Chapitre premier : Le télétravail
international et le droit du
travail
Dans ce premier chapitre, intéressons-nous plus
précisément aux enjeux de droit du travail en matière de
télétravail à l'international.
Pour cela, nous verrons dans une première section les
obligations en termes de droit du travail qui pèsent sur l'employeur.
Dans une seconde section nous aborderons les
conséquences d'un éventuel contentieux entre le
télétravailleur international et son employeur, et les
problématiques en
7
résultant : si le télétravail
international résulte d'une situation de fait, et que rien n'est
prévu par le contrat de travail, devant quelle juridiction et avec quel
droit le salarié ou l'employeur devront-t-ils porter le conflit ?
Section I : Les obligations pesant sur l'employeur et
le télétravailleur international en droit du
travail
En droit, « le télétravail désigne
toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu
être exécuté dans les locaux, de l'employeur est
effectué hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les
technologies de l'information et de la communication. Le
télétravail est mis en place dans le cadre d'un accord collectif
ou, à défaut ; dans le cadre d'une charte élaborée
par l'employeur après avis du comité social économique,
s'il existe. » 10
En principe, et hors situation de crise sanitaire, cette
organisation du travail qu'est le télétravail n'est pas
d'application obligatoire, mais est conditionnée par l'accord de
l'employeur et du salarié.
En effet, concernant la situation de crise sanitaire,
l'article L1222-11 du code du travail dispose qu'en « cas de circonstances
exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de
force majeure, la mise en oeuvre du télétravail peut être
considérée comme un aménagement du poste de travail rendu
nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de
l'entreprise et garantir la protection des salariés ».
Hors crise sanitaire, l'article L1222-9 du code du travail
précise que le télétravail est mis en place de
manière permanente ou occasionnelle, dans le cadre :
- d'un accord collectif ;
- ou, à défaut, d'une charte élaborée
par l'employeur, après avis du comité sociale et
économique (CSE) s'il existe
- ou, en l'absence d'accord collectif ou de charte, dans le cadre
d'un accord entre le salarié et l'employeur lorsqu'ils conviennent de
recourir au télétravail.
10 Article L1222-9 du code du travail
8
Quel que soit le motif de recours au
télétravail, qu'il soit le fruit d'un accord ou imposé
dans le cadre d'une crise sanitaire telle que celle que nous traversons
actuellement, il n'existe aucun texte, en droit français, qui interdit
qu'un salarié dont l'employeur est situé en France travaille
à distance depuis un pays étranger.
En effet, comme nous l'avons vu, en droit du travail
français, le télétravail est défini largement, le
code du travail évoquant seulement l'exercice « en dehors du lieu
habituel de travail ». La loi reste donc silencieuse sur l'endroit
à partir duquel peut être exercé le
télétravail, qui peut donc parfaitement se situer dans un pays
étranger.
Ainsi, le code du travail français n'évoque pas
la possibilité de télétravailler depuis l'international
mais ne l'interdit pas non plus. Ce silence de la loi, s'il autorise de fait
cette pratique, incite cependant à la vigilance. Cela emporte des
conséquences significatives pour l'employeur sur lesquelles il nous faut
revenir.
I) L'obligation de respect des législations
nationales en matière de droit du
travail pour le télétravailleur
international
Comme nous venons de le voir, le télétravail
international est légalement possible. Toutefois, les règles
applicables et les formalités sont différentes d'un État
à l'autre et cela nécessite ainsi de bien se renseigner sur la
législation de l'État à partir duquel le
télétravailleur souhaite travailler.
Il est ainsi exclu qu'un salarié décide
unilatéralement de s'installer dans un pays pour
télétravailler pour le compte d'une entreprise française
sans que lui-même ou son employeur n'étudie de manière
approfondie la législation locale en matière du droit du travail
et notamment du télétravail.
De surcroit, cet examen s'impose d'autant plus aujourd'hui que
de nombreux états, dans le cadre de la crise sanitaire, ont
légiféré afin de réglementer le
télétravail, pratique à laquelle ont été
contraints des salariés de nombreux pays.
Il convient donc de distinguer deux cas : le cas où le
télétravailleur reste lié avec son employeur
français par le même contrat de travail de droit français,
auquel cas les parties seront soumises à la législation
française et aux éventuelles dispositions d'ordre public
9
locales, et le cas où un contrat local serait conclu,
auquel cas la législation locale serait complètement applicable
à la relation de travail.
Tout d'abord, abordons le cas où l'employeur et le
salarié restent liés par le contrat de travail initial de droit
français. Dans ce cas, en plus des stipulations du contrat de travail
français, ils devront respecter les dispositions d'ordre public
françaises et le code du travail, car même si la situation
contractuelle comporte un élément d'extranéité
(lieu de travail à l'étranger), le salarié sera lié
avec son employeur français avec un contrat de travail de droit
français.
Parmi les obligations prévues par le code du travail
français concernant plus particulièrement le
télétravail, l'employeur devra faire une analyse des risques du
lieu de travail au domicile du salarié pour l'inclure dans le document
unique d'évaluation des risques ; Vérifier la conformité
des installations électriques et techniques par la visite d'un
technicien ou l'obtention d'un certificat de conformité ; Prendre
financièrement en charge le surcoût pour le salarié
(imprimante, téléphone, etc.), soit au réel soit sur la
base d'un forfait de 10, 20 ou 30 euros selon les cas ; S'assurer que le
télétravailleur est couvert par une assurance qui couvre l'espace
au domicile dédié à l'activité
professionnelle11.
Tous ces points, s'ils sont facilement mis en place et
contrôlables lorsque le télétravailleur est en France,
seront difficilement contrôlables si le salarié
télétravaille depuis l'étranger, puisque l'employeur
n'aura physiquement pas accès au domicile de son salarié afin de
s'assurer du respect de ces dispositions. L'employeur s'exposera donc à
des risques en cas de non-respect de ces dispositions.
En plus de ces dispositions françaises relatives au
télétravail, les parties devront respecter les dispositions
impératives du pays d'accueil. Les dispositions impératives sont
des dispositions d'ordre public qui forment les lois de police d'un
État. Ce sont des dispositions auxquelles les parties à un
contrat ne peuvent déroger, sauf de manière plus favorable pour
le salarié. Ce sont des dispositions qui sont destinées à
assurer un minimum de protection aux salariés.
Le Règlement 593/2008 du 17 juin 2008 (Rome I)
précise qu'une loi de police est une disposition impérative dont
le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses
11 Article L1222-10 du code du travail
10
intérêts publics, tels que son organisation
politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application
à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit
par ailleurs la loi applicable au contrat.
Par exemple, les lois de police luxembourgeoises imposent un
contrat de travail écrit, un salaire social minimum, une durée du
travail, un temps de pause... un salarié qui déciderait de
télétravailler depuis ce pays, même lié avec un
contrat de droit français avec son employeur français, devrait
donc respecter ces dispositions.
Ainsi, les parties devront respecter les dispositions d'ordre
public françaises ainsi que les dispositions impératives du pays
d'accueil, notamment en termes de télétravail si elles existent.
Il faudra donc étudier la réglementation locale afin de
déterminer quelles dispositions sont impératives et auxquelles le
salarié ne pourra donc pas déroger.
L'employeur et le salarié peuvent décider de
conclure un contrat de travail local (on parle de « localisation » du
salarié dans le pays depuis lequel il souhaite
télétravailler). Dans ce cas, la législation locale en
matière de droit du travail sera entièrement applicable à
la relation de travail.
Intéressons-nous à certaines législations
locales afin d'apprécier leur diversité et donc la
complexité de télétravailler à partir de ces
pays.
Au Royaume-Uni12, le droit du travail
prévoit que le « manager » (employeur) doit veiller à
contacter régulièrement son équipe pour éviter le
sentiment d'isolement (s'assurer de la santé physique et aussi mentale
du salarié en télétravail).
Quant au salarié, il doit tenir son manager
informé d'éventuels risques en termes de santé et
sécurité du fait du télétravail et demander des
changements/arrangements si nécessaires.
De même, avant de pouvoir bénéficier des
règles applicables en matière de « travail flexible »
(télétravail), le salarié doit avoir travaillé en
présentiel au moins 6 mois pour le même employeur. Ce point est
évidemment majeur : un salarié travaillant pour une entreprise
située en France ne pourra pas se rendre dans ce pays et simplement
télétravailler pour le compte de l'entreprise française,
car il ne pourra pas justifier d'un travail présentiel dans une
entreprise située dans le pays d'accueil.
12 Code of practice on handling in a reasonable manner
requests to work flexibly
11
En Espagne13, la nouvelle loi sur le
télétravail renforce les dispositions de contrôle du temps
de travail du télétravailleur par l'employeur (droit à la
déconnexion, respect de la vie privée...).
En Belgique14, le contrat de travail doit
prévoir les modalités du télétravail, le
matériel approprié ainsi qu'une compensation pour l'utilisation
d'un espace privé.
Enfin, en Suède, Allemagne et Finlande, les
règles relatives au télétravail ne sont pas
codifiées mais sont traitées par le biais de conventions
collectives, accords d'entreprise et des normes infra-législatives.
Ainsi, l'employeur et le salarié devront étudier ces conventions
et normes si le salarié souhaite télétravailler à
partir de l'un de ces pays.
Ainsi, le salarié et l'employeur qui souhaitent avoir
recours au télétravail international par le biais d'un contrat de
travail local devront respecter la législation du pays d'accueil,
notamment en matière de télétravail.
Notons qu'en matière de législation locale en
matière de temps et d'horaire de travail, cette dernière peut
s'avérer problématique du fait du potentiel décalage
horaire entre les deux pays : sur les plages d'horaires de travail
française, il sera peut-être 3 heures du matin dans le pays
d'accueil.
Les règles de rupture de ce contrat seront
également soumises au droit local.
Une multitude de règles sont donc potentiellement
applicables dans un même pays, et différentes selon
l'activité du télétravailleur. Des pays comme l'Espagne et
la France possèdent des règles détaillées et
codifiées en matière de télétravail, là
où d'autres pays tels que les Pays-Bas ont une vision plus flexible en
la matière, laissant une marge d'interprétation plus large et
donc nécessitant une étude approfondie.
13 Décret-loi royal 28/2020 sur le travail
à distance en Espagne
14 CCT n°85 (9 novembre 2005), modifiée
par la CCT n°85 bis (27 février 2008).
12
Par ailleurs, avec la crise actuelle du COVID et le recours
massif au télétravail, certains États tels que l'Espagne,
la France et le Portugal ont annoncé vouloir réformer le
télétravail.
Dès lors, les règles applicables aujourd'hui y
sont amenées à évoluer très prochainement, ce qui
peut potentiellement générer de l'insécurité
juridique si le salarié décide de télétravailler
à partir de l'un de ces pays : il pourrait ne plus être en
conformité avec les nouvelles lois.
Enfin, si la législation de la plupart des pays fait
peser sur l'employeur la responsabilité de la santé et
sécurité du télétravailleur pendant qu'il
exécute son travail depuis chez lui, tous les États ne permettent
pas nécessairement à l'employeur de s'assurer concrètement
de la conformité du lieu de travail (domicile) avec les règles
applicables en matière de santé/sécurité.
Par exemple, les Pays-Bas15 obligent le
salarié à permettre à son employeur de faire
vérifier le domicile en présentiel ou par le biais de photos,
là où le Chili considère que le droit à la vie
privée du salarié (droit constitutionnel) prend le dessus.
Ainsi, dans le cadre du télétravail
international, en fonction de la nature du contrat qui lie l'employeur et le
salarié, ces derniers peuvent être tenus au respect de la
législation française ou locale en matière de
télétravail, sans compter les dispositions impératives des
différents pays.
Il conviendra donc d'étudier précisément
ces règles avant d'envisager l'installation du salarié dans le
pays à partir duquel il souhaite télétravailler.
II) L'obligation de sécurité et
santé de l'employeur vis-à-vis du salarié en
télétravail international
En cas d'expatriation, l'employeur, qui demeure l'employeur du
pays d'origine pour lequel le salarié télétravaille depuis
l'étranger, a l'obligation d'assurer la sécurité et la
santé de son salarié.
15 « Wet werkbaar en wendbaar werk » (Loi sur le
télétravail) du 1er février 2017
13
Cette obligation est valable sur le lieu de travail à
l'étranger mais aussi en dehors, pendant les heures de travail et
au-delà.16 Si cette obligation est facilement mise en oeuvre
en France, elle devient difficile lorsque le salarié se trouve à
l'étranger.
L'employeur commet une faute inexcusable, avec toutes les
conséquences que cela emporte, s'il avait ou aurait dû avoir
conscience du danger auquel il exposait son salarié et s'il n'a pas pris
les mesures nécessaires pour l'en préserver.
De même, le salarié peut exiger son rapatriement
en France en cas de danger. En cas de refus ou d'inactivité de
l'employeur, le salarié peut demander des dommages et
intérêts.
Ainsi, le télétravail international emporte le
respect de nombreuses législations et normes, qu'il faudra donc en amont
étudier, et dont le non-respect expose l'employeur à des
sanctions et le salarié à des risques.
En plus du respect de différentes normes en droit du
travail, se pose la question du contentieux du contrat de travail
international, si les relations contractuelles venaient à se
détériorer entre l'employeur et son salarié en situation
de télétravail international.
Section II : Télétravail international et
contentieux de contrat de travail
international
Il n'existe pas de définition précise du contrat
de travail international.
En principe, le contrat de travail revêt un
caractère international dès lors que sont
caractérisés des éléments
d'extranéité (nationalité des parties, lieu d'embauche,
siège de la société, lieu d'exécution du travail,
etc.).
Ainsi, est considéré comme international, un
contrat conclu dans un pays et exécuté dans un autre. De ce fait,
un salarié en situation de télétravail international, que
cette situation découle d'une stipulation expresse du contrat de travail
ou qu'elle ne soit pas prévue par le contrat de travail (par exemple du
fait des mesures sanitaires ou un salarié qui a «
décidé » de télétravailler à
l'étranger sans modifier son contrat de travail), sera lié par un
contrat de
16 En France articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code
du travail
14
travail international, car dans tous les cas il y a aura un
élément d'extranéité, qui sera le lieu
d'exécution du travail à l'étranger.
Ainsi, si les relations contractuelles viennent à se
dégrader entre le salarié et l'employeur liés par un
contrat de travail international, et que ce dernier souhaite par exemple
licencier son salarié, des difficultés peuvent émerger en
cas de contentieux.
En matière de litige en droit social, ce dernier peut
être de 3 ordres : la conclusion du contrat de travail,
l'exécution du contrat de travail, et la rupture du contrat de travail.
Dans tous les cas, le litige sera lié à la relation de travail
entre l'employeur et le salarié.
De ce fait, il pourra être difficile de
déterminer la juridiction compétente ainsi que la loi applicable,
et potentiellement le contentieux pourra être porté devant les
juridictions du pays d'accueil.
Il convient de distinguer entre la loi applicable et la
juridiction compétente. En effet, la loi applicable d'un pays X
n'entraîne pas automatiquement la compétence juridictionnelle de
ce même pays. De ce fait, la loi applicable peut être
différente de la juridiction compétente, il faut donc faire une
analyse en deux temps : tout d'abord déterminer la juridiction
compétente, et ensuite déterminer la loi applicable au litige.
I) Juridiction compétente pour le salarié
en situation de télétravail
international
Dans le cadre de la mobilité internationale des
travailleurs et du télétravail international, et notamment
européenne, se pose la question de la compétence
juridictionnelle, en cas de litige portant sur un contrat de travail
international, qui comporte un élément d'extranéité
(dans le cas du télétravail international il s'agit du lieu
d'exercice du travail qui à l'étranger). Il conviendra donc de
s'intéresser à la compétence juridictionnelle en cas de
télétravail dans un pays européen, puis dans un pays non
européen.
A) Les règles spécifiques à
l'Union Européenne en matière de compétence
juridictionnelle
15
Intéressons-nous tout d'abord aux règles
spécifiques de compétences juridictionnelles en matière
européennes. Il s'agira donc de la situation dans laquelle un
salarié décide de télétravailler à partir
d'un pays membre de l'UE, au profit d'une entreprise située dans un
autre État.
Des règles particulières ont été
en adoptées par voie de conventions internationales par les États
membres de l'UE. D'abord la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968,
réformée par la convention de Lugano (1988) et celle de
Saint-Sébastien (1989), lors de l'élargissement de la CEE ou de
la signature de la Convention par les pays de l'AELE. En 2000, la Convention
est intégrée au droit communautaire via le Règlement
44/2001 du 22 décembre 2000, dit règlement Bruxelles I. Ce texte
a donné lieu à un règlement de refonte du 12
décembre 2012, qui est le texte désormais applicable, depuis le
1er janvier 2015.
Les règles de compétence générale
sont précisées aux articles 4, 5 et 6 du règlement
1215/2012 de 2012. Intéressons-nous plus particulièrement aux
règles de compétence en matière de contrat individuels de
travail, qui est la relation contractuelle utilisée dans le cadre du
télétravail international.
En droit, l'article 20 du Règlement 1215/12/UE du 12
décembre 201217 dispose qu' « en matière de
contrats individuels de travail, la compétence est
déterminée par la présente section, sans préjudice
de l'article 6, de l'article 7, point 5), et, dans le cas d'une action
intentée à l'encontre d'un employeur, de l'article 8, point 1).
2. Lorsqu'un travailleur conclut un contrat individuel de travail avec un
employeur qui n'est pas domicilié dans un État membre mais
possède une succursale, une agence ou tout autre établissement
dans un État membre, l'employeur est considéré, pour les
contestations relatives à leur exploitation, comme ayant son domicile
dans cet État membre. »
Le règlement opère une distinction selon que
l'employeur ou le salarié engagent l'action. Si le salarié en
situation de télétravail international dans un pays état
membre de l'UE est demandeur, l'article 21 du règlement n°1215/2012
de 2012 précise qu' « un employeur domicilié sur le
territoire d'un État membre peut être attrait: a) devant les
17 Règlement 1215/12/UE du 12 décembre
2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale
(refonte du Règlement Bruxelles I)
16
juridictions de l'État membre où il a son
domicile; ou b) dans un autre État membre: i) devant la juridiction du
lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit
habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où
il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur
n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un
même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se
trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. 2. Un
employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État
membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre
conformément au paragraphe 1, point b). »
Ainsi, le salarié aura le choix en ce qui concerne de
la juridiction devant laquelle il portera le contentieux, selon que l'employeur
pour lequel il télétravaille se situe sur le territoire d'un
état membre ou non.
Si l'employeur est domicilié sur le territoire d'un
état membre, comme la France, il sera attrait devant les juridictions
françaises, ou devant la juridiction de l'état membre depuis
lequel le salarié effectue habituellement son travail (nous imaginons
que le salarié exerçait son activité de
télétravail international de manière habituelle dans un
même pays).
Si l'employeur n'est pas domicilié sur le territoire
d'un état membre, il pourra être assigné devant les
juridictions de l'état membre depuis lequel le salarié effectue
habituellement son activité de télétravail.
Si au contraire l'employeur est demandeur, c'est l'article 22
du Règlement n°1215/2012 qui dispose que « l'action de
l'employeur ne peut être portée que devant les juridictions de
l'État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile
(...) »
Ainsi, l'employeur demandeur n'aura pas d'autre choix que
d'assigner le salarié en situation de télétravail
international dans l'état membre dans lequel il travaille et a donc son
domicile.
Notons que l'employeur ne pourra pas se prévaloir des
règles de droit internes françaises pour la détermination
de la compétence internationale du juge saisi d'un litige d'ordre
international intra-communautaire18.
A présent, abordons le cas dans lequel le
salarié décide de télétravailler à partir
d'un pays tiers à l'UE.
18 Cass. Ch. Mixte 11 Mars 2005, n°02-41371
et 02-41372
B) 17
Les règles relatives aux états tiers hors
UE
Tout d'abord, l'article 4 (1 du même règlement
dispose que « Sous réserve du présent règlement, les
personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont
attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de
cet État membre. »
L'article 6 (1 dispose que « Si le défendeur
n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la
compétence est, dans chaque État membre, réglée par
la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de
l'article 18, paragraphe 1, de l'article 21, paragraphe 2, et des articles 24
et 25 ».
Enfin, l'article 21 (1 dispose qu' « un employeur
domicilié sur le territoire d'un État membre peut être
attrait: a) devant les juridictions de l'État membre où il a son
domicile; ou b) dans un autre État membre: i) devant la juridiction du
lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit
habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où
il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur
n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un
même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se
trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. 2. Un
employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État
membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre
conformément au paragraphe 1, point b). »
Ainsi, imaginons que le salarié se soit
installé aux États-Unis afin de télétravailler au
profit d'une entreprise française.
En cas de contentieux, si l'employeur est demandeur, le
défendeur, c'est-à-dire le salarié, se sera donc pas
domicilié sur le territoire d'un État membre. Aux termes des
articles vu précédemment, ce seront donc les règles
françaises de détermination de compétence
juridictionnelles qui seront applicables (article 6(1).
Si le salarié est demandeur, l'employeur
(défendeur) sera domicilié dans un état membre (la
France). Il sera donc attrait devant les juridictions françaises. Le
salarié n'aura pas le choix prévu par l'article 21car il ne
télétravaille pas sur le territoire d'un état membre.
C) Le cas des clauses attributives de compétence
ou compromis d'arbitrage
18
La clause attributive de juridiction est la clause d'un
contrat qui précise par avance quelles juridictions seront
compétentes en cas de litige entre les parties au contrat. Cette
possibilité concerne uniquement les différends commerciaux.
En droit français, l'article L1221-5 du Code du Travail
interdit cette clause : « Toute clause attributive de juridiction incluse
dans un contrat de travail est nulle et de nul effet ». Le même code
précise que la clause attributive de juridiction insérée
dans un contrat de travail est nulle à l'article R. 1412-4 : «
Toute clause d'un contrat qui déroge directement ou indirectement aux
dispositions de l'article R. 1412-1, relatives aux règles de
compétence territoriale des conseils de prud'hommes, est
réputée non écrite. »
En revanche, en droit européen, l'article 23 du
règlement 1215/2012 dispose qu'« il ne peut être
dérogé aux dispositions de la présente section que par des
conventions attributives de juridiction : ...postérieures à la
naissance du différend19 ...qui permettent au travailleur de
saisir d'autres tribunaux que ceux indiqués à la présente
section. »
Dans le cadre d'un contrat de travail international, qui est
le type de contrat de travail qui nous intéresse, les parties peuvent
donc valablement déroger aux dispositions du code du travail
français qui interdisent cette clause.20
En revanche, en ce qui concerne la clause d'arbitrage, ou
compromissoire, la jurisprudence21 a précisé que cette
dernière était inopposable, même dans un contrat de travail
international.
Ainsi, dans le cas du télétravail international,
si un contentieux devait émerger, la juridiction compétente
dépendra de tous les facteurs que nous avons vu.
Cependant, la problématique n'est pas
complètement réglée. En effet, la détermination de
la juridiction compétente n'entraîne pas automatiquement la
détermination de la loi applicable, qui n'est pas automatiquement la loi
du pays de la juridiction compétente. La loi applicable dépend
d'autres facteurs que nous allons voir dès à présent.
19 Et Cass. Soc, 14 nov. 2000, n° 98-41959
20 Cass. Soc., 8 juill. 1985, n° 84-40.284 ;
Cass.soc. 30 janvier 1991, n°87-42086
21 Cass. Soc., 16 févr. 1999, n°
96-40643
19
II) Loi applicable au contentieux de
télétravail international
En ce qui concerne la loi applicable au contrat de travail
international, trois périodes sont à distinguer. Ces
dernières s'articulent autour de la conclusion de la Convention de Rome
du 19 juin 198022 et du Règlement européen du 17 juin
2008, dit « Règlement Rome I », pour les contrats de travail
conclus après le 17 décembre 2009.
Les règles applicables diffèrent selon la date
de conclusion du contrat de travail.
De plus, des dispositions spécifiques ont
été définies en cas de détachement des travailleurs
dans le cadre de l'exécution d'une prestation de
services23.
Par soucis de clarté, et du fait de la pratique
récente du télétravail international, nous prendrons comme
postulat que le contrat de travail a été conclu après le
17 décembre 2009, et qu'il est donc régit par le Règlement
Rome I.
Le principe est posé par la Convention et le
Règlement Rome I à l'article 3.
« Le contrat est régi par la loi choisie
par les parties. Le choix est exprès ou résulte de
façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la
cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable
à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.
»
En vertu de cet article, les parties au contrat international
peuvent désigner n'importe quel droit applicable à leur
contrat.
L'article 8 de la même convention évoque le cas
spécifique qui nous intéresse du contrat de travail international
:
« 1. Le contrat individuel de travail est
régi par la loi choisie par les parties conformément
à l'article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de
priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions
auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de
la loi qui, à défaut de choix, aurait été
applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent
article.
2. À défaut de choix exercé par les
parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du
pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le
travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement
son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement
22 Conv. Rome, 19 juin 1980, JOCE 9 oct., no L 66
23 Dir. CE no 96-71, 16 déc. 1996
20
accompli n'est pas réputé changer lorsque le
travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre
pays.
3. Si la loi applicable ne peut être
déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est
régi par la loi du pays dans lequel est situé
l'établissement qui a embauché le
travailleur.
4. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le
contrat présente des liens plus étroits avec un
autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays
s'applique. » Enfin, l'article 9 de la convention évoque les lois
de police :
« 1. Une loi de police est une disposition
impérative dont le respect est jugé crucial par un pays
pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son
organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger
l'application à toute situation entrant dans son champ d'application,
quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat
d'après le présent règlement.
2. Les dispositions du présent règlement ne
pourront porter atteinte à l'application des lois de police du
juge saisi.
3. Il pourra également être donné
effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant
du contrat doivent être ou ont été
exécutées, dans la mesure où lesdites lois de
police rendent l'exécution du contrat illégale. Pour
décider si effet doit être donné à ces lois de
police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des
conséquences de leur application ou de leur non-application. »
En clair, il ressort de ces dispositions le principe
d'autonomie des parties, c'est-à-dire que les parties peuvent librement
choisir la loi applicable au contrat de travail international.
Toutefois, ce choix ne peut priver le salarié des
dispositions impératives dont il aurait bénéficié
en l'absence de choix. En pratique, c'est d'avantage le choix de l'employeur
que du salarié, du fait du déséquilibre contractuel entre
l'employeur et le salarié.
A défaut de choix des parties, la loi applicable sera
la loi d'exécution habituelle du contrat de travail. Ce critère
est plus objectif que le premier, car il prend en compte les conditions
réelles d'exécution du contrat, sans prendre en compte
l'éventuel désidérata de l'employeur ou du lieu de
d'embauche par exemple.
Si la loi applicable ne peut être
déterminée selon le critère précédent, la
loi applicable sera la loi du pays dans lequel est situé
l'établissement qui a embauché le salarié. Ce
critère ne semble pas très objectif, il peut faire l'objet d'un
montage de la part de l'employeur (par
21
exemple, la société Easyjet fait signer à
tout salarié son contrat de travail à Dublin, afin que le droit
Irlandais soit applicable à la relation contractuelle).
Enfin, tous les critères de détermination vu
précédemment ne sont plus applicables si le contrat de travail
présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui qui
a été déterminé par les critères
précédents.
Dans tous les cas, les lois de police du pays d'accueil seront
applicables à la relation contractuelle.
A la vue de ces critères, quand un employeur souhaite
envoyer un salarié télétravailler depuis
l'étranger, le plus « sur » juridiquement semble donc de
désigner dans le contrat de travail la loi applicable comme étant
celle du lieu d'exécution du contrat de travail. Ainsi, le libre choix
des parties de désigner cette loi ne sera pas écartée par
les dispositions de la convention que nous avons vue, car les parties ont bien
désigné une loi applicable, les paragraphes 2 et 3 de l'article 8
ne sont donc pas applicables, et le paragraphe 4 du même article ne
semble pas avoir vocation à s'appliquer non plus car le contrat
présente des liens étroits avec le pays d'exécution du
télétravail, qui est déjà le pays
déterminé par les parties, puisque le salarié y
réside désormais et y exerce son activité professionnelle.
Ce critère devra cependant être évalué au cas par
cas.
En cas de télétravail sauvage, si le contrat de
travail ne prévoit pas de loi applicable, il est probable que la loi
applicable soit celle du lieu depuis lequel le salarié effectue du
télétravail (paragraphe 2), c'est-à-dire du pays
d'accueil, sauf là encore si le contrat présente des liens plus
étroits avec la France (pays d'origine du salarié).
En conclusion de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le
télétravail comporte un réel enjeu de droit du travail,
qui ne peut être ignoré par l'employeur et le salarié, au
risque de sanction et/ou de contentieux. En cas de contentieux, il conviendra
de déterminer la juridiction compétente et la loi applicable pour
régler ce contentieux.
A présent, intéressons-nous à l'enjeu de
la protection sociale du télétravailleur international.
22
|