REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
UNIVERSITE DE KINSHASA
FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE
L'EDUCATION
DEPARTEMENT DE PSYCHOLOGIE
DESCRIPTION DES CONSEQUENCES DES VIOLATIONS DE COUTUMES
LUBA - KASAI ET LEURS THERAPIES
Par
Augustin MUBIAYI MAMBA
Assistant
Licencié en Psychologie Clinique
Mémoire présenté et
défendu le 15 Septembre 2015 en vue de l'obtention du Diplôme
d'Etudes Supérieures (D.E.S.) en Psychologie
Orientation : Psychologie Clinique.
Promoteur :
- Professeur Ignace NGUFULU BASULU
Copromoteurs :
- Professeur Timothée KAMANGA MBUYI
- Professeur Jean KANGA KALEMBA
VITA
Jury
Professeur Gaston KAPUKU MUDIPANU,
Président
Professeur Maurice TINGU
NZOLAMESO, Secrétaire
Professeur Ignace NGUFULU BASULU,
Membre
Professeur Timothée KAMANGA MBUYI,
Membre
Professeur Jean KANGA KALEMBA VITA, Membre
TABLE DES MATIERES
TABLE DES MATIERES
I
SOMMAIRE
IV
LISTE DES ABREVIATIONS
v
LISTE DES FIGURES
vi
LISTE DES TABLEAUX
vii
DEDICACE
viii
AVANT-PROPOS
ix
INTRODUCTION GENERALE
1
1. PROBLEMATIQUE
1
2. HYPOTHESES DE TRAVAIL
6
3. OBJECTIF DE L'ETUDE
6
4. IMPORTANCE ET INTERET DU SUJET
7
5. METHODOLOGIE ET TECHNIQUES DE RECHERCHE
7
6. POPULATION ET TERRAIN D'ETUDE.
9
7. DIVISION DU TRAVAIL
9
CHAPITRE PREMIER : PRESENTATION DU CADRE
SOCIO-ETHNICO-PHYSIQUE DE RECHERCHE
11
I. 1. HISTORIQUE ET TRAITS DE PERSONNALITE DU
PEUPLE LUBA
11
I.1.1. Historique
11
I.1.2. Traits de personnalité du peuple
luba
12
I.2. ETHNONYMIE
14
I.3. PEUPLE
19
CHAPITRE DEUXIEME : COUTUMES DES BALUBA DU
KASAI : CONSEQUENCES ET THERAPIES LIEES AUX VIOLATIONS.
23
II.0. Introduction
23
II.1.Les grands traits (les préceptes) de la
culture luba ou les normes culturelles et leurs applications
24
II. 1.1. Culture Traditionnelle
24
II.1.1.1. Arts
24
II.1.1.2. Mariage
25
II.1.2.3. Naissance d'un Nouveau-né.
28
II.1.1.4. Mort
30
II.1.1.5. Spiritualité
32
II.1.2. Normes culturelles Luba et leurs
applications
34
II.1.2.1. Inceste/Adultère.
36
II.1.2.2. Viol.
39
II.1.2.3. Parjures (nshiya, milau, mitshipu,)
40
II.1.2.4. Jalousie (mukau/mutshiaudi)
42
II.1.2.5. Fétiches
42
II.2. Conséquences de violations de coutumes
luba
43
II.3. Thérapie et sens de la maladie chez
les baluba
46
II.3.1. Définition
46
II.3.1.2. Sens de la maladie chez les baluba
47
II.3.1.3. Puissance de la parole
48
II.3.2. Description des thérapies en milieu
social luba.
49
II.3.3. Thématique du nom chez les
Baluba : sa signification et son effet psychologique.
50
II.3.4. Substances naturelles et
minérales
56
II.3.5. Bêtes thérapeutes
58
II.3.6. Thérapeutes ou agents
thérapeutes Luba.
59
II.4. Tableau synoptique des pratiques
thérapeutiques luba
64
CHAPITRE TROISIEME : APPROCHE
METHODOLOGIQUE
67
III.1. Population et échantillon
d'étude
67
III.1.1. Population
67
III.1.2. Echantillon d'étude
67
III. 2. Méthodes et Techniques
68
III.2.1.Méthodes
68
III.2.2. Techniques de récolte des
données
73
III.3. Difficultés rencontrées
75
CHAPITRE QUATRIEME : ETUDE DE CAS
76
IV. 1. Présentation de cas
77
IV. 1. 1. Aide aux mourants
77
IV.1.2. Résolution des frustrations/le
défoulement
85
IV.1.3. Aide à l'accouchement
88
IV.1.4. Rite de réparation
92
IV.2. Evaluation globale des cas
95
IV.2.1. Aspects diagnostics
96
IV.2.2. Aspects thérapeutiques
98
IV.2.3. Fonctionnement du psychisme
99
CONCLUSION
101
BIBILOGRAPHIE
103
SOMMAIRE
TABLE DES MATIERES
LISTE DES ABREVIATIONS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
I. INTRODUCTION
II. CHAPITRE PREMIER : PRESENTATION DU CADRE
SOCIO-ETHNICO-PHYSIQUE DE LA RECHERCHE
III. CHAPITRE DEUXIEME : COUTUMES DES BALUBA DU
KASAI : CONSEQUENCES ET THERAPIE DE LEURS VIOLATIONS
IV. CHAPITRE TROISIEME : APPROCHE METHODOLOGIQUE
V. CHAPITRE QUATRIEME : ETUDE DE CAS
VI. CONCLUSION
Bankambua kabafua kale malu akatuambilebu
ajimina !
= Les ancêtres sont morts, il y a si peu et
tout ce qu'ils nous ont appris est déjà oublié.
Proverbe luba.
LISTE DES ABREVIATIONS
Baluba-Kat.
|
: Baluba du Katanga
|
E.I.C.
|
: État Indépendant du Congo
|
Kg
|
: Kilogramme
|
O.M.S.
|
: Organisation Mondiale de la Santé
|
RC
|
: Recherche Clinique
|
RDC
|
: République Démocratique du Congo
|
OMS
|
: Organisation Mondiale de la Santé
|
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LISTE DES FIGURES
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Pages
|
Figure n° 1
|
: RDC. Province du Kasaï Occidental. Carte
administrative.
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22
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LISTE DES TABLEAUX
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Tableau n°1
|
: Tableau synoptique des pratiques thérapeutiques
chez
le
Baluba .........................................................64
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Tableau n° 2
|
: Paramètres du dispositif et caractéristiques
de l'observation...
|
73
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DEDICACE
A toute la progéniture MUBIAYI MAMBA, afin qu'elle suive
notre exemple de détermination et de perspicacité dans toutes
leurs entreprises.
REMERCIEMENT
Arriver à ce stade de notre recherche en psychologie
clinique requiert beaucoup de détermination, d'abnégation et de
courage. Nous ne pouvions aboutir à cette fin sans le concours
multiforme de certaines personnes qui nous sont très chères et
pour qui nous devons notre profonde gratitude. De ce fait, cette page qui vient
avant l'abord de notre étude, est consacrée aux remerciements et
reconnaissance à tous ceux qui, de près ou de loin, par appui
direct ou indirect, ont prêté leur main forte à la
réalisation de cette oeuvre.
Nous pensons particulièrement de prime abord aux
professeurs Ignace Ngufulu, Timothée Kamanga et Jean Kanga, qui,
malgré leur emploi de temps très chargé et étant
fortement sollicités, ont daigné accepter de nous encadrer. Leur
apport caractérisé par des observations, des orientations tant
sur le plan de fond que de forme, nous a donné une autre
compréhension beaucoup plus claire de notre propre travail. Nous devons
admettre qu'à leurs côtés nous étions dans une
grande école. C'est pour cette raison que nous leur présentons de
tout coeur nos sincères remerciements pour le travail abattu.
Dans le même ordre d'idées, nous reconnaissons
humblement un autre apport remarquable de tous les professeurs de la
Faculté de Psychologie et de Sciences de l'Education, surtout ceux qui
se sont rendus disponibles pour nous assurer les séminaires devant nous
donner accès au Diplôme d'Etudes Supérieures (D.E.S). Ces
séminaires qui ont tous été axés sur la
préparation des apprenants que nous étions à la recherche,
quantitative et qualitative, à l'éducation et à la bonne
prestation des travaux scientifiques de plus haut niveau. Ces séminaires
ont davantage enrichi ce travail que nous présentons ce jour avec des
innovations en ce qui concerne la culture et personnalité, le
fonctionnement du système nerveux surtout avec l'apport des
neurosciences, etc. A tous nos professeurs et dirigeants de la faculté,
et particulièrement la Révérende soeur Docteur Florence
MBIYA qui nous a accepté dans sa cellule scientifique, veuillez recevoir
notre reconnaissance.
Nous ne pouvons oublier les encouragements et stimulations des
familles des professeurs Yvon MWENGWE et Van TSHOMBE MULAMBA. Nous leurs
témoignons notre profonde gratitude.
Nos remerciements vont aussi vers notre famille qui nous a
encouragé et soutenu, en nous donnant la force nécessaire pour
persévérer jusqu'au bout, nous pensons ici à tous nos
enfants et leurs mères, nos frères, soeurs, cousins et cousines,
nos neveux et nièces, nous citons Alphonsine-Anastasie,
Kiara-Thérèse, Rebazar Gilbert, Donatien, Dieudonné,
Kapi- Régine, Daki, Emmy, Maylice, Gael, Flory, Rhono, Mélanie,
Mamie-Emérence, Marcel, Augustin-François, Michel, Martin,
Edmond, Albert, Medhi, Divine, Emmanuel, Ida, Kaba, July, Vicky, Tshikumbi,
Claudine, Belly, en Tshiluba on dit kubala umue nkudibala (même
ceux qui ne sont pas cités se retrouvent à travers cette liste),
Nous ne pouvons oublier de présenter notre gratitude au
Professeur Révérend Pasteur Paul Mpongo et aux Sieurs Kayembe
Ali et Felly Tshibwabwa pour nous avoir appuyé avec une documentation
en rapport avec la culture et traditions Luba du Kasaï. Qu'ils trouvent
ici notre mot de remerciement.
Augustin MUBIAYI MAMBA
INTRODUCTION GENERALE
Ce travail est un recherche clinique en milieu culturel Luba
du Kasaï. Il décrit la manière dont les baluba ou le peuple
luba ciblé répare les violations des coutumes. Ces pratiques,
nous interpellent au point de nous aider à expliquer et faciliter le
processus thérapeutique.
La psychologie clinique s'insère dans une
activité pratique visant la reconnaissance et la nomination de certains
états, aptitudes, comportements, dans le but de proposer une
thérapeutique (Fernandez & Pedinielli, 2006). Cela étant,
toute recherche en psychologie clinique devrait avoir comme soubassement, les
manières d'être et de réagir d'un être humain concret
et complet aux prises avec une situation, pour ainsi paraphraser Lagache
(1949), l'un des pères fondateurs de la Psychologie clinique. Par
ailleurs, l'homme concret et complet ne peut être saisi que dans son
habitat naturel et son milieu social. Ce qui nous conduit à comprendre
la personnalité à travers une étude psychodynamique qui
tient compte du développement individuel, sa socialisation, sa
perception du monde, ses croyances acquises, ses convictions, bref sa
culture.
Il est évident qu'en Afrique subsaharienne, il existe
beaucoup de traditions et coutumes, et selon que l'on croit à
l'appartenance à une société, on se voit obligé
d'adopter une certaine attitude et afficher un comportement lié soit
à la tradition, soit aux normes de son clan, de sa tribu ou de sa
culture en général. Cette énergie culturelle qui se
transmet de génération en génération
s'intériorise et est à la base de manifestation, de
déclenchement et du maintien de certaines situations pathologiques qu'il
nous est parfois impossible de soulager si on n'a aucune notion de la culture
du patient. Il y a également le fait d'acculturation à travers
les migrations et différentes mutations de la population, et on arrive
parfois à subir l'influence de la culture nouvelle dans laquelle l'on
s'est accommodé. Le psychologue clinicien devrait se sentir
intéressé par cette façon de faire.
Puisque tout être humain commence sa vie en
étroite relation avec son milieu social, ce qui sous-entend, entre
autres, la culture qui caractérise le milieu social avec ses
différentes facettes dont la connaissance, les croyances, la morale, le
droit, les coutumes, les valeurs, etc. ceci nous pousse à souligner
l'importance de la psychologie culturelle et des théories
interculturelles de la psychologie telles que développées par
Troadec (2007), Segall, Dasen, Berry et Poortinga (1999, 2002).
En psychothérapie, l'intérêt est
placé sur le rapport que le patient entretient avec sa condition de
malade, la manière dont il participe au maintien ou à
l'aggravation de sa situation, toutefois les conceptions culturelles peuvent
fortement édifier et dans une certaine mesure faciliter le processus
thérapeutique. L'on comprend dès lors l'importance de la culture
dans la psychologie clinique. Cette vision permet d'intervenir dans les
situations socioculturelles.
Dans l'espace culturel de la République
Démocratique du Congo (RDC), il existe énormes ethnies parmi
lesquelles l'ethnie Luba ou les Baluba qui semble avoir une grande envergure en
Afrique centrale et environ. Cette expansion implique les interactions
interculturelles avec ses corollaires d'inculturation d'une part et
d'acculturation d'autre part. Mukendi wa Nsanga en préfaçant
Tshibasu Mfuadi (2004) dit : « les us et coutumes des
baluba sont évidemment plus intensément vécus sur leur
territoire traditionnel, mais dans les régions non baluba de la
République Démocratique du Congo, cette culture rayonne d'un
éclat particulier : les valeurs baluba vont au-delà de
simples racines culturelles d'une population pour constituer des valeurs
sociales largement universelles. »
Notre expérience dans ces milieux nous fait dire que la
conception de la vie (et de la mort), les rituels (de mariage, de naissances
spéciales, de deuil, de résolution des problèmes, ...)
sont d'une richesse inestimable.
Nous avons porté une attention particulière sur
les conséquences de violations des préceptes de
coutumes qui sont des vecteurs de plusieurs maladies et complications
existentielles et surtout leurs thérapies,
c'est-à-dire, la façon dont ces maladies ou ces problèmes
sont traités chez cette peuplade luba du Kasaï.
Ce faisant, nous avons constaté qu'il existe plusieurs
techniques de résolution des problèmes sociaux dans la culture
luba qui intéresseraient la psychologie clinique et la
psychothérapie à telle enseigne que ces pratiques peuvent
contribuer à l'enrichissement de la science et du psychologue clinicien
en particulier. Ces pratiques partent des problèmes individuels et
familiaux aux problèmes du groupe en général.
1. PROBLEMATIQUE
Quand un chasseur, par exemple, n'arrive pas depuis un certain
temps à attraper du gibier, un commerçant court de perte en
perte, un couple qui s'est marié depuis plus d'une année sans
avoir des enfants, des femmes qui éprouvent des difficultés
à l'accouchement, des décès en chaînes dans la
même famille, etc. , les baluba s'interrogent d'abord au niveau
individuel et s'il n'y a pas une suite favorable, ils interrogent la famille et
s'il n'y a pas de suite non plus on interroge les ancêtres (les
Bankambua/banyinka ou les morts). Dans un cas ou un autre, il peut
s'agir d'un mukiya (litige ou contentieux) né de l'inobservance
d'un interdit (tshibindi) qui expose à une infraction sociale
(tshibawu). A chacune des situations, il existe un rituel
approprié et des personnes bien attitrées pour procéder
à la résolution du problème. Ceci se fait selon les
règles bien précises, parfois magico-religieuses. Ces
problèmes nécessitent une réponse urgente et à une
très courte durée. Et les pratiques utilisées sont de
nature à trouver une solution si pas immédiate mais dans un
délai très bref. Voilà pourquoi au cours de cette
recherche, nous allons plus mettre l'accent sur ces pratiques
thérapeutiques brèves comme le cas de l'aide aux mourants ou
l'aide à la réanimation, l'aide à l'accouchement, l'aide
aux personnes frustrées et le rite de reparation.
Ces pratiques procèdent par la
parole, comme fondement de moyen
thérapeutique, qui peut être parlée ou chantée, sous
forme des proverbes, anecdotes, poésies, chansons, ou simplement
à travers le nom que l'on porte. A la parole s'ajoute parfois certains
ornements cérémoniaux pour donner toute l'importance à la
scène. Les pratiquants se parent des poudres, caolins, de l'argile et
autres garnitures susceptibles d'élever la conscience et amplifier la
grandeur du rituel. Mais par-dessus tout, la parole
reste et demeure l'élément primordial qui déclenche tout
en dehors du rituel.
Nsane MBONGO (2003), Philosophe et sociologue camerounais,
dans son Article en Méthode de la lutte Constructive, dit :
« La parole métaphysique africaine est une pensée
spéculative méconnue, mais ayant une intelligibilité de
dimension philosophique. Par ailleurs, elle met au jour une méthode de
traitement des conflits dont l'intérêt est à
étudier... » et dans sa conclusion, il dit :
« ... on notera que le discours thérapeutique traditionnel
fait passer aisément de la pensée ordinaire à la
réflexion métaphysique des initiés, et que cette parole
profonde fournit un système rationnel de traitement des
crises... ».
La culture luba semble avoir une influence qui déborde
les frontières de son espace géographique. Cette dimension
devrait attirer l'attention de la psychologie clinique et c'est ce qui fait
appel à l'ethnopsychopathologie, la psychopathologie interculturelle et
l'anthropologie culturelle, qui permettent de comprendre parfois
l'inefficacité de certaines de nos pratiques soignantes et d'en proposer
celles qui semblent être les plus adaptées.
La question principale de cette recherche est celle de savoir
si les pratiques thérapeutiques luba du Kasaï peuvent jouer le
rôle des psychothérapies
Pour y parvenir, on se propose de répondre à ces
questions subsidiaires:
- Quels sont les préceptes culturels chez les baluba du
Kasaï et leurs conséquences ?
- Comment diagnostiquer les troubles de comportement ou les
problèmes qui sont les conséquences de violations des
préceptes de la culture ? En d'autres termes, y a-t-il moyen de
détecter un comportement pathologique dans la culture luba ?
- Quelles sont les pratiques thérapeutiques
génériques chez les Baluba? Autrement dit, y a-t-il des
pratiques susceptibles de réparer l'inobservance aux
préceptes ?
- Ces pratiques peuvent-elles être
considérées comme méthodes ou techniques
psychothérapeutiques ?
- Enfin, Comment effectivement la parole qui est l'outil
principal de l'entretien psychologique fonctionne dans la
thérapie ? Autrement dit, comment fonctionne le psychisme pour
déclencher le dénouement du problème. Ici, notre
recherche nous amène à démontrer comment la parole,
l'outil principal de l'entretien psychologique, fonctionne dans la
thérapie.
2. OBJECTIF DE L'ETUDE
a. Objectif général
Ce travail vise à décrire les
conséquences de violations des coutumes et la manière dont les
baluba du Kasaï arrivent à les traiter afin d'en tirer les
pratiques thérapeutiques que l'on peut appliquer en
psychothérapie.
b. Objectifs spécifiques
- identifier les normes ou préceptes culturels luba
Kasaï ;
- identifier les conséquences des violations de
coutumes ;
- expliquer comment se fait la thérapie.
3. IMPORTANCE ET INTERET DU
SUJET
L'intérêt de cette étude se trouve dans la
recherche des techniques pratiques et efficaces dans la relation d'aide, dans
le but de trouver le mieux-être de la personne en souffrance.
La relation d'aide étant une psychothérapie de
courte durée, est plus ciblée que la psychothérapie
longue qui s'inscrit dans une relecture plus ou moins complète de la
vie, et Jacques Poujol dit : « La relation d'aide
(thérapie courte) cherche à répondre aux divers besoins
que vous pouvez rencontrer au cours de votre existence. Besoin de vous dire ou
de poser une parole face à une souffrance, de vous comprendre ou de
comprendre l'autre. Besoin de soutien dans une période difficile de
votre vie, besoin d'améliorer votre qualité de vie relationnelle
sur le plan personnel, familial ou professionnel. »
Il s'agit d'une étude centrée sur des
problèmes ou des problématiques qui semblent insurmontables et
plongent l'individu dans la souffrance, la confusion, la tristesse ou la
dépression comme : problèmes relationnels, familiaux, de
couple, professionnels, liés à l'enfance ; estime de soi,
confiance en soi ; communication problématique ; dépression ;
stress ; deuil; maladie ; addiction [alcool, drogue...] ;
etc. »
4. METHODOLOGIE ET TECHNIQUES DE
RECHERCHE
Du point de vue méthodologique, nous disons que cette
étude est basée sur des phénomènes sociaux et pour
mener à bien notre recherche, nous allons utiliser la méthode
clinique globalement (étude de cas), tout en nous appuyant sur
l'approche descriptive, ethnographique pour l'exploration des faits,
l'observation participante et les entretiens cliniques seront de mise pour
conduire à une meilleure analyse et explication des
phénomènes.
La technique d'observation participante nous est très
favorable d'autant plus que nous travaillons sur un terrain où nous
sommes natifs. Nous avons vécu les faits rapportés. Nous
maitrisons le terrain et nous avons cette facilité d'accès
à l'information.
Cette étude porte essentiellement sur les aspects
culturels. De ce fait, il est impérieux d'évoquer de prime abord
les théories psychologiques en rapport avec le développement
affectif et cognitif de l'individu. Ceci fait appel aux théories de Dr
S. Freud en rapport avec la psychanalyse entre autres le développement
libidinal, qui va faire intervenir les instances de l'appareil psychique. La
psychodynamique nous a semblé la théorie la mieux indiquée
pour réveiller les pensées, les formations, les situations
traumatiques enfuies dans l'inconscient du sujet et qui seraient à la
base de blocages responsables des problèmes ou des symptômes que
les sujets manifestent.
C'est ici le lieu de signaler l'importance de deuil
psychologique. Le travail de deuil consiste principalement à
désinvestir l'amour pour un objet perdu. Selon Freud (1994), la
résistance à ce travail vient du fait que « l'homme
n'abandonne pas volontiers une position libidinale, pas même lorsqu'un
substitut lui fait déjà signe ». Il s'agit, pour le sujet
concerné, de détacher toutes les connexions avec cet objet perdu.
Freud compare le deuil à la mélancolie pour en dégager les
différences : si, dans le deuil, le monde s'est appauvri, le
mélancolique s'accuse de tous les maux en dévalorisant son moi.
Le travail de deuil consiste à réactiver les
satisfactions narcissiques dues au fait de rester en vie pour accepter la
réalité de la perte de l'objet. « On peut, peut-être,
se représenter que ce dénouage s'effectue si lentement et
à pas si comptés qu'à la fin du travail tout ce que
celui-ci requiert en fait de dépense est même dilapidé
». Pour Isabelle Delisle (1987), le travail de deuil ne se
réfère pas uniquement à un décès, mais
à différentes pertes aux différents stades de la vie. En
effet, la problématique « grandir-vieillir » est,
dès le départ, une problématique de deuil. L'enfant doit
se séparer de sa mère pour entrer à la garderie et ensuite
faire son apprentissage scolaire. L'adolescent quittera la maison familiale
pour faire son apprentissage d'adulte. Nous avons continuellement à
prendre congé de quelqu'un ou de quelque chose, à quitter et
à laisser partir...le travail de deuil se réfère à
cette notion de solitude que Winnicott a développée dans la
« capacité d'être seul ». Cette
capacité s'élabore dès la petite enfance. C'est
l'enracinement du sentiment qu'un bébé éprouve de pouvoir
vivre avec lui-même, sans angoisse, seul, même en la
présence d'autres personnes ; c'est l'expérience
d'être seul, en tant que nourrisson et petit enfant en présence de
la mère.
5. POPULATION ET TERRAIN
D'ETUDE.
En ce qui concerne le terrain d'étude et la population,
le territoire de Demba dans le Kasaï-Occidental a été notre
terrain de prédilection et les pratiques thérapeutiques en
réponse aux conséquences de violations des coutumes du peuple
Luba au pluriel « Baluba », notre
population d'étude d'où nous avons extrait 6 cas concrets pouvant
mieux expliciter cette recherche.
6. DIVISION DU TRAVAIL
Ainsi, nous subdivisons cette recherche en quatre chapitres
hormis l'introduction et la conclusion, dont le chapitre premier est
intitulé : « Présentation du cadre
socio-ethnico-physique de la recherche » ; il permettra de mieux
cerner l'étendue de l'influence culturelle des pratiques
thérapeutiques luba sur des populations environnantes et l'effet
interculturel de la psychologie clinique. Le chapitre deuxième parle des
«coutumes des Baluba du Kasaï : leurs conséquences et
thérapies liées aux violations». Il sera basé
sur la description des valeurs et préceptes culturels luba, sans pour
autant être exhaustif et expose les thérapies luba en
réponse aux conséquences de violations de ces coutumes. Le
chapitre troisième est « l'approche
méthodologique » devant conduire notre démarche
à la présentation des résultats. Le chapitre
quatrième qui est consacré à «
l'étude proprement-dite de cas », va cheminer vers les
conclusions de notre recherche.
CHAPITRE PREMIER :
PRESENTATION DU CADRE SOCIO-ETHNICO-PHYSIQUE DE RECHERCHE
Ce chapitre décrit le cadre de notre recherche et
fournit les éléments pouvant faciliter l'intérêt et
le choix d'analyser les pratiques thérapeutiques luba. Il donne une
description de l'ethnie Luba ou les Baluba en général, et ceux du
Kasaï occidental plus précisément de Demba, notre champ
d'action, en particulier. Et, afin de permettre une meilleure
compréhension de cette culture ainsi que la pertinence de notre choix,
nous abordons ce chapitre en passant en revue les points saillants de cette
culture à savoir : les traits de personnalité des baluba,
les langues, l'
ethnonymie, l'
histoire, la
population, les traits
culturels (
arts,
famille/mariage,
croyances/spiritualité, mort, etc.).
Plusieurs auteurs ont écrit sur le groupement culturel
luba, parmi lesquels Tshibasu Mfuadi (2004), Burton (1956), Colle (1913),
Mabika Kalanda (1959), Flament (1943), Yezi (1968), Van Houtte (1976), Muteba
Nzambi Mutshipula (1987). Les travaux de ces auteurs auxquels s'est
ajoutée notre propre expérience sur terrain font le produit de la
description de l'espace culturel luba que nous présentons dans ce
chapitre.
1. 1. HISTORIQUE ET TRAITS DE
PERSONNALITE DU PEUPLE LUBA
1.1.1. Historique
Les Luba sont un
peuple bantou d'
Afrique Centrale
établi principalement en
République
Démocratique du Congo où ils constituent l'une des peuplades
les plus nombreuses. Quelques communautés vivent aussi dans les pays
voisins d'
Afrique australe,
en
Zambie et en
Angola. Ils sont connus au
cours de l'histoire sous le royaume luba.
Le royaume luba trouve son origine dans la province du
Katanga, au Sud-Est de la République Démocratique du Congo. La
naissance du royaume vers le XVIème siècle se
développe chez les Luba centraux où dominent les Luba Shankadi
(Shankadi synonyme du mot swihili Sankaji qui signifie Tante)
; les Luba occidentaux - Luba Kasaï -. Selon la tradition orale, les
Baluba seraient des chasseurs venus des régions et pays du Nord-Est du
lac Kisale où ils se sont finalement installés. Le royaume Luba
est le premier royaume dans le bassin du Congo vers les IIIème et
IVème siècles de notre ère.
1.1.2. Traits de
personnalité du peuple luba
Le peuple luba est caractérisé par son
attachement à la famille et aux coutumes traditionnelles, son amour pour
la vie, l'apparence, son acharnement pour un travail bien fait.
a. Sur le plan professionnel
Le peuple Luba est très visible. C'est parfois cet
acharnement pour le travail bien fait et son souci d'apparence qui lui a valu
parfois dans la capitale Kinshasa le surnom de « Demulu
(muluba) vantard ». L'amour du travail est
intériorisé par le proverbe « mudimu
mbakisha shiya : le travail fait marier l'orphelin ou
c'est du travail qu'on peut trouver de quoi fonder sa famille surtout quand on
est orphelin ; et aussi une autre version du même proverbe est
« mudimu ke tatu : le travail c'est
mon père. » Mais en même temps chez les baluba pour
stimuler les jeunes gens au travail, on les prévient que Bilengele
mbiase mu nkelende pour dire que les bonnes choses sont cachées dans les
épines, alors il faut toujours fouiller jusqu'au bout. De là, le
proverbe d'encouragement qui dit « kalume kabo
nkufisha bujitu, kalume kabu ki nkupangile mu njila » ce qui
signifie un homme est celui qui parvient au bout et non celui qui échoue
en cours de route ou encore « Kutshinyi mukuna bule kule
kua mukuna ke kudi njila » qui veut dire ne te lasse pas de la
hauteur de la montagne car c'est au sommet que se trouve la voie. Bref, il
s'agit d'un trait de caractère qui stimule les baluba à aller
toujours vers l'avant et à travailler sans relâche.
Il est bien vrai que certains hommes luba présentent
une arrogance extrémiste surtout quand ils ont une bonne position
financière et d'autres parfois traitent leurs épouses comme des
choses qu'ils ont achetées. Mais ce caractère devient de plus en
plus relatif selon les milieux.
b. Sur le plan coutumier
Quant au respect des coutumes traditionnelles, le peuple luba
a beaucoup de respect pour les interdits depuis l'enfance. Il a appris tous les
tabous et interdits familiaux. Il évite de tomber dans le
Tshibindi (une faute grave, une infraction sociale contre les
interdits ou les sacrilèges qui comportent les conséquences (ou
litiges) appelées mikiya sur toute la famille et la
progéniture) et en payer une forte sanction sociale qu'on appelle
Tshibawu (un châtiment qui peut coûter les vies humaines).
Encore une fois dans la capitale Kinshasa, les filles issues d'autres ethnies
ont souvent peur de se marier aux baluba par peur de Tshibawu, qui
signifie plutôt la culpabilité et ses conséquences sur le
délinquant. Parmi les conséquences, il y a la malédiction
qui peut entraîner la mort ou se perpétuer de
génération en génération si la faute n'est pas
réparée et/ou pardonnée. C'est à ce niveau qu'il
faut aussi parler de Tshipapa (un poison magique) applicable à
celui dont la vérité est mise en doute. On parle de
kunua tshipapa (boire le tshipapa) ou
kubinga tshipapa : survivre de tshipapa). Pour ce faire,
le délinquant doit confesser sa faute et ensuite se soumettre à
la sentence prononcée à son égard et aux rites de sa
purification et sa réintégration dans la
famille/société. Quand quelqu'un est reconnu "mwena
tshibawu", tout le monde se dissocie de lui. Le "Tshibawu" va
toujours de pair avec Tshibindi. Tshibawu a plus le sens de
culpabilité tandis que "Tshibindi" a le sens de
"malédiction" et ses conséquences.
c. Sur le plan sociabilité
Le peuple luba est un peuple hospitalier et vit dans une
grande famille. D'ailleurs chez les baluba, il n'existe presque pas de famille
nucléaire. Tout membre de la famille élargie est papa, maman,
grand/petit frère ou grande/petite soeur. Les cousins/cousines et
neveux/nièces sont quasiment inexistants.
Ce peuple adore les familles nombreuses. Et dans les villages,
la polygamie n'est pas interdite, sauf ces jours avec la prolifération
des églises évangéliques ou de réveil que les
choses ne sont plus comme avant. Le planning familial était automatique
et les grands parents avaient des principes quant au moment de s'approcher de
sa femme.
1.2. ETHNONYMIE
Selon l'historique, on rencontre deux grandes variantes : les
Luba du Kasaï et les Luba du Katanga, toutes les deux variantes
étant issues de « Nsanga Lubangu », région
située aux alentours du Lac Kisale et Upemba, dans la province du
Katanga dont le nom fut changé, du temps de Mobutu à "Shaba" pour
être rebaptisée "Katanga" par Laurent Désiré Kabila.
Un groupe a émigré de cette localité pour aller dans la
province du Kasaï. Ici, ils se sont encore séparés, une
branche s'installa tout autour de la rivière Lubulanji pour donner les
Baluba-Lubilanji, et l'autre branche est allée s'installer dans la
région de la rivière Lulua pour donner la variante Baluba-Lulua.
La présente recherche s'est effectuée dans le
cadre de l'espace de cette variante Lulua située dans le territoire de
Demba, qui est au centre même de cette ethnie. C'est un territoire
à vocation agricole, parsemé par plusieurs cours d'eaux dont les
principaux sont Lulua, Lombelu, Muanzangoma, Lubudi, Tshibashi, Tshibungu,
Katusenga. Il est connu sous la dénomination de
« Demba `a Mutombo » et ou
encore « Demba base », car vers les années 1960, ce
territoire était parmi les grands théâtres de guerres
fratricides Luba-Lulua et c'est justement dans ce terroir, plus
précisément dans la localité du nom de
Tshibumbula (exterminateur) actuellement Tshibambula, qu'il y a eu
usage de la flèche magique appelée tshibola (qui
signifie « pourri ou pourriture », est une flèche
qui, une fois lancée pouvait tuer toute personne en contact avec elle ou
avec toute personne touchée par elle). On a pensé que les effets
néfastes de cette flèche magique pouvaient ressembler à
l'épidémie de la fièvre hémorragique d'Ebola que
nous connaissons ces jours.
Cette société Luba a connu un corps de
différents métiers : les chasseurs, les pêcheurs, les
ouvriers, les guerriers, les charpentiers, les agriculteurs, les
éleveurs, les sculpteurs, les ouvriers du métal (cuivre), les
bijoutiers (ornements ou colliers avec les pierres précieuses, couronnes
royales en cuivre serties des diamants et de malachites) et les sages qui
entouraient le Roi pour diriger le royaume, faire le juge, penser à
l'amélioration des aliments et des conditions de vie, la
prospérité du royaume.
De cette stratégie Luba, il est remarquable de
constater que dans le bassin du Congo, toute oeuvre artistique notable, le
peuple travailleur, structuré et à chaque fois capable d'amener
des changements, se retrouve dans cette lignée. Ceci permet de
comprendre l'influence de la civilisation Luba à travers le temps. Nous
trouvons la trace des traditions luba en Angola, en Zambie, en Tanzanie jusque
vers la Namibie.
Vint ensuite le Royaume Lunda au VIème
siècle et le royaume Kongo au VIIème siècle.
Les songye sont les descendants du fils insoumis Songye
à son père, le Roi du peuple originel vivant au bord du Lac
Moéro en Zambie. Pour des raisons de sécurité et de
pérennité, le Roi était chez les luba venu faire
épouser son fils insoumis vers le VIème siècle. Ils sont
originaires du lac Moéro en Zambie. Le mariage s'était fait sur
base d'une alliance entre la royauté luba et celle du Roi Songye pour
écarter ce fils insoumis qui voulait attenter à son père
et mettre de l'ordre sur la succession du côté du Lac
Moéro. Le Roi Songye, par ce mariage, avait atteint deux objectifs :
1° faire l'alliance avec un royaume prospère et
fort afin d'éviter d'être tôt ou tard envahi et
2° protéger son peuple et bénéficier
de la science infuse de ce peuple, Luba.
Pour corroborer l'histoire, le constat de voir combien le
peuple songye, sans tradition finie, essaye de trouver les similitudes avec les
traditions Luba. De fois, ils ont même la prétention de dire que
les traditions Luba, sont songye. Les luba, après le mariage, ont
donné un territoire au fils insoumis accompagné d'un corps de
garde, du côté de Kabinda au Kasaï Oriental. C'est cette
lignée qui donna naissance au peuple communément appelé
Songye du Congo aujourd'hui.
Le commerce de l'esclavage régna avec Tippo-Tippo. Il
venait du Nord en suivant la première route, le fleuve Nil,
jusqu'à sa source au Nord du Congo dans les montagnes. Après
avoir occupé le Nord du bassin du Congo, il se dirigea vers une
deuxième route en suivant la côte de l'océan indien. Il
arriva en Tanzanie, en poursuivant les esclaves dans toute cette région
et l'ayant facilement occupée, il a commencé à remonter
les rivières qui forment les sources du fleuve Congo. Il captura le Roi
des Songye et fit esclave la population. Il commença la conquête
du peuple luba et fit prisonnier les songye du Kasaï. Pour protéger
sa population, le Roi des Songye Lumpungu conclut un accord pour trahir la
couronne luba et permettre à Tippo-Tippo d'en faire des esclaves. Il y a
eu plusieurs fronts dont celui de l'Est menés par Tippo-Tippo
lui-même qui a vu reculer les luba en cédant une partie de
l'actuel Katanga aux guerriers venus de la Tanzanie et de la Zambie. Les
conquêtes de Tippo-Tippo se manifestent par la langue swahili et les
pratiques barbares ou de velléité vis-à-vis de
l'autorité.
Ayant rencontré des résistances au front de
l'Est, Tippo-Tippo attaqua les luba en venant vers le Nord. Il fit prisonniers
les songye et leur Roi Lumpungu. Il avait conclu un accord pour protéger
son peuple et faire des luba des esclaves. Lumpungu fut pendu à
l'arrivée des belges qui ont mis fin à l'esclavage de Tippo-Tippo
après que ce dernier leur ait montré la route et le commerce de
l'ivoire. L'oeuvre fut de Stanley et sauva ainsi les luba de l'extermination et
de différentes guerres.
Leur berceau est le
Katanga, plus
précisément la région du
lac Kisale. Les
Baluba se sont répandus dans presque tout le nord-est du Katanga et le
Sud du Kasaï, formant ainsi différentes ethnies et tribus. Le
premier empire Luba fut fondé vers le XIIIème
siècle par Nkongolo Mwamba. Le deuxième empire
Luba est né d'une sécession entre la lignée de Luluabourg
(Lulua), de Mbuji-Mayi (Luba).
Au
XVIème
siècle l'État qu'ils créèrent, était
organisé en chefferies décentralisées qui
s'étendait de la
rivière
Kasaï au
lac Tanganyika. Les
chefferies recouvrent un petit territoire sans véritable
frontière qui regroupe tout au plus trois villages. Cependant les
différentes chefferies sont liées par le commerce. Leur
système politique et d'organisation influencèrent beaucoup des
peuples qui habitaient tout autour d'eux, qui les adoptèrent.
Les figures marquantes de cette monarchie Luba sont les rois
Kongolo,
Kalala Ilunga (
XVIème
siècle) et leurs successeurs
Kasongo Nyembo et
Kabongo.
Les Baluba se fractionnèrent souvent, donnant naissance
à d'autres tribus dont certains devinrent des ethnies à part
entière, telles les
Baluba
du Kasai, les
Lundas, les Babemba, les
Baholoholo, les Babwari, les Basanze, les
Bavira, sans oublier
les Bagoma, les Bajiji ainsi que les Bafipa dont une grande partie se trouve
maintenant en Tanzanie, etc.
Ainsi le Mwant Yav, empereur
Lunda est né d'un
père luba, et
Moïse
Tshombe, un de ces descendants, est donc aussi d'origine luba.
] Au
XIXème
siècle, les BaLuba du Kasaï ne purent faire face aux assauts
des
Tchokwés, et
Lélés; tandis
que les Baluba du Katanga à ceux des
Yékés.
En 1897,
Léopold
II a rayé les chefferies Luba de la carte et engloba leurs
territoires dans son Etat Indépendant du Congo. Leurs territoires furent
confiés à des compagnies concessionnaires dont La Compagnie
du Kasaï et La compagnie du Katanga.
Auparavant les balubas vénéraient leurs
ancêtres morts résidant au ciel et devant les protéger. Il
y avait également des oracles (lubuku) avec des divinateurs
(bilumbu). Au Kasaï, les prêtres flamands ont
néanmoins transcrit et enseigné le
Tshiluba dans les
écoles à côté du français. Les baluba ne
connaissaient pas la propriété privée, la notion de vendre
un terrain est arrivé avec la colonisation.
1.3. PEUPLE
Une minorité de Baluba vit aussi dans l'Angola voisin,
la colonisation européenne ayant séparé le même
groupe ethnique. En République démocratique du Congo, les Luba
sont la plus grande ethnie (20 % à 25 %) environ 6 000 000 dans le
Kasaï-Occidental, 7 000 000 dans le Kasaï-Oriental, 5 millions dans
le Katanga, 1 million dans le Maniema et au moins 2000 000 à Kinshasa ;
ils sont très peu nombreux en Angola.
Toutefois la notion Baluba est difficile à cerner parce
qu'en parlant des Baluba on fait allusion aux Baluba propres,
c'est-à-dire le peuple luba d'origine, donc avant toutes les
dislocations et migrations. Le plus important à retenir est le
suivant :
- Les Baluba du Katanga (Baluba-Kat ou Baluba Centraux): ce
sont les peuples du coeur du Buluba où est issu tous les autres peuples
Luba et tous ceux qui leur sont reliés. Ils sont situés dans la
région du
Katanga en majorité,
mais il y a quelques de leurs tribus établies dans le Kasaï
Oriental dans le secteur de Baluba Shankadi et Baluba Lubangule. Leur langue
est le
Kiluba
(luba-Kat, luba-Central). Ce sont les peuples fondateurs de l'
empire luba dans la
région du lac Kisale et du Bupemba. A coté de L'
empire Luba il y
avait d'autres chefferies Luba qui purent garder leur autonomie face à
celui-ci, on peut citer les
Bena-Kalunduwe,
le
royaume
de Kinkondja, etc.
- Les Baluba du Kasai (Luba-Lulua, Luba-Kasaï, Bakasai,
ou Baluba Occidentaux) sont les peuples établis dans les vallées
des rivières: Lubilanshi, Lulua jusqu'à l'Est de la
rivière Kasaï et au sud de la Sankuru. Ils situent leur origine
à
Nsanga
Lubangu ou (Nsanga-a-Lubangu) quelque part au Katanga dans la Région
du Lac Kisale et du Bupemba, ils ont émigrés au Kasaï dans
leur emplacement actuel par vagues d'immigrations successives entre les
16ème et 19ème siècles, et c'est ce
qui justifiait leur classification en tribus actuelles. On les trouve au
Nord-Ouest des Baluba du Katanga dans la Région du Kasaï. Leur
langue est le
Tshiluba
(Luba-Kasaï, Luba-lulua, Luba occidental) qui est différente du
Kiluba
parlée par les Baluba-Kat. Contrairement au Baluba du Katanga, les
Baluba du Kasaï n'étaient pas organisés en royaume, leur
système était celui des chefferies indépendantes les unes
des autres avec comme instrument d'union la langue commune à eux tous le
Tshiluba. Les
chefferies étaient basées sur la notion de tribu qui regorgeait
quelques clans en son sein. Quelques tribus Luba-Kasaï : Bakwa-Bowa,
Bakwa-Dishi, Bakwa-Luntu, Bakwa-Ngoshi, Bakwa-Konji, Bajila-Kasanga,
Bakwa-Mulumba, Bakwa-Kalonji, Bakwa-Beya, Bakwa-Biayi, Bena-Mpuka,
Bakwa-Nyambi, Bakwa-Kasanzu, Basangana, Bakwalongo, bakwamulamba nkanga,
etc.
- Les Baluba du Kasaï peuvent encore être
regroupés en trois : Bakwa-Luntu et Bakwa-konji (Baluba du territoire de
Dimbelenge dans le Kasaï Occidental) ; Bena-Lulua (Baluba du
Kasaï occidental à l'exception du territoire de Dimbelenge) qui
furent appelés Bapemba ou Bahemba car dans le tshiluba ancien le
phonème p et h signifiait la même chose et on croit savoir que
cela était dû à la provenance de Upemba ;
Bena-Lubilanji (Baluba Lubilanji ou Baluba du Kasaï oriental) suivant
leurs ascendances et vagues d'immigration. Du côté Lulua, Kalamba
Mukenge tentera de monter une chefferie « Le royaume de
Bashilange » englobant toutes les tribus et clans Lulua vers 1880-90
avec l'appui des premiers européens dans sa région, mais son
autorité n'avait pas était reconnue et acceptée par tous.
Mais néanmoins il avait réussi à passer comme le
représentent de ce groupe Lulua auprès de l'autorité
coloniale.
Après l'indépendance du Congo en 1960, Albert
Kalonji fit sécession du Sud Kasaï et se proclama Mulopwe de Baluba
(Bena-Lubilanji) qui dura jusqu'en 1962.
Ce deuxième groupe est formé surtout des
balubalisés ou peuples qui ont reçu une forte influence des
Baluba, et Bena-Malambo des ethnies qui situent leur origine chez les Baluba.
Tous ces Baluba (1er et 2ème groupes) on les
désignait sous le nom de Bana Ba Ilunga Mbidi (enfants de
Ilunga Mbidi : qui est l'ancêtre commun le plus lointain à eux
tous) ou Bana Ba Muluba, pour éviter la
confusion avec le terme Baluba qui est plutôt restreint.
Afin de mieux localiser le cadre physique ou
géographique de notre recherche, nous avons placé à la fin
de ce chapitre la carte géographique qui représente la province
du Kasaï occidental afin de mieux situé le territoire de Demba
d'où nous avons puisé le plus d'informations culturelles
contenues dans ce travail.
Ref : fr.weather.forecast.com /locations/Demba
CHAPITRE DEUXIEME : COUTUMES
DES BALUBA DU KASAI : CONSEQUENCES ET THERAPIES LIEES AUX
VIOLATIONS.
2.0. Introduction
Ce chapitre expose les coutumes luba du Kasaï,
présente les conséquences auxquelles on s'expose, ainsi que les
pratiques thérapeutiques telles qu'elles sont connues dans cette
culture. Nous devons souligner à ce stade que beaucoup de choses sont
actuellement négligées surtout dans les milieux urbains, mais
cela ne dilue en rien l'efficacité de ces traditions. Aussi devrons-nous
indiquer que ces pratiques sont innombrables et nous ne saurions les
décrire toutes. Néanmoins, nous allons présenter les
pratiques qui peuvent aider à comprendre la façon dont les baluba
du Kasaï procèdent pour régler les problèmes que nous
pouvons considérer comme pathologiques et susceptibles de corroborer les
psychothérapies classiques. Les pratiques que nous évoquons dans
ce travail tirent leurs sources de nos lectures de quelques documents
écrits disponibles, des entretiens que nous avons eus avec les vieux du
village et de notre propre expérience sur terrain où nous avons
vécu durant toute notre enfance et adolescence.
Au cours de ce chapitre, nous allons
présenter :
1. les grands traits de la culture luba
2. les normes culturelles et leurs applications ;
3. les conséquences (mikiya) des violations
ou les sacrilèges (bibindi) liés aux normes et les
sanctions sociales (tshibawu) qui en résultent ;
4. la thérapie et le sens de la maladie chez les
baluba et enfin ;
5. le tableau synoptique de quelques préceptes de
coutumes luba, leurs violations, les conséquences et les
thérapies y afférentes.
Nous faisons cette recherche en ayant à l'esprit les
recommandations de Dasen (1993, p.161) qui
dit : « Pour le psychologue clinicien, il est important
de se rendre compte qu'il y a dans différentes cultures, des conceptions
différentes du normal et du pathologique, de la maladie et de la
santé, du public et du privé, du laïque et du
sacré ; ces conceptions sont en général
cohérentes avec l'ensemble du système culturel, et vont de pair
avec les coutumes et les conventions qu'il est bon de connaitre et de respecter
si on veut assurer une communication interculturelle
efficace ».
2.1. Les grands traits (les
préceptes) de la culture luba
La coutume ou la culture luba établit des règles
de la vie dans leur société, les valeurs socioculturelles et
leurs croyances. Les valeurs ancestrales sont exprimées à travers
les grands traits à savoir : les arts, le mariage/naissance, la
mort et la spiritualité.
2.1.1. Arts
Les sculptures luba représentent souvent des femmes
porteuses de coupe ou femme venant d'accoucher, par exemple -, ce qui
reflète l'importance qui leur est accordée au sein de la
société. Le prestige de l'empire luba explique aussi les nombreux
objets exaltant sa puissance : sceptres porte-flèches, sabres,
sièges à
caryatides ou tambours de
cérémonies. S'y ajoutent nombre d'
amulettes,
de vases et de masques (masque-heaume ou masque-cloche). Malgré
l'hiératisme de certaines figures, les angles sont
généralement adoucis, le bois est sombre et poli.
On ne peut parler de l'art luba sans mentionner le folklore.
La culture luba est réputée pour son ingéniosité
dans la musique et la danse. La chanson luba reconnu sous l'appellation de
kasala/kalala nsambu qui signifie poésie a fait bouger toutes
les sensibilités sonores que cela soit dans la musique populaire ou dans
la musique chrétienne. La danse mutuashi fait trémousser
tout le monde y compris les non luba même s'ils ne comprennent pas les
paroles chantées. Il est arrivé que même dans la rumba
congolaise, pour avoir du succès il faut y insérer un bout de
phrase luba.
Tout muluba même dans un pays étranger,
dès qu'il entend jouer une musique luba ressent de la nostalgie. De
même, on dirait que la danse luba est dans le sang. Chaque enfant luba
nait avec la danse mutuashi. Ceci démontre comment la culture luba se
transmet de génération en génération, comme une
énergie psychodynamique.
2.1.2. Mariage et naissance
a. Mariage
Le mariage (Dibaka) est un événement
très important chez les baluba. Quand un jeune adolescent arrive
à se construire une cabane, va à la chasse, les parents disent
« Kakuasa lungenyi, kakusua
kubaka », ce qui veut dire il a de la sagesse et il veut
se marier ». Aussi, on conseille au prétendant que
« dibaka nkambele wasungula kadi
kakole et dibaka nkasaka kambuile
muena menji, kambuile kapumbe
kitshikila », ce qui signifie le mariage comme l'arachide,
il faut choisir celle qui est bien mûre et que le mariage est comme un
panier qui peut être transporté par un homme intelligent,
transporté par un faible cela peut tomber.
Katanga (1969) parlant de l'âge de l'initiation au
mariage souligne : « le jeune homme n'est plus
seulement un curieux. Il devient un sujet agissant. Ce n'est plus seulement ce
qu'on lui raconte qui l'intéresse. Il sent qu'il est déjà
suffisamment mûr pour fonder aussi un foyer, pour avoir aussi une femme
et des enfants... En effet l'éducation d'un jeune luba n'est pas encore
achevée. Même pendant le mariage, son éducation continue...
c'est le chez-soi et un chez-soi stable et honorable qui confère au
jeune le droit de faire partie de la société des adultes.
Quand des jeunes couples souhaitent se marier, le futur
époux demande l'avis de ses parents qui lui remettent symboliquement une
somme d'argent comme droit de la parole que la fille présentera à
ses parents pour annoncer qu'il y a un garçon qui a porté le
regard sur elle et une fois que les parents de la fille aient accepté la
demande, le garçon se présentera avec sa famille, en
délégation avec un proche (appelé tshibanji
buku) pour la cérémonie de pré-dot,
c'est-à-dire, une fois la cérémonie terminée, la
poudre sera versée sur la fille qui devient alors
propriété privée du garçon et la famille ne pourra
plus prendre la dot de quelqu'un d'autre.
Signalons un trait important qui résulte de l'union
conjugale, c'est le respect mutuel. Les deux conjoints se promettent de ne
jamais affronter leurs parents, mais de les respecter. Les beaux parents sont
sacrés.
Notons que de nos jours, beaucoup de familles ne respectent
plus à la lettre les prescrits de la dot et même du mariage. Les
jeunes se marient selon leur gré sans même faire un recours aux
parents. Certains exagèrent, mais d'autres s'en tiennent à la
tradition.
Puis, il doit amener de la boisson et la nourriture pour que
les parents de la fille puissent manger et lui demander la dot. La famille de
la mariée demande ensuite une dot comprenant :
· Des biens pour la mère (ou la
tutrice)
o un ou deux pagnes de premier choix ou son équivalent
en argent,
o une chemise,
o une paire de chaussures,
o un mouchoir de tête,
o une grande casserole pouvant convenir une grande famille,
o une somme d'argent pour couture du pagne en un modèle
Africain d'habillement du moment,
o une couverture de lit,
o un bidon d'huile de cuisine de 20 litres,
o un sac de sel de cuisine de 50 kg.
· Des biens pour le père (ou le
tuteur)
o un costume ou son équivalent en argent,
o une chemise,
o une paire de chaussures homme,
o une cravate,
o une somme d'argent en remplacement d'un bien traditionnel
(comme une arme de chasse par exemple),
· Une somme d'argent suffisante pour financer :
o un poids éducationnel symbolique,
· les cérémonies des cuisines (cuisine
pour le gendre).
· Pas de feu pour le garçon pour lui souhaiter la
bienvenue dans la famille de la fille et lui permettre de manger tout ce qu'il
trouvera dans la maison en tant que fils de la maison.
Autrefois, la conception du mariage pour les Luba était
moins matérialiste qu'elle ne l'est aujourd'hui. Les futurs
mariés étaient préparés à la vie conjugale
et sur la gestion de leur famille retreinte.
Dans cette société, le fruit du mariage
était d'abord la progéniture. Une femme qui n'arrivait pas
à avoir des enfants une année après le mariage avait des
comptes à rendre à la belle famille. Cela pouvait conduire soit
au divorce, soit à la polygamie.
Somme toute, le mariage chez le peuple luba reste un lien
sacré. L'infidélité de l'homme ou de la femme était
sanctionné soit par le nsangu (c'est une scène par lequel
l'homme qui a connu l'infidélité reconnait cela avant de voir son
nouveau né) si c'est l'homme le coupable, soit par le lududu
(kudula lududu, c'est ôter les habits, cela se fait pour une femme qui a
reconnu d'avoir commis l'adultère, on doit lui ôter les habits en
public et on crie sur elle afin d'annihiler l'infidélité) si
c'est un cas d'adultère de la femme.
b. Naissance d'un
Nouveau-né.
Chez les baluba, les enfants sont une richesse. Ne pas avoir
des enfants est considéré chez les baluba comme une
malédiction. A l'enterrement d'une personne qui n'a pas eu d'enfants
(appelé nkumba pour une femme inféconde et
mutungu pour un homme impuissant) on jette le charbon de bois dans la
tombe comme pour dire qu'il parte avec sa malédiction. Et par contre une
femme qui est restée longtemps sans concevoir, une fois qu'elle arrive
à mettre au monde un enfant c'est la joie et l'on
chante : « nkumba kalelalela
lelu wakukulela », ce veut dire la stérile
est devenue féconde aujourd'hui.
L'enfant représente la continuité, le pouvoir et
la progéniture et une anecdote dit : « kabondo
ka muana dipanda ; bakulela walela biebe = un palmier enfant d'un
palmier, enfante comme tu as été enfanté
aussi ». Mais toutefois, les baluba reconnaissent que les enfants
sont un don de Dieu, donc nul ne peut s'en faire car la venue d'un enfant ne
dépend que de Dieu seul. Et on dit ; « Kulela kakuena
ku makanda, anu Nzambi wa kulu wa kuela lupemba = mettre au
monde cela ne se force pas, seul Dieu peut donner un feu vert ». Ici
le mot lupemba est une argile blanche que les femmes enceintes mangent
souvent pour arrêter de vomir. Lupemba est une matière
très utilisée dans la pratique thérapeutique luba. Elle
signifie bénédiction ou feu vert. Nous allons donner amples
détails dans le chapitre suivant sur l'usage de lupemba et tant
d'autres produits.
Dans sa thèse de doctorat en psychologie, Kamanga Mbuyi
Timothée (2001, p.130), dit ceci de la naissance d'un enfant ou de
l'accouchement chez les baluba : « Evénement majeur de la
vie familiale, l'accouchement est comme, les funérailles, l'occasion
privilégiée où s'expriment les rapports d'alliance aussi
bien que des tensions existant entre époux et les lignages qui se
trouvent alliés par leur intermédiaire. C'est l'alliance et la
continuité de la chaine de filiation qui fondent la vie sociale, mais
comme l'épouse et future mère est l'agent de la mise au monde
d'un membre du groupe, il n'est pas fortuit qu'elle soit tenue pour principale
responsable des aléas de l'accouchement ;». Ceci
démontre l'importance de l'accouchement ou de la naissance d'un
nouveau-né dans une famille.
Signalons aussi qu'autant l'enfant a une grande valeur autant
la femme enceinte est très respectée et protégée.
Chez les baluba quand une femme est enceinte, surtout dans les cas des jeunes
mariés, la belle mère vient rester avec sa bru jusqu'à
l'accouchement. Quand une femme est enceinte on la considère comme
quelqu'un qui est monté sur un arbre (mukaji udi kulu
kule = la femme est en haut).
2.1.3. Mort
Les baluba considèrent la mort comme le grand chagrin
qui puisse arriver dans la vie d'une famille. A l'issue d'un
décès, les membres de la famille fondent tous en larmes et celui
qui ne pleure ou ne coule des larmes est qualifié de sorcier ou
soupçonné d'être à la base de la mort que l'on
déplore.
Cette conception nous montre comment les baluba même
s'ils reconnaissent que la mort existe et que ses causes peuvent être
naturelles (maladie, accident, vieillesse, etc.), ils croient fermement
à un bouc émissaire qui serait derrière tout
décès, surtout celui qui survient au jeune âge. Il faut
absolument rechercher les causes ailleurs. Ils croient que Dieu qui a
donné la vie à tous ne peut en aucun cas tuer. D'où le
proverbe « wa Mvidi kafuafua, ufuafua ngua muloji ne bampakamanga
anyi bakina-bantu » pour dure que celui qui appartient à
Dieu ne meurt pas, celui qui meurt appartient aux sorciers et les
féticheurs ou les jaloux/envieux ». C'est ainsi que certaines
personnes vont jusqu'à faire des fétiches pour les rendre
invulnérables à toute mort des mains des hommes. Cette pratique
défie les ancêtres et le pratiquant finit toujours par connaitre
des conséquences fâcheuses, car ces fétiches ont des
limites.
Voilà pourquoi le deuil apporte un grand chagrin dans
les familles luba et il comporte plusieurs rituels. Le deuil est empreint des
pleurs, fait des paroles susceptibles de toucher la sensibilité du coeur
de l'assistance. Sauf pour les Chefs coutumiers, les pleurs sont
prohibés et le deuil est parfois retardé et l'enterrement se fait
en cachette.
Il est de coutume qu'après la mort d'un conjoint, le
veuf ou la veuve est tenu de porter la charge mortuaire (lufuila). On croit que
le défunt qui vient de mourir n'est pas parti, il s'attache à son
conjoint vivant qui doit observer une longue période de quarantaine avec
des habits sales (généralement de couleur noir) jusqu'au jour de
la fin de cette procédure appelée mpidi. Le conjoint
porte aussi en dessous une cache-culotte appelée Mukaya (Kukota
mukaya/ kukuata lufuila = porte la charge mortuaire). La fin de
cette procédure s'accompagne d'une grande fête au cours de
laquelle le veuf ou la veuve va faire ou simuler les premiers rapports sexuels
(Kudula mpidi qui signifie ôter la charge mortuaire) avec un membre de la
famille du défunt, généralement le jeune frère et
faire une sorte de défilé avec ses plusieurs nouveaux habits
accumulé pendant toute la période de mpidi. Cette
cérémonie est très importante dans la culture car elle
constitue une purification et une bénédiction pour ouvrir la voix
au veuf ou à la veuve de se remarier. Ici il existe une autre
cérémonie spéciale pour l'héritage
(bumpianyi), si la veuve doit être héritée par un
des frères du défunt.
Une autre scène qui montre l'attachement aux parents
décédés est la nourriture que l'on apporte aux morts.
Généralement, c'est un poulet (nzolo wa
bakishi) qu'on prépare et que l'on va déposer soit aux
cimetières soit à la bifurcation des chemins. Si le lendemain on
rentre trouver que la nourriture n'y est plus, alors on croit que les morts
sont venus les consommer. Toutefois, le nzolo wa
bakishi peut être préparé aussi dans les
circonstances thérapeutiques où l'on évoque l'intervention
des ancêtres ou des morts pour la réparation d'une grave faute
ayant engendré des conséquences à travers la famille et
même des générations (Mukiya).
Notons de nos jours, que la plupart de ces
cérémonies sont de plus en plus négligées et
même oubliées dans plusieurs milieux luba.
Par ailleurs le deuil chez les baluba suit pratiquement le
processus du deuil psychologique tel qu'énoncé par Freud(1976)
dans « Deuil et Mélancolie » et analysé
par Isabelle Delisle (1987) dans « Survivre au deuil ». Ces
auteurs par du deuil psychologique comme étant un processus
intrapsychique consécutif à une perte d'un objet d'attachement ou
d'un être cher.
2.1.4. Spiritualité
Le peuple luba croit en Dieu Créateur appelé
Mvidi Mukulu connu également sous plusieurs d'autres noms Nzambi,
Mulopo, Maweja, Kafukila Mwena bantu, etc. Les baluba reconnaissent que Mvidi
Mukulu est le Dieu Suprême de qui proviennent toutes les puissances. On
reconnait aussi que ce Dieu est Omnipotent, Omniscient et Omniprésent.
C'est ainsi qu'on l'appelle, par exemple, Tshipapayi upapa ne mitshi ya
muitu qui signifie le donneur qui donne même aux arbres de la foret,
Lupensu mesu mu nsona monso mumba Lupensu yeye mumanye qui veut dire
Lupensu (cancrelats) qui a des yeux partout même dans la chaume
et tout ce que tu prétends dire lui le sait d'avance. Et tant d'autres
noms pour exprimer la puissance de Dieu.
Mais aussi le peuple luba croit aux ancêtres
(bankambua aussi appelés
bakishi). Les baluba reconnaissent que ceux qui sont
mort ne sont jamais partis loin. Ils sont proches pour leur venir en aide
chaque fois que de besoin. A ce stade, signalons que les baluba croient
également aux esprits qui ne sont pas des hommes qui ont vécus
avec nous. On les considère comme des dieux ou des puissances
surnaturelles capables de maintenir un individu en vie le plus longtemps
possible et parfois même le détourner des pouvoirs des
ancêtres. Pour différencier ces esprits des ancêtres morts
en tshiluba on parle de mukishi au singulier et mikishi au
pluriel donc du rang Mu-MI des choses ou des abstraits, tandis que
pour les ancêtres mort on des mukishi au singulier et
bakishi au pluriel donc du rang Mu-BA des hommes.
A chaque enterrement, par exemple, les baluba essaient de
parler au mort (kumuela lusanzu qui signifie faire une invocation
ou une communication spéciale), lui demandant de faire voir
(découvrir, démontrer) lui-même l'origine de sa mort par
des actions concrètes, notamment en frappant mortellement ceux qui l'on
précipité dans la tombe.
Cette société maintient le rapport avec les
esprits et les morts et utilise les mediums (bena mikendi) ou
les devins (bena mbuku) ou des divinatrices (bilumbu
ou mua mulopo). Nous allons entrer en profondeur de ces
pratiques qui sont classées parmi les pratiques thérapeutiques
luba au 2.3 de ce chapitre qui expliquent les therapies.
Le peuple luba croit également au pouvoir magique ou
fétichiste. Il utilise le fétiche pour se protéger contre
les esprits maléfiques, mais également pour obtenir de la
guérison spirituelle. Il est vrai qu'avec la venue du christianisme
beaucoup de baluba ont abandonné leurs fétiches bon ou mauvais.
Les fétiches bons sont ceux qui contribuent à la protection,
à la guérison tandis que les fétiches mauvais sont ceux
qui concourt à la domination des autres, à sacrifier les autres,
bref à la destruction. Il y a de fétiches comme des plantes
guérisseuses et d'autres comme amulettes de protections. Les baluba
croient que les féticheurs ont un pouvoir et une grande capacité
de nuisance. C'est comme la foudre (nkuba/kansonda), il s'agit de
fétiche que l'on utilise pour réprimer les malfaiteurs. La foudre
est souvent associée à la pluie.
Mais il s'agit dans la plupart des cas d'une pluie
torrentielle de courte durée et pleine de tonnerres. Cette pluie
s'arrête juste après que la foudre a atteint l'objectif. Mais dans
le cas de kansonda, on n'a pas besoin de la pluie pour agir.
2.2. Les normes culturelles
Luba et leurs applications
Au premier chapitre, nous avons effleuré que le peuple
luba est très attaché aux coutumes et à la famille. Ces
coutumes regorgent beaucoup d'interdits et/ou sacrilèges. Ceci constitue
un code de bonne conduite culturelle et morale. La violation, la transgression
ou la non observance de ces normes coutumières est passible des
pénalités sociales (Tshibawu). Nous allons
décrire les faits saillants de cette société conduisant
à des sanctions culturelles qui peuvent se manifester sous forme de
maladies psychosomatiques. Tous ces faits lorsqu'ils sont commis au sein d'une
même famille, se regroupent autour d'un terme générique
« Tshibindi ». Les faits sociaux rapportés
ci-après, en rapport avec le tshibindi ont connu l'apport
précieux de Benjamin Ngulungu Tshinyenye (1990).
Comme nous l'avons souligné, la culture luba s'articule
autour de la famille, du clan, de la tribu, jusqu'à atteindre l'ethnie.
Les prescriptions orales qui passent de bouche à oreille, de père
en fils et de mère en fille relève de la discipline et le respect
de la hiérarchie et d'autrui. Les sanctions qui surviennent de
l'indiscipline ou le non respect relèvent de la
désobéissance à Dieu et aux ancêtres ou aux anciens
qui les représentent parmi les vivants.
La tradition ou la coutume établit les règles
pour une vie harmonieuse entre les gens de même lignage, de même
échelon ou de même alliance. Ces règles s'articulent autour
des totems et tabous.
Il s'agit des normes que les ancêtres ont
imposées afin d'avoir une vie harmonieuse et une conduite
irréprochable au sein de la famille stable.
Notons que face à toutes ces situations d'impasse,
l'agent causal de toutes ces sanctions, tel que Fartunat Mukendi (2003) le
répète, n'est pas à rechercher de façon
médicale, tant et si bien qu'il ne s'agit pas de ce qu'un médecin
légiste peut repérer. Les membres de la famille s'en rendent
seulement compte après introspection, si un devin ou vieil homme vient
le leur révéler. C'est là que le psychologue clinicien
trouve sa place de choix dans l'intervention au sein de notre
société.
Les parents sont considérés chez les baluba
comme des dieux sur terre. On leur doit respect et obéissance à
tous égards. On ne peut pas découvrir la nudité des
parents, ni avoir les relations intimes (sexualité) avec son père
ou sa mère. On ne doit pas injurier les parents, leur parler avec
grossièreté ni arrogance. Pour traduire le fait que les parents
ou les anciens les plus sages et que l'on doit rester à leur
écoute, un proverbe luba « makaya kaatu atamba nshingu,
muana mulela katu watamba shandi » ce qui signifie
« les épaules ne dépassent jamais le niveau du coup
comme un enfant ne peut dépasser son père ». Bref, les
enfants ne doivent en aucun cas défier les parents.
Il découle de ce respect et de cette discipline que
toute indiscipline ou toute désobéissance signifie une violation
aux préceptes coutumiers et sont passibles des sanctions
sévères allant des troubles de comportement mineur à la
mort, en passant par plusieurs formes de malédictions (milau ou
mitshipu) qui peuvent aussi se manifester par des maladies somatiques,
psychiques ou la combinaison de deux à la fois. Si les
conséquences de ces violations ne sont pas diagnostiquées
rapidement, il y a risque que cela se répande à travers plusieurs
générations et on parle de mukiya (ou mikiya au
pluriel) qui veut dire qu'il y a contentieux.
Le respect des parents s'étend également
à tous ceux qui ont leur rang soit par alliance (comme les
beaux-parents), soit par leur âge (ceci inclut les vieillards ou les
personnes de troisième âge).
La coutume luba réglemente les relations entre les
enfants ou les personnes ayant des liens de consanguinité. Il est
formellement interdit aux enfants de même famille de se marier, d'avoir
des rapports intimes (sexualité) entre eux, de partager les mêmes
conjoints, d'avoir des querelles qui vont jusqu'à faire des parjures
(nshiya).
Nous allons décrire quelques concepts saillants de la
tradition luba ayant des conséquences génériques.
2.2.1.
Inceste/Adultère.
La société traditionnelle Luba règlemente
la vie de famille et de couple comme suit :
· dans un foyer, une femme mariée ne peut ni
coucher avec un autre homme en dehors de son mari ni recevoir des cadeaux d'un
ex-fiancé/amant. Elle ne peut en aucune façon exposer sa
nudité devant les membres de sa belle famille. Il s'agit d'un
problème de conscience et les conséquences sont multiples. Cet
acte peut conduire à la mort de la femme lors d'accouchement, il peut
bloquer l'accouchement, il peut conduire à l'infécondité
de la femme, cela peut entrainer la mort du mari ou des enfants. Dans d'autres
cas, la femme peut arriver à mettre au monde un bébé
monstrueux.
· L'homme ne devrait pas coucher avec une autre femme sur
son lit conjugal, que son épouse soit présente ou absente. Cet
acte est préjudiciable à tout son foyer, c'est-à-dire il
peut causer la mort de son épouse ou de ses enfants qu'il aura à
engendrer de ce lit souillé avec une autre femme. Le lit conjugal est
considéré comme sacré.
· Par respect des liens familiaux, l'homme ne devrait pas
avoir des rapports intimes avec sa belle soeur et vice versa. Signalons ici que
ceci n'est pas à confondre avec l'héritage ou le rite
d'héritage (bumpianyi) qui est un acte réglementé
avec des conditions d'application bien précises et qui intervient
après la mort d'un des conjoints. Et même en matière
d'héritage, il est impérieux de suivre les règles d'usage
afin d'éviter les litiges (mikiya).
· La femme ne devrait en aucune circonstance frapper son
mari. C'est un sacrilège. Une femme qui se donne à une telle
pratique est exposée à des sanctions sociales de la part de
membres de sa belle famille. Ceci en vertu du principe que l'homme est le chef
de la famille. La femme, quelle que soit sa grande taille par rapport à
son mari, lui doit obéissance et soumission. Il y a un proverbe qui dit
à ce propos que « kalume kabaka mukaji » ce
qui se traduit par « un homme si petit de taille soit-il
épouse une femme », et non le contraire.
· La désertion du toit conjugal par une femme
mariée, à l'issue d'une dispute, est une contravention aux
coutumes si celle-ci est allée se refugier en dehors de la famille de
son mari. Il est à noter que plusieurs considérations sont mises
en jeu. Peut- être elle peut avoir eu des visites de ses
ex-fiancés ou prétendants, elle peut s'exposer à des
nouveaux prétendants etc. Alors si après conseils de ses parents,
elle décide de regagner son foyer, le conseil familial devrait se
réunir pour examiner le cas. Et dans l'entretemps, le soir, c'est tout
le quartier que va crier sur elle en disant « wakupanga
mbuji » ce qui veut dire elle a manqué la chèvre,
car pour réparer elle devrait payer des amendes auprès des ses
belles soeurs qui varient entre l'argent et la chèvre selon le cas et
lors de la cérémonie publique on chante « X wakaya
kuabo kabamulonda, x wakalua muele mabele mulu » ce qui
signifie « X était partie chez elle et on ne l'a jamais
suivie, X est revenue seule avec ses seins en l'air. »
· Les parents devraient respecter leur lignage par
rapport aux enfants. Un père ne devrait jamais avoir des relations
intimes avec une fille du rang de ses enfants, de même pour la
mère, c'est une perversion et une faute grave. Ceci s'applique aussi aux
enfants entre eux. Agir ainsi, c'est briser le lien de sang. C'est incestueux.
Les conséquences sont mortelles. C'est pourquoi on conseille aux enfants
majeurs de ne pas jouer avec leurs mères et leurs soeurs surtout les
jeux de mains. Un proverbe dit : « seketela wakabaka
nyinandi » cela veut dire : « Seketela a fini par
coucher avec sa mère. »
· Comme nous venions de le dire plus haut, la chambre des
parents est sacrée. Les enfants ne devraient coucher avec leurs femmes
dans les chambres des parents.
· Deux frères devraient éviter de sortir
avec une même femme. La femme est réservée à un seul
homme. Donc deux frères ne peuvent en aucun cas partager le lit avec une
même femme. C'est comme se lier au même destin. Un proverbe luba
dit : « mukaji nkaseba ka kabunji, batu bakasomba kudi
muntu umue » ce qui veut dire « la femme est comme
une peau de renard, seul un homme convient de s'y asseoir. »
· Les parents sont considérés comme des
représentants de Dieu Créateur sur terre. Les enfants leur
doivent du respect tout azimut. Le manque de respect aux personnes du rang des
parents est un sacrilège et sanctionné par la tradition luba. De
ce fait, un enfant ne peut se permettre de frapper ni injurier un parent. Ceci
apporte une malédiction.
· Le comportement sexuel indiscipliné des parents
peuvent avoir une incidence pathologique sur le couple et sur les enfants. A ce
propos, Fortunat Mukendi (2003, 91) dit : « Si
l'adultère est sanctionné par des peines allant des amendes aux
humiliations, voire même la mort en passant par le divorce chez les
baluba du Kasaï, la non observance de certains codes de conduite
communautaire entraine des malaises physiques soit chez l'enfant, soit chez la
mère, soit encore chez son père. La guérison de ces
malaises requiert des cérémonies
appropriées ». On parle alors de nsanga.
Nsanga est à la fois la conséquence de l'indiscipline
sexuelle du père ou de la mère et aussi la pratique ou la
technique thérapeutique employée pour guérir de ces
conséquences. Le diagnostic chez l'enfant se manifeste par soit le refus
du bébé de sortir du ventre de sa mère (blocage de
l'accouchement), soit l'enfant naît mais n'augmente pas du poids, soit
l'enfant tarde à marcher, soit l'enfant fait une forte diarrhée
et un certain étourdissement.
2.2.2. Viol.
La culture Luba réprime le viol, surtout celui sur
mineur. Quand une jeune fille a été violée, le fauteur
doit payer des amendes considérables à la famille de la fille.
C'est tout le village qui est mis au courant de cet acte ignominieux et on crie
sur la fille surtout si celle-ci vient de perdre sa virginité. On parle
souvent d'abus de la fille (kunyanga muana wa bakaji) mais aussi on
dit qu'elle vient de connaitre le sixième commandement (diyi
disambombo), ici l'on fait référence au sixième
commandement biblique qui dit « tu ne commettras point
d'adultère ». Cette scène affecte négativement
le psychisme de la fille et ses conséquences sont l'isolement, le rejet
des hommes, le refus de se marier, l'infécondité, etc.
Il y a dans la société luba des cas de viol par
défi. Cela arrive souvent aux filles qui se croient plus belles du
village ou de la contrée et qui défient tous les garçons.
Les garçons complotent souvent pour les trouver sur le chemin de la
rivière ou dans un coin reculé pour les violer. D'autres jeunes
gens promettent aux filles qu'elles vont être violées. Et une
expression vulgaire dans ces milieux dit : lekela kumpotela,
panakupeta ku kasuku ka kulayi numona munakuenza = cesse de
m'importuner, si je t'attrape aux brouissons du coté des rails tu verras
ce que je ferai de toi ».
2.2.3. Parjures (nshiya, milau,
mitshipu,)
La parole prononcée a une force extraordinaire. Chez
les baluba, on conseille toujours de contrôler sa langue, car la langue
peut tuer ou provoquer la mort. C'est ainsi qu'en cas des querelles entre
frères/soeurs, les ancêtres luba disaient :
« matandu nkumoyo kuenda, tshinji ntdhilunguishi »
qui signifie « on peut bien se quereller, mais pas garder la
haine » ; Ceci pour demander aux frères/soeurs qui
se disputent de banaliser et se réconcilier vite et non garder la
rancoeur. Puisque sous l'effet de la colère, on peut prononcer des
paroles méchantes pouvant provoquer les litiges sociaux
(mikiya), on peut être amené à prononcer des
parjures qui auront des conséquences dans le futur. Ces paroles peuvent
être du genre, « désormais toi et moi on ne mangera
jamais ensemble », ou « qu'on ne se verra que dans la
tombe » et en tshiluba il y a des expressions semblables telles que
« bua kudia nebe nku ngulube », ou encore
« kuetu nebe nku bajangi ». Ces paroles
créent une séparation entre frères/soeurs et c'est ce
qu'on appelée nshiya. Ses répercutions sont lointaines,
parfois dans les générations futures quand les promoteurs de ce
précédent sont déjà morts et les victimes sont
parfois des innocents comme pour paraphraser Jean de la Fontaine dans
le loup et l'agneau où le loup dit que si ce n'est pas toi qui a
troublé mon breuvage, c'est donc toi ou quelqu'un des tiens.
Pour prévenir cette situation malheureuse et fatale,
il y a un proverbe qui dit : « nsamba utu wibaka padi
tshitata, muena mupongo utu ulowa padi diyoyo = nsamba (une
sorte de souris) construit dans les marais, le sorcier jette le sort
là où il y a des querelles », ou encore,
« tupalowela tshinyi, kapayi matandu, kapayi
nshiya = pourquoi doit- on y ensorceler, car il n'y a ni
querelles ni conflits. » Il y a également d'autres
variantes de ces mêmes conseils en guise de leçons à
tirer : « talala ngudi tulu/ walala ne nzala kuladi ne
muanda = le calme favorise le sommeil, dors affamé, mais ne dors
pas avec des problèmes ».
En ce qui concerne le mulawu (au pluriel
Milawu) ou mutshipu (pluriel mitshipu) il s'agit d'une
parole chargée de malédiction. Elle est prononcée par une
personne qui a le pouvoir sur l'autre. Cette personne peut être un parent
ou un chef. La parole de mulawu ou mutshipu est
accompagnée d'une scène comme par exemple, une maman qui veut
maudire son enfant qui lui a manqué du respect peut dire
« wewe, anu meme tshiyi mukunuishe mabele anyi aa,
neumone... = toi, sauf si tu n'as pas tété mes
seins ici, tu verras... », la mère prononce ses paroles
en tenant ou en secouant ses seins. Cet acte va à tout prix avoir des
répercutions graves sur ce délinquant s'il ne se ressaisit pas et
ne vient s'agenouiller devant sa mère. Il arrive que l'on oublie ces
genres de disputes et c'est seulement plus tard quand il y a des effets
néfastes que l'on arrive à diagnostiquer qu'il existe des
précédents entre cet enfant et sa mère ou son
père.
2.2.4. Jalousie
(mukau/mutshiaudi)
Dans la culture luba, certaines personnes peuvent jeter un
mauvais sort aux enfants ou à un frère, juste par jalousie. Cela
survient quand deux frères ont des enfants, ceux de l'un des
frères prospèrent (étudient normalement, trouvent du
travail et aident leurs parents), celui dont les enfants sont fainéants
qualifie son frère ou son voisin de « wa
diese » pour « le béni », mais cette
parole est péjorative. Elle cache l'intention de vouloir nuire. C'est
ainsi qu'on dit « ka diese ka muabi, ka kafua
nansha = le béni qui peut même mourir ».
Cette jalousie amène les frères à user soit des
fétiches, soit de la sorcellerie pour jeter les mauvais sorts sur les
autres et voir l'autre frère souffrir aussi. Signalons ici parlant de
la sorcellerie et des fétiches que ces pouvoirs magiques ou
mystérieux peuvent être utilisés négativement ou
positivement. Dans le cas des Chefs coutumiers, par exemple, ils sont
dotés d'un pouvoir de guérison ou de protection de tout le
village ou de toute l'entité sous leur responsabilité
(mupongo wa kulama nawu bantu). Leur sorcellerie ou leur
fétiche concourent au bien être de leur population. Ce qui est
différent de ce pouvoir de destruction dont disposent certains membres
de famille au détriment de leurs frères.
2.2.5. Fétiches
Martin Kalulambi Pongo (1997, P.85), dit que dans tous les
pays des Noirs, existent des fétiches, des mânes, de la divination
(...) ceux qui les pratiquent disent : c'est mieux que je munisse d'un
fétiche pour être fort, pour protéger ma maison, afin que
je n'aie pas de maladie, que je ne meurs pas, que je vive éternellement
ici-bas... Mais selon Tshibasu Mfuadi (2004, pp 218-219), on peut traduire
buanga ou manga par médicaments ou fétiches suivant que
le contexte de son utilisateur. Buanga est un médicament quand
il est utilisé pour mettre fin à une ou plusieurs maladies.
C'est un fétiche quand il est destiné à atteindre un
objectif bénéfique ou maléfique pour son possesseur. Par
ailleurs, notons que le traitement de certaines maladies nécessite
l'intervention de quelques fétiches ; il s'agit surtout des
maladies dont l'origine est supposée surnaturelle. Il est important dans
ce cas de trouver une force capable de neutraliser la force vectrice de la
maladie. Ce genre des fétiches et tant d'autres destinés à
faire du bien, à rendre des services aux autres, sont
tolérés par la société baluba qui rejette des
fétiches, sources des malheurs, capables de mettre fin à la vie
des autres ou de jeter sur eux un mauvais sort.
2.3. Les
conséquences de violations de coutumes luba
Les violations des coutumes chez les baluba ont des
conséquences graves selon le degré de parenté et de l'acte
posé. Disons que ces conséquences sont liées soit à
la violation directe des normes culturelles ou coutumières, soit
à la soustraction ou l'usurpation des celles-ci en brisant l'alliance
avec les ancêtres et en se frayant son propre chemin.
Parlant de la transgression des coutumes, Fortunat Mukendi
(2003) dit, par exemple, ceci à propos de
mariage : « la transgression portant sur des
échanges des tributs en matières de dot ou le non respect de la
filière normale dans les offrandes de dot est lourd de
conséquences (mukiya) dans toute famille Luba-Kasaï où la
ramification est fonction des mariages d'émanation masculine ou
patrilinéaire. Dans certains cas, ajoute-t-il, on est
arrivé à la stérilité des femmes dont la dot n'a
pas suivi le circuit normal. Dans d'autres cas, c'est la mort tout simplement
qui emporte le fautif, surtout si sa contravention était
perpétrée délibérément par esprit de
cupidité. Les autres cas de malheurs tels que les maladies, le
chômage ou la faillite chronique des entreprises tirent leur origine,
très souvent, de l'indiscipline en matière d'affectation de
dot.»
Les conséquences de violations de coutumes chez les
baluba sont caractérisées par la sanction sociale appelée
Tshibawu. Le tshibawu qui est le prix à payer par le
délinquent ou le fautif doit être diagnostiqué afin que
l'on pense à la réparation ou à la thérapie
appropriée. Signalons que les signes cliniques de ces
conséquences sont parfois très difficiles à
dénicher et il faut recourir aux personnes ayant un pouvoir
spécial pour arriver à découvrir que telle maladie ou
telle situation observée est due à un précédent
coutumier ou qu'il existe une violation de coutume quelque part.
Les gales sur la peau, la succession de mort dans une famille,
la maladie d'origine inconnue sur le plan médical, l'épilepsie,
la complication d'un accouchement, l'adversité dans les affaires,
l'infécondité, l'impuissance sexuelle, certaines névroses
ou psychoses, les malformations congénitales chez les nourrissons, etc.,
sont autant des pathologies qui peuvent être d'origine coutumière
et partant des conséquences de violations de coutumes.
Une même violation de coutumes peut se manifester
à travers différentes maladies ou conséquences selon
l'équation individuelle de chacun et leur résolution peut aussi
être une pratique unique pour différents type de
problème.
Dans les milieux traditionnels luba, il y a des personnes
initiées pour détecter les pathologies, les
événements anormaux et les comportements liés aux
violations des coutumes et moeurs. On compte dans cet ordre, les chefs des
villages, les devins, les mediums, les guérisseurs traditionnels et les
vieux sages. Mais les victimes comme les fautifs peuvent aussi réaliser
après avoir rencontré beaucoup de problèmes ou souffrances
que quelque chose serait à la base de leurs difficultés. C'est
à ce moment là que l'on recourt soit au conseil familial, soit
à la consultation des spécialistes ci-haut cités.
Le diagnostic devrait tenir compte de la conception de la
santé chez les Baluba. Comme tous les Bantous, les baluba
répondent à la définition de la sante comme
« l'harmonie entre le bien-être physique, mental, social,
familial, moral, religieux et même culturel » (Ondura,
1974).
Le diagnostic chez les baluba vient intervenir, parfois et
même dans la plupart des cas quand on déplore déjà
les morts. Au lieu de diagnostic, c'est plutôt le dépistage pour
retracer l'origine de la catastrophe ou de litiges qui ravagent la famille.
Mais l'avantage de ce diagnostic, c'est d'arrêter l'opprobre et
protéger la progéniture contre la malédiction.
Les vieux sages, les chamans ou les devins sont rodés
dans cette matière et se rabattent toujours sur la sagesse ancestrale
qui est coulée sous forme d'anecdotes comme, par exemple :
« lueni kalutu lununka kaluyi lulenga » ce qui
peut se traduire par « la menthe ne peut sentir si elle n'est pas
touché » ou encore « tua nyoko katutu tulua
bebe = l'insulte ...de ta mère ne vient jamais sans
raison ». Ces expressions sont l'équivalent de « il
n'y a pas de fumée sans feu ». Mais, il y a une autre
expression qui lie la cause à effet « wadia kala
wafua kala ou diudiadia tshula kendiudi umena mpusu »
qui signifie « tu manges aujourd'hui et tu meurs longtemps plus tard
ou ce n'est pas le jour que tu manges le crapaud que tu pousses la
galle ».
Fort de cette expérience, les anciens peuvent faire une
sorte de psychodynamique pour lier les faits et trouver le noeud du
problème afin d'amorcer la thérapie appropriée.
2.4.
La thérapie et le sens de la maladie chez les baluba
2.4.1. Notion
De façon vulgaire, le terme thérapie
signifie : traitement d'une maladie. Mais du point de vue
étymologique de l'ancien grec, thérapie vient de
therpeia qui signifie cure dérivé du verbe
therapevo qui veut dire servir, prendre soin de, et par extension,
soigner, traiter.
Ainsi en médecine, le terme est utilisé pour le
traitement en vue de guérir une personne malade. Le champ
thérapeutique devient très large et on parle
d'aimantthérapie, d'auriculothérapie, de bioénergie, de
magnétothérapie, de catharsis, de chromothérapie, de
guérison spirituelle, de clairvoyance, d'emplâtres, de
médiumnité, d'héliothérapie, d'hypnothérapie
l'ethnothérapie, etc.
Mais en psychologie, plus précisément en
méthode curative, la thérapie est définie comme un moyen
de parvenir , de traiter, de soigner ou de soulager une maladie par une
communication verbale ou non vernale et la maladie prise au sens médical
comme de tout désordre comportemental (Classification Internationale de
la maladie). A ce propos ; l'Organisation Mondiale de la Santé
(OMS) dans sa Constitution lie la maladie à la santé et
déclare ce qui suit : « LES ETATS parties
à cette Constitution déclarent, en accord avec la Charte des
Nations Unies, que les principes suivants sont à la base du bonheur des
peuples, de leurs relations harmonieuses et de leur sécurité : La
santé est un état de complet bien-être physique, mental et
social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou
d'infirmité ».
Voila pourquoi nous comprenons la thérapie comme toute
aide, toute modification de comportement tendant à supprimer ou
à atténuer une souffrance, un malaise ou créer une
situation harmonieuse pour un individu ou un groupe.
Cependant, nous allons définir les thématiques
et concepts thérapeutiques luba en trois étapes : d'abord la
notion de la thérapie et le sens de la maladie chez les baluba, la
description des pratiques thérapeutiques en milieu luba, et enfin le
diagnostic ou la détection des problèmes ou pathologies
liées aux violations des coutumes. Mais avant d'en arriver là,
nous allons d'abord parler du sens que donnent les peuples luba à la
maladie ainsi que la puissance de la parole.
2.4.2. Sens de la maladie chez
les baluba
Selon Joseph D. Katanga Tshitenge (1969, p.147), toute
maladie est une conséquence d'un péché commis soit par
l'intéressé ou par ses parents avant l'âge de raison. Les
véritables causes de la maladie doivent être découvertes
pour pouvoir demander l'intervention des esprits dans la guérison
après les cérémonies rituelles ( ...). Un homme qui
marche contre les préceptes prescrits par la tradition s'expose à
des maladies graves et même à la mort.
2.4.3. La puissance de la
parole
Si en psychothérapie la parole est l'outil principal
d'entrer en intersubjectivité avec le patient, chez les baluba comme
dans plusieurs cultures africaines, la parole que les baluba appellent Diyi est
au centre de guérisons exceptionnelles.
Olivier Bidounga, dans son article sur l'art de la parole chez
les Kongo (2007,PP 220-226), dit : « le kimuntu ( ce
qui fait l'homme) revêt ainsi une philosophie et un art de vivre
lié essentiellement à la parole, celle que pratique le Nzonzi
(celui qui détient l'art de la parole).
La Bible chrétienne ne dit-elle pas qu'au commencement
était la parole et toutes choses ont été faite par elle
et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle
? (Jean 1, 1-3)
Les travaux du colloque international de Kinshasa (1979,
p65-66) sur les religions africaines et christianisme déclarent ce qui
suit : la civilisation africaine procède avant tout du verbe, qu'il
soit parole, rythme ou symbole, (...) Le langage, toutefois n'est pas seulement
instrument de communication, il est expression par excellence, de
l'être-force, déclenchement des puissances vitales et principe de
la cohésion (...) C'est ainsi que Komo- Dibi, le chantre malien de Komo
(société initiatique), répond à la question
« qu'est-ce que la parole ? » :
« La parole est tout.
Elle coupe, écorche.
Elle modèle, module.
Elle perturbe, rend fou.
Elle amplifie, abaisse selon sa charge.
Elle excite ou calme les âmes. »
Ceci démontre la place que les africains et
particulièrement les baluba accordent à la parole dans leurs
pratiques thérapeutiques.
2.4.4. La description des
thérapies en milieu social luba.
La thérapie chez le peuple luba consiste en une
reconnaissance du forfait ou un aveu de la part du coupable suivi d'un rituel
de purification par des personnes dotées des pouvoirs de guérison
(les devins/divinatrices, les mediums, les chamans ou les chefs du village).
C'est comme chez les bakongo Janzen (1995, 28, 88), distingue
les maladies de Dieu et les maladies de l'homme. On considère la maladie
de Dieu comme celle naturelle et celle de l'homme comme celle ayant une
guérison lente d'une blessure ou d'une plaie à un conflit ouvert
dans le groupe social du malade. Une fois cette étiologie admise par le
groupe organisateur de la thérapie, une série d'alternatives
d'essais thérapeutiques est mise en oeuvre : elle comprend des
efforts concertés pour résoudre le conflit, des formules magiques
pour contrecarrer l'hostilité et la suspicion, ainsi que des rituels de
purification pour guérir la discorde.
Nous allons décrire à ce stade le pouvoir
thérapeutique dans les paraphrastiques luba de résolutions des
problèmes sociaux graves (pathologies sociales) à travers la
thématique des noms, les substances naturelles et minérales, puis
les agents guérisseurs (les devins/divinatrice, les mediums, les
chamans, ...) considérés comme organisateurs des
thérapies.
2.4.5. Thématique du nom
chez les Baluba : sa signification et son effet psychologique.
Le nom est un attribut employé pour identifier une
personne. Toute personne a un nom. Le nom éveille la conscience de celui
qui le porte. Dans la thérapie, on utilise le nom soit pour
arrêter la propagation ou la répétition d'une situation
désastreuse ou simplement son atténuation. Mais, certaines
personnes trouvent que les noms à signification négative ou
péjorative sont à éviter. Ils vont même
jusqu'à les changer croyant que cela porte malheur. Cet état de
chose peut se justifier par l'intériorisation de l'aspect
négativiste de la signification du nom que l'on porte, le fait de penser
intensément à quelque chose étant une forme de
création de la chose même. Mais pour le psychologue ou le
psychothérapeute, la signification du nom ou du prénom peut
être utilisée comme une psychoéducation et résoudre
le problème qu'a son client ou patient. Sur le plan comportemental, le
message que transmet un nom peut être employé pour modifier le
comportement du sujet ou toucher son psychisme.
De même, dans la tradition luba, certains noms sont
effectivement donnés dans ce contexte en vue d'arrêter la
succession des événements malheureux et provoquer un effet
contraire. C'est ici qu'on peut aussi comprendre le pouvoir
thérapeutique qu'a le nom.
Les baluba y attachent beaucoup d'importance. Dans cette
culture luba, les noms ne sont pas donnés au hasard. Ils ont une
signification particulière et un effet psychologique. Nous allons au
cours de cette étude analyser quelques aspects liés au nom, sans
être exhaustif toutefois, mais en mettant l'accent sur ceux qui ont un
impact sur le plan psychologique et peuvent concourir à la
psychothérapie. On peut ainsi classer les noms en deux grandes
catégories : les noms ordinaires (ceux donnés aux enfants
sans avoir un lien avec un événement quelconque) et les noms
spéciaux (ceux donnés suivant les événements de la
vie de couple, en famille, ou selon la conception/l'accouchement de l'enfant,
ou même la succession des enfants dans la famille).
Voici ce que Tshibasu Mfuadi (2004, pp. 50-54) dit à ce
sujet ; « Dans la société baluba, le nom doit
généralement avoir une signification profonde. Le père qui
donne à son enfant un nom, ne le fait pas au hasard. Il sait très
bien pourquoi il l'a choisi. De ce fait, s'il ne sert pas à
perpétuer la mémoire d'un ancêtre, d'un parent, le nom peut
servir à transmettre un message ou rappeler un événement
quelconque. Le père peut, par exemple, donner à son enfant le nom
de Kabanyishi pour dénoncer l'ingratitude et le manque de
reconnaissance de la famille pour les services qu'il lui a rendus. De
même qu'il peut appeler l'enfant Batubenga pour dire qu'on n'est
pas aimé dans la famille ; Mukengenshayi (faites-le
souffrir) comme pour dénoncer des souffrances endurées dans le
passé... ; de leur côté, les membres de la famille
(diku) peuvent facilement comprendre le sens de ce nom ou
interpréter le message que l'un de leurs a voulu leur transmettre...
Devenu adulte, tout muluba s'ajoute un nom qui renferme une signification
particulière, sans pour autant rejeter le nom qui lui a
été donné à la naissance. Ce deuxième nom
est souvent appelé dina dia bukole ou nom de la puissance. A
titre d'exemple, Kamba Nkala. Nkala signifie le crabe. Ce nom exprime
la force de celui qui le porte : il peut réagir et faire mal comme
le crabe, une fois qu'il est attaqué. Muamba Tshioto. Tshioto
signifie la famille. Ce nom est un reflet de l'esprit de famille de celui qui
le porte et sa préoccupation à réunir tous les membres de
la famille pour la sauvegarde de leur fraternité... »
Voyons une esquisse de quelques noms des enfants
spéciaux que l'on appelle parfois bana ba bupanga pour dire que
ce sont des enfants spéciaux qui nécessitent un
cérémonial pour leur assurer une vie normale
a. Selon la conception.
- Mapasa (les jumeaux), Mbuyi et
Kanku/Kabange, dans le cas de triplet : Mbuyi,
Kanku/Kabange et Katuma, les parents deviennent
Mwambuyi pour la mère et Shambuyi pour le
père ; les ancêtres trouvaient ces enfants réellement
spéciaux car une naissance multiple et dans la vie de tous les jours,
ils avaient un comportement différent des autres enfants nés de
naissance simple.
- Ntumba est un enfant dont la conception est
spéciale, c'est-à-dire, la mère ne s'en rend pas compte,
car depuis l'accouchement précédant la mère n'a pas encore
eu ses règles et cet enfant nait à la suite de
l'aménorrhée. Par cette naissance Ntumba jouit de
mêmes privilèges et même plus que les mapasa.
b. Selon l'accouchement
- Mujinga (celui qui sort avec le cordon
ombilical autour du cou) ; c'est un enfant introverti. Il a toujours
tendance à se renfermer sur soi comme le cordon ombilical qui le liait
à la naissance.
- Tshiela ou Tshiela-Makasa,
(un enfant qui, au moment de l'accouchement, sort d'abord les pieds)
généralement ces accouchements sont très dangereux.
- Ndomba, par contre sort d'abord la
main ; ce signe est parfois interprété comme une demande.
L'enfant demande quelque chose avant de venir au monde.
- Kabungama, se dit d'un enfant qui nait avec
la main sur la joue en signe de tristesse ou mélancolie ; selon la
culture, cet enfant exprime son chagrin de naitre dans une famille où
existent des mésententes et des conflits. Il peut aussi s'agir des
problèmes que cache la mère. Soit que la mère ne voulait
pas de cette grossesse et a essayé d'avorter sans succès, soit
que la mère et le père ne s'entendent pas et l'enfant vient dans
un monde où il sait d'avance qu'il n'est pas le bienvenu. Cette
énergie négative peut accompagner l'enfant même dans son
développement.
- Tshiowa ou Tshiowa-Mashi
(qui signifie qui baigne dans sang, est un enfant qui, tout au cours de la
grossesse, la mère avait toujours des règles ; cet enfant
risque d'avoir toujours horreur du sang.
- Tshikuta (qui signifie emballé) est
un enfant qui nait emballé ou renfermé dans la membrane
foetale ; cet enfant peut avoir cette influence pour demeurer
refermé sur lui-même et devenir introverti.
- Kabishi ou Tshutuka se dit
d'un enfant né prématuré ; cet enfant a besoin
d'être stimulé, faute de quoi il risque de se sentir
inférieur aux autres se considérant comme immature.
- Musangu/Musanguke signifie
réincarné, est un enfant qui nait avec un signe distinctif sur
le corps semblable à celui que portait un des membres de la famille
déjà mort. Parfois ce signe peut être invisible, mais un
parent mort peut se révéler être revenu à travers le
bébé qui vient de naitre. Ceci se remarque quand l'enfant
présente quelques agitations (pleure tout le temps, par exemple) alors
on doit chercher à savoir quel est peut être le problème.
C'est à ce stade que la mère ou le père peut se rappeler
avoir vu en songe à plusieurs reprises un parent déjà
décédé. Il suffit de l'admettre et de donner à
l'enfant le nom de ce parent défunt pour arrêter les troubles.
c. Selon la succession des naissances.
- Ngalula (fille) ou
Ngalamulume (garçon) est l'enfant qui nait après
une succession de trois ou quatre garçons pour Ngalula et trois ou
quatre filles pour Ngalamulume. Disons qu'il s'agit d'un
événement heureux dans la famille qui n'a eu que les
garçons alors que la famille a besoin aussi des filles ou vice versa,
alors la venue d'un enfant de sexe opposé apporte la joie et on doit
célébrer cela.
- Kapinga est un nom donné à un
enfant qui nait après Ntumba, on l'appelle souvent Kapinga
ka ba Ntumba.
- Mputu est un enfant qui nait après
la naissance des jumeaux et on l'appelle Mputu wa ba
Mbuyi.
d. Selon les événements survenus dans la
famille ou donnant un message.
On peut passer en revue quelques noms ayant un message
spécifique. Ces messages sont dans la plupart des cas porteurs d'effet
paradoxal afin de contourner ou éviter ce que l'on redoute. Il s'agit
par exemple de :
- Biduaya/Nkita ou Nkita
bungi, qui veut dire plusieurs tombes, pour parler d'un
enfant qui nait vivant après que la mère ait fait plusieurs
fausses couches ;
- Bakanseka qui signifie « on
s'est moqué de moi », est un nom donné à un
enfant dont le couple est resté longtemps après le mariage sans
que la femme ne conçoive. Ceci résulte de la moquerie dont la
mère a été l'objet de la part de la belle famille et
même de l'entourage ;
- Kafuafua lelu qui signifie il va mourir
aujourd'hui, est un nom donné à un enfant qui est né
malade et qu'on croit mourir à tout moment. Les parents n'ont pas
d'autres recours que de lui conférer un nom qui devra jouer un
rôle paradoxal. En affirmant qu'il va mourir aujourd'hui, on s'attend
à une réaction ou un effet contraire. Ce nom ou ce message
paradoxal est une thérapie très puissante qui agit comme une
énergie qui bloque tout esprit maléfique porteur de la
maladie ;
- Diakangamba/Bangamba est un nom
abrégé de Diyi diakangamba kaditu dimpue buila (qui
signifie la parole que tu m'avais adressée je ne l'ai jamais
oubliée). Ce nom est une mise en garde qui montre que le père n'a
pas oublié l'affront qu'il avait reçu dans le passé. Et de
là, le proverbe : « Tshipepele tshia mushipu
tshidi tshituta mashika : diyi diakangamba didi dintua ku
mmutshima » ce qui veut dire « le vent de la saison
sèche souffle le froid : la parole que tu m'avais adressée
me pique au coeur » ;
- Kamonyi wa kuebeja signifie qui n'a
personne à qui adresser la parole, est nom expressif d'une frustration
surtout pour la recherche du futur conjoint. Un homme ou une femme qui,
à plusieurs reprises amène un prétendant futur conjoint
qui est rejeté par la famille se sent frustré et s'octroie ce
nom. En fait, ceci vient de l'anecdote « Kamonyi wa kuebeja,
yonso wakueja ne wakulua nyoko, utua kudi ewu ne mmuanenu menemene ? Kadi
nakulua dikubua ndie buloba anyi ? = qui n'a personne
à qui adresser la parole, car tout celui ou toute celle que tu pretends
fiancer devient ta mère, celui-là c'est vraiment ta soeur ou ton
frère ? finalement moi je deviens un ver pour manger de la terre ou
quoi ? ». Ces personnes sont souvent exposées au
suicide et la schizophrénie. Ils pensent souvent qu'ils n'ont pas de
place dans la société, d'où le sentiment de solitude et la
tendance au suicide. Un psychologue clinicien avisé qui rencontre un
patient avec un tel nom, peut vite penser à la culture et tirer des
éléments de la psychodynamique. Le fait de parler avec le patient
de la signification de son nom peut constituer un début de
thérapie, car si ce nom a été attribué dans les
conditions précitées permet de parler de circonstances qui ont
milité pour le choisir.
2.4.6. Substances naturelles et
minérales
a. Lupemba
Lupemba peut être l'argile blanc, cela peut être
la chaux ou même le caolin enduit blanc, peu importe. C'est cette couleur
blanche qui donne le sens à ce que l'on appelle chez les baluba lupemba.
Les expressions kuela lupemba (jeter le lupemba) ou
kulaba lupemba (badigeonner de lupemba) signifie
bénir ou donner le feu vert. C'est un produit utilisé dans
plusieurs rituels luba en signe de purification ou de
bénédiction.
On a vu les parents donner un morceau de lupemba
à leur fils qui va en voyage d'affaires, à leur fille qui entre
en mariage en disant « kuebe kutoka »
pour dire que ton chemin soit clair, en guise de prospérité et
bonne chance.
b. Kakula (Caolin)
Kakula signifie le caolin. Ici on fait référence
au caolin rouge dont on s'induit le corps pour l'embellir et dans les milieux
traditionnel luba, le kakula est utilisé pour embellir les
fétiches et les danseuses pour les rituels. Il est le symbole de la
beauté. Le caolin est toujours imbibé d'huile de palme.
c. Dikala (la braise/le charbon)
Le charbon de bois est une substance à connotation
négative. Il est employé pour marquer la séparation avec
quelque chose dont ont veut se débarrasser et qu'on ne souhaite pas
revoir. C'est le cas d'une dent pourrie qu'on jette d'un coté et le
charbon de l'autre, c'est également le cas de l'enterrement d'une
personne morte de tshibawu, par exemple ; on l'accompagne du charbon pour
qu'il aille définitivement avec sa malédiction.
d. Tshiseba tshia nkashama (peau de léopard)
Le léopard est considéré dans la culture
luba comme le roi des animaux. De ce fait, on lui confère beaucoup de
pouvoir. C'est la raison pour laquelle, la peau de léopard est un objet
de grande valeur. Cette peau est utilisée comme tribut aux chefs. Elle
est portée par les chefs et les guérisseurs pour montrer qu'ils
possèdent le pouvoir.
La peau de léopard est également utilisée
pour être traversée dans le rituel d'épreuve de
vérité (le tshipapa). Même sur le plan artistique et
économique, la peau de léopard vaut de l'or et de l'argent.
e. Masala a nkusu anyi mpunga nyunyu (plumes de
perroquet ou d'aigle)
Les chefs coutumiers, les guerriers et les guérisseurs
traditionnels portent parfois des coiffures (couvre-chefs) couvertes de plumes
d'aigle ou d'une seule plume de perroquet. Ces plumes sont
présumées porteuses de puissance.
2.4.7. Bêtes
thérapeutes
Chez les baluba, nous l'avons dit plus haut, qu'il n'y a pas
de mort ordinaire même si cela est une évidence. Tous les
problèmes qui surviennent dans leur vie sont provoqués soit par
les esprits mauvais, soit les ancêtres qui punissent les fauteurs pour
violation des coutumes. De ce fait, parmi les amandes à payer par les
fautifs, il y a toujours selon le cas une poule, un coq ou une
chèvre.
Toutefois, signalons que ces bêtes peuvent être
également utilisées dans des circonstances heureuses. Il s'agit
des cérémonies de mariage, des moments des fêtes populaires
ou de clôture des obsèques.
a. Nzolo (poule ou coq)
Nzolo est un terme très courant dans la
culture luba. On ne peut concevoir la culture luba sans parler de
Nzolo. Il y a le nzolo wa bakishi qui est
cette poule que l'on prépare pour donner de la nourriture aux
ancêtres ou aux morts afin d'intercéder pour les vivants et
réparer le tshibindi ou la violation des préceptes
ancestraux. Mais, on parle aussi dans le langage courant de nzolo mulaya
mujangi qui signifie la poule promise au défunt et elle est
utilisée pour rappeler une promesse non tenue. (mujangi comme
mukishi signifie la même chose employé aussi pour parler
de fantôme). Précisons ici une nuance qui existe entre
mukishi dont le pluriel est bakishi, signifie mort en parlant
d'ancêtre tandis que mukishi dont le pluriel est
mikishi s'emploie pour parler des esprits comme des esprits
planétaires et dont la forme est diffuse à voir. Il y a le
nzolo wa buku (poule de mariage) que l'on immole pour le gendre ;
il y a le nzolo wa mikiya que l'on tue pour expier les manquements
survenus dans la famille, etc.
Bref dans toutes les cérémonies luba, on trouve
toujours une poule qu'on doit immoler, même parmi les objets ou les
tributs relatifs à la dot, on demande aussi une poule.
b. Mbuji (chèvre/bouc)
La chèvre (ou le bouc) est utilisée aussi dans
les mêmes circonstances que la poule ; on parle
généralement du bouc émissaire. Seulement la chèvre
est payée pour des fautes graves. Chez les baluba, il y a aussi
différents types de chèvre comme mbuji wa bakishi qui signifie
une manne des ancêtres.
On parle, par exemple, de mbuji wa nyima (une chèvre
de virginité) donnée à la mère par le gendre pour
avoir gardé sa fille vierge jusqu'au mariage, c'est la joie de la
mère et sa famille.
2.4.8. Les thérapeutes
ou agents thérapeutes Luba.
Les thérapeutes luba sont connus sous un terme
générique de nganga/banganga (guérisseurs), on
retrouve parmi eux les bena-mbuku(devins), les bilumbu
(divinatrices), le bena mikendi ou mua mulopo (mediums), et
les vieux sages ou chamans.
L'Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.)
citée par Mbonyinkebe (1987, p. 214) reconnait et définit le
guérisseur ou le tradipraticien (le nganga africain) comme
« une personne qui est reconnue par la collectivité dans
laquelle elle vit comme compétente pour dispenser des soins de
santé, grâce à l'emploi des substances
végétales, animales ou minérales et d'autres
méthodes basées sur le fondement socioculturel et religieux aussi
bien que sur les connaissances, comportements et croyances liées au
bien-être physique, mental et social ainsi qu'à l'étiologie
des maladies et invalidités».
Notons que cette définition bien que ne couvrant pas
toutes les dimensions du thérapeute luba ou africain, elle donne une
ouverture d'esprit quant à ce qu'il est censé faire. Celui-ci ne
s'occupe pas que de la santé au sens strict. Comme le dit si bien
Singleton (1997, p. 4), «Ce que nous appelons de la médecine ne
couvre pas l'essentiel de ses activités. Le nganga, entre
autres, faisait la pluie et le beau temps, remédiait au manque de gibier
ou augmentait les récoltes, empêchait le vol et garantissait le
succès des entreprises. Et même - dato non concesso -
s'il fonctionnait médicalement à ses heures, cette fonction
faisait de toute façon partie intégrante d'un Tout qui la
transformait en tout autre chose que de la biomédecine
primitive».
En bref, le nganga est un allié principal de
la vie. Autrement dit, l'objet que définit l'O.M.S. et que nous traitons
dans ce travail, à savoir, l'art de guérir, n'est qu'une
dimension de l'activité du nganga. Il comprend la
prévention, le traitement, la guérison des maladies et la
réhabilitation du patient dans son groupe social. La médecine des
nganga concerne également le domaine plus large où la
maladie, la vie et la mort sont perçues comme un jeu commun entre les
forces du bien et du mal, l'individu et la société, les vivants
et les morts (Cfr Panu Mbendele, 2005).
Ces thérapeutes le sont devenus soit par initiation ou
intronisation à ce pouvoir par les ancêtres à travers la
lignée de succession héréditaire, soit par cession.
a. Les devins/divinatrices.
Dans la culture luba, les devins sont des personnes
initiées à l'art de prophétie et de lecture des
écrans psychiques des leurs clients afin de découvrir les
problèmes qui les tourmentent, mais aussi de prédire l'avenir ou
les événements futurs. Le devin se sert des cartes, des
mibela (des petites coquilles de mer) qu'il jette et interprète
leurs positions. D'autres devins utilisent l'eau dans un bassin ou le miroir
pour visionner les personnes méchantes derrières les envoutements
qui les troublent. Les divinatrices (bilumbu) jouent pratiquement le
même rôle, à la seule différence que les
bilumbu se badigeonnent de caolins blancs, de la chaux ou de l'argile
blanche et utilisent les carapaces d'escargots remplies de lupemba.
b. Les mediums (bena mukendi)
Un medium est une personne qui possède les
capacités de communiquer avec les morts. Il peut céder même
son corps à un mort qui désire donner un message à un des
membres de la famille en vue de régler une situation que lui-même
ne peut finir, compte tenu du fait qu'il vit dans l'au-delà et dans un
autre corps. Certains mediums sont innés. Depuis leurs bas âges,
on peut déjà constater que l'enfant a des facultés
surprenantes et raconte qu'il voit certaines choses que des personnes
ordinaires ne comprennent, ni ne voient.
Ce pouvoir est souvent conféré aux femmes. On
les appelle bena mukendi ou mua Mulopo. Les mikendi
sont des esprits considérés dans le sens des esprits des
ancêtres qui peuvent entrer en contact avec nous les vivants, tandis que
Mulopo vient du nom de Dieu (Mulopo, Maweja, Mvidi Mukulu, etc.). On
considère le medium comme une personne qui communique avec Dieu et Mua
Mulopo signifie mère de Dieu.
Disons que les medium comme les devins/divinatrices
possèdent un sens d'intuition très développé. Ils
sont initiés ou si l'on peut dire entrainés
Phénomènes parapsychiques appelés Perception
Extra-Sensoriel (P.E.S.) tels que la télépathie, la claire
audience, la clairvoyance, la télékinésie, et la lecture
de l'espace psychique d'un individu.
c. Les chamans et les sages
Dans la culture luba, l'on considère que la sagesse
vient avec l'âge et l'expérience. Mais aussi l'on reconnait qu'un
jeune peut aussi avoir de la sagesse et du pourvoir. A ce propos, il existe un
dicton : « biwasangana kana ku mayi kukedi
mpata » ce qui signifie « si tu rencontres un jeune
gens à la rivière ne doute pas de lui, s'il dit qu'il veut te
faire traverser la rivière » ceci comme pour paraphraser P.
Corneille dans le Cid quand il dit qu'aux âmes bien nées la valeur
n'attend point le nombre des années.
Alors, dans le milieu luba, on trouve
généralement le pouvoir de guérison ou de Chefs de
village confié au vieux ou à des personnes assez mures et quand
ce pouvoir est confié à un jeune adulte, on lui prodigue des
conseils de s'armer de sagesse des anciens pour le mériter. Et une
anecdote dit « bakupe bukalenge, bakupe ne
nsumuinu ? = on ne peut pas te confier le pouvoir et on te donne
les anecdotes (la sagesse de diriger). Le respect des personnes
âgées est de strict rigueur, car considérées tous
comme parents. Voila pourquoi quand survient un problème dans une
famille, on recourt au vieux sages, aux guérisseurs (chamans) ou aux
chefs de famille/clan/tribu etc. Nous comprenons alors que ce n'est pas
à n'importe qui qu'on confère le pouvoir, soit de diriger, soit
de guérir. Il faut le mériter, il faut démontrer qu'on en
a les capacités requises.
Les chamans, les sages et les chefs de village,
procèdent un peu comme les autres types de nganga en ce qui
concerne l'intuition et le sens de perception extrasensorielle. Ils disent
avoir de la sorcellerie positive, cette magie de protection et de
détection de la force du mal et de l'anéantir. Ils utilisent la
parole qui a une puissance de créer, de neutraliser et de
dénoncer tout pouvoir maléfique. Ils utilisent également
les plantes dont eux-mêmes savent les recettes pour guérir les
aspects somatiques de la maladie, mais aussi d'autres plantes sont
utilisées pour faire entrer leurs clients en transe ou les hypnotiser.
Ces pouvoirs dont disposent ces chamans, ils les ont soit hérités
de leurs ancêtres, soit ils ont été initiés par les
tenants du pouvoir. Notre travail, est focalisé sur comment se fait la
thérapie chez les baluba et quelles sont les éléments ou
les étapes de ces pratiques qui peuvent aider les psychologues
cliniciens et non de faire d'eux les chamans ou les guérisseurs
traditionnels luba. Voila pourquoi nous soulignons les aspects importants de
ces thérapies qui corroborent les psychothérapies universelles
à savoir l'usage de la parole comme pivot, exprimant le pouvoir du
psychisme.
2.5.Tableau synoptique des pratiques thérapeutiques
luba
Normes culturelles ou préceptes
|
Violations /sacrilèges
|
Conséquences (maladies ou
problèmes)
|
Traitement ou réparation
|
|
a. Tabou
|
|
|
· Respects des parents
|
- Insultes aux parents ou équivalents
- Sexualité avec les parents
- Découverte de la nudité des parents
- Refus d'obéir aux parents
- Défier les parents
|
- Maladies psychosomatiques
- Epilepsie
- Complication d'accouchement
- Adversité
- Infécondité
- Impuissance sexuelle
-Névrose ou psychose
- Malformation congénitale chez les nourrissons
- Mort
|
- Conseil familial
- Rituel de réparation
- Guérison spirituelle
- Palabre
- Aveu
- Usage des noms
|
· Respects entre frères et soeurs
|
- Sexualité entre frères et soeurs consanguins
- - Parjures
- - Médisances
- Sexualité avec même partenaires
- - Jalousie
|
Idem
|
idem
|
· Harmonie entre époux
|
- Adultère
- Infidélité
- Fréquentation des ex (amants, fiancés, ou
conjoints)
|
Idem
|
Idem
|
· Respects des biens d'autrui
|
- Adultère
- Vol
- Viol
|
Idem
|
Idem
|
|
b. Totem
|
|
|
* Respects des bêtes ou objets sacrés
|
- Consommation de la viande de bêtes sacrées
- Toucher les objets sacrés
|
- Gales de peaux, peste
- Malformation corporelle
- Malédiction
- Mort
|
Idem
|
|
c. Culte aux morts ou ancêtres
|
|
|
* Communion avec les morts
* Reconnaissance des pouvoirs ancestraux
* Fétiches
|
- Sacrifier les membres de la famille
- Trahison
- Rupture d'alliances
- terme ou fin de fétiche
|
- Adversité
- Psychose comme la paranoïa
- Coma prolongé avant la mort
- Infécondité
Etc.
|
- Exorcisme
- Médiumnité
- Clairvoyance
- Rite de purification
- guérison spirituelle
- aide aux mourants
|
Du tableau précédant, l'on remarque que les
pratiques thérapeutiques luba ont en commun le schéma de la
médecine occidentale qui procède par la consultation, le
diagnostic, le traitement
et la guérison.
Par ailleurs, la culture luba, comme on peut le constater
dans le tableau part des préceptes ou normes culturelles, leurs
violations considérées comme faits sociaux engendrant des
conséquences qui peuvent être des maladies/affections ou des
problèmes sociaux troublant l'harmonie au niveau individuel ou familial.
Nous ne saurons être exhaustifs dans la description des pratiques
thérapeutiques luba que nous croyons nombreuses. Nous voudrions montrer
le rapport qui existe entre ces pratiques et la psychothérapie et en
tirer les bénéfices utiles.
Dans le même tableau, nous avons parlé des effets
des violations des espaces ou des objets sacrés considérés
comme totémiques, soit en les touchant, en les mangeant ou en les
profanant. Les conséquences de ces violations sont les mauvais sorts que
nous avons regroupés autour des malédictions et malformations
physiques ou par des formes des prurits (galles, pestes, démangeons,
etc.).
Comme nous l'avons souligné au point 2.4.3 de ce
chapitre , les pratiques thérapeutiques luba procèdent par la
parole sous forme d'entretien, des anecdotes, des
proverbes, des chansons, des noms spéciaux donnés aux individus
ou portés par eux pour éveiller la conscience ou
pénétrer l'inconscient. Autour de la parole, il y a toujours des
rituels associant certaines substances à l'instar des caolins
(Kakula), de l'argile blanc ou la chaux (lupemba), du charbon
(dikala), etc., et quelques plantes ainsi que les peaux de
certains animaux (léopard, renard, aigle, etc) ; mais aussi des
animaux domestiques comme la poule, la chèvre, etc. somme toute, la
parole reste l'élément clé soit pour éveiller la
conscience et enclencher le psychisme, soit pout les entrevues.
CHAPITRE TROISIEME : APPROCHE
METHODOLOGIQUE
Ce chapitre axé sur l'approche méthodologique
est consacré à l'énoncé des procédés,
théories ainsi que les techniques de récolte/ traitement des
données pour cette étude (Population, échantillon,
méthode, techniques) ainsi que la manière dont nous allons
procéder pour décrire notre thème et enfin les
difficultés rencontrées.
3.1. Population et
échantillon d'étude
3.1.1. Population
La détermination de la population d'étude est
une nécessité impérieuse, car elle permet au chercheur de
préciser la catégorie des sujets ou des objets concernés
par son étude.
Dans le cadre de la présente recherche sur les
conséquences de violations de coutumes Luba-Kasaï et leurs
thérapies, nous avons observés les pratiques
thérapeutiques de baluba du Kasaï dans le territoire de Demba,
dans le Kasaï Occidental, pratiques comportant les conséquences des
violations de coutumes et leur thérapie, que nous considérons
comme notre population d'étude. Pour bien comprendre ces pratiques, nous
avons consacré le premier chapitre de cette recherche à la
description des peuplades luba et au deuxième chapitre nous avons
décrit les conséquences des violations et les thérapies
comme elles sont exercées dans cette culture luba.
3.1.2. Echantillon
d'étude
Dans une recherche scientifique, l'idéal étant
de réaliser les observations sur tous les éléments qui la
composent, mais comme la population cible, dans une étude, est trop
nombreuse il est pratiquement impossible d'étudier toutes les pratiques.
Nous allons nous focaliser sur six cas qui permettront de comprendre comment
cela fonctionne dans cette culture et en tirer les conclusions scientifiques
qui en découlent.
Afin de constituer l'échantillon pour cette
étude, nous nous sommes fixé comme critères de choix pour
retenir les cas, ceux issus des personnes répondant aux critères
suivants :
- être Muluba (singulier de baluba),
- vivre sur le territoire de Demba,
- avoir une connaissance de la culture luba.
3. 2. Méthode et
Technique
3.2.1. Méthode
La méthode, d'après Chahraoui & Benony
(2003, p. 1), est la manière de faire une chose suivant certains
principes, certaines règles et selon un certain ordre pour parvenir
à un but. Tout chercheur doit à tout prix se servir d'une ou de
plusieurs méthodes afin d'atteindre les objectifs qu'il s'est
assignés.
Considérant les objectifs spécifiques
assignés à notre étude, nous avons opté pour la
méthode clinique d'approche descriptive. Ce qui implique une
démarche rigoureuse liée à l'expérience pratique,
à la relation intra et inter individuelle, à l'histoire
personnelle et à la situation actuelle du sujet. Toutefois, compte tenu
du fait que nous étudions les pratiques culturelles, cette
démarche sera appuyée par les théories de l'ethnographie
qui est un modèle qualitatif que Spradley et McCurdy cités par
Goetz & LeCompte (1984, p.2) définissent comme une description
analytique ou une reconstruction des scènes et groupes intacts qui prend
en compte les croyances partagées, les pratiques, l'art, les
connaissances folkloriques, et les comportements d'un groupe du peuple.
Pedinielli (2009, p.31), parlant de la méthode
clinique laisse entendre aussi bien l'ensemble des techniques utilisées
dans le cadre de la pratique des cliniciens que la démarche
centrée sur l'individu, la singularité, la totalité et
l'implication. Et Chahraoui & Benony (2003), soulignent que la
méthode clinique implique une démarche rigoureuse liée
à l'expérience pratique, à la relation, à la
demande (instrumentale, individuelle, groupale), à l'implication, aux
champs du social et aux valeurs culturelle et à la complexité du
fonctionnement de l'être humain.
Selon Lagache cité par Chahraoui & Benony (2003,
p. 11), la méthode clinique envisage la conduite dans sa perspective
propre, relève aussi fidèlement que possible la manière
d'être et d'agir d'un être humain concret et complet aux prises
avec une situation, cherche à en établir le sens, la structure
et la genèse, décèle les conflits qui la motivent et les
démarches qui tendent à résoudre ces conflits.
La méthode clinique est l'étude approfondie des
cas, de l'écoute du patient, de son histoire existentielle ; elle
est une approche subjective plus heuristique (Western, 2000). Elle
comprend : une clinique à mains nues (l'entretien et l'observation
pour développer l'étude de cas unique qui prend en compte la
totalité de l'individu) et une clinique instrumentale (les tests, les
échelles d'évaluation, le jeu). Pour ce qui est de notre
étude à ce stade, nous trouvons que seule la clinique à
mains nues suffit pour décrire les conséquences de violation des
coutumes luba et expliquer les pratiques thérapeutiques Luba. Notre
travail consiste bien sûr à organiser les faits observés
autour de l'étude de cas.
Cette méthode va nous guider dans une activité
pratique visant à la connaissance et à la nomination de certains
états, aptitudes, comportements dans le but de proposer une
thérapeutique, une mesure d'ordre social ou éducatif, comme le
souligne Pedinielli (2009, 32), ou une forme de conseil permettant une
modification positive de l'individu.
L'étude de cas est au centre de la méthode
clinique, avec le principe de singularité ci-haut cité, de
subjectivité, de prise en compte de l'histoire et de la totalité
des situations qu'elle sous-tend. Chartier, dans le prologue de 9
études de cas en clinique projective adulte (Dana Castro, 2009),
expose l'écriture de l'étude de cas cliniques comme une
démarche parfois utopique et même un risque. Il finit par conclure
que la rédaction de cas cliniques demeure une nécessité,
donc un acte indispensable. Il ajoute qu'écrire une étude de cas,
c'est parler de soi et donner à penser à nos collègues
à partir du partage d'une expérience, tout en gardant à
l'esprit que le but de l'étude de cas n'est pas de rapporter les faits
exacts, mais de chercher à illustrer l'expression de telle ou telle
construction théorique préalablement élaborée.
On comprend donc que l'étude de cas ne procède
pas seulement de la description de la situation et des signes
présentés par le patient, bref de la sémiologie ou du
diagnostic, elle s'appuie sur l'écoute du discours concret du sujet pour
comprendre sa souffrance et accueillir sa subjectivité.
Frenandez & Pedinielli (2006) résument la
méthode clinque dans leur article sur la recherche en psychologie
clinique comme suit : « La psychologie clinique
désigne à la fois un domaine, celui de la psychopathologie, et
une méthode (clinique) qui s'insère dans une activité
pratique visant la reconnaissance et la nomination de certains états,
aptitudes, comportements dans le but de proposer une thérapeutique, une
mesure d'ordre social ou éducatif ou une forme de conseil permettant une
aide, une modification positive de l'individu. Les domaines d'intervention se
composent de multiples champs qui ne se limitent ni aux sujets atteints de
troubles mentaux ni à la stricte référence à la
dimension individuelle. L'évolution de la discipline a
entraîné l'apparition de nouvelles pratiques, de nouveaux lieux,
de nouveaux objets : aide aux mourants, handicap, marginalité,
souffrance sociale..., institutions non psychiatriques (crèche,
hôpital général, prison...), moments du
développement normal (nourrisson, adolescent, sujet
âgé...). Quatre types de recherche existent : la recherche en
clinique ; la recherche clinique ; la recherche-action et la recherche
évaluative. Les méthodes et les techniques sont : l'observation
clinique, l'entretien clinique, les tests, les échelles et les
questionnaires. »
De ce fait, la méthode clinique, naturaliste, se
réfère à la totalité des situations
envisagées, à la singularité des individus, à
l'aspect concret de l'observateur faisant partie de l'observation.
Ainsi, les techniques sur lesquelles s'appuie la
méthode clinique ont pour but d'enrichir la connaissance d'un individu
dans l'activité pratique et la thérapie, ou de problèmes
plus généraux et proposer enfin une interprétation ou une
explication se basant bien entendu sur les théories psychologiques en
vigueur.
v Recherche clinique.
La recherche clinique (RC) tente de répéter la
démarche clinique où des approches descriptives et
interprétatives peu contrôlées semblent fournir des
résultats plus intéressants pour les cliniciens. Elle repose sur
l'idée que la situation clinique est la source d'inspiration et le lieu
d'élaboration de la recherche. Elle porte une attention
particulière à l'engagement de l'observateur et procède
à une description minutieuse de la spécificité de la
situation en se fondant, sur le plan méthodologique, sur des
études de cas comme source de connaissance du fonctionnement psychique
qui vise à construire en une structure intelligible des faits
psychologiques dont un individu est la source (Pedinielli, 2009, Perron, 1979,
Schmid-Kitsikis, 1999).
Ce type de recherche permet une étude approfondie d'un
sujet fondée sur une pratique de la communication langagière,
satisfait aux critères de reproductibilité et favorise de
nouvelles conceptions théoriques. La recherche correspond à une
succession d'élaborations conceptuelles, de moments de relation avec les
sujets (Giami, 1989) et de retours vers le matériel clinique, l'objectif
étant de comprendre certains processus et de formuler des
significations. Elle permet d'aborder des phénomènes complexes en
évitant leur réduction inhérente à la connaissance
de type scientifique. Il n'y a pas une hypothèse formulée au
départ mais un corps d'hypothèses avec des questions issues de la
pratique qui se posent au chercheur et que la recherche va contrôler
à partir du matériel recueilli traité selon les principes
de l'analyse clinique.
Le tableau suivant tiré de l'illustration de Fernandez
et Catteuw (2001) nous indique les paramètres du dispositif que nous
avons eu à mettre en oeuvre pour réaliser notre recherche
clinique.
Tableau 2 : Paramètres du dispositif et
caractéristiques de l'observation
Paramètres du dispositif
|
Caractéristiques de
l'observation
|
La situation d'observation
|
En milieu naturel à Demba
|
Le champ de l'observation
|
Globale (attention flottante, sélection non
régulière, sensibilité à l'inattendu) observer tout
ce qui ce passe dans les villages
|
La séquence de l'observation
|
Faible inférence (comportements)
|
La nature des observables
|
Implication (observation participante) on a vécu dans
le milieu avec une implication directe
|
La relation observateur/observé
|
Visible (prises de notes dans un carnet, contact face
à face...)
|
Visées de l'observation
|
Comprendre le comportement, être capable de
l'expliquer et leur donner un sens
|
Pour mettre ce tableau en pratique, nous nous sommes
rendu à Demba, nous munissant de notre carnet de notes, d'un stylo, et
nous nous sommes immergé dans la vie de tous les jours enregistrant
toutes les situations retenant notre attention. Nous avons associé cela
avec les événements que nous avons vécus personnellement
dans ce milieu lors de notre enfance. La somme des expériences
vécues dans le présent et dans le passé ont
constitué les données de base de cette recherche.
3.2.2. Techniques de
récolte des données
Ngub'Usim Mpey Nka (2004, p.51) pense que les techniques sont
des instruments utilisés par le chercheur pour mettre en application la
méthode. Elles sont donc la réalisation pratique, la
matérialisation effective d'une méthode, d'une
procédure.
Shomba Kinyamba (2013, p. 9) répond à la
question « où trouve-t-on les informations intéressant
les sciences sociales » par des sources suivantes :
- la pratique, l'expérience vécue et
l'observation. Ici l'on se sert de ses sens pour apprendre le réel.
Dit-on, « rien n'entre dans l'intelligence sans passer par le
sens ». c'est empirisme ;
- l'intuition. Celle-ci porte sur les perceptions de
la réalité par un sujet observant. En science, les données
provenant de l'intuition doivent être soumises à un jugement
critique ;
Puisque cette recherche que nous menons en psychologie
clinique intervient en milieu naturel et fait principalement appel aux
méthodes descriptives, à l'étude de cas (Chahraoui &
Benony, 2003, p.3) qui procède par l'entretien et l'observation
cliniques, nous avons estimé nécessaire d'associer à ces
techniques celle de récit de vie pour améliorer la
qualité de nos résultats et parer aux biais de l'observation. La
technique documentaire nous est également d'un apport important pour
comparer différents écrits sur la culture et la tradition du
peuple luba du Kasaï.
Bref, pour mener notre recherche, nous nous sommes
contenté des ouvrages et récits disponibles, de notre propre
observation directe en milieu naturel, l'entretien clinique avec les personnes
âgées ayant une bonne expérience dans la culture et de
notre expérience personnelle sur certains cas que nous allons
présenter.
3.3. Difficultés
rencontrées
Aucun travail de recherche sur terrain ne peut se
réaliser sans embûches. Nous devrions nous déplacer pour
revivre les expériences rapportées dans cette étude, dans
le milieu de notre naissance après une vingtaine d'années ;
ce qui signifie une imputation budgétaire pour le déplacement
jusqu'en ce lieu. Aussi, avec le temps, beaucoup de choses ont-elles
changé et il y a eu avec la prolifération des églises
dites de réveil, une évolution remarquable dans les us et
coutumes constituant la culture luba. Avec cette prolifération des
églises, la population devient de plus en plus hypocrite et fait parfois
semblant de ne rien connaitre de coutumes etant donné que les affaires
coutumières sont considérées comme sataniques. Une autre
difficulté est que beaucoup de conduites de la culture luba sont encore
en tradition orale vernaculaire, donc en tshiluba et il ne nous a pas
été aisé de trouver une traduction très fiables,
car les dictionnaires disponibles en tshiluba-français ne couvrent pas
tout le vocabulaire et les tournures employés localement.
CHAPITRE QUATRIEME : ETUDE DE
CAS
Ce chapitre est la base de cette première étape
de notre recherche. Il est consacré à la description, l'analyse
et l'interprétation des résultats en faisant la combinaison entre
la pratique thérapeutique telle qu'elle est vécue dans la culture
Luba et les théories sur la psychologie clinique en
général et en psychothérapie en particulier.
Au cours de ce chapitre nous allons présenter les cas
concernant l'aide aux mourants, en rapport avec l'assistance aux personnes en
dernière instance de leur vie se trouvant en état comateux dont
il faut réveiller la conscience, soit pour qu'ils disent leurs
dernières volontés, soit pour les aider à avoir une bonne
mort/mort en douceur, la résolution des frustrations, l'aide à
l'accouchement : déclenchement de l'accouchement bloqué et
enfin le rite de réparation (désertion du toit conjugal).
Pour des raisons de respect des personnes concernées
par cette étude, nous utilisons les pseudonymes dans les cas suivants
qui relèvent de notre propre observation participante qui constitue un
récit de vie quotidienne. Ainsi le chapitre est subdivisé en deux
parties :
Ø Présentation de cas avec une analyse
partielle, qui ressort les détails du processus thérapeutique que
comporte chaque cas individuel, les techniques utilisées pour le
diagnostic, le traitement, la forme de guérison éventuelle tout
en faisant mention des théories scientifiques qui s'y apparentent,
Ø Discussion des résultats qui est
interprétation des données et résultats de
l'étude.
4. 1.
Présentation de cas
Les cas étudiés dans cette recherche concernent
trois personnes que nous avons eu à assister lors de leurs
dernières instances de vie, une observation de comment les femmes
résolvent leurs frustrations, une manière intéressante
dont on parvient à faciliter l'accouchement qui semble bloqué et
nous présentons comment les baluba réparent un différend
résultant d'une désertion du toit conjugal.
4. 1.
1. Aide aux mourants
Bien que la mort soit une réalité
indéniable, elle continue à faire peur et pleurer, quelle que
soit la culture à laquelle on appartient. En occident, par exemple, le
Conseil de l'Europe s'est prononcé en 1976 sur « les
droits des malades et des mourants ». Ces droits incluent celui
à la liberté, à la dignité et à
l'intégrité de la personnalité, d'être
informé, aux soins appropriés et celui de ne pas souffrir. Et
Rosette Poletti et al (1982) dans « la mort restituée »
nous disent que dans nos sociétés, statistiquement on meurt plus
à l'hôpital. On y meurt trop souvent par manque d'approche
axée sur le confort, l'accompagnement, les soins palliatifs, le soutien,
le contrôle de la douleur, l'aide spirituelle... Bref nous devons aider
nos semblables à mourir d'une bonne mort, comme qui dirait d'une mort en
douceur.
La mort rappelle le travail de deuil de Sigmund Freud (2011).
Sigmund
Freud associe le processus de deuil à un travail psychique
réactionnel à une expérience de
dépression.
Le dépressif vit en effet dans la perte d'un Objet très
aimé et idéalisé. Après la perte d'un Objet externe
particulièrement investi, la libido doit entreprendre un
détachement
angoissant,
vécu dans la douleur pour permettre au
Moi
de retrouver sa liberté.
Dans l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, de
Bernard Werber, Edmond Wells(2007) publie un récit de Elizabeth Kubbler
Ross, une psychologue clinicienne qui a accompagné beaucoup de mourants
dans leurs dernières heures et a repéré cinq étapes
qui se produisent souvent chez les individus condamnés par des maladies
incurables. Ces étapes sont quasiment les mêmes que celles de
toutes les situations de deuil en général. Elles sont les
suivantes :
- le Déni : le malade refuse sa
mort. Il exige que son existence continue comme avant. Il parle de son retour
à la maison après la guérison ;
- La Colère/révolte : il
importe de designer un coupable ;
- Le Marchandage : il demande un
répit au médecin, au destin, à Dieu ? il se fixe des
dates : « je veux vivre jusqu'à
Noel... » ;
- La Dépression : toute
énergie disparait. Impression de renoncement. Il cesse de se
battre ;
- L'Acceptation : dans les unités
de soins palliatifs, celui qui va partir réclame alors les plus beaux
tableaux, les plus belles musiques.
Ce tableau peint par des psychologues cliniciens explique
parfois le comportement des personnes comme Vieux Lambert à se chercher
des fétiches pour barrer la route à la mort bien que cela soit
impossible.
Nous avons exposé dans le premier chapitre comment le
peuple luba considère la mort. Nous avons retenu trois cas suivants pour
analyser comment ce peuple prépare un proche à la mort.
4.1.1.1. Cas Vieux Lambert
L'étude du cas Lambert est une analyse d'aide au
mourant vécue par nous-mêmes et qui explique la dimension
psychologique de traitement d'une personne se trouvant dans un état
comateux prolongé.
Cette observation nous illustre la manière très
intéressante et originale dont les baluba s'y prennent pour accompagner
un de leurs membres qu'ils trouvent en instance de fin de vie.
Dans notre analyse, nous situons la place du thérapeute
et intégrant le fonctionnement de l'inconscient dans une communication
parfois asymétrique. L'approche psychodynamique nous
révèle les liens que Lambert a avec la vie sur terre qui
l'empêche d'y renoncer par peur de manque de contrôle de la
situation.
Description du contexte
Vieux Lambert était âgé de près de
95 ans. Marié à une dame qui pratiquait la divination
(Tshilumbu qui signifie divinatrice) et dont la soeur était
medium (Muena mikendi). Le Vieux Lambert était
très réputé pour ses pouvoirs magiques ou
fétichistes. Il portait un anneau en cuivre au bras gauche. Le vieux est
tombé malade et est resté plusieurs jours cloué au lit et
son état se détériorait chaque jour. Il est entré
dans un coma profond. Et comme son corps entrait déjà en
décomposition, un autre membre de sa famille est venu à son
chevet et a commencé à lui parler quoique le vieux ne puisse lui
répondre. Il lui a dit qu'un vieux du village de sa trame ne peut partir
ainsi sans dire un mot (kutula diyi ce qui veut dire
prononcer un mot ou dire quelque chose).
Quelques temps après plusieurs reprises, le vieux
Lambert va ouvrir les yeux et indiquer d'un signal pointeur son anneau. Ce
membre de la famille compris que le problème résidait dans
l'anneau et va lui enlever l'anneau du bras et quelques heures plus tard le
Vieux Lambert rendit l'âme.
Notons que dans la tradition luba, il y a certains
fétiches qui rendent un homme « immortel ». Selon
les pratiquants, l'initié à ce fétiche est rendu
invulnérable à toute mort de mains des hommes. Toutefois, on
reconnaît dans la culture luba l'existence de la mort, mais on n'accepte
que celle qui vient de Dieu.
Il est bien vrai que dans la culture Luba on reconnait que
l'homme nait, grandit et meurt. Aussi que les causes de la mort sont
multiples : maladie, accident, vieillesse, suicide assassinat, ...
(Tshibasu Mfuadi, 2004). Les baluba considèrent la mort comme une
souffrance la plus chagrinante.
La société traditionnelle luba fait tout ce qui
est possible pour lutter pour la survie. Mais aussi l'on accepte que lorsque la
souffrance déborde, mieux vaut mourir et aller se reposer pour
arrêter la souffrance. Voilà pourquoi certaines personnes se
suicident quand la souffrance devient atroce et insupportable.
Un vieillard de 95 ans est assez âgé pour qu'on
s'attende à sa mort ordinaire. Chez les luba, il est vrai que la mort
est certaine et tout le monde naît, grandit et meurt un jour. Le fait que
Vieux Lambert ait fait beaucoup de jours en coma et que son corps entre en
décomposition fait penser à quelque chose d'inhabituel. On doit
se poser des questions pour en savoir plus. Ce questionnement nous pousse
à rentrer dans la vie du Vieux Lambert dans le but de comprendre comment
il a vécu depuis son enfance jusqu'à ce stade. Quels sont les
faits marquants de sa vie. Il s'agit de faire une étude psychodynamique
afin de couvrir ce qui bloque le départ du Vieux Lambert. Cette
étape permet de faire le diagnostic du patient.
Analyse psychodynamique
Lambert a passé la majeure partie de sa vie dans ses
convictions fétichistes. Il croit fermement à ses pouvoirs
magiques qu'il pense le maintenir en vie quelle que soit la maladie. Lui comme
son épouse croit aux esprits qui les protègent. Puisque sa
conviction relève de son psychisme, le psychisme prend le dessus sur le
soma (son corps) et le maintien en vie. Dans son état, la douleur de son
corps n'a aucun effet sur son être, car inconscient (en état
comateux).
Il faut une tierce personne, une personne qui est soit
initiée comme lui (Lambert), soit qui en a l'expérience,
c'est-à-dire une personne qui en a déjà entendu parler ou
qui a déjà vécu une scène similaire pour
déclencher le processus d'une mort en douceur après avoir
éveillé la conscience du patient pour que ce dernier exprime soit
sa dernière volonté, soit dévoile quelque chose qui peut
le libérer. Ici, il s'agit d'une libération spirituelle quand le
patient même si il n'est pas croyant mais arrive à faire des aveux
en guise d'une confession. Cette pratique constitue une sorte de cure
d'âme semblable à l'huile de malades que les curés
catholiques versent sur le patient afin de lui absoudre toutes les souillure
(péchés) et lui préparer un chemin de retour dans le monde
de l'au-delà avec apaisement (Mamba, A. M., 2013).
Le membre de la famille ou du clan du Vieux Lambert qui vient
à sa rescousse n'utilise que la parole. La parole chez les Bantous et
général et surtout chez les baluba est la clé de
dénouement de toutes les situations (P. Temples, 2009). Il s'ensuit bien
sûr d'autres rituels, mais l'élément primordial dans toutes
les pratiques Luba c'est la parole (diyi). Il y a un proverbe qui dit
« diyi diakangamba didi dintua ku
mutshima » c'est qui signifie « la parole que tu
m'avais adressée me pique au coeur ». C'est le cas ici de ce
membre de famille du vieux Lambert qui lui
dit : « tula diyi, muntu
mukole bu wewe katu wafua
nanku » pour dire « prononce un mot ou une parole
car un vieux comme vous ne peux jamais partir ainsi sans rien dire ».
Mais cette (ces) parole(s) qui dénoue(nt) la situation doit/doivent
être prononcée(s) dans un certain ton, et surtout en respectant
certaines règles, faute de quoi on ne peut pas aboutir au
résultat escompté.
Le fait que Vieux Lambert réagisse aux paroles du vieux
du village, montre que la thérapie est valide et répond au cas en
présence. Et la mort du Vieux Lambert qui s'en suit signifie qu'on a
résolu le problème, donc c'est une forme de guérison,
c'est-à-dire cela pris dans le sens d'épargner au patient les
souffrances qu'il endurait et la décomposition totale de son corps.
4.1.1.2. Cas Tatu
Le cas Tatu est une autre version d'aide au mourant en
utilisant les ressources vitales émotionnelles ; entendons par
là les objets ou les personnes ayant un lien affectif fort avec le
mourant afin de susciter son réveil de conscience. Ce cas illustre la
manière dont nous avons utilisé la parole pour obtenir la
libération d'une personne qui a tant souffert et lui éviter la
souffrance.
Description du cas Tatu
Tatu est un homme d'environ 70 ans. Il est marié
à une dame de 45 ans avec laquelle il a eu une fille de 13 ans. Tatu est
un haut fonctionnaire dans une entreprise publique. La famille nous a
consulté, car Tatu est dans un coma profond depuis plus de trois mois
et le médecin traitant l'a déjà placé en soins
palliatifs. Tatu a souffert de diabète et problème respiratoire
depuis plusieurs années. Il a une plaie sur la cuisse qui ne se
cicatrise pas et Tatu lutte entre la vie et la mort. Notre première
tâche était de préparer la famille de Tatu à toutes
éventualités (c'est-à-dire faire le travail de deuil).
Puis nous avons eu pour référence le cas du Vieux Lambert et nous
nous sommes mis à nous entretenir avec Tatu en lui rappelant sa position
dans son entreprise, la situation dans laquelle se trouve confrontée sa
famille qui pleure sans cesse ; tout en lui suggérant de prendre la
bonne décision qui soulagerait sa famille. Nous avons cité
nommément son épouse et sa fille. Nous lui avons demandé
s'il avait quelque chose qu'il voulait peut-être régler avant de
s'en aller en paix. Nous lui avons demandé de nous faire signe s'il nous
écoutait. Tatu a bougé ses mâchoires et nous avons
insisté de nous prouver réellement si ce signal signifiait qu'il
nous entendait, puis Tatu a soulevé son bras. Alors nous lui avons
remercié de nous avoir entendus. Plus tard à minuit de la
même nuit l'épouse de Tatu nous a appelé pour nous annoncer
son décès. Nous avons soutenu l'épouse psychologiquement
et la fille.
Comme nous pouvons le constater, la vie de Tatu est
liée à une fine corde qu'il fallait sensibiliser pour qu'il rende
l'âme en douceur. Même si Tatu ne nous a pas dit un seul mot avant
de mourir, mais le fait de manifester par des gestes qu'il nous écoutait
est déjà significatif pour nous. Cette technique a
été bénéfique même pour sa famille qui n'a
pas trouvé le départ de Tatu comme un châtiment mais
plutôt comme une délivrance.
Le cas Tatu est une autre variante du cas Vieux Lambert et la
démarche diagnostique et thérapeutique reste quasiment la
même. On cherche à savoir un peu plus sur la vie de Tatu à
travers son épouse, on utilise les paroles qui peuvent susciter un
déclic et ramener Tatu à la conscience, puis sa mort qui survient
comme un repos et l'économie de son corps de pourrir de sa plaie qui
rongeait sa cuisse.
4.1.1.3. Cas Washington
Ce cas est une autre variante de l'aide aux mourants. Il
souligne l'importance de la parole dans le réveil d'une personne dans un
état comateux. Dans ce cas, nous mettons en exergue le nom de puissance
ou de force que les Baluba se donnent a l'âge adulte et comment ce nom
travaille dans le psychisme du sujet pour lui susciter des émotions
capables de déclencher le réveil d'un mourant.
Description du cas Washington
Washington est un nom de puissance (comme chez les baluba) que
Papa Washington s'est donné dès son retour de Washington, aux
Etats Unis d'Amérique où il était allé rendre
visite à son fils qui y était diplomate. Papa Washington est dans
la quatre-vingtaine d'âge et son épouse est déjà
morte. Papa Washington est tombé malade et son fils l'a placé
dans une grande institution hospitalière. Un jour Papa Washington est
entré dans le coma et son fils est venu lui rendre visite.
Le fils plein d'émotion prononce en criant
« Washington ! » et tout d'un coup Papa
Washington ouvre les yeux et regarde son fils. Bien sûr Papa Washington
va mourir quelques jours plus tard.
Le cas Washington est une illustration de la signification du
pouvoir qu'a un nom pour atteindre le psychisme d'une personne. Seul le nom
surtout celui qualifié dans la culture Luba comme nom de puissance
(dina dia bukole) possède des valeurs
thérapeutiques inestimables. Il suffit de savoir interpréter le
nom de quelqu'un pour opérer des prodigieuses victoires en psychologie
clinique. Le fils de Washington en utilisant ce nom spécial de son
père, savait son impact sur lui et cela démontre que la culture
fait partie intégrante de la personne. Ce fils n'a peut-être pas
procédé de façon systématique, mais en guise de
psychothérapie de soutien cela a apporté des résultats
spontanés.
Il est possible de réveiller la conscience d'un patient
dans un état comateux en utilisant soit son nom de puissance tel que le
cas Washington, mais on peut également utiliser d'autres expressions
puisées dans la culture soit en puisant les souvenirs d'enfance ou
d'adolescence.
Ce cas nous incite à faire une analyse minutieuse sur
le nom tel qu'il est attribué chez les baluba et comprendre ses pouvoirs
thérapeutiques. Aussi, considérant cette influence qu'a le nom
sur la personne qui le porte, il est prudent et de bon aloi d'attribuer les
noms aux enfants en connaissance de cause afin d'éviter une influence
négative sur le comportement de son enfant. Ici, tout repose sur
l'interprétation que l'on donne au nom selon sa culture.
4.1.2.
Résolution des frustrations/le défoulement
4.1.2.4. Cas Mankashi
Mankashi est une tante qui a deux filles, Tshibola,
âgée de 14 ans, et Kapinga, âgée de 16 ans,
orphelines de père et de mère, et qui vivent avec elle. Mankashi
est âgée d'une soixantaine d'années et n'a jamais eu
d'enfants. Son mari est un ivrogne qui n'a pas de temps de suivre ce qui se
passe à la maison. Mankashi traite ses deux nièces comme des
esclaves. Les deux nièces de Mankashi font tous les travaux
ménagers (la vaisselle, la cuisine, la blanchisserie, etc.). Chaque jour
est un calvaire pour ces deux filles. Mais puisqu'elles sont obligées de
rester soumises à leur tante et supporter leurs sévices, elles
n'ont que le moment de piler le maïs, le manioc et les feuilles de manioc
(matamba/kaleji), pour exprimer leur frustration. Voici comment les deux filles
arrivent à surmonter leur dépression en pilant et en chantant
harmonieusement :
« Tubatuile, tubatuile, tubatuile bana nzubu
yabo, batutuilatuila kabasuasua
Tubatuile, tubatuile, tubatuile bena nzubu yabo,
batutuilatuila kasuasua
Tutue bababidi, tutue babidi, tutue babidi tupande tshinu
etshi, bena tshinu bakutamba diamba
Tutue babidi, tutue babidi tupande tshinu etshi, bena
tshinu bakutamba diambu (et quand la tante approche)
Wabitutua, wabitua, wabitua biateketa nseke, wamona mua
kulua kubidia, wabidia ne nyama wa mbuji
Wabitutua, wabitua, wabitua biateketa nseke, wamona mua
kulua kubidia, wabidia ne nyama wa mbuji. »
Ce qui se traduit par :
« Pilons pour eux, pilons pour eux, les
propriétaires, ceux pour qui on pile ne l'acceptent (ne le
reconnaissent) pas
Pilons pour eux, pilons pour eux, ceux pour qui on pile ne
l'acceptent (ne le reconnaissent) pas ;
Pilons à deux, pilons à deux, pilons
à deux et écrasons ce mortier,
Pilons à deux, pilons à deux, pilons
à deux et écrasons ce mortier, les propriétaires du
mortier parlent trop (et quand la tante approche)
Pilons, pilons, pilons jusqu'à rendre la semoule
épaisse, afin qu'on puisse bien le manger, qu'on le mange avec la viande
de chèvre
Pilons, pilons, pilons jusqu'à rendre la semoule
épaisse, afin qu'on puisse bien la manger, qu'on la mange avec la viande
de chèvre. »
L'analyse du cas Mankashi nous montre comment les deux
nièces frustrées par leur tante cherchent un mécanisme
pour pouvoir exprimer leur frustration et vivre dans l'harmonie. Leur chanson
est subdivisée en trois phases. La première phase est
l'expression de la frustration. La deuxième exprime l'agressivité
qui résulte de leur frustration. Comme elles ne peuvent pas s'attaquer
à leur tante, elles orientent cette agressivité vers le mortier
qu'elles sont prêtes à écraser et casser en morceaux. Et la
troisième phase c'est le contentement qu'elles manifestent après
s'être rendues compte que leur message est parvenu au destinataire.
La frustration selon le dictionnaire international de
psychanalyse désigne l'état dans lequel se trouve une personne
qui se refuse, ou à qui l'on refuse, dans l'immédiat ou à
jamais une satisfaction pulsionnelle. Elle concerne quelque chose qui est
désiré et qui n'est pas tenu, mais qui est désiré
sans nulle référence à aucune possibilité de sa
satisfaction ni acquisition (A. de Mijolla, 2007, pp. 704-705). Les deux
nièces de Mankashi peuvent bien vouloir revivre avec leurs parents
biologiques, mais jamais cela deviendra une réalité. Mais pour
Freud, la frustration trouverait toute son utilité à la
l'épanouissement de l'individu. Elle serait à l'origine des
plaisirs, et susciterait ainsi le désir. C'est ce que l'on constate dans
la troisième phase de la chanson de ces deux nièces de
Mankashi.
En consultant le dictionnaire Dico-Psycho (
www.psychologies
.com) on définit la frustration comme un état
d'insatisfaction provoqué par le sentiment de n'avoir pu réaliser
un désir. C'est comme les deux nièces de Mankashi qui
éprouvent un désir de se sentir aimées et être
traitées comme des enfants que tante Mankashi n'a pas pu avoir, mais
cela n'arrivera pas un jour. On constate que la frustration place l'individu
dans l'attente de la réalisation de quelque chose qui ne se fera pas.
Cette frustration, comme conflit intérieur entraine le manque de
confiance en soi. Et comme cela devient une obsession chez les deux filles,
elle réveille la colère et la tristesse.
Le manque de tendresse déclenche immanquablement des
sentiments d'infériorité, de frustration chez les enfants, comme
chez les adolescents. Cela arrive souvent quand un parent humilie, domine,
infériorise ou abandonne visiblement son enfant (Daco, P., 1973, P.
211).
Il suffit d'être attentif et d'avoir un coup d'oeil
clinique pour déceler dans les chants de nos mamans qui pillent dans les
villages, les conflits intra psychiques, les problèmes existentiels
ainsi que toutes formes des frustrations auxquelles elles sont exposées.
Les chansons luba referment toujours un aspect d'expression de son for
intérieur, un message-réponse à une provocation, un
conseil, ou un cri de désespoir.
Et dans cette culture, il a été conçu un
jeu des marionnettes constitué de deux femmes, un mortier et deux
pilons. Les deux femmes sont en train de piller en chantant. En écoutant
attentivement les chansons des femmes lors de cet exercice, le matin ou le
soir, elles expriment toujours soit leurs angoisses, leurs frustrations, leurs
problèmes qu'elles ne sont pas capables de résoudre directement.
Donc, ce jeu de marionnette peut nous servir de « technique de
mortier et pilon » en vue de soulager les stress, les frustrations,
l'angoisse et beaucoup d'autres troubles psychiques qui sont enfuis dans
l'inconscient et peuvent facilement être extériorisé en
jouant ce jeu et en chantant au rythme cadencé des marionnettes.
4.1.3.
Aide à l'accouchement
Le cas présenté dans cette rubrique concerne les
difficultés ou le blocage d'accouchement (accouchement dystocique). La
médecine moderne parle d'accouchement qui ne se déroule pas
normalement en basant la difficulté comme pouvant venir de la
mère ou du foetus lors d'une présentation par le siège ou
un gros bébé. Mais dans la culture luba, les causes peuvent
provenir aussi, soit à cause de l'inceste ou l'adultère de la
mère, soit dû aux parjures de la mère à la suite de
disputes qu'elle a eues avec son mari. Des pareilles situations peuvent
également être observées en cas de viol lointain ou
à bas âge de la future mère qui refuse de voir naître
un enfant issu d'une relation honteuse et rappelant des mauvais souvenir. Cette
situation a des répercutions sur l'enfant qui est exposé à
des crises multiformes telles que le refus de téter, les morsures
à la mère, etc.
4.1.3.5. Cas Ya Mbombo
Ya Mbombo est une dame de 32 ans. Elle est mariée
à Vieux Mulume âgé de 50 ans depuis 6 ans et ils ont deux
enfants. Ya Mbombo est tombée enceinte du jeune frère à
Vieux Mulume avec qui ils vivaient sous le même toit. Les deux
adultères ont gardé leur secret jusqu'au jour où Ya Mbombo
est arrivée à terme de sa grossesse. Elle va passer trois jours
sans que l'enfant ne naisse. Ya Mbombo était devenue très
pâle et on pensait déjà qu'elle allait mourir quand une des
femmes sages qui l'aidait a commencé à lui parler en disant
« baba tula diyi ne udi musambuke biuma bia bende » ce qui
veut dire « maman dit quelque chose si tu as transgressé la
dot d'autrui ». Ici la sage femme voulait savoir si Ya Mbombo avait
commis l'adultère. Elle a tellement insisté en lui rappelant que
« lufu ntulu » ce qui signifie « la mort est
comme le sommeil » c'est-à-dire tu pourras mourir comme un
jeu. Finalement Ya Mbombo va avouer en pleurant qu'elle a été
séduite par son beau-frère.
Dès que Ya Mbombo a seulement avoué, les
contractions se sont accélérées et par la suite l'enfant
est sorti. Et puis la famille s'est réunie et a décidé de
réparer cet inceste (tshibindi/mukiya) plus tard. Comme on ne pouvait
pas cacher cela la nouvelle s'est répandue dans tout le village. Le jour
J, Ya Mbombo devait apporter une poule issue de sa propre famille et la famille
du mari aussi a fait de même. On procède à la
cérémonie appelée kudula lududu (ce qui
signifie ôter les habits c'est-à-dire réparer
l'infidélité) en public. Notons que cette cérémonie
est faite au cas où on souhaite garder la femme surtout pour
protéger les enfants, sinon c'est le divorce pur et simple.
Analyse du cas Ya Mbombo
L'analyse de ce cas nous montre que le seul fait d'avouer son
délit suffit pour déclencher l'accouchement. Le rituel
traditionnel de réparation suit après, en guise de
réinsertion dans la société. Donc la thérapie qui
déclenche la sortie de l'enfant ici sontt les paroles prononcées
par la sage femme ou l'aidant qui ont un pouvoir de déclencher le
déclic.
Dans la psychodynamique, on remarque que le comportement de la
mère avant la conception, pendant la grossesse et à
l'accouchement est très déterminant pour le comportement et le
développement de l'enfant. Nous disons que le comportement est
influencé par l'énergie créée par la chaleur ou
l'ambiance familiale en tant qu'environnement primaire dans lequel l'enfant qui
nait devra se socialiser. Cette énergie affecte la naissance et est
révélatrice de la santé mentale de la mère et par
ricochet celle du couple. L'enfant refuse de naitre pour plusieurs
raisons : la grossesse n'a pas été désirée
(soit parce qu'elle a été accidentelle, soit parce qu'elle est
issue des relations incestueuses, soit parce qu'elle est issue d'un viol, soit
parce qu'il existe des conflits intra conjugaux ayant emmené la
mère à jurer ne pas avoir des enfants, etc.) , la grossesse est
désirée mais le comportement de la mère au cours de la
grossesse a affecté l'enfant (soit que la mère a commis
l'adultère, soit il s'agit des conflits intrapsychiques de la
mère qui la prédispose à ne pas être prête
à accoucher comme dans le cas des primipares, etc.).
L'enfant dans la culture luba dévoile la face
cachée de sa famille et exprime cela soit par son refus de naitre, soit
par le refus de se nourrir des seins de sa mère (l'anorexie), soit il va
manifester son mécontentement en naissant Kabungame et quand il
doit téter, il mord le sein de la mère
Michèle MAURY dans son module sur les troubles
alimentaires chez les nourrissons évoque les aspects psychologiques
ci-après : « Chez le nourrisson, un dysfonctionnement est
relationnel avec l'entourage corporelle. L'investigation des troubles
alimentaires et du sommeil doit toujours se faire dans une triple dimension,
médicale, éducative et psychologique. Parmi ces troubles elle
insiste sur l'anorexie et elle dit l'anorexie d'opposition
(on parle parfois d'anorexie du sevrage, d'anorexie du
deuxième semestre), par exemple est la plus fréquente. C'est plus
une conduite de refus alimentaire qu'une absence d'appétit. Elle
naît de la non-adéquation entre un comportement qui a valeur de
signal émis par le bébé et le décodage
inadéquat qui en est fait par la mère. Le bébé peut
manifester une opposition légitime qui est à reconnaître
comme un besoin de changement et non comme un caprice. Il peut de la même
façon se manifester face à des changements dans l'environnement
(sevrage, mise en nourrice, déménagement, départ d'un
familier ...).
L'on constate qu'à l'accouchement, est lié le
comportement (présent ou futur) du bébé.
Les conséquences lointaines de ce genre
d'accouchements, c'est la carence affective avec tout ce qui s'en suit.
L'enfant d'aujourd'hui, une fois devenu adulte risque de se comporter en
rebelle et cherche à se venger d'une manière ou d'autre sans
savoir d'où lui provient ce sentiment.
De ce fait, l'ethnopsychologie nous permet d'analyser tout le
contour des difficultés que la mère connait à
l'accouchement pour améliorer l'avenir de l'enfant et par là
celui de la vie de toute la famille. Le comportement de l'enfant peut aussi
être interprété à ce stade comme une punition
(expression des frustrations/agressivité). Voilà pourquoi la vie
du foetus ou du nourrisson et celle de la mère sont intimement
liées. Le comportement du bébé peut mieux indiquer ou
révéler les conflits psychiques de la mère. Dans la
culture luba, toute manifestation du malaise de l'enfant est
révélatrice de ce qui ne va pas soit chez sa mère, soit
chez son père ou soit dans la vie du couple en général et
la famille ou le clan surveille tout membre et les personnes attitrées
soumettent le couple à un interrogatoire afin d'en découvrir les
causes dans l'intérêt d'une vie harmonieuse de la famille.
4.1.4. Rite de
réparation
Le rite de réparation chez les Baluba du Kasaï
consiste en un rituel organisé par les membres de la famille ou du clan
constitué en une cour populaire pour régler un conflit social de
suite de violations des préceptes de coutumes, ayant engendré ou
pas de conséquences. Ce rite a pour objet le retour à l'harmonie
familiale ou la prévention de dégâts futurs au sein de la
famille ou du clan.
Notre travail n'est pas de reproduire fidèlement
l'intégralité des audiences organisées dans cette culture,
mais plutôt d'illustrer un cas qui montre comment les Baluba arrivent
à résoudre certains conflits sociaux.
· Au cours du deuxième chapitre, nous avons
énuméré quelques conséquences de violations de
coutume chez les Baluba du Kasaï et leurs pratiques thérapeutiques.
Pour illustrer cela, nous avons dit ceci en ce qui concerne la désertion
du toit conjugal : « la désertion du toit conjugal par
une femme mariée, à l'issue d'une dispute, est une contravention
aux coutumes si celle-ci est allée se refugier en dehors de la famille
de son mari. Il est à noter que plusieurs considérations sont
mises en jeu. Peut être elle peut avoir eu des visites des ses
ex-fiancés ou prétendants, elle peut s'exposer à des
nouveaux prétendants etc. Alors si après conseils de ses parents,
elle décide de regagner son foyer, le conseil familial devrait se
réunir pour examiner le cas. Et dans l'entre-temps, le soir c'est tout
le quartier que va crier sur elle en disant « wakupanga
mbuji » ce qui veut dire elle a manqué la chèvre,
car pour réparer elle devrait payer des amendes auprès des ses
belles soeurs qui varient entre l'argent et la chèvre selon le cas et
lors de la cérémonie publique on chante « X wakaya
kuabo kabamulonda, x wakalua muele mabele mulu » ce qui
signifie « X était partie chez elle et on ne l'a jamais
suivie, X est revenue seule avec ses seins en l'air. »
4.1.4.6. Cas Ngala
Ngala est une jeune dame de 30 ans et d'une famille assez
aisée, elle est mariée, mais n'a pas encore eu d'enfants. Son
mari Kelly rentre souvent tard à la maison après avoir
été boire avec ses amis. Ngala en a marre du comportement de son
mari et un jour après une forte dispute, elle se décide de
déserter sa maison pour rentrer chez ses parents.
Une semaine plus tard, après avoir eu des conseils de
sa mère et d'autres membres de sa famille, Ngala décide de
retourner auprès de son mari. Elle y arrive vers les heures du soir et
soudainement, c'est tout le quartier qui entre en effervescence en criant de
partout : « kukululukuluuu, wakupanga mbujieee» qui peut se
traduire par elle a manqué la chèvre, ceci pour dire qu'elle a
échoué et n'a pas pu tenir ; et d'autres chantent
« Ngala Mulumba wakaya kuabu kabamolonda, wakalua wuele mabele mulu
...» qui signifie Ngala Mulumba est partie chez elle et sans être
récupérée par son mari, elle est rentrée toute
seule brandissant les seins.
Ngala va rester pendant près d'une semaine,
renfermée dans sa maison toute couverte de honte. Cette action est
perçue comme un châtiment aux femmes qui désertent leurs
toits conjugaux et une mise en garde contre toutes celles qui en auraient des
intentions.
Analyse du cas Ngala
Cette situation est semblable à celle d'une femme qui,
par sa faute, son mari a déserté le toit conjugal. A ce propos,
il y a une légende chez les Baluba qui explique comment une femme
à la recherche de son mari va rencontrer une vieille divinatrice (kakaji
kakulu) en lui disant : « kakaji kakulu wetuawu kumuenyiku
mbayani awu, nakudia kapasu tshimupela, tshinji tshia kapasu tshiamukuata, et
kakaji kakulu le dit nuakutanda anyi, elle dit non, elle ajoute
nuakuluangana ? La femme dit non, et elle poursuit tshinji ntshia
mpasu ? et la femme dit oui ». Dans cette légende kakaji
kakulu veut savoir si la femme à la recherche de son mari ont eu de
disputes ou se sont bagarrés, et kakaji kakulu n'arrive pas à
concevoir que le mari de cette femme n'ait pu déserter le toit conjugal
seulement à cause d'un grillon ou d'un insecte. Ceci sous-entend qu'il y
a plutôt d'autres causes ayant conduit à la désertion du
mari que la femme n'arrive à s'exprimer.
Ce cas illustre comment les Baluba veillent à
prévenir le danger de séparation de couples et renforcent
l'harmonie dans un foyer. La désertion d'un toit conjugal peut
créer des conflits psychiques dans la vie d'un couple. Ces conflits
peuvent avoir d'autres conséquences graves comme
l'infécondité chez la femme, l'infidélité chez
l'homme et beaucoup d'autres troubles psychiques.
La sanction populaire caractérisée par les
chahuts du quartier et d'autres tribus ou amendes (tshibau) que le
déserteur est appelé à payer constitue le rite de
réparation. Ce rituel ressemble un peu à celui d'une femme
adultère et dont le mari accepte à réintégrer le
toit conjugal et de poursuivre la vie conjugale ensemble, à la seule
différence que dans ce dernier cas la femme est obligée de se
dénuder.
4.2. Discussion des
résultats
Après avoir présenté et analysé
singulièrement les six cas de notre étude, nous allons faire
à présent une analyse globale en rapport avec les objectifs que
nous nous sommes assigné.
Dans cette démarche, nous avons cherché à
savoir ce qui suit :
- comment se fait le diagnostic des troubles de comportement,
des maladies ou des problèmes psychologiques qui sont des
conséquences de violations des coutumes dans la culture luba ;
- s'il existe des pratiques thérapeutiques
appropriées qui peuvent être utilisées dans plusieurs
circonstances et situations, et par conséquent être
employées comme techniques thérapeutiques en
psychothérapie ;
- comment fonctionne le psychisme à travers la
puissance de la parole lors de l'entretien thérapeutique.
En d'autres termes, nous allons analyser tous les cas en
tenant compte des aspects diagnostics, thérapeutiques et le
fonctionnement du psychisme lors de cet exercice thérapeutique.
4.2.1. Aspects diagnostics
Au cours du deuxième chapitre de cette étude,
nous avons cité Katanga TSHITENGE pour qui toute maladie chez les Baluba
est considérée comme conséquence d'un péché
commis soit par le patient lui-même ou par ses parents avant l'âge
de raison et que les véritables causes devraient être
découvertes afin de pouvoir demander l'intervention des esprits ou des
ancêtres.
Nous avons également souligné le fait que le
diagnostic dans cette culture, est souvent posé lorsque la situation est
devenue critique, voire même irréversible.
Dans le cas du Vieux Lambert, comme celui de Tatu, l'on
constate que nous sommes devant des patients dont les corps entrent
déjà en décomposition, les intéressés
plongés dans un coma profond, mais continuent à vivre. Ils se
battent entre la vie et la mort. Voilà une indication que quelque chose
ne va pas et il faut une intervention. C'est à ce stade que l'on fera
appel ou qu'interviendra le personnel soignant, en l'occurrence le vieux sage
de la famille ou le chef de famille investi des pouvoirs de guérison.
L'histoire personnelle du Vieux Lambert ou l'analyse psychodynamique va
révéler qu'il avait des fétiches devant le rendre
invulnérable et immortel. Ce genre de fétiches usurpent les
pouvoirs ancestraux du fait que le détenteur se place à l'abri de
tout contrôle familial et clanique. Mais comme tous ces fétiches
ont toujours des termes, les esprits ancestraux attendent
l'intéressé en fin terme pour lui demander des comptes. Cette
situation met le Vieux Lambert comme Tatu en ballotage ne sachant quoi faire.
Il faut un aveu (kutula diyi) sous quelque forme que ce soit afin
d'entamer toute autre thérapie.
Le cas de ya Mbombo qui a commis l'adultère avec son
beau-frère (un cas d'inceste comme cela s'est produit avec un personne
ayant des liens familiaux) suscite un diagnostic presque similaire car l'on
constate qu'elle fait plusieurs jours de travail d'accouchement sans que
l'enfant ne naisse. Cette situation qui dépasse les sages femmes va
au-delà de l'obstétrique et il faut rechercher les causes, faute
de quoi Ya Mbombo risque la mort. Il s'agit d'un patient dont l'état est
également critique. Le blocage de l'accouchement chez Ya Mbombo permet
de détecter un problème lié à la violation de
coutumes. Les femmes sages ou les aides accoucheuses, si elles sont
préparées ou initiées à diagnostiquer l'existence
d'un problème particulier qui nécessite une prise en charge
spéciale, elles arrivent à denouer la situation. C'est ce qui
conduit à un entretien clinique qui permet à Ya Mbombo de faire
son aveu et libérer l'accouchement.
Le cas Mankashi, renseigne comment le comportement
inadapté d'un parent vis-à-vis des ses enfants peut rendre les
enfants agressifs et les frustrations générées par la
maltraitance d'un parent sont détectées à travers
l'expression des enfants et comment elles développent les
mécanismes de défense pour parer à cette situation. La
technique de pilon et mortier qui est répandue dans plusieurs village
où l'on peut entendre les femmes se défouler en chantant, en
lançant des proverbes et anecdotes sous forme des chants pour exprimer
les difficultés ou les violences dont elles sont victimes soit de la
part de leurs maris, ou encore de la part de leurs belles familles.
4.2.2. Aspects
thérapeutiques
Nous avons compris que la thérapie est une aide ou une
modification de comportement d'un individu tendant à supprimer ou
à atténuer sa souffrance, son mal à l'aise ou créer
une situation harmonieuse pour un individu ou un groupe d'individus. Les cas
que nous avons étudiés nous montrent comment on arrive dans cette
culture à aider les personnes qui ont des problèmes à soit
les supprimer, soit en atténuer l'ampleur. Pour certains comme Vieux
Lambert et Tatu, il leur fallait mourir pour aller se reposer en paix et leur
éviter toutes les souffrances qui n'avaient que trop duré.
Pour Ya Mbombo, le fait de l'amener à avouer son acte
d'adultère l'a aidé à accoucher et arrêter ses
souffrances, bien que pour ce cas, la thérapie se fait en deux temps. Il
y a d'abord la thérapie instantanée qui vise à trouver une
solution immédiate. Cette thérapie est parfois
éphémère, car il peut y avoir des récurrences
d'où le deuxième temps qui consiste en une réparation
publique. Notons ici que notre intérêt a été plus
dans la quête d'une solution immédiate, mais nous attirons
l'attention de l'intéressé de pouvoir poursuivre la
thérapie au niveau familial avec des rites de réparation pour une
solution définitive ou durable. Somme toute, pour le psychologue
clinicien ou la sage femme, le fait d'avoir aidé la femme à
accoucher est le plus important.
Le Cas Washington nous montre comment le nom joue un
rôle très important dans la thérapie. Le nom est
chargé d'un pouvoir psychique d'éveiller la conscience.
Washington, en plein coma, a su se réveiller grâce au nom de
puissance que son fils a eu à prononcer.
Dans le cas Mankashi, il s'agit d'une auto thérapie.
Les deux filles ou nièces de Mankashi par le fait d'exprimer les
frustrations en chantant, elles sont dans un processus thérapeutique.
Cela va de même de toutes ces femmes qui expriment leurs angoisses, leurs
chagrins, les déshonneurs, leurs souffrances en pillant et en chantant,
ou en confiant leurs difficultés à des personnes de confiance,
mures et expérimentées. Raconter son chagrin à un ami, un
proche constitue en soi une libération du lourd fardeau qu'on a sur la
conscience..
L'aspect thérapeutique trouve son sens dans le fait
que le problème posé trouve de solution immédiate qu'elle
soit temporaire ou définitive. Il nous revient d'envisager d'autres
voies qui aideraient les patients à obtenir des solutions beaucoup plus
durables.
4.2.3. Le Fonctionnement du
psychisme
Nous nous plaçons ici dans un contexte d'entretien
clinique entre le personnel soignant qui peut être un guérisseur
traditionnel ou un psychologue clinicien. Au centre d'entretien la parole reste
l'élément clé pour réaliser
l'intersubjectivité. Benony et Chahroaoui (2003) disent que l'entretien
vise à appréhender et à comprendre le fonctionnement
psychologique d'un sujet. Ceci fait appel à la théorie
psychanalytique freudienne où l'on considère la psychanalyse
comme une technique d'analyse du psychisme et permet donc d'accéder
à l'inconscient des individus. Et dans cette démarche, on peut
arriver à provoquer une abréaction chez le sujet qui produira une
catharsis. Cet effet est une réponse au stimulus du psychisme.
Pour les neurosciences, tout se passe dans le cerveau et que
le psychisme humain n'est qu'une résultante des connexions et
interactions des neurones au niveau du cerveau. Mais ces recherches sont encore
en cours. Jean-Jacques Pinto (2011) évoque une pseudoconvergence entre
les neurosciences et la psychanalyse.
Les neuroscientifiques parlent da la polarisation des neurones
qui sont chargés positivement et négativement. Cette
énergie qui découle des neurones selon les neurosciences,
explique en quelque sorte les pouvoirs que détiennent les
guérisseurs (les nganga) qu'ils soient medium, devin ou chef de clan
tels que décrits au deuxième chapitre et leur permet de
pénétrer l'espace psychique ou l'inconscient d'un individu et
lire les archives contenant les affects, les traumatismes ou les
événements de l'histoire individuelle du patient afin de proposer
une thérapeutique. Outre les neurosciences, les expériences
faites dans le cadre de parapsychologie expérimentale démontrent
aussi comment cette intersubjectivité marche dans la
phénoménologie de la perception extra sensorielle.
Les cas Lambert, Tatu, Washington et Mbombo, se rangent dans
cette logique où l'on utilise la parole pour éveiller la
conscience, la parole qui contient une énergie nécessaire pour
mettre en contact le personnel soignant et le psychisme du patient afin
d'aboutir au résultat escompté.
Dans le cas Washington, le fait de prononcer ce nom
spécial « Washington » réveille ce patient
qui était dans un coma profond. Ceci démontre la puissance que
possèdent certains noms que portent les individus. Cette réaction
est l'effet d'une métacommunication entre deux individus.
CONCLUSION
Les coutumes et traditions culturelles, les
représentations mentales ou les savoirs quotidiens sont devenus
aujourd'hui objet d'études de toutes les disciplines, depuis que la
sociologie - dans le sillon de Durkheim cité par Panu Mbendele (1988) -
a découvert leur importance.
Le présent travail qui est parti des théories
subjectives luba du Kasaï relatives aux traitements des maladies et
problèmes, conséquences de violation des coutumes s'est voulu une
réponse aux interrogations selon lesquelles les pratiques
thérapeutiques de cette culture peuvent être utiles à la
psychologie clinique en générale et la psychothérapie en
particulier. Il nous montre comment nos représentations communes
déterminent la nature de nos comportements.
Notre travail s'est ainsi intéressé aux savoirs
endogènes, au vécu du peuple luba puisé du monde dans
lequel il vit et surtout aux savoirs sur la résolution des
problèmes psychosomatiques.
Nous avons constaté que les personnels de santé
que nous avons appelés agents guérisseurs ou les nganga
ont développé diverses stratégies et techniques pour
aider leurs frères et soeurs à entretenir la
santé (vie) ou à la restaurer lorsqu'elle a été
perturbée (à soigner la maladie). Dans leurs pratiques, ils
utilisent la parole comme outil principal bien que les rituels peuvent mettre
en exergue d'autres objets comme les peaux de certaines bêtes, des
plantes, etc., en vue de préparer psychologiquement la thérapie.
La clé de voûte de toute leur construction thérapeutique
est que tout est interconnecté, tout peut influencer tout, avec la
parole.
A la lumière de ces quelques cas, étudiés
au cours de cette recherche, nous nous rendons compte dans nos cultures, il
existe des méthodes et techniques thérapeutiques qui
procèdent quasiment comme les méthodes scientifiques. Il y a des
procédures diagnostiques et des techniques de traitement valables et
comparables aux procédures et aux techniques de certaines
psychothérapies scientifiques. Bien plus, il y a des techniques que la
psychothérapie scientifique ignore encore et qui peuvent être
adaptées afin de rendre nos pratiques scientifiques beaucoup plus
efficaces.
Bien que ce pratiques thérapeutiques ne saurons
répondre de la même façon chez tout le monde, cela est
lié, bien sûr, à l'équation personnelle ou de
l'histoire individuelle du sujet, elles demeurent d'un apport important pour la
science.
C'est en ce sens que nous poursuivrons nos recherches
futures, en nous basant sur les aspects issus de cette étude, avec un
échantillon plus élargi pour que ces pratiques soient utiles non
seulement en milieux luba, mais à travers d'autres cultures.
BIBILOGRAPHIE
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3. BRIL, B.et LEHALLE, H. (1988). Le développement
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