CONCLUSION GENERALE
Après la prise de possession du Kamerunstadt
(l'actuelle ville de Douala) à la faveur du traité germano-douala
du 12 juillet 1884 et l'appropriation par la force de l'arrière pays
quelques années plus tard, les allemands s'installent à Dschang
vers 1903, date probable de naissance de cette ville aujourd'hui universitaire
au passé colonial riche.
Pour matérialiser leur présence dans
cette ville, pour des besoins de sécurité, d'administration et
d'exploitation des richesses, Allemands d'abord et Français vont y
édifier à l'aide d'une main d'oeuvre locale, forcée et
gratuite, de nombreuses infrastructures.
La mise en valeur ou le pillage des ressources du sol
et du sous sol avait fortement besoin des grandes constructions comme les
infrastructures administratives, routières et ferroviaires.
Quant au financement, il venait directement de la
métropole et était géré par les
représentants de la mère patrie à des échelons
divers. Pour le cas allemand par exemple, c'est le gouverneur du territoire qui
tranchait les questions budgétaires après avoir consulté
la métropole et ordonnait aux Chefs de circonscription la
répartition. Entre les deux guerres mondiales, les Français n'ont
presque pas investi à cause des idées pro-allemandes qu'ils
combattaient chez les Camerounais. C'est à partir de la fin de la
Deuxième Guerre Mondiale qu'ils commencent à investir
véritablement dans les colonies en espérant avoir de bons
rendements. Ce financement s'est fait à travers le FIDES pendant une
période de dix ans (19471957).
L'Allemagne étant la première puissance
européenne à s'installer au Cameroun, ses citoyens ont construit
leurs premiers bâtiments en s'inspirant des techniques autochtones et en
utilisant le matériau trouvé sur place. Le tout premier
bâtiment de la mission centrale de Dschang, construit par les
pères pallotins, en est une illustration parfaite car il a
été construit en bois et en paille. Jusqu' à
l'arrivée des
132
Français à Dschang en 1920, la technique
avait beaucoup évolué et a d'ailleurs continué jusqu'au
béton armé (ce que l'on utilise aujourd'hui).
La majorité des infrastructures coloniales est
encore visible dans la ville de Dschang. On peut les recenser dans plusieurs
domaines à savoir le domaine politico-administratif, le domaine
socio-économique et le domaine culturel et religieux. Néanmoins,
une partie connait de sérieux problèmes de
conservation.
Plusieurs facteurs influencent la destruction des
vestiges coloniaux dans la ville de Dschang. Nous en avons retenu trois, le
premier est lié aux facteurs climatiques qui à travers les
différents éléments météorologiques (pluie,
humidité, vent et alternance chaleur/humidité...), frappent ces
vestiges depuis au moins soixante cinq ans. Ensuite nous avons l'inaction de
l'homme qui se manifeste par la négligence et l'abandon des vestiges en
question. Cette action négligente de l'homme participe à la
destruction des vestiges et donc au risque d'effacement de l'histoire de toute
la région parce que Dschang, depuis sa création a toujours
été au centre de l'administration coloniale. Enfin le dernier
facteur est l'inexistence d'une politique culturelle et
l'inapplicabilité des lois existantes sur le patrimoine culturel
national. Il est clair que le Cameroun en matière de politique
culturelle ne sait pas où il va et c'est pour cette raison que plusieurs
lois ont déjà été adoptées par
l'Assemblée Nationale et promulguées par le Président de
la République du Cameroun, mais n'ont jamais été
appliquées. La conséquence directe de tous ces facteurs est la
négligence1 voire l'abandon des vestiges coloniaux qui
pourtant font aussi partie du patrimoine culturel du Cameroun.
Cette situation entraine ipso facto la destruction
progressive des vestiges coloniaux au Cameroun en général et
à Dschang en particulier. Nous avons recensé en ce qui concerne
l'état de ces vestiges trois types, à savoir ; les vestiges
coloniaux transformés, les vestiges coloniaux assombris et les vestiges
coloniaux réhabilités. Pour les premiers, ce sont ceux qui ne
sont plus repérables sur la carte de la ville de Dschang parce qu'ils
ont été détruits et dont les sites abritent actuellement
de
1 Entretien avec Etienne
Sonkin le 17 mars 2014 à son bureau
133
nouveaux bâtiments.. Les seconds sont ceux dont
les sites n'ont pas changé, fonctionnels ou pas, mais qui sont dans un
état de délabrement très avancé. Et enfin ceux qui
ont régulièrement été réhabilités et
entretenus. Ils ont gardé leurs objectifs de départ.
