Le sud-ouest français dans l'espace européen : vers une collaboration interrrégionale en matière de relations culturelles extérieures ?( Télécharger le fichier original )par Thomas Perrin Université Paris III - Sorbonne Nouvelle - DESS de Relations interculturelles 2001 |
IV Rôle et importance des relations culturellesau sud-ouest de l'Europe.
Les liens culturels et humains entre les deux rives de la Méditerranée, accompagnement des relations commerciales, étaient déjà importants dans l'Antiquité. La colonisation romaine de la province de la Narbonnaise19(*) représente une première unification culturelle, certes quelque peu forcée, entre le sud-ouest français et le monde méditerranéen, ce dont attestent de nombreux sites archéologiques - la Graufesenque à Millau (Aveyron, Midi-Pyrénées) dont les poteries étaient exportées dans l'ensemble de l'Empire romain, l'oppidum d'Ensérune (Hérault, Languedoc-Roussillon), la villa de Montmaurin (Haute-Garonne, Midi-Pyrénées), etc. Suite à cela, les relations culturelles entre les civilisations du sud-ouest de l'Europe se sont développées à l'époque médiévale. Durant le haut Moyen-Age une grande partie de l'Europe méridionale était unie par des langues cousines, les "langues d'oc", et par une culture savante commune exprimée dans une langue commune - "haut langage ancien roulant de l'Italie à l'Espagne, du pays Maure au Poitou" (Aragon in Lafont, 1962, Préface) - que l'on peut nommer "occitan", sorte d'équivalent à l'Arabe classique véhiculé notamment par la poésie des troubadours d'un bout à l'autre de la région20(*). Cette culture occitane communiquée par l'itinérance des troubadours rayonnait, selon le chargé des langue et culture régionales en Midi-Pyrénées, "de Limoges à Alicante, de Bordeaux à Turin" et comprenait différentes aires dialectales sous le contrôle de cinq maisons médiévales : la maison anglo-gasconne d'Aquitaine, la maison des comtes de Toulouse - de la vallée de la Garonne aux Baux de Provence -, la maison d'Aragon - de Saragosse à Barcelone -, le Saint Empire romain germanique en Provence et dans les vallées du piémont italien. Les relations culturelles entre les populations de cette zone - incluant le sud-ouest français et les régions espagnoles pyrénéennes et méditerranéennes en partie - relevaient donc d'une influence occitane commune. De plus, l'Europe occitane était en contact étroit avec la civilisation arabo-andalouse, une des plus avancées du Moyen-Age, et entretenait des relations culturelles intenses avec les populations ibériques, arabes et berbères, faisant de la région occitane un "pays charnière entre l'Europe du nord et le Maghreb", pour reprendre les mots du chargé des langue et culture régionales en Midi-Pyrénées. Plusieurs exemples illustrent ces relations :
On voit bien qu'il existe donc des liens culturels historiques forts entre les régions du sud-ouest de l'Europe, qu'il s'agisse des relations entre les pays de l'Occitanie ou des relations entre ces pays et les territoires arabo-andalous de la péninsule ibérique, liens qui se sont surtout développés du VIIIème au XIIIème siècle pendant "cinq siècles de confrontations et d'échanges" (id.). Ainsi il existait alors de véritables "entités culturelles transpyrénéennes" (id.) dont témoigne aujourd'hui l'épanouissement de part et d'autre des Pyrénées des cultures basques et catalanes - on retrouve le même cas de figure dans les vallées du Piémont alpin. Au début du XIIIème siècle la croisade des Albigeois, menée par les forces royales françaises soutenues par Rome, arrête toute possibilité d'articulation pyrénéenne lors de la bataille de Muret en 1213. Ainsi "s'abîme l'espoir de réunir dans une confédération en gestation les terres culturellement jumelles d'Aquitaine, d'Auvergne, de Toulouse et Provence et d'au-delà des Alpes avec celles de la Catalogne" (in Eurocongrès occitan-catalan, brochure promotionnelle, 2000). Parallèlement s'opère à la même époque une "bifurcation entre savoir rationnel au nord et savoir scolastique au sud", amenant la création de "cloisons imaginaires entre l'Europe chrétienne et le Maghreb musulman" (entretien M. Fouad Ammor). De plus, les Pyrénées sont progressivement devenues une "frontière étanche" à cause de la fuite des populations et de l'exode rural provoqués en grande partie par le Franquisme, ce qui fait qu'aujourd'hui la plupart des vallées pyrénéennes sont très peu habitées et par des populations vieillies. La période de la colonisation du Maroc par la France et l'Espagne a, d'une certaine manière, développé des liens culturels malgré les tensions et blocages dus au rapport colonisateur/colonisé. "La jeune poésie arabe, par exemple, qui est l'une, aujourd'hui, des plus significatives qui soient, ne naîtra pas d'un refus opposé aux concepts et aux modèles imposés par l'occupant mais bien plutôt d'une volonté de destruction du modèle archaïque interne qui fut, pourtant, sous l'occupation étrangère, le lieu de conservation et de préservation des identités" (Stétié, 1997, 30). Il s'agit ici d'une illustration intéressante des différentes problématiques relatives à la notion de relations interculturelles. L'immigration est le facteur historique le plus récent de développement des liens culturels - et interculturels - entre les populations du sud-ouest de l'Europe. D'une part l'immigration espagnole vers la France, notamment dans le contexte de la guerre civile, qui s'est dirigée en grande partie vers le sud-ouest français et la ville de Toulouse. D'autre part les immigrations portugaise - vers la France - et maghrébine - vers la France et la péninsule ibérique - ont intensifié les contacts culturels entre ces populations. Les relations culturelles au sud-ouest de l'Europe peuvent donc dans une certaine mesure s'appuyer sur une dimension historique non négligeable et qui peut soutenir leur développement. Par exemple, "[Les populations du Maghreb] se sentent plus interpellées par le projet [euro-] méditerranéen pour des raisons précisément "culturelles" dues à l'héritage historique des rapports euro-maghrébins " (Hadhri, 1997, 98). Cependant il ne faut pas oublier que l'histoire, même si elle laisse des traces, est en constante évolution et que le développement des relations culturelles au sud-ouest de l'Europe aujourd'hui se fait dans un contexte bien particulier, notamment celui de la construction européenne et, par extension, celui de "la mondialisation".
Le développement des relations culturelles implique un processus d'échanges soutenus entre les différents partenaires et interlocuteurs : échanges de personnes - artistes, publics, professionnels -, d'idées, d'oeuvres, de savoir-faire, etc. Les échanges permettent de créer le dialogue afin de déboucher ensuite sur une coopération culturelle au sens propre du terme.
L'Union européenne affirme déjà depuis un certain temps sa dimension culturelle. Si "de 1974 à 1992, la Commission a fait, comme Monsieur Jourdain, de la culture sans le savoir" (Autissier, 1999, 16), le principe de la compétence culturelle de l'Union européenne a été effectivement introduit en 1992 dans le Traité de Maastricht (titre IX, article 128) puis dans le Traité d'Amsterdam (article 151). Outre la création de programmes culturels - actuellement Culture 2000 - la Communauté s'est efforcée de prendre en compte la dimension et les objectifs culturels dans la formation du droit communautaire (id., 17-18). On assiste ainsi à la reconnaissance par les institutions communautaires d'une dimension fondamentale de la construction européenne, et ce à plusieurs titres correspondant en grande partie aux enjeux cités en partie A. chapitre III. Dans le cadre de leur appartenance commune à l'Union européenne, la France, l'Espagne et le Portugal ont donc tout intérêt à développer des relations sur le plan culturel en intensifiant leurs échanges. On constate qu'il existe au sud-ouest de l'Europe de nombreuses possibilités pour cela et que des actions ont déjà été menées dans ce sens.
La coopération transfrontalière revêt une importance stratégique pour la construction européenne, afin que "les frontières nationales ne soient pas un obstacle au développement équilibré et à l'intégration du territoire européen" (Commission européenne, Communication aux Etats membres, 28 avril 2000), ou encore "la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales contiguës vise à développer des pôles économiques et sociaux transfrontaliers à partir de stratégies communes de développement territorial durable" (id.). Comme on le voit la frontière est de moins en moins une ligne de démarcation et devient progressivement un lieu sur lequel se développent échanges et coopérations. Les régions du sud-ouest français partagent avec l'Espagne une frontière particulière : la frontière naturelle formée par le massif des Pyrénées. Malgré la difficulté orographique qu'implique la chaîne des Pyrénées, la coopération transpyrénéenne, qui existe depuis toujours (cf. sous-chapitre précédent), peut être considérée comme d'actualité à l'heure européenne et de nombreuses initiatives témoignent de ce (re)dynamisme. Au niveau intergouvernemental il existe depuis le XIXème siècle la Commission internationale des Pyrénées. Au niveau régional on trouve :
- la Communauté de travail des Pyrénées (CTP), exemple de coopération à l'échelle pyrénéenne, constituée en 1983 et considérée comme la "structure d'avenir" de la coopération transpyrénéenne. - l'Eurorégion Catalogne-Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, formée en 1991 mais malheureusement "en sommeil" aujourd'hui pour raisons principalement politiques. - le Protocole tripartite Aquitaine-Euskadi (Pays basque)-Navarre.
Chacun de ces organismes ou accords inclut la culture dans ses domaines d'activité au travers de groupes de travail, commissions, etc. Le cadre juridique de la coopération transpyrénéenne est le Traité de Bayonne entre le Royaume d'Espagne et la République française relatif à la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales. Signé le 10 mars 1995, en vigueur depuis avril 1997, ce traité se présente comme une mise en oeuvre de la Convention internationale de Madrid relative à la coopération transfrontalière européenne, adoptée le 21 mars 1980 par de nombreux pays - dont la France et l'Espagne - à l'initiative du Conseil de l'Europe21(*). Il faut enfin signaler l'impulsion financière majeure donnée par l'Union européenne à la coopération transfrontalière à travers le Programme d'Initiative Communautaire (PIC) INTERREG. Le programme INTERREG qui couvrait la période 1993-1999 "a permis le financement de plusieurs expositions, de recherches sur l'identité des territoires, mais aussi d'autres activités artistiques considérées comme animations sur la région concernée.[...]Les financements peuvent être élevés, de l'ordre de 300 000 à 500 000 FF" (in la Lettre de l'OCIM n°63, 1999, 16-17). INTERREG - pour la période 2000-2006 il s'agit d'INTERREG III - est un programme financé par les fonds structurels européens qui représentent plus de 80 % du budget communautaire. Ces fonds, qui visent à rééquilibrer les différentes régions de l'Europe par une politique de cohésion économique et sociale, représentent la première source de financement communautaire - plus de 40% - pour la culture22(*). Afin de définir quelle sera sa politique communautaire chaque région établit un Document unique de programmation (DOCUP), placé en France sous la responsabilité du Préfet de région. Dans le DOCUP de Midi-Pyrénées pour INTERREG III, on remarque une sous-mesure consacrée à l'appui de la coopération interrégionale (2.5) ainsi que l'axe IV : Politique interrégionale des Massifs23(*). Par ailleurs, et dans un souci de cohérence et d'efficacité, on retrouve les mêmes thèmes dans le Contrat de plan Etat-Région 2000-2006, avec la Convention interrégionale des Massifs24(*). Ainsi les échanges culturels pyrénéens peuvent en principe bénéficier d'une volonté politique de coopération qui se traduit par une dynamique déjà engagée et dotée de moyens financiers certains. Selon la chargée des affaires européennes en Midi-Pyrénées, les projets culturels ont été parmi ceux qui "ont le mieux marché" pour le programme INTERREG II. De cette façon les régions du sud-ouest français sont à même de s'ouvrir à la péninsule ibérique, ouverture dont le premier passage serait la "sous-région pyrénéenne".
Au-delà de l'aspect transfrontalier, l'émergence de zones privilégiées de communication culturelle aux frontières du sud-ouest européen - à savoir la frontière pyrénéenne mais aussi la frontière hispano-portugaise, cadre d'une coopération active, doit favoriser les relations culturelles à un niveau plus large, entre le sud-ouest français et l'ensemble de la péninsule ibérique. A cet effet le programme INTERREG comporte un volet consacré à la coopération transnationale - le volet B, le volet A étant consacré à la coopération transfrontalière - qui "vise à promouvoir un plus haut degré d'intégration territoriale au sein de vastes groupements de régions européennes" (Commission européenne, Communication aux Etats membres du 28 avril 2000). Les échanges et projets culturels entre le sud-ouest français, l'Espagne et le Portugal représentent probablement un des meilleurs moyens de donner une cohérence et une homogénéité, de façon à la fois concrète et symbolique, à "l'entité cartographique" constituée actuellement par le sud-ouest européen. Parmi les éléments communs qui font du sud-ouest européen (SUDOE) un "espace doté d'une identité propre au sein de l'Union européenne", on trouve "l'existence d'une richesse patrimoniale élevée, qui constitue un potentiel important pour le développement [...]. Par ailleurs, s'il est difficile en raison de la taille de l'espace du SUDOE de parler de culture commune, il existe des thématiques partagées. Il convient pour resserrer les liens entre ces espaces de promouvoir, sur cette base, l'image culturelle du SUDOE, y compris la culture contemporaine" (Commission européenne, Programme opérationnel INTERREG III-B SUDOE, 2000, 11, 48). Il apparaît primordial pour le devenir de la construction européenne que les grandes régions transnationales passent d'un état théorique et virtuel à un état "vivant" et réel. Le développement des relations culturelles entre les espaces composant ces régions - et dans un deuxième temps entre ces régions - se présente comme un des moyens les plus fructueux de réaliser cette union européenne "à visage humain". Un autre appui de l'Union européenne aux échanges culturels se réalise à travers le programme Culture 2000, instrument unique de financement exclusivement consacré à la coopération culturelle et artistique ayant pour vocation de soutenir trois types d'actions : actions spécifiques, novatrices et/ou expérimentales; actions intégrées au sein d'accords de coopération culturelle, structurés et pluriannuels ; événements culturels spéciaux ayant une dimension européenne ou internationale. On peut imaginer que des projets concernant le sud-ouest européen pourraient bénéficier de financements dans le cadre de ce programme. Le cadre communautaire apporte donc une impulsion aux relations culturelles entre le sud-ouest français et la péninsule ibérique, dans une perspective à la fois plus large et décentralisée que celle des traditionnelles relations bilatérales entre les institutions nationales d'échanges culturels. Selon François Roche, "la véritable révolution est européenne [...]. Les collectivités, les organisations internationales, les programmes de l'Union européenne, les réseaux professionnels sont définitivement entrés dans le champ des échanges culturels internationaux et l'occupent beaucoup plus largement que les organismes nationaux traditionnellement chargés de la promotion et de la coopération culturelles" (Roche, 1998, 88). Néanmoins les institutions nationales ont encore un rôle à jouer dans la construction de "l'Europe de la culture", et leur participation a "des chances de donner un second souffle aux échanges culturels. L'Union européenne ne doit plus ignorer ces réseaux qui peuvent lui apporter une aide véritable à l'extérieur comme à l'intérieur de la Communauté" (id., 90). Bien évidemment, malgré les actions entreprises depuis de nombreuses années la réalité des relations culturelles correspond rarement aux "objectifs" visés par les politiques et programmes culturels. Ainsi, on constate un décalage évident entre "les figures imposées de la rhétorique administrative tant au niveau national que dans les instances communautaires" et "un manque de sens, d'élan, de rêve [...] qui caractérisent l'Europe pragmatique des "petits pas"[...]La rhétorique de l'euroculture a pour principale fonction, écrit Yves Hersant[...]de fabriquer du consensus : "Plus âpres sont les débats sur le prix du beurre ou la chasse à la palombe, plus il est réconfortant de s'accorder sur de grandes notions creuses" (Padis in Esprit, 2000, 88). A tel point que Jean Molino interroge : "En face de la longue marche vers l'unification économique et politique, quel est le bilan de l'action dans le champ de la culture[...] ? Les idées sont-elles condamnées à "clopiner" derrière le réel et la culture à traîner les pieds derrière l'économie ? L'existence de l'Europe économique et politique s'inscrit en faux contre cette interprétation, puisqu'elle est le résultat d'une idée et d'une volonté[...]. Croit-on vraiment qu'il puisse exister une entité économique et politique sans mémoire, sans héritage, sans culture, sans littérature ? Les intellectuels, trop souvent effrayés et contempteurs de "l'horreur économique", préfèrent laisser travailleurs et technocrates se salir les mains, en se réservant le rôle de Grandes Pleureuses de la Modernité, de ceux que Lautréamont appelait "les Grandes-Têtes-Molles de notre époque", qui déplorent la fin de la culture et l'oubli des traditions" (Molino in Esprit, 2000, 94,95). Cet état de fait est aggravé par la peur de voir, dans un contexte de mondialisation, les cultures nationales remplacées par une world culture imposée de l'extérieur. "Contre la tentation du repli, la tentation de constituer, au nom du besoin de sens de l'Europe communautaire, un musée européen qui ne serait qu'un ghetto peureux, Jean Molino propose un éloge de la diversité culturelle de l'Europe et invite à rompre avec la peur d'une uniformisation de nos contrées en proie à la technique" (Padis in Esprit, 2000, 90). L'Europe se doit de rester "fidèle à l'une des traditions de son héritage culturel et littéraire, l'ouverture au monde." (Molino in Esprit, 2000, 110). L'ouverture au monde et la diversité culturelle de l'Europe signifient, entre autres, de prendre en compte et de considérer l'aspect multiculturel des sociétés européennes, ce qui nous ramène à la dialectique "entre les risques opposés de l'enfermement des minorités dans des ghettos, et de leur dissolution par assimilation" (Wieviorka, 1998, 246).
Depuis près d'un siècle la France est un pays d'immigration. "Sans cette immigration, la révolution industrielle, la croissance économique, la progression du niveau de vie, la mobilité sociale n'auraient pas été possibles. L'augmentation de la population non plus. Un Français sur quatre a un ascendant étranger si l'on remonte à trois générations" (Liauzu, 2000, 184). De plus, les trois quarts des personnes immigrées en Europe occidentale sont d'origine méditerranéenne (id., 189). La France a d'abord accueilli des populations espagnoles et portugaises. Ces populations sont en général mieux "intégrées" que les populations d'origine maghrébine. On peut penser qu'il s'agit d'une immigration plus ancienne effectuée dans un contexte différent, qu'Espagnols et Portugais participent de la même base culturelle judéo-chrétienne que les Français - à la différence des Maghrébins musulmans - d'autant plus que le contexte européen a modifié les relations avec ces populations qui font aujourd'hui partie de la même Communauté que les Français. "Jusqu'à ces dernières années la majorité des immigrés en France était d'origine européenne : Italiens, Portugais, Espagnols, Polonais... Cette prépondérance européenne des populations immigrées est allée en s'atténuant ; en 1982, sur 4 200 000 immigrés, 2 000 000 environ étaient d'origine africaine, essentiellement maghrébine. De cette augmentation des populations d'Afrique sur le sol national découlent plusieurs conséquences : d'abord une "visibilité sociale" plus forte[...], ensuite une "distance culturelle" plus grande, par rapport à la culture française, que celle des populations européennes." (Clanet, 1990, Introduction, 28-29). Ceci étant, Michel Wieviorka remarque, à propos de la "version française du débat sur la différence" que la "hantise du communautarisme ne s'exprime guère au sujet des Portugais[...], qui vivent de façon bien plus communautaire que bien d'autres immigrations" (Wieviorka, 1998, 251-252). A ce propos le film Ganhar a vida de João Canijo, présenté à Cannes-Un certain regard 2001, offre une vision sociologique pertinente de la communauté portugaise en France, vision qui amène à une certaine remise en question, ce qui souligne une fois de plus le rôle primordial de la culture et des arts dans la société et son évolution. Les propos du réalisateur sur la communauté portugaise en France rejoignent ceux de Michel Wieviorka : "Plutôt discrète et refermée sur elle-même, elle est souvent établie en banlieue éloignée, dans des cités ou des zones pavillonnaires. C'est un monde essentiellement ouvrier, qui a essayé de recréer en France et "en petit", le Portugal quitté souvent depuis trente ans et qui accorde une grande importance à la religion et aux traditions."25(*) Quoiqu'il en soit la situation des communautés marocaines en France, en Espagne et, dans une moindre mesure, au Portugal, est différente car les relations culturelles entre ces populations et celles du pays d'accueil mettent en contact cultures européennes et cultures non-européennes. Et là est tout l'intérêt. Selon le ministère marocain des Affaires étrangères, 860 000 Marocains vivent en France et représentent 16% de l'ensemble des étrangers vivant dans ce pays. Les rapatriements de fonds effectués par les ressortissants marocains établis en France représentent le premier apport de devises au Maroc, loin devant le tourisme. La communauté marocaine est également importante en Espagne. Si l'on se réfère aux flux d'étudiants, on constate que la France, l'Espagne et le Portugal sont des destinations privilégiées pour les étudiants marocains26(*). Sans tomber dans les excès du "communautarisme fragmentaire", il apparaît tout à fait légitime que les populations immigrées revendiquent une appartenance culturelle propre, lien les unissant à leur pays d'origine. On peut penser à la commémoration de l'anniversaire de la disparition du souverain marocain Mohamed V par la communauté marocaine en Espagne27(*). Mais le multiculturalisme se pose souvent en tant que problème, générateur de tensions et de conflits sociaux attisés par une méfiance et une incompréhension mutuelles28(*). On peut prendre pour exemple des tensions engendrées en Europe par le multiculturalisme les émeutes racistes de février 2000 contre les immigrés marocains à El Ejido en Espagne, ou encore la montée des partis populistes de l'extrême droite française, partis ayant pour slogan-type "tout pour les Français d'abord" ce qui, la médiatisation aidant, ne peut que contribuer à déchaîner les passions d'un côté comme de l'autre. Concernant l'Espagne et le Maroc, "le différentiel sur le plan démocratique, économique, soutenu par l'adhésion [de l'Espagne] à l'Union européenne en 1986 ont fortifié la "moro-fobia" espagnole, en témoigne, notamment, une enquête du Centre de recherches sociologiques (CIS), datée de janvier 1996, qui indique que près des deux tiers des Espagnols (62%) considèrent que le Maroc constitue pour l'Espagne le pays qui représente le plus grand risque de confrontation militaire" (Khachani, 1999, 291). Pourtant, "aujourd'hui comme naguère il est faux de voir dans l'installation en France de personnes porteuses de cultures parfois fort différentes de la nôtre, une menace pour l'identité de la France" (Benothman, 1997, 6). Au contraire la sauvegarde et l'épanouissement de la culture européenne ne peut se faire que par le "désenclavement" (Molino in Esprit, 2000, 100), l'ouverture à la diversité et aux cultures non-européennes. Cette idée est d'ailleurs partagée par les initiateurs des politiques culturelles - hors partis ouvertement xénophobes et racistes bien sûr - et on peut en prendre pour exemple le programme Culture 2000 - promouvant "un dialogue interculturel et un échange mutuel entre les culturels européennes et non européennes"- ou les idéaux défendus par l'UNESCO - notamment dans le rapport au titre évocateur Notre diversité créatrice - et par le Conseil de l'Europe - au travers par exemple du Plaidoyer pour l'interculturel. Or la culture se présente comme un vecteur privilégié de la reconnaissance par les sociétés de leur caractère "multiple". Cependant une politique de la reconnaissance culturelle doit nécessairement se préoccuper de la lutte contre la discrimination raciale et sociale29(*). "En fait le multiculturalisme, limité à la seule culture, menace constamment d'apparaître ou bien comme une politique au service de groupes déjà socialement bien placés, ou bien comme une politique inadaptée aux difficultés proprement économiques et sociales de groupes pour qui la reconnaissance culturelle n'est pas nécessairement une priorité, en tous cas pas la seule priorité" (Wieviorka, 1998, 257). C'est peut-être à l'échelon des collectivités que de telles politiques socioculturelles sont le plus efficaces et pertinentes, sachant que "c'est principalement au niveau local que l'intégration des immigrés s'effectue" (Rex, 1998, 269). Dans le même ordre d'idée : "Il est révélateur que les élus locaux, confrontés aux difficultés du quotidien, sachent mieux que, des plus modestes actions au service des quartiers ou catégories sociales en difficulté jusqu'aux formes les plus hautes et les plus exigeantes de l'activité culturelle, il y a une continuité qu'il faut à tout prix reconnaître et préserver si l'on veut éviter l'immense malentendu, que dénonçait Hannah Arendt, d'une consommation de masse qui détruit la culture en ayant l'apparence de la répandre" (Rigaud, 1995, 234). Pour Cecilia Fernández Suzor - département de la Culture de l'Institut Cervantès - la coopération culturelle est un franchissement des barrières migratoires. Elle fait allusion aux Accords de Schengen et au durcissement de la fermeture des frontières de l'Union européenne ainsi qu'à la situation de l'Espagne, frontière méditerranéenne du sud-ouest de l'Europe. Par analogie entre la situation frontalière et la situation culturelle elle avance le concept de "porosité" (porosidad) d'une culture par rapport à l'autre. Un point important de son analyse concerne l'intégration de la communauté marocaine immigrée en Espagne, qui d'après elle constitue un champ d'action culturelle privilégié pour atteindre cette porosité (inter)culturelle (Fernández Suzor, 1992). Ainsi, une "connaissance mutuelle et une intensification des contacts culturels directs" sont un moyen "d'éliminer des craintes qui ne sont pas l'apanage de la rive nord" (Larramendi, 1992, 169). Le sud-ouest européen et le Maroc ont donc tout intérêt à encourager la mobilité des organisateurs, acteurs et publics de manifestations et projets visant à, par l'entremise des arts et des oeuvres de l'esprit, faire se rencontrer et dialoguer les populations de cette zone. Ces flux de biens et de personnes sont facilités par la proximité géographique, d'où les flux de populations déjà constatés - ce type de "mise en relation culturelle directe" serait par exemple moins évident à réaliser entre la population des Etats-Unis, les populations afro-américaines et les populations africaines dont ces dernières sont originairement issues30(*). Par ailleurs l'échange, encore une fois facilité par les distances géographiques, est constitutif du contexte méditerranéen31(*). Les migrations ne sont-elles pas "inhérentes à la Méditerranée, espace d'échanges intensifs des idées et des hommes" (id.), et ce d'autant plus que "les relations au pays d'origine n'empêchent pas les migrants de procéder à des échanges avec la société d'accueil" (Rex, 1998, 270) ? A ce propos il ne faut pas oublier que les migrations méditerranéennes ne sont pas à sens unique et vont aussi du Nord vers le Sud (Rieutord, 1997, 37), ce qui peut d'une part être un important facteur de développement des relations culturelles, notamment par le "tourisme culturel", d'autre part favoriser le dialogue interculturel à long terme. Ce dialogue et ces échanges, en tant que "mouvement dynamique, [...]échanges concrets que développent des sociétés "ouvertes" mais culturellement spécifiques" (Perret & Saez, 1996, 119), permettraient de "dépasser une tendance "hégémoniste" à l'intégration et, in fine, à la domination (multi)culturelle" (id.). De la même façon Michel Wieviorka appelle à dépasser le multiculturalisme, qui tend à scléroser les identités, en laissant ses chances à "l'invention culturelle et à la charge de subjectivité qu'elle véhicule" (Wieviorka, 1998, 260). "La reconnaissance des différences culturelles dans leur renouvellement permanent, et le refus de les figer, associés à la prise en charge des inégalités et de l'exclusion sociales appellent des politiques valorisant l'échange, la communication" (id.). Le rôle central de la communication, facteur commun aux notions d'interculturalisme et de multiculturalisme (Perret & Saez, 1996, 119), se retrouve au "niveau de base" des relations culturelles, à savoir le niveau linguistique.
Un autre facteur important de développement de la coopération et du dialogue culturels au sud-ouest de l'Europe est la possibilité de communiquer dans la même langue d'un bout à l'autre de la région. "La langue reste le plus sûr chemin pour rencontrer l'autre, l'accepter et le respecter."32(*) La France a la chance de compter le Maroc parmi les pays francophones. La plupart des documents officiels et administratifs marocains sont en édition bilingue et l'éducation supérieure marocaine est dispensée en Français. Autant dire que le Maroc fait partie des pays phares de la Francophonie, accueillant un des postes français les plus importants à l'étranger dans le domaine de la coopération culturelle, dont la coopération éducative et linguistique : le réseau très dense des établissements français d'enseignement - environ trente - reçoit près de 18 000 élèves, aux deux tiers marocains. Sans parler du réseau des Instituts français dont il a été question en partie précédente. Une convention de coopération culturelle franco-marocaine a été signée en 1984 et reconduite tacitement depuis. L'intense coopération culturelle franco-marocaine a été en quelque sorte cristallisée lors des manifestations du Temps du Maroc en France en 1999. "La Francophonie a, avec le monde arabe, plus particulièrement, des affinités électives[...]Elles s'expriment, surtout, à travers un engagement chaque jour plus affirmé du monde arabe dans la Francophonie vers le monde arabe. Le Maroc est, à cet égard, présent sur tous les fronts. J'en veux pour preuve[...]les deux millions de foyers marocains qui reçoivent TV5, TV5 qui avait inauguré son émission "24h" en consacrant la journée du 24 avril 1999 à la ville de Marrakech" (Boutros Boutros-Ghali in Le Matin du Sahara et du Maghreb, 25 novembre 2000). Ainsi les conditions d'échanges, de dialogue et de réalisation de projets communs entre le Maroc et le sud-ouest de la France se trouvent facilitées. Pourtant l'avantage que peut représenter la francophonie a ses limites. En effet, de plus en plus la politique linguistique extérieure de la France est remise en question car elle ne semble pas porter ses fruits. Par exemple M. Alexis Tadié, ancien attaché culturel, appelle à repenser le but de la francophonie et la façon dont elle est promue : "On n'apprend pas une langue parce qu'elle va "servir", mais à cause de la promesse de dialogue, d'imaginaire et de découverte qu'elle contient[...]Si le but d'une action culturelle extérieure est de promouvoir les échanges et la sacro-sainte coopération, alors le dialogue qui peut s'instaurer entre les cultures doit passer par la traduction[...]Pour s'adresser aux autres, pour établir cette essentielle discussion, il faut aussi parler leur langue, et non pas attendre simplement qu'ils écoutent ou parlent la nôtre" (Tadié in Esprit, 2000, 117, 118). Il préconise donc une attitude proprement interculturelle fondée sur une ouverture réciproque, à l'opposé d'une diffusion unilatérale de la langue et de la culture françaises. Les enjeux en sont importants pour la culture et la pensée françaises autant en terme de diffusion qu'en terme d'enrichissement par l'Autre. De la même façon M. Boutros Boutros-Ghali parle d'un "principe de réciprocité[...]Car la francophonie veut transcender la promotion de la seule langue française. Elle est, plus largement, dans un monde guetté par l'uniformisation, un combat pour la sauvegarde des langues et des cultures, gage, tout à la fois, de diversité, de démocratie et de paix" (in Le Matin du Sahara et du Maghreb, 25 novembre 2000). De plus le bilinguisme francophone au Maroc a permis, l'immigration aidant, l'émergence d'une double-culture franco-marocaine riche, entre autres, de littérature et de poésie. On peut penser par exemple au cycle hebdomadaire de lectures poétiques bilingues, inauguré en 2000 à l'Institut français de Rabat, en partenariat avec l'Union des écrivains du Maroc, cycle auquel de nombreux poètes d'origine marocaine et d'expression française participent. Mis à part les faiblesses de la francophonie, qui ne peuvent que l'amener à se renouveler, il ne faut pas oublier que l'Espagnol est, après le Français, la deuxième langue étrangère la plus parlée au Maroc. Le réseau d'enseignement coordonné par le Conseil de coopération de l'Ambassade d'Espagne au Maroc et par l'Institut Cervantès est très important, notamment dans la région nord du Maroc. De plus, plusieurs manifestations culturelles hispanophones sont organisées, telles que la journée de la poésie Maroc-Amérique latine. Loin d'être un obstacle à la francophonie, cette pratique de l'Espagnol est un avantage supplémentaire facilitant la communication entre partenaires du sud-ouest de l'Europe, l'Anglais étant également une langue de travail potentielle mais aux retombées cependant limitées en terme de communication externe vers les publics. On le voit, deux langues suffisamment parlées pour instaurer le dialogue, à condition de pratiquer systématiquement la traduction, étape indispensable de l'échange interculturel. A ce propos, concernant l'action du réseau culturel espagnol au Maroc, Mme Fernández Suzor, ancienne directrice de l'Institut Cervantès de Rabat, semble rejoindre la position de M. Alexis Tadié : "La diffusion de la culture d'un pays à l'autre ne peut se faire qu'à travers la connaissance de la culture à laquelle on souhaite se présenter. L'action culturelle extérieure est plus efficace lorsque existe une meilleure connaissance des cultures locales, et quand on fait l'effort de les mettre en relation avec sa propre culture" (Fernández Suzor, 1992, 334). 3. LA RECHERCHE D'UN CERTAIN ÉQUILIBRE
Le 4 juillet 1991 l'Espagne et le Maroc signent un Traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération. Cet accord concrétise une tendance au rapprochement entre les deux pays développée depuis déjà plusieurs années - "La signature de ce traité entre le Royaume du Maroc et le Royaume d'Espagne est révélatrice d'une prise de conscience de la nécessité de rapprochement entre les deux peuples marocain et espagnol" (Khachani, 1999, 288) - ; depuis que Hassan II, en 1987, avait fait la proposition de créer une cellule de réflexion commune pour étudier l'avenir des deux villes de Ceuta et Melilla, situées à l'extrême nord du Maroc et encore sous administration espagnole. Par ailleurs la signature de ce traité est une initiative qui s'inscrit dans un contexte marqué par le "retour de l'Espagne à la Méditerranée". "En effet, l'adhésion à la CEE en 1986 a été perçue en Espagne comme une manière de "se dépériphériser", tournant le dos à sa frontière sud pour s'intégrer profondément dans l'espace européen. Cependant, à la faveur de l'évolution socio-politique dans la région et après, certes, une phase de flottement, les autorités espagnoles ont pris conscience de l'intérêt géostratégique que représente le Maghreb dans le pourtour méditerranéen" (id., 289). A la suite de cela le Comité Averroès est créé en 1996. Ce comité, composé, sur une base paritaire, de huit membres représentant la société civile et opérant dans différentes sphères, a pour tâches principales "la réflexion, l'élaboration et le suivi d'actions visant à promouvoir la connaissance, la compréhension et l'entente entre les deux peuples marocain et espagnol" (id., 288). Par exemple le Comité a organisé, du 28 au 30 novembre 2000 à Séville, un séminaire sur le thème "Maroc-Espagne : un défi pour un avenir commun". Trois groupes de travail ont été constitués au sein du Comité, dont un groupe "Communication et culture", la dimension culturelle constituant un "paramètre fondamental de la mission dévolue au comité" (id., 299). On retrouve cette idée de développer des liens culturels privilégiés dans l'intervention de M. Mohamed Achaâri, ministre marocain de la Culture et de la Communication, lors de la double exposition collective des artistes de l'Ecole des Beaux-Arts de Tétouan et des mosaïques du site de Volubilis, organisée à Almunecar - province de Grenade - par le département marocain de la Culture en marge de la 11ème Rencontre euro-arabe (25-28 octobre 2000). Dans son discours M. Achaâri inclut les relations culturelles dans un processus de rapprochement global hispano-marocain : "La visite d'Etat qu'a effectuée S.M. le Roi Mohamed VI en Espagne, du 18 au 20 septembre [2000], a permis aux opinions publiques des deux rives du Détroit de Gibraltar de se familiariser avec l'esprit nouveau et très prometteur qui préside au renouveau et à l'approfondissement des relations entre les deux pays", ce nouvel esprit impliquant "un nouveau traitement des relations culturelles maroco-espagnoles" (in Le Matin du Sahara et du Maghreb, 26 octobre 2000).
Les titres de presse parus à l'occasion de la visite d'Etat rejoignent eux aussi cet optimisme partagé - "optimisme béat", Jean Molino dirait-il ? - : "Un nouvelle dynamique à des relations bilatérales au beau fixe" (in L'Opinion du 19 septembre 2000), "Une visite fructueuse traduisant le nouvel élan de la coopération bilatérale" (in L'Opinion du 21 septembre 2000), "La coopération avec le Maroc est un objectif prioritaire pour l'Espagne. Entretien avec Jorge Dezcayar, ambassadeur de Madrid à Rabat" (in Libération du 15 septembre 2000). Et cela ne concerne pas que la sphère politique et/ou diplomatique. On trouve dans le Libération du 19 septembre un article intitulé "Pour les éditorialistes espagnols le Maroc s'est engagé dans un processus d'ouverture". On pourrait croire que cet article va traiter de la liberté d'expression de la presse, mais après quelques citations rapportées le sujet dévie vers les "résultats immédiats" de la visite du souverain marocain, "notamment en ce qui concerne le dossier de la pêche[...]Madrid souhaiterait voir se réaliser des avancées dans les négociations entre le Maroc et l'Union européenne sur l'Accord de pêche". Cela pour nous rappeler la très forte dimension économique du rapprochement Espagne-Maroc - et on a vu que la culture est un accompagnement nécessaire des relations économiques extérieures. Quand on sait que l'économie espagnole tend vers un dynamisme accru33(*), il apparaît que le sud-ouest français, en développant ses relations extérieures, peut tirer parti d'une telle conjoncture en y participant, d'autant plus que ces relations partent de bases solides. Si l'on prend l'exemple de la région Midi-Pyrénées on retrouve effectivement parmi ses principaux partenaires économiques l'Espagne, le Maroc et le Portugal, qu'il s'agisse d'importations, d'exportations ou de délocalisation de la production (Dupuy & Gilly, 1997). "Les échanges avec l'Espagne se sont accrus régulièrement, de manière favorable à la région" (id., 135). De plus ces relations et échanges concernent les trois régions frontalières : "si les entreprises espagnoles sont faiblement présentes en Midi-Pyrénées, [...] elles investissent beaucoup plus en Aquitaine et Languedoc-Roussillon" (id., 139)34(*). Par ailleurs, parallèlement à la coopération hispano-marocaine au niveau gouvernemental se développe une coopération à l'initiative des Communautés autonomes, ce qui représente un autre avantage pour le sud-ouest français qui peut participer à cette coopération au titre de la coopération décentralisée35(*). C'est par exemple la Communauté de Valence qui "a d'ambitieuses visées sur le Maroc" (in Le Journal, 22-28 juillet 2000), ou le gouvernement andalou qui va consacrer 1,5 milliard de pesetas à des projets de développement dans les provinces du Nord du Maroc, dans un contexte général de renforcement de l'autonomie régionale au Maroc. Enfin, il est à noter que le programme bilatéral de coopération entre l'Espagne et le Maroc est pris en compte dans les recoupements du sud-ouest européen avec d'autres espaces de coopération territoriales, dans le cadre de la mise en oeuvre du PIC INTERREG III -B SUDOE36(*). Il y a donc un enjeu pour le sud-ouest français de développer ses relations culturelles avec la péninsule ibérique et le Maroc, qui font eux-mêmes preuve de solidarités accrues : ne pas rester en marge de ces mouvements et de leurs retombées économiques et sociales. Cela correspond bien d'ailleurs à la problématique de "désenclavement" de Midi-Pyrénées : "C'est davantage en terme d'opportunités à saisir et de positionnement à préciser collectivement que se posent aujourd'hui les enjeux pour la région plutôt qu'en termes d'équipement" (Dupuy & Gilly, 1997, 125). A l'échelle du territoire - et de l'économie - européens, le risque de "mise à l'écart" que peut redouter le sud-ouest français menace par extension le sud-ouest de l'Europe. C'est pourquoi les pays de cette région ont un intérêt commun à intensifier leurs relations et à coopérer, à commencer par la culture.
une zone de contrepoids à la "banane bleue" ? La principale zone de marché dans l'Union européenne - "zone transfrontalière dans une Europe intégrée" ( Dupuy & Gilly, 1997, 144) - s'étend du sud de l'Angleterre à la Lombardie, en passant par le nord et l'est de la France et par l'Allemagne occidentale. Cette situation est défavorable aux régions du sud de l'Europe, qui plus est les régions du sud-ouest, car certaines régions du sud-est français par exemple jouissent d'un rapport de proximité avec la partie méridionale de la "dorsale européenne" - aussi appelée "banane bleue" - , partie constituée par l'axe Lyon-Turin-Milan37(*). De plus le sud-ouest de l'Europe comporte une importante façade atlantique d'Aquitaine jusqu'à Gibraltar et les côtes marocaines, en passant par le nord de l'Espagne et le Portugal, zone qui doit faire face au déplacement vers l'est du centre de gravité de l'Europe économique et s'en trouve "marquée par la crise et les restructurations et où n'émerge aucune polarisation réellement significative" (id., 125). Malgré leur position intermédiaire et excentrée par rapport au " barycentre du marché européen" (id., 145), les régions du sud-ouest de l'Europe connaissent un fort développement, à commencer par la zone pyrénéenne : "les métropoles qui intègrent et encadrent la chaîne pyrénéenne, avec dix-sept millions d'habitants, représentent ensemble une puissance économique dotée d'un potentiel industriel comparable par exemple à celui de la Suisse, de la Belgique, voire de l'Allemagne du sud" (id., 126). On retrouve le même potentiel d'activité et de développement autour de métropoles telles que Barcelone, Madrid, Lisbonne, Casablanca, etc. Par ailleurs le sud-ouest de l'Europe est intégré en majeure partie à "l'arc latin" ou "arc méditerranéen" de l'Europe. Cette notion rejoint le concept de "plaque sud" développé par M. Lacour dans le cadre d'une "tectonique des territoires" (cf. Leclerc et alii, 1996, 127-130) et prend en compte "l'émergence au sud de l'Europe, avec la péninsule ibérique, la France méridionale et l'Italie, d'un espace économique dont la puissance est loin d'atteindre celle de la "banane bleue" mais qui se fortifie petit à petit" (id. 129). D'après un spécialiste, "[Le sud-ouest français] participe pleinement d'un marché de près de 200 millions d'habitants : péninsule ibérique, Italie, Grèce, Maghreb" (id.130). "La Méditerranée réapparaît de nouveau, dans cette phase de mondialisation des relations internationales, marquée par l'émergence de grands ensembles économiques, comme un nouveau pôle de développement en pleine gestation" (Hadhri, 1997, 95). Le sud-ouest français doit donc se positionner dans l'arc méditerranéen, ce qui pourrait lui conférer un rôle majeur d'interface entre le nord et le sud de l'Europe ; entre l'Europe du nord et l'Andalousie via Toulouse, entre Valence et Milan via Montpellier, entre Casablanca, Lisbonne et Paris via Bordeaux.
"L'appartenance à de grands ensembles culturels comme le bassin méditerranéen ainsi que la construction européenne sont une motivation puissante pour les relations culturelles internationales entre les collectivités territoriales" (Rizzardo in Perret & Saez, 1996, 48). Pourtant la région Midi-Pyrénées, contrairement à Languedoc-Roussillon, ne participe pas au programme INTERREG III-B Méditerranée occidentale (MEDOC), mais au programme INTERREG III-B Atlantique, dans lequel elle est réunie à l'Aquitaine38(*). D'après la chargée des affaires européennes en Midi-Pyrénées, les raisons de ce manque de vision stratégique sont surtout politiques, alors qu'elle-même défend depuis plusieurs années l'inscription de Midi-Pyrénées - et pourquoi pas d'Aquitaine ? - dans l'arc méditerranéen et que la région entretient des contacts permanents avec la région PACA, ainsi qu'une coopération bilatérale avec la Catalogne. De plus l'intérêt et la réalité de l'orientation méditerranéenne du sud-ouest français sont confirmés par les études de la DATAR : "Toulouse tend à se développer plutôt vers la Méditerranée [...] Par ailleurs, Bordeaux, qui a réussi par le passé son intégration sur la façade atlantique a plus que jamais besoin de Toulouse dont la "percée" en direction de la Méditerranée est désormais effective" (Guigou, 1999b, 5; 1999, 8). Enfin, le programme opérationnel INTERREG III-B SUDOE préconise "d'établir le SUDOE comme acteur du système international par le renforcement de ses liens de proximité avec le Bassin méditerranéen" (Commission européenne, Programme opérationnel [...], 2000, 32). De la même façon le chargé des langues et cultures régionales en Midi-Pyrénées confirme la cohérence en terme culturel de s'ouvrir au monde méditerranéen et regrette une "indécision politique qui vient de la méconnaissance voire de l'ignorance de l'histoire culturelle" ainsi qu'une "culture politique du sud franco-parisienne qui considère la méridionalité de façon superficielle, en tant que simple rapport au monde. Mais s'il n'y a pas approfondissement de cette méridionalité par la culture elle deviendra un simple exotisme". Cette idée de l'inscription active du sud-ouest français - et par extension du sud-ouest de l'Europe - dans l'arc latin, et ce afin de rééquilibrer l'espace européen en faisant contrepoids à la banane bleue, rejoint les propos de M. Gouze, chercheur au LEREP de Toulouse (Laboratoire d'études et de recherche en économie de la production): "D'une part, aucun des pays ou régions du sud n'a intérêt à voir se développer une Europe trop nordique et, d'autre part, si l'Europe s'ouvre davantage à l'est, ces régions n'en seront que plus éloignées tant géographiquement que culturellement. Il s'agit donc bien d'ouvrir et d'organiser des espaces de solidarité entre les régions de l'Europe du sud, et, plus largement du bassin méditerranéen, espaces qui construiront leur prospérité grâce à des coopérations multiformes" (Dupuy & Gilly, 1997, 126). A commencer par la coopération culturelle, qui ferait du développement des relations culturelles un des moteurs du développement général du sud-ouest de l'Europe. Il s'agirait dans un premier temps de provoquer les rencontres et contacts entre des populations appelées à être partenaires privilégiés, dans un deuxième temps d'approfondir le dialogue en privilégiant la dimension interculturelle des projets. Le sud-ouest de l'Europe est une zone de croisement culturel riche nourrie d'influences diverses et qui peut, en s'associant à l'ensemble de l'Europe méridionale, constituer un axe de développement majeur de l'Union européenne - la DATAR n'évoque t-elle pas l'idée de "l'isthme sud-européen" ? De plus le contact privilégié avec le Maroc, qui appelle des relations culturelles intenses, constitue une ouverture majeure pour le sud-ouest de l'Europe, d'autant plus que le Maroc participe au projet euro-méditerranéen, projet qui revêt une importance stratégique pour le développement de l'Europe méridionale, pour ne pas dire de l'ensemble de l'Union européenne. "Si l'Allemagne ne veut pas risquer une crise de la construction européenne, il lui faut soutenir la construction d'un contrepoids à l'extension orientale de la zone d'influence de l'Union européenne qui ne pourra être autre que la région euro-méditerranéenne" (Elsenhaus in Bistolfi, 1995, 85).
et co-développement La Conférence de Barcelone, en novembre 1995, a vu l'Union européenne et ses douze partenaires du sud et de l'est de la Méditerranée donner une impulsion sensible à la mutation de leurs relations, par l'instauration du partenariat euro-méditerranéen. Ce projet fournit un cadre de référence durable aux relations de l'Union européenne avec ses partenaires, le cadre multilatéral - projets régionaux entre plusieurs pays - étant complémentaire des relations bilatérales spécifiques entre l'Union et chacun des pays tiers - négociations d'Accords d'association. C'est un projet ambitieux qui fait écho à d'autres projets de regroupements régionaux prenant forme ailleurs dans le monde, dans les Amériques comme en Asie. Mais à la différence de ces accords, un des principaux apports de la Déclaration de Barcelone est d'avoir pleinement intégré dans sa philosophie, outre les préoccupations politiques et sécuritaires, économiques et financières, la dimension culturelle, sociale et humaine. "Les 27 ont affirmé que la rénovation du dialogue culturel est aussi indispensable que la coopération politique et économique pour combler le fossé méditerranéen.[...]L'inclusion de la culture dans le champ du dialogue et de la coopération lui donne toute sa portée. Il s'agit en effet de lutter contre un nouveau pessimisme historique qui affirme le caractère inconciliable des différences culturelles. Face à ce pessimisme, qu'un Samuel Huntington et d'autres ont récemment théorisé en pronostiquant que les conflits de demain seront d'abord des conflits de civilisation, le "contrat" de Barcelone s'est inscrit en faux (Bistolfi, 1997, 124). La Déclaration de Barcelone est ainsi présentée comme l'acte fondateur de la Méditerranée du XXIème siècle. Pour la première fois, un texte engageant ces Etats a mis l'accent sur la société civile et souligné "la contribution essentielle qu'elle peut apporter dans le processus du partenariat euro-méditerranéen" (Balta, 2000, 70). Ainsi, chaque conférence des 27 ministres des affaires étrangères a été précédée, accompagnée et suivie par une série de rencontres de la société civile : les Forums civils Euromed - à Barcelone en 1995, Malte en 1997, Stuttgart en 1997 et Marseille en 2000. Ces forums civils sont un premier pas dans la nécessaire mise en oeuvre d'un "travail d'échange interculturel d'envergure au niveau des sociétés civiles [qui] s'avère incontournable pour relever les véritables défis[...], non seulement économiques et géostratégiques mais aussi et surtout axiologiques et culturels" (Ammor, 2000, 37). C'est que le besoin de développement commun auquel doit répondre le processus de Barcelone39(*) comporte une indissociable dimension culturelle, "ciment de tout véritable rapprochement entre les peuples de la région, seul garant de réussite de toute initiative économique voulant s'inscrire dans la durée" (Ammor, 2000, 40) ; "le ciment, c'est l'instauration de relations de confiance" (Fabre in Culture Europe, n°19, 6). On peut aussi parler de "rôle de levain qui doit être celui de la culture" (Roussel in Culture Europe, n°19, 8), d'autant plus que "les retombées économiques [de la coopération culturelle] (promotion des métiers d'art, développement d'un tourisme de qualité, etc.) peuvent être - qualitativement et quantitativement - plus que significatives" (Bistolfi, 1997, 125)40(*). Les pays du sud-ouest de l'Europe sont des partenaires euro-méditerranéens et les relations culturelles entre le sud-ouest français, la péninsule ibérique et le Maroc peuvent s'inscrire dans le cadre de ce partenariat. A ce propos il est intéressant de remarquer que "la dimension culturelle de la Déclaration de Barcelone [...]a été - sauf en Espagne et au Portugal au moment de la rencontre - généralement ignorée par les médias" (Balta, 1997c, 27). Et, de fait, même si tous les membres de l'Union européenne sont concernés par le partenariat euro-méditerranéen, "la partie de la Méditerranée appartenant à l'Union européenne, dépositaire d'une double culture - méditerranéenne et européenne - doit jouer un rôle de passeur, permettant une meilleure pédagogie de l'échange entre les deux dimensions" (Roussel in Culture Europe, n°19, 8), ou encore "Les pays du sud de l'Europe ont su nouer, au cours des siècles, des liens et former un tissu interculturel et d'amitiés dont la potentialité reste en deçà de ce qu'elle pourrait apporter pour la compréhension des peuples de la Méditerranée" (Rieutord, 1997, 36). Le sud-ouest européen a donc un rôle actif à jouer dans le développement culturel euro-méditerranéen qui doit contribuer à atteindre, de manière équilibrée, l'objectif de co-développement général qui sous-tend le processus de Barcelone. "La politique culturelle euro-méditerranéenne dépasse les enjeux spécifiques à son domaine" (Roussel in Culture Europe, n°19, 11). Comme on l'a vu les conditions de ce développement au sud-ouest de l'Europe apparaissent favorables, qu'il s'agisse des relations entre le sud-ouest français et la péninsule ibérique ou des relations entre le sud-ouest européen et son partenaire méditerranéen direct, le Maroc. "Les différentes combinaisons des relations internationales marocaines peuvent [...] s'inscrire dans un carré, coopératif par nature, incluant le Maroc, la France, l'Espagne et l'Union européenne" (Berramdane, 1992, 45). Ainsi le Maroc figure en quelque sorte à "l'avant-garde" du partenariat euro-méditerranéen - on parle même d'intégration européenne en 201041(*) - ce qui se traduit concrètement par l'entrée en vigueur, le 1er mars 2000, de l'Accord d'association signé avec l'Union européenne le 26 février 1996, surtout lorsque l'on sait que sur les dix pays méditerranéens supposés conclure de tels accords seulement quatre d'entre eux, Maroc inclus, l'on fait42(*). Ainsi, des volontés de rapprochement émanent d'un côté comme de l'autre. Les propos exprimés lors de la première réunion du Comité d'association Maroc-Union européenne tenue à Rabat le 6 février 2001 vont dans ce sens. D'une part "Le Maroc entend mettre à profit cette réunion en vue d'amener la partie européenne à inscrire son partenariat à un niveau supérieur", d'autre part le Secrétaire général du ministère marocain des Affaires étrangères et de la Coopération "a réitéré la volonté de Rabat[...]de faire de la consolidation des relations Maroc-Union européenne une réelle force motrice pour l'ensemble de la région euro-méditerranéenne"43(*). Cela rejoint les idées déjà exprimées lors d'un colloque tenu à Paris en 1996 : "Le partenariat euro-marocain doit être un moteur à l'intérieur du plus vaste projet euro-méditerranéen" (M. Vento in Maroc-Europe, quel partenariat? Actes du colloque., 1996, 114). Il est à noter que cette implication du Maroc se traduit également au niveau des collectivités. En effet M. Omar Bahraoui, président de la Communauté urbaine de Rabat, a été élu vice-président du Comité permanent pour le partenariat euro-méditerranéen, créé récemment à Palerme par les élus locaux des pays méditerranéens afin d'encourager "la coopération régionale, promouvoir les échanges et développer les relations économiques, culturelles et touristiques entre les collectivités des deux rives de la Méditerranée" selon les orientations de la Déclaration de Barcelone44(*). D'autres exemples viennent confirmer la volonté, politique pour la plus grande part, de faire du Maroc un acteur-clé du co-développement culturel en Méditerranée : organisation à Rabat, en octobre 2000, par le ministère des Droits de l'homme et le Centre Nord-Sud du Conseil de l'Europe, d'une conférence sur le thème "Droits de l'homme, identités culturelles et cohésion sociale dans la région méditerranéenne" ; création de chaires universitaires d'études méditerranéennes dans l'intention de marquer "le lancement d'un réseau de chaires à travers les pays de la Méditerranée"(in Al Maghrib du 30 janvier 2001) ; déclaration dans la presse de M. Zerouli, ministre de l'Enseignement supérieur, "En modèle d'ouverture parmi les pays de la rive sud, le Maroc est en mesure de faire du pourtour méditerranéen un espace de paix et de prospérité commun à tous les pays de la région" (in Al Maghrib, 28 novembre 2000) ; rencontre internationale de traduction des cultures à Marrakech, "visant à rapprocher les cultures des peuples du bassin méditerranéen" (in Le Matin du Sahara et du Maghreb, 4 novembre 2000) ; culture présentée comme "dynamique essentielle à tout projet de développement" ("Maroc : quel projet de société ?", M.Sbihhi in Al Bayane, 12 décembre 2000). Par ailleurs, dans une étude de la dimension culturelle du développement, plus particulièrement concernant les plans de développement marocains, M. Gouita émet des propositions pour l'amélioration des mécanismes d'intégration de la culture dans le développement au Maroc, parmi lesquelles on retiendra : "Il est impératif de diversifier, tout en les rationalisant, les sources de financement de l'action culturelle au Maroc, en y intéressant divers acteurs (privés, collectivités locales, organismes spécialisés nationaux, étrangers et internationaux, etc.)" (Gouita, 1988, 186). L'intérêt pour le Maroc de développer des relations culturelles avec des partenaires extérieurs, dans une perspective de co-développement, apparaît clairement. En plus de soutenir un développement économique et social il s'agit aussi, par de telles relations, de faire face à un enjeu fondamental à l'heure de la (fameuse) mondialisation : "se voir soi-même comme un autre" (Molino in Esprit, 2000, 100). Comme on l'a vu il y va du désenclavement des cultures (et donc des mentalités), et ce d'autant plus que la culture marocaine est riche d'influences méditerranéenne, arabo-islamique et africaine : "ne serait-il pas nécessaire, pour avoir une vision moins limitée de [sa propre culture], de faire appel au regard d'autrui, d'hommes et de femmes qui la voient de l'extérieur ?" (id.). Ce désenclavement des cultures obéit à un principe de réciprocité, en dépit de contextes différents, et ne concerne pas uniquement la (les) culture(s) "nordiste(s)" européenne(s), celle(s) dont traite Jean Molino dans son article. "Le désenclavement des cultures du Sud correspond bien à un besoin vital" ( Ader in Dialogue culturel Nord-Sud [...], 1992, Postface, 61) et constitue un véritable enjeu pour le co-développement culturel, enjeu qui rejoint celui du partenariat euro-méditerranéen dans son volet social, culturel et humain. Pourtant, malgré les intentions réelles et motivées, les volontés politiques affichées, les déclarations et autres accords, le partenariat euro-méditerranéen est loin de tenir ses promesses. "On est loin d'un véritable co-développement qui, pour l'heure, n'a eu que des effets d'annonce modestes" (INJEP, 2000, 186). La Conférence Barcelone IV, tenue à Marseille en novembre 2000, a été l'occasion de faire un bilan critique et de se rendre compte du décalage entre les ambitions euro-méditerranéennes et leur réalité. D'après les compte-rendus officiels, "Les ministres [...] ont regretté que toutes les potentialités de ce volet [social, culturel et humain] n'aient pas été complètement exploitées [...]S'agissant de la culture au sens large, les ministres ont plaidé en faveur d'une montée en puissance des programmes existants, à travers la mise en place de la deuxième phase d'Euromed Heritage, le démarrage, le plus tôt possible en 2001, de la préparation d'Euromed Audiovisuel II[...], ainsi que le lancement d'Euromed-Sciences Humaines"45(*). La presse s'est fait l'écho des dysfonctionnements du partenariat euro-méditerranéens. Sur le plan politique, Arabes et Israéliens reprochent à l'Union européenne sa neutralité ambiguë et passive à l'égard de l'hégémonie nord-américaine46(*), sur le plan économique on semble remettre en cause le principe même du libre-échange en Méditerranée. Déjà, en 1997, l'Accord d'association avec l'Union européenne était présenté comme un "pari à hauts risques" pour le Maroc (cf. Zaïm & Jaïdi, 1997, 65-78). Aujourd'hui, Mme Belarbi, Ambassadeur du Maroc auprès l'Union européenne, se demande si "la démarche d'accompagnement par centration sur le libre-échange est capable de produire les résultats économiques et sociaux à la hauteur des proximités économiques et humaines qui lient les pays du sud et du nord de la Méditerranée" (in Al Bayane, 5 novembre 2000) ; pour A.Saaf "le libre-échange pratiqué par l'Europe réduirait la frontière économique à son seuil minimal. L'Europe semble ainsi engagée dans une action constante de dissolution des zones de regroupement autour d'elle" (Saaf in Roussillon, 1999, 242) ; Habib El Malki, dans son ouvrage La Méditerranée face à la mondialisation. Les constances de l'identité, remarque que cette région est "restée en dehors de la dynamique de regroupements que la mondialisation impose", sans compter que "le phénomène de la mondialisation est une notion encore creuse et aurait une perspective incertaine surtout dans le cadre maghrébin" (in Libération, 4 novembre 2000). Quant au volet social, culturel et humain, il risque d'être réduit à la prévention de l'immigration alors que, même s'il remet fortement en question la façon dont le processus de Barcelone a été mené ainsi que son devenir, M. Bistolfi affirme que "L'importance d'une action résolue dans le domaine de la culture s'impose d'autant plus que les volets politique et économique du projet euro-méditerranéen connaissent les faiblesses que l'on sait" (Bistolfi, 2000, 151). Ce qui nous renvoie à un article du même numéro de Confluences Méditerranée au titre évocateur, "La culture : le parent pauvre ?", dans lequel sont relatées les initiatives de la société civile au travers des Forums civils Euromed et ses réactions face à l'évolution du processus de Barcelone : "Désillusions ! Inquiétudes ! Danger ! " (Balta, 2000, 69). De telles réactions ne peuvent rester inconsidérées si l'on veut rester fidèle à la philosophie de départ du projet euro-méditerranéen car - est-il besoin de le rappeler? - "en l'absence de dialogue entre les sociétés civiles des deux rives, le partenariat restera entre les mains des technocrates, des financiers et des marchands"47(*). Cependant, le fait de mettre en exergue la dimension culturelle du partenariat ainsi que le rôle assigné à la société civile peut constituer à son tour une menace, par "la dérive identitaire à laquelle "l'option culturelle" ouvre nolens volens la voie" (Roussillon, 1999, 228). "Il ne fait pas de doute que, dans l'esprit de la plupart des "eurocrates" de Bruxelles ou de Strasbourg, le co-développement méditerranéen doive être un développement séparé. De ce point de vue, la prise en considération de la dimension culturelle risque bien de se limiter à l'identification des registres dans lesquels des interactions sont possibles ou souhaitables entre les deux rives - et de ceux dans lesquels elles ne le sont pas -, en même temps que des précautions à prendre pour ne pas heurter les sensibilités "spécifiques" des Méditerranéens du sud - en caricaturant : éviter de faire plastronner Claudia Schiffer dans une robe de soirée rehaussée de versets coraniques, garantir l'abattage rituel des bovins fous exportés vers ces rivages sous forme de corned beef, mettre en place, dans les banques européennes, des dispositifs financiers permettant de tourner l'interdit islamique du prêt à intérêt..." (id.,232-233). De cette façon M. Roussillon, directeur du Centre de recherche Jacques Berque de Rabat, souhaite clarifier "les ambiguïtés fondamentales et les possibles dérives de la gestion culturelle identitaire du sens qui paraissent en passe de s'imposer aux gestionnaires autorisés ou auto-proclamés du destin de l'ensemble méditerranéen" (id., 235). Les initiateurs et acteurs des relations culturelles euro-méditerranéennes doivent être conscients de la nécessité d'un dépassement des "démons identitaires" (id., 242), qui renvoie au dépassement du multiculturalisme prôné par M.Wieviorka48(*). Le but du processus de Barcelone ne doit pas être, pour l'Europe, de "prévaloir en tant que pôle planétaire face aux pôles nord-américain et est-asiatique, [ce qui se traduirait] quasi mécaniquement par l'affaiblissement des ses "marches" sud-méditerranéennes, condition sine qua non de l'affirmation de son leadership régional" (Roussillon, 2000, 242), mais bien de mener une coopération et un co-développement régionaux, dont les relations culturelles font partie intégrante afin d'"ouvrir les sociétés arabes à la modernité dans un dialogue culturel équilibré" (id., 2000, 241). Pour M. Fouad Ammor, "le culturel ne peut jouer à plein que si les problèmes fondamentaux, de dimension super-structurelle, sont résolus" (entretien). De cette façon la notion de co-développement retrouve tout son sens et c'est ainsi qu'elle doit être comprise et appliquée par les acteurs des relations culturelles en Méditerranée. Ainsi, différents facteurs interdépendants mettent en évidence l'importance de développer les relations culturelles au sud-ouest de l'Europe. Une fois cette analyse faite, il s'agit d'accéder au domaine du pratique et du réalisable en abordant la mise en oeuvre de ces relations. * 19 Cf. carte Annexe 2.4. * 20 Cf. cartes Annexe 2.5. * 21 Pour plus de renseignements sur le cadre et l'actualité de la coopération transpyrénéenne cf. www.lacetap-pirineos.org. * 22 Cf. Annexe 4.1. * 23 Cf. Annexe 6.2. * 24 Cf. Annexe 6.2. * 25 http://www.festival-cannes.org * 26 Cf. tableaux en Annexe 7. * 27 "Riche activité culturelle. Rappeler les liens qui unissent la communauté marocaine à l'étranger à la mère-patrie" in Le Matin du Sahara et du Maghreb, septembre 2000. * 28 Sur les différents modes de multiculturalisme cf. Wieviorka, 1998. * 29 Cf. partie A. chapitre III. 3. a. * 30 Cf. à ce propos le film Little Sénégal, réalisé en 2000 par Rachid Bouchareb. * 31 Cf. Aulas, 2000, 188-190; notamment sur l'action de l'Agence pour la Promotion des Echanges Méditerranéens (APEM), module sur les cultures méditerranéenne. * 32 "Arabophonie-Francophonie : un dialogue des cultures", Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie, in Le Matin du Sahara et du Maghreb, 25 novembre 2000. * 33 Cf. par exemple "Espagne, une embellie attendue" in INJEP, 2000, 28-32. * 34 Cf. cartes des échanges commerciaux en Annexe 2.3. * 35 Cf. cadre juridique en partie A. chapitre III. * 36 Cf. Annexe 2.8. * 37 Cf. Annexe 2.1. * 38 Cf. cartes Annexe 2. * 39 Cf. INFJEP, 2000, Introduction. * 40 On retrouve ici les enjeux évoqués en partie A., chapitre III. * 41 Cf. par exemple Le Nouvel observateur, n°222, "Spécial Maroc". * 42 Entretien avec S.E. H. Aboyoud, Ambassadeur du Maroc en France, in Le Matin du Sahara et du Maghreb, 15 novembre 2000. * 43 "Le Maroc et l'Union européenne entre association et adhésion" in Le Matin du Sahara et du Maghreb, 7 février 2001. * 44 "Le Maroc élu premier vice-président" in Le Matin du Sahara et du Maghreb du 2 janvier 2001. * 45 http://www.diplomatie.fr * 46 "L'UE critiquée par les Arabes et les Israéliens à Marseille", L. Zecchini in Le Monde, 18 novembre 2000. * 47 "Actualités du dialogue euroméditerranéen", F. Ghilès in Le Monde diplomatique, novembre 2000. * 48 Cf. sous-chapitre précédent et Wieviorka, 1998. |
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