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Comment la forêt traverse les hommes, étude des représentations de l'écosystème forestier la Ceiba au Costa Rica


par Marion Picard
Université Lumière Lyon 2 - Master 1 Anthropologie 2020
  

Disponible en mode multipage

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Université Lumière Lyon 2 Faculté d'Anthropologie

Note d'avancement du Mémoire

Comment la forêt traverse les hommes

Étude des représentations de l'écosystème forestier La Ceiba au Costa Rica

Pont d'accès à La Ceiba (Credit : Jaguar Rescue Center)

Marion Picard, juin 2020

Sous la direction de Béatrice Maurines et de Julien Bondaz
Dans le cadre du Master 1 Anthropologie

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REMERCIEMENTS

J'aimerais remercier chaleureusement l'équipe du Jaguar Rescue Center, et notamment Encar et Nerea, pour m'avoir accueilli au sein de la fondation et sans qui ce travail n'aurait vu le jour. C'est avec une passion sincère que ses membres m'ont transmis leurs volontés, leurs savoirs, leurs inquiétudes et leurs espoirs. Je pense notamment à mes managers, Ashley et Auger, qui m'ont fait découvrir la beauté de la faune et de la flore costaricaine, et m'ont tant appris. Mais je n'oublie pas mes compagnons volontaires, Daniel, Nanouk, Victor, Manuela, Pablo, Julie, Mona, Emma et Laura, que je remercie pour les moments précieux que nous avons partagés ensemble à La Ceiba. Et bien sûr, la forêt, qui m'a tant offert en me laissant entrevoir son monde, et dont j'espère me souvenir à jamais de l'effet de son omniprésence.

J'aimerais également remercier sincèrement mes directeurs de recherche, Béatrice Maurines et Julien Bondaz, pour leur bienveillance et leur soutien tout au long de cette année particulière. Leur collaboration m'a été d'une grande aide pour construire ce travail et l'enthousiasme qu'ils y ont porté ont été un véritable moteur. Grâce à leurs encouragements et à leur confiance, j'ai pu accomplir mes objectifs sereinement et construire mes projets futurs, qui n'auraient probablement pas abouti sans l'attention sincère de Béatrice Maurines.

Je tiens à remercier Denis Cerclet, qui, m'ayant suivi l'année passée, m'a apporté des conseils d'une richesse intellectuelle émérite. Sa vivacité d'esprit et son soutien m'ont permis d'avancer sur le terrain sans m'y égarer. Je remercie également Martin Soares pour ces encouragements sincères en début d'année 2018, qui m'ont permis d'aborder le terrain avec confiance.

Enfin, un grand merci à mes camarades de promotion, pour la richesse de leurs échanges, à mes colocataires et compagnons de confinement, à mon plus proche ami, pour son aide et son soutien dans la rédaction de ce travail, et à ma mère, qui, malgré les aléas de la vie, m'a toujours apporté un soutien financier et émotionnel inconditionnel.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 4

I. LA FORÊT, DANS LA SPHÈRE DE L'ANTHROPOLOGIE DE LA NATURE 6

1. Émergence de la question de la forêt en anthropologie 6

a. La question de la nature en anthropologie 7

b. L'intérêt pour l'objet forêt dans le courant de l'anthropologie de la nature 8

2. Aborder la forêt en anthropologie 9

a. La forêt : un objet d'étude à angles multiples 9

b. Manières d'aborder la forêt dans cette étude 11

II. LA FORÊT DE LA CEIBA ET SES PROTAGONISTES 13

1. Terrain d'enquête : La Ceiba 13

a. Généralités botaniques sur les forêts équatoriales au Costa Rica 13

b. L'inscription de La Ceiba dans le Refuge national de vie sylvestre Gandoca Manzanillo 16

c. La Ceiba 19

2. Les enquêtés : le collectif du Jaguar Rescue Center 21

a. Généralités sur la fondation du Jaguar Rescue Center 21

b. Le Jaguar Rescue Center, un zoo nouveau ? 23

c. Le collectif à La Ceiba 25

III. CONSERVATION, ÉCOTOURISME, ET RÉHABILITATION : VISIONS DE L'ESPACE

FORESTIER 27

1. Les champs thématiques issus des premières observations de terrain 27

a. La conservation de la forêt 27

b. L'écotourisme, producteur d'images de la forêt 30

c. La réhabilitation à travers l'éthique du care : une instrumentalisation de la forêt 34

2. Émergence et formulation de la problématique 37

IV. AU PLUS PRÈS DU TERRAIN 40

1. Accès au terrain 40

a. Démarches et prise de contact 40

b. Payer sa place 41

2. Méthodologie appliquée sur le terrain 43

a. La participation observante et ses biais 43

b. Le choix des informateurs et les conversations informelles 44

c. Biais méthodologiques liés au sujet de l'étude 46

3. Choix rédactionnels 47

a. L'emploi du « je » méthodologique 47

b. Un état de l'art parsemé 47

CONCLUSION 49

RÉFÉRENCES 50

ANNEXES 55

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INTRODUCTION

« La Ceiba is not a fucking jardin. »

Voici la manière dont mon manager Auger commentait le travail d'un collègue qui taillait à ras la végétation forestière, ne laissant que l'herbe pousser. Il s'indignait de cette manière de faire : La Ceiba n'était pas un jardin, elle n'avait pas à être traitée ainsi.

Cette parole m'a conduit à construire mon enquête autour de la forêt, conçue non pas comme une entité indépendante de l'humain mais comme un microcosme englobant « des gens et des arbres qui ont fait histoire les uns avec les autres, les uns par les autres, et jamais indépendamment de leurs connexions à d'autres encore » (I. Stengers, 2017, p. 12).

La Ceiba est une zone privée, délimitée par des frontières invisibles, qui appartient au collectif du Jaguar Rescue Center depuis 2014, une fondation d'origine européenne qui pratique la prise en charge de la faune costaricaine. Elle s'inscrit dans l'histoire de ce collectif, tout comme il s'inscrit dans la sienne. Située sur la côte Sud-Est du Costa Rica, au coeur du Refuge National de Vie Sylvestre Gandoca-Manzanillo, elle se compose d'une seule unité biotique : la forêt dense équatoriale.

Dans l'ontologie occidentale, la définition de la forêt rend souvent compte d'un écosystème abritant une large communauté d'espèces non-humaines animales et végétales, mis en valeur à travers des fonctions économiques, écologiques ou sociales. La forêt est souvent perçue selon les bénéfices qu'elle apporte à l'humain, tantôt productrice de matières premières, tantôt réservoir de ressources nécessaires et jugées fragiles. Pourtant, cette définition est loin d'être universelle ou même de l'avoir été.

Depuis l'origine de l'humanité, l'être humain arpente les forêts, évolue en son sein, et entretient avec elles des relations tout aussi diverses que les époques dans lesquelles elles se situent. La forêt fait partie des histoires humaines (G. Michon 2003), et sa définition évolue avec celles-ci. Quelle est l'histoire de la forêt pour le collectif du Jaguar Rescue Center ?

Engagée en tant que volontaire auprès du collectif, j'ai essayé d'apprendre à voir la forêt avec les yeux de ses membres humains et d'intégrer au mieux leurs pratiques. Il m'a alors semblé que le collectif du Jaguar Rescue Center cristallisait un ensemble de représentations singulières du

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monde végétal non-humain, lisibles à la fois dans les pratiques et dans les discours. De là, je me suis interrogée sur les bases conceptuelles ayant menées le collectif à interagir de façon si directe avec la forêt, et dont découle des visions particulières du monde végétal.

Pour aborder ce questionnement, je commencerai par situer l'objet forêt dans le champ de l'anthropologie de la nature et par rendre compte de la multiplicité des manières de l'aborder. Par la suite, à travers une succincte analyse, je présenterai La Ceiba, en tant que terrain et objet d'étude, ainsi que le Jaguar Rescue Center, qui détient la particularité d'intégrer à la fois des humains et des non-humains animaux dans son collectif.

Je tâcherai alors de problématiser les représentations de la forêt des membres humains du collectif à partir de thématiques sous-tirées des premières observations de terrain, à savoir la conservation, l'écotourisme, et la réhabilitation. Cela me permettra d'effleurer certaines pistes d'analyse aboutissant à la problématique.

En dernier lieu, je discuterai la méthodologie employée pour aborder le terrain en tant qu'apprentie anthropologue, en mettant en évidence les biais qui en découlent.

La forêt de La Ceiba est soumise à des représentations multiples que la démarche anthropologique aide à mettre en évidence. Cette note d'avancement aura pour projet d'éclairer la diversité des manières de percevoir la forêt à travers les yeux, les mots et les pratiques des humains du collectif du Jaguar Rescue Center ; elle amorcera alors une réflexion sur un hypothétique changement de paradigme des représentations de la forêt dans les consciences européennes, passant d'un monde hostile à un monde vulnérable.

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I. LA FORÊT, DANS LA SPHÈRE DE L'ANTHROPOLOGIE DE LA NATURE

S'il existe quelques études anthropologiques à ce sujet, je pense notamment à celles d'Eduardo Kohn et de Paulin Kialo publiée respectivement en 2017 et en 2007, la forêt reste un objet timide et récent dans le domaine des sciences sociales. Loin d'être traitée par l'anthropologie générale (S. Froidevaux, 2007), la forêt s'étudie à travers des champs de l'anthropologie aussi divers que le suggère la multiplicité de son caractère, si bien que c'est « aujourd'hui un terrain contesté » (R. Hardin, 2005, pp7). Elle peut ainsi être l'objet de l'ethnolinguistique, étudiant l'expression de la culture à travers le langage, de l'anthropologie économique et de l'anthropologie du travail, qui s'intéressent aux organisations collectives mises en place par les sociétés humaines et à leurs rapports d'exploitation et de production des biens (F. Gollain, 2001), de l'anthropologie environnementale, émergente avec les idées récentes de gestion et de protection de l'environnement (R. Hardin, 2005). En somme, d'autant de sous champ anthropologique qu'il existe de pistes de lecture de l'objet forêt.

Dans cette étude, c'est à travers le champ de l'anthropologie de la nature, introduit en 2001 par Philippe Descola au Collège de France, que je m'intéresserai à la forêt. Ce champ questionne la nature des relations entretenues par les hommes avec leurs espaces de vie et les non-humains et, j'y viendrai, actionne l'idée d'une pluralité des ontologies humaines.

Parler de l'objet forêt à travers ce champ de recherche permet d'interroger le rapport qu'entretient l'humain avec celle-ci et d'appréhender l'ensemble des concepts et outils qui lui permettent de concevoir cet écosystème complexe et particulier en sachant que « l'apparente unité du terme « forêt » cache la diversité des représentations que chaque société se fait de l'espace forestier » (G. Michon, 2003, pp15).

1. Émergence de la question de la forêt en anthropologie

L'origine des travaux sur la forêt en anthropologie émane d'un intérêt pour ce qu'elle nomme les « peuples de forêt », vivant pour la plupart en forêt équatorienne, et notamment dans les termes de leur intégration avec l'environnement (R. Hardin, 2005). Ce fût un sujet d'étude renommé de la discipline à partir du XXème siècle, entraînant la marginalisation de ces collectifs (Ibid.). Or, l'étude du rapport qu'entretient les sociétés humaines avec cet objet pluriel dans des

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cadres plus globaux n'émerge que récemment, en parallèle de l'intérêt anthropologique pour la question de la nature.

a. La question de la nature en anthropologie

En France, l'intérêt anthropologique pour la question de la nature s'est éveillé à la fin du XXeme siècle et à pris forme au début du XXIème, à travers les travaux de Philippe Descola, fort influencé par l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss. Cet anthropologue inspiré des Achuars, peuple d'Amazonie auprès duquel il exerça trois années de terrain avec sa compagne Anne-Christine Taylor, s'est porté au-delà des conjectures expliquant les rapports humains avec la nature par un certain déterminisme culturel ou environnemental, et a permis de poser la nature comme « un fétiche propre [à l'Occident] » (P. Descola, 2017) ouvrant ainsi les portes à de toutes nouvelles réflexions critiques.

En effet, Philippe Descola détermina l'origine épistémologique de la dichotomie nature/culture et mit en évidence que ce découpage particulier du monde, nommé le Grand Partage, a fait naître une façon tout à fait singulière de percevoir les réalités du monde, autrement dit, une ontologie relative au monde occidental appelée le naturalisme (Ibid.). Il en appelle alors à repenser avec une nouvelle intelligence l'étude des manières de composer le monde par le biais d'un détour ontologique ne prenant pas en considération la dissociation nature/culture pour base de lecture. Ce détour a pour but de mettre en évidence les origines de l'identification du monde des collectifs enquêtés, afin de saisir la forme profonde et générale de leurs interactions avec les êtres, humains et non-humains, qui le compose (Ibid.). Philippe Descola innove ainsi et abouti à une science générale des êtres et des relations se portant au-delà de la science sociale en intégrant à la fois la philosophie, l'éthologie, la sociologie, la psychologie, l'écologie, les sciences historiques, la cybernétique. (Ibid.).

Eduardo Kohn cherche à s'émanciper de l'interprétation anthropocentrée des sciences sociales d'une toute autre manière. En s'appuyant sur la théorie sémiotique de Charles Sanders Peirce, l'anthropologue canadien aborde une anthropologie au-delà de l'humain en instaurant un cadre interprétatif novateur, basé sur une interprétation sémiotique des phénomènes. Tout comme Philippe Descola, il évolua auprès d'un peuple amazonien, les Runas, pendant quatre ans, et inscrivit ses observations dans le débat entre nature et culture, entre humain et non-humain (J. Fayer, 2018). En revanche, il pose un cadre théorique surplombant l'interprétation symbolique

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descolienne et étend à l'ensemble du vivant la capacité d'interprétation, de représentation et de pensée, de sorte que tout être vivant animé est considéré comme un sujet actif et individuellement conscient, qu'il nomme un « soi » (E. Kohn, 2017). S'inspirant de la tradition nord-américaine, Eduardo Kohn projette ainsi la notion de pensée au-delà de l'humain et montre qu'il existe des formes de pensée plus grandes que celles des hommes, ce qu'il introduit par la formulation « les forêts pensent » et ce, dans la mesure où tout être vivant est capable d'interpréter des signes et d'agir en conséquence (Ibid.). Néanmoins, une certaine faiblesse structurelle et un flou conceptuel (J. Fayer, 2018) lui ont été reproché mais l'originalité de son approche amène une toute nouvelle réflexion sur les cadres de l'analyse anthropologique et permet de repenser ses modes d'observations.

b. L'intérêt pour l'objet forêt dans le courant de l'anthropologie de la nature

Ces auteurs emblématiques de l'anthropologie de la nature ont pour projet de repeupler les sciences sociales avec les non-humains, entendus comme tout être animé tel que les plantes, les animaux non-humains ou les esprits. Or, lorsque l'anthropologie vient à s'intéresser à l'objet forêt, c'est un ensemble complexe et diversifié de non-humains qu'elle aborde à travers l'étude des peuples humains et non un ensemble homogène et palpable.

Il existe près de mille cinq cents groupes humains en forêt équatoriale, et chacun d'entre eux adopte des modes de vie spécifiques en relation avec l'écosystème forestier (S. Bahuchet, 1993). Ils en dépendent, autant que la forêt est marquée par leur passage depuis des millénaires, de sorte qu'« il n'y a pas de forêt vierge » (Ibid., p. 11). La forêt cristallise un ensemble de relations constantes entre humains et non-humains, qui suggère que l'un ne peut être pensé sans l'autre. De ce constat d'inter-relation et d'interdépendance semble naître l'intérêt des anthropologues de la nature pour la forêt.

Par ailleurs, si la plupart des recherches contemporaines rattachées au courant de l'anthropologie de la nature concerne les forêts équatoriales et, plus précisément, les peuples forestiers, c'est, je crois, par un soucis de tradition anthropologique qui a longtemps posé comme légitime l'étude des sociétés dites non-modernes, des sociétés de l'ailleurs, voire primitives et sauvages, porté et alimenté par l'idéologie évolutionniste (P. Descola, 2017). Et bien que les débats liés à l'idée de Grand Partage tendent à dépasser les conceptions eurocentriques et anthropocentriques de la lecture des réalités sociales (Ibid.), le poids de la tradition se ressent dans

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le choix des terrains anthropologiques, bien souvent porté sur un ailleurs lointain, sur un peuple autre et marginalisé (R. Hardin, 2005), présenté comme isolé du monde.

2. Aborder la forêt en anthropologie

La singularité de l'objet forêt suggère une certaine appropriation par les sciences sociales, différente mais pas tout à fait étrangère à la définition des sciences dures, afin de comprendre les phénomènes multiples qui le sous-tendent. Il n'est pas simple d'en délimiter les contours, ou de lui donner des caractéristiques précises et strictement définies ; mais il est nécessaire de clarifier l'approche adoptée par les sciences sociales et la manière dont la forêt sera abordée dans cette étude, à la fois pour poser le cadre théorique de la recherche mais aussi pour mieux cerner son sujet.

a. La forêt : un objet d'étude à angles multiples

Aujourd'hui, il nous paraît évident que la forêt est loin de se limiter à une juxtaposition d'arbres, mais bien à une association de plantes et d'animaux, au sein de laquelle on observe de multiples interactions (L. Mathot, 2016). Dans le langage des sciences de la vie, il est question d'une « communauté de plantes et d'animaux organisée, structurée qui apparaît comme un ensemble unique possédant des propriétés collectives » (Ibid. p. 42). Autrement dit, c'est sa constitution biologique qui prime et donne à voir la forêt comme un système vivant et autonome, constitué d'une population animale et végétale dominée par les arbres (G. Michon, 2003). L'anthropologie, quant à elle, vient ajouter le facteur humain à cette définition et l'intègre dans la complexité de l'écosystème forestier, dans la mesure où chaque forêt connaît un phénomène d'anthropisation, qu'il soit direct ou indirect (S. Bahuchet, 1993 ; G. Michon, 2003 ; P. Descola, 2005 ; C. Larrère, 2015). Et si les anthropologues de la nature s'accordent plus ou moins sur cette définition généraliste de la forêt, la plupart y intègre les non-humains invisibles comme sujets politiques agissant.

Dans les lectures abordées, l'analyse anthropologique de l'objet forêt porte généralement sur le symbolisme et les significations que lui donnent les sociétés humaines à travers une démarche visant la compréhension de la pluralité des visions de la forêt existantes en ce monde. Autrement, comme se conçoit la forêt selon telle ou telle culture ?

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Pour ce faire, les angles d'approche sont multiples et s'entrecroisent. L'étude des modes de classification linguistique, en s'inspirant de la terminologie langagière et de la catégorisation des forêts adoptée par les collectifs observés (G. Michon, 2003 ; F. Brunois-Pasina, 2004 ; P. Kialo, 2005 ; P. Descola, 2005 ; S. Froidevaux, 2007) est une approche pertinente pour aborder les représentations et les perceptions de la forêt. A celle-ci s'ajoute la lecture de l'expression symbolique contenue dans les pratiques sociales, les usages et les modes de vie des collectifs (F. Brunois Pasina, 2004 ; P. Kialo, 2005 ; P. Descola, 2005, 2009 ; E. Kohn, 2017).

L'objet forêt s'analyse également sous la focale plus large des ontologies humaines, notamment de l'animisme, vision du monde dans laquelle chaque forme d'être visibles et invisibles constitue un collectif à part et est perçu comme un individu qui entretient des rapports (de continuité intérieure et de discontinuité physique) avec l'être humain (P. Descola, 2000-2001, p. 564). Cette perspective est commune et constante aux écrits de Philippe Descola et de Florence Brunois-Pasina ; elle permet de nommer l'univers forestier par-delà le monde visible et de questionner les visions naturalistes occidentales. De la même manière, Eduardo Kohn s'intéresse à l'animisme, mais plutôt que de l'attribuer aux humains, il fait glisser cette conception du réel vers son objet d'étude, par le biais d'une analyse sémiotique novatrice bien que complexe. Il parle alors d'un animisme de la forêt, en ce sens où la forêt pense à sa manière, tout comme le fait singulièrement tout être vivant, et avec laquelle l'être humain peut penser (E. Kohn, 2017).

Il est important de noter que malgré cette prévalence d'une lecture anthropologique de la forêt portée sur les ontologies humaines, la dimension invisible de l'espace forestier peut être abordée en dehors de ce champ. L'anthropologue gabonais Paulin Kialo, dans l'Anthropologie de la forêt (2007), traite du monde invisible de la forêt, et notamment des génies, par l'intermédiaire de l'imaginaire et des croyances des Pové, peuple gabonais, sans pour autant les inscrire dans une ontologie animiste bien qu'il nous partage que « la forêt invisible est celle qui imprègne l'imaginaire [des Pové] et qui donne sens aux éléments de l'écosystème forestier » (P. Kialo, 2007, p. 96). En dépit de son attachement à l'anthropologie structurale d'André Georges Haudricourt, Paulin Kialo tire des conclusions dualistes semblables à celles des anthropologues pensant les ontologies. Par exemple, Florence Brunois-Pasina, inspirée des concepts d'Augustin Berque et de Philippe Descola, voit dans le peuple animiste Kasua de Nouvelle-Guinée une conception de la forêt « avec-soi », et non « pour-soi » comme c'est le cas chez les naturalistes (F. Brunois-Pasina, 2004, p. 105) ; tandis que Paulin Kialo distingue une population « pro-forêt », les Pové, et une population « anti-forêt », les exploitants forestiers issus de culture européenne (P. Kialo, 2007). Ainsi, si l'approche de ces anthropologues diffère, l'un favorisant une lecture ontologique quand

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l'autre se contente de lire les pratiques sociales et les représentations, ils finissent tout deux par émettre une réflexion similaire sur la diversité des visions de la forêt.

b. Manières d'aborder la forêt dans cette étude

Cette étude concerne les visions de la forêt du collectif Jaguar Rescue Center et cherche à s'inscrire dans la lignée offerte par l'anthropologie de la nature. Pour l'aborder, il est nécessaire de présenter la construction de l'objet forêt selon des termes précis. En m'appuyant sur les lectures précédemment évoquées et sur le terrain ethnographique, je tâcherai de traiter la forêt comme un écosystème1 particulier dominé par les arbres, intégrant humains et non-humains, dont l'image est propre à un collectif et dépend d'une construction mentale modulée par les rapports sociaux, les pratiques, les modes de vie, le symbolisme et l'imaginaire de ce collectif. En ce sens, l'objet forêt sera lu comme un espace hautement socialisé dont les représentations dépendent de la particularité culturelle des sociétés.

Si l'objet forêt est lisible selon divers angles anthropologiques, l'approche favorisée ici sera l'analyse des pratiques sociales du Jaguar Rescue Center. Il s'agira alors de comprendre les rapports entretenus avec l'écosystème forestier à travers cet angle d'étude, en s'inspirant des démarches de Philippe Descola, de Florence Brunois-Pasina et de Paulin Kialo, car les pratiques sociales dessinent certaines logiques inhérentes aux systèmes de représentations (P. Kialo, 2007) et sont, je pense, révélatrices de certains traits conceptuels relatifs à la vision du monde des collectifs.

Par ailleurs, si l'analyse des rapports sociaux entretenus à travers les pratiques sociales sera le coeur de ce travail, l'objet forêt va être abordé à travers la dimension discursive de l'imaginaire européen, du fait de l'appartenance du collectif Jaguar Rescue Center à celui-ci (que je préciserai dans la partie suivante). Dans cet imaginaire, la forêt est ambivalente et plurielle. D'ailleurs, le terme en lui-même est générique et détient, par conséquent, une certaine faiblesse terminologique (G. Michon, 2003).

En effet, il désigne à la fois un lieu de refuge, d'introspection, de recueillement, ou un espace de loisir, mais aussi un espace inhospitalier, sauvage ou un espace d'enchantement (S.

1 A noter que le terme « écosystème» est un outil conceptuel qui permet d'analyser et de représenter la complexité du vivant par son niveau d'organisation le plus élevé. Lorsque l'on parle d'« écosystème », il s'agit de désigner l'ensemble des êtres vivants composé entre autres de communautés végétales et animales interdépendantes, en relation avec le milieu physique environnant (L. Mathot, 2016, pp 133). En d'autres termes, le terme écosystème forestier désigne la relation entre la biocénose (très diversifiée où domine les espèces végétales) et le biotope de la forêt (déterminé géographiquement et par ses conditions écologiques).

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Froidevaux, 2007). C'est également un lieu de ressource et un symbole de richesse économique, et selon de récentes perspectives, un réservoir patrimonial des cultures humaines, de biodiversité et d'oxygène, en outre, un espace à protéger (Ibid.). De plus, les discours scientifiques contemporains viennent apporter une nouvelle dimension à ce que l'on nomme forêt en Europe : celle d'un réseau d'être vivants interconnectés et complémentaires qui communiquent et ressentent (P. Wohlleben, 2017). Cependant, cette perspective des sciences de la vie écarte l'humain, se focalisant sur sa nature intrinsèque et son existence propre et indépendante (G. Michon, 2003). Alors, comment le collectif du Jaguar Rescue Center construit la forêt face à cette pluralité terminologique ? C'est par cet angle d'approche ajouté à celui de l'analyse des rapports sociaux que je tâcherai d'aborder la forêt dans cette étude.

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II. LA FORÊT DE LA CEIBA ET SES PROTAGONISTES

La dimension générique du terme forêt ne fait pas de distinction sur ses caractéristiques micro-régionales (R. Hardin, 2005). Pourtant, elle est présente sur près d'un tiers des terres émergées et possède des caractéristiques diverses, éloignées de l'universalité que suggère sa terminologie. Celle qui concerne notre enquête se localise entre le Tropique du Cancer et l'Équateur, dans un pays d'Amérique Centrale, le Costa Rica, et se rattache au grand ensemble des forêts équatoriales, qualifiées de denses et humides (S. Bahuchet, 1993).

Elle est nommée La Ceiba par le collectif du Jaguar Rescue Center, qui a privatisé ces terres forestières il y a une dizaine d'années dans le cadre de leur projet de réhabilitation des animaux costaricains. Au sein de ce territoire de quarantaine-neuf hectares, délimité par des frontières parfois visibles mais le plus souvent invisibles, une micro-société particulière se dessine, qui intègre humains et non-humains dans son collectif.

Afin d'aborder ce terrain ethnographique particulier, il est nécessaire d'introduire La Ceiba en évoquant les caractéristiques particulières de ce que l'on nomme forêt dense équatoriale et son ancrage dans le territoire costaricain. C'est ensuite à travers un portrait ethnographique portant sur le collectif du Jaguar Rescue Center et sur la forêt, que je rendrai compte de la construction du terrain, en évoquant notamment les caractéristiques constitutives de La Ceiba et les logiques structurelles du Jaguar Rescue Center2.

1. Terrain d'enquête : La Ceiba

a. Généralités botaniques sur les forêts équatoriales au Costa Rica

La forêt n'est pas immuable, elle change et évolue constamment selon des facteurs internes ou externes, allant des phénomènes anthropiques jusqu'à l'action des plus maigres champignons formant le mycélium, en passant par les conditions topographiques. D'un point de vue scientifique, ce sont principalement les éléments climatiques locaux (notamment en terme de température et de pluviosité) et l'action du sol qui déterminent les caractéristiques d'une forêt (Y. Bastien, M.

2 Régulièrement désigné par l'acronyme JRC dans la suite de ce travail

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Bournérias, 2020). Mais si ceux-ci sont représentatifs, ils ne sont pas suffisant à déterminer l'implantation d'un type forestier. Les êtres vivants qui constituent la forêt et vivent en son sein (les humains, les non-humains animaux et les non-humains végétaux) exercent « une influence considérable sur le peuplement forestier, et aussi sur son évolution » et l'action humaine est « inséparable de l'étude de l'évolution forestière » (Ibid.).

Le Costa Rica bénéficie d'un climat tropical défini par la chaleur, la permanence des températures et par des saisons pluviométriques (F. Hallé, 2010, pp. 68-pp73) ; et « bien qu'il y fasse chaud et lumineux, le temps ne ressemble pas à l'été en Europe, encore moins au printemps » (Ibid., p. 79), en effet l'air y est très humide, contrairement à ce que l'on peut ressentir dans nos latitudes.

De ce climat particulier résulte des forêts tout à fait singulières, tantôt appelées forêts denses tropicales, en référence au climat, tantôt forêts denses équatoriales, en référence à leur situation géographique. Ces forêts sont caractérisées ainsi en raison de la densité des végétaux constituant leur écosystème et l'humidité atmosphérique résultant du climat régional. En termes botaniques, leur structure est rendue compte par les différentes strates de végétation qui la composent, que l'on assimile au niveau maximal d'expansion des végétaux forestiers.

Figure 1: Niveaux de stratification en forêt équatoriale (Source: N. Cauwe, 2008)

Si les strates de végétation sont difficiles à délimiter dans le cas des forêts denses équatoriennes, dans la mesure où elles se superposent (Y. Bastien, M. Bournérias, 2020), les scientifiques en dénombre cinq : une strate de végétaux « géants » (hauts de quarante à cinquante

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mètres), une strate d'arbres plus petits (de quinze à vingt-cinq mètres)3, une strate arbustive formée par les jeunes arbres et les buissons, une strate herbacée et la strate cryptogamique, principalement composée de champignons (Ibid. ; Figure 1, p.14).

La Ceiba se situe dans la région de Limon, à quelques kilomètres de Puerto Viejo. Elle bénéficie d'une pluviométrie forte, allant jusqu'à plus de trois mètres par an (Figure 2, p.15), et rentre dans la sous-catégorie des forêts denses équatoriales. Dans le langage scientifique, elles sont appelées forêts denses sempervirentes (toujours vertes) ou ombrophiles (se développant dans une région pluvieuse) (J-P. Lanly, H-F Maître, 2020). Toutefois, dans cette étude, le terme de forêt dense équatoriale sera employé, afin d'éviter la charge sémantique contenu dans le terme tropical et la complexité des termes issus du discours scientifique.

Figure 2: Diagramme ombrothermique attestant de la moyenne des données de température et de précipitation récoltées entre 1982 et 2012 dans la ville Puerto Viejo (source : climate-data.org)

3 Les végétaux de ces deux strates sont entremêlés à des lianes et sont garnis d'épiphytes (fougère, orchidées, broméliacées, etc.) (Y. Bastien, M. Bournérias, 2020).

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b. L'inscription de La Ceiba dans le Refuge national de vie sylvestre Gandoca Manzanillo

Au Costa Rica, un peu plus du quart du territoire est géré par une instance gouvernementale, le SINAC4, qui institue des « aires sylvestres protégées » ou des « aires de conservation » (N. Raymond, 2007 ; Figure 3, p.16). Les aires constituées sont soumises à une catégorisation précise délimitant différentes zones auxquelles s'appliquent des politiques de gestion et de juridiction particulières. L'institution de ces zones a débuté par la promulgation de la Ley Forestal 4465, en 1969 (Annexe 1), et fût complétée par la Ley de Biodiversidad 7788, en 1998. Ces lois ont donné naissance à des parcs nationaux, des réserves biologiques, des réserves forestières, des zones protégées, des zones humides et des refuges de vie sylvestre (Ibid. ; Annexe 1) et ont introduit le concept de conservation dans le discours politique.

Figure 3: Carte des zones sylvestres protégées et des couloirs biologiques (source: SINAC, 2016)

4 Le Système National des Aires de Conservation, créé en 1989, une instance gouvernementale rattachée au département du MINEA, le ministère de l'environnement et de l'énergie, créé en 1986. Cette instance est chargée de la gestion des nombreuses zones protégées du territoire.

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Depuis plus de 2000 ans, l'humanité protège des sites, des forêts et des écosystèmes (C. Guilleux, 2018). Aujourd'hui, les aires protégées sont devenues une composante essentielle de la stratégie de conservation de la biodiversité (C. Guilleux, 2018), concept émergeant à la fin du XXe siècle, en lien avec les préoccupations sociales contemporaines et l'idée d'une « crise environnementale » (F, Drouilleau, 2015 ; R.Dumez, M. Roué, S. Bahuchet, 2014). La gestion réglementée des espaces au Costa Rica est éminemment politique, et semble imposer des changements économiques, environnementaux et sociaux qui viennent bouleverser les dynamiques territoriales (C. Guilleux, 2018).

A l'époque de la promulgation de ces lois, en Amérique Centrale, la grande majorité des forêts étaient surexploitées (J-P. Lanly, H-F Maître, 2020). Au Costa Rica, le taux de déforestation allait croissant dès les années 70, atteignant 89 % en 2000 (Fournier, 1991 ; N. Raymond, 2007). Ce phénomène, a été si intense que la pérennité des aires protégées fut questionnée (N. Raymond, 2007, 8). La création et le maintien des aires protégées participent ainsi à la transformation du territoire (C. Guilleux, 2018, Dery, 2007 ; Depraz, 2008), soulève des questions éthiques et philosophiques quant à la viabilité et la pertinence de leur existence (C. Guilleux, 2018), et révèle une vision particulière du monde vivant, que je tâcherai d'entrevoir dans le troisième axe de ce travail.

Le gouvernement du Costa Rica gère à présent près de cent soixante zones protégées réparties dans onze secteurs de conservation régionales plus larges. L'aire qui intéresse cette étude concerne les refuges nationaux de vie sylvestre, comptés au nombre de neuf. Cette catégorisation correspond à des terres délimitées dont la priorité politique est la protection, la conservation, la croissance et la gestion des espèces de la faune et de la flore sauvage, selon la Ley Forestal de 1969 (Annexe 1). Je m'intéresserai ici au refuge de Gandoca-Manzanillo, dans lequel se situe la forêt dense équatoriale de La Ceiba (figure 4, p.18).

Situé sur la côte caraïbe sud-est, à la frontière du Panama, le refuge national de vie sylvestre Gandoca-Manzanillo est un refuge de type mixte, qui s'étend sur 4,436 hectares de zone maritime et sur 5,010 hectares de terre (SINAC, 1996). Il a été créé le 29 octobre 1985, à l'issu du décret exécutif n°16614-MAG, et fait parti du secteur de conservation de la caraïbe. Hormis la partie maritime, le refuge connaît une seule unité biotique, la forêt dense équatoriale, qui s'étend sur une surface relativement plane, dont l'altitude maximale est de cent quatre vingt cinq mètres (Ibid.).

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Parmi les espèces végétales dominantes, on trouve notamment le cativo (prioria copaifera), le sangrillo (pterorcarpus officinale) et le carapa (carapa guianensis) auxquelles s'additionnent une multitude d'espèces endémiques (dont l'amandier, dipteryx panamensis). Cette forêt renferme également une grande diversité d'espèces animales comprenant parmi d'autres, le singe hurleur (allouatta palliata), le singe araignée (ateles geoffroyi), le singe capucin (cebus capucinus), des grands aras verts (ara ambiguus), diverses espèces de toucan et une multitude d'espèces d'amphibien et de reptiles (Ibid.).

Figure 4: Localisation de La Ceiba, au sein du Refuge de vie sylvestre Gandoca-Manzanillo (source: ACBTC, 2014)

Le Refuge de Gandoca-Manzanillo n'est pas exclusivement l'affaire du domaine public. Son territoire forestier comprend des petites zones privées, qui sont gérées individuellement par leurs propriétaires. L'existence des réserves privées est courante au Costa Rica, elles sont nombreuses et souvent dédiées à des activités écotouristiques (N. Raymond, 2007). La Ceiba se trouve être l'une de ses zones : située au coeur du Refuge, elle appartient à la fondation du JRC, dont le fondateur a acheté les terres avec l'aide financière de ses pairs en 2014.

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c. La Ceiba

Figure 5: Topographie de La Ceiba (source: M. Borros, )

Le territoire privé de La Ceiba est donc situé dans la zone ouest du refuge national de vie sylvestre Gandoca-Manzanillo et intègre les mêmes caractéristiques florales et fauniques. Bien qu'il s'étende sur quarante neuf hectares de zone forestières humide et dense5, ses frontières ne sont pas toujours physiquement visibles et délimitées. Officiellement, le site est accessible par la Paraíso Road, un large chemin caillouteux perçant la forêt au départ de la route 256, et qui débouche sur un grand portail arborant l'effigie des propriétaires (Figure 6, p.20), bordé d'une longue clôture empêchant son accès libre. Ce passage est le seul endroit où les frontières de La Ceiba sont marquées ; sur le reste du territoire, rien n'empêche son accès ni ne le limite, hormis la dense végétation.

5 D'après les modifications apportés au site officiel du Jaguar Rescue Center le 18 juin 2020, le JRC possède aujourd'hui 12 hectares de La Ceiba et a mis en location le reste du territoire à un tierce. Cette situation peut-être temporaire et pourrait s'expliquer par une fragilité économique liée à la fermeture aux visiteurs imposée par l'État dans le cadre de la pandémie du Covid-19. Mais ceci reste à vérifier sur le terrain.

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Figure 6: Portail d'accès à La Ceiba (source: E. Rizzon, 2018)

Passé ce portail, c'est un territoire nettement anthropique traversé par une rivière qui se dessine. Les aménagements sont multiples et comptent un garage, un pont, un chemin dallé (Annexe 6) ; sur le camping site (Figure 5, p.19) se trouve trois hébergements, un lieu de restauration, une tour de fer, plusieurs enclos et des aménagements pour les animaux non-humains du collectif. Pour implanter ces dernières infrastructures, l'environnement a été modifié par un éclaircissement des zones où la végétation se devine anciennement dense. Des étroits cours d'eau ont également été détournés afin de former des mares.

Une colline marque une certaine frontière invisible entre cette zone de vie quotidienne humaine qu'est le camping site et la dense forêt. Au delà de celle-ci, les traces de l'homme sont moins visibles, le chemin dallé s'arrête pour être remplacé par des sentiers tracés à la machette et battus par les passages répétitifs des humains et des animaux non-humains. De petites zones ont tout de même été déboisées par delà la colline en réponse à certaines activités anthropiques, comme l'installation d'enclos ou la mise en place de petits aménagements destinés aux animaux non-humains du collectif tels que des plateformes. De manière générale, du moins durant mon séjour au printemps 2019, le territoire de La Ceiba n'avait pas été entièrement exploré par le collectif du JRC.

En son sein, humains et non-humains interagissent de manière singulière, me poussant à dire que La Ceiba forme un microcosme représentatif d'une certaine vision plus large de la forêt, corrélée aux représentations et aux activités humaines qui s'y déroulent.

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2. Les enquêtés : le collectif du Jaguar Rescue Center

L'usage du terme collectif fait écho à la réflexion de Philippe Descola portant sur les méthodes et les concepts d'étude des sciences sociales. Par une tentative de refonder l'unité de leur analyse, il se détache des concepts de société, de communauté et de culture, tout aussi abstraits que chargés de sens multiples, et définit le terme collectif comme « une forme stabilisée d'association entre des êtres, [humains et non-humains], qui peuvent être ontologiquement homogènes ou hétérogènes, et dont aussi bien les principes de composition que les modes de relation entre les composantes sont spécifiables et susceptibles d'être abordés réflexivement par des membres humains de ces assemblages » (P. Descola, 2018, pp. 130-131).

Ce terme permet d'intégrer les non-humains dans les groupes sociaux et de les considérer comme des sujets politiques agissants. C'est à travers cette idée que le collectif du Jaguar Rescue Center sera abordé, dans la mesure où la diversité des êtres le composant intègre à la fois humain et non-humain dans sa manière de faire monde.

a. Généralités sur la fondation du Jaguar Rescue Center

Le JRC est officiellement né en 2008. D'un point de vue juridique, c'est une fondation privée à but non lucratif, dont l'objectif principal est la conservation de la faune endémique. Le couple fondateur est formé par d'anciens employés du zoo de Barcelona, la primatologue d'origine catalane Encar Vila Garcia, et l'herpétologiste Sandro Alviana d'origine italienne (décédé le 28 février 2016). Selon les termes d'Encar Vila Garcia, leur volonté était « d'offrir un refuge pour les animaux »[traduction personnelle], son rêve depuis sa jeunesse, et c'est en tant que spécialiste des primates et pour rejoindre son compagnon qui s'y était établi, qu'elle a choisi de mener ce projet au Costa Rica.

La fondation est définie comme un lieu de rétablissement pour les animaux dits sauvages et mis en danger, souvent par des causes anthropiques (circulation routière, chasse et trafic illégaux, attaque de chien domestiqués) ou par leur environnement (abandon, attaque, accident). Elle se décrit elle-même comme « une maison temporaire ou permanente pour les animaux blessés, malades ou orphelins [offrant] un service vétérinaire et des soins 24h sur 24 » [traduction personnelle]. L'idée d'accueil temporaire va de pair avec leur activité principale, la réhabilitation, que j'aborderai dans le troisième axe de cette étude.

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Figure 7: Localisation du Jaguar Rescue Center, en rouge, et de La Ceiba, en rose (source: googlemaps.com)

Le centre principal du JRC se trouve à quelques kilomètres de La Ceiba, dans la zone caraïbes au sud-est du pays, proche de la route 256 (Figure 7, p.22). Au fur et à mesure des années, la propriété de Sandro et d'Encar s'est largement agrandie et couvre à présent environ vingt-deux milles mètres carrés. Quotidiennement, la structure peut accueillir près de cent soixante animaux non-humains, et autant d'individus humains.

Un grand nombre d'espèces animales endémiques, placées en captivité ou en semi-captivité, s'y trouve et compte des mammifères, des reptiles et des volatiles. Généralement, ces animaux non-humains sont découverts par la population locale et sont amenés au centre ou récupérés par celui-ci. Ils vont alors être nommés, soignés et dans la mesure du possible, relâchés selon le processus de réhabilitation. Il s'agit de paresseux à deux doigts (choloepus didactylus) et à trois doigts (brasypus tridactylus), de cerfs à queue blanche (odocoileus virginianus leucurus), d'ocelots (leopardus pardalis), de margays (leopardus wiedii), d'agoutis (dasyprocta), de collard-peccaries (pecari tajacu), de différentes espèces de singes (hurleur, araignée et capucin), de chevaux, d'écureuils, de ratons laveurs du Nord (procyon lotor), d'opposums (caluromys derbianus), de grisons (galictis vittata), d'armadillos (dasypus novemcinctus), de kinkajous (potos flavus), de caïmans (caiman crocodilus), diverses espèces de serpents, de crocodiles et de lézards, et différentes espèces d'oiseaux dont des toucans, des perroquets, des rapaces.

Par ailleurs, les humains y sont également nombreux. Une dizaine d'individus sont salariés et forme une équipe permanente, structurée et dirigée par Encar Vila Garcia (Annexe 2). Chacun d'eux ont un rôle défini et des tâches quotidiennes précises. A ce nombre s'ajoute une trentaine

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d'autres individus, les volontaires, qui intègrent le JRC via un programme de volontariat-payant pour une durée déterminée qui s'étend habituellement de un à six mois. Ces derniers sont là pour aider les salariés, ils sont polyvalents et suivent des directives quotidiennes diverses mais répétitives. Ils ont un statut particulier dans la fondation, par leur passage éphémère, leur caractère interchangeable et l'apport financier qu'ils représentent, que je tâcherai de questionner dans le troisième axe. A ces membres s'additionnent alors les milliers de visiteurs se rendant au JRC chaque année, attirés par la découverte de la faune locale.

b. Le Jaguar Rescue Center, un zoo nouveau ?

Si l'on s'attache à la définition que donne le JRC de lui-même, il est décrit comme un centre de sauvegarde ou un refuge pour les animaux menacés. Pourtant, les pratiques touristiques qui y sont menées et l'exhibition quotidienne de certains animaux6 au grand public (placés soit en captivité dans des enclos soit en semi-liberté dans des parcs surveillés), posent la question de son attachement aux pratiques habituelles appliquées dans les zoos. En effet, la Ley de conservación de la Vida Silvestre de 1992 (loi de conservation de la vie sylvestre en français), stipule que tout centre de sauvegarde doit être fermé au public, or ce n'est pas le cas du JRC, et, dès lors que la structure détient des animaux et rend possible sa visite moyennant une contribution financière, il est doté du statut de zoo (Annexe 3).

Cependant, les textes de la juridiction costaricaine ne permettent pas de classer le Jaguar Rescue Center strictement dans la catégorie de zoo, ou dans celle de centre de secours, dans la mesure où ses pratiques concernent les deux parties (Annexe 3). Il détient alors une position ambiguë, le faisant pencher dans l'un ou dans l'autre selon l'opinion. Tout de même, il ne peut échapper au statut de zoo, malgré ses efforts pour s'en extraire, tant les aspects communs avec la définition donnée et la réalité du site lui font écho.

Par ailleurs, si l'on accorde un regard aux conceptions évolutionnistes, la conservation semble être devenue une mission essentielle des parcs zoologiques de ce siècle, dont l'activité ne se limite plus à l'exhibition (J-L. Berthier, 2020 ; Figure 8, p.24).

6 Notons que les s animaux non-humains ne sont pas tous livrés à une exhibition, malgré que cela ne concerne que les animaux fragilisés pour lesquels une telle pratique aurait un effet perturbateur direct sur leur bien-être ou sur leur réintroduction future.

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Figure 8: Regard évolutionniste sur les termes et les fonctions donnés à ce que l'on nomme couramment zoo (source: Encyclopedia Universalis)

Le Costa Rica ayant exigé la suppression des parcs zoologiques publics en 2013, transformant ceux du territoire en jardin botanique, l'existence même de ces lieux privés questionne les logiques ontologiques auxquelles ils se rattachent. En effet, si la frontière homme-animal est au coeur du dispositif des zoos (E. Leroy, 2018 ; J. Estebanez, J-F. Staszak, 2012), c'est la différence d'intériorité présente dans l'ontologie naturaliste, dans lequel s'inscrit l'Occident et l'Europe (Descola, 2005 ; C. Larrère, 2015), qui semble rendre possible l'émergence de ces lieux (Ibid.).

Par leurs anciennes fonctions, les fondateurs du JRC sont imprégnés de certains codes rappelant les institutions zoologiques européennes (E. Leroy, 2018). Involontairement ou non, ils semblent avoir exporté leur conception et leur manière d'agir avec les animaux non-humains sur le territoire costaricain, ainsi que leurs perspectives en matière de conservation de la faune et de la flore (rappelant malheureusement certains traits issus du colonialisme). C'est sans compter que la majeure partie des humains du collectif, salariés, volontaires ou visiteurs, sont également d'origine européenne et habitués à ces pratiques (Ibid.).

Le Jaguar Rescue Center, semble ainsi se construire entre le zoo classique et « le centre de secours » [traduction personnelle du terme centro de rescate, employé dans la juridiction]. Tout de

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même, il semble inverser la logique des zoos classiques : plutôt que d'amener certaines espèces animales en Europe dans un objectif d'exhibition, ce sont les européens qui se déplacent dans leur environnement d'origine dans un objectif de sensibilisation.

c. Le collectif à La Ceiba

La Ceiba est nommée ainsi en hommage au très vieil arbre ceiba pentandra (Annexe 4) y résidant, et représente aujourd'hui une annexe au centre principal. Bien que le site soit difficile d'accès et manque de réseau satellite, les humains qui y résident sont en contact permanent avec la base centrale, située à quelques kilomètres, et les mêmes logiques structurelles s'appliquent.

Dans l'imaginaire du collectif, la parcelle de forêt est décrie comme la « station de libération en forêt primaire » [traduction personnelle]. Il s'agit, toujours selon les termes du collectif, du site où le JRC relâche les animaux non-humains qu'il accueille, mais aussi, selon le processus de réhabilitation mis en place, d'un site de ré-habituation de ces derniers à leur environnement d'origine, concept que je tâcherai d'expliquer plus loin.

L'ayant évoqué plus tôt, il est inutile de rappeler la diversité des espèces qui compose cet écosystème forestier. Cependant, cette diversité vient s'élargir avec l'arrivée du Jaguar Rescue Center. En effet, cette implantation nouvelle implique une légère modification de son écosystème, qui ne peut plus, dès lors, être conçu sans les humains. Les aménagements structurants à présent une partie de ces terres, comme évoqué plus tôt, sont relatives aux activités du collectif et viennent combler le besoin d'infrastructures pour la vie quotidienne et le passage des humains (maisons, sentier dallé, restaurant, garage etc.) et des animaux non-humains (enclos).

Les humains résidant quotidiennement à La Ceiba sont peu nombreux et excèdent rarement dix individus. Ils se rattachent tous au collectif du JRC et composent une population allogène au territoire. Durant mon séjour, ils étaient sept : Auger, d'origine catalane, et Ashley, d'origine anglaise et espagnole, managers-employés assignés à la gestion de La Ceiba, une famille du Panama (un couple et deux filles adolescentes que je n'ai malheureusement pas eu l'occasion d'aborder) dont les parents étaient également salariés, et une volontaire, Manuella, d'origine catalane, engagée pour six mois au sein du collectif.

D'autres résidents se comptent parmi le collectif du JRC à La Ceiba, à savoir, les animaux non-humains. Plus nombreux que les êtres humains, ils étaient une vingtaine durant mon séjour, comprenant des individus en semi-liberté ou en captivité temporaire dans les enclos (cinq raton-

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laveurs, quatre singes hurleurs, un écureuil et deux ocelots), des individus en liberté (quatre perroquets verts), et d'autres encore, résidant dans les enclos à des fins d'élevage (une trentaine de rats). Hormis les rats, chaque individu se voyait attribué un nom par les membres humains du collectif.

A ces résidents, s'ajoutent les volontaires de courte durée, dont je faisais partie, et les visiteurs. Chaque semaine, un nouveau groupe de volontaires (de deux à six personnes) étaient conduits sur le site. Si j'ai choisi de rester trois semaines à La Ceiba, la plupart d'entre nous ne restait que quelques jours, et leur séjour dépassait rarement cinq nuits. Quant aux visiteurs, des visites étaient organisées quotidiennement, ainsi que des séjours longs, mais leur nombre était restreint à moins de dix personnes. Le plus souvent, les visites concernait des groupes de deux à quatre individus.

En définitive, c'est un large collectif d'êtres humains allogènes et d'animaux non-humains qui s'est implanté au coeur de ce territoire forestier. Le Jaguar Rescue Center semble alors constituer un univers social qui lui est propre, invitant à repenser les modes d'associations possibles entre les êtres.

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III. CONSERVATION, ÉCOTOURISME, ET RÉHABILITATION : VISIONS DE L'ESPACE FORESTIER

Le Jaguar Rescue Center ne s'est pas implanté à La Ceiba par hasard. En tant que collectif, il mène des pratiques singulières qui, à mesure du développement de sa structure et de l'augmentation du nombre de ses membres, l'ont mené à étendre son territoire sur ces terres forestières. Par leur implantation sur le sol costaricain, les membres du JRC véhiculent une ontologie intégrant une vision du monde forestier particulière, qui semble se manifester à travers les pratiques sociales qu'ils mettent en place.

Les premières observations de terrain m'ont permis de faire émerger trois thématiques de recherche liées aux pratiques menées par le collectif à La Ceiba, à savoir la conservation, l'écotourisme et la réhabilitation. A travers l'analyse anthropologique de ces thématiques, rendue compte notamment par des éléments discursifs, je tâcherai de dégager une problématique pertinente tournée vers la détermination et la compréhension de la manière dont le Jaguar Rescue Center se représente la forêt.

1. Les champs thématiques issus des premières observations de terrain

La construction suivante des champs thématiques liés à cette étude provient des premières observations de terrain réalisées entre le 25 mars et le 14 avril 2019, et ont été complété par les données du site internet du JRC. La pré-analyse de ces données sera tournée vers des questionnements concernant les représentations et les pratiques du collectif du JRC. Il s'agira alors d'essayer de cerner anthropologiquement les phénomènes sociaux qui sous-tendent les diverses représentations de la forêt.

a. La conservation de la forêt

Dans le langage courant, la conservation désigne « l'acte de maintenir quelqu'un ou quelque chose hors de toute atteinte destructrice, de s'efforcer de faire durer et de garder en bon état ou dans

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le même état [cet individu ou cette chose ]»7. Aujourd'hui, le terme revêt une approche éminemment politique liée à l'émergence des discours portant sur la situation environnementale contemporaine, largement relayée par les sciences naturelles depuis les années 1980 (R. Dumez, M. Roué, S. Bahuchet, 2014). La conservation est devenue un enjeu majeur de l'époque, une solution face à l'extinction des espèces animales et végétales, un moyen essentiel pour lutter contre ce phénomène contemporain appelé « crise environnementale ».

Or, les actions de conservation sont des comportements exclusivement humains (C. Guilleux, 2018 ; Fox, 2006) et tirent leurs origines d'une vision particulière que les collectifs portent sur le monde vivant et sur l'environnement (C. Guilleux, 2018). Si l'humanité préserve des territoires depuis deux milles ans (Ibid.), les manières de faire et les raisons d'agir sont multiples, dépendent des diverses manières de faire monde et sont historiquement situées.

La stratégie la plus répandue menée par les collectifs environnementalistes pour conserver un espace ou des espèces se trouve être la délimitation de zones particulières, intégralement protégées, dans lesquelles on cherche à limiter la propagation de l'homme. Cette stratégie provient de l'institutionnalisation du parc Yellowstone en 1872 (C. Guilleux, 2018) et du concept américain de wilderness (W. Cronon, 2009 ; C. et R. Larrère, 2015), qui, relayant une vision sacrée de la nature, propage l'idée de « sanctuaire immaculé où l'on peut, pour quelque temps encore, rencontrer les dernières brides d'une nature inaltérée, exempte de cette souillure contagieuse de la civilisation » (W. Cronon, 2009, 6).

Le Jaguar Rescue Center a créé en 2018 La Ceiba Primary Forest Foundation qui, selon leurs termes, contribue à la « conservation de la nature sauvage dans la région sud caraïbe du Costa Rica ». Celle-ci intègre un « programme de protection de la forêt pluviale tropicale à travers l'acquisition de territoires stratégiques » [traduction personnelle]. Voici la manière dont le collectif relate les événements qui ont poussé son fondateur à prendre en charge la conservation de ce territoire :

« When our founder Sandro first visited the area, researching reptiles and amphibians, he was was fortunate (for a herpetologist) to cross paths with a Bushmaster snake (lachesis stenophrys). With a conservation status of vulnerable it is the largest and one of the deadliest vipers in the New World. He took this rare sighting as a divine sign that he should try to preserve the land where he encountered the Bushmaster from any future human development. »

7 D'après la définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) publiée en 2012, url : https://www.cnrtl.fr/definition/conserver

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Si l'usage de l'expression « Nouveau Monde » n'est pas sans rappeler le passé colonial et dénote une posture largement ethnocentrique, parler de « signe divin » est également surprenant. Selon les termes du collectif, le fondateur Sandro aurait interprété sa rencontre avec une espèce endémique de serpent, le lachesis stenophrys (Annexe 5), comme un signe divinatoire lui confiant la mission de préserver les lieux. Plus loin, le collectif poursuit :

« Sandro encouraged some environmentalist friends to visit the area and they were so impressed with the beauty of the local nature that they joined finances to buy another small piece of neighboring land. Our only chance of protecting this land from potentially being sold to property developers is to buy the leased areas ourselves. »

Ainsi, de cette rencontre jugée extraordinaire découle une volonté d'appropriation du territoire dans l'optique de le préserver de « tout futur développement humain » et de « garder [sa] beauté » [traduction personnelle]. Or, ces terres sont situées dans l'aire de conservation étatique du Refuge National de Vie Sylvestre et disposaient déjà d'un principe de conservation local.

Le Jaguar Rescue Center semble alors adopter une posture salvatrice, se posant comme un acteur légitime de la conservation de ce territoire costaricain. Ce témoignage pose une question éthique : l'interprétation d'un signe divin suffit-il à justifier une appropriation territoriale ? Et, par-delà, une question de représentation sociale, le mythe d'une nature vierge, de la wilderness aurait-il conditionné les pratiques de conservation du JRC ?

En continuité de cette idée, La Ceiba est fréquemment désignée comme une « réserve naturelle » [traduction personnelle]. Cette appellation est proche de l'idée de sanctuaire et fait référence à un lieu à protéger, un territoire présentant un intérêt exceptionnel sur le plan biologique ou esthétique, qui doit être défendu à tout prix de toutes interventions susceptibles de le dégrader, par des mesures de protection particulières8. Le JRC semble construire le territoire de La Ceiba de cette manière. Se posant comme le garant de son maintien en état, il conçoit la forêt comme un lieu précieux, méritant une intervention. Comment ce phénomène se traduit-il en terme de relation humaine entretenue avec l'environnement ?

Par ailleurs, La Ceiba est également nommée « forêt primaire » [traduction personnelle], selon les termes suivants :

8 D'après les définitions du CNRTL et de l'INSEE, publiées respectivement en 2012 et 2016.

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« Primary forest is classified as an area where there are no visible indications of human activity and therefore this mature and untouched property is the ideal place to locally release many of the animals that arrive at the JRC as it gives them the best chance of a clean and naturally safe environment with little chance of interaction with humans in the future. »

Si une forêt primaire est effectivement une forêt qui ne semble pas avoir été affecté par l'action humaine depuis deux ou trois siècles (P. Descola, 2014), cette idée oublie que toute représentation donnée à la nature est fondamentalement prise dans l'histoire sociale de la société usant de cette image. Parler de forêt primaire est une construction culturelle d'une réalité qui se veut naturelle (W. Cronon, 2009 ; C. et R. Larrère, 2015). Elle reflète l'idée de forêt originelle, non habitée, ce qui s'avère être une réalité erronée dans la mesure où « l'homme a probablement parcouru ou habité toutes les forêts du monde » (A Schnitzler-Lenoble, 1996 p. 3).

