Singularité des NTIC en Afrique noire : une illustration à travers le téléphone portable dans la ville de Lomé (Togo).( Télécharger le fichier original )par Napo Mouncaïla GNANE Université de Lomé - DEA 2010 |
1.2- Problématique de l'étudeAu cours des trois dernières décennies, il est apparu indéniable que les progrès des télécommunications et de la microélectronique, résultat de la révolution industrielle associée aux NTIC, ont révolutionné le monde moderne. Les changements rapides enregistrés dans tous les domaines de la vie sont à mettre à l'actif de cette révolution technologique. On peut dire avec Barlow (1996), Negroponte (1996) et Castells (1997), que les NTIC sont au coeur des transformations qui affectent les sociétés modernes. Pour ces auteurs, la notion de société de l'information est aussi née de cette idée que des changements pareils à ceux qui ont marqué l'humanité avec l'avènement de l'écriture et l'invention de la machine à imprimer sont actuellement en cours et qu'ils sont tout ce qu'il y a de plus révolutionnaire ; ils touchent toutes les sphères de la société. Les TIC (Internet, téléphone mobile...) se sont développées et diffusées à un rythme effréné sur toute la planète. Même si l'on peut remarquer des disparités régionales en termes de disponibilité, d'expansion ou encore en termes d'usage et de mode d'acquisition, il est aujourd'hui incontestable d'affirmer que ces technologies, TIC envahissent extraordinairement le monde. D'après les dernières statistiques de l'Union Internationale des Télécommunications (UIT), le secteur des TIC connaît, dans beaucoup de régions du monde, une croissance rapide, alimentée essentiellement par la téléphonie mobile. Ces données, prévisions et analyses très complètes montrent en effet que le marché de la téléphonie mobile poursuit son essor, puisque le nombre d'abonnés dans le monde a atteint 4,6 Milliard soit 67% de la population mondiale à la fin de l'année 2009 (UIT, 2009). En Afrique, depuis leur introduction dans les années 1990, le paysage des NTIC a connu un changement spectaculaire grâce à l'action internationale à travers les accords multilatéraux. Cette action de développement a suivi le mouvement et les orientations établis par les conventions et traités. L'expansion rapide des TIC a été en grande partie encouragée et soutenue de l'extérieur (pays occidentaux) comme cela fut le cas de la radio et de la télévision dans les années 1960. Les Etats africains se sont donc ouverts aux NTIC dans le contexte des années 1990. Un contexte de l'afro-pessimisme qui a suivi la faillite des modèles de développement et la dégradation des indicateurs sociaux consécutifs aux Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) des décennies précédentes. Un afro-pessimisme que l'opinion politique, les experts et les Gouvernements en Occident ont traduit par une perception de l'urgence humanitaire et de la lutte contre la pauvreté. Cette ouverture des Etats africains aux TIC n'a pas manqué de susciter auprès de certains acteurs de la coopération internationale, l'espoir que ces outils puissent jouer sur ce continent le rôle d'un levier d'accélération du progrès socioéconomique (Do-Nascimento, op.cit). En 1990, seuls trois pays du Maghreb, l'Egypte, l'Afrique du sud, le Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) et le Gabon avaient les systèmes de téléphonie mobile. Cinq ans après, le nombre d'abonnés au téléphone mobile atteignait celui du téléphone fixe dans cinq pays (Botswana 50% ; Côte d'Ivoire 54% ; Rwanda 50% ; Afrique du Sud 49% ; Ouganda 50%) et il ne restait plus que certains pays de la frange sahélienne (Tchad, Erythrée, Somalie...) qui n'étaient pas encore concernés par la mise en place des réseaux de téléphonie mobile (Chéneau - Loquay, 2001). A partir de l'année 2004, l'UIT, (2004) soulignait que l'Afrique est la partie du monde où la progression de l'utilisation de la téléphonie mobile est la plus rapide au monde. Cette observation de l'UIT est d'une certaine manière soutenue par les rapports de la GSMA (2007). D'après les données de cette association, au cours de la seule année 2007, plus de soixante dix millions de nouveaux utilisateurs de la téléphonie mobile se sont ajoutés à ceux qui existaient déjà, élevant le nombre total d'utilisateurs du téléphone mobile à deux cent quatre vingt deux millions (258 000 000) en Afrique. En 2009, les abonnements aux larges bandes mobiles vont à plus de quatre cent millions en Afrique (UIT, 2009). La rapidité de la diffusion des NTIC en Afrique s'est surtout traduite par une prolifération du téléphone mobile dans les grandes villes. Pour Alzouma l'adoption du téléphone mobile en particulier est l'un des phénomènes les plus saillants de ce que certains média présentent comme une révolution. Poursuivant son analyse il affirme que : « ...dans les villes, et dans une moindre mesure dans certaines campagnes, beaucoup de jeunes et vieux, de femmes et d'hommes, de riches et de pauvres ont fait leur, cet instrument de communication avec une rapidité qui a étonné tous les observateurs » (Alzouma, 2008 :39). L'Afrique s'est donc engagée sur les autoroutes de l'information à travers l'utilisation du téléphone portable. En dépit de la fracture numérique qui restitue l'existence d'un fossé économique entre les utilisateurs du Nord et ceux des pays en voie de développement, l'accroissement de la consommation des services liés aux technologies de l'information et de la communication est donc devenue important. Le Togo n'est pas restée en marge de cette expansion de la téléphonie mobile. Cet outil de communication a été introduit dans ce pays en 1998 par la société TOGOCELLULAIRE, le premier opérateur de téléphonie mobile (filiale de la société TOGO TELECOM) dont le réseau couvre 95% de la population, et 75% du territoire dont Lomé la capitale (TOGOCEL INFO, mai/juin 2008). Structure à composante étatique, cette société a été secondée plus tard par un second operateur privé Telecel Togo, qui cédera sa place à la société Moov Togo du groupe Atlantis Telecom. Ces compagnies assurent aujourd'hui l'offre des services liés à la téléphonie mobile dont l'expansion rapide est plus remarquable à Lomé, la plus grande agglomération urbaine du Togo. Pour la compagnie TOGOCELLULAIRE, le nombre d'abonnés est passé de 14.600 en 1998 à 380.001 en 2005 pour atteindre 820807 à la fin de l'année 2007 (TOGOCEL INFO, idem). Ces chiffres témoignent de l'adoption rapide de cet outil de communication par les togolais en général et les loméens en particulier. Appelé « portable » ou encore « cellulaire », cet outil de communication a été très rapidement intégré dans les habitudes et les différentes pratiques quotidiennes des populations. Il est présent dans presque tous les ménages où l'on en fait plusieurs usages (appel, envoi de SMS, navigation sur le web, chronomètre...). Son utilisation est rentrée dans les moeurs et n'est plus l'apanage d'une classe sociale privilégiée ou d'une tranche d'âge et a introduit de nouveaux concepts dans le langage, des nouvelles formes de sociabilités, bref des changements sociaux. Cette vulgarisation rapide du téléphone mobile dans la ville de Lomé tout comme dans toutes les autres villes de l'Afrique noire revêt un caractère particulier et contradictoire. Ceci parce que les TIC, en général, ont été introduites dans ces milieux dans un contexte de morosité économique caractérisée par un endettement très élevé des pays et une stagnation, voire une régression de la croissance économique, de manque d'infrastructures électriques et téléphoniques indispensables au fonctionnement de ces TIC3(*) (Kokou ,2009 ; Dibakana, 2008). Néanmoins, l'utilisation et la consommation des services liés aux TIC vont connaître une croissance très importante notamment dans l'utilisation de la téléphonie mobile dans cette partie du monde. Ce constat, replacé dans le contexte de la ville de Lomé, nous amène à poser plusieurs questions de recherche. * 3 Notons qu'au Togo, l'état de pauvreté généralisé et l'absence d'infrastructures téléphoniques et électriques ont été plus accentués par la crise sociopolitique que traverse ce pays depuis les années 1990. |
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