MÉMOIRE DU MASTER 2 DROIT SOCIAL -
MOBILITÉ INTERNATIONALE DU TRAVAILLEUR
LES ENJEUX DU TÉLÉTRAVAIL
INTERNATIONAL
Présenté par Méric SANCHEZ
Sous la direction de Marie-Cécile Escande Varniol
Année universitaire 2019-2020
REMERCIEMENTS
En premier lieu, je remercie Madame Escande-Varniol,
professeure à l'IETL. En tant que directrice de mémoire, elle m'a
guidé dans mon travail en cette période particulière de la
COVID-19.
Je tiens également à remercier Lucile Birocheau,
consultante en mobilité internationale chez RHexpat et mon maître
de stage, pour sa confiance et ses connaissances qu'elle a su partager avec
moi. Je le suis tout particulièrement reconnaissant pour sa
disponibilité, et pour m'avoir intégré à
l'équipe comme un véritable collaborateur. Un grand merci
à elle pour avoir pris le temps de relire mon mémoire et rapport
de stage, et pour ses conseils.
Je saisis également cette occasion pour adresser mes
profonds remerciements à Jorge Prieto Martin, dirigeant fondateur de
RHexpat, pour son accueil à mon arrivée au sein de sa
société, et pour ses conseils tout au long de mon stage et
à l'occasion de la rédaction de mon mémoire et rapport de
stage.
Je désire aussi remercier Lucas Despujols, consultant
en mobilité chez RHexpat, qui a partagé avec moi ses
connaissances et m'a permis de pouvoir travailler sereinement pour l'un des
clients de la société.
Sommaire
Introduction 1
PREMIERE PARTIE : LE TELETRAVAIL INTERNATIONAL ET LES
ENJEUX
DE DROIT SOCIAL 6
Chapitre premier : Le télétravail
international et le droit du travail 6
Section I : Les obligations pesant sur l'employeur et le
télétravailleur international en droit du travail 7
Section II : Télétravail international et
contentieux de contrat de travail international 13
Chapitre II : Le télétravail international
et la protection sociale du salarié 22
Section I : La protection sociale du
télétravailleur international, un enjeu essentiel de
mobilité
internationale 23 Section II : L'obligation d'information de
l'employeur sur l'étendue de la couverture santé du
salarié
en situation de télétravail international 30
DEUXIEME PARTIE : LE TELETRAVAIL INTERNATIONAL ET LES
AUTRES
ENJEUX DE MOBILITE INTERNATIONALE 33
Chapitre premier : Les enjeux fiscaux du
télétravail international 33
Section I : La fiscalité personnelle du
télétravailleur international 33
Section II : Les enjeux fiscaux pour l'entreprise ayant un
salarié en télétravail international 50
Chapitre II : Les enjeux migratoires du
télétravail international et la tentation du portage
salarial international 59
Section I : Le télétravail international et l'enjeu
migratoire 59
Section II : Le portage salarial à l'international, une
solution aux risques du télétravail international ?
62
Conclusion 67
BIBLIOGRAPHIE 70
1
Introduction
Contraint ou choisi, le télétravail, dans le
contexte de la crise de la COVID-19, est devenu un nouvel enjeu dans
l'entreprise. En effet, de nombreux services RH font face, depuis quelques
années, à de nombreuses demande de télétravail,
parfois depuis l'international, de la part des salariés. Le
télétravail est ainsi devenu un véritable enjeu RH
d'attractivité et de rétention des talents.
Le télétravail désigne toute forme
d'organisation du travail dans laquelle, un travail qui aurait également
pu être exécuté dans les locaux de l'employeur, est
effectué par un salarié hors de ces locaux de façon
volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la
communication.1
Jusqu'à présent peu développé, le
télétravail s'est aujourd'hui imposé comme une
véritable alternative au travail en présentiel.
En effet, une enquête de la DARES2 a
montré en 2016-2017 que seuls 3% des salariés pratiquaient
occasionnellement le télétravail. En pleine pandémie de la
COVID-19, et le confinement qui en a découlé, c'est quasiment un
quart des français (24%)3 en avril, et près de la
moitié en mai qui avaient recours à cette pratique, choisie ou
imposée.
En effet, l'article L1222-11 du code du travail dispose
qu'« en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace
d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en oeuvre du
télétravail peut être considérée comme un
aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre
la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la
protection des salariés ».
1 Article L 1222-9 du code du travail
2 Enquête de la DARES publiée le
04/11/19
https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/etudes-et-syntheses/dares-analyses-dares-indicateurs-dares-resultats/article/quels-sont-les-salaries-concernes-par-le-teletravail
3 Etude ODOXA publiée le 09/04/2020
http://www.odoxa.fr/sondage/covid-19-bouleverse-deja-modifiera-durablement-rapport-francais-travail/
2
En septembre, ce chiffre est retombé à 10% selon
le ministère du travail. Cependant, les salariés concernés
par le télétravail, ont pour la plupart plébiscité
ce dispositif4. Le Ministre du Travail, Élisabeth Borne,
estimait mi-août qu'il fallait mettre en place le
télétravail « à chaque fois que c'est possible dans
les zones de circulation active du virus5».
Aujourd'hui, à l'heure du second confinement, le
même ministre a précisé6 que « 45% des
salariés du privé ont ainsi fait du télétravail
» entre les 4 et 8 novembre selon une enquête réalisée
par le ministère du Travail. Élisabeth Borne a ainsi
persisté dans l'idée selon laquelle le télétravail
devait être mis en place dès que c'était possible («
le télétravail n'est pas facultatif » a-t-elle
déclaré lors de la même conférence de presse).
Quoi qu'il en soit, ce recours nouveau et massif au
télétravail semblent avoir amené les employeurs et les
salariés à repenser l'organisation du travail, jusqu'à
présent dominée par le travail en présentiel.
En effet, de nombreux arguments jouent en faveur du
télétravail : il permet au salarié de choisir son lieu de
travail, éventuellement à l'étranger, de gagner du temps
(le temps passé à se rendre à son lieu de travail), lui
octroie une autonomie accrue tout en l'incitant à la
responsabilisation...
De plus, il convient de noter que le développement et
la diffusion des nouveaux outils de travail, de l'information et de la
communication (NTIC) permettent aujourd'hui un recours plus aisé au
télétravail : une majorité des français
possède aujourd'hui un ordinateur à son domicile avec une
connexion internet, lui permettant de
télétravailler.7
Les employeurs également ont bien compris quels
avantages ils pouvaient tirer du télétravail, qui leur permet de
fidéliser les salariés, qui peuvent même établir
leur lieu de travail à l'étranger ; c'est donc (semble-t-il) un
formidable outil de flexibilité pour l'employeur : plus de
formalités d'immigration, fiscale ou sociale...
4 « 73 % de ceux qui oeuvrent désormais depuis
leur domicile souhaitent continuer après la crise, de manière
régulière ou ponctuelle. », étude publiée sur
le site du Figaro le 10 mai 2020
https://www.lefigaro.fr/actualite-france/comment-les-francais-se-sont-adaptes-au-teletravail-20200510
5 Interview donnée dans le JDD en date du 16
aout 2020 (
https://www.lejdd.fr/Politique/elisabeth-borne-ministre-du-travail-au-jdd-on-doit-eviter-a-tout-prix-un-nouveau-confinement-3985889)
6 Conférence de presse du jeudi 12 novembre
2020
7 D'après une étude publiée par Statista
Research Department le 9 mars 2020, le taux d'équipement en
ordinateur chez les Français était de 76 % en 2019.
https://fr.statista.com/statistiques/531157/equipement-ordinateur-a-domicile-france/
3
En France, certains parlementaires proposent même
d'instaurer l'obligation pour l'employeur de proposer, lorsque les
circonstances le permettent, au salarié de télétravailler
à raison d'une journée par semaine au minimum8.
L'État a en effet tout intérêt à
proposer le télétravail : le télétravail permet
à certains salariés de quitter les grands espaces urbains au
profit de territoires ruraux et ainsi de participer à leur
vitalité. De plus, une personne en télétravail n'a plus
systématiquement besoin d'utiliser des moyens de transport, tant
individuel que collectif, ce qui contribue notamment à la
réduction de la pollution.
Les États ont donc bien compris cette tendance, et
certains tentent même de l'amplifier et l'élargir au cadre
international : l'Estonie, la Barbade, ou encore le Mexique et l'Australie ont
ainsi crée un visa spécial (« Visa de Digital Nomade
»), permettant aux étrangers de s'établir sur leur sol pour
télétravailler à distance pour une société
établie hors de leurs frontières.
Le télétravail est qualifié de «
national » quand le salarié télétravaille dans le
même pays que celui dans lequel se trouve l'entreprise pour laquelle il
télétravaille, et duquel il est souvent ressortissant. Cette
situation, comme nous allons le voir, est régie par le code du travail
français et ne comporte pas de difficultés en termes fiscaux,
migratoires ou sociaux, nous ne nous appesantirons donc pas dessus lors de ce
mémoire.
Le télétravail peut au contraire qualifié
d'« international » dès lors qu'est caractérisé
un élément d'extranéité : le salarié
télétravaille depuis un autre pays que celui où est
situé l'entreprise au profit de laquelle il télétravaille.
Lors de ce mémoire, quand le terme télétravail
international sera utilisé, il servira à décrire deux
situations.
La première sera le cas d'un salarié
français, travaillant habituellement en France, et qui souhaite
s'installer dans un pays étranger afin d'y télétravailler
pour le compte de son employeur français. En effet, cette pratique est
de plus en plus demandée par certains salariés.
8 Proposition de loi, déposée par des
parlementaires LR, n°3328 visant à favoriser le
télétravail lorsque l'emploi le permet.
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3328
proposition-loi# ftn1
4
La seconde situation sera celle du télétravail
international « imposé » en raison de la crise sanitaire, en
d'autres termes la situation d'un salarié bloqué dans un pays et
qui y télétravaille pour son employeur. Ce pays sera soit le pays
de résidence du salarié dans lequel il n'exerçait
habituellement pas son activité professionnelle (c'est le cas du
travailleur frontalier, qui par exemple réside en France mais travaille
en Suisse, et qui serait bloqué en France), ou sera un pays qui n'est
pas le pays de résidence du salarié (par exemple, un
salarié britannique, travaillant pour une entreprise britannique, qui
serait bloqué en France en raison des mesures sanitaires et qui
télétravaillerait en France).
Il convient également d'opérer une distinction
entre le télétravail international et le « business trip
». Cette pratique n'est pas définie légalement. En
pratique elle peut se définir comme « une visite occasionnelle, au
nom ou à la demande de la société, sur un autre territoire
que le pays de travail habituel »9.
Ainsi, le business trip est la conséquence d'une
demande de la société auprès du salarié et est
lié à l'exercice même de ses fonctions. Il s'agit donc la
plupart du temps de rendez-vous avec des équipes, des clients, des
prestataires, ou de conférences / formations dispensées à
l'étranger. A la différence du télétravail
international, le salarié ne pourrait pas accomplir cette tâche
dans le lieu habituel de travail.
Nous le verrons, cette distinction a son importance, car les
conséquences seront différentes pour le salarié.
Pouvoir télétravailler depuis l'étranger,
et si possible depuis un lieu agréable et exotique, pour une entreprise
située ailleurs dans le monde, sans s'embarrasser des formalités
migratoires, sociales ou fiscales : cela semble être trop beau pour
être vrai, et pour cause, le télétravail depuis
l'étranger ne va pas sans conséquences, tant pour le
salarié qui en bénéficie que pour l'employeur qui
l'autorise.
A plus forte raison, la crise sanitaire et les mesures
sanitaires qui en ont découlé ont fait émerger de
nouvelles problématiques quant à ces
télétravailleurs internationaux. Comme d'accoutumé, le
droit doit donc intervenir afin d'encadrer cette pratique du
télétravail international, et protéger l'employeur comme
le salarié qui en profite.
9 MSE Avocats, « Business Trip VS
Télétravail International », 23 novembre 2020
5
Il convient donc de répondre à cette
problématique : quels sont les enjeux du télétravail
international, et comment s'assurer de sa conformité avec les
règles applicables en matière de mobilité internationale
(droit du travail, protection sociale, immigration, droit fiscal...) ?
Comme nous allons le voir, malgré la nouveauté
et la spécificité que semble présenter le
télétravail international, celui-ci comporte des enjeux
classiques de mobilité internationale, ce que semblent oublier les
employeurs comme les salariés, qui pensent pouvoir s'affranchir de ces
enjeux avec cette pratique, s'exposant ainsi à des risques.
De même, les enjeux liés au
télétravail international ne datent pas de la crise sanitaire
actuelle. En effet, cette nouvelle pratique fait l'objet de nombreuses
demandes, notamment de la part des salariés, depuis plusieurs
années.
De ce fait, les problématiques liés à
cette pratique ne sont pas toutes, loin s'en faut, liées à la
COVID-19, même si cette dernière a bien entendu fait
émerger des questionnements, en lien cependant avec des enjeux de
mobilité classiques. Il ne semble donc pas opportun d'étudier
l'impact de la crise de la COVID-19 sur le télétravail
international dans une partie dédiée.
Enfin, l'objet de ce mémoire n'est pas d'étudier
en profondeur tous les enjeux de la mobilité internationale, mais
d'étudier ces enjeux appliqués au cas spécifique du
télétravail international et les risques inhérents
à cette pratique.
Ainsi, afin d'étudier cette pratique du
télétravail international et les risques inhérents
à celle-ci, nous verrons dans un premier temps les enjeux de droit
social du télétravail international. Dans une seconde partie,
nous nous intéresserons aux enjeux fiscaux et migratoires, ainsi qu'au
portage salarial international, qui apparaît comme une solution aux
enjeux du télétravail international.
6
PREMIERE PARTIE : LE TELETRAVAIL INTERNATIONAL ET
LES ENJEUX DE DROIT
SOCIAL
Dans cette première partie nous nous
intéresserons aux enjeux de droit social du télétravail
international, à plus forte raison dans ce contexte particulier de crise
sanitaire.
Par droit social, il faut entendre les enjeux en droit du
travail, qui seront abordés dans un premier chapitre, et les enjeux en
droit de la protection sociale, abordés quant à eux dans un
second chapitre.
Le droit social, comme nous allons le voir, est un enjeu
classique de mobilité internationale, qui doit être pris en compte
par l'employeur et le salarié qui souhaitent avoir recours à
cette pratique du télétravail international.
Naturellement, le télétravail international
emporte lui aussi ces enjeux de droit social. Pourtant, le
télétravail international, de par sa nouveauté et sa
simplicité apparente de mise en oeuvre, semble souvent faire oublier
à ceux qui ont y recours que les mêmes enjeux de mobilité
internationale sont présents.
Bien souvent, le télétravail international
résulte donc d'une situation de fait, et rien n'est prévu par le
contrat de travail initial. On peut dès lors parler de
télétravail international « sauvage » : un
salarié s'est « tout simplement » installé dans un pays
étranger afin d'y télétravailler pour son employeur
français. De ce fait, l'employeur ou le salarié qui a recours au
télétravail international, sans aborder ces enjeux de droit
social, s'expose à des risques, que nous allons détailler dans
cette partie.
Chapitre premier : Le télétravail
international et le droit du
travail
Dans ce premier chapitre, intéressons-nous plus
précisément aux enjeux de droit du travail en matière de
télétravail à l'international.
Pour cela, nous verrons dans une première section les
obligations en termes de droit du travail qui pèsent sur l'employeur.
Dans une seconde section nous aborderons les
conséquences d'un éventuel contentieux entre le
télétravailleur international et son employeur, et les
problématiques en
7
résultant : si le télétravail
international résulte d'une situation de fait, et que rien n'est
prévu par le contrat de travail, devant quelle juridiction et avec quel
droit le salarié ou l'employeur devront-t-ils porter le conflit ?
Section I : Les obligations pesant sur l'employeur et
le télétravailleur international en droit du
travail
En droit, « le télétravail désigne
toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu
être exécuté dans les locaux, de l'employeur est
effectué hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les
technologies de l'information et de la communication. Le
télétravail est mis en place dans le cadre d'un accord collectif
ou, à défaut ; dans le cadre d'une charte élaborée
par l'employeur après avis du comité social économique,
s'il existe. » 10
En principe, et hors situation de crise sanitaire, cette
organisation du travail qu'est le télétravail n'est pas
d'application obligatoire, mais est conditionnée par l'accord de
l'employeur et du salarié.
En effet, concernant la situation de crise sanitaire,
l'article L1222-11 du code du travail dispose qu'en « cas de circonstances
exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de
force majeure, la mise en oeuvre du télétravail peut être
considérée comme un aménagement du poste de travail rendu
nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de
l'entreprise et garantir la protection des salariés ».
Hors crise sanitaire, l'article L1222-9 du code du travail
précise que le télétravail est mis en place de
manière permanente ou occasionnelle, dans le cadre :
- d'un accord collectif ;
- ou, à défaut, d'une charte élaborée
par l'employeur, après avis du comité sociale et
économique (CSE) s'il existe
- ou, en l'absence d'accord collectif ou de charte, dans le cadre
d'un accord entre le salarié et l'employeur lorsqu'ils conviennent de
recourir au télétravail.
10 Article L1222-9 du code du travail
8
Quel que soit le motif de recours au
télétravail, qu'il soit le fruit d'un accord ou imposé
dans le cadre d'une crise sanitaire telle que celle que nous traversons
actuellement, il n'existe aucun texte, en droit français, qui interdit
qu'un salarié dont l'employeur est situé en France travaille
à distance depuis un pays étranger.
En effet, comme nous l'avons vu, en droit du travail
français, le télétravail est défini largement, le
code du travail évoquant seulement l'exercice « en dehors du lieu
habituel de travail ». La loi reste donc silencieuse sur l'endroit
à partir duquel peut être exercé le
télétravail, qui peut donc parfaitement se situer dans un pays
étranger.
Ainsi, le code du travail français n'évoque pas
la possibilité de télétravailler depuis l'international
mais ne l'interdit pas non plus. Ce silence de la loi, s'il autorise de fait
cette pratique, incite cependant à la vigilance. Cela emporte des
conséquences significatives pour l'employeur sur lesquelles il nous faut
revenir.
I) L'obligation de respect des législations
nationales en matière de droit du
travail pour le télétravailleur
international
Comme nous venons de le voir, le télétravail
international est légalement possible. Toutefois, les règles
applicables et les formalités sont différentes d'un État
à l'autre et cela nécessite ainsi de bien se renseigner sur la
législation de l'État à partir duquel le
télétravailleur souhaite travailler.
Il est ainsi exclu qu'un salarié décide
unilatéralement de s'installer dans un pays pour
télétravailler pour le compte d'une entreprise française
sans que lui-même ou son employeur n'étudie de manière
approfondie la législation locale en matière du droit du travail
et notamment du télétravail.
De surcroit, cet examen s'impose d'autant plus aujourd'hui que
de nombreux états, dans le cadre de la crise sanitaire, ont
légiféré afin de réglementer le
télétravail, pratique à laquelle ont été
contraints des salariés de nombreux pays.
Il convient donc de distinguer deux cas : le cas où le
télétravailleur reste lié avec son employeur
français par le même contrat de travail de droit français,
auquel cas les parties seront soumises à la législation
française et aux éventuelles dispositions d'ordre public
9
locales, et le cas où un contrat local serait conclu,
auquel cas la législation locale serait complètement applicable
à la relation de travail.
Tout d'abord, abordons le cas où l'employeur et le
salarié restent liés par le contrat de travail initial de droit
français. Dans ce cas, en plus des stipulations du contrat de travail
français, ils devront respecter les dispositions d'ordre public
françaises et le code du travail, car même si la situation
contractuelle comporte un élément d'extranéité
(lieu de travail à l'étranger), le salarié sera lié
avec son employeur français avec un contrat de travail de droit
français.
Parmi les obligations prévues par le code du travail
français concernant plus particulièrement le
télétravail, l'employeur devra faire une analyse des risques du
lieu de travail au domicile du salarié pour l'inclure dans le document
unique d'évaluation des risques ; Vérifier la conformité
des installations électriques et techniques par la visite d'un
technicien ou l'obtention d'un certificat de conformité ; Prendre
financièrement en charge le surcoût pour le salarié
(imprimante, téléphone, etc.), soit au réel soit sur la
base d'un forfait de 10, 20 ou 30 euros selon les cas ; S'assurer que le
télétravailleur est couvert par une assurance qui couvre l'espace
au domicile dédié à l'activité
professionnelle11.
Tous ces points, s'ils sont facilement mis en place et
contrôlables lorsque le télétravailleur est en France,
seront difficilement contrôlables si le salarié
télétravaille depuis l'étranger, puisque l'employeur
n'aura physiquement pas accès au domicile de son salarié afin de
s'assurer du respect de ces dispositions. L'employeur s'exposera donc à
des risques en cas de non-respect de ces dispositions.
En plus de ces dispositions françaises relatives au
télétravail, les parties devront respecter les dispositions
impératives du pays d'accueil. Les dispositions impératives sont
des dispositions d'ordre public qui forment les lois de police d'un
État. Ce sont des dispositions auxquelles les parties à un
contrat ne peuvent déroger, sauf de manière plus favorable pour
le salarié. Ce sont des dispositions qui sont destinées à
assurer un minimum de protection aux salariés.
Le Règlement 593/2008 du 17 juin 2008 (Rome I)
précise qu'une loi de police est une disposition impérative dont
le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses
11 Article L1222-10 du code du travail
10
intérêts publics, tels que son organisation
politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application
à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit
par ailleurs la loi applicable au contrat.
Par exemple, les lois de police luxembourgeoises imposent un
contrat de travail écrit, un salaire social minimum, une durée du
travail, un temps de pause... un salarié qui déciderait de
télétravailler depuis ce pays, même lié avec un
contrat de droit français avec son employeur français, devrait
donc respecter ces dispositions.
Ainsi, les parties devront respecter les dispositions d'ordre
public françaises ainsi que les dispositions impératives du pays
d'accueil, notamment en termes de télétravail si elles existent.
Il faudra donc étudier la réglementation locale afin de
déterminer quelles dispositions sont impératives et auxquelles le
salarié ne pourra donc pas déroger.
L'employeur et le salarié peuvent décider de
conclure un contrat de travail local (on parle de « localisation » du
salarié dans le pays depuis lequel il souhaite
télétravailler). Dans ce cas, la législation locale en
matière de droit du travail sera entièrement applicable à
la relation de travail.
Intéressons-nous à certaines législations
locales afin d'apprécier leur diversité et donc la
complexité de télétravailler à partir de ces
pays.
Au Royaume-Uni12, le droit du travail
prévoit que le « manager » (employeur) doit veiller à
contacter régulièrement son équipe pour éviter le
sentiment d'isolement (s'assurer de la santé physique et aussi mentale
du salarié en télétravail).
Quant au salarié, il doit tenir son manager
informé d'éventuels risques en termes de santé et
sécurité du fait du télétravail et demander des
changements/arrangements si nécessaires.
De même, avant de pouvoir bénéficier des
règles applicables en matière de « travail flexible »
(télétravail), le salarié doit avoir travaillé en
présentiel au moins 6 mois pour le même employeur. Ce point est
évidemment majeur : un salarié travaillant pour une entreprise
située en France ne pourra pas se rendre dans ce pays et simplement
télétravailler pour le compte de l'entreprise française,
car il ne pourra pas justifier d'un travail présentiel dans une
entreprise située dans le pays d'accueil.
12 Code of practice on handling in a reasonable manner
requests to work flexibly
11
En Espagne13, la nouvelle loi sur le
télétravail renforce les dispositions de contrôle du temps
de travail du télétravailleur par l'employeur (droit à la
déconnexion, respect de la vie privée...).
En Belgique14, le contrat de travail doit
prévoir les modalités du télétravail, le
matériel approprié ainsi qu'une compensation pour l'utilisation
d'un espace privé.
Enfin, en Suède, Allemagne et Finlande, les
règles relatives au télétravail ne sont pas
codifiées mais sont traitées par le biais de conventions
collectives, accords d'entreprise et des normes infra-législatives.
Ainsi, l'employeur et le salarié devront étudier ces conventions
et normes si le salarié souhaite télétravailler à
partir de l'un de ces pays.
Ainsi, le salarié et l'employeur qui souhaitent avoir
recours au télétravail international par le biais d'un contrat de
travail local devront respecter la législation du pays d'accueil,
notamment en matière de télétravail.
Notons qu'en matière de législation locale en
matière de temps et d'horaire de travail, cette dernière peut
s'avérer problématique du fait du potentiel décalage
horaire entre les deux pays : sur les plages d'horaires de travail
française, il sera peut-être 3 heures du matin dans le pays
d'accueil.
Les règles de rupture de ce contrat seront
également soumises au droit local.
Une multitude de règles sont donc potentiellement
applicables dans un même pays, et différentes selon
l'activité du télétravailleur. Des pays comme l'Espagne et
la France possèdent des règles détaillées et
codifiées en matière de télétravail, là
où d'autres pays tels que les Pays-Bas ont une vision plus flexible en
la matière, laissant une marge d'interprétation plus large et
donc nécessitant une étude approfondie.
13 Décret-loi royal 28/2020 sur le travail
à distance en Espagne
14 CCT n°85 (9 novembre 2005), modifiée
par la CCT n°85 bis (27 février 2008).
12
Par ailleurs, avec la crise actuelle du COVID et le recours
massif au télétravail, certains États tels que l'Espagne,
la France et le Portugal ont annoncé vouloir réformer le
télétravail.
Dès lors, les règles applicables aujourd'hui y
sont amenées à évoluer très prochainement, ce qui
peut potentiellement générer de l'insécurité
juridique si le salarié décide de télétravailler
à partir de l'un de ces pays : il pourrait ne plus être en
conformité avec les nouvelles lois.
Enfin, si la législation de la plupart des pays fait
peser sur l'employeur la responsabilité de la santé et
sécurité du télétravailleur pendant qu'il
exécute son travail depuis chez lui, tous les États ne permettent
pas nécessairement à l'employeur de s'assurer concrètement
de la conformité du lieu de travail (domicile) avec les règles
applicables en matière de santé/sécurité.
Par exemple, les Pays-Bas15 obligent le
salarié à permettre à son employeur de faire
vérifier le domicile en présentiel ou par le biais de photos,
là où le Chili considère que le droit à la vie
privée du salarié (droit constitutionnel) prend le dessus.
Ainsi, dans le cadre du télétravail
international, en fonction de la nature du contrat qui lie l'employeur et le
salarié, ces derniers peuvent être tenus au respect de la
législation française ou locale en matière de
télétravail, sans compter les dispositions impératives des
différents pays.
Il conviendra donc d'étudier précisément
ces règles avant d'envisager l'installation du salarié dans le
pays à partir duquel il souhaite télétravailler.
II) L'obligation de sécurité et
santé de l'employeur vis-à-vis du salarié en
télétravail international
En cas d'expatriation, l'employeur, qui demeure l'employeur du
pays d'origine pour lequel le salarié télétravaille depuis
l'étranger, a l'obligation d'assurer la sécurité et la
santé de son salarié.
15 « Wet werkbaar en wendbaar werk » (Loi sur le
télétravail) du 1er février 2017
13
Cette obligation est valable sur le lieu de travail à
l'étranger mais aussi en dehors, pendant les heures de travail et
au-delà.16 Si cette obligation est facilement mise en oeuvre
en France, elle devient difficile lorsque le salarié se trouve à
l'étranger.
L'employeur commet une faute inexcusable, avec toutes les
conséquences que cela emporte, s'il avait ou aurait dû avoir
conscience du danger auquel il exposait son salarié et s'il n'a pas pris
les mesures nécessaires pour l'en préserver.
De même, le salarié peut exiger son rapatriement
en France en cas de danger. En cas de refus ou d'inactivité de
l'employeur, le salarié peut demander des dommages et
intérêts.
Ainsi, le télétravail international emporte le
respect de nombreuses législations et normes, qu'il faudra donc en amont
étudier, et dont le non-respect expose l'employeur à des
sanctions et le salarié à des risques.
En plus du respect de différentes normes en droit du
travail, se pose la question du contentieux du contrat de travail
international, si les relations contractuelles venaient à se
détériorer entre l'employeur et son salarié en situation
de télétravail international.
Section II : Télétravail international et
contentieux de contrat de travail
international
Il n'existe pas de définition précise du contrat
de travail international.
En principe, le contrat de travail revêt un
caractère international dès lors que sont
caractérisés des éléments
d'extranéité (nationalité des parties, lieu d'embauche,
siège de la société, lieu d'exécution du travail,
etc.).
Ainsi, est considéré comme international, un
contrat conclu dans un pays et exécuté dans un autre. De ce fait,
un salarié en situation de télétravail international, que
cette situation découle d'une stipulation expresse du contrat de travail
ou qu'elle ne soit pas prévue par le contrat de travail (par exemple du
fait des mesures sanitaires ou un salarié qui a «
décidé » de télétravailler à
l'étranger sans modifier son contrat de travail), sera lié par un
contrat de
16 En France articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code
du travail
14
travail international, car dans tous les cas il y a aura un
élément d'extranéité, qui sera le lieu
d'exécution du travail à l'étranger.
Ainsi, si les relations contractuelles viennent à se
dégrader entre le salarié et l'employeur liés par un
contrat de travail international, et que ce dernier souhaite par exemple
licencier son salarié, des difficultés peuvent émerger en
cas de contentieux.
En matière de litige en droit social, ce dernier peut
être de 3 ordres : la conclusion du contrat de travail,
l'exécution du contrat de travail, et la rupture du contrat de travail.
Dans tous les cas, le litige sera lié à la relation de travail
entre l'employeur et le salarié.
De ce fait, il pourra être difficile de
déterminer la juridiction compétente ainsi que la loi applicable,
et potentiellement le contentieux pourra être porté devant les
juridictions du pays d'accueil.
Il convient de distinguer entre la loi applicable et la
juridiction compétente. En effet, la loi applicable d'un pays X
n'entraîne pas automatiquement la compétence juridictionnelle de
ce même pays. De ce fait, la loi applicable peut être
différente de la juridiction compétente, il faut donc faire une
analyse en deux temps : tout d'abord déterminer la juridiction
compétente, et ensuite déterminer la loi applicable au litige.
I) Juridiction compétente pour le salarié
en situation de télétravail
international
Dans le cadre de la mobilité internationale des
travailleurs et du télétravail international, et notamment
européenne, se pose la question de la compétence
juridictionnelle, en cas de litige portant sur un contrat de travail
international, qui comporte un élément d'extranéité
(dans le cas du télétravail international il s'agit du lieu
d'exercice du travail qui à l'étranger). Il conviendra donc de
s'intéresser à la compétence juridictionnelle en cas de
télétravail dans un pays européen, puis dans un pays non
européen.
A) Les règles spécifiques à
l'Union Européenne en matière de compétence
juridictionnelle
15
Intéressons-nous tout d'abord aux règles
spécifiques de compétences juridictionnelles en matière
européennes. Il s'agira donc de la situation dans laquelle un
salarié décide de télétravailler à partir
d'un pays membre de l'UE, au profit d'une entreprise située dans un
autre État.
Des règles particulières ont été
en adoptées par voie de conventions internationales par les États
membres de l'UE. D'abord la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968,
réformée par la convention de Lugano (1988) et celle de
Saint-Sébastien (1989), lors de l'élargissement de la CEE ou de
la signature de la Convention par les pays de l'AELE. En 2000, la Convention
est intégrée au droit communautaire via le Règlement
44/2001 du 22 décembre 2000, dit règlement Bruxelles I. Ce texte
a donné lieu à un règlement de refonte du 12
décembre 2012, qui est le texte désormais applicable, depuis le
1er janvier 2015.
Les règles de compétence générale
sont précisées aux articles 4, 5 et 6 du règlement
1215/2012 de 2012. Intéressons-nous plus particulièrement aux
règles de compétence en matière de contrat individuels de
travail, qui est la relation contractuelle utilisée dans le cadre du
télétravail international.
En droit, l'article 20 du Règlement 1215/12/UE du 12
décembre 201217 dispose qu' « en matière de
contrats individuels de travail, la compétence est
déterminée par la présente section, sans préjudice
de l'article 6, de l'article 7, point 5), et, dans le cas d'une action
intentée à l'encontre d'un employeur, de l'article 8, point 1).
2. Lorsqu'un travailleur conclut un contrat individuel de travail avec un
employeur qui n'est pas domicilié dans un État membre mais
possède une succursale, une agence ou tout autre établissement
dans un État membre, l'employeur est considéré, pour les
contestations relatives à leur exploitation, comme ayant son domicile
dans cet État membre. »
Le règlement opère une distinction selon que
l'employeur ou le salarié engagent l'action. Si le salarié en
situation de télétravail international dans un pays état
membre de l'UE est demandeur, l'article 21 du règlement n°1215/2012
de 2012 précise qu' « un employeur domicilié sur le
territoire d'un État membre peut être attrait: a) devant les
17 Règlement 1215/12/UE du 12 décembre
2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et
l'exécution des décisions en matière civile et commerciale
(refonte du Règlement Bruxelles I)
16
juridictions de l'État membre où il a son
domicile; ou b) dans un autre État membre: i) devant la juridiction du
lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit
habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où
il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur
n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un
même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se
trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. 2. Un
employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État
membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre
conformément au paragraphe 1, point b). »
Ainsi, le salarié aura le choix en ce qui concerne de
la juridiction devant laquelle il portera le contentieux, selon que l'employeur
pour lequel il télétravaille se situe sur le territoire d'un
état membre ou non.
Si l'employeur est domicilié sur le territoire d'un
état membre, comme la France, il sera attrait devant les juridictions
françaises, ou devant la juridiction de l'état membre depuis
lequel le salarié effectue habituellement son travail (nous imaginons
que le salarié exerçait son activité de
télétravail international de manière habituelle dans un
même pays).
Si l'employeur n'est pas domicilié sur le territoire
d'un état membre, il pourra être assigné devant les
juridictions de l'état membre depuis lequel le salarié effectue
habituellement son activité de télétravail.
Si au contraire l'employeur est demandeur, c'est l'article 22
du Règlement n°1215/2012 qui dispose que « l'action de
l'employeur ne peut être portée que devant les juridictions de
l'État membre sur le territoire duquel le travailleur a son domicile
(...) »
Ainsi, l'employeur demandeur n'aura pas d'autre choix que
d'assigner le salarié en situation de télétravail
international dans l'état membre dans lequel il travaille et a donc son
domicile.
Notons que l'employeur ne pourra pas se prévaloir des
règles de droit internes françaises pour la détermination
de la compétence internationale du juge saisi d'un litige d'ordre
international intra-communautaire18.
A présent, abordons le cas dans lequel le
salarié décide de télétravailler à partir
d'un pays tiers à l'UE.
18 Cass. Ch. Mixte 11 Mars 2005, n°02-41371
et 02-41372
B) 17
Les règles relatives aux états tiers hors
UE
Tout d'abord, l'article 4 (1 du même règlement
dispose que « Sous réserve du présent règlement, les
personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont
attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de
cet État membre. »
L'article 6 (1 dispose que « Si le défendeur
n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la
compétence est, dans chaque État membre, réglée par
la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de
l'article 18, paragraphe 1, de l'article 21, paragraphe 2, et des articles 24
et 25 ».
Enfin, l'article 21 (1 dispose qu' « un employeur
domicilié sur le territoire d'un État membre peut être
attrait: a) devant les juridictions de l'État membre où il a son
domicile; ou b) dans un autre État membre: i) devant la juridiction du
lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit
habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où
il a accompli habituellement son travail; ou ii) lorsque le travailleur
n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un
même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se
trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. 2. Un
employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État
membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre
conformément au paragraphe 1, point b). »
Ainsi, imaginons que le salarié se soit
installé aux États-Unis afin de télétravailler au
profit d'une entreprise française.
En cas de contentieux, si l'employeur est demandeur, le
défendeur, c'est-à-dire le salarié, se sera donc pas
domicilié sur le territoire d'un État membre. Aux termes des
articles vu précédemment, ce seront donc les règles
françaises de détermination de compétence
juridictionnelles qui seront applicables (article 6(1).
Si le salarié est demandeur, l'employeur
(défendeur) sera domicilié dans un état membre (la
France). Il sera donc attrait devant les juridictions françaises. Le
salarié n'aura pas le choix prévu par l'article 21car il ne
télétravaille pas sur le territoire d'un état membre.
C) Le cas des clauses attributives de compétence
ou compromis d'arbitrage
18
La clause attributive de juridiction est la clause d'un
contrat qui précise par avance quelles juridictions seront
compétentes en cas de litige entre les parties au contrat. Cette
possibilité concerne uniquement les différends commerciaux.
En droit français, l'article L1221-5 du Code du Travail
interdit cette clause : « Toute clause attributive de juridiction incluse
dans un contrat de travail est nulle et de nul effet ». Le même code
précise que la clause attributive de juridiction insérée
dans un contrat de travail est nulle à l'article R. 1412-4 : «
Toute clause d'un contrat qui déroge directement ou indirectement aux
dispositions de l'article R. 1412-1, relatives aux règles de
compétence territoriale des conseils de prud'hommes, est
réputée non écrite. »
En revanche, en droit européen, l'article 23 du
règlement 1215/2012 dispose qu'« il ne peut être
dérogé aux dispositions de la présente section que par des
conventions attributives de juridiction : ...postérieures à la
naissance du différend19 ...qui permettent au travailleur de
saisir d'autres tribunaux que ceux indiqués à la présente
section. »
Dans le cadre d'un contrat de travail international, qui est
le type de contrat de travail qui nous intéresse, les parties peuvent
donc valablement déroger aux dispositions du code du travail
français qui interdisent cette clause.20
En revanche, en ce qui concerne la clause d'arbitrage, ou
compromissoire, la jurisprudence21 a précisé que cette
dernière était inopposable, même dans un contrat de travail
international.
Ainsi, dans le cas du télétravail international,
si un contentieux devait émerger, la juridiction compétente
dépendra de tous les facteurs que nous avons vu.
Cependant, la problématique n'est pas
complètement réglée. En effet, la détermination de
la juridiction compétente n'entraîne pas automatiquement la
détermination de la loi applicable, qui n'est pas automatiquement la loi
du pays de la juridiction compétente. La loi applicable dépend
d'autres facteurs que nous allons voir dès à présent.
19 Et Cass. Soc, 14 nov. 2000, n° 98-41959
20 Cass. Soc., 8 juill. 1985, n° 84-40.284 ;
Cass.soc. 30 janvier 1991, n°87-42086
21 Cass. Soc., 16 févr. 1999, n°
96-40643
19
II) Loi applicable au contentieux de
télétravail international
En ce qui concerne la loi applicable au contrat de travail
international, trois périodes sont à distinguer. Ces
dernières s'articulent autour de la conclusion de la Convention de Rome
du 19 juin 198022 et du Règlement européen du 17 juin
2008, dit « Règlement Rome I », pour les contrats de travail
conclus après le 17 décembre 2009.
Les règles applicables diffèrent selon la date
de conclusion du contrat de travail.
De plus, des dispositions spécifiques ont
été définies en cas de détachement des travailleurs
dans le cadre de l'exécution d'une prestation de
services23.
Par soucis de clarté, et du fait de la pratique
récente du télétravail international, nous prendrons comme
postulat que le contrat de travail a été conclu après le
17 décembre 2009, et qu'il est donc régit par le Règlement
Rome I.
Le principe est posé par la Convention et le
Règlement Rome I à l'article 3.
« Le contrat est régi par la loi choisie
par les parties. Le choix est exprès ou résulte de
façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la
cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable
à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat.
»
En vertu de cet article, les parties au contrat international
peuvent désigner n'importe quel droit applicable à leur
contrat.
L'article 8 de la même convention évoque le cas
spécifique qui nous intéresse du contrat de travail international
:
« 1. Le contrat individuel de travail est
régi par la loi choisie par les parties conformément
à l'article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de
priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions
auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de
la loi qui, à défaut de choix, aurait été
applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent
article.
2. À défaut de choix exercé par les
parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du
pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le
travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement
son travail. Le pays dans lequel le travail est habituellement
22 Conv. Rome, 19 juin 1980, JOCE 9 oct., no L 66
23 Dir. CE no 96-71, 16 déc. 1996
20
accompli n'est pas réputé changer lorsque le
travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre
pays.
3. Si la loi applicable ne peut être
déterminée sur la base du paragraphe 2, le contrat est
régi par la loi du pays dans lequel est situé
l'établissement qui a embauché le
travailleur.
4. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le
contrat présente des liens plus étroits avec un
autre pays que celui visé au paragraphe 2 ou 3, la loi de cet autre pays
s'applique. » Enfin, l'article 9 de la convention évoque les lois
de police :
« 1. Une loi de police est une disposition
impérative dont le respect est jugé crucial par un pays
pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son
organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger
l'application à toute situation entrant dans son champ d'application,
quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat
d'après le présent règlement.
2. Les dispositions du présent règlement ne
pourront porter atteinte à l'application des lois de police du
juge saisi.
3. Il pourra également être donné
effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant
du contrat doivent être ou ont été
exécutées, dans la mesure où lesdites lois de
police rendent l'exécution du contrat illégale. Pour
décider si effet doit être donné à ces lois de
police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des
conséquences de leur application ou de leur non-application. »
En clair, il ressort de ces dispositions le principe
d'autonomie des parties, c'est-à-dire que les parties peuvent librement
choisir la loi applicable au contrat de travail international.
Toutefois, ce choix ne peut priver le salarié des
dispositions impératives dont il aurait bénéficié
en l'absence de choix. En pratique, c'est d'avantage le choix de l'employeur
que du salarié, du fait du déséquilibre contractuel entre
l'employeur et le salarié.
A défaut de choix des parties, la loi applicable sera
la loi d'exécution habituelle du contrat de travail. Ce critère
est plus objectif que le premier, car il prend en compte les conditions
réelles d'exécution du contrat, sans prendre en compte
l'éventuel désidérata de l'employeur ou du lieu de
d'embauche par exemple.
Si la loi applicable ne peut être
déterminée selon le critère précédent, la
loi applicable sera la loi du pays dans lequel est situé
l'établissement qui a embauché le salarié. Ce
critère ne semble pas très objectif, il peut faire l'objet d'un
montage de la part de l'employeur (par
21
exemple, la société Easyjet fait signer à
tout salarié son contrat de travail à Dublin, afin que le droit
Irlandais soit applicable à la relation contractuelle).
Enfin, tous les critères de détermination vu
précédemment ne sont plus applicables si le contrat de travail
présente des liens plus étroits avec un autre pays que celui qui
a été déterminé par les critères
précédents.
Dans tous les cas, les lois de police du pays d'accueil seront
applicables à la relation contractuelle.
A la vue de ces critères, quand un employeur souhaite
envoyer un salarié télétravailler depuis
l'étranger, le plus « sur » juridiquement semble donc de
désigner dans le contrat de travail la loi applicable comme étant
celle du lieu d'exécution du contrat de travail. Ainsi, le libre choix
des parties de désigner cette loi ne sera pas écartée par
les dispositions de la convention que nous avons vue, car les parties ont bien
désigné une loi applicable, les paragraphes 2 et 3 de l'article 8
ne sont donc pas applicables, et le paragraphe 4 du même article ne
semble pas avoir vocation à s'appliquer non plus car le contrat
présente des liens étroits avec le pays d'exécution du
télétravail, qui est déjà le pays
déterminé par les parties, puisque le salarié y
réside désormais et y exerce son activité professionnelle.
Ce critère devra cependant être évalué au cas par
cas.
En cas de télétravail sauvage, si le contrat de
travail ne prévoit pas de loi applicable, il est probable que la loi
applicable soit celle du lieu depuis lequel le salarié effectue du
télétravail (paragraphe 2), c'est-à-dire du pays
d'accueil, sauf là encore si le contrat présente des liens plus
étroits avec la France (pays d'origine du salarié).
En conclusion de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le
télétravail comporte un réel enjeu de droit du travail,
qui ne peut être ignoré par l'employeur et le salarié, au
risque de sanction et/ou de contentieux. En cas de contentieux, il conviendra
de déterminer la juridiction compétente et la loi applicable pour
régler ce contentieux.
A présent, intéressons-nous à l'enjeu de
la protection sociale du télétravailleur international.
22
Chapitre II : Le télétravail international
et la protection sociale
du salarié
L'autre grand volet du droit social est la protection sociale,
qui est également l'un des enjeux majeurs de la mobilité
internationale et donc de la pratique du télétravail
international.
En effet, lorsqu'un salarié est envoyé dans un
pays étranger, si un incident de santé devait survenir,
lié ou non à son travail, la question de sa prise en charge se
posera nécessairement.
Si la France et son système de sécurité
sociale sont très protecteurs pour le salarié, ce n'est pas
nécessairement le cas de la plupart des autres pays, dans lesquels se
soigner peut coûter cher. La protection sociale du salarié est
donc l'un des principaux éléments d'un « package »
classique d'expatriation, qui la plupart du temps propose au salarié une
adhésion à la CFE et à diverses mutuelles internationales
ainsi qu'à une assurance rapatriement, afin d'assurer un niveau de
protection et de prise en charge au moins équivalent au système
français, pour le salarié et sa famille, faute de quoi il ne
partirait probablement pas.
Dans le cas d'une mobilité « classique », le
volet santé est ainsi la plupart du temps prévu dans le «
package » d'expatriation. En cas de soucis de santé pour le
salarié et sa famille, la question de sa prise en charge ne pose donc
pas problème.
En revanche, dans le cas du télétravail
international, qui résulte souvent d'une situation de fait, dans
laquelle le salarié s'est simplement installé dans un pays
étranger, en prétendant que cela était « transparent
» pour son employeur, qui n'a donc pas forcément prévu de
protection spécifique pour le salarié, des difficultés
peuvent émerger.
La question de la protection sociale se pose également,
dans le cadre de la COVID-19, pour les travailleurs frontaliers, qui sont
bloqués par les mesures de confinement et ne peuvent plus traverser la
frontière pour travailler, et sont donc contraints au
télétravail.
Dans ce chapitre, nous allons donc aborder l'enjeu de la
protection sociale pour le télétravailleur international, qu'il
s'agisse d'un salarié « ordinaire » qui
télétravaille depuis l'étranger ou d'un salarié
contraint au télétravail dans un pays qui n'est pas le pays de
son lieu habituel de travail.
23
Section I : La protection sociale du
télétravailleur international, un enjeu essentiel de
mobilité internationale
Dans cette section, nous nous intéresserons tout
d'abord aux conséquences du télétravail international sur
l'affiliation du salarié à un système de
sécurité sociale, avant de nous pencher plus
précisément sur le cas de l'accident du travail.
I) Le principe de la protection sociale du
télétravailleur international
A) Le cas du télétravailleur international
« ordinaire »
a) Le principe : le rattachement au système de
sécurité sociale du pays d'accueil
En droit, et plus particulièrement en matière
de protection sociale, le principe applicable est celui de la
territorialité : l'assujettissement au régime de
sécurité sociale du lieu d'exercice de l'activité
professionnelle.
Le salarié est donc automatiquement rattaché au
système de santé du pays d'accueil dès lors qu'il y
travaille, même si certains pays prévoient une contribution
différente et souvent moindre pour les expatriés (le Koweït
par exemple prévoit une contribution minime pour les
expatriés).
Le pays d'accueil peut ainsi demander le rattachement du
salarié qui télétravaille depuis son pays et demander le
paiement de cotisations à ce titre, sauf certains pays qui ont des
conditions de durée de séjour avant rattachement.
Un salarié qui s'installe à l'étranger
afin d'y télétravailler doit donc en principe être
rattaché au système de sécurité sociale de ce pays,
car il y exerce son activité professionnelle. Par voie de
conséquence, il ne sera donc plus rattaché au système
français de sécurité sociale.
b) L'exception au principe : le
détachement
Comme tout principe juridique, il existe une exception
à ce principe de territorialité en matière de
sécurité sociale.
24
Il s'agit des éventuels règlements
européens, conventions bilatérales et décrets de
coordination qui permettent à l'employeur de détacher son
salarié dans le pays d'accueil plutôt que de l'expatrier. La
principale différence est que le salarié restera affilié
au système de sécurité sociale de son pays d'origine, et
ne sera donc pas tenu d'être rattaché au système du pays
d'accueil.
En cas de télétravail international
européen, si le séjour dans le pays d'accueil dure moins de 3
mois, une simple déclaration à la CPAM suffit, mais
au-delà il faudra faire demande de détachement avec le certificat
A1.
Toutefois, ce certificat A1 pourrait potentiellement
être refusé car bien souvent, dans le cadre du
télétravail international, c'est d'avantage le salarié qui
demande à être affecté dans un pays que l'employeur qui
décide de l'affecter là-bas.
Le détachement est régi par la Directive (UE)
2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant
la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs
effectué dans le cadre d'une prestation de services. Le salarié
détaché se définit comme celui que l'employeur met
à disposition d'une autre entreprise, sous l'autorité de laquelle
il exécutera des travaux, et sans que son contrat de travail avec son
entreprise d'origine soit rompu. Il y a donc dans la définition du
détachement l'idée d'une « mise à disposition »
ou d'un « envoi » du salarié, de la part de l'employeur. Si
c'est le salarié qui est à l'origine de la demande, il conviendra
donc d'attendre la réponse de la CPAM quant à la demande de
certificat A1.
Le salarié pourrait décider d'effectuer des
allers/retours entre la France et le pays d'accueil depuis lequel il
télétravaille, afin de ne pas dépasser ce seuil des 3
mois.
Cependant, il existe un risque de la reconnaissance d'une
pluriactivité entre deux états membres de l'UE : il faudra alors
cotiser dans l'état où est passé plus de 25% du temps, ce
qui est souvent le pays d'accueil où le salarié exerce son
activité24. Cela comporte donc un risque pour le
salarié, qui serait affilié au régime de
sécurité sociale du pays dans lequel il exerce son
activité de télétravail. Il est donc plus prudent de
passer par le détachement et le certificat A1.
24 Règlement Européen n°883/2004 ; article
14§5 du Règlement d'application n°987/2005
25
Si le pays depuis lequel le salarié souhaite
télétravailler n'est pas un pays membre de l'UE, il faudra qu'une
convention de sécurité sociale entre la France et ce pays
prévoit la possibilité du détachement. S'il n'existe pas
de conventions bilatérales de sécurité sociale,
l'employeur pourra avoir recours au mécanisme de détachement de
droit interne prévu par le code du travail pour maintenir volontairement
le salarié au système de sécurité sociale
français, mais cela reviendra cher pour l'employeur.
Sinon, l'employeur aura la possibilité d'expatrier son
salarié. Comme nous l'avons vu, le principe de territorialité
prévoit que ce salarié sera rattaché au système de
sécurité sociale du pays d'accueil. L'employeur aura donc la
possibilité de faire adhérer son salarié à la
Caisse des Français de l'Étranger (CFE), afin qu'il
bénéficie d'une couverture sécurité sociale
équivalente à la couverture française. Certaines
conventions collectives prévoient d'ailleurs le maintien du niveau de
couverture sociale français pour un salarié en mobilité
internationale.
Dans tous les cas, que le salarié soit
détaché ou expatrié, il faudra, en plus de la
sécurité sociale, prévoir la partie mutuelle
internationale, prévoyance, ATMP, COVID...
En effet, que ce soit dans le cadre d'un détachement ou
d'une expatriation avec une adhésion à la CFE, le salarié
ne sera pris en charge que sur la base du barème français de
sécurité sociale. Or, si en France, une consultation chez le
médecin coûte tout au plus une trentaine d'euro, dans certains
pays cela peut coûter bien d'avantage, pour un remboursement qui restera
le même que celui dont le salarié aurait
bénéficié en France. Une mutuelle internationale est donc
quasiment obligatoire afin que le salarié soit pris en charge
totalement.
Ainsi, qu'il soit détaché ou expatrié, le
télétravailleur international, ainsi que son employeur, devront
être vigilants quant à son affiliation à la
sécurité sociale, ainsi qu'à diverses mutuelles et
assurance privées, afin d'assurer au salarié une couverture
équivalente à celle dont il aurait bénéficié
en France.
De ce fait, si le salarié est en situation de
télétravail « sauvage », il risque de ne pas être
pris en charge. En effet, la sécurité sociale française,
qui apprendra que le salarié
26
n'exerce plus son activité en France, pourrait refuser
la prise en charge, en estimant que le salarié devrait être
affilié dans le pays dans lequel il exerce son activité.
En ce qui concerne le système de sécurité
sociale du pays dans lequel le salarié exerce son activité, ils
ignorent tout simplement que le salarié exerce son activité
depuis leur pays, et il ne paye de plus pas de cotisations. Le salarié,
qui n'aurait de surcroît pas adhéré à une mutuelle
internationale ou à la CFE, risquerait donc ne pas être pris en
charge et devoir supporter des charges importantes.
B) Le cas du télétravailleur
frontalier
D'un point de vue fiscal, la notion de travailleur frontalier
est subordonnée à une activité exercée dans une
zone frontalière (la Belgique par exemple : dans la convention fiscale
liant la France et la Belgique, est stipulée une zone frontalière
de 20km entre nos deux pays ; un salarié qui n'habiterait pas dans cette
zone ne pourrait pas bénéficier du régime fiscal du
travailleur frontalier, sur lequel nous reviendrons plus tard).
En revanche, ce n'est pas le cas d'un point de vue de la
sécurité sociale. En effet, seul un passage fréquent et
régulier de frontière du, et vers, le lieu de résidence
est nécessaire. Par exemple, un salarié qui habite en France,
donc résident français, traverse quotidiennement la
frontière Suisse pour travailler au sein d'une entreprise Suisse, et
retraverse la frontière le soir vers son pays de résidence, la
France.
En principe, le travailleur frontalier est affilié
à la Sécurité sociale du pays dans lequel il exerce son
activité professionnelle.
Ainsi, si un salarié réside par exemple en
Lorraine mais qu'il traverse régulièrement la frontière
pour travailler au Luxembourg, il dépendra de la Caisse Nationale de
Santé (CNS), qui est l'équivalent de la CPAM au Luxembourg.
Cependant, en tant que travailleur frontalier, ce
salarié a la possibilité d'obtenir le remboursement de soins de
santé effectués dans le pays d'emploi ou en France. Pour pouvoir
s'affilier à la Sécurité sociale française, il est
nécessaire de demander un formulaire S1 à l'organisme d'assurance
maladie du pays dans lequel il exerce son activité professionnelle. Les
remboursements s'effectueront alors sur la base des tarifs en vigueur dans le
pays dans lequel les soins ont été dispensés.
27
Cependant, en raison de la crise de la COVID-19, de nombreux
travailleurs frontaliers ne sont plus en mesure de traverser la
frontière pour exercer leur activité professionnelle.
Ainsi, ils télétravaillent depuis leur pays de
résidence pour le compte de leur employeur situé de l'autre
côté de la frontière.
Si cette situation n'est pas de nature à faire perdre
au salarié son statut de travailleur frontalier, au moins sur le plan de
la sécurité sociale (nous reviendrons sur le plan fiscal plus
tard, problématique à cet égard), une problématique
émerge néanmoins : en principe, le salarié est
affilé auprès de la sécurité sociale du pays dans
lequel il exerce son activité professionnelle. Pour notre salarié
qui traverse la frontière quotidiennement pour travailler au Luxembourg,
ce dernier est donc affilié à la sécurité sociale
Luxembourgeoise car il y exerce son activité professionnelle. Or,
pendant le confinement, il ne traverse plus la frontière et effectue son
activité professionnelle en France (télétravail). Il
devrait donc être affilié à la sécurité
sociale française, car il y exerce son activité.
Face à ce risque, le 13 aout 2020, la Direction de la
Sécurité Sociale, en concertation avec les autorités
nationales des États membres frontaliers, a adopté une mesure en
vertu de laquelle le salarié restera affilié au régime de
sécurité sociale du pays où il exerce habituellement son
activité professionnelle.
Ainsi, notre salarié restera affilié à la
sécurité sociale Luxembourgeoise, même s'il
télétravaille depuis la France. Cette mesure a vocation à
s'appliquer jusqu'à la date du 31 décembre 2020. Aucun formalisme
particulier n'est exigé pour régulariser la situation.
Cette mesure s'applique aussi bien au salarié
frontalier qu'au salarié détaché dans un pays État
de l'UE/EEE/Suisse. Concernant ces salariés détachés,
rappelons qu'en application du dispositif de détachement en droit de
l'Union Européenne, ces derniers restent affiliés à la
sécurité sociale française, bien qu'ils soient
détachés dans un pays étranger pour y exercer leur
activité professionnelle. En vertu de cette mesure, ces travailleurs
détachés demeureront affiliés à la
sécurité sociale française.
Notons qu'hors de l'UE, d'autres pays ont adopté des
mesures analogues pour les frontaliers. Ainsi, la Sécurité
sociale suédoise a accepté avec son homologue Danois une mesure
de neutralité en matière de couverture sociale : si un
salarié vit en Suède et travaille habituellement au Danemark, sa
situation de sécurité sociale ne sera pas affectée s'il
doit rester en Suède pour télétravailler et
réciproquement.
28
C) Le cas des expatriés français de retour
en France pour motif impérieux
En raison de la crise sanitaire, des français
résidents à l'étranger (expatriés français)
sont de retour en France temporairement pour motif impérieux (COVID-19).
De retour en France, ceux-ci continuent de travailler pour leurs employeurs
non-résidents en télétravail.
Se pose la question de la protection sociale du salarié
non-résident de retour en France temporairement.
En effet, l'expatrié est en principe affilié au
système de sécurité sociale de son pays de
résidence habituelle dans lequel il travaille. De retour en France, il
exerce son activité professionnelle via du télétravail.
Or, nous savons qu'en vertu du principe de territorialité, une personne
est affiliée au système de sécurité sociale du pays
dans lequel est exercé son activité professionnelle (hors cas de
détachement).
Quel sera l'impact sur l'affiliation du salarié ?
Le CLEISS s'est fendu d'une notice sur son site internet afin
de clarifier cette situation. D'après cet organisme, le français
non-résident de retour en France reste rattaché au système
de sécurité sociale du pays de résidence habituel.
En ce qui concerne la prise en charge de ses prestations
sociales, si le salarié est amené à recevoir des soins en
France, le salarié sera couvert soit par sa caisse d'assurance maladie
étrangère (si un accord de sécurité sociale entre
la France et son État de résidence le permet), soit par la Caisse
des Français de l'Étranger (CFE - s'il y contribue), soit par son
assurance maladie privée ou encore, s'il est retraité du
système français, par le CNAREFE (Centre National des
Retraités de France à l'Étranger) ou la CPAM de Tours.
Ainsi, nous l'avons vu, la question de l'affiliation à
la sécurité sociale du télétravailleur
international est un enjeu majeur à prendre en compte pour l'employeur.
En effet, cette affiliation (ou non affiliation dans le cas du
télétravail sauvage) peut avoir de graves conséquences
pour le salarié.
A l'occasion de l'exécution de son contrat de travail,
le salarié en situation de télétravail international,
comme tout salarié, est sujet à un accident du travail.
Cependant, en raison de sa situation, la question de sa prise en charge au
titre de l'accident du travail se pose.
29
II) Télétravail international et
Accident du travail : un risque de non prise en
charge pour le salarié ?
En droit, en cas d'accident du travail, le principe est
posé par l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale,
qui dispose qu'« est considéré comme accident du
travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à
l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant,
à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs
employeurs ou chefs d'entreprise. »
Pour bénéficier de cette présomption et
donc d'une prise en charge, le salarié, ou ses ayants droit en cas
d'accident mortel, devront démontrer que l'accident a eu lieu sur le
temps et au lieu du travail. Même si le salarié se trouvait chez
lui lors de l'accident, il peut tout de même rapporter cette preuve s'il
démontre qu'il était alors encore soumis à un lien de
subordination vis-à-vis de son employeur.
Comme en matière de temps de travail, la jurisprudence
a une conception extensive de la notion de lieu de travail. Par lieu de
travail, il ne faut donc pas entendre exclusivement le poste de travail
occupé par le salarié. Il s'agit de l'ensemble de l'entreprise et
de ses dépendances et, plus généralement, tous les lieux
où l'employeur exerce son contrôle et sa surveillance.
En réalité, la principale question est celle de
savoir si, dans le lieu où l'accident est réalisé, le
salarié était toujours sous l'autorité et le
contrôle de l'employeur. Dans l'affirmative, l'accident sera un accident
du travail : pour que le caractère professionnel soit
écarté, il faut donc que soient établies les conditions
qui font que le salarié a échappé à cette
autorité25.
Ainsi, deux situations sont à distinguer.
Si le salarié télétravaille depuis
l'étranger, et que le contrat de travail du salarié ne le
précise pas expressément et indique toujours comme lieu de
travail le siège de l'entreprise (télétravail sauvage),
tout accident survenant à son domicile dans le pays d'accueil ne sera
25 Cass. soc., 20 févr. 1980, no 79-10.593
30
donc pas considéré comme ayant eu lieu sur son
lieu de travail tel qu'il est prévu par son contrat de travail.
Cependant, le salarié pourra démontrer qu'il
était sous l'autorité et le contrôle de son employeur
à ce moment-là car il télétravaillait. Il faudra
par exemple rapporter l'existence de directives pendant qu'il
télétravaille chez lui, et prouver qu'il est sous le
contrôle de son employeur (mail, messages, visio-conférence...).
Si le salarié ne rapporte pas cette preuve, il s'expose à ne pas
être pris en charge au titre d'un accident du travail.
Si à l'inverse le télétravail
international est prévu dans le contrat de travail, il faut se
référer à l'article L. 1222-9 du Code du travail qui
confirme que l'accident « survenu sur le lieu où est exercé
le télétravail » est présumé être un
accident du travail, sauf si l'employeur démontre l'absence de lien
entre l'accident et le travail (par exemple un salarié se brûle
pendant le télétravail alors qu'il est censé travailler
sur ordinateur).
Ainsi, le salarié en situation de
télétravail international ne sera pas forcément couvert en
cas d'accident du travail s'il s'agit d'un télétravail «
sauvage », sans modification du contrat du travail du salarié par
un avenant qui préciserait ses nouvelles conditions de travail, et
notamment le fait qu'il télétravaille depuis le pays
d'accueil.
Bien souvent, le salarié n'est pas conscient des
conséquences du télétravail sauvage, notamment en ce qui
concerne l'étendu de sa couverture santé. Pourtant, nous allons
le voir, l'employeur a une obligation d'information à cet égard,
et s'expose à des sanctions en cas de manquement.
Section II : L'obligation d'information de l'employeur
sur l'étendue de la couverture santé du salarié en
situation de télétravail international
En droit, les articles 2 et 4 de la directive 91/533/CEE du
conseil de l'Europe du 14 octobre 1991 qui traitent de l'obligation de tout
employeur d'informer les travailleurs sur les conditions applicables au contrat
ou à la relation de travail, énoncent les informations devant
être données aux travailleurs en général (article 2)
et les informations supplémentaires devant être données aux
expatriés avant leur départ en expatriation (article 4). Ce
deuxième article a été repris tel quel dans le code du
travail à l'article R1221-10.
31
Au vu de ces textes, et du principe d'exécution de
bonne foi du contrat de travail, la jurisprudence a mis à la charge des
entreprises une obligation d'information spécifique sur les employeurs
vis-à-vis des salariés travaillant à l'étranger
quant à leur régime de protection sociale et à leur
régime de retraite26.
Elle a ainsi sanctionné un employeur pour ne pas avoir
informé un expatrié avant son départ des conditions dans
lesquelles il cotiserait pour son compte aux divers organismes sociales au
titre des garanties retraite et chômage.
La Cour a précisé que l'employeur est tenu de
délivrer une information claire et exhaustive permettant à
l'expatrié d'apprécier l'étendu de la couverture sociale
dont il bénéficie. En outre, il doit informer le salarié
sur la nécessité, le cas échéant, de recourir
volontairement, et à ses frais, à des garanties non couvertes
pendant son expatriation (par exemple en adhérant à la CFE ou
à une mutuelle internationale).
Certaines conventions collectives viennent renforcer cette
obligation d'information, par exemple la convention collective nationale des
cadres des travaux publics du 20 novembre 2015 à l'article 6.2.4. Cet
article dispose que pour toute expatriation excédant 3 mois, un avenant
au contrat de travail doit être conclu, qui précise notamment la
couverture retraite (sécurité sociale ou régime
équivalent et régimes complémentaires) et la couverture
prévoyance (invalidité, décès, accidents du
travail, maladie et accidents, perte d'emploi).
Ainsi, l'employeur qui ne satisfait pas à cette
obligation d'information s'expose à une sanction. Imaginons par exemple
que l'employeur accepte qu'un salarié télétravaille de
manière sauvage depuis l'Espagne, sans l'informer qu'il ne sera plus
couvert par la sécurité sociale française, et que ses
frais de santé en Espagne ne seraient donc pas couverts, à moins
d'adhérer à la CFE et éventuellement à une mutuelle
internationale. Cet employeur s'exposera donc à des sanctions.
La Cour de cassation juge de manière constante que le
manquement à l'obligation d'information de l'employeur à son
salarié au regard de sa protection sociale pendant son expatriation
cause un préjudice au salarié consistant en une perte de chance
de s'assurer volontairement contre le risque27.
26 Cass soc. 19 juin 2013, 12-17.980
27 cass. Soc. 25 janvier 2012, n°11-11.374
32
En l'espèce, le salarié reprochait à son
employeur de ne pas l'avoir informé que son activité ne donnait
pas lieu au versement de cotisations au régime général de
retraite et de ne pas l'avoir averti qu'il pouvait y adhérer
volontairement ; la Cour d'appel a alloué au salarié une somme de
100 000 euros de dommages et intérêts au seul titre de la perte de
chance de cotiser lui-même à une assurance volontaire. Le pourvoi
de l'employeur a été rejeté.
L'absence de cotisations au régime
général de retraite, et l'absence d'assurance volontaire comme la
CFE par le salarié, est un contentieux classique en matière de
mobilité internationale. Le salarié de retour en France, au
moment de son départ à la retraite, se rend compte qu'il n'a pas
cotisé au régime général (et éventuellement
de retraite complémentaire et supplémentaire) de retraite pendant
toute la durée de son expatriation, ce que l'employeur ne lui avais pas
indiqué, et il n'avait par conséquent adhérer à
aucune assurance volontaire comme la CFE, qui lui aurait permis de cotiser au
régime général de retraite, sans compter les assurances
pour une éventuelle cotisation à un régime de retraite
complémentaire ou supplémentaire.
Si l'expatriation a durée plusieurs années, le
manque à gagner pour le salarié peut être
conséquent, et par conséquent l'employeur s'expose à
devoir payer une somme importante de dommages et intérêts au
salarié au titre d'une perte de chance.
Ainsi, si l'employeur permet au salarié de
télétravailler depuis un pays étranger sans l'informer de
l'étendu de sa couverture sociale dans le pays d'accueil il peut
être lourdement sanctionné.
Nous l'avons vu, le télétravail international,
comme toute mobilité internationale, est d'ores et déjà
loin d'une pratique caractérisée par une absence de
formalités, notamment en droit social. Comme un départ d'un
salarié en expatriation ou en détachement, le
télétravail international doit être préparé
en amont, par l'employeur comme le salarié.
Toutefois, le droit social n'est qu'une partie des enjeux de
mobilité internationale applicables au télétravail
international. Les enjeux migratoires et surtout fiscaux sont de taille,
à plus forte raison en raison de la crise sanitaire actuelle, qui a fait
émerger de nombreuses problématiques.
: LE TELETRAVAIL
INTERNATIONAL ET LES AUTRES ENJEUX DE MOBILITE
INTERNATIONALE
DEUXIEME PARTIE
Dans cette seconde partie, nous allons aborder les enjeux
fiscaux et migratoires du télétravail international, qui sont, au
même titre que le droit social, des enjeux majeurs de mobilité
international et donc du télétravail international. Enfin, nous
verrons le mécanisme du portage salarial international, qui semble
être une solution aux risques et enjeux du télétravail
international.
Chapitre premier : Les enjeux fiscaux du
télétravail international
Comme nous l'avons vu, le télétravail
international est une pratique de plus en plus développée du fait
d'une demande croissante de la part des salariés, qui souhaitent choisir
leur lieu de travail, souvent à l'étranger.
La pandémie mondiale de la COVID-19 a fait
apparaître de nombreuses interrogations sur les questions de
résidence fiscale des salariés qui sont actuellement
bloqués à l'étranger et qui télétravaillent
pour leur employeur, ce qui constitue une situation de
télétravail international contrainte.
Ainsi, que le télétravail international soit le
résultat d'une volonté du salarié ou imposé par les
mesures de confinement, il convient d'étudier les incidences fiscales du
télétravail international. En effet, cette modification du lieu
de travail a, comme nous allons le voir, des incidences fiscales, que soit sur
le plan de la fiscalité personnelle ou des entreprises. Pour cela, nous
verrons dans un premier temps les incidences sur le plan de la fiscalité
personnelle du salarié, puis dans un second temps sur le plan de la
fiscalité des entreprises.
33
Section I : La fiscalité personnelle du
télétravailleur international
34
Dans une première section, intéressons-nous
à l'enjeu de la fiscalité personnelle du
télétravailleur international, et notamment sur la
détermination de la résidence fiscale et donc du paiement de
l'impôt sur le revenu du télétravailleur.
I) L'impact du télétravail international
sur la résidence fiscale des salariés
A) Le risque de conflit de résidence
En principe, pour déterminer la résidence
fiscale d'un individu, il faut se référer aux critères de
droit interne du pays dans lequel il réside ou exerce son
activité professionnelle.
Pour un salarié qui réside ou travaille en
France, il faut donc se référer aux dispositions fiscales
françaises et au CGI, ce qui ne pose pas problème.
Imaginons maintenant que notre salarié français,
célibataire et sans enfants, en cours d'année, décide de
s'installer en Espagne afin d'y télétravailler pour son employeur
français.
La question de sa résidence fiscale pose question, car
étant donné qu'il travaille en Espagne, il faut se
référer aux règles espagnoles de détermination de
résidence fiscale. Or, ces dernières peuvent considérer
que notre salarié est également résident fiscal
espagnol.
Nous faisons donc face à un conflit de
résidence, car les droits internes des deux pays considèrent le
salarié comme résident fiscal, et donc redevable de
l'impôt. Il conviendra donc, afin d'éviter une double imposition
pour le salarié, de se référer à la convention
fiscale conclue entre l'Espagne et la France.
Cette convention fiscale déterminera la
résidence fiscale du contribuable selon des critères communs.
Pour faire application d'une convention fiscale signée par la France, il
est donc généralement nécessaire, comme nous l'avons vu,
que la personne concernée réponde aux critères
français de domiciliation fiscale (en effet, pour qu'il y ait un conflit
de résidence il faut que le salarié réponde aux
critères français de domiciliation fiscale qui font de lui un
résident fiscal français, en plus d'être résident
fiscal du pays d'accueil). Ce n'est qu'à partir de cet état de
fait qu'un conflit de résidence peut intervenir entre la France et
l'autre État28.
Cette convention ne permettra pas nécessairement de
trancher la résidence fiscale du salarié, mais elle permettra au
moins de déterminer le droit d'imposer de chaque État afin
28 CE 17 mars 1993, n° 85894
35
d'éviter que le salarié soit face à une
situation de double imposition (imposé par les deux pays, ce qui
évidemment représenterait une charge importante pour le
salarié) ou au contraire une absence d'imposition (imposé par
aucun des deux pays).
Afin d'illustrer nos propos, étudions le cas de la
convention fiscale qui lie la France à l'Espagne. Reprenons notre
exemple, un salarié français, célibataire et sans enfants,
qui décide de s'installer en Espagne afin d'y
télétravailler, en septembre 2019. Quelle sera sa
résidence fiscale au titre de l'année 2019 ?
Pour répondre à cette question, comme nous
l'avons vu, il faut tout d'abord étudier les critères de
résidence de droit interne, pour caractériser un éventuel
conflit de résidence fiscale.
En droit fiscal espagnol29, est
considérée comme résidente fiscale au titre de
l'année en cours :
- Toute personne qui y séjourne pendant une période
supérieure à 183 jours au cours de l'année civile ;
- Toute personne qui y a établi le centre principal ou la
base de ses activités ou intérêts économiques
(directement ou indirectement).
En l'espèce, notre salarié qui s'installe en
Espagne y établit la base de ses intérêts
économiques, car c'est depuis l'Espagne qu'il va exercer son
activité professionnelle.
Il peut donc être considéré comme
résident fiscal Espagnol au titre de l'année 2019.
En droit français30 , est
considérée comme ayant son domicile fiscal en France toute
personne remplissant l'une conditions suivantes :
- Avoir en France son foyer ou son lieu de son séjour
principal. Le lieu de séjour principal ne peut être retenu que
dans l'hypothèse où le contribuable ne dispose pas d'un foyer
;
- Exercer en France à titre principal une
activité professionnelle, salariée ou non, sauf si cette
activité n'y est exercée qu'à titre accessoire ;
- Avoir en France le centre de ses intérêts
économiques
29 Article 9.1 de la loi relative à
l'impôt sur le revenu des personnes physiques - IRPF
30 CGI art.4 B, 1; BOFIP-IR-CHAMP-10-28/07/2016
36
Notre salarié étant parti en Espagne septembre
2019, il a passé la plus grande partie de cette année-là
en France, il y a donc son lieu de séjour principal.
Ainsi, pour la période de septembre à
décembre 2019, notre salarié est à la fois
considéré résident fiscal espagnol et français eu
égard aux droits internes des deux pays. Il s'agit donc d'un conflit de
résidence, le salarié fait face à un risque de double
imposition : en application des droits internes français et espagnols,
le salarié étant considéré résident fiscal
des deux pays, il doit en principe payer l'impôt sur le revenu sur ses
revenus de 2019 dans les deux pays.
Il faut donc se référer à la convention
fiscale liant la France à l'Espagne31 pour déterminer
l'état compétent en matière de résidence
fiscale.
La convention liste les critères de résidence en
droit interne de deux pays, et précise qu'il s'agit de critères
alternatifs : si le critère est rempli dans les deux états, il
convient de passer au critère suivant, et ainsi de suite, afin de
trancher sur la résidence, jusqu'à arriver à un
critère qui n'est rempli que par l'un des deux pays signataire à
la convention, qui sera alors l'état compétent pour imposer le
salarié. Les critères de la convention sont les suivants :
« - une personne est considérée comme un
résident de l'État où elle dispose d'un foyer d'habitation
permanent ; si elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans les deux
États, elle est considérée comme un résident de
l'État avec lequel ses liens personnels et économiques sont les
plus étroits (centre des intérêts vitaux) ;
- si l'État où cette personne a le centre de ses
intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou
si elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des
États, elle est considérée comme résidente de
l'État où elle séjourne de façon habituelle ;
- si cette personne séjourne de façon habituelle
dans les deux États ou si elle ne séjourne de façon
habituelle dans aucun d'eux, elle est considérée comme un
résident seulement de l'État dont elle possède la
nationalité ;
31 La France et l'Espagne ont signé le 10
octobre 1995 une convention afin d'éviter les doubles impositions et de
prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur
le revenu et sur la fortune. Cette convention est entrée en vigueur le
11 juillet 1997.
37
- si cette personne possède la nationalité des
deux États ou si elle ne possède la
nationalitéì d'aucun d'eux, les autorités
compétentes des États contractants tranchent la question d'un
commun accord. »
Au regard de ces critères, le salarié,
célibataire et sans enfants, qui travaille en Espagne et y a donc
désormais le centre de ses intérêts vitaux, doit être
considéré comme résident fiscal espagnol. En effet, le
premier critère de la convention n'est pas applicable : le
salarié ne dispose pas d'un foyer d'habitation permanent en France ou en
Espagne car il est célibataire et sans enfants. Le second critère
précise que quand le salarié ne dispose pas de foyer d'habitation
permanent, il est considéré comme résident fiscal de
l'état où il séjourne de façon habituelle. Le
Conseil d'Etat a récemment précisé32 que cette
notion s'apprécie « au regard de la fréquence, de la
durée et de la régularité des séjours qui font
partie du rythme de vie normal d'une personne et qui ont donc un
caractère plus que transitoire, sans qu'il y ait lieu de rechercher si
la durée totale des séjours qu'elle y a effectués
excède la moitié de l'année ». Ainsi, le
salarié, qui habite désormais en Espagne, et y exerce son
activité professionnelle, peut être considéré comme
ayant son lieu de séjour habituel en Espagne, quand bien même il
n'y a pas passé plus de la moitié de l'année.
L'Espagne sera donc l'état compétent pour
imposer le salarié, qui est considéré comme
résident fiscal espagnol, et non pas français.
Ainsi, dans tous les cas, il conviendra d'analyser la
résidence fiscale des salariés en situation de
télétravail international, afin d'éviter les situations de
double imposition ou à l'inverse une absence d'imposition.
Si une double imposition entraine un coût important pour
le salarié qui télétravaillerait depuis l'étranger,
cela entraînerait également un coût pour une petite
entreprise avec le paiement d'une assistance fiscale qui représenterait
une charge importante.
Si l'entreprise refuse de fournir une telle assistance dans le
pays d'accueil, le salarié risque d'être induit en erreur quant
à sa résidence fiscale, et dès lors pourrait ne plus
être en règle dans son pays d'accueil au niveau fiscal.
32 Conseil d'État, 8ème -
3ème chambres réunies, 16/07/2020, 436570
38
En effet, si au regard du droit interne de ce pays le
salarié doit être considéré comme résident
fiscal de ce pays, le salarié qui ne ferait alors pas de
formalités déclaratives de ses revenus pourrait être soumis
à une procédure de l'administration fiscale du pays dont il est
résident fiscal.
De surcroit, le salarié en situation de
télétravail sauvage, sera considéré comme
résident fiscal français car au regard de l'administration
fiscale le salarié exerce toujours son activité professionnelle
en France et est donc résident fiscal français.
Le salarié serait donc redevable de l'impôt
français et de celui du pays d'accueil, dont l'administration fiscale
pourrait en plus le poursuivre en cas de non-respect de la législation
fiscale locale.
Nous l'avons vu, pour déterminer la résidence
fiscale d'un salarié, certains états conditionnent à cela
un nombre de jours minimum (6 mois par exemple) passé dans ce pays. En
raison de la crise de la COVID-19, de nombreux salariés sont contraints
de télétravailler à partir d'un pays qui n'est pas celui
dans lequel il travaille habituellement. Cela est-il de nature à
impacter leur résidence fiscale habituelle, avec les conséquences
que l'on sait ?
B) Les effets du télétravail sur la
résidence fiscale du salarié
En droit interne, et pour la détermination de la
domiciliation fiscale d'un individu, de nombreux pays ont pour condition un
temps minimum passé sur leur sol, au-delà duquel l'individu est
considéré comme étant résident fiscal de ce pays.
Nous l'avons vu, l'Espagne prévoit par exemple cette condition dans son
droit interne.
A cet égard, la crise de la COVID-19 peut faire
émerger des risques. En effet, imaginons qu'un salarié
étranger, résident fiscal de ce pays, soit bloqué en
France en raison du confinement et qu'il y télétravaille. Les
jours qu'il passe sur le territoire français doivent-il être
décomptés dans la détermination de sa résidence
fiscale ? Le salarié ferait potentiellement face à une situation
de double imposition si ce décompte est effectif et qu'il devient
résident fiscal français.
Face à ces risques, l'administration fiscale
française a pour sa part précisé qu'un séjour
temporaire en France en raison du confinement en France, ou de restrictions
de
39
circulation ne devait pas avoir d'impact sur
l'appréciation des critères de résidence fiscale en
France.
En effet, au regard des conventions internationales, la
circonstance, pour une personne, d'être retenue provisoirement en France
en raison d'un cas de force majeure n'est pas de nature à la
considérer, pour ce seul motif, comme y ayant établi son foyer
permanent ou y ayant le centre de ses intérêts
vitaux.33
De même, en plus de la France, d'autres administrations
fiscales ont adopté le même type de mesure de neutralité,
afin d'éviter le risque de double imposition. Par exemple,
l'administration fiscale Suédoise a confirmé que si un
particulier est resté plus de 6 mois en Suède de manière
«involontaire» (en raison de la COVID-19), il ne deviendra pas
résident fiscal suédois comme il serait devenu en temps normal,
à condition que son revenu professionnel soit taxé à
l'étranger (la mesure, si elle doit éviter une double imposition
des revenus professionnels du salarié, ne doit pas avoir pour effet une
absence d'imposition du salarié).
Par ailleurs, des mesures ont été prises pour le
cas particulier des travailleurs frontaliers et transfrontaliers afin de «
neutraliser » ces jours passés d'un côté ou de l'autre
de la frontière jusqu'au 31 décembre 2020, comme nous le verrons
par la suite.
Afin d'illustrer ces difficultés, prenons un exemple
concret.
Imaginons qu'un salarié employé par une
société espagnole, travaillant et vivant à Madrid, est
rentré en France pendant la période du confinement afin de le
passer en famille, et a donc effectué du télétravail
international depuis la France pour son employeur espagnol entre le 12 mars et
le 31 août 2020. Pendant cette période, la société
espagnole a continué de lui verser un salaire, qui a été
soumis au prélèvement à la source espagnole, du fait de
son statut de résident fiscal espagnol.
La problématique qui se pose est de déterminer
s'il sera toujours considéré comme résident fiscal
espagnol en 2020, du fait du nombre de jours importants passés en France
à télétravailler ? La réponse est oui, car comme
nous l'avons vu, les jours passés en France au
33 (
www.impots.gouv.fr > je viens
ou reviens en France > résidence fiscale et confinement crise
covid).
40
titre du confinement n'ont pas vocation à avoir
d'impact sur l'appréciation des critères de résidence
fiscale. Il ne deviendra donc pas résident fiscal français et
restera donc résident fiscal espagnol.
Cependant, tous les pays n'ont pas adopté de telles
mesures de « neutralisation » des jours passés en leur sein en
raison de la COVID-19, il conviendra donc d'étudier
précisément la situation selon le pays à partir duquel
télétravaille le salarié. En effet, si le pays
décompte ces jours, le salarié fera alors face à un
potentiel conflit de résidence, auquel cas il faudra appliquer ce qui a
été vu précédemment.
De même, ces mesures ne sont que temporaires et visent
expressément le confinement dû à la crise sanitaire. Si le
salarié décide de télétravailler dans un pays pour
sa convenance personnelle sans y être contraint par la crise, ou reste
travailler en France après la crise sanitaire, les jours de
présences seront évidemment décomptés, avec le
même risque de conflit de résidence et de double imposition.
A présent, intéressons-nous à l'impact du
télétravail international sur l'imposition des
rémunérations.
II) Quel impact du télétravail
international sur l'imposition des rémunérations
du salarié ?
A) Le principe : l'imposition dans l'État
d'exercice de l'activité de télétravail
En droit, en ce qui concerne l'imposition des revenus
provenant d'activités salariées, l'article 15 du modèle de
convention fiscale OCDE pose la règle générale selon
laquelle ces revenus sont imposables dans l'État où l'emploi est
effectivement exercé, en d'autres termes à l'endroit où le
salarié est physiquement présent lorsqu'il exerce
l'activité pour laquelle il est rémunéré.
Intéressons-nous au cas où l'activité
professionnelle est exercée sous forme de télétravail
international : le salarié télétravaille à partir
d'un pays étranger, pour le compte
d'une entreprise française, ou inversement un
salarié télétravaille depuis la France pour son employeur
étranger.
Dans tous les cas, la rémunération que le
salarié recevra en contrepartie du télétravail
international sera considérée comme ayant pour source
l'État où l'activité professionnelle est physiquement
exercée (y compris sous forme de télétravail).
Les revenus du télétravailleur international
seront donc imposés dans le pays à partir duquel il exerce son
activité de télétravail, et non pas le pays dans lequel se
trouve son employeur pour le compte duquel il exerce son activité de
télétravail.
Cependant, en raison du confinement, de nombreux
salariés en mission à l'étranger ont été
rapatriés dans leur État d'origine, dans lequel ils ont
continué d'exercer leur activité professionnelle pour leur
employeur en télétravail.
En vertu du principe ci-dessus, leurs revenus devraient donc
être imposés dans le pays dans lequel ils ont été
rapatriés car ils télétravaillent depuis cet endroit.
Cette situation est génératrice d'insécurité
juridique car le salarié avait ses revenus habituellement imposés
dans l'état dans lequel il travaillait habituellement.
Pourtant, à ce jour, hormis le mécanisme de
neutralisation des jours passés en France pendant le confinement sur la
résidence fiscale que nous avons vu, aucune communication n'a
été publiée par l'administration fiscale française
s'agissant de l'imposition des rémunérations des salariés
qui télétravaillent dans un autre État pendant la crise.
Il faudra donc être vigilant sur ce point. Il convient donc de se
référer à d'autre dispositions pour l'imposition de ces
revenus.
B) L'exception des missions de courte durée pour
le télétravail temporaire
Par exception à la règle que nous avons vu
ci-avant, la rémunération reste exclusivement imposable dans
l'État de résidence habituelle (dans notre cas l'état dans
lequel se trouve l'employeur pour lequel le salarié
télétravaille actuellement depuis la France) si les 3 conditions
cumulatives suivantes sont réunies34 :
41
34 Modèle de convention OCDE, art. 15, al. 2
42
- le bénéficiaire séjourne dans
l'État d'affectation pendant une période ou des périodes
n'excédant pas au total 183 jours durant toute période de douze
mois commençants ou se terminant durant l'année fiscale
considérée ;
- les rémunérations sont payées par un
employeur, ou pour le compte d'un employeur, qui n'est pas un résident
de l'État d'affectation ;
- la charge des rémunérations n'est pas
supportée par un établissement stable que l'employeur a dans
l'État d'affectation.
Étudions l'exemple suivant afin d'illustrer ce recours
aux missions de courte durée pour le télétravail
temporaire.
Imaginons qu'un salarié français est
détaché de septembre 2019 à décembre 2020 à
Bruxelles pour travailler dans la filiale belge d'une société
française. Ce dernier est célibataire sans enfant à
charge, résident fiscal en Belgique et est rémunéré
par cette filiale belge (il ne bénéficie pas d'un régime
d'imposition des travailleurs frontaliers). Il choisit de rentrer en France le
30 octobre 2020 afin de passer le confinement en famille. Cependant, en raison
du confinement et des mesures de restrictions, il se retrouve bloqué en
France et dans l'obligation de télétravailler jusqu'au 1er
décembre 2020 depuis la France pour le compte de la filiale belge. La
question est donc de déterminer où sont imposables les
rémunérations perçues par ce salarié par la
société belge pendant la période du second confinement
?
Tout d'abord, il convient de rappeler, comme nous l'avons vu
précédemment, qu'eu égard à la décision de
l'administration fiscale française, ses jours de présence en
France au titre du confinement n'ont pas vocation à modifier sa
domiciliation fiscale et donc sa résidence fiscale, qui restera la
Belgique.
Notons cependant que ces mesures prises par l'administration
fiscales françaises n'engagent que la France, il conviendra
d'étudier au cas par cas.
Toutefois, en l'absence d'autres mesures spécifiques,
il conviendra de se référer à l'article des missions
temporaires de la convention fiscale franco-belge pour définir le lieu
d'imposition des rémunérations. Sur la base de ces
critères conventionnels tirés de la convention fiscale
bilatérale liant la France et la Belgique35, l'imposition des
rémunérations
35 Convention fiscale franco/belge du 10 mars 1964 ;
article 11
43
perçues pendant le confinement resterait
attribuée à la Belgique si les conditions suivantes sont
réunies :
- « 1° le bénéficiaire séjourne
temporairement dans l'autre État contractant (la France)
pendant une ou plusieurs périodes n'excédant pas 183 jours au
cours de l'année civile ;
- 2° sa rémunération pour l'activité
exercée pendant ce séjour est supportée par un employeur
établi dans le premier État (Belgique) ;
- 3° il n'exerce pas son activité à la
charge d'un établissement stable ou d'une installation fixe de
l'employeur, situé dans l'autre État (la France)
»
Les deux dernières conditions ne poseront pas
problèmes dans notre cas, car le salarié restera
rémunéré par son employeur belge, qui supportera ainsi la
charge de ses rémunérations.
Toutefois, dans l'hypothèse où le salarié
viendrait à séjourner en France plus de 183 jours sur la
période concernée, le salarié ne remplirait la
première des conditions qui sont cumulatives et pourrait ainsi voir ses
rémunérations imposées en France.
Il faudrait des mesures d'assouplissement de l'administration
fiscale française pour éviter une imposition en France qui
nécessiterait par la suite une régularisation a posteriori,
à plus forte raison en raison du second confinement actuel, qui pourrait
faire passer ce seuil de présence de 183 jours à des nombreux
salariés si ces derniers ne sont pas retournés dans le pays
d'exercice habituel d'emploi à l'issu premier confinement.
Il conviendra donc d'étudier au cas par cas, pays par
pays, la situation fiscale du salarié en situation de
télétravail international, notamment eu égard aux mesures
de tolérance adoptées par certains états, qui ne lient
cependant que ces derniers et qui sont circonscrites à la situation
sanitaire actuelle. Il est probable que ces mesures ne soient plus applicables
à la suite cette dernière.
À ce titre, comme nous allons le voir, l'OCDE a
rappelé que les situations exceptionnelles nécessitent une
coordination exceptionnelle entre les États dans le but
d'atténuer l'impact pour les employeurs et leurs salariés dans le
cas de modifications temporaires du lieu d'exercice de l'activité,
notamment dans des situations contraintes
44
consécutives à des évènements de
« force majeure » qui n'était pas prévisible et qui
échappent donc au pouvoir de décision des employeurs et de leurs
salariés.
A présent, intéressons-nous au cas des
travailleurs frontaliers. En effet, les personnes bénéficiant de
ce régime fiscal particulier sont particulièrement
impactées par les mesures sanitaires de confinement qui restreignent la
liberté de mouvement et qui interdisent à ces derniers de
traverser la frontière pour travailler. Nous allons voir que les
administrations fiscales de certains pays ont adoptés des mesures afin
de clarifier leur situation.
III) Télétravail international et
travailleurs frontaliers à l'heure de la COVID-
19
A) Le principe d'imposition du travailleur
frontalier
Les travailleurs frontaliers, de par leur
spécificité, bénéficient d'un régime
dérogatoire en matière d'imposition de leurs revenus et
également en matière d'affiliation aux régimes de
sécurité sociale, comme nous l'avons vu.
En droit, le travailleur frontalier est défini comme
toute personne résidente d'un État qui exerce une activité
salariée dans un autre État pour le compte d'un employeur
établi dans cet autre État et qui retourne chaque jour dans son
État de résidence.
Lorsqu'un travailleur se déplace dans un autre pays
pour y travailler, les deux États, celui de sa résidence et celui
dans lequel il exerce son activité professionnelle, peuvent
prétendre au droit d'imposer le revenu perçu, conformément
à leur droit fiscal interne.
Il existe donc un risque de double imposition. Il faut donc se
référer à la convention fiscale liant les deux pays, et
notamment au régime prévu pour les frontaliers.
En application de ce régime des travailleurs
frontaliers, les salariés qui peuvent justifier de leur qualité
de travailleur frontalier sont imposés sur leurs revenus provenant de
leur activité professionnelle dans leur État de résidence,
et non pas dans celui où ils exercent physiquement leur activité
professionnelle.
45
Par exemple, un salarié de nationalité
française, habitant à Annemasse, traverse la frontière
Suisse tous les jours et effectue des allers-retours afin de travailler dans
une entreprise située en Suisse. Le salarié a sa résidence
en France, car il y habite, et exerce son activité professionnelle en
Suisse.
Au regard des droits interne en termes de domiciliation
fiscale, les deux pays peuvent considérer le salarié comme
résident fiscal. En effet, la France peut le considérer comme
résident fiscal car il y a son lieu de séjour principal. De
même, la Suisse peut le considérer comme résident fiscal
suisse car il y exerce son activité professionnelle.
Cependant en vertu du régime fiscal des frontaliers
prévu par la convention fiscale conclue entre les deux pays, le
salarié sera considéré comme un résident fiscal
français exclusivement, et sera donc imposable au titre de l'impôt
français sur ses revenus tirés de son activité
professionnelle exercée en Suisse.
La France prévoit ce régime dérogatoire
pour les travailleurs frontaliers avec la plupart de nos voisins : la Suisse,
l'Allemagne la Belgique, l'Espagne et l'Italie. En revanche, il convient de
noter qu'il n'en existe pas avec le Luxembourg, Monaco, Andorre, et le
Royaume-Uni.
Toutefois, en raison de la crise sanitaire, des
problématiques émergent quant à ce régime, puisque
les salariés ne peuvent plus pour certains traverser la
frontière, et sont contraints de télétravailler dans leur
pays de résidence au profit de leur employeur situé de l'autre
côté de la frontière, le bénéfice du
régime spécifique des frontaliers peut ainsi être remis en
question.
B) Les mesures des administrations fiscales face à
la crise sanitaire
a) Pour les travailleurs bénéficiant du
régime spécifique des travailleurs frontaliers
Dès mars 2020 et le début du premier
confinement, des accords amiables ont été conclus avec
l'Allemagne, la Belgique et la suisse.
Ces accords prévoyaient que les personnes
bénéficiant des régimes spécifiques d'imposition,
prévus pour les travailleurs frontaliers, puissent continuer à en
bénéficier
46
même si elles sont contraintes de demeurer et
télétravailler chez elles pendant la crise
sanitaire.36 Ces accords continueront de s'appliquer jusqu'au 31
décembre 2020.37
Le principal risque est que le salarié, qui
désormais travaille et réside en France, ne réponde plus
aux conditions du régime spécifique des travailleurs frontaliers,
qui le plus souvent précise un nombre de jours maximum travaillés
dans le pays de résidence au-delà duquel le salarié ne
pourra plus bénéficier du régime.
En d'autres termes, la convention peut prévoir que si
le salarié, qui en temps normal traverse la frontière et
travaille dans tel pays, travaille plus de X jours par an en France, il ne sera
plus considéré comme un travailleur frontalier au sens du
régime spécifique prévu par la convention.
Rappelons-le, ce régime prévoit que le
salarié est exclusivement imposable dans son pays de résidence,
c'est-à-dire la France.
Ainsi, le risque est que les revenus du salarié,
tirés de son activité initialement en présentiel dans le
pays frontalier, puisse être imposés dans ce pays, puisque le
régime spécifique des frontaliers ne s'applique plus.
En effet, le salarié, depuis le 1er janvier
2020, traversait la frontière et travaillait dans ce pays frontalier, et
bénéficiait du régime fiscal des travailleurs
frontaliers.
Cependant, dès mars, contraint au
télétravail en France, il ne répondait plus aux
critères de ce régime. A la fin de l'année fiscale, se
posera donc la question de l'imposition de ses revenus tirés de son
activité dans ce pays frontalier, puisqu'il il ne
bénéficiait pas du régime spécifique des
travailleurs frontaliers en raison du confinement. Il y a donc un risque de
double imposition.
Le pays frontalier pourrait en effet considérer que les
périodes pendant lesquelles le salarié a exercé son
activité sur son territoire doivent être imposés au regard
de son droit fiscal interne (le pays considérerait le salarié
comme résident fiscal car exerçant son activité sur son
territoire) car le salarié ne bénéficie plus du
régime spécifique des frontaliers, ayant dépassé
par exemple le nombre de jours maximums d'exercice d'une activité hors
de son territoire.
36 Communiqué de presse du 19 mars 2020,
n° 2081 / 993).
37 Communiqué de presse du 31 août 2020 ;
rép. Masson n° 16036, JO 24 septembre 2020, Sén. quest. p.
4351).
47
La France quant à elle, pays de résidence du
salarié, le considère comme résident fiscal car il y a son
lieu de séjour principal et y exerce désormais son
activité professionnelle et pourrait donc l'imposer elle aussi.
En vertu de ces accords, le salarié restera donc
imposé exclusivement dans son pays de résidence, la France.
Étudions l'exemple suivant :
Un salarié est résident fiscal français
et exerce son activité professionnelle en Belgique dans la zone
frontalière. Toutefois, en raison des mesures sanitaires, il a
été contraint de télétravailler depuis son domicile
en France pendant toute la durée du confinement. La question qui se pose
est donc de déterminer si ce salarié est toujours éligible
au régime spécifique d'imposition des travailleurs frontaliers
pour l'année 2020 ?
Tout d'abord, il convient d'apporter quelques
précisions sur la convention fiscale liant la France et la Belgique. En
effet, l'avenant à la convention fiscale entre la France et la Belgique,
signé à Bruxelles le 12 décembre 2008, modifie le
régime d'imposition des traitements et salaires des travailleurs
frontaliers. En effet, depuis le 1er janvier 2012, les nouveaux travailleurs
frontaliers ne bénéficient plus du statut fiscal de frontalier et
paient leurs impôts en Belgique. Ainsi, Seules les personnes
bénéficiant du statut avant le 1er janvier 2012 peuvent conserver
ce statut et continuer à payer leurs impôts en France jusqu'en
2033, à condition :
- de maintenir, de manière ininterrompue jusqu'en 2033,
leur foyer d'habitation permanent dans la zone frontalière
française ;
- d'exercer leur activité dans la zone
frontalière belge ;
- et de ne pas sortir plus de 30 jours par année civile
de la zone frontalière belge pour l'exercice de leur activité.
Les « zone frontalière » dont il est question
correspondent à toutes les communes situées dans la zone
délimitée par la frontière commune à la Belgique et
à la France et à une ligne tracée à une distance de
20 kilomètres de cette frontière.
Supposons que notre salarié, avant la crise sanitaire,
répondait à ces critères. Il est aujourd'hui contraint de
télétravailler à partir de sa résidence
française. Or, la troisième
48
condition précise que le salarié ne peut pas
travailler plus de 30 jours hors de la zone frontalière belge. Ainsi,
notre salarié, s'il a passé tout son confinement en France et y a
exercé son activité via du télétravail,
excède ces 30 jours. Il ne pourrait donc plus bénéficier
du régime des travailleurs frontaliers.
Toutefois, comme nous l'avons vu, des accords ont
été conclus entre la France et la Belgique dans le cadre de la
crise sanitaire. Ces accords prévoient que les jours travaillés
depuis le domicile du salarié en France pendant la période du
confinement jusqu'au 31 décembre 2020 n'ont pas vocation à
remettre en cause son régime d'imposition spécifique existant.
Ainsi, le salarié sera exclusivement imposable en France même si
le nombre de jours travaillés autorisés en dehors de la zone
frontalière en Belgique n'est pas respecté.
b) Les mesures pour les travailleurs ne
bénéficiant pas du régime spécifique des
travailleurs frontaliers
A côté des travailleurs bénéficiant
de ce régime particulier, il a fallu clarifier la situation des
travailleurs frontaliers qui n'en bénéficiaient pas.
Leur situation est la même : notre salarié de
nationalité française et habitant près de la
frontière Luxembourgeoise fait des allers-retours quotidiens au
Luxembourg afin d'y travailler. Notre salarié réside en France,
et exerce son activité professionnelle au Luxembourg.
Au regard des droits internes des deux pays, il peut
être considéré comme résident fiscal des deux pays.
Nous sommes donc face à un conflit de résidence.
Or, nous l'avons vu, il n'existe pas, dans la convention
fiscale liant la France au Luxembourg du 20 mars 2018, de régime
spécifique de travailleur frontalier.
Cette convention fiscale liant ces deux pays, prévoit,
pour un travailleur résident en France qui travaille au Luxembourg
(allers-retours quotidien), l'imposition au Luxembourg pour le revenu
tiré d'une activité effectuée dans ce pays.
Du fait de la crise sanitaire, le salarié est
bloqué en France et doit télétravailler pour le compte de
son employeur Luxembourgeois.
La convention fiscale prévoit une période
maximale de 29 jours pendant laquelle le salarié peut travailler en
France sans remettre en cause sa résidence fiscale Luxembourgeoise.
Au-delà, le salarié redeviendrait résident fiscal
français, car il serait alors
49
résident et exercerait son activité
professionnelle en France, il n'y aurait donc plus de conflit de
résidence, il serait résident fiscal français
exclusivement.
Ainsi, des accords ont été passés entre ces
pays.
En substance, ces derniers prévoient que les jours
(télé)travaillés à domicile dans le pays de
résidence en raison des mesures de confinement, pourront, sur option,
être considères comme des jours travaillés dans
l'État où les personnes concernées exercent habituellement
leur activité et donc y demeurer imposables.
Concernant le Luxembourg, pour reprendre notre exemple, un
accord a été conclu le 16 juillet 2020 entre les deux pays afin
que la période comprise entre le 14 mars 2020 et le 31 août 2020
inclus, pendant laquelle le salarié télétravaille depuis
la France, ne soit pas considérée comme des jours
travaillés en France pour le décompte des 29 jours pendant
lesquels le salarié peut travailler en France sans remettre en cause sa
résidence fiscale Luxembourgeoise. L'accord est prolongé le 27
août 2020, étendant cette période de neutralisation
jusqu'au 31 décembre 2020 inclus. Le salarié demeure ainsi
résident fiscal français.
Ainsi, en conclusion de cette section, nous avons vu que la
pandémie de la COVID-19 a contraint de nombreux gouvernements à
adopter des mesures strictes de confinement, restreignant ainsi la
liberté d'aller et venir de ses ressortissants.
Ce type de mesure a donc impacté de nombreux
salariés, parmi lesquels se trouvaient des salariés en situation
de télétravail international ou contraint de le devenir.
En effet, les travailleurs frontaliers par exemple, qui
traversaient la frontière pour aller travailler, se retrouvent dans
l'incapacité physique d'exercer leurs fonctions dans le pays d'emploi,
et sont donc contraint de télétravailler à partir du pays
dans lequel ils sont confinés, au profit d'une société
étrangère. Ils sont donc en situation de
télétravail international.
De même, certains salariés qui travaillaient
habituellement dans un pays étranger au profit d'une
société étrangère se retrouvent bloqués dans
un pays qui n'est pas leur pays de résidence, contraint de
télétravailler pour leur société d'emploi.
Ces éléments de dimension internationale
soulèvent de nombreuses problématiques fiscales, auxquelles les
États concernés ont répondu, pour le moment, en adoptant
des
50
mesures temporaires visant à neutraliser les effets de
la pandémie sur la résidence fiscale et l'imposition des
salariés en situation de télétravail international du fait
de la pandémie.
Toutefois, les salariés ne sont pas les seuls
concernés par cet enjeu fiscal. En effet, nous allons le voir, les
entreprises font également face à des risques en la
matière, du fait du télétravail international, choisi ou
contraint, de certains de leurs salariés.
Le secrétariat de l'OCDE, dont les modèles sont
adoptés dans la plupart des conventions fiscales internationales, est
donc intervenue38 pour formuler des instructions sur cette
problématique fiscale, afin que la situation exceptionnelle n'entraine
pas de conséquences fiscales néfastes pour les employeurs.
Ces instructions visent donc la question du lieu de
résidence fiscale des entreprises dont la gestion est assurée
dans un autre pays en raison des restrictions de déplacement et des
mesures de confinement et qui pourrait donc constituer un établissement
stable, ce qui emporte des conséquences fiscales.
Section II : Les enjeux fiscaux pour l'entreprise ayant
un salarié en télétravail international
Les entreprises craignent que le fait que certains de leurs
employés soient, en raison des mesures sanitaires, confinés et
bloqués dans un autre pays que celui dans lequel ils travaillent
régulièrement et télétravaillent actuellement dans
cet autre pays, n'ait pour conséquence la création d'un
établissement stable dans ce pays, ce qui imposerait à
l'entreprise des obligations déclaratives et fiscales dans ce pays,
notamment en termes d'impôt sur les sociétés.
En droit, la notion d'« établissement stable
» désigne généralement soit une installation
d'affaires présentant un caractère fixe et ayant une
activité propre en France, soit un agent indépendant en France
qui accomplit des actes au nom pour le compte de la société,
l'engageant par la même.
38 « Conventions fiscales et impact de la crise du COVID-19
: Analyse du secrétariat de l'OCDE », version du 3 avril 2020
51
En droit interne français, c'est le critère
« d'entreprise exploitée en France » qui est retenu en ce qui
concerne l'impôt sur les sociétés, et qui reprend les
critères de l'établissement stable.
Ainsi, l'exercice habituel d'une activité est ainsi
caractérisé par trois critères, qui ne sont pas cumulatifs
:
- L'exploitation d'un établissement en France ;
- La réalisation en France d'opérations par
l'intermédiaire d'un représentant dépendant ;
- La réalisation d'opérations formant un cycle
commercial complet.39
Ainsi, l'établissement stable est une notion
développée en premier lieu par chaque État souverain puis,
dans le cadre des conventions internationales pour déterminer le lieu
d'imposition d'une activité opérationnelle exercée par une
entreprise dans un État autre que celui du lieu de son siège.
Par exemple, lorsqu'une entreprise établie en France,
exerce une activité en Italie par l'intermédiaire d'un
établissement stable, qui sera caractérisé par les
critères que nous allons détailler (un agent indépendant
par exemple), l'Italie sera en droit d'imposer les bénéfices
réalisés par cet établissement stable.
Selon le modèle OCDE pour les conventions fiscales, qui
est repris par une grande majorité de conventions fiscales, la
définition de l'établissement stable est établie sur deux
critères : l'installation fixe d'affaires et l'agent
dépendant.
La notion d'agent dépendant est définie comme suit
: «en l'absence d'une installation fixe d'affaires, un
établissement stable peut être caractérisé par la
présence d'un agent représentant l'entreprise dans un autre
État. Cet agent, personne physique ou morale, traite les contrats au nom
de l'entreprise et exerce son activité dans les domaines
caractéristiques de l'existence d'un établissement stable
»40
39 BOFIP, IS - Champ d'application et
territorialité - Détermination du lieu d'imposition des
entreprises dont le siège est situé hors de France
40 BOFIP, NT - Dispositions communes - Droit conventionnel -
Modalités d'imposition au regard du droit conventionnel -
Bénéfices des entreprises
52
Étudions donc les différentes situations qui
pourraient potentiellement conduire à la reconnaissance d'un
établissement stable, et aux solutions qui ont été
retenues par l'OCDE afin de limiter au maximum cette reconnaissance, due
à une situation de force majeur caractérisée par la crise
sanitaire, qui peut avoir des conséquences importantes pour les
entreprises sur le plan fiscal.
I) Le risque de la reconnaissance d'un
établissement stable
A) Le salarié en situation de
télétravail international : un bureau situé au
domicile ?
Tout d'abord, imaginons un cas classique causé par la
crise sanitaire : un salarié français expatrié aux
États-Unis, a décidé ou a été contraint de
rentrer en France en raison des mesures sanitaires. Il décide donc de
travailler en télétravail depuis son domicile français. Le
fait que le salarié exerce, en raison de la crise sanitaire, son
activité professionnelle à domicile, dans un pays qui n'est pas
celui de son lieu d'activité professionnelle habituelle, peut-il
conduire à la reconnaissance d'un bureau situé à ce
domicile, et donc à la reconnaissance d'un établissement stable
pour son employeur ?
En droit, un établissement stable doit présenter
un certain degré de permanence et être à la disposition
d'une entreprise pour être considéré comme une installation
fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce
tout ou partie de son activité.
Le paragraphe 18 des Commentaires sur l'article 5 (qui aborde
la notion d'établissement stable) du Modèle de Convention fiscale
de l'OCDE précise que, « même si l'activité d'une
entreprise peut être exercée pour partie dans des locaux tels
qu'un bureau situé au domicile d'une personne, ceci ne devrait pas
conduire à la conclusion que ces locaux sont mis à la disposition
de l'entreprise simplement parce qu'ils sont utilisés par une personne
(notamment un salarié) qui travaille pour cette entreprise. »
L'exercice discontinu d'une activité au domicile d'un
employé ne fait pas de ce domicile un endroit mis à la
disposition de l'entreprise.
De plus, pour qu'un bureau situé au domicile soit
considéré comme un établissement stable mis à la
disposition d'une entreprise, il doit être utilisé de
manière continue pour
l'exercice d'une activité d'entreprise et l'entreprise
doit obliger la personne à utiliser les locaux concernés pour
l'exercice d'une activité de l'entreprise.
Ainsi, pour reprendre notre cas d'espèce, pendant la
crise de la COVID-19, notre salarié qui reste à son domicile pour
travailler à distance le fait pour se conformer à des directives
gouvernementales ; il s'agit donc d'un cas de force majeure, et non d'une
obligation imposée par l'entreprise ou l'employeur.
C'est pourquoi, eu égard au caractère
exceptionnel de la crise du COVID-19, et sous réserve que le
télétravail ne devienne pas la norme dans la durée pour
notre salarié, l'OCDE estime que le télétravail depuis son
domicile français (autrement dit le bureau situé au domicile)
« ne constitue pas un établissement pour l'entreprise/l'employeur,
parce que cette activité ne présente pas un degré
suffisant de permanence ou de continuité. »
Ainsi, le télétravail de ce salarié
à son domicile ne saurait constituer un bureau situé à son
domicile susceptible d'entrainer la reconnaissance d'un établissement
stable pour l'entreprise.
Cependant, cette recommandation de l'OCDE, comme toutes celles
qui suivront, sont la conséquence du premier confinement.
Or, nous vivons actuellement un second confinement. Le
salarié qui, entre ces deux confinements, aurait décidé de
continuer à télétravailler, et serait désormais
bloqué dans ce domicile, pourrait potentiellement présenter un
certain degré de permanence.
Il en irait de même si l'employeur, du fait de la
situation incertaine, avait décidé de demander au salarié
de demeurer à son domicile afin d'y télétravailler, en
attendant que la situation devienne plus lisible.
Le télétravail serait alors la
conséquence d'une directive de l'employeur. Ces éléments
seraient de nature à reconnaître un bureau situé au
domicile du salarié.
Il conviendra donc d'étudier la situation au cas par
cas.
53
B) Le salarié en télétravail
international : un agent indépendant ?
Penchons-nous à présent sur la
problématique d'une personne travaillant temporairement à
domicile pour un employeur non-résident : pourrait-elle être
qualifiée d'agent indépendant dont les activités
donneraient lieu à la création d'un établissement stable
?
En droit, l'article 5(5) du Modèle de Convention
fiscale de l'OCDE dispose que « les activités d'un agent
dépendant tel qu'un employé conduisent, pour une entreprise,
à la création d'un établissement stable si
l'employé conclut habituellement des contrats pour le compte de
l'entreprise ». Ainsi, pour appliquer l'article 5(5), il conviendra
d'évaluer si l'employé exerce ces activités de
manière « habituelle ».
Dans le cadre de la crise de la COVID-19, d'après
l'OCDE, il semble « peu probable qu'une activité exercée par
un employé ou un agent dans un État soit considérée
comme exercée de manière habituelle si la personne
concernée ne travaille à domicile dans cet État que
pendant une courte période dans un cas de force majeure et/ou à
cause de directives gouvernementales ayant des répercussions
exceptionnelles sur le cours normal de ses activités. »
De même, le paragraphe 33.1 des Commentaires sur
l'article 5 de la version de 2014 du Modèle de Convention fiscale de
l'OCDE prévoit que le critère selon lequel l'agent doit «
habituellement » exercer des pouvoirs lui permettant de conclure des
contrats signifie que la présence d'une entreprise dans un État
contractant ne doit pas être simplement transitoire pour que l'on puisse
considérer que l'entreprise possède dans cet État un
établissement stable, et qu'elle y soit donc redevable de
l'impôt.
Ainsi, dans le cadre de la crise de la COVID-19, l'OCDE estime
que les personnes travaillant temporairement à domicile pour un
employeur non-résident ne devraient pas être qualifiées
d'agents indépendants dont les activités donneraient lieu
à la création d'un établissement stable, du fait du
caractère temporaire de leur activités.
Cette recommandation présente les mêmes limites
que la précédente. En raison du second confinement, il conviendra
d'étudier la situation au cas par cas et pour chaque salarié.
54
C) Les chantiers de constructions retardés : des
établissements stables ?
55
Du fait de la crise de la COVID-19, un grand nombre
d'activités exercées sur des chantiers de construction sont
temporairement interrompue. En effet, le premier confinement avait mis un coup
d'arrêt à l'ensemble des chantiers BTP en France.
En droit, un chantier de construction constitue un
établissement stable si sa durée dépasse douze mois
conformément au Modèle de Convention fiscale de l'OCDE, ou six
mois conformément au Modèle de convention fiscale des Nations
Unies.
Le risque est donc que ces chantiers, interrompus du fait de
la crise de la COVID-19, ne dépasse ces durées et
caractérisent des établissements stables, avec les
conséquences fiscales que l'on sait.
D'après l'OCDE, la durée de cette interruption
ne devrait toutefois « pas entrer dans le calcul de la durée
d'existence d'un chantier et ne devrait donc pas entrer en ligne de compte pour
déterminer si un chantier de construction constitue un
établissement stable ».
Cependant, il ne s'agit là encore que d'un avis non
contraignant de l'OCDE. En effet, Il est précisé au paragraphe 55
des Commentaires sur l'article 5(3) du Modèle de Convention fiscale de
l'OCDE « qu'un chantier ne doit pas être considéré
comme ayant cessé d'exister si les travaux ont été
momentanément interrompus (les interruptions temporaires devant entrer
dans le calcul de la durée d'existence d'un chantier) ».
A titre d'exemple d'interruptions, les commentaires
évoquent notamment un manque de matériaux ou des
difficultés de main-d'oeuvre.
Évidemment, l'OCDE ne s'est jamais penchée sur
le cas de la COVID-19 comme motif d'interruption, puisque ces commentaires sont
antérieurs à la crise sanitaire. Il conviendra donc de
déterminer si les interruptions temporaires de chantier due à la
COVID seront prises en compte dans la durée d'existence du chantier, et
donc pour caractériser un établissement stable si la durée
dépasse celle prévue par les textes.
Si l'avis de l'OCDE n'est pas contraignant, il convient
cependant de rappeler que la plupart des conventions fiscales utilisent le
modèle OCDE, qui a donc un avis légitime et qui devrait
être suivi.
56
Toutefois, si la crise venait à perdurer, ce qui semble
être le cas, il faudra être vigilant sur le comportement des
États quant à ces préconisations, qui sont temporaires par
essence et conjecturelles.
Contrairement aux deux premiers risques que nous avons-vu, ce
dernier ne devrait pas être impacté par le second confinement. En
effet, à l'occasion du second confinement, les chantiers BTP ont
été autorisés à poursuivre leurs activités,
rendant improbable un arrêt des chantiers et un dépassement
important de sa durée prévue.
Jusqu'à présent, nous nous sommes
essentiellement intéressés à des salariés «
lambdas », contraints au télétravail dans un pays autre que
celui de leur employeur. Cependant, les mesures sanitaires ont également
touché de nombreux directeurs généraux et autres
dirigeants d'entreprise. Du fait de leur grande mobilité, et en raison
de leur emploi, il est même possible que cette catégorie ait
été particulièrement impactée par la crise
sanitaire et ses mesures restrictives en termes de mobilité.
II) L'impact du télétravail
international sur la résidence fiscale de l'entreprise
La crise de la COVID-19 suscite des inquiétudes
concernant la possibilité que le « siège de direction
effective » d'une entreprise soit modifié.
En effet, certains dirigeants ont pu être dans
l'incapacité de quitter un pays qui n'est pas le pays de
résidence de l'entreprise. Ils continueraient cependant de
télétravailler pour le compte et au nom de l'entreprise. Plus
précisément, l'inquiétude porte sur le fait qu'un tel
changement puisse avoir pour conséquence un changement de
résidence de l'entreprise en application de la législation
nationale applicable.
D'après l'OCDE, il semble peu probable que la situation
créée par la pandémie de la COVID-19 entraîne un
changement de résidence d'une entité en vertu d'une convention
fiscale.
En effet, un changement temporaire de localisation des
directeurs et dirigeants, lié à une situation exceptionnelle et
temporaire provoquée par la COVID-19 « ne doit pas avoir pour effet
d'entraîner de changement de résidence pour l'entité.
»
57
A titre d'illustration, l'administration fiscale irlandaise a
publié des instructions invitant à ne pas tenir compte de la
présence d'une personne physique en Irlande - et, le cas
échéant, dans une autre juridiction - dans le cas d'une
entreprise par laquelle cette personne est employée en tant que
directeur, dès lors qu'il est démontré que cette
présence résulte de l'application des restrictions aux
déplacements liées à la COVID-19.
Le principal risque est un problème de double
résidence. En effet, le changement de localisation de certains
dirigeants pourrait conduire les deux pays à considérer
l'entité comme résidente fiscale en application de leur droit
interne respectifs.
Par exemple, un dirigeant d'une entreprise américaine,
bloqué en France en raison des mesures sanitaires, et qui exerce ses
fonctions de dirigeant depuis la France, au nom et pour le compte de
l'entreprise située aux États-Unis. L'entreprise pourrait
être la fois considérée comme résidente fiscale
française et américaine.
Toutefois, comme le précise les Commentaires sur les
articles du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE, les situations de
double résidence sont relativement rares.
En effet, même dans les situations de double
résidence d'une entité, comme pour les cas de conflit de
résidence au niveau personnel, les conventions fiscales prévoient
des règles de départage destinées à
déterminer la résidence de l'entreprise, afin d'éviter les
cas de double résidence.
Si la convention contient une disposition similaire à
la règle de départage du Modèle de Convention fiscale de
l'OCDE de 2017, les autorités compétentes résolvent le
problème de double résidence au cas par cas d'un commun
accord.
En particulier, le paragraphe 24.1 des Commentaires sur
l'article 4 décrit les divers facteurs que les autorités
compétentes sont censées prendre en considération pour
déterminer la résidence, « tels que le lieu où les
réunions du conseil d'administration ou de tout autre organe
équivalent se tiennent généralement, le lieu où le
directeur général et les autres dirigeants exercent
généralement leur activité, le lieu où s'exerce la
gestion supérieure des affaires courantes de la personne, le lieu
où se situe le siège de la personne morale, etc ».
Ainsi, il semble peu probable que la résidence des
entreprises soit modifiée en raison de leur dirigeants ou directeurs qui
seraient contraints au télétravail dans un autre pays. Il est
58
donc conseillé que ces derniers conservent les
pièces qui pourront attester que leur présence en dehors de
l'état de résidence de l'entreprise est liée à la
COVID-19.
III) La procédure de rescrit, une solution
à l'incertitude ?
Face à cette incertitude, l'article L. 80B 6° du
LPF permet à tout contribuable de bonne foi de demander à
l'administration fiscale, à partir d'une présentation
écrite, précise, complète et sincère de la
situation de fait, afin que celle-ci apporte l'assurance qu'il ne dispose pas
en France d'un établissement stable ou d'une base fixe au sens de la
convention fiscale liant la France à l'État dans lequel ce
contribuable est résident.
L'administration doit répondre dans un délai de
3 mois à la demande faite de bonne foi à l'appui d'un dossier
très précis.
Cette possibilité est réservée au
contribuable résident d'un état lié à la France par
une convention fiscale internationale.
Ainsi, dans cette période d'incertitude juridique quant
à l'établissement stable du fait de la COVID-19, cette
procédure de rescrit apparaît comme une solution permettant
d'avoir une réponse claire sur leur situation.
Nous l'avons vu, la crise la covid-19 a fait émerger de
nombreuses problématiques quant au télétravail
international imposé en raison des mesures sanitaires. Ces
problématiques fiscales étaient aussi bien « personnelles
», c'est-à-dire relative à la résidence fiscale du
salarié, qu'au niveau de la résidence fiscale de l'entreprise.
Le principal risque est évidemment une procédure
de redressement fiscal, de la part de l'état duquel le salarié ou
l'entreprise serait devenu résident fiscal en raison de la crise, sans
toujours en avoir conscience.
En France, la procédure de rescrit semble être un
moyen sur pour une entreprise de s'assurer qu'elle ne possède pas
d'établissement stable en France, avec les conséquences que cela
emporte en termes d'obligations déclaratives et fiscales.
La fiscalité est donc l'un des enjeux majeurs du
télétravail international, et plus largement de la
mobilité internationale, dont elle constitue l'un des piliers.
Toutefois, il demeure un dernier enjeu : l'enjeu migratoire.
En effet, avant même de se poser la question de la fiscalité
applicable au salarié en situation de télétravail
international,
ou de sa protection sociale, il convient de se demander si le
salarié pourra « migrer » vers le pays désiré, y
demeurer, et y travailler. En effet, nous allons le voir, tous les pays ne le
permettent pas, et un salarié qui ne serait pas en règle serait
susceptible d'être reconduit à la frontière.
Chapitre II : Les enjeux migratoires du
télétravail international et la tentation du portage salarial
international
Dans ce chapitre, nous allons aborder les enjeux migratoires
de cette pratique qu'est le télétravail international. En effet,
les grands enjeux de la mobilité internationale, à savoir la
protection sociale et la fiscalité du salarié peuvent faire
oublier cet enjeu migratoire, pourtant essentiel.
Plusieurs questions se posent en effet : faut-il un visa pour
s'installer dans le pays souhaité, à partir duquel le
salarié souhaite télétravailler ? faut-il un permis de
travail pour exercer son activité de télétravail ?
Dans un second temps, nous nous intéresserons au
mécanisme du portage salarial international, qui semble être une
solution aux enjeux soulevés par le télétravail
international.
Section I : Le télétravail international
et l'enjeu migratoire
Quand un salarié évoque la possibilité de
télétravailler à partir d'un pays étranger, la
première question à se poser est de déterminer si le
salarié peut s'installer dans ce pays dont il n'est pas
ressortissant.
Pour répondre à cette question, il convient
d'opérer une distinction entre le court séjour et long
séjour.
59
a) Court séjour et télétravail
international
60
En règle générale, la plupart des
législations nationales en termes d'immigration retiennent
qu'au-delà de 3 mois, le séjour est considéré comme
étant long.
Par exemple, un citoyen ressortissant d'un état membre
de l'Union Européenne, a le droit de séjourner dans un autre pays
de l'UE jusqu'à trois mois sans devoir s'enregistrer (il faudra tout au
plus signaler sa présence). Il faut uniquement être en possession
d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité.
Pour un ressortissant d'un état non-membre de l'UE, qui
souhaite séjourner dans un état de cette zone, ce dernier doit
normalement posséder un visa dit de court séjour (type C) qui
permet de séjourner dans ce pays jusqu'à 3 mois. Ce visa uniforme
est commun au États Schengen. Il permet de séjourner en France et
dans les autres pays Schengen, sauf exception. Il faut aussi détenir
d'autres documents qui varient selon l'objet du séjour.
Le salarié français, qui souhaite
télétravailler à partir d'un autre pays membre de l'UE
peut ainsi être tenté de multiplier ces courts séjours (de
moins de 3 mois) afin de ne pas tomber sous le régime du long
séjour.
Cependant, les courts séjours ne permettent pas de
télétravailler : il ne s'agira que d'activités
touristiques ou d'affaires (business trip) mais en aucun cas pour une
activité productive.
De plus, même pour des cours séjours, se pose la
question des droits d'entrée, le pays d'accueil pourra se montrer
suspicieux en cas d'allers retours répétés sur son sol. Il
faudra donc se méfier du statut migratoire du salarié en cas de
contrôle.
b) Long séjour et télétravail
international
En ce qui concerne le long séjour, le principe est que
si une personne réside dans un pays dont elle n'est pas ressortissante,
elle doit détenir un permis de résidence délivré
par le pays d'accueil (il existe des exceptions, notamment au sein de l'UE).
Si cette personne souhaite y exercer une activité
professionnelle, notamment sous forme de télétravail, elle devra
également détenir un permis de travail.
Ces permis de travail et de résidence sont
délivrés sur « une base d'éligibilité »,
et pour un motif précis : travail, études, famille accompagnante,
etc.
61
Le salarié pourrait donc télétravailler,
mais ce n'est pas acquis de droit même s'il peut s'installer dans le
pays. Certains longs séjours visiteur ne permettent pas l'exercice d'une
activité professionnelle dans le pays d'accueil.
En France, il n'y a pas besoin de permis spécifique de
travail pour télétravailler à l'heure actuelle.
Il faudra étudier dans l'avenir la potentielle
réaction de l'état français face à cette nouvelle
pratique.
Ainsi, le régime migratoire dépendra
exclusivement du pays d'accueil et au cas par cas. Il conviendra donc, au cas
par cas, de vérifier si l'installation est libre dans le pays d'accueil,
et étudier les règles d'immigration.
Si l'installation n'est pas libre, il faut également au
cas d'espèce apprécier les bases d'installation du salarié
afin d'obtenir un permis de résidence, autre que l'emploi (la famille
installée dans le pays d'accueil par exemple).
Si le salarié peut prétendre à
s'installer librement ou, dans le cas contraire (l'installation n'est pas
libre), s'il répond aux critères pour obtenir un permis de
résidence, il faudra déterminer s'il peut exercer une
activité professionnelle, et notamment de télétravail
international. Si le télétravail est libre en France sans permis,
certains pays exigent un permis spécial, même avec un permis de
résidence, comme les USA, le Brésil, ou le Japon.
Le principal risque, en plus du danger de l'obligation de
quitter le territoire délivré par un pays qui n'autoriserait pas
cette pratique, est d'être poursuivi pour travail illégal. En
effet, le pays d'accueil, s'il ne permet pas par exemple le
télétravail à l'occasion d'un court séjour, qui
découvre que le salarié est pourtant présent sur son
territoire, en court séjour, et télétravaille pour une
entreprise étrangère, pourra considérer que le
salarié travaille sans titre de séjour et/ou sans permis de
travail et qu'il s'agit d'un travail illégal.
Face à cette nouvelle pratique du
télétravail international, certains pays, pour attirer les
salariés souhaitant y recourir, ont créé des visas
spécifiques au télétravail international depuis la crise
de la COVID-19. Ces pays sont la Barbade, les Bermudes, l'Estonie, la
Géorgie et la Croatie.
62
Certains de ces pays soumettent cependant ce visa à des
conditions. Ainsi, la Géorgie propose un visa d'un an de
résidence pour un Remote Worker
(télétravailleur), à condition que le salarié
justifie de ressources minimums et d'une assurance santé
internationale.
A Barbade, le Barbados Welcome Stamp, est un
mécanisme qui offre un visa d'un an aux étrangers pour venir
s'installer et télétravailler sur l'île, et assurer la
reprise de l'économie locale. Le visa « Welcome Stamp »
délivré par la Barbade permet à un étranger ainsi
qu'à sa famille de s'installer dans le pays et d'y
télétravailler pendant une durée pouvant aller
jusqu'à12 mois. Le salarié qui souhaite bénéficier
de ce visa doit toutefois justifier d'une assurance maladie et déclarer
prévoir gagner un revenu d'au moins 50 000 $ US pendant l'année
d'exercice de son activité professionnelle dans le pays ou avoir les
moyens de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille pendant
cette durée. Le visa prévoit même que les enfants puissent
fréquenter l'école publique locale.
Nous l'avons vu, le télétravail à
l'international comporte de nombreux risques pour l'employeur et le
salarié, tant sur le plan fiscal que social et migratoire. Face à
ces risques, et aux coûts qu'ils peuvent provoquer pour l'employeur et le
salarié, une pratique semble répondre à ces risques : le
portage salarial à l'international.
Section II : Le portage salarial à
l'international, une solution aux risques du télétravail
international ?
I) Le régime du portage salarial
Le portage salarial est défini par l'article L1254-1 et
2 du code du travail. Il est caractérisé par une relation
tripartite : l'entrepreneur porté, la société de portage
et les clients.
Selon l'ordonnance n° 2015-380 du 2 avril 2015 relative
au portage salarial, « Le portage salarial désigne l'ensemble
organisé constitué par : « 1° D'une part, la relation
entre une entreprise dénommée « entreprise de portage
salarial » effectuant une prestation au profit d'une entreprise cliente,
qui donne lieu à la conclusion d'un contrat commercial de prestation de
portage salarial ; « 2° D'autre part, le contrat de travail conclu
entre l'entreprise de portage salarial et un salarié
désigné comme étant le « salarié porté
», lequel est rémunéré par cette entreprise.
»
63
3 acteurs constituent donc cette relation tripartie :
- Le client, qui peut être une entreprise, une
administration, une collectivité locale ou une association.
- L'entrepreneur « porté »
- La société de portage salarial qui joue le
rôle d'intermédiaire entre ces deux acteurs, et qui est la seule
contractuellement lié avec le client.
L'entrepreneur porté est lié à la
société de portage par un contrat de travail de droit commun (CDD
ou CDI) dans les mêmes conditions que celles d'un salarié d'une
entreprise traditionnelle.
Ainsi, il bénéficie de tous les avantages
sociaux d'un salarié ordinaire.
La rémunération brute de l'entrepreneur est
calculée sur la base de son chiffre d'affaires hors taxes. Cette somme
est disponible sur un compte personnalisé qui permet à
l'entrepreneur de décider chaque mois du montant de ce qu'il souhaite se
voir reverser sous forme de salaire brut par sa société de
portage.
Du fait de son statut d'entrepreneur, sa
rémunération brute peut être optimisée en
défiscalisant les frais liés au développement de son
activité (frais de bouche, déplacements, papeterie, bureautique,
cadeaux clients...), ce qui aura pour effet d'optimiser son salaire net
d'environ 50% du montant des frais défiscalisés.
Concernant sa protection sociale, le travailleur en portage
salarial profite d'une couverture sociale complète, identique au
régime social du salarié.
Les profils les plus répandus parmi les entrepreneurs
portés sont notamment les consultants à l'international, qui ont
recours au portage salarial international.
II) Le portage salarial international
Le portage salarial international est un dispositif qui
concerne aussi bien des missions courtes et temporaires, effectuées en
détachement, et des missions longues et durables qui s'apparentent
à de l'expatriation.
Le salarié porté peut être
détaché ou expatrié par la société de
portage.
64
Ce dispositif s'adresse donc aux professionnels qui souhaitent
travailler ponctuellement ou durablement à l'étranger, tout en
conservant les avantages sociaux dont il bénéficiait en France
(assurance maladie, prévoyance, assurance responsabilité civile
professionnelle, retraite, chômage, mutuelle complémentaire...) et
en bénéficiant d'une assistance de la part de la
société de portage.
En effet, la société de portage peut assister
l'entrepreneur porté de multiples manières : Gestion et
remboursement des frais liés à la mission, au réel ou bien
selon le barème forfaitaire établi par le ministère des
Affaires étrangères, déclarations auprès des
différentes caisses, versement des salaires, possibilité
d'affiliation à la Caisse des Français de l'étranger,
respect des législations sociales et fiscales locales, assurance
rapatriement, contact avec les ambassades sur place, package relocation...
III) Une solution aux risques du
télétravail international ?
Prenons un exemple : un salarié souhaite effectuer ses
missions en télétravail depuis un autre pays dans lequel son
entreprise n'est pas enregistrée. Il télétravaillera donc
depuis ce pays. L'entreprise va alors suspendre son contrat de travail (via par
exemple un congé sans solde, subordonné à l'acceptation de
l'employeur, ou via un congé « sabbatique » pouvant aller
jusqu'à 11 mois. Dans les deux cas, le contrat étant suspendu, le
salarié aura le droit de travailler pour un autre employeur), ou mettre
fin à celui-ci (avec une rupture conventionnelle par exemple), afin de
lui permettre de signer un contrat avec une société de portage
depuis laquelle il sera envoyé (en détachement ou en
expatriation) dans le pays concerné. Ensuite il réalisera des
missions et des prestations pour son entreprise d'origine qui devient alors une
entreprise cliente dans la relation tripartie du portage salarial.
Les avantages sont nombreux. Tout d'abord, la gestion est
simplifiée pour l'entreprise cliente et le salarié
porté.
Sur le plan administratif, la fiscalité, l'immigration,
la protection sociale, les affiliations diverses, l'autorisation de travail,
facturation des prestations, la paie et versement des salaires, seront pris en
charges par la société de portage.
L'entreprise d'origine du salarié, devenue l'entreprise
cliente, n'aura donc pas à supporter toutes ces charges liées
à l'expatriation ou le détachement du salarié, qu'elle
aurait
65
eu à supporter si elle avait elle-même
envoyé le salarié en mobilité. Elle
bénéficiera tout de même de la prestation de travail du
salarié porté.
De plus, pour l'entreprise d'origine, il n'y a à priori
plus de risque de requalification de la présence du salarié
porté comme constituant un établissement stable de son entreprise
d'origine, car il est lié contractuellement avec la
société de portage.
En effet, il ne s'agit plus d'un salarié effectuant une
mission à l'étranger pour le compte de son entreprise, mais d'une
prestation de services réalisée par un salarié
porté pour une société de portage.
Toutefois, le contrat d'origine, s'il a été
suspendu, constitue toujours un risque en matière de requalification,
car le salarié porté reste contractuellement lié à
l'entreprise d'origine.
En dépit de ses avantages indéniables, le
portage salarial international n'est pas sans présenter des
défauts.
Tout d'abord, cette pratique comporte un coût
élevé, puisque les règles internationales applicables en
matière de fiscalité et protection sociale sont les mêmes
pour un salarié classique et pour un salarié porté
(assistance fiscale, couverture santé volontaire etc.). Même si
ces coûts sont supportés par la société de portage
et pas par l'entreprise d'origine, ils n'en demeurent pas moins les mêmes
que pour une mobilité classique.
Le second risque est la réintégration à
la demande du salarié dans son entreprise d'origine, si le contrat
d'origine était suspendu. En effet, dans le cas d'une suspension du
contrat de travail, à l'issue de cette suspension, le salarié
aura le droit de réoccuper l'emploi qu'il a quitté
temporairement, ou à défaut un emploi similaire lors de la
reprise normale du contrat de travail. L'emploi devra correspondre à ses
compétences et être rémunéré par un salaire
au montant égal ou supérieur à celui correspondant
à son emploi précédent.
Ainsi, si le salarié met fin à sa relation
contractuelle avec la société de portage, et demande à
être réintégré au sein de son entreprise d'origine,
alors qu'il est à l'étranger, cela entraînera de nombreux
coûts pour l'entreprise.
Pour pallier ce problème, l'entreprise d'origine a
intérêt à mettre fin au contrat de travail de son
salarié avant que ce dernier ne signe un nouveau contrat avec la
société de portage. Cependant, il faudrait passer par une rupture
conventionnelle (il n'est pas possible
66
d'envisager un licenciement qui serait sans motif, ou de
forcer le salarié à démissionner), ce qui semble difficile
puisque le salarié n'aurait alors aucune garantie d'être
embauché de nouveau à son retour en France.
Ainsi, le portage salarial international semble être une
solution intéressante pour l'employeur qui souhaite envoyer un
salarié à l'étranger afin qu'il
télétravaille pour son compte depuis ce pays, notamment sur le
plan financier. Cependant, nous l'avons vu, il demeure certains risques pour
l'employeur. Il sera intéressant d'observer si les employeurs ont
recours à cette pratique en cette période incertaine, qui a rendu
le télétravail international, qui déjà en temps
normal présente des enjeux classiques de mobilité internationale,
d'avantage risqué pour l'employeur comme pour le salarié.
67
Conclusion
Ainsi, comme nous avons pu le voir tout au long de ce
mémoire, le télétravail international est bien loin de la
pratique caractérisée par la liberté et l'absence de
formalisme dont rêve certains salariés et employeurs.
En effet, s'installer à Barbade, en profitant de leur
« Welcome Stamp », afin de télétravailler pour
le compte de son employeur français semblait trop idyllique pour
être réaliste.
Loin de cette image de simplicité, le
télétravail international comporte des enjeux classiques de
mobilité internationale.
Les principaux enjeux sont les enjeux migratoires, de droit
social, et de fiscalité, comme pour tout salarié que l'employeur
souhaiterait expatrier ou détacher dans un pays étranger.
Ainsi, le télétravail international, quand il
résulte d'une volonté de l'employeur ou du salarié, doit
se préparer comme tout projet de mobilité internationale. Du
télétravail « sauvage » comporterait des risques
à la fois pour l'employeur et le salarié, notamment sur la plan
fiscal et social. Le coût serait alors supérieur à
l'économie espérée en envoyant un salarié sans
préparation et prise en compte des enjeux de mobilité
internationale.
De même, la crise de la COVID-19 a imposé, pour
de nombreux salariés, le télétravail international comme
nouveau mode de travail. Or nous l'avons vu, cette situation inédite
pouvait potentiellement avoir des conséquences en termes de protection
sociale ou de fiscalité pour les salariés contraints à
cette nouvelle pratique.
Au vu des enjeux et des risques que comporte le
télétravail international, l'employeur ou le salarié qui
souhaitent y avoir recours devront donc étudier la faisabilité du
télétravail international.
Si cette pratique présente des avantages
indéniables pour le salarié (flexibilité, choix du lieu de
travail, gain de temps...) et l'employeur (enjeu de rétention des
talents), il
68
conviendra, au cas par cas, d'étudier le rapport
bénéfices/risques et coûts, notamment sur le plan
migratoire, social et fiscal.
Si des mesures transitoires ont été prises pour
neutraliser les effets du télétravail international, celles-ci ne
seront plus applicables après la crise sanitaire.
Concrètement, si un salarié fait part à
son employeur de sa volonté de télétravailler à
l'international, l'employeur devra procéder à une étude au
cas par cas dans le but de l'autoriser.
En aucun cas le salarié ne pourra quitter le territoire
et télétravailler à l'international sans l'aval de son
employeur.
Pour cela, l'employeur devra analyser les principaux
enjeux.
Depuis quel pays le salarié souhaite-t-il
télétravailler ? Pour quelle durée ? Quelles fonctions
occupera-t-il ? Quelle est sa situation familiale et sa nationalité ?
ces questions doivent se poser au cas par cas et selon le pays
concerné.
Pour chaque pays, une analyse des enjeux migratoires, sociaux
et fiscaux doit être faite. Si l'employeur donne son accord, il sera
alors très fortement recommandé de lister les obligations
réciproques (salarié et employeur) et acter par écrit
l'accord fixant les obligations de chacune des parties, via un avenant au
contrat de travail du salarié.
L'employeur ne doit pas laisser son salarié partir en
situation de télétravail « sauvage », l'employeur comme
le salarié seraient alors sujets aux risques que nous avons vu tout au
long de ce mémoire (double imposition, non prise en charge de ses frais
de santé...).
Enfin, l'opportunité de créer une
véritable politique de mobilité internationale pour le
télétravail international se pose à l'employeur.
Cependant, étant donné que relativement peu de salariés
seront concernés, il est plus opportun de fixer uniquement des «
guidelines », qui préciseront les grandes modalités du
télétravail international au sein de l'entreprise. Cela est
indispensable pour garantir un traitement équitable entre tous les
salariés en situation de télétravail international, car
ils seront alors tous envoyés selon les mêmes modalités.
De même, le portage salarial international, s'il semble
pouvoir parer à une partie de ces risques, n'est pas sans
désavantage et danger pour l'employeur et le salarié.
69
Le télétravail international doit donc
être considéré et étudié comme toute
mobilité internationale (expatriation, détachement...) par
l'employeur et le salarié, afin de ne pas s'exposer à des risques
migratoires, sociaux et fiscaux.
Les risques de cette pratique valent-ils le coup pour
l'employeur et le salarié, au vu des bénéfices attendus ?
c'est la question que devront se poser les employeurs et les salariés
qui souhaitent y avoir recours.
70
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74
TABLES DES MATIERES
Introduction 1
PREMIERE PARTIE : LE TELETRAVAIL INTERNATIONAL ET LES
ENJEUX DE DROIT SOCIAL 6
Chapitre premier : Le télétravail
international et le droit du travail 6
Section I : Les obligations pesant sur l'employeur et
le télétravailleur international en droit du travail 7
I) L'obligation de respect des législations nationales en
matière de droit du travail pour le télétravailleur
international 8
II) L'obligation de sécurité et santé de
l'employeur vis-à-vis du salarié en télétravail
international 12
Section II : Télétravail international et
contentieux de contrat de travail international 13
I) Juridiction compétente pour le salarié en
situation de télétravail international 14
II) Loi applicable au contentieux de télétravail
international 19
Chapitre II : Le télétravail
international et la protection sociale du salarié 22
Section I : La protection sociale du
télétravailleur international, un enjeu essentiel de
mobilité internationale 23
I) Le principe de la protection sociale du
télétravailleur international 23
II) Télétravail international et Accident du
travail : un risque de non prise en charge pour le salarié ? 29
Section II : L'obligation d'information de l'employeur sur
l'étendue de la couverture santé du salarié en situation
de télétravail international 30
DEUXIEME PARTIE : LE TELETRAVAIL INTERNATIONAL ET LES
AUTRES ENJEUX DE MOBILITE INTERNATIONALE 33
Chapitre premier : Les enjeux fiscaux du
télétravail international 33 Section I : La
fiscalité personnelle du télétravailleur international
33
I) L'impact du télétravail international sur la
résidence fiscale des salariés 34
II) Quel impact du télétravail international sur
l'imposition des rémunérations du salarié ? 40
III) Télétravail international et travailleurs
frontaliers à l'heure de la COVID-19 44 Section II : Les enjeux fiscaux
pour l'entreprise ayant un salarié en télétravail
international 50
I) Le risque de la reconnaissance d'un établissement
stable 52
II) L'impact du télétravail international sur la
résidence fiscale de l'entreprise 56
III) La procédure de rescrit, une solution à
l'incertitude ? 58
75
Chapitre II : Les enjeux migratoires du
télétravail international et la tentation du portage salarial
international 59
Section I : Le télétravail international et l'enjeu
migratoire 59
Section II : Le portage salarial à l'international, une
solution aux risques du télétravail international ? 62
I) Le régime du portage salarial 62
II) Le portage salarial international 63
III) Une solution aux risques du télétravail
international ? 64
Conclusion 67
BIBLIOGRAPHIE 70
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