De plus, La Ceiba, compte aujourd'hui de nombreux aménagements qui ont nécessité un remaniement de l'espace et, inévitablement, un défrichement d'une parcelle de ces terres boisées. En ce sens, parler de forêt primaire est-il toujours viable ?

Et si cette idée rejoint celle de forêt vierge, de forêt naturelle et sauvage, voire de jungle, fait-elle également écho au concept de wilderness ? Par l'usage de cette terminologie, le JRC semble nier son implantation sur le territoire, son influence sur le paysage et, dans le même temps, paraît renforcer l'attractivité touristique de La Ceiba en construisant un imaginaire particulier.

b. L'écotourisme, producteur d'images de la forêt

Récemment, la société européenne a vu naître diverses alternatives au tourisme de masse qui s'incarnent dans les pratiques dites écotouristiques, dont l'objectif est de restituer une éthique à l'image du tourisme (D. Valayer, 2002 ; J. Hérault, 2013 ; Manço et Sarlet ; 2008). L'éco-tourisme s'apparente à un tourisme de nature, et instaure des pratiques d'observation de la faune et de la flore dans les zones protégées, non perturbées par l'homme et qui offrent une grande diversité biologique (J-M. Breton, 2004 ; Blangy, 1993). L'émergence de cette pratique crée un nouvel imaginaire porté sur la mystification d'une nature vierge et immaculée, et se construit en parallèle de la quête européenne pour une nature non anthropisée, jugée inexistante sur le continent (C. et R. Larrère, 2015). Comment expliquer l'émergence de cette nouvelle pratique touristique ? Cette conception concorde-t-elle avec l'idée de la wilderness ?

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Le Jaguar Rescue Center s'est emparé de cette forme touristique afin de pérenniser son implantation et son activité sur le territoire costaricain. Cette stratégie de financement est loin d'être un tabou au sein du collectif : « when I see tourists, I think about money » confiait la directrice d'exploitation Nerea Irazabal aux volontaires. Peu de questions éthiques se posent, le tourisme étant considéré comme une nécessité absolue. D'ailleurs, une stratégie de responsabilisation dirigée vers de potentiels visiteurs et donateurs prime au sein du JRC :

« Your donations and the income generated from tours will enable us in the future to keep the beauty of La Ceiba Natural Reserve available for future generations of animals and humans to enjoy. »

Le JRC offre trois opportunités d'écotourisme à La Ceiba, à savoir les visites guidées, les séjours en nuitée, et l'écovolontariat (que je nommerai volontourisme). Si les visites guidées et les séjours en nuitée sont des formes « classiques » de tourisme, l'écovolontariat est une forme récente reposant sur la participation active du voyageur qui va s'engager auprès de l'organisme d'accueil pour mener une activité d'intérêt général (C. Baillet, O. Berge, 2010). Dans le cadre des programmes de volontariat offerts par le JRC, la contribution du voyageur est triple : il s'implique à la fois par son travail, par son énergie mais aussi par son financement (Ibid.). Ce triple engagement n'est pas toujours bien vu par les volontaires ni par les managers. Manuela, une volontaire long terme à La Ceiba, me signala son incompréhension : « for me, it doesn't make any sense, I give my energy and my time, I think it's enough », et Pablo, lui aussi volontaire depuis plusieurs mois au JRC, me présenta son indignation à devoir payer pour travailler à La Ceiba : « because we have to pay, fuck it ! »

Cette participation financière me pousse à parler de volontourisme. En effet, si Manuela intègre le programme de volontariat du JRC dans le cadre d'un stage pratique et Pablo par passion pour les animaux non-humains, la majorité des volontaires y participe afin d'expérimenter de nouvelles manières de voyager, de sortir de leur quotidien et de se découvrir à travers la découverte de nouveaux horizons. Alors, La Ceiba était bien souvent une étape parmi d'autres du parcours touristique. Nanouk, une jeune suisse, illustre parfaitement cette figure : voyageant depuis près de quatre mois en Amérique Centrale, elle s'arrêta au JRC pour un mois, et me confia être sur la route « to discover the world, meet poeple and to find [herself] ».

Ainsi, le volontourisme reste fondamentalement une approche touristique particulière, alternative certes, mais dont la valeur repose essentiellement sur celle de l'expérience vécue (Ibid.).

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Les deux premières offres écotouristiques, les visites guidées et les nuitées, sont présentées comme des moments propices à la découverte de la faune et de la flore et, cherchant à rendre ces pratiques et La Ceiba attractives, le JRC renvoie des représentations particulières de la forêt à ses visiteurs, créant un imaginaire touristique particulier.

La notion d'imaginaire touristique cristallise l'ensemble des représentations se référant au lieu, aux expériences attendues et aux pratiques qu'elles induisent, ainsi qu'aux acteurs touristiques, à savoir la population réceptive et la population émettrice (M. Garvari-Barbas, N. Graburn, 2012). Celles-ci sont alimentées ou associées à des images matérielles et immatérielles, telles qu'on les retrouve sur les réseaux sociaux, le site officiel, les guides touristiques, les souvenirs, les témoignages, les récits et les anecdotes (Ibid.). En voici un exemple sous-tiré du site officiel, concernant les visites guidées de nuit :

« The jungle truly comes alive at night, and on this magical 2 hour hike led by a professional guide, you will see and hear nocturnal animals that stay hidden during the day - an experience you won't get anywhere else. You won't have to go far before you come across frogs, snakes, opossums and more. The sights and sounds of the jungle at night will surely be something you'll never forget! »

Dans cet extrait, le collectif utilise à plusieurs reprises le terme de jungle et évoque le caractère unique et inoubliable du lieu. Il joue sur l'imaginaire européen, qui, fort marqué de la distinction entre le sauvage et le domestique (P. Descola, 2005 ; C. et R. Larrère, 2015), se représente la jungle comme une nature non apprivoisée et authentique, qui n'a plus d'existence en soi sur les terres européennes (C. et R. Larrère, 2015). La notion de jungle est ainsi une idée, une manière de percevoir l'écosystème forestier, qui ne décrit qu'une vision ethnocentrique du monde et non une réalité objective.

Ce récit semble également contenir une notion implicite, celle de l'exotisme. Situant La Ceiba dans le « Nouveau Monde » [traduction personnelle], et pointant les espèces endémiques y régnant, « grenouilles, serpents, opossums et autres » [traduction personnelle], le JRC participe à la construction de ce territoire comme un haut lieu de l'exotisme, un ailleurs lointain, un inconnu fascinant. En effet, l'exotisme renvoie à une conception asymétrique du monde, issu de la relation et de la vision que l'Europe porte sur l'ailleurs, et bien souvent sur les pays dits tropicaux tels que le Costa Rica (J. Estebanez, 2008). Naissante de l'époque coloniale, cette notion est fort critiquable et

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doit être manipulée avec soin. Tout de même, l'exotisme a longtemps forgé notre rapport au monde et il apparaît que son idée persiste dans l'imaginaire touristique européen.

D'ailleurs, auprès des volontaires, l'imaginaire véhiculé par le JRC n'est pas éloigné de l'idée de jungle. Voici comment il présente La Ceiba dans le cadre du volontariat :

« The work at La Ceiba is hard but incredibly rewarding, giving animals another chance at living where they belong, the wild. You will be working in an environment that is often very hot, humid and wet with a variety of biting insects (including mosquitoes). The rainforest here has a lot of wild animals (including venomous snakes and spiders, biting ants, scorpions etc) so it is important that you are aware of this before committing to volunteering at La Ceiba. »

La caractère sauvage de l'environnement est mis en avant, diffusant un imaginaire de la forêt comme un environnement inhospitalié composé d'espèces animales non-humaines dont l'image inspire bien souvent la peur ou, plus rarement, la fascination (serpent vénéneux, araignées, scorpions etc.).

Le JRC adopte ainsi une stratégie d'attractivité touristique portée sur la valorisation de l'expérience de la forêt et mystifie l'écosystème forestier en lui-même. Il met en avant le caractère sauvage et exotique d'une forêt qui n'a pas son pareil en Europe. Et si le regard que le JRC cherche à transmettre aux visiteurs connote un imaginaire collectif proprement européen, qu'en est-il de sa vision réelle de l'écosystème forestier ?

Il est important d'ajouter que si l'imaginaire ainsi construit par le JRC se veut attractif et propage des représentations particulières de la forêt, il s'agit d'une stratégie marketing visant à embellir la réalité pour la rendre alléchante, bien que celle-ci repose sur un imaginaire déjà constitué. Le tourisme à La Ceiba suscitait de nombreuses controverses, et était souvent perçu comme une obligation par ses acteurs directs, comme les managers s'improvisant guide touristique. L'objectif du JRC était de récolter des financements en affichant une image plaisante de la forêt, et non de coller à la réalité effective de leurs représentations. Alors, comment le JRC perçoit-il réellement la forêt ?

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c. La réhabilitation à travers l'éthique du care : une instrumentalisation de la forêt

Nous l'avons évoqué, pour le JRC, la Ceiba est également une « station de relâche en forêt primaire » [traduction personnelle]. Cette appellation est étroitement corrélée à l'activité de réhabilitation des animaux non-humains et réfère à ses deux dernières étapes protocolaires, la ré-habituation au cadre de vie et la libération dans l'environnement.

Afin de mieux cerner cet aspect, il est nécessaire de discuter la notion de réhabilitation. A l'origine, elle désigne un principe médical visant au rétablissement d'une personne malade, blessée, ou handicapée afin de la rééduquer et la réadapter à un mode de vie et d'activité le plus proche possible de la « normale » (Kamen, 1972). Ce principe est aujourd'hui appliqué aux animaux non-humains et est devenu une pratique courante dans le cadre de la conservation et de la protection de ceux-ci, dans lequel s'inscrit le Jaguar Rescue Center.

La réhabilitation est une conception et une pratique particulière du soin, qui est, je crois, étroitement liée à une éthique naissante dans la pensée philosophique et pratique européenne, l'éthique du care. Celle-ci suggère « une forme d'engagement [...] vers une autre que soi », un soucis de l'autre qui, implicitement, conduit à entreprendre une action de soin, par la saisie des besoins et des préoccupations de cet autre (J. Tronto, 2009, pp. 142-146). Bien que discutable, la raison de l'existence du Jaguar Rescue Center réside dans cette attention portée à cet autre qu'est l'animal ; alors, les humains, considérant la vulnérabilité des animaux non-humains, ont mis en place le centre de secours que l'on connaît aujourd'hui.

Dans le cadre de sa pratique de réhabilitation, le JRC cherche à rétablir un animal non-humain ayant subit une blessure ou un mauvais traitement, dans l'objectif de le relâcher dans son environnement d'origine. Pour ce faire, le collectif accorde une attention sensible et quotidienne au sujet recevant les soins. Et si des protocoles généraux se répètent, tous suscitent une adaptation stricte à l'individualité de l'animal non-humain en raison notamment de son histoire singulière et de ses traits caractéristiques. Pour le JRC, la condition même de l'efficacité de la réhabilitation réside dans la rigoureuse considération des besoins de l'animal non-humain, principe fondamental dans l'éthique du care. Ainsi, le collectif va mettre en place des méthodes de réhabilitation particulières pour les singes, différentes de celles assignées au ratons-laveurs ou aux oiseaux et, dans la même idée, va traiter différemment un animal non-humain recueilli parce qu'il a été percuté par une voiture, s'il est tombé d'un arbre ou s'il a subi une certaine maltraitance.

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Par ailleurs, l'éthique du care intègre l'idée de vulnérabilité comme une part constitutive du vivant (J. Tronto, 2009) et renvoie des images et des représentations particulières de l'agent recevant l'attention et le soin, et de l'agent réalisant l'action de soin, qui s'engage et agit auprès du premier. Ces images vont construire des logiques relationnelles particulières, sur lesquelles se baseront le care (Ibid.) et il semblerait que la réhabilitation suive étroitement cette logique.

Dans le cadre de l'activité de réhabilitation menée par le JRC, on constate un glissement des représentations de l'être à réhabiliter, décrit premièrement comme sauvage, vers un être dont il faut prendre soin, un être fragile et fragilisé par des agents extérieurs, qu'il faudra ensuite réensauvager dans la mesure du possible afin de réussir sa relâche (E. Leroy, 2018). Alors, chaque phase protocolaire renvoie des images spécifiques de l'animal et du rôle que doit adopter l'agent réhabilitant. Cela va inévitablement instaurer des relations singulières entre l'humain et l'animal non-humain, dépendantes des agents inclus dans celle-ci.

Par exemple, lorsque le JRC réalise une transfiguration de l'état de sauvage de l'animal vers un état de vulnérabilité nécessitant son intervention (phase correspondant à celle où ses membres interviennent auprès de l'animal et vont lui apporter des soins), un processus d'accoutumance entre l'humain et l'animal non-humain va être instauré, qui glisse parfois vers une domestication involontaire rendant la relâche impossible. Autrement dit, l'image de la vulnérabilité de l'animal non-humain va susciter une réaction humaine qui prend forme à travers la figure du soigneur et du protecteur. Cette figuration conduit à instaurer une relation dans laquelle l'animal non-humain va s'habituer à l'humain, et dans laquelle l'humain va essayer de nouer une relation de proximité avec l'animal non-humain.

Les illustrations de ce phénomène sont nombreuses à La Ceiba. La plus flagrante est l'histoire de Mimi, un amazone à lores rouges (aumazona autumnalis ; Annexe 7), qui a été sauvé par la manageuse Ashley. Depuis, malgré qu'il soit libre de ses mouvements et toutes les tentatives d'Ashley pour le repousser, il ne quitte plus le périmètre du camping site, et entretient une étroite relation avec elle, si bien qu'il chante dès qu'il l'aperçoit, essaie de se poser sur ses épaules et la suit.

Cependant, cette accoutumance n'est pas toujours possible. A l'autre extrême, Pocahontas, une femelle raton-laveur s'est retrouvée grièvement blessée au cou. Le collectif a pu l'attraper à l'aide d'une poubelle lorsqu'elle s'est infiltrée dans la maison touristique de La Ceiba ; alors, emmenée au centre pour recevoir des soins, son état de stress était tel qu'elle accoucha de deux morts nés et mangea les deux autres. Agressive, personne ne pouvait accéder à son enclos sans se faire attaquer et jusqu'à sa relâche, jamais elle ne s'est accoutumée à la présence humaine.

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Si ces exemples sont deux extrêmes, ils illustrent la variabilité des relations entre humains et animaux non-humains instaurées par le JRC, à travers sa pratique de soin par laquelle l'animal non-humain est perçu comme un sujet politique agissant indépendamment de la volonté humaine9. Pour aller plus loin, ils mettent en évidence le rôle de la réhabilitation dans le renvoie d'images et de représentations de l'être à réhabiliter et de l'acteur de la cette pratique. Ainsi, le Jaguar Rescue Center semble construire le réel de son activité sur la base relationnelle qu'il instaure entre l'homme et l'animal par son activité de soin.

Ces questionnements mériteraient une profonde réflexion anthropologique, mais s'ils ne sont pas à proprement parler le sujet de cette étude, ils permettent de comprendre l'idée de « station de relâche en forêt primaire » [traduction personnelle].

Par cette appellation, le JRC semble accorder une dimension fonctionnelle à La Ceiba. Dorénavant, elle n'est plus le territoire à conserver ou une terre rentable, décrit par sa beauté ou par son caractère mystique, mais devient un lieu idéal de réhabilitation des animaux non-humains du collectif. Dans le cadre de la réhabilitation voici comment le collectif évoque la forêt :

« After being rehabilitated of their injuries, or when baby orphans have grown to an age of independence, we can take animals from the JRC to the La Ceiba Release Station and either release them immediately, or temporarily house them deep in the property in one of our prerelease enclosures so that they can acclimatise to the smells and sounds of the forest at their own peace. The diverse range of flora at La Ceiba also naturally provides approximately 90% of the food required by the animals prior to their release. »

La forêt prend alors une place secondaire dans le discours dont la focale est tournée vers l'activité de réhabilitation des animaux non-humains. Elle est perçue à travers cette pratique, comme l'environnement idéal pour préparer et réaliser la relâche. Ainsi, le JRC semble attribuer un rôle à la forêt, lui donner une utilité sociale dans le cadre de son activité. Ce n'est pas uniquement un écosystème qu'il faut conserver, c'est un territoire rendu utile. En ce sens, le collectif instrumentalise la forêt pour mener à bien ses pratiques.

9 Pour reprendre les termes de Philippe Descola, « De la nature universelle aux natures singulières : quelles leçons pour l'analyse des cultures ? », dans P. Descola (dir.) « Les natures en question », Collège de France, Odile Jacob, 2017, pp. 121-155

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Par ailleurs, l'éthique du care, révélée dans l'analyse de la notion de réhabilitation, ouvre de nouvelles perspectives quant aux fondements de la prise en charge de la conservation de La Ceiba : cette éthique peut-elle nous donner des éléments de réflexion concernant les fondements de cette prise en charge particulière de la forêt ?

Selon Berenice Fischer et Joan Tronto, le care est « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer « notre monde », de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous les éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie »10. Le care ainsi décrit ne se limiterait pas seulement aux autres humains et animaux non-humains mais aussi à des objets de l'environnement et s'associerait, par exemple, avec l'éthique environnementale (J. Tronto, 2009, p. 144).

Alors, existerait-il une corrélation entre l'éthique du care et la pratique de conservation de La Ceiba ? Les méthodes de préservation de l'écosystème forestier mises en place par le JRC prennent-elles leur source dans cette éthique ?

2. Émergence et formulation de la problématique

La pré-analyse des discours et des pratiques du JRC, réalisée à travers ces trois champs thématiques, permet de révéler une certaine pluralité des visions de l'écosystème forestier. A la fois, présenté comme un lieu touristique, un territoire à conserver et un site de réhabilitation, l'approche multidimensionnelle de La Ceiba insinue une pluralité des conceptions de cet écosystème particulier. Mais, dans leurs fondements, ces visions de la forêt expriment-elle réellement une pluralité de perception, ou sont-elles des reflets issus d'une même manière de construire le monde forestier ? Alors, sont-elles des manifestations plurielles qui tirent leurs origines et se fondent dans une ontologie particulière ?

Certains phénomènes ne se lisent pas dans les concepts d'écotourisme et de réhabilitation, et ne sont que partiellement effleurés dans celui de conservation, il s'agit de la sacralisation des arbres et de l'attribution d'une conscience à la forêt et aux non-humains végétaux. Au détour de diverses discussions informelles, j'ai pu constater que certains humains entretenaient des relations avec les arbres et la forêt qui dépassaient l'objectivation du non-humain végétal.

10 Dans « Toward a feminist theory of care », E. Abel et M. Nelson (dir.), « Circles of Care : Work and Indentity in Women's lives, State University of New York Press, Albany, NY, 1991, p. 40

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En effet, avec une touriste venue rendre visite à Manuela, nous discutions de Julie, une volontaire française qui, après avoir hésité longtemps à se rendre au-delà de la colline pour s'enfoncer dans la forêt, a glissé dans la boue et s'est heurtée le dos à l'entrée même de celle-ci. Cet événement lui imposa un retour au camping site et elle me confia tristement « j'ai l'impression de rater mon aventure » (en langue originale). Cette touriste me dit alors « La Ceiba doesn't accept everyone ». Que voulait-elle dire par là ? Accordait-elle une conscience propre à la forêt ?

Par ailleurs, au sein de La Ceiba, il existe une règle taboue, dictée par la fondatrice : l'interdiction de s'approcher d'un arbre ceiba pentandra, en raison de sa « perte d'énergie » [traduction personnelle]. L'arbre en question a cinq cent ans et est considéré comme l'« arbre mère » de la forêt [traduction personnelle]. Que signifie cet interdit ?

Ces multiples réflexions et questionnements m'ont poussé à émettre l'hypothèse d'un potentiel changement de paradigme dans l'imaginaire de certains collectifs européens envers l'écosystème forestier. Dans les logiques instaurées par le JRC, il semblerait qu'il existe une ambivalence de perception, me menant à l'hypothèse d'une remise en question du dualisme objet/sujet, fort représentatif des perceptions de la nature dans l'imaginaire européen (P. Descola, 2005 ; C. Larrère, 2015)

Alors, l'objet de cette étude se fondera sur une analyse des représentations sociales qui sous-tendent les discours et les pratiques du Jaguar Rescue Center, et qui sont corrélés directement ou indirectement à ce que l'on nomme forêt. Cette idée inclut une réflexion sur notre propre culture européenne, qui, et ceci constituera un postulat nécessaire à la progression de cette analyse, se rattache à celle de la culture dominante représentée par l'Europe.

Ainsi, à partir de quelles bases conceptuelles le collectif du Jaguar Rescue Center compose-t-il sa relation avec l'écosystème forestier de La Ceiba et quelle vision du monde végétal en découle ?

Afin d'appréhender cette problématique, j'essaierai de suivre la méthode prescrite par Philippe Descola, cherchant à déterminer les origines des collectifs à travers une analyse sociale remontant jusqu'aux modalités premières de l'identification du monde qu'ils entreprennent (P. Descola, 2017). Bien que déjà évoquée, cette méthode est rendue possible par un détour ontologique qui tend à comprendre comment les collectifs singuliers s'instaurent, plutôt que de les considérer comme des réalités déjà constituées (Ibid.). C'est ce regard que je souhaite porter sur le collectif du JRC, afin de mieux cerner les manières par lesquelles il s'instaure dans le monde et se construit.

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Et si aux premiers abords, le collectif du Jaguar Rescue Center paraît être en marge culturelle à l'égard de ce que l'on nomme ontologie européenne, je crois pourtant qu'il n'en est rien, et que la représentation du monde qu'il véhicule manifeste un léger changement de paradigme expérimenté plus largement dans nos sociétés dites « modernes », rendu inévitable sous la pression des menaces environnementales. Mais ceci reste une supposition que cette étude a pour but d'éclaircir.

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IV. AU PLUS PRÈS DU TERRAIN

Afin de cerner les fondements de ce travail énoncé précédemment, il est nécessaire de revenir aux processus d'acquisition des données et de rendre compte de l'entrée sur le terrain, de la posture que j'ai choisi d'adopter et de la méthodologie que j'ai appliqué dans le cadre de l'enquête ethnographique et de la rédaction.

Si le terrain est au coeur du travail de l'ethnologue (J.P. Olivier de Sardan, 1994, p71), au sein du collectif, j'étais reconnue à travers le statut de volontaire, un statut permettant d'être admis au JRC pour un temps déterminé. Cette attribution m'a imposé une certaine posture, des codes de conduite et des règles qui ont nécessité une adaptation de la méthodologie d'enquête ethnographique impliquant des biais d'étude non négligeables.

1. Accès au terrain

a. Démarches et prise de contact

J'ai choisi d'effectuer mon enquête auprès du Jaguar Rescue Center car il complétait trois conditions qui m'étaient alors fondamentales, à savoir le lieu, l'opportunité de stage et la nature de leur activité. En effet, si le dépaysement permet d'engager un changement de regard sur la culture d'origine (F. Laplantine, 2010, p. 13), j'aspirais à me rendre en Amérique Centrale, après la déception d'un projet d'étude avorté en Honduras. Je souhaitais également réaliser mon terrain et mon stage auprès du même collectif par un soucis d'implication, pensant que le stage serait une porte d'entrée idéal sur le terrain. Aussi, l'étude des rapports entre humains et non-humains me paraissait tout à fait intéressante, et pertinente en vue des troubles que ces rapports suscitent dans notre culture européenne contemporaine.

J'ai contacté le Jaguar Rescue Center par mail (Annexe 9) en décembre 2018 afin d'effectuer un stage en mars 2019. Par soucis de transparence, je leur ai transmis mes motivations universitaires et mon projet d'enquête. Celui-ci n'a pas suscité de commentaires, et la réponse que je reçu de Tamara, la responsable administrative, évoquait uniquement les démarches à suivre pour intégrer le collectif. Il s'agissait de remplir et de leur soumettre un formulaire d'inscription

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téléchargeable sur le site du JRC (Annexe 8) et une attestation de vaccination contre la tuberculose, puis de verser une partie de la participation demandée d'un total de 350 dollars11.

Une fois ces démarches complétées, Tamara valida mon stage du 4 mars au 1 avril 2019 et m'indiqua que ma tutrice serait Nerea Irazabal. Je n'avais alors que très peu d'information.

Jusqu'à mon arrivée, je ne doutais pas de la nature de mon stage, malgré le versement financier. Pourtant, ne m'étant pas en place de dispositif dans le cadre de stage, le collectif m'avait affilié au statut de volontaire court-terme, fait que je ne compris que le premier jour. Je n'étais pas seule dans ce cas, d'autres stagiaires venus exercer leur pratique en lien avec leurs études s'étaient confronté à cette déconvenue.

Ce programme de volontourisme, le 4-week volunteer program, consiste à effectuer un séjour de trois semaines au centre du JRC et de passer la dernière semaine à La Ceiba. Les rôles alors attribués aux individus sont l'assistance dans la prise en charge des animaux non-humains et l'entretien des sites. Ces rôles se limitaient à des tâches simples nécessitant guère un savoir-faire particulier bien qu'une certaine rigueur. Ainsi, nous assistions les membres permanents et les salariés dans leur tâche et étions polyvalents.

b. Payer sa place

L'accès à La Ceiba et l'intégration au collectif du JRC m'a été possible par la transmission d'un apport financier. Par ce biais, je me suis inconsciemment inscrite dans les logiques fonctionnelles du collectif, mais aussi dans ses logiques structurelles, en recevant un statut précis faisant sens pour ses membres. L'attribution du statut de volontaire m'a inséré dans le réseau relationnel du JRC et m'a désigné une place qui, en tant qu'apprentie anthropologue, m'a imposé l'acceptation de certaines règles (F. Fogel, I. Rivoal, 2009).

Dans les logiques structurelles du JRC, le volontaire a un statut particulier et des images lui sont rattachées. Le plus souvent son passage est éphémère, ne restant que pour la durée de son séjour ; il a un caractère interchangeable, dans le sens où les volontaires constituent une équipe dont les membres diffèrent chaque semaine et sont peu formés. Et si les tâches confiées aux volontaires sont identiques chaque jour, les individus à leur charge change continuellement. D'une certaine

11 Cette somme est une participation financière fixe demandée à chaque nouveau volontaire, peu importe la durée du volontourisme et le nombre de fois qu'il revient au centre (E. Leroy, 2018). Elle ne comprend pas les frais d'hébergement, de transport et de premières nécessités. A La Ceiba, la logique financière est quelque peu différente dans la mesure où le travail volontaire et l'isolement du site impose de loger sur place. Ainsi, chaque mois coûte 300 dollars aux volontaires, à savoir 75 dollars par semaine.

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manière peu importe quel individu rempli la mission, tant que celle-ci est menée à bien. De plus, l'usage du volontourisme comporte un intérêt financier non négligeable pour le collectif du JRC, sans compter l'apport d'une main d'oeuvre gratuite, lui permettant de pérenniser son activité d'un point de vue économique.

En tant que volontaire, j'ai facilement intégré l'espace d'observation par une implication continue sur le terrain. Ce statut m'a permis d'être reçue et d'être perçue par les membres du collectif, qui m'ont alors donné un rôle dans la structure et des tâches à accomplir. Et si « l'ethnographe est celui qui doit être capable de vivre en lui la tendance principale de la culture qu'il étudie » (F. Laplantine, 2010, p. 22), intégrer le JRC par le biais du volontourisme m'a offert la possibilité de m'y immerger, d'intégrer rapidement les codes de conduite appropriés et d'adopter les us adéquats.

Le statut de volontaire m'a cependant imposé une certaine marge d'action ethnographique. En terme de hiérarchie, le volontaire se situe en bas de l'échelle (Annexe 2), ce qui rend difficile la création d'un lien autre que professionnel avec les managers, les salariés, et plus encore avec la fondatrice. En effet, l'image projetée du passage momentané du volontaire a pour conséquence une certaine prise de distance par les membres permanents du collectif, qui peut être évincée par un séjour plus long.

De plus, si le genre impacte l'expérience de l'ethnographe (M. Blondet, 2008), j'ai pu constater sur le terrain une différence de perception de la femme et de l'homme, notamment dans la distribution des tâches à accomplir. Cependant, cela s'explique par un soucis d'efficacité, pour des missions nécessitant une grande force physique par exemple, et n'a jamais entravé le processus d'acquisition des données.

Ainsi, le statut de volontaire m'a donné une certaine marge d'action mais m'a aussi assigné à des codes de conduite particuliers. A partir de ces éléments, une posture d'observation s'est imposé à moi, celle de la participation observante.

