WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les enjeux du télétravail international


par Méric SANCHEZ
IETL LYON 2 - M2 Mobilité internationale du travailleur  2020
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Chapitre premier : Le télétravail international et le droit du

travail

Dans ce premier chapitre, intéressons-nous plus précisément aux enjeux de droit du travail en matière de télétravail à l'international.

Pour cela, nous verrons dans une première section les obligations en termes de droit du travail qui pèsent sur l'employeur.

Dans une seconde section nous aborderons les conséquences d'un éventuel contentieux entre le télétravailleur international et son employeur, et les problématiques en

7

résultant : si le télétravail international résulte d'une situation de fait, et que rien n'est prévu par le contrat de travail, devant quelle juridiction et avec quel droit le salarié ou l'employeur devront-t-ils porter le conflit ?

Section I : Les obligations pesant sur l'employeur et le télétravailleur
international en droit du travail

En droit, « le télétravail désigne toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu être exécuté dans les locaux, de l'employeur est effectué hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication. Le télétravail est mis en place dans le cadre d'un accord collectif ou, à défaut ; dans le cadre d'une charte élaborée par l'employeur après avis du comité social économique, s'il existe. » 10

En principe, et hors situation de crise sanitaire, cette organisation du travail qu'est le télétravail n'est pas d'application obligatoire, mais est conditionnée par l'accord de l'employeur et du salarié.

En effet, concernant la situation de crise sanitaire, l'article L1222-11 du code du travail dispose qu'en « cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en oeuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés ».

Hors crise sanitaire, l'article L1222-9 du code du travail précise que le télétravail est mis en place de manière permanente ou occasionnelle, dans le cadre :

- d'un accord collectif ;

- ou, à défaut, d'une charte élaborée par l'employeur, après avis du comité sociale et économique (CSE) s'il existe

- ou, en l'absence d'accord collectif ou de charte, dans le cadre d'un accord entre le salarié et l'employeur lorsqu'ils conviennent de recourir au télétravail.

10 Article L1222-9 du code du travail

8

Quel que soit le motif de recours au télétravail, qu'il soit le fruit d'un accord ou imposé dans le cadre d'une crise sanitaire telle que celle que nous traversons actuellement, il n'existe aucun texte, en droit français, qui interdit qu'un salarié dont l'employeur est situé en France travaille à distance depuis un pays étranger.

En effet, comme nous l'avons vu, en droit du travail français, le télétravail est défini largement, le code du travail évoquant seulement l'exercice « en dehors du lieu habituel de travail ». La loi reste donc silencieuse sur l'endroit à partir duquel peut être exercé le télétravail, qui peut donc parfaitement se situer dans un pays étranger.

Ainsi, le code du travail français n'évoque pas la possibilité de télétravailler depuis l'international mais ne l'interdit pas non plus. Ce silence de la loi, s'il autorise de fait cette pratique, incite cependant à la vigilance. Cela emporte des conséquences significatives pour l'employeur sur lesquelles il nous faut revenir.

I) L'obligation de respect des législations nationales en matière de droit du

travail pour le télétravailleur international

Comme nous venons de le voir, le télétravail international est légalement possible. Toutefois, les règles applicables et les formalités sont différentes d'un État à l'autre et cela nécessite ainsi de bien se renseigner sur la législation de l'État à partir duquel le télétravailleur souhaite travailler.

Il est ainsi exclu qu'un salarié décide unilatéralement de s'installer dans un pays pour télétravailler pour le compte d'une entreprise française sans que lui-même ou son employeur n'étudie de manière approfondie la législation locale en matière du droit du travail et notamment du télétravail.

De surcroit, cet examen s'impose d'autant plus aujourd'hui que de nombreux états, dans le cadre de la crise sanitaire, ont légiféré afin de réglementer le télétravail, pratique à laquelle ont été contraints des salariés de nombreux pays.

Il convient donc de distinguer deux cas : le cas où le télétravailleur reste lié avec son employeur français par le même contrat de travail de droit français, auquel cas les parties seront soumises à la législation française et aux éventuelles dispositions d'ordre public

9

locales, et le cas où un contrat local serait conclu, auquel cas la législation locale serait complètement applicable à la relation de travail.

Tout d'abord, abordons le cas où l'employeur et le salarié restent liés par le contrat de travail initial de droit français. Dans ce cas, en plus des stipulations du contrat de travail français, ils devront respecter les dispositions d'ordre public françaises et le code du travail, car même si la situation contractuelle comporte un élément d'extranéité (lieu de travail à l'étranger), le salarié sera lié avec son employeur français avec un contrat de travail de droit français.

Parmi les obligations prévues par le code du travail français concernant plus particulièrement le télétravail, l'employeur devra faire une analyse des risques du lieu de travail au domicile du salarié pour l'inclure dans le document unique d'évaluation des risques ; Vérifier la conformité des installations électriques et techniques par la visite d'un technicien ou l'obtention d'un certificat de conformité ; Prendre financièrement en charge le surcoût pour le salarié (imprimante, téléphone, etc.), soit au réel soit sur la base d'un forfait de 10, 20 ou 30 euros selon les cas ; S'assurer que le télétravailleur est couvert par une assurance qui couvre l'espace au domicile dédié à l'activité professionnelle11.

Tous ces points, s'ils sont facilement mis en place et contrôlables lorsque le télétravailleur est en France, seront difficilement contrôlables si le salarié télétravaille depuis l'étranger, puisque l'employeur n'aura physiquement pas accès au domicile de son salarié afin de s'assurer du respect de ces dispositions. L'employeur s'exposera donc à des risques en cas de non-respect de ces dispositions.

En plus de ces dispositions françaises relatives au télétravail, les parties devront respecter les dispositions impératives du pays d'accueil. Les dispositions impératives sont des dispositions d'ordre public qui forment les lois de police d'un État. Ce sont des dispositions auxquelles les parties à un contrat ne peuvent déroger, sauf de manière plus favorable pour le salarié. Ce sont des dispositions qui sont destinées à assurer un minimum de protection aux salariés.

Le Règlement 593/2008 du 17 juin 2008 (Rome I) précise qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses

11 Article L1222-10 du code du travail

10

intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat.

Par exemple, les lois de police luxembourgeoises imposent un contrat de travail écrit, un salaire social minimum, une durée du travail, un temps de pause... un salarié qui déciderait de télétravailler depuis ce pays, même lié avec un contrat de droit français avec son employeur français, devrait donc respecter ces dispositions.

Ainsi, les parties devront respecter les dispositions d'ordre public françaises ainsi que les dispositions impératives du pays d'accueil, notamment en termes de télétravail si elles existent. Il faudra donc étudier la réglementation locale afin de déterminer quelles dispositions sont impératives et auxquelles le salarié ne pourra donc pas déroger.

L'employeur et le salarié peuvent décider de conclure un contrat de travail local (on parle de « localisation » du salarié dans le pays depuis lequel il souhaite télétravailler). Dans ce cas, la législation locale en matière de droit du travail sera entièrement applicable à la relation de travail.

Intéressons-nous à certaines législations locales afin d'apprécier leur diversité et donc la complexité de télétravailler à partir de ces pays.

Au Royaume-Uni12, le droit du travail prévoit que le « manager » (employeur) doit veiller à contacter régulièrement son équipe pour éviter le sentiment d'isolement (s'assurer de la santé physique et aussi mentale du salarié en télétravail).

Quant au salarié, il doit tenir son manager informé d'éventuels risques en termes de santé et sécurité du fait du télétravail et demander des changements/arrangements si nécessaires.

De même, avant de pouvoir bénéficier des règles applicables en matière de « travail flexible » (télétravail), le salarié doit avoir travaillé en présentiel au moins 6 mois pour le même employeur. Ce point est évidemment majeur : un salarié travaillant pour une entreprise située en France ne pourra pas se rendre dans ce pays et simplement télétravailler pour le compte de l'entreprise française, car il ne pourra pas justifier d'un travail présentiel dans une entreprise située dans le pays d'accueil.

12 Code of practice on handling in a reasonable manner requests to work flexibly

11

En Espagne13, la nouvelle loi sur le télétravail renforce les dispositions de contrôle du temps de travail du télétravailleur par l'employeur (droit à la déconnexion, respect de la vie privée...).

En Belgique14, le contrat de travail doit prévoir les modalités du télétravail, le matériel approprié ainsi qu'une compensation pour l'utilisation d'un espace privé.

Enfin, en Suède, Allemagne et Finlande, les règles relatives au télétravail ne sont pas codifiées mais sont traitées par le biais de conventions collectives, accords d'entreprise et des normes infra-législatives. Ainsi, l'employeur et le salarié devront étudier ces conventions et normes si le salarié souhaite télétravailler à partir de l'un de ces pays.

Ainsi, le salarié et l'employeur qui souhaitent avoir recours au télétravail international par le biais d'un contrat de travail local devront respecter la législation du pays d'accueil, notamment en matière de télétravail.

Notons qu'en matière de législation locale en matière de temps et d'horaire de travail, cette dernière peut s'avérer problématique du fait du potentiel décalage horaire entre les deux pays : sur les plages d'horaires de travail française, il sera peut-être 3 heures du matin dans le pays d'accueil.

Les règles de rupture de ce contrat seront également soumises au droit local.

Une multitude de règles sont donc potentiellement applicables dans un même pays, et différentes selon l'activité du télétravailleur. Des pays comme l'Espagne et la France possèdent des règles détaillées et codifiées en matière de télétravail, là où d'autres pays tels que les Pays-Bas ont une vision plus flexible en la matière, laissant une marge d'interprétation plus large et donc nécessitant une étude approfondie.

13 Décret-loi royal 28/2020 sur le travail à distance en Espagne

14 CCT n°85 (9 novembre 2005), modifiée par la CCT n°85 bis (27 février 2008).

12

Par ailleurs, avec la crise actuelle du COVID et le recours massif au télétravail, certains États tels que l'Espagne, la France et le Portugal ont annoncé vouloir réformer le télétravail.

Dès lors, les règles applicables aujourd'hui y sont amenées à évoluer très prochainement, ce qui peut potentiellement générer de l'insécurité juridique si le salarié décide de télétravailler à partir de l'un de ces pays : il pourrait ne plus être en conformité avec les nouvelles lois.

Enfin, si la législation de la plupart des pays fait peser sur l'employeur la responsabilité de la santé et sécurité du télétravailleur pendant qu'il exécute son travail depuis chez lui, tous les États ne permettent pas nécessairement à l'employeur de s'assurer concrètement de la conformité du lieu de travail (domicile) avec les règles applicables en matière de santé/sécurité.

Par exemple, les Pays-Bas15 obligent le salarié à permettre à son employeur de faire vérifier le domicile en présentiel ou par le biais de photos, là où le Chili considère que le droit à la vie privée du salarié (droit constitutionnel) prend le dessus.

Ainsi, dans le cadre du télétravail international, en fonction de la nature du contrat qui lie l'employeur et le salarié, ces derniers peuvent être tenus au respect de la législation française ou locale en matière de télétravail, sans compter les dispositions impératives des différents pays.

Il conviendra donc d'étudier précisément ces règles avant d'envisager l'installation du salarié dans le pays à partir duquel il souhaite télétravailler.

II) L'obligation de sécurité et santé de l'employeur vis-à-vis du salarié en

télétravail international

En cas d'expatriation, l'employeur, qui demeure l'employeur du pays d'origine pour lequel le salarié télétravaille depuis l'étranger, a l'obligation d'assurer la sécurité et la santé de son salarié.

15 « Wet werkbaar en wendbaar werk » (Loi sur le télétravail) du 1er février 2017

13

Cette obligation est valable sur le lieu de travail à l'étranger mais aussi en dehors, pendant les heures de travail et au-delà.16 Si cette obligation est facilement mise en oeuvre en France, elle devient difficile lorsque le salarié se trouve à l'étranger.

L'employeur commet une faute inexcusable, avec toutes les conséquences que cela emporte, s'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et s'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

De même, le salarié peut exiger son rapatriement en France en cas de danger. En cas de refus ou d'inactivité de l'employeur, le salarié peut demander des dommages et intérêts.

Ainsi, le télétravail international emporte le respect de nombreuses législations et normes, qu'il faudra donc en amont étudier, et dont le non-respect expose l'employeur à des sanctions et le salarié à des risques.

En plus du respect de différentes normes en droit du travail, se pose la question du contentieux du contrat de travail international, si les relations contractuelles venaient à se détériorer entre l'employeur et son salarié en situation de télétravail international.

Section II : Télétravail international et contentieux de contrat de travail

international

Il n'existe pas de définition précise du contrat de travail international.

En principe, le contrat de travail revêt un caractère international dès lors que sont caractérisés des éléments d'extranéité (nationalité des parties, lieu d'embauche, siège de la société, lieu d'exécution du travail, etc.).

Ainsi, est considéré comme international, un contrat conclu dans un pays et exécuté dans un autre. De ce fait, un salarié en situation de télétravail international, que cette situation découle d'une stipulation expresse du contrat de travail ou qu'elle ne soit pas prévue par le contrat de travail (par exemple du fait des mesures sanitaires ou un salarié qui a « décidé » de télétravailler à l'étranger sans modifier son contrat de travail), sera lié par un contrat de

16 En France articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail

14

travail international, car dans tous les cas il y a aura un élément d'extranéité, qui sera le lieu d'exécution du travail à l'étranger.

Ainsi, si les relations contractuelles viennent à se dégrader entre le salarié et l'employeur liés par un contrat de travail international, et que ce dernier souhaite par exemple licencier son salarié, des difficultés peuvent émerger en cas de contentieux.

En matière de litige en droit social, ce dernier peut être de 3 ordres : la conclusion du contrat de travail, l'exécution du contrat de travail, et la rupture du contrat de travail. Dans tous les cas, le litige sera lié à la relation de travail entre l'employeur et le salarié.

De ce fait, il pourra être difficile de déterminer la juridiction compétente ainsi que la loi applicable, et potentiellement le contentieux pourra être porté devant les juridictions du pays d'accueil.

Il convient de distinguer entre la loi applicable et la juridiction compétente. En effet, la loi applicable d'un pays X n'entraîne pas automatiquement la compétence juridictionnelle de ce même pays. De ce fait, la loi applicable peut être différente de la juridiction compétente, il faut donc faire une analyse en deux temps : tout d'abord déterminer la juridiction compétente, et ensuite déterminer la loi applicable au litige.

I) Juridiction compétente pour le salarié en situation de télétravail

international

Dans le cadre de la mobilité internationale des travailleurs et du télétravail international, et notamment européenne, se pose la question de la compétence juridictionnelle, en cas de litige portant sur un contrat de travail international, qui comporte un élément d'extranéité (dans le cas du télétravail international il s'agit du lieu d'exercice du travail qui à l'étranger). Il conviendra donc de s'intéresser à la compétence juridictionnelle en cas de télétravail dans un pays européen, puis dans un pays non européen.

A) Les règles spécifiques à l'Union Européenne en matière de compétence juridictionnelle

15

Intéressons-nous tout d'abord aux règles spécifiques de compétences juridictionnelles en matière européennes. Il s'agira donc de la situation dans laquelle un salarié décide de télétravailler à partir d'un pays membre de l'UE, au profit d'une entreprise située dans un autre État.

Des règles particulières ont été en adoptées par voie de conventions internationales par les États membres de l'UE. D'abord la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, réformée par la convention de Lugano (1988) et celle de Saint-Sébastien (1989), lors de l'élargissement de la CEE ou de la signature de la Convention par les pays de l'AELE. En 2000, la Convention est intégrée au droit communautaire via le Règlement 44/2001 du 22 décembre 2000, dit règlement Bruxelles I. Ce texte a donné lieu à un règlement de refonte du 12 décembre 2012, qui est le texte désormais applicable, depuis le 1er janvier 2015.

Les règles de compétence générale sont précisées aux articles 4, 5 et 6 du règlement 1215/2012 de 2012. Intéressons-nous plus particulièrement aux règles de compétence en matière de contrat individuels de travail, qui est la relation contractuelle utilisée dans le cadre du télétravail international.

En droit, l'article 20 du Règlement 1215/12/UE du 12 décembre 201217 dispose qu' « en matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 6, de l'article 7, point 5), et, dans le cas d'une action intentée à l'encontre d'un employeur, de l'article 8, point 1). 2. Lorsqu'un travailleur conclut un contrat individuel de travail avec un employeur qui n'est pas domicilié dans un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, l'employeur est considéré, pour les contestations relatives à leur exploitation, comme ayant son domicile dans cet État membre. »

Le règlement opère une distinction selon que l'employeur ou le salarié engagent l'action. Si le salarié en situation de télétravail international dans un pays état membre de l'UE est demandeur, l'article 21 du règlement n°1215/2012 de 2012 précise qu' « un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait: a) devant les

17 Règlement 1215/12/UE du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte du Règlement Bruxelles I)

16

juridictions de l'État membre où il a son domicile; ou b) dans un autre État membre: i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. 2. Un employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre conformément au paragraphe 1, point b). »

Ainsi, le salarié aura le choix en ce qui concerne de la juridiction devant laquelle il portera le contentieux, selon que l'employeur pour lequel il télétravaille se situe sur le territoire d'un état membre ou non.

Si l'employeur est domicilié sur le territoire d'un état membre, comme la France, il sera attrait devant les juridictions françaises, ou devant la juridiction de l'état membre depuis lequel le salarié effectue habituellement son travail (nous imaginons que le salarié exerçait son activité de télétravail international de manière habituelle dans un même pays).

Si l'employeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un état membre, il pourra être assigné devant les juridictions de l'état membre depuis lequel le salarié effectue habituellement son activité de télétravail.

Si au contraire l'employeur est demandeur, c'est l'article 22 du Règlement n°1215/2012 qui dispose que « l'action de l'employeur ne peut être portée que devant les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile (...) »

Ainsi, l'employeur demandeur n'aura pas d'autre choix que d'assigner le salarié en situation de télétravail international dans l'état membre dans lequel il travaille et a donc son domicile.

Notons que l'employeur ne pourra pas se prévaloir des règles de droit internes françaises pour la détermination de la compétence internationale du juge saisi d'un litige d'ordre international intra-communautaire18.

A présent, abordons le cas dans lequel le salarié décide de télétravailler à partir d'un pays tiers à l'UE.

18 Cass. Ch. Mixte 11 Mars 2005, n°02-41371 et 02-41372

B) 17

Les règles relatives aux états tiers hors UE

Tout d'abord, l'article 4 (1 du même règlement dispose que « Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

L'article 6 (1 dispose que « Si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de l'article 18, paragraphe 1, de l'article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25 ».

Enfin, l'article 21 (1 dispose qu' « un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait: a) devant les juridictions de l'État membre où il a son domicile; ou b) dans un autre État membre: i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. 2. Un employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre conformément au paragraphe 1, point b). »

Ainsi, imaginons que le salarié se soit installé aux États-Unis afin de télétravailler au profit d'une entreprise française.

En cas de contentieux, si l'employeur est demandeur, le défendeur, c'est-à-dire le salarié, se sera donc pas domicilié sur le territoire d'un État membre. Aux termes des articles vu précédemment, ce seront donc les règles françaises de détermination de compétence juridictionnelles qui seront applicables (article 6(1).

Si le salarié est demandeur, l'employeur (défendeur) sera domicilié dans un état membre (la France). Il sera donc attrait devant les juridictions françaises. Le salarié n'aura pas le choix prévu par l'article 21car il ne télétravaille pas sur le territoire d'un état membre.

C) Le cas des clauses attributives de compétence ou compromis d'arbitrage

18

La clause attributive de juridiction est la clause d'un contrat qui précise par avance quelles juridictions seront compétentes en cas de litige entre les parties au contrat. Cette possibilité concerne uniquement les différends commerciaux.

En droit français, l'article L1221-5 du Code du Travail interdit cette clause : « Toute clause attributive de juridiction incluse dans un contrat de travail est nulle et de nul effet ». Le même code précise que la clause attributive de juridiction insérée dans un contrat de travail est nulle à l'article R. 1412-4 : « Toute clause d'un contrat qui déroge directement ou indirectement aux dispositions de l'article R. 1412-1, relatives aux règles de compétence territoriale des conseils de prud'hommes, est réputée non écrite. »

En revanche, en droit européen, l'article 23 du règlement 1215/2012 dispose qu'« il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions attributives de juridiction : ...postérieures à la naissance du différend19 ...qui permettent au travailleur de saisir d'autres tribunaux que ceux indiqués à la présente section. »

Dans le cadre d'un contrat de travail international, qui est le type de contrat de travail qui nous intéresse, les parties peuvent donc valablement déroger aux dispositions du code du travail français qui interdisent cette clause.20

En revanche, en ce qui concerne la clause d'arbitrage, ou compromissoire, la jurisprudence21 a précisé que cette dernière était inopposable, même dans un contrat de travail international.

Ainsi, dans le cas du télétravail international, si un contentieux devait émerger, la juridiction compétente dépendra de tous les facteurs que nous avons vu.

Cependant, la problématique n'est pas complètement réglée. En effet, la détermination de la juridiction compétente n'entraîne pas automatiquement la détermination de la loi applicable, qui n'est pas automatiquement la loi du pays de la juridiction compétente. La loi applicable dépend d'autres facteurs que nous allons voir dès à présent.

19 Et Cass. Soc, 14 nov. 2000, n° 98-41959

20 Cass. Soc., 8 juill. 1985, n° 84-40.284 ; Cass.soc. 30 janvier 1991, n°87-42086

21 Cass. Soc., 16 févr. 1999, n° 96-40643

19

II) Loi applicable au contentieux de télétravail international

En ce qui concerne la loi applicable au contrat de travail international, trois périodes sont à distinguer. Ces dernières s'articulent autour de la conclusion de la Convention de Rome du 19 juin 198022 et du Règlement européen du 17 juin 2008, dit « Règlement Rome I », pour les contrats de travail conclus après le 17 décembre 2009.

Les règles applicables diffèrent selon la date de conclusion du contrat de travail.

De plus, des dispositions spécifiques ont été définies en cas de détachement des travailleurs dans le cadre de l'exécution d'une prestation de services23.

Par soucis de clarté, et du fait de la pratique récente du télétravail international, nous prendrons comme postulat que le contrat de travail a été conclu après le 17 décembre 2009, et qu'il est donc régit par le Règlement Rome I.

Le principe est posé par la Convention et le Règlement Rome I à l'article 3.

« Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat. »

En vertu de cet article, les parties au contrat international peuvent désigner n'importe quel droit applicable à leur contrat.

L'article 8 de la même convention évoque le cas spécifique qui nous intéresse du contrat de travail international :

« 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l'article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.

2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement

22 Conv. Rome, 19 juin 1980, JOCE 9 oct., no L 66

23 Dir. CE no 96-71, 16 déc. 1996

20

accompli n'est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays.

3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel est situé l'établissement qui a embauché le travailleur.

4. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays s'applique. » Enfin, l'article 9 de la convention évoque les lois de police :

« 1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement.

2. Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi.

3. Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application. »

En clair, il ressort de ces dispositions le principe d'autonomie des parties, c'est-à-dire que les parties peuvent librement choisir la loi applicable au contrat de travail international.

Toutefois, ce choix ne peut priver le salarié des dispositions impératives dont il aurait bénéficié en l'absence de choix. En pratique, c'est d'avantage le choix de l'employeur que du salarié, du fait du déséquilibre contractuel entre l'employeur et le salarié.

A défaut de choix des parties, la loi applicable sera la loi d'exécution habituelle du contrat de travail. Ce critère est plus objectif que le premier, car il prend en compte les conditions réelles d'exécution du contrat, sans prendre en compte l'éventuel désidérata de l'employeur ou du lieu de d'embauche par exemple.

Si la loi applicable ne peut être déterminée selon le critère précédent, la loi applicable sera la loi du pays dans lequel est situé l'établissement qui a embauché le salarié. Ce critère ne semble pas très objectif, il peut faire l'objet d'un montage de la part de l'employeur (par

21

exemple, la société Easyjet fait signer à tout salarié son contrat de travail à Dublin, afin que le droit Irlandais soit applicable à la relation contractuelle).

Enfin, tous les critères de détermination vu précédemment ne sont plus applicables si le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui qui a été déterminé par les critères précédents.

Dans tous les cas, les lois de police du pays d'accueil seront applicables à la relation contractuelle.

A la vue de ces critères, quand un employeur souhaite envoyer un salarié télétravailler depuis l'étranger, le plus « sur » juridiquement semble donc de désigner dans le contrat de travail la loi applicable comme étant celle du lieu d'exécution du contrat de travail. Ainsi, le libre choix des parties de désigner cette loi ne sera pas écartée par les dispositions de la convention que nous avons vue, car les parties ont bien désigné une loi applicable, les paragraphes 2 et 3 de l'article 8 ne sont donc pas applicables, et le paragraphe 4 du même article ne semble pas avoir vocation à s'appliquer non plus car le contrat présente des liens étroits avec le pays d'exécution du télétravail, qui est déjà le pays déterminé par les parties, puisque le salarié y réside désormais et y exerce son activité professionnelle. Ce critère devra cependant être évalué au cas par cas.

En cas de télétravail sauvage, si le contrat de travail ne prévoit pas de loi applicable, il est probable que la loi applicable soit celle du lieu depuis lequel le salarié effectue du télétravail (paragraphe 2), c'est-à-dire du pays d'accueil, sauf là encore si le contrat présente des liens plus étroits avec la France (pays d'origine du salarié).

En conclusion de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le télétravail comporte un réel enjeu de droit du travail, qui ne peut être ignoré par l'employeur et le salarié, au risque de sanction et/ou de contentieux. En cas de contentieux, il conviendra de déterminer la juridiction compétente et la loi applicable pour régler ce contentieux.

A présent, intéressons-nous à l'enjeu de la protection sociale du télétravailleur international.

22

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand