
Rodin et Warren, lança un appel public pour l'acquisition de la statue
pour la nation. Même à cette époque, la statue était
encore considérée par certains comme choquante, subversive.
A présent Le Baiser est retourné
à Lewes, son premier lieu de résidence, et ce pour une
durée de cinq mois, entourée de 13 autres oeuvres de Rodin sur le
thème des personnages entrelacés. Lewes ne rejette plus la statue
et au contraire se flatte de l'accueillir. La salle d'honneur de la mairie
(Town Hall), de style Victorien, a été spécialement
rénovée pour servir de lieu d'exposition.