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2. Méthodologie appliquée sur le terrain

a. La participation observante et ses biais

Étant un territoire privé, l'accès à La Ceiba reste sous la supervision du JRC et n'est pas accessible à tous. Le seul moyen de dépasser le portail (Figure 6, p. 20) qui symbolise la frontière de ce milieu végétal singulier, est d'intégrer le collectif par le biais d'une participation active, comme volontaire ou salarié, ou en tant que visiteur ponctuel. Cette condition impose au chercheur de se positionner au-delà du « simple » observateur en « prenant part et [en occupant] une fonction déterminée dans ce qui est l'objet de l'observation » (C. Makaremi, 2008, 4).

Si la participation observante est un terme alternatif à celui d'observation participante (S. Bastien, 2007), il me paraît plus propice pour exprimer la méthode d'enquête adoptée. En effet, mon implication dans les activités du JRC surplombait bien souvent l'observation, en raison de l'engagement que j'avais pris auprès des humains et des animaux non-humains du collectif.

En tant que volontaire, je me suis engagée auprès du collectif avant même d'avoir accès au terrain. Je n'étais pas seulement présente pour effectuer une enquête ethnographique mais également pour participer activement à l'activité du JRC, c'est d'ailleurs comme cela que j'étais perçue. Dans la même idée, une forme moins consciente d'engagement persistait dans mes activités quotidiennes. Il s'agissait de l'engagement indirect pris envers les animaux non-humains du collectif, lié à l'activité de soin qui leur était apportée.

De ce double engagement a découlé une posture de participatrice qui observe, pour reprendre les termes de Jean-Pierre Olivier de Sardan (D. Lavigne, 2018). Cela nécessite d'apprendre à « gérer les risques de la subjectivation » (S. Bastien, 2007, p. 129 ; Favret-Saada, 1977). A ce propos, il me semble m'être laissée happer par le terrain, si bien qu'il me manquait parfois le temps de noter mes observations dans mon carnet. C'est un biais dont je n'avais pas conscience en adoptant cette méthode d'observation mais que je souhaite résoudre en optant pour une posture d'observation participante périphérique (Ibid., p. 129 ; P. A. Adler, P. Adler, 1987) dans mes projets futurs, si le terrain le permet.

Par ailleurs, François Laplantine rappelle que « nous ne sommes jamais des témoins objectifs observant des sujets, mais des sujets observant d'autres sujets au sein d'une expérience

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dans laquelle l'observateur est lui-même observé » (F. Laplantine, 2010, p. 23). C'est d'autant plus vrai dans le contexte d'une participation observante au sein du JRC. En tant que volontaire, ma participation dans les activités du JRC à La Ceiba impliquait un regard attentif des membres permanents du collectif, et notamment des managers. Rien n'était fait sans qu'ils en soient avertis a priori ou a posteriori.

En tant que membres salariés et permanents du collectif, ils avaient la position légitime pour juger du caractère profitable de la présence des volontaires à La Ceiba. Les activités sur place nécessitaient une rigueur stricte et un don de soi exigeant ; « mal » effectuer les tâches entraînait une réprimande voir un parfait rejet, comme ce fût le cas pour un volontaire ayant un comportement jugé inapproprié avec les animaux non-humains du collectif. Ashley mit tout en oeuvre pour avancer la date de son départ : « I'm gonna make him leave on wednesday » me confia-t-elle lors d'une conversation à son sujet. Je dois avouer avoir moi-même développé une certaine animosité envers ce volontaire, me faisant omettre de récolter des données à son sujet, alors qu'il aurait été un informateur fort pertinent pour ce sujet d'étude.

Le souci de ces regards a contribué à me faire évoluer dans ce biais méthodologique. Plus je m'impliquais, plus on m'apportait une certaine attention et m'intégrait au sein des membres permanents du collectif. C'est d'ailleurs par ce moyen que j'ai pu nouer des relations autres que professionnelles avec les membres humains et accéder à certaines informations tabous, notamment sur la présence de l'arbre ceiba pentandra.

b. Le choix des informateurs et les conversations informelles

Me positionnant comme un membre du collectif, plus que comme une observatrice extérieure, j'ai constaté après coup une certaine ambiguïté de la méthode ethnographique adoptée quant aux relations entretenues avec mes interlocuteurs et à la mise en place d'entretiens.

En effet, être perçue comme volontaire a engendré des barrières invisibles m'empêchant d'accéder à certaines sphères du JRC. La hiérarchie étant effective au sein du collectif, je n'avais pas la position légitime pour engager une discussion avec les visiteurs ou avec les acteurs décisionnaires dont Encar, ce qui limita mon champ d'action ethnographique aux volontaires et aux managers.

De plus, mon implication sur le terrain limitait un détachement et une prise de recul, et seuls les informateurs avec lesquels je développais une affinité étaient avertis de mon travail

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ethnographique (bien que j'avais renseigné le collectif au préalable, mais l'information n'avait pas été retenue ni transmise). Ce phénomène est rendu visible dans l'acquisition des données récoltées directement sur le terrain et me plongea dans un biais méthodologique limitant ma considération des autres individus comme informateurs.

A ce propos, le carnet de terrain a régulièrement fait un travail de médiateur entre mon statut d'apprentie anthropologue et mes interlocuteurs, dans la mesure où son utilisation régulière et visible suscitait un questionnement engageant une discussion sur les raisons de ma venue. Les réactions étaient multiples, allant de la simple ignorance, jusqu'à une envie sincère de prendre part à l'enquête, en passant par une méfiance visible12. Elles ont aiguillé mes choix d'interlocuteurs mais m'ont indirectement conduite à m'inscrire dans « le principe de l'« informateur privilégié » » (J.P. Olivier de Sardan, 2003, p. 36), impliquant un biais d'invisibilisation de certains acteurs du terrain ethnographique. La triangulation m'a tout de même permis de croiser les regards, et de construire les hypothèses d'étude de ce travail, mais n'a pas été « complexe » (Ibid., pp. 43-44) n'intégrant que cinq interlocuteurs réguliers.

Par ailleurs, si le temps passé à m'intégrer dans le collectif a fait défaut à l'exercice d'entretien formel, il a contribué à élargir les possibilités d'avoir des conversations informelles avec les acteurs du JRC. Cette méthode d'acquisition de données permet d'éviter le caractère imposé des entretiens et le biais lié au manque de spontanéité de la situation ainsi construite (J. P. Olivier de Sardan, 1995). Suivre la conversation banale et l'amener vers une conversation semi-directive permet d'atteindre « une réelle liberté de propos » (Ibid., 32). Cependant, cette méthode nécessite une improvisation et une adaptation constante du discours, et impose une longue imprégnation sur le terrain afin de connaître le mode de communication approprié du collectif (Ibid., 32 ; 2003, pp. 30-31). Dans le cadre de ce travail, qui s'est effectué sur un temps relativement court13, elles ont suffit à construire les premières hypothèses liées à l'objet d'étude, mais devront être complétées par la mise en place d'entretiens formels afin d'en approfondir les questionnements.

12 Lorsque j'expliquais à l'un des volontaires en quoi consistait mon carnet et pour quelles raisons je le complétais quotidiennement, il me dit « Tu nous étudies en fait. » (en langue originale) ce qui dénotait une certaine méfiance et a limité nos interactions par la suite. Tandis qu'à l'autre extrême, l'un des volontaires a voulu s'impliquer dans ce projet d'étude avec un grand enthousiasme et m'indiqua être tout à fait disponible si j'avais besoin d'informations.

13 J'ai intégré le collectif du JRC le 4 mars 2019 mais le temps d'immersion à La Ceiba s'est établi du 25 mars au 14 avril 2019, soit 21 jours et 20 nuits. Un temps que j'estime suffisant pour l'imprégnation avec le terrain, mais insuffisant pour entrer dans le vif de l'enquête.

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c. Biais méthodologiques liés au sujet de l'étude

Dans la mesure où cette étude a pour projet de rendre compte des représentations des membres humains du JRC concernant l'écosystème forestier La Ceiba, il est important d'évoquer les biais existants à travers cette notion de représentation.

Étudier les représentations peut conduire à un biais et donner « l'illusion ontologique de l'unité, de l'identité, de la stabilité et de la permanence de sens » (F. Laplantine, 2010, p. 37). Or, au sein d'un même collectif, l'enquêteur est amené à faire face à une multiplicité de représentations car celles-ci diffèrent selon l'informateur ( (J.P. Olivier de Sardan, 2003, p.44). En ce sens, et dans la mesure où l'humain est doté d'une grande subjectivité, son discours l'est aussi et ne peut être présenté comme « [le reflet] d'une culture » (Ibid., p. 50). Alors, porter une analyse des représentations en se basant uniquement sur des éléments discursifs implique un biais d'étude non négligeable. L'étude des pratiques sociales vient contrebalancer ce biais, mais il s'agit toujours d'« une description des principales représentations que les principaux groupes d'acteurs locaux se font » (Ibid., p. 51) et non la lecture de généralités présentes par-delà le collectif concerné. Si cette étude a pour ambition de s'étendre à d'autres collectifs, il sera important de voir d'autres configurations méthodologiques (Ibid., p. 51).

Par ailleurs, l'étude des représentations rendue compte dans le travail rédactionnel est un « discours produit sur le discours » (E. Leroy, 2018, p. 38), en ce sens où elle est le produit de l'interprétation subjective du chercheur. En effet ce dernier appréhende la réalité sociale du terrain et construit un récit à partir des données saisies, si bien que si elle existe « hors de lui [...] elle n'a aucun sens indépendamment de lui » (F. Laplantine, 2010, p. 39).

Il est important de noter que toute étude ethnographique s'inscrit toujours dans un temps donné et s'effectue auprès d'un univers social particulier en évolution constante. En ce sens, si un propos anthropologique peut être une vérité scientifiquement viable à un moment précis et pour un collectif donné, il peut être tout à fait confus et faussé pris dans un autre instant et dans un autre collectif.

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3. Choix rédactionnels

a. L'emploi du « je » méthodologique

Si cette note d'avancement est un écrit dont l'un des objectifs est de cristalliser les données de l'observation sur le terrain, la littérature grise et la littérature savante, c'est également une manière de dire ce qui a été perçu à l'issu de cette expérience en mettant en jeu « les qualités d'observation, de sensibilité, d'intelligence et d'imagination scientifique du chercheur. » (F. Laplantine, 2010, p. 10). Si je ne me considère pas comme chercheuse mais bien comme apprentie, je pense tout de même que ce travail s'apparente à une écriture du voir, pour reprendre les termes de François Laplantine, qui implique ma seule subjectivité.

La tradition anthropologique suggère un effacement total du narrateur dans la rédaction mais l'idée que « le texte ethnographique [...] résulte d'une expérience subjective » (C. Ghasarian, 1997, p. 193) et l'usage du « je » méthodologique sont de plus en plus assumés au sein de la communauté scientifique, qui exerce un certain rejet du positivisme en faveur d'une posture plus critique (J.P. Olivier de Sardan, 2000, p. 422).

J'ai alors choisi d'employer le « je » afin de mettre en avant mon « rôle méthodologique » pris dans la production des données à la fois sur le terrain et en dehors (Ibid., p.425) mais aussi afin d'inscrire ma parole dans cette enquête, et non celle d'un autre qui se donnerait à voir à travers les figures du « on » indéfini, ou du « « nous » professionnel » (F. Laplantine, 2010, p. 48). Et si j'ai manqué à maintes reprises de faire usage de ce dernier pronom, notamment pour m'intégrer dans le groupe social formé par les volontaires ou dans les membres humains du JRC en général, je ne pense pas qu'en tant qu'étudiante, je sois dans une position légitime pour le faire. De plus, cela impliquerait de parler en leur nom et induirait un autre biais.

b. Un état de l'art parsemé

Les consignes pour cette note d'avancement suggéraient de construire un état de l'art dans une partie unique ; or, par soucis d'argumentation, celui-ci est étalé tout au long de l'écrit. En effet, mon argumentaire s'est construit au fur et à mesure des lectures savantes que j'abordais et qui étaient croisées directement à la littérature grise et aux données récoltées sur terrain. De cette

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manière, plutôt que d'élaborer un état de l'art en un bloc théorique et bibliographique, j'ai construit un état de l'art parsemé, rendant compte du fil de ma pensée argumentative.

Je tiens à préciser que la littérature grise a été abordée avant d'entrée sur le terrain, pendant, mais aussi après, tandis que les lectures savantes, même celles concernant les savoirs méthodologiques, ont suivi la première expérience de terrain et ont par ailleurs découlé de celle-ci.

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CONCLUSION

Autrefois brillante d'un humanisme hégémonique anthropocentré, la réalité européenne semble aujourd'hui bouleversée dans ces fondements. La prolifération des discours sur le déclin du monde non-humain végétal et animal, l'incertitude de la pérennité humaine et la diffusion des réalités issues de l'ailleurs, remettent en question les pensées communément admises et enclenche les prémisses d'une reconsidération des visions du monde.

Si l'européen a sans cesse questionné l'assise de ses relations avec les non-humains, il subit aujourd'hui les effets négatifs de ses modes de vie qui déséquilibrent l'harmonie du vivant tel qu'il le concevait jusqu'alors. Notre époque est tant troublée par les enjeux écologiques que la communauté scientifique instaure consensuellement une nouvelle ère, l'Anthropocène. Et si cette ère s'inscrit dans un anthropocentrisme extrême, s'alignant sur l'humanisme métaphysique fort de la pensée européenne, elle n'omet pas moins de placer l'individu face à sa responsabilité. Tout de même, et que l'on y adhère ou non, il s'agit bien là d'une vision particulière du monde ne remettant que très peu en cause la frontière ontologique entre les humains et les non-humains. Elle ne reconsidère pas la place de l'homme, bien ancrée dans la conscience collective européenne, mais nous dit plutôt que ce « maître du monde » se doit de prendre soin de la nature pour vivre dans l'abondance et la tranquillité.

Malgré cela, l'instauration de cette idée tend à bouleverser les comportements et les manières de vivre. Les européens voient l'environnement changer à grande vitesse si bien que l'ampleur des conséquences démontrées scientifiquement dépasse leur entendement. La grande solution présentée dans l'imaginaire collectif est d'agir, et ce, dans une idée flatteuse feignant l'héroïsme : « agir pour sauver notre Planète ». Si certains choisissent le scepticisme, ceux qui ont intéressé notre étude ont choisi l'action ; leurs actions viennent-elles transcender les visions européennes préétablies sur le monde végétal ? Alors, si cette hypothèse se vérifie, comment la forêt traverse-t-elle les hommes ?

Malheureusement, cette note d'avancement n'aura pas la possibilité d'aboutir sur un mémoire approfondi, pour des raisons financières et pour des conditions d'accès au terrain d'enquête restreintes. Cependant, j'espère pouvoir approfondir certaines réflexions concernant le rapport humain avec le monde végétal forestier au sein d'un autre collectif en Master 2.

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ANNEXES

Annexe 1 - Loi Forestal n°4465, datant de 1969, extraits en version d'origine

Ley Forestal 4465, Fecha 1969

(NOTA: texto vigente hasta que fue derogada por Ley N° 7575 de 13 de febrero de 1996)

Artículo 1.- La presente ley establece como función esencial y prioridad del Estado, velar por la protección, la conservación, el aprovechamiento, la industrialización, la administración y el fomento de los recursos forestales del país, de acuerdo con el principio de uso racional de los recursos naturales renovables.

Artículo 7.- Se entiende por régimen forestal el conjunto de disposiciones, entre otras, de carácter jurídico, económico y técnico, establecidas por esta ley, su reglamento y demás normas y actos derivados de su aplicación, que regulen la conservación, la renovación, el aprovechamiento y el desarrollo de los bosques y de los terrenos de aptitud forestal del país.

Artículo 35.- Dentro del patrimonio forestal del Estado se constituirán:

a) Reservas forestales: Estarán formadas por los bosques cuya función principal sea la producción de madera, y por aquellos terrenos forestales que por naturaleza sean especialmente aptos para ese fin.

b) Zonas protectoras: Estarán formadas por los bosques y terrenos de aptitud forestal, en que el objetivo principal sea la protección del suelo, la regulación del régimen hidrológico y la conservación del ambiente y de las cuencas hidrográficas.

c) Parques nacionales: Son las regiones establecidas para la protección y la conservación de las bellezas naturales y de la flora y la fauna de importancia nacional, a fin de que, al estar bajo vigilancia oficial, el público pueda disfrutar mejor de ellas.

Estas áreas presentan uno o varios ecosistemas no transformados y poco modificados por la explotación y ocupación humana, en que las especies vegetales y animales, los sitios geomorfológicos y los habitats son de especial interés científico y recreativo o contienen un paisaje natural de gran belleza. Corresponde a la más alta autoridad competente del país adoptar medidas adecuadas para prevenir o eliminar, tan pronto como sea posible, la explotación y para hacer respetar las características ecológicas, geomorfológicas y estéticas que han determinado su establecimiento.

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Los parques nacionales y reservas biológicas serán administrados por el Servicio de Parques Nacionales.

ch) Refugios nacionales de vida silvestre: Estarán formados por aquellos bosques y terrenos cuyo uso principal sea la protección, la conservación, el incremento y el manejo de especies de la flora y la fauna silvestres.

d) Reservas biológicas: Estarán formadas por aquellos bosques y terrenos forestales cuyo uso principal sea la conservación, el estudio y la investigación de la vida silvestre y de los ecosistemas que en ellos existan.

Sistema Costarricense de Información Jurídica

Joan Garolera Directeur général

Enca Garcia

Co fondatrice, directrice et biologiste

Elena
Responsable
des primates

Torey
Manager
guides
touristiques

Guides
touristiques

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volontaires

Georgina
Carnavale
Vétérinaire

Nerea Irazabal
Directrice de
l'exploitation

Roger Such
Vétérinaire en
chef

Julio
Comptable

Tamara
Administration

Angelica et
Miriam
Responsable
cuisine et
responsable
snack

Agents de
maintenance
et d'entretien

Carol et
Jenys
Gardiennes

es

court et long terme

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Annexe 2 -- Organigramme du Jaguar Rescue Center, réalisé à partir des données récoltées sur le terrain et sur le site www.jaguarrescue.foundation/

58

Annexe 3 - Loi de conservation de la vie sylvestre n°7317, datant du 30/10/1992, extrait de l'article 2, en version originale.

Artículo 2.- Para los efectos de esta ley se entiende por:

Áreas oficiales de conservación de la vida silvestre(*): áreas silvestres protegidas por cualquier categoría de manejo, áreas de protección del recurso hídrico y cualquier otro terreno que forme parte del patrimonio forestal del Estado.

Centro de rescate: sitio de manejo de vida silvestre cuyo objetivo es rehabilitar vida silvestre que haya sido rescatada, decomisada o entregada voluntariamente, para su recuperación y reinserción al medio natural cuando lo amerite. Aquellos organismos cuya condición no permita su reinserción al medio natural serán depositados en sitios de manejo de vida silvestre definidos en esta ley. No tienen fines de lucro y no están abiertos al público.

Fauna silvestre: la fauna silvestre está constituida por los animales vertebrados e invertebrados, residentes o migratorios, que viven en condiciones naturales o que hayan sido extraídos de sus medios naturales o reproducidos ex situ con cualquier fin en el territorio nacional, sea este continental o insular, en el mar territorial, en aguas interiores, zona económica exclusiva o aguas jurisdiccionales y que no requieren el cuidado del ser humano para su supervivencia; así como aquellos animales exóticos, vertebrados e invertebrados, declarados como silvestres por el país de origen; incluye también los animales criados y nacidos en cautiverio provenientes de especimenes silvestres. La clasificación taxonómica de las especies se establecerá en el reglamento de esta ley.

Flora silvestre: la flora silvestre está constituida por el conjunto de plantas vasculares y no vasculares, algas y hongos existentes en el territorio nacional, continental o insular, en el mar territorial, aguas interiores, zona económica exclusiva o aguas jurisdiccionales, que viven en condiciones naturales o que hayan sido extraídas de su medio natural o reproducidas ex situ con cualquier fin, las cuales se indicarán en el reglamento de esta ley; así como aquellas plantas vasculares y no vasculares, algas y hongos exóticos declarados como silvestres por el país de origen; incluye también las plantas vasculares y no vasculares, algas y hongos que hayan sido cultivados en cautiverio provenientes de especimenes silvestres. Se exceptúan de ese conjunto las plantas vasculares que correspondan al concepto de "árbol forestal" y las plantas, hongos y algas de uso agrario, de acuerdo con la definición dada por la ley o la reglamentación que regula esta materia.

59

Sitio de manejo de vida silvestre: lugar o espacio que provee diferentes grados de manejo y protección a la vida silvestre. Incluye las siguientes categorías: zoológico, zoocriadero, centro de rescate, vivero, acuario, jardín botánico, herbario, museos naturales, banco de germoplasma, exhibiciones y otras áreas delimitadas para el manejo ex situ, con o sin fines comerciales, con el objetivo de conservación, educación, investigación, reproducción, reintroducción, restauración y exhibición, quedan excluidos los jardines domésticos y decorativos.

Vida silvestre: conjunto de organismos que viven en condiciones naturales, temporales o permanentes en el territorio nacional, tanto en el territorio continental como insular, en el mar territorial, aguas interiores, zona económica exclusiva y aguas jurisdiccionales y que no requieren el cuidado del ser humano para su supervivencia. Los organismos exóticos declarados como silvestres por el país de origen, los organismos cultivados o criados y nacidos en cautiverio provenientes de especímenes silvestres, sus partes, productos y derivados son considerados vida silvestre y regulados por ley.

Zoocriadero: sitio que puede tener o no fines comerciales, en el cual se propaga o reproduce vida silvestre, con conocimiento del manejo de las especies, fuera de su hábitat natural y donde se involucra el control humano, en el proceso de selección y elección de los organismos que se reproducirán.

Zoocriadero artesanal con manejo restringido: sitio de manejo que reproduce vida silvestre cuyas poblaciones no están reducidas o en peligro de extinción. Los fines principales son el suministro del plantel parental para otros zoocriaderos, el consumo familiar, la educación ambiental y la restauración de ecosistemas. La supervisión será realizada por el personal técnico del área de conservación respectiva.

Zoológico: sitio de manejo que mantiene vida silvestre en cautiverio, puede ser con fines comerciales o no, bajo la dirección de un cuerpo de profesionales que les garantiza condiciones de vida adecuada en una forma atractiva y didáctica para el público. Sus principales objetivos son la conservación, educación, investigación y exhibición de la fauna silvestre de una manera científica.

Sistema Costarricense de Información Jurídica

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Annexe 4 - Le ceiba pentandra, description et illustrations

Figure 9: Exemple de fût de ceiba pentandra (photo de François Gohier, source: sciencesourceimages.com)

Figure 10: couronne de jeune ceiba pentandra (source:plantes-botanique.org)

Figure 11: fût de ceiba pentandra (source: plantes-botanique.org)

Le ceiba pentandra est un arbre géant présent du Mexique jusqu'au Brésil, dont la taille varie entre 20 et 60 mètres. Il possède un tronc gonflé à la base s'étendant sur 2 à 5 mètres de diamètre, des branches allant jusqu'à 10 mètres de large, et une grande couronne feuillue. Semi-persistant, il perd ses feuilles à la saison sèche, ce qui n'arrive pas à La Ceiba en raison du climat.

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Annexe 5 - Description et illustration du serpent lachesis stenophrys

Figure 12: Femelle lachesis stenophrys (A) Nouveau né lachesis stenophrys (B) (source: ResearchGate, 2013)

Espèce endémique du Nicaragua, du Costa Rica et du Panama, ce serpent fait partie de la famille des viperidae et est considéré comme l'une des espèces les plus dangereuses au monde. Il vit dans les forêts dont le taux d'humidité est extrême et atteint 200 centimètres de longueur à l'âge adulte.

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Annexe 6 - Photo du sentier dallé aménagé par le Jaguar Rescue Center à La Ceiba

Figure 13: Sentier dallé de La Ceiba menant jusqu'aux maisons touristiques (source: site officiel du JRC:

https://www.jaguarrescue.foundation/en-us/SupportUs/StaywithUs/LaCeibaHouse )

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Annexe 7 - Illustration de l'espèce animal amazone à lores rouges (amazonia autumnalis)

Figure 14: amazonia autumnalis (source: oiseaux.net)

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Annexe 8 - Formulaire d'inscription au Jaguar Rescue Center

JAGUAR RESCUE CENTER FOUNDATION
Volunteer Application Form

YOUR PICTURE

Arrival date: Departure date:

Full name:

Country of origin: Passport number: Date of birth:

E-mail:

Contact phone: Address:

Donation Fee:

The minimum stay is of 4 weeks: 21 nights at the JRC + 7 nights at La Ceiba. Accommodation is included.

The total price is $825 ($350 volunteering donation fee + $475 accommodation). You will have to place 2 payment upon reservation in order to confirm your stay. In any case of cancellation, we do not refund the deposit.

The other half of the payment you have to pay 2 months before your arrival.

In the case of a cancellation on the part of the volunteer, no refund will be given. The JRC is not

responsible for any unforeseen event that may cause you to cancel your booking. This includes viruses, disease, sickness, pregnancy, weather, act of nature, or any other event non-related to the JRC. We recommend that you purchase a third party travel insurance in advance of your travel here in Costa Rica.

Occupation or academic qualifications:

Experience in the animal field (if possible species and dates): NONE Spoken languages (score from 1 to 5, where 1 = very low and 5 = very high)

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Language

Written level

Spoken level

SPANISH

 
 

ENGLISH

 
 

Other:

 
 

Why would you like to volunteer at the JRC?

Do you have any chronic disease? Medical restrictions?

Allergies?

It is obligatory to run a Tuberculosis test to discard a transmission of the illness to the animals. If you haven't run it yet, remember to do it before coming and bring a copy of the results, or you won't be able to work with our primates.

Date of your tuberculosis test:

Results of the test:

Details of your health insurance (in case of emergency): Emergency contact person:

COSTA RICA is a nice and calm place but sometimes visitors that come here want to experience with different drugs. We have a very strict anti-drug policy, so if we find out that one of our volunteers is related to any kind of drug is going to be directly expelled from the Jaguar Rescue Center. People who use, please, abstain.

I hereby declare that I know fully and fully accept the risks inherent in visiting / volunteering Jaguar Rescue Center, and participate in activities and use of this service, and hereby waive any compensation for all kind damage that may occur in my physical or moral concept. Under this waiver I agree to not promote or engage in any action against the Jaguar Rescue Center, or against their owners or legal representatives, or against any person participating or assisting in such activities, or against any person or entity that directly or indirectly involved in any way that I have to participate in such activities.

I hereby agree that photos and videos of me could be taken and uploaded to social network.

The use of mobile phones and electronic devices at the Center during working hours is prohibited. Use of these devices in the Coffee Shop or outside during break time is permitted.

Volunteers are not allowed to take photographs or videos during their workday. It is imperative that volunteers understand that because of the Law of Conservation of Wildlife in Costa Rica and our own policy is totally forbidden to take pictures of animals in contact with people.

Signature

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Annexe 9 - Contenu du mail de prise de contact envoyé au JRC en décembre 2018

Object: internship demand Hello Jaguar Rescue!

My name is Marion, I am 23 years old and currently, I am in the first year of Master in Anthropology at Lyon 2 University. I am contacting you on internship possibility. I am looking for an internship (one month and a half) starting in February or March 2019 in order to achieve my first year. I found your foundation online and, among other organisms in America, yours fits perfectly with my plans of a thesis that I am going to explain. Moreover, it holds my interest in its history, its values, its purposes, and its organization.

Sensible about the ecological disorders of our time and the animals' conditions, I am writing a thesis about the ecologist and humanitarian consciousness through the animals' protection. As an anthropologist, I am focusing on the relationship between humans and animals on contexts of ecological emergency such as disease and natural or human disasters. I would be honored to intern your staff to take part in your activities, to gain experiences in animals protection and to highlight the scope of your actions. Furthermore, integrate your foundation would allow me to further my study of «environmental consciousness» by being a volunteer and meeting others. Indeed, I am particularly curious about your educational program with tourists and locals but I also want to discover the biodiversity of this country and how your work contributes to protecting the Costa Rican's and the Ceiba forest's ecosystem.

I can offer you my help in every kind of jobs as long as it does not require higher skills in medicine. I am a hard worker, always have eager to learn, and I have an endless energy and curiosity. I love animals, of course, and I am a good student, strongly passionated by my field. I plan to be an anthropologist specialized in nature and focused on human relationships with animals and its environment. My goal through this job is to show how necessary is to respect animals, the biodiversity and the environment in order to maintain a sustainable and healthy life. In other words, to make people realize our impact on the earth and how dangerous it is for us, for animals and for every life forms. I also want to be implicated in my job, therefore, I would be happy to take part in your action as a volunteer and not as an extern researcher.

Thus, your foundation would be the perfect place for me to start my thesis. If you are interested in it, I would be really happy to be part of your team. I am reachable by email and by phone (+33632502161), I hope to hear from you soon.

Best wishes

Marion Picard

Student in Anthropology Lyon 2 University

FRANCE






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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery