Thomas Perrin
RAPPORT DE STAGE
Stage à la mise en scène de La
Tempête de Shakespeare sous la direction de Daniel Mesguich
Comédie Française
Décembre 1997 - janvier 1998
Licence de Conception et mise en oeuvre de projets
culturels
Université Paris VII - Denis Diderot
Responsable de stage : Anne de Baecker
Introduction
Etant particulièrement attiré par le
théâtre en tant que milieu professionnel, le fait d'avoir obtenu
un stage à la mise en scène me convenait parfaitement. En effet
c'est plutôt le côté artistique et non administratif du
théâtre que j'affectionne.
Le terme de stage à la mise en scène est assez
vague. Mais ce qui comptait le plus à mes yeux, c'était que le
metteur en scène soit Daniel Mesguich, quelqu'un de confirmé dans
son activité, et que le lieu du stage soit la Comédie
Française : un lieu théâtral quasi-mythique, en tout
cas prestigieux. J'ai donc suivi ce stage avec beaucoup d'intérêt
et de motivation, beaucoup de plaisir aussi.
Présentation
La Comédie Française
C'est un des cinq Théâtres Nationaux de France,
mais c'est surtout le plus ancien : fondé en 1680 par la fusion de
la troupe des comédiens de l'Hôtel de Bourgogne avec l'Illustre
Théâtre de Molière. Aujourd'hui c'est un Etablissement
Public à Caractère Industriel et Commercial ( EPIC ) soumis
à un certain nombre de droits et obligations: subvention annuelle
votée par Parlement dans le cadre de la Loi de finances, administrateur
nommé par arrêté du Ministère de la Culture-l'actuel
administrateur est Jean-Pierre Miquel.
Le répertoire de ce théâtre se doit
d'être classique, en général plutôt français
mais ouvert à tous les auteurs: actuellement on y joue Rodogune
de Racine, La Cerisaie de Chekhov, Les Fourberies de Scapin
de Molière, Agatha de Marguerite Duras, et bien sûr
La Tempête de Shakespeare.
La Comédie Française est un des principaux
ambassadeurs du théâtre français dans le monde entier et
organise depuis très longtemps des tournées internationales.
Dernièrement elle a participé aux rencontres de "La Saison
Française à Londres", manifestation théâtrale qui a
eu un grand succès.
Le budget est très important et permet de
déployer des moyens conséquents à chaque spectacle , ne
serait-ce que pour rémunérer le troupe permanente de
comédiens. La Comédie Française a son propre atelier de
décors , et sa propre équipe de costumiers. C'est une "maison"
très grande du théâtre français, qui se suffit
à elle-même, ce qui est assez rare. Mais dans ce cas-là le
soutien de l'Etat- principalement par les subventions- est déterminant.
D'ailleurs l'utilisation des fonds alloués à la Comédie
Française fait l'objet d'un contrôle annuel qui permet de
justifier l'importance des subventions publiques.
Daniel Mesguich
Metteur en scène, acteur et directeur de
théâtre, il a été formé au Conservatoire
national supérieur d'art dramatique de Paris par Antoine Vitez et Pierre
Debauche.
Depuis ses débuts au milieu des années 70 quand
il mit en scène Le Château de Kafka, il n'a cessé
de travailler en alternant les rôles- pour François Truffaut,
Ariane Mouchkine, Luis Bunuel entre autres-et les mises en scènes- au
théâtre et à l'opéra. Sa toute dernière mise
en scène a eu lieu au Corum de Montpellier et il s'agit de
l'opéra Wozzek d'Alban Berg.
Il a dirigé le Centre Dramatique National de
Saint-Denis de 1986 à 1988, et actuellement depuis 1991 il dirige celui
de Lille. Ce n'est pas sa première mise en scène à la
Comédie Française : il y a déjà
présenté Mithridate de Racine, et l'année
dernière La Vie Parisienne de Jacques Offenbach. Les francs
succès de ces deux spectacles ont incité la direction du "
Français" à lui laisser carte blanche pour l'entrée au
répertoire de La Tempête.
La Tempête
Cette pièce a une position clef dans l'oeuvre de
Shakespeare puisqu'il s'agit de la dernière. Cela se ressent d'ailleurs
dans la nostalgie inhérente au personnage de Prospéro, qui lui
aussi est à la fin de sa vie.
Le génie shakespearien fait de cette pièce un
mystère, et Daniel Mesguich signale dès le départ que
plusieurs pistes d'interprétation sont possibles : faut-il croire
à l'intrigue ou bien tout ceci n'est qu'un long rêve, le
rêve de Prospéro que Shakespeare nous raconte?
A ce propos Peter Greeneway, lorsqu'il a porté à
l'écran sa vision de La Tempête dans le film
Prospero's Book, il a fait parler tous les personnages de l'histoire
avec la voix de Prospéro, comme s'ils n'étaient que de simples
projections de son inconscient, ou nés de son pouvoir magique.
Certains thèmes sont typiquement shakespearien :
la trahison du frère, le théâtre dans le
théâtre, la symbolique des chiffres, les thèmes comiques
masquant une tragédie, et Daniel Mesguich en tient évidemment
compte dans sa mise en scène. D'après lui La
Tempête est l'oeuvre testament de Shakespeare, où il a
laissé son esprit brillant et sa virtuosité poétique une
dernière fois s'exprimer. Autant dire que s'attaquer à la mise en
scène d'une telle oeuvre est pour tout metteur en scène un
défi, en même temps qu'un plaisir.
Mission et déroulement du stage
Comme on me l'avait indiqué, mon stage concernait la
mise en scène de La Tempête.
Daniel Mesguich a évidemment ses propres assistants qui
travaillent avec lui depuis très longtemps. Xavier Maurel a traduit
La Tempête avec Daniel Mesguich, et a participé à
la mise en scène : il figure d'ailleurs sur l'affiche du spectacle
en tant que collaborateur artistique. Il y a aussi Alison Hornus qui est
l'assistante à la mise en scène : elle note le travail
effectué en répétition-indications scéniques, etc.-
et organise les emplois du temps.
En ce qui me concerne, ainsi que les autres stagiaires, il
s'est donc agi d'un stage d'"observation non participante". Ce n'en fut pas
moins enrichissant : j'ai pu suivre la façon de travailler de
Daniel Mesguich lorsqu'il met en scène du théâtre. Le fait
d'assister à la mise en scène dans le sens passif de "regarder"a
donc beaucoup amélioré ma perception et ma compréhension
du milieu théâtral professionnel.
Les premiers jours des répétitions furent
consacrés aux lectures du texte "à la table"; ce n'est
qu'après avoir assimilé et maîtrisé les mots et le
sens que l'on s'attaque à l'art dramatique en répétant
vraiment les scènes.
Les lectures et répétitions avaient lieu dans un
premier temps en salle Escande-du nom d'un ancien administrateur-:une grande
salle au sous-sol où la scénographie est
matérialisée par des chaises ou des traces au sol. C'est
là qu'on peut régler et peaufiner le jeu des acteurs, les
émotions, les déplacements. Puis peu à peu on
répète de plus en plus sur le plateau, c'est-à-dire la
salle Richelieu où la pièce sera vraiment
représentée, une des plus belles salle de Paris, à
l'italienne, rouge et or, qui date de 1790 : ici on essaye d'adapter le travail
fait en salle Escande face à la réalité de cet espace
scénique et face à la technique, importante sur ce spectacle.
Les horaires étant peu contraignant j'ai eu la chance
de pouvoir assister à la plupart de mes cours pendant le stage.
Le travail du metteur en scène
Le metteur en scène , bien qu'absent de la
représentation, a un rôle central dans l'élaboration de la
pièce.
Daniel Mesguich a une attitude très littéraire
par rapport au texte : il cherche la symbolique, l'intelligence du texte.
Il analyse plusieurs possibilités d'interpréter le texte, et son
analyse est toujours très poussée. D'autre part la poésie
du langage est importante : elle amène de la beauté au texte
et Daniel Mesguich le rappelle constamment : La Tempête est
un long poème et cet aspect du texte ne doit pas être
négligé. Le metteur en scène "représente" donc son
interprétation personnelle du texte. Pour cela il s'appuie sur le jeu
des acteurs: il leur explique son idée pour qu'ils puissent la dire.
C'est lui qui leur indique l'intention à exprimer et l'intonation
à prendre, l'arrière-plan psychologique du personnage. Chaque
réplique est travaillée en détail, surtout lors des
lectures, depuis la simple prononciation des mots jusqu'à leur
portée symbolique et émotionnelle. Il faut aussi régler
les positions, déplacements et gestes des acteurs, qui peuvent signifier
quelque chose, symboliser une idée du metteur en scène. Il faut
aussi veiller à répartir les acteurs dans l'espace
scénique de manière équilibrée et
esthétique, et cette part de travail "physique" est proche d'un travail
de chorégraphe. Daniel Mesguich le reconnaît d'ailleurs et
envisage l'idée d'être aidé d'un chorégraphe de
métier.
La compréhension et le plaisir du public sont
très importants pour Daniel Mesguich :il insiste pour que le texte
soit dit clairement, que le sens en soit le moins hermétique possible-
on part du principe que personne ne connaît La Tempête. La
pièce doit avoir un rythme soutenu, éviter la monotonie et les
longueurs, et Daniel Mesguich souhaite des ruptures fréquentes dans
l'art dramatique, dans les mots, dans les gestes. De plus il demande souvent
que l'on accélère le rythme de la pièce, notamment
lorsqu'il "briefe" les acteurs après les filages, car la pièce
est très longue et il faut en quelque sorte la "condenser" pour en tirer
plus d'énergie. L'obsession de la vitesse restera constante jusqu'aux
derniers filages.
Le sens doit être le plus clair possible certes, mais il
faut préserver le côté fantastique et baroque de La
Tempête, et cela se voit à travers les effets spéciaux
notamment.
Daniel Mesguich est omniprésent dans le processus de
création de La Tempête, mais ses choix ne sont pas
arbitraires: il écoute et prend en compte les nombreuses suggestions des
acteurs ou de ses collaborateurs/assistants. Il dit lui-même que
l'idée de départ n'est pas toujours la bonne, il accepte la
coopération et les conseils de la part de l'équipe. Ce qui
crée une ambiance propre à la richesse et au partage
d'idées. A tel point qu'on peut dire que la pièce revêt
l'aspect d'une création collective, néanmoins toujours
supervisée par le metteur en scène.
Texte - sens - traduction
Le support de la pièce est le texte. Le fait que Daniel
Mesguich et son collaborateur artistique Xavier Maurel aient eux-mêmes
traduit La Tempête les a menés à une analyse
profonde du texte, aussi bien sémiotique que syntaxique, ce qui leur
permet d'expliciter clairement le texte aux acteurs pendant les lectures, et
à travers eux au public.
Leur traduction fait preuve d'une grande liberté
créative. Ils ont essayé de faire en sorte qu'elle soit parfois
littérale et parfois plus en accord avec le son du texte, sa
mélodie poétique. Il y a tout un travail stylistique :
chiasme, jeux de mots, allusion au Bateau Ivre, allitérations
et assonances, même un rajout d'un texte d'Hélène Cixous
qui rehausse la poésie du texte. Tout au long des
répétitions le texte a d'ailleurs été
modifié, adapté selon la réalité du jeu, et le fait
qu'il soit enregistré sur disquette informatique était
très pratique pour ces changements.
Les chansons de la pièce ont eu leurs mélodies
créées par une chanteuse qui ensuite les a fait
répéter aux acteurs. Le masque qui est placé entre le
troisième et le quatrième acte est une création originale.
Daniel Mesguich a voulu qu'il soit le paroxysme du "théâtre dans
le théâtre": c'est une scène de Richard III
ponctuée de répliques extraites de plusieurs pièces de
Shakespeare : Roméo et Juliette, Hamlet, etc. On
retrouve là l'idée que La Tempête serait une
conclusion/résumé de son oeuvre.
Le concert baroque du début et la mise en scène
de l'arrière-plan narratif-la trahison du frère, l'ordre
particulier choisi pour la suite- commencer par la scène qui suit la
tempête pour ensuite jouer cette dernière dans un temps
rétroactif-, ainsi que le fait de matérialiser des doubles des
personnages par des poupées ; tout cela souligne la liberté
créative dont Daniel Mesguich a voulu faire preuve en mettant en
scène La Tempête. Les coupures pratiquées dans le
texte sont d'un même ordre mais répondent aussi à
l'impératif de dynamisme requis pour éviter la lassitude qu'une
pièce trop longue pourrait provoquer.
Les acteurs
Ils ont un travail important du langage- pendant les
lectures- : la diction, la prononciation, la clarté de la voix, le
rythme des répliques. Par exemple pour Daniel Mesguich il faut respecter
les alinéas du texte. Dans La Tempête certains acteurs
doivent chanter et ont pour cela travaillé avec une professionnelle.
Ils ont d'autre part un travail du corps et ont une formation
d'expression corporelle. Les déplacements, les gestes,même sans
parole peuvent signifier quelque chose, ou doivent simplement être
harmonieux, esthétiques. Encore une fois on se rapproche du domaine de
la danse mais de façon moins travaillée, moins
élaborée. Les acteurs de complément présents dans
la pièce n'avait d'ailleurs aucun texte et n'avait qu'à
travailler cette partie physique, certains d'entre eux étant acrobates
de métier.
L'acteur a aussi un travail psychologique et émotionnel
à effectuer pour définir son personnage et l'incarner face au
spectateur. Parfois des pseudo-costumes aident à se mettre dans la peau,
la posture du personnage. Daniel Mesguich a eu lui-même une formation en
art dramatique, donc il est très bien placé pour comprendre et
diriger les acteurs dans leur travail. L'art dramatique était surtout
travaillé en salle Escande, et à chaque fois les acteurs
faisaient preuve d'imagination et d'initiative, en suggérant des
idées au metteur en scène, ouvert à la concertation, leur
laissant aussi un droit de modification de leur texte.
La technique
Le décor de La Tempête est très
sophistiqué techniquement et a nécessité l'aide capitale
des machinistes et techniciens. Par exemple le milieu de la scène se
soulève pendant la tempête, et symbolise une île,
l'île de Prospéro; et le chaos dans le théâtre.
Il a fallu de nombreux essais en salle Richelieu, lors de
répétitions dramatico-techniques pour régler les effets
spéciaux : Ariel vole, tenue par des fils transparents, il y a une
machine à remonter le temps qui fait disparaître un acteur, le
rideau de scène est aspiré, une épée
s'enflamme : tout cela demande beaucoup de répétitions, pour
arriver à l'effet de "tempête" voulu par Daniel Mesguich.
D'ailleurs l'aide d'un illusioniste de métier a
été sollicitée. Le théâtre rejoint ici le
domaine du cirque, de la magie, ce qui le diversifie. Les moyens technologiques
et financiers mis en oeuvre par la Comédie Française ont
été déterminants à ce sujet. Par exemple la
régie est informatisée et les éclairages sont
réglés sur ordinateur.
Daniel Mesguich a aussi souhaité que la musique soit du
spectacle: elle peut aider à indiquer le sens, à souligner
l'effet dramatique, à aider les acteurs, à accompagner les
rideaux qui ponctuent les scènes. Elle est très présente
dans ce spectacle. Des séances spéciales ont été
consacrées au choix des musiques : beaucoup de son a
été repris des pièces précédentes de Daniel
Mesguich, car il conserve les musiques sur mini-discs ou DAT. Là encore
l'équipe fait preuve d'une grande modernité technologique, comme
lorsqu'il a été décidé pour le masque de faire
parler les acteurs dans des micros déformant la voix de manière
surprenante.
La vidéo a aussi été utilisée lors
de certaines répétitions pour aider à corriger et
améliorer la mise en scène et l'art dramatique.
Quant aux costumes, maquillages et coiffures, ils sont aussi
importants, car ils modifient la perception que le public peut avoir du
personnage, et permettent aux acteurs de mieux incarner leur rôle. Ils
sont apparus plutôt vers la fin des répétitions, comme pour
parfaire le travail déjà accompli.
Daniel Mesguich a donc accordé une grande part à
la technique dans sa mise en scène, ce qui a permis des effets
spectaculaires voulus par l'esprit baroque de La Tempête.
Là encore on voit que le théâtre ne se limite pas au texte
ou à l'art dramatique, mais sollicite d'autres disciplines
extra-artistiques.
Conclusion
Ce stage m'aura donc permis d'apprendre et d'analyser le
processus de mise en oeuvre d'une pièce de théâtre, les
différentes phases et les différents "acteurs" de cette
création; tout cela dans un cadre privilégié et bien
spécifique du milieu théâtral français, et dans une
ambiance accueillante et sympathique.
Je le considère comme une très bonne
expérience du monde du théâtre, en tant que milieu
professionnel.
J'ai pu me rendre compte que le théâtre peut
être le moteur d'une formidable richesse créative et artistique
par l'inter-disciplinarité, ou ne serait-ce que par la rencontre entre
le texte et le corps.
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