Il devient aisé de percevoir que c'est peut
être la mauvaise récupération de ces "projets coloniaux"
par les dirigeants de la nation après les indépendances qui
justifierait ne serait-ce qu'en partie le retard de
développement1 de ce pays. Car, comment comprendre que le
paludisme, pour ne prendre que cet exemple, fait encore aujourd'hui des ravages
dans notre pays alors qu'il existait pendant la colonisation toute une
entreprise faisant dans la production du quinquina et de sa transformation en
quinine, remède efficace contre cette maladie.
Ces vestiges coloniaux sont en train de disparaitre,
pourtant ils constituent une source indéniable de la mémoire
collective. Ce sont des monuments historiques, des constructions
destinées à perpétuer le souvenir des hommes et des
événements qui ont marqué l'histoire d'un pays, ou
même des oeuvres modestes qui ont acquis avec le temps, la valeur d'un
témoignage historique.2 Ces vestiges, s'ils étaient
conservés, pouvaient par exemple jouer un rôle très
important dans la résolution des conflits de génération
parce que ce sont des preuves réelles, donc palpables des faits
historiques réel et qui peuvent être datés dans le temps.
En plus, s'ils étaient entretenus, ils participeraient à la lutte
contre l'un des plus grands fléaux qui sévit dans les pays du
tiers monde à savoir le chômage. Des emplois peuvent en effet
être créés à la faveur d'une politique
institutionnelle de réhabilitation et d'entretien des vestiges
coloniaux, aussi minimes soient ils.
En terme de perspective, notons que le travail de mise
en valeur des vestiges coloniaux dans la ville de Dschang doit être fait
avec beaucoup de minutie et ce n'est pas l'affaire d'une seule personne, ou de
la Mairie tout simplement, ou encore des dirigeants de l'Etat ou enfin, de la
communauté internationale à travers L'UNESCO.
1 Entretien avec Jean Claude
Tchouankap, le 14 mai 2014 à son domicile.
2 Esther Bernadette S.
Nkengmo, « Musées et Monuments historiques... p56.
134
C'est une affaire de tous, et en tant que telle une
mobilisation générale soutenue par une bonne politique culturelle
en République du Cameroun est impérative1. Car, c'est
chaque Etat qui définit sa politique culturelle en fonction de ses
besoins et de ses objectifs présents et futurs comme l'affirme si bien
Bahoken J.C. et Engelbert Atangana :
les politiques culturelles sont aussi diverses que les
cultures elles-mêmes, il appartient à chaque état membre
[de l'UNESCO] de déterminer et d'appliquer la sienne, compte tenu de sa
conception de la culture, de son système socio-économique, de son
idéologie politique et de son développement
technologique2.
Puisque les contacts entretenus de gré ou de
force avec les populations européennes installées au Cameroun
depuis le XVIIIe siècle ont emmené les peuples camerounais
à introduire de nouvelles normes dans leur univers social, politique et
psychique, il devient normal qu'il y ait une sorte de symbiose
culturelle3 dans les pays ou la volonté de retrouver une
certaine authenticité culturelle amène les individus et les
groupes à remodeler les éléments culturels
étrangers pour construire des modèles originaux.
En outre, il faudrait que l'Etat du Cameroun
crée un bureau autonome ou une direction autonome du patrimoine qui
« ne soufre pas en permanence de l'absence de concepts appropriés,
d'équipements techniques et de moyens financiers, toutes conditions d'un
fonctionnement efficace4 » qui sera chargée de la
conservation du patrimoine et qui ne dépendra pas matériellement
du Ministère des arts et de la culture. Car en dehors du centre
fédéral linguistique et culturel crée par décret
n° 62/DF/108 du 31 mars 1962 jusqu'à la direction du patrimoine
culturel actuelle, qui fait partie de l'administration centrale du
Ministère des Arts et de la Culture, en passant par la Direction des
Affaires culturelles du Ministère de l'éducation, de la jeunesse
et de la culture crée par décret n°68/DF/268 du 12 juillet
1968 et du
1 Entretien avec Feromeo
Nguimebou Keumbou, le 05 juin 2014 dans son atelier à la Chefferie
Foreké-Dschang
2 J.C. Bahoken et
Engelbert Atangana, La politique culturelle en République Unie du
Cameroun, Paris, UNESCO, 1975, p.5.
3 Ibid. p.17.
4 Kevin Mbayu, « La
conservation de l'héritage historique...p.135
135
Ministère de l'Information et de la Culture, il
n'y a pas de structures publiques autonomes chargées de la gestion du
patrimoine culturel. Cette structure qui doit être le lieu de rencontre
des chercheurs venant de disciplines différentes comme le
démontre Kevin Mbayu :
il faudrait que tous les organismes et les personnes
qui participent à la recherche concernant la conservation du patrimoine
pratiquent au maximum une approche interdisciplinaire systématique . .
.qui assure l'intégration des informations fournies par les
différentes sciences de la nature, la sociologie et l'architecture des
paysages1.
Le rôle de cette structure consistera à
sensibiliser, conserver et protéger, restaurer ou réhabiliter et
enfin entretenir le patrimoine culturel.
Il est question ici de sensibiliser tous les citoyens
du Cameroun et même les étrangers sur la nécessité
de protéger cette fortune que sont tous ces vestiges. Cette action peut
se faire à travers plusieurs moyens à l'instar des affiches, des
tracts, les informations de bouche à oreille, des panneaux
signalétiques et surtout à travers les réseaux sociaux et
les sites appropriés des technologies de l'information et de la
communication2 où se connectent un grand nombre de
personnes.
Cette tâche revient en principe aux
spécialistes qui sont les Restaurateurs, les Muséologues, les
Historiens, les urbanistes etc. La réhabilitation des usines à
café et du quinquina par exemple fera d'elles des musées
respectivement du café et du quinquina dans la ville de Dschang avec,
à l'entrée de chaque site, une plaque signalant l'entrée
du musée avec un aperçu sur l'historique de chaque
plante.
Pour ce qui est des lois, Il est vrai que depuis les
indépendances certaines ont déjà été
adoptées en faveur de la protection du patrimoine à l'instar de
la loi n°63/22 du 19 juin 1963 portant sur la protection des monuments,
des objets et des sites à caractère historique ou artistique ou
encore la plus récente, la loi n°2013/003 du 18 avril 2013
régissant le Patrimoine Culturel au Cameroun, mais ces lois restent
encore sécrètes3 car elles ne sont jamais sorties des
tiroirs, il y a très peu de Camerounais qui
1 Kevin Mbayu, « La
conservation de l'héritage historique. . .p136.
2 Pierre de Maret, «
Patrimoines africains : plaidoyer ...p.24
3 Esther Bernadette S.
Nkengmo, « Musées et Monuments ... p56.
136
sont au courant même de leur existence. Il est
question donc ici de la vulgarisation et de la véritable mise en
application de celles-ci.
Il est certain que cela exigera beaucoup de moyens
financiers et matériels ; mais c'est le prix à payer pour pouvoir
sauver notre histoire. Nous ne voulons pas une conservation
désordonnée du patrimoine, mais celle qui va dans le sens
proposé par Bruno Favel dans la préface de l'ouvrage
intitulé Architectures modernes, l'émergence d'un
patrimoine, quand il dit :
Conserver l'architecture du XXe siècle
constitue un défi important tant pour les institutions publiques que
pour les architectes chargés de projets de restauration et de
réhabilitation. C'est une pratique exigeante qui implique de travailler
avec des édifices qui ont atteint un statut de mémoire collective
et dont l'héritage est précieux1.
Si la sensibilisation et la restauration sont bien
faites, il ne reste plus que l'entretien régulier de ces vestiges
coloniaux pour qu'ils soient en forme tout le temps. Les touristes nationaux et
internationaux pourront enfin passer apprécier les constructions
coloniales dans la ville de Dschang après un demi-siècle
d'indépendance. Il faut surtout éviter comme l'affirme Pierre de
Maret de « prétendre valoriser le patrimoine d'une population sans
tenir compte d'elle, c'est un non-sens, c'est un danger dans la mesure
où l'on risque de créer un rejet vis-à-vis de ce
patrimoine2 ». Il faut que les gens se reconnaissent dans ce
qu'on présente comme leur patrimoine. Celui-ci en tant que possession
collective d'un groupe, transmis depuis un passé proche ou lointain, est
une base de la construction identitaire.
Avant ou après la restauration des vestiges
coloniaux et sur la base de la carte que nous avons élaborée au
Chapitre 3, il est possible que les touristes puissent les visiter à
condition qu'un certain nombre de problèmes soient résolus. Nous
pouvons citer, entre autres, le problème d'intimité des citoyens
camerounais vivant dans ces bâtiments, le caractère fonctionnel de
certaines infrastructures et l'appartenance divergente de ces constructions aux
différents ministères de la République du
Cameroun.
1 Casciato De Maristella, et
Emilie D'orgeix, Architecture moderne... p.7.
2 Pierre de Maret, «
Patrimoines africains : plaidoyer pour...p.25
137
Les citoyens camerounais vivant au camp des
fonctionnaires new town de Foto n'accepteraient pas qu'à chaque fois,
les touristes viennent leur poser des questions sur leurs bâtiments ou
viennent faire des études en entrant à l'intérieur de
leurs maisons. Ils sentiraient leur intimité violée. En plus
l'actuelle sous-préfecture de Dschang, étant un lieu de service
public, ne saurait faire partie des lieux touristiques. Les bâtiments
relevant de la haute sécurité de l'Etat du Cameroun et qui font
partie des vestiges coloniaux ne sauraient faire partie d'une partie de
plaisir, nous pouvons citer ici, la gendarmerie nationale, les commissariats
central et spécial...
En outre, le caractère fonctionnel de certaines
infrastructures comme la régie de production d'électricité
à Dschang ne sauraient permettre qu'elles deviennent des lieux
touristiques parce qu'elle joue encore un rôle assez important dans la
distribution de l'énergie électrique à
Dschang1. En effet, avec le système turboalternateur, la
régie sert de base de transformation pour l'énergie
électrique venant de Mbouda. Et pour la sécurité
même des touristes, on ne peut accepter qu'ils se promènent aux
environs de ce lieu où le risque d'être électrocuté
ou d'être foudroyé par des rayons émis par ce
système est trop grand. Au sujet de la réhabilitation de la
régie, Etienne Sonkin nous fait savoir qu'elle ne peut pas bien
fonctionner, car la turbine qui transformait l'énergie cinétique
en énergie électrique avait été enlevée. En
plus, le débit d'eau venant du lac Municipal de Dschang est
extrêmement faible et ne peut donc pas produire l'énergie
permettant d'alimenter le seul quartier dans lequel l'installation se
trouve2.
Enfin, le fait que les vestiges relèvent, en
termes de fonctionnalité, de la compétence des différents
Ministères pose un problème d'harmonisation et surtout du
processus de réhabilitation de ces vestiges3. A titre
illustratif, le camp des fonctionnaires, la sous-préfecture, bref, tous
les bâtiments publics dépendent du Ministère de l'Urbanisme
et de l'Habitat, la régie de production d'électricité
dépend
1 Entretien avec Etienne
Sonkin le 17 mars 2014 à son bureau
2 Idem
3 Idem
138
du Ministère de l'énergie et de l'eau,
le Centre Climatique dépend du Ministère du tourisme. Il faut que
chaque Ministère donne le quitus pour que la procédure de
restauration soit engagée et ceci ne peut être possible que s'il y
a véritablement une volonté politique, une véritable
politique de gouvernance en matière de promotion du
tourisme.
Comme nous pouvons le constater, ces problèmes
dépendent de la plus haute autorité politique du pays et nous
proposons, après l'inventaire des vestiges coloniaux que nous venons de
faire, qu'une certaine distance soit observée entre les touristes et les
objets touristiques. On peut se contenter pour un début,1 de
faire des analyses, à partir de l'extérieur, sur les formes de
ces bâtiments encore fonctionnels de nos jours. Pour les autres
bâtiments non fonctionnels, les études vont être plus
approfondies puisqu'on peut avoir la possibilité d'y entrer, comme
l'usine de traitement du quinquina par exemple. Enfin, le Cameroun a
intérêt à copier l'exemple des pays européens
où le culturel et la protection du patrimoine sont très
développés et contrôlés comme en Allemagne où
il existe plusieurs services spécialisés et la protection du
patrimoine constitue même une discipline étudiée dans les
universités2. Ceci dans le but de constituer une conscience
collective efficace en faveur de la conservation et la valorisation de ce
patrimoine.
1 L'administration
camerounaise semble ne pas être prête pour le moment vu les
coûts matériels et humains énormes que demande la
réhabilitation de ces vestiges
2 Yves Aurélien Kana
Donfack, "Evolution de l'habitat traditionnel... p.170.
139
|