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La spécificité du personnage héroà¯que dans le Comte de Monte Cristo


par Hagar Ali-Cherif
CY Université  - Licence de Lettres Modernes  2022
  

Disponible en mode multipage

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Année universitaire 2021-2022

La spécificité du personnage héroïque dans Le

Comte de Monte Cristo

Mémoire préparé sous la direction de Mme Corinne Blanchaud

Présenté et soutenu par Hagar Ali-Cherif

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Remerciements

Je voudrais dans ces quelques lignes remercier toutes les personnes qui ont contribué à la rédaction de ce mémoire.

En premier lieu je souhaiterais exprimer ma reconnaissance à Mme BLANCHAUD pour m'avoir guidé pas à pas dans la réalisation de ce travail et avoir toujours eu un conseil pertinent à me donner.

Ces remerciements s'appliquent enfin de façon plus générale à l'ensemble de la promotion des L3 de Lettres modernes. L'atmosphère d'entraide collective qui y règne a apporté à mes études l'ambiance studieuse nécessaire à la réalisation d'un projet comme ce mémoire.

À tous, je témoigne mon respect et ma gratitude.

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Table des matières

Remerciements

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Table des matières

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Introduction

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Partie I : Une évolution significative de la conception Dumasienne

du héros

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1. Maturité et apprentissage

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2. L'ambition au service d'un idéal personnel

..9

 

Partie II : Un érudit parmi les ignorants

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1. Dantès, le héros cosmopolite

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2. Une utilisation ambigüe du savoir

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Partie III : La persistance du mystère autour de la figure du comte

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1. La notion de travestissement

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2. Une narration équivoque

.17

Conclusion

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Bibliographie

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Introduction

1807, Nîmes. À la suite d'un complot contre sa personne, le cordonnier François Picaud faussement accusé d'espionnage pour le compte de l'Angleterre est emprisonné sept ans à la forteresse de Fenestrelle, ignorant tout du motif de son incarcération. Libéré en 1814, riche d'un trésor que lui aurait légué un compagnon de cellule et revenant sous le nom de Joseph Lucher il se venge des quatre conspirateurs responsables de la machination avant de mourir lui-même assassiné. Issue des archives de la police et narrée par Dumas en personne1, cette histoire réelle, quoique très romancée, constituera le modèle du jeune marin Edmond Dantès, personnage principal du roman le plus célèbre de cet auteur : Le Comte de Monte Cristo2.

Genre très prisé et florissant au XIXème siècle, le roman feuilleton s'appuie sur des personnages marquants, adulés du grand public. Parmi la foule de héros qui peuplent l'oeuvre de Dumas, l'un des plus connus en France comme à l'étranger est sans conteste le second du navire Le Pharaon : Dantès. Il est tout à fait pertinent de se demander ce qui confère une telle aura au futur comte de Monte Cristo et en fait un héro qui se démarque de la représentation habituelle qu'on est en droit d'attendre d'un personnage principal. L'idée du justicier par excellence est l'un des points les plus fréquemment soulevés dans l'étude du personnage au même titre que le concept du travestissement : obligatoire pour parvenir à ses fins. Ces deux notions sont importantes et nous les développerons plus avant. Or si elles amorcent un fécond début de réflexion, elles ne constituent cependant qu'une partie des raisons qui différencient Edmond Dantès des autres héros de feuilleton. Quelles peuvent bien être ces raisons ? C'est ce que nous allons tâcher d'éclaircir dans ce mémoire en nous interrogeant sur la spécificité du personnage héroïque dans Le Comte de Monte Cristo.

En nous appuyant sur une lecture approfondie des tomes du roman et d'articles universitaires, nous étudierons tout d'abord le personnage comme étant le contre-pied du héro de roman Dumasien, mis en parallèle pour ce faire avec la figure du mousquetaire d'Artagnan, du même auteur. Ce que nous découvrirons nous amènera à aborder la position peu commune de Monte Cristo par rapport au savoir et à la connaissance que ce soit dans le domaine scientifique ou philosophique, rendant pour finir, le comte un être mythique encore plus impénétrable qu'avant.

1 DUMAS, Alexandre, Oeuvres complètes d'Alexandre Dumas, Paris, 1850-1857, p.404-408.

2 DUMAS, Alexandre, Le Comte de Monte-Cristo, Paris, 1844, folio classique 1998, 2075p. Désormais référencé : [LCMC1] ou [LCM] suivant le tome cité.

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Partie I : Une évolution significative de la conception Dumasienne du héros

Lorsqu'on dit Alexandre Dumas, l'on pense tout de suite à des héros représentant avant tout la fougue et les rêves de la jeunesse. Après tout un roman paraîssant en publication régulières se doit d'être captivant, empli de rebondissements et d'aventures. Cependant cette conception est facilement réfutable si l'on compare Les Trois Mousquetaires3, oeuvre majeure de Dumas s'il en est, avec le comte de Monte Cristo.

Si nous prenons Les Trois Mousquetaires, le personnage archétypal du héros se construit sous nos yeux. D'Artagan est un jeune homme qui vient d'atteindre sa dix-huitième année. Il sera tout au long du livre entouré de compagnons bien plus âgés, certes, mais il n'en reste pas moins le personnage central de l'oeuvre, celui qui lui donne son souffle épique, qui va au devant de l'action là où Athos, Porthos ou Aramis ne se seraient pas aventurés sans réflexion. Il paraît logique de narrer les aventures d'une personne jeune qui ne connaît encore rien à la vie, justement pour que les lecteurs puissent le voir évoluer positivement au fil du récit. Là réside le premier point de divergence entre le sémillant cadet aux gardes et le comte de Monte Cristo. Nous suivons la jeunesse de ce dernier durant un laps de temps compté : du début du livre jusqu'à l'exhumation du trésor. À ce moment là, Edmond Dantès disparaît pour revenir sous la forme de l'abbée Busoni, l'un de ses nombreux déguisements, puis enfin celle du comte de Monte Cristo, un homme d'environ trente à quarante ans, ainsi qu'il est décrit dans le livre : «Il [...] se trouva en face d'un homme de trente huit à quarante ans [...] cet homme avait une figure remarquablement belle; ses yeux étaient vifs et perçants» [LCMC1 : 346p]. On voit que le comte n'est pas spécialement marqué par l'âge, mais qu'il n'appartient déjà plus à la catégorie des jeunes hommes dans laquelle on rangerait plutôt Albert de Morcerf, le fils d'un de ses rivaux. La longueur des ellipses, que ce soit celle de la prison où Dantès passe quatorze ans, ou encore le long voyage à travers le monde qu'il opère après s'être emparé du trésor de Monte Cristo, nous prouve que le livre est centré sur l'Edmond Dantès adulte et non pas le jeune homme. Ce choix narratif nous permet de suivre les aventures d'un homme déjà mûr à qui la vie n'a rien à apprendre, ce qui constitue la déviation d'avec le modèle d'Artagnesque. Là où un monsieur de Tréville ou un Athos accompagnent le jeune bretteur tout au long du roman, la phase d'apprentissage de Dantès est beaucoup plus courte et il s'émancipe très vite de l'abbé Faria pour devenir son propre mentor. Le choix de nous focaliser sur cette partie de la vie du héros est représentatif du thème du livre, qui est la vengeance. Il y a deux façons de la concevoir dans ces

3 DUMAS, Alexandre, Les Trois Mousquetaires, Paris, 1844, 799p.

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deux ouvrages, deux façons qui présentent des similitudes et des différences. Le futur mousquetaire se vengera en effet de Milady pour le meurtre de Constance Bonacieux. S'il venge en quelque sorte un tiers en même temps que de se venger lui-même des affronts que la dame à commis envers lui, il le fait de façon très fougueuse et expéditive ce qu'Athos lui reprochera plus tard. La vengeance de Monte Cristo concerne lui aussi un tiers, son père qui suite à son incarcération est mort de faim, oublié de tous, mais le concerne aussi avant tout lui-même. Or loin d'être rapide, ce qui fait tout le sel et toute la célébrité de la vengeance du comte est qu'elle est très lente. On sent la maturité d'un homme ayant longtemps vécu derrière le plan ourdi de sang froid d'Edmond Dantès. Là où d'Artagnan et ses amis en se faisant justice ressentent beaucoup de douleur, car étant encore jeunes, ou pour le cas d'Athos imprégné de fatalisme, le comte est considéré comme un véritable surhomme justicier, de par son insensibilité et son plaisir apparent pour la souffrance qu'il cause à ses ennemis. Gérard Gengembre, professeur émérite à l'université de Caen reprend dans un article les termes d'Antonio Gramsci sur le comte : «Le type du «surhomme» est Monte-Cristo, libéré de cette auréole particulière de «fatalisme» qui est propre au bas romantisme et qui est encore plus appuyé chez Athos»4, cette idée de libération de notre héros montre bien la différence opérée entre les deux oeuvres et l'évolution de la figure héroïque, munie d'une nouvelle aura et donc d'une interprétation nouvelle.

Avec le comte de Monte Cristo, Dumas prend un nouveau départ, et propose une oeuvre au thème certes très usité, mais traité par un personnage peu conventionel. Car s'ils sont nombreux les romans feuilletons à aborder la notion de vengeance, et ainsi que nous venons de le citer Les Trois Mousquetaires n'échappe pas à la règle, il est plus rare cependant de traiter ce sujet à la manière du Comte de Monte Cristo. D'Artagnan était enclin à pardonner, le comte ne l'est pas, tout du moins pas avant la fin lorsque les doutes le prennent. Pas vraiement antagoniste et pourtant difficilement acceptable comme un protagoniste sans défauts il est novateur de présenter l'histoire d'un homme à la morale bien particulière et au but sanglant posé très clairement et qui donc en montrant le contre-modèle à suivre provoque une rupture entre le héros et le lecteur. Ce dernier continue toujours de suivre avec autant de délectation les aventures du comte, mais sait dorénavant que celui-ci ne consitue plus un modèle et cela l'amène à questionner sa morale, par rapport à celle de Monte Cristo. Encore une fois on remarque l'évolution par rapport à un roman tel Les Trois Mousquetaires où la quasi exemplarité du héros montrait de façon évidente la voie à suivre. Dumas dans Le Comte de Monte Cristo nous fait entrevoir la voie à suivre, mais de façon détournée et par le contre-exemple qu'il donne. C'est ce que Raphaël Yao Kouassi appellerait le héros concave protagoniste.

4 GENGEMBRE, Gérard, «Le comte de Monte Cristo ou le surhomme, la justice et la loi», dans Les Cahiers de la Justice, 2012, n°1, p160.

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Reprenant dans sa thèse sur les héros dans la littérature les explications de Vincent Jouve sur sa classification des différentes typologies de héro il écrit : «Le troisième type est le héros concave protagoniste. Sa conduite est loin d'être exemplaire, mais il est le sujet d'une histoire qui, elle, est porteuse de leçon. En outre, comme il occupe le devant de la scène, c'est lui qui focalise l'attention du lecteur»5. L'évolution d'avec d'Artagnan qualifié, lui, de héro convexe protagoniste est flagrante, un héros convexe protagoniste étant : «un personnage à la conduite exemplaire et qui occupe le devant de la scène [...] héros classique qui, non seulement est, quantitativement, plus présent que les autres personnages, mais qui, en outre, offre au public un miroir idéalisé. C'est, par exemple, Enée, d'Artagnan, ou encore James Bond» [HJA : 79p]. Avec l'exemple du modèle à suivre vient aussi celui des idéaux transmis par le héros. D'Artagnan est fortement politisé, se battant contre le cardinal de Richelieu, grand antagoniste du roman et faisant l'éloge du roi et de la reine. Cette vision de la politique perdure dans les autres tomes ou le romancier nous narre les épisodes de la Fronde et les différents partis dans lesquels les héros se rangent, souvent poussés par d'Artagnan. Le récit du comte de Monte Cristo aurait pu suivre le même chemin mais ne le fait pas. Emprisonné pour cause de Bonapartisme alors même qu'il n'avait pas d'idéaux politiques, le livre aurait pu nous décrire un Edmond Dantès ressassant une véritable haine contre l'empereur qui a indirectement causé sa perte. Par là il aurait pu faire l'éloge du régime monarchique restauré. Or ce n'est absolument pas ce qui se passe. En devenant le surhomme justicier qu'il est, Edmond Dantès se place au dessus des lois humaines, comme un envoyé divin. La politique trouve donc peu d'agrément à ses yeux et il s'en montre fort détaché. En décidant de n'inclure dans sa vengeance que des raisons personnelles et non pas politiques, Dumas ne fait donc pas de l'histoire de Dantès un cas général de l'injustice d'un régime, mais bien une histoire particulière avec un héros tout aussi particulier et qui s'en retrouve par là même rendu unique.

L'évolution de la figure héroïque dans le roman-feuilleton Dumasien est donc avant tout un moyen de mettre en avant un personnage en proposant une réappropriation des thèmes déjà traités et des modèles de héros connus afin d'aller toujours au-delà des attentes du lecteur de l'époque, conférant à Monte Cristo une aura d'être supérieur qui le démarque. Cela vaut lorsqu'on le compare à d'autres héros de romans comme d'Artagnan, mais est aussi valable à l'intérieur même de sa propre histoire où il se singularise par les qualités qu'il possède et sur lesquelles nous allons à présent nous pencher.

5 KOUASSI, Yao Raphaël, Héros, jeunesse et apprentissage dans quelques romans du XIXe siècle : Chateaubriand, René, 1802 - Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830 - Musset, La Confession d'un enfant du siècle, 1836 - Balzac, Illusions perdues, 1837/1843 - Flaubert, L'Éducation sentimentale, Histoire d'un jeune homme, 1869, thèse de doctorat, Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II, 2011, p79. Désormais référencé [HJA].

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Partie II : Un érudit parmi les ignorants

Au début naïf et ingorant, c'est au contact de l'abbé Faria, puis grâce à ses nombreux voyages à travers le monde qu'Edmond Dantès évolue pour devenir le comte de Monte-Cristo. Un homme cultivé dans à peu près tous les domaines possibles et imaginables. Nous avons déjà vu en quoi il différait du modèle du héros habituel dont l'éducation restait à faire. Dans ce roman la situation est inversée puisque c'est le héros qui à un certain point instruira les autres personnages et non le contraire.

Véritable héros des milles et une nuits, Monte Cristo est considéré par beaucoup comme un pacha voyageant incognito. Si la profusion de luxe dont il fait preuve n'est pas sans rappeller les contes orientaux, le personnage ne fait pas que s'approprier le cadre et le décor propre à ces pays, il en intègre aussi la langue principale : l'arabe, qu'il parle avec une grande pureté ainsi qu'on peut le constater lorsqu'il s'adresse à son serviteur Ali. L'arabe n'est d'ailleurs pas la seule langue vivante parlée par le comte, l'abbé Faria ainsi que son passé de navigateur, l'ayant poussé à apprendre l'italien, le romaïque, l'espagnol, l'anglais, l'allemand et le grec en plus du français qui se trouve être sa langue maternelle. Loin donc de faire comme tout le monde et seulement imitier la mode orientale du XIXème siècle, le comte intègre la langue et la culture des pays visités. Cela se remarque lorsqu'il fait monter pour Haydée des appartements et un service tel qu'elle aurait pu en bénéficier dans son palais en Épire ou encore lorsqu'à Rome lors de l'exécution des condamnés Peppino et Andrea il se montre au courant des procédés des différents types de mises à mort. Homme cosmopolite par excellence, Edmond Dantès s'adapte aux pays dans lesquels il s'installe, tant physiquement que moralement. Cependant, revenant d'orient, il ramène de son voyage une philosophie orientale qui n'est pas sans choquer l'aristocratie française à laquelle il en fait part. «Ali est mon esclave ; en vous sauvant la vie il me sert, et c'est son devoir de me servir» [LCMC1 : 605p] dira-t-il à Mme de Villefort, lorsque son serviteur Nubien la sauvera, elle et son fils, d'un attelage aux chevaux enragés. C'est cette intégration de différentes cultures qui, venant s'ajouter à ses très nombreuses connaissances, font de notre héros un homme à la conversation recherchée et à la supériorité écrasante. Danglars, homme d'affaires obsédé par l'argent ne peut soutenir la comparaison et même le procureur du roi monsieur de Villefort, pourtant un esprit aiguisé, habitué aux plaidoiries, condescend à discuter avec cet étrange noble et est surpris par l'acuité et l'étrangeté de ses raisonnements. Franz d'Epinay et le jeune vicomte Albert de Morcerf lui-même, devenu amis du comte l'un à l'île de Monte Cristo, l'autre à Rome, le prenne comme protecteur, un être qui peut accomplir des miracles. Ceci est une manoeuvre habile du comte afin de parvenir à ses fins ainsi que

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nous l'explique Jean-Marie Salien, professeur de littérature à l'université de Strasbourg : «L'efficacité de ces signes, qui dépend de la crédulité de leurs destinataires, se mesure aux réactions de Franz et d'Albert, enfants naïfs que le comte prend pour intermédiaires entre leurs parents et lui et qu'il s'occupe de charmer pour qu'ils le conduisent à leurs pères. Ces deux jeunes gens s'enthousiasment pour Dantès et sont impressionnés par les largesses de cet homme mystérieux qui les gâte. Franz, qu'il a attiré à grand-peine à Monte-Cristo, est ébahi et, bien que tout suggère l'artifice dans le palais de Simbad (alias Dantès), il donne innocemment dans le piège. Albert, moins soupçonneux encore, défendra énergiquement le comte contre les sceptiques»6.

Ainsi, si le savoir multiculturel du héros lui permet de parvenir à ses fin, il entraîne aussi son passage dans un camp plus difficile à définir. En effet la façon dont le comte utilise ses connaissances est tout sauf anodine. Il suffit de se rappeller la conversation sur les poisons qu'il tient avec Mme de Villefort, la seconde épouse du procureur, pour s'en convaincre. Monte Cristo fait le choix d'user de ce qu'il à appris afin de fomenter et de peaufiner sa vengeance. C'est lui qui donne à ladite Mme de Villefort la recette de la drogue avec laquelle elle empoisonnera toute sa famille, plongeant au final son mari dans la folie. C'est par sa connaissance des télégraphes qu'il parvient à corrompre un fonctionnaire et à lui faire envoyer un faux message, influant sur le cours de la bourse et contribuant à la ruine de Danglars. Enfin c'est en divulgant le récit pourtant secret de la trahison du comte de Morcerf qu'il provoque sa chute et plus tard son suicide. La somme de ses savoirs, couplée à la connaissance de faits qui auraient dû rester cachés, met Edmond Dantès en position de force, de supériorité par rapport à ses adversaires. Le fait même que ceux-ci ignorent sa véritable identité et ses intentions lui donne un avantage non négligeable. Toutefois, la façon dont il use de son intelligence afin de commettre une vengeance qui, même si elle est compréhensible, à somme toute de terribles répercussions, empêche le lecteur d'admirer pleinement le comte dont la cruauté et la froideur peuvent en effrayer plus d'un. Il est ironique de constater que les positions extrémistes et dangereuses d'Edmond Dantès ne sont pas dues à ses convictions politiques ainsi que le pensaient ceux qui dans son dossier de détenu notaient une mise en garde contre son bonapartisme enragé. Bien au contraire, c'est par la faute des complotistes que Dantès devient l'homme à l'intelligence redoutable qu'il est, eux qui en l'emprisonnant l'ont amené à rencontrer l'abbé Faria qui lui ouvre les yeux sur tant de choses. On ne peut pas dire que l'évolution du comte soit toujours positive, on pourrait même le qualifier de mégalomane ainsi qu'en témoigne cette conversation tenue avec le procureur du roi.

6 SALIEN, Jean-Marie, «La subversion de l'orientalisme dans Le comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas», dans Études françaises, vol 36, n°1, 2000, p188.

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«- Je dis, monsieur, que [...] il a fallu que l'un dît : «Je suis l'ange du Seigneur» ; et l'autre : «Je suis le marteau de Dieu», pour que l'essence divine de tous deux fût révélée.

- Alors, dit Villefort de plus en plus étonné et croyant parler à un illuminé ou à un fou, vous vous regardez comme un de ces êtres extraordinaires que vous venez de citer ?

- Pourquoi pas ? Dit froidement Monte Cristo». [LCMC1 : 614p]

Il n'empêche que cette mégalomanie se fonde sur une supériorité bien réelle de la connaissance face à l'ignorance, que ce soit une ignorance de ses ennemis due à un manque d'études, ou l'ignorance de l'existence de Dantès dans leur ombre.

Le comte de Monte Cristo est l'un des personnages les plus érudits de la littérature populaire du XIXème siècle et c'est cette érudition qui est le fondement de sa vengeance et de sa singularité dans le beau monde. Par ses idéaux orientaux il intrigue les autres personnages et réussit à s'infiltrer auprès de ses ennemis, déclenchant un plan minitieusement préparé des années à l'avance. Nous retiendrons cet concept d'«infiltration» car il peut être lié à des notions telles que celles d'espionnage, de discrétion et de mystère. Et au fond, le comte de Monte Cristo ne reste-t-il pas un mystère vivant ? C'est ce que nous allons voir à présent.

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Partie III : La persistance du mystère autour de la figure du comte

Cette intelligence qui mène à la manipulation nous montre bien Monte Cristo comme un être qui a toujours un coup d'avance sur les évènements. Ne parvient-il pas à se venger sans être soupçonné avant longtemps ? Tout ceci, en plus de reposer sur un plan mûri à l'avance est aussi porté par des déguisements qui s'ils peuvent paraître irréalistes, se prêtent bien à l'esthétique du roman feuilleton, un genre populaire et donc sujet à des coups de théâtres et des péripéties qui ne sont pas toujours très intellectuelles.

Le travestissement a donc son importance dans l'oeuvre au point que la première forme sous laquelle réapparaît Dantès, dans le livre, après avoir trouvé le trésor de Monte Cristo, n'est pas celle du comte mais bien de l'abbé Busoni, vénérable prêtre Italien qui vient alléger l'aubergiste Caderousse de la vérité concernant le complot contre Dantès dont il a été bien malgré lui le complice dans ses jeunes années. Cette réapparition sous les traits d'un prêtre, très forte sur le plan de la symbolique, le comte de Monte Cristo se déclarant comme un envoyé divin venu pour récompenser et punir, n'en est pas moins un subterfuge utilisé pour masquer son identité. Dantès change de nom très facilement, ce qui peut être compréhensible. Lui le prisonnier numéro 34 ayant failli sombrer dans la folie, ne se reconnaît plus véritablement comme étant Edmond Dantès. Il peut donc sans problème se couler dans d'autres identités, la première, seule étant véritablement importante car étant celle liée à tous les êtres chers qu'il aimait, comme son père ou Mercedes, cette identité originelle, ayant été détruite avec sa jeunesse. N'est-il pas normal que le mystère persiste autour d'un homme aux cents déguisements, tantôt prêtre Italien, Lord Anglais ou seigneur Maltais ? Monte Cristo est en effet lui-même inconsciemment dans une quête constante de soi, une quête qui se calme vers la fin du livre lorsqu'il se réconcilie en quelque sorte, avec l'ancien homme qu'il était : Edmond Dantès. Ancienne identité qu'il ne peut plus embrasser totalement à présent, devenant une sorte d'hybride, un mélange entre une part de la bonté du jeune marin, second du Pharaon, et le personnage distant mais, vers la fin du livre, apaisé du comte de Monte Cristo. La figure héroïque que plante Dumas dans son oeuvre est difficile à cerner car toujours en mouvance, alternant entre plusieurs identités et donc plusieurs rôles joués. Effectivement il ne faut pas croire que le comte se contente de se déguiser. Sa personnalité aussi bien que son physique, sa façon de parler et d'agir changent au gré de ses travestissement. Même en cela il est plus fort que ses adversaires qui en voulant le confondre se retrouvent pris à leur propre jeu. On se souvient de la scène où Villefort, se faisant passer pour un simple inspecteur de police, obtient une audience avec Lord Wilmore qui se trouve n'être autre que Monte Cristo déguisé. «De son côté Lord Wilmore,

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après avoir entendu se refermer sur lui la porte de la rue, rentra dans sa chambre à coucher, où en un tour de main, il perdit ses cheveux blonds, ses favoris roux, sa fausse mâchoire et sa cicatrice, pour retrouver les cheveux noirs, le teint mat et les dents de perles du comte de Monte Cristo». [LCM : 849p]. La façon dont Villefort est abusé, quoi qu'assez théâtrale et se prêtant au ressort comique du roman feuilleton montre bien qu'il est facile pour Monte Cristo de changer d'apparence et d'incarner un autre homme. Preuve s'il en est qu'il s'agit d'un personnage qui se dérobe et reste mystérieux, même pour les lecteurs qui ont du mal à l'appréhender sous toutes ses formes, toutes ses apparences, tout ses subterfuges.

Toutefois ce n'est pas la seule raison qui fait que le personnage de Dumas reste un héros bien mystérieux, ce qui fonde une partie de l'attirance des lecteurs pour lui. Bien plus que physique, cette zone d'ombre concerne la façon dont l'auteur nous fait suivre les aventures de son personnage principal. Le point de vue de la narration est externe avec de rares, très rares incursions dans l'esprit de comte. Le fait de ne pas faire accéder le lecteur aux pensées du Dantès non pas jeune homme mais adulte, est un choix qui nous éloigne du vengeur, d'autant plus que le lecteur découvre comme un spectateur, au fur et à mesure qu'elle se déroule, la vengeance du comte. Cette éloignement entre le public et son héros le place dans une position originale où il attire l'intérêt non pas en se dévoilant mais justement en restant obscur quand à ses pensées et ses prochaines actions ce qui pousse les lecteurs à espérer jusqu'à la dernière seconde connaître les sentiments et les émotions de cet homme qu'ils ont connu bien en détail, jeune, quand il était encore un livre ouvert et qu'il était comme tout digne héros Romantique traversé de mille émotions. Ce manque d'accès aux pensées de Monte Cristo amène un autre point trouble qui rejoint la question de l'identité dont nous parlions plus haut. En effet si en tant que lecteurs nous savons que nous avons affaire à Edmond Dantès lorsqu'il réapparaît sous l'apparence de l'abbé Busoni pour extirper son secret à Caderousse, puis celle de Lord Wilmore pour s'emparer d'une page du registre des prisons et enfin de Sindbad le marin pour approcher Julie Morrel et Franz d'Epinay, nous n'avons presque aucun indice lorsqu'à Rome on nous parle pour la première fois du comte de Monte Cristo. Nous devinons qu'il s'agit de Dantès, mais à aucun moment cela n'est mentionné dans le livre. Monte Cristo n'est jamais révélé explicitement comme étant Edmond Dantès, il faut le comprendre implicitement jusqu'à ce que le personnage lui-même se dévoile à Fernand de Morcerf. La première personne à qui il revèle sa véritable identité est Caderousse mais même là, celle-ci n'est pas entendue par le lecteur :

«Le comte n'avait pas cessé de suivre le progrès de l'agonie. Il comprit que cet élan de vie était le dernier ; il s'approcha du moribond, et le couvrant d'un regard triste et calme à la fois :

«Je suis..., lui dit-il à l'oreille, je suis...»

Et ses lèvres, à peines ouvertes, donnèrent passage à un nom prononcé si bas, que le comte semblait craindre de l'entendre lui-même.» [LCM : 1042p].

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Le fait de devoir deviner cette identité, tout en nous rapprochant par un lien de complicité au personnage, contribue aussi à accentuer l'éloignement entre le public et le comte, comme s'il ne nous acceptait pas dans sa compagnie, parmis ses amis qui sont peu nombreux. L'identification au héros se révèle compliquée si tout ce que nous savons de lui, nous l'apprenons par ses discours et ses actes et non sa pensée intime.

Pour finir nous nous rendons donc bien compte que nous en savons très peu sur le personnage, même après avoir passé plus de deux tomes en sa compagnie. La multiplicité de ses visages et l'opacité de ses sentiments qui peuvent très bien être simulés pour autant que nous le sachions bâtissent l'image d'un homme impénétrable dont on ne sait jamais si on avance ou on recule dans son amitié, ainsi que le constate avec un pincement au coeur, Albert de Morcerf.

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Conclusion

Ce travail avait pour but de mettre en évidence les caractéristiques du personnage d'Edmond Dantès dans le roman feuilleton Le comte de Monte Cristo, dont il est le héros. C'est dans cette optique que nous nous sommes posés la question suivante : quelle est la spécificité du personnage héroïque dans le comte de Monte Cristo ? Question à laquelle nous avons répondu en découvrant l'imbrication des différents traits tant physiques que moraux, de ce protagoniste.

Notre première approche a tout d'abord consisté en une comparaison entre Edmond Dantès et un autre héros Dumasien, suffisament différent pour que nous puissions statuer les caractéristiques qui font du comte le personnage unique qu'il est, d'Artagnan. Une maturité rare pour un personnage principal de roman populaire couplée à une ambition qui le pousse à ne servir que ses intérêts personnels, ces deux traits se sont avérés être les résultats de la comparaison.

Cette découverte sur la psychologie du comte nous a permis de pousser plus avant la réflexion et de comprendre par la suite l'intelligence et l'érudition écrasante de ce personnage, qui lui donnent une emprise indéniable sur ses ennemis. Nous avons vu que autant force que faiblesse, cette connaissance n'était pas sans apporter des dilemmes moraux aux lecteur sur la façon dont il devait recevoir le fait que Dantès pouvait être corrompu par sa science.

C'est en ayant cela à l'esprit que s'est enfin ouvert à nous le constat d'un personnage sans identité fixe, constamment changeant car usant librement du travestissement et écrit de telle sorte qu'il reste pour le lecteur, une figure aux pensées très peu dévoilées, véritable mystère ambulant.

L'ensemble de ces caractéristiques relevées, ont pour but de se montrer un travail sinon exhaustif, du moins suffisament complet afin de pouvoir servir à son tour le cas échéant de base solide à tout autre étude sur le personnage du comte de Monte Cristo. Découvrir que Dantès est finalement une figure qui par le mystère qu'elle dégage s'apparente à un mythe, voire un conte oriental, c'est comprendre finalement ce qui élève ce héros parmi tant d'autres et en fait l'un des personnages les plus connus au monde. C'est également comprendre les raisons de son entrée dans le folklore populaire.

Ce mémoire n'avait pour ambition que de se focaliser sur l'étude de l'oeuvre littéraire, mais du livre découle tant de supports, qu'ils soient cinématographiques, théâtraux ou musicaux pour ne citer que ces domaines artistiques, qu'il serait enrichissant, au regard du travail que nous avons mené, de tenter de saisir la manière dont le personnage du comte est réécrit, interprété sur scène ou à l'écran, appréhendé donc par différents artistes, et dans quelle mesure il s'inscrit dans la continuité ou la rupture avec l'oeuvre originale de son créateur.

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Bibliographie

DUMAS, Alexandre, Le Comte de Monte-Cristo, Paris, 1844, folio classique 1998, 2075p.

DUMAS, Alexandre, Les Trois Mousquetaires, Paris, 1844, 799p.

DUMAS, Alexandre, Oeuvres complètes d'Alexandre Dumas, Paris, 1850-1857.

GENGEMBRE, Gérard, «Le comte de Monte Cristo ou le surhomme, la justice et la loi», dans Les Cahiers de la Justice, 2012, n°1.

KOUASSI, Yao Raphaël, Héros, jeunesse et apprentissage dans quelques romans du XIXe siècle : Chateaubriand, René, 1802 - Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830 - Musset, La Confession d'un enfant du siècle, 1836 - Balzac, Illusions perdues, 1837/1843 - Flaubert, L'Éducation sentimentale, Histoire d'un jeune homme, 1869, thèse de doctorat, Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II, 2011.

SALIEN, Jean-Marie, «La subversion de l'orientalisme dans Le comte de Monte-Cristo d'Alexandre Dumas», dans Études françaises, vol 36, n°1, 2000.






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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery