4.6-Vérification des hypothèses
Les TIC, et le téléphone portable en
particulier ont été introduits à Lomé dans un
contexte particulier qui fait d'ailleurs sa singularité. Ce contexte
caractérisé par le manque d'infrastructures techniques
adéquat, une paupérisation de la population, le niveau
d'instruction relativement bas de la population. A ces conditions s'ajoute un
contexte sociopolitique défavorable à la concurrence des
opérateurs de téléphonie mobile, gage d'une vulgarisation
accéléré de cet outil et un contexte social fait de
relations sociales affectueuses privilégiant les contacts physiques (ce
que ne favorise pas le téléphone portable, qui privilégie
les contacts à distance).
Dans ces conditions, la logique aurait voulu que le
téléphone portable ait du mal à s'implanter à
Lomé, mais paradoxalement, cet outil de communication a connu un
succès visible à travers son adoption rapide et
généralisée. Comment expliquer alors ce paradoxe de
l'adoption et de l'expansion rapide du téléphone mobile dans un
environnement a priori défavorable à son succès ?
Comme réponse provisoire à cette question, nous
avons retenu que le succès qu'a connu le téléphone mobile,
dès son introduction dans un contexte socioéconomique et
technique défavorable dans la ville de Lomé, s'explique par son
utilité et les différentes représentations que se font les
loméens de cette nouvelle technologie de la communication.
Cette hypothèse principale nous amène alors
à vérifier dans un premier temps que La vulgarisation
(succès) du téléphone mobile est influencée par son
utilité, car répondant aux divers besoins pratiques et
communicationnels des loméens. Dans un second temps, il fallait
vérifier que l'engouement pour le téléphone portable
à Lomé, est aussi déterminé par sa
possession qui est conçue comme une marque de distinction et de
prestige ; il est aussi facteur d'intégration sociale.
Le premier aspect de cette hypothèse nous a conduit
à faire appel à la théorie de l'acceptation technologique
(TAM). Pour les tenants de ce modèle d'analyse, une technologie est
largement adoptée par ses destinataires lorsque ceux-ci sont
rassurés que cette technologie répondra à leurs besoins et
qu'ils aient les moyens de l'adopter. Pour Davis et al (op.cit) deux croyances
guident l'adoption d'une technologie : l'utilité perçue et
la facilité d'utilisation perçue. Ces deux croyances expliquent
les comportements d'adoption des TIC par les individus. L'adoption d'une
technologie par un individu ou un groupe social est donc favorisée par
l'aspect utilitaire perçue de la technologie. Si l'utilisation de cette
technologie répond à leurs besoins, ils sont disposés
à l'adopter. Ce modèle d'explication tient compte, avec le
paradigme atomistique (en sociologie) du caractère calculateur et
rationnel de l'acteur social. Ce dernier n'agit pas mécaniquement sous
le poids d'une contrainte extérieur, il n'opère des choix
qu'après estimation de ses gains. Il ressort en effet que le
téléphone portable répond à plusieurs besoins des
loméens. Il revêt un intérêt économique (Outil
à la portée de toutes les bourses, disponible...) et social
(répond aux besoins communicationnels que n'a pas pu combler le
réseau de téléphonie fixe, maintien des liens
sociaux...).A cela il faut ajouter sa relative facilité d'utilisation
(ceux qui ont des difficultés bénéficient toujours de
l'aide d'un proche) et son caractère « personnel »
dans un contexte urbain où s'enracine l'individualisme rendant
l'individu plus rationnel et calculateur. Ainsi donc, le caractère
utilitaire, la disponibilité (acquisition et gestion à des
coûts relativement bas), la facilité d'utilisation, expliquent
l'engouement de la population de Lomé pour le téléphone
portable.
La vérification du deuxième aspect de notre
hypothèse se base sur la théorie des déterminants
psychosociaux de Fischer (op.cit) et de Mayo (cité par M. Mousli,
op.cit) selon laquelle l'adoption d'une technologie est
déterminée par des facteurs liés à l'individu
appartenant à un groupe, à une culture et à un
environnement qui influencent ses attitudes et ses motivations ; elle fait
référence à l'influence sociale et à la motivation
sociale pour expliquer l'adoption d'une technologie. L'influence sociale qui
modifie alors le comportement ou les croyances d'un individu sous l'effet d'une
coercition réelle, imaginaire ou volontaire exercée par une
personne ou un groupe de personnes. Aussi a-t-on coutume d'admettre que la
réalité ne peut exister qu'à travers le regard que l'homme
porte sur elle, c'est-à-dire à travers la (les)
représentation(s) qu'il se fait du monde qui l'entoure. Durkheim
(Cité par Modandi, op.cit) aborde les représentations dans une
analyse sociologique qui place au-dessus des individus ou des faits individuels
les faits sociaux. Pour lui, l'unité de base sociologique est
incontestablement le groupe social (la société), régi,
selon lui (Durkheim), par une sorte de système : la conscience
collective. Cette conscience collective est basée sur une opinion :
« croire que ».
La conscience collective impose à l'individu des
manières de penser et d'agir. Et les représentations du
téléphone mobile ici sont en rapport avec les pratiques et les
comportements quotidiens (individuels et collectifs) en ce sens qu'elles les
légitiment. Pour toutes ces raisons, les représentations
collectives comme c'est le cas pour le téléphone mobile forment
la base fondamentale des jugements humains. Et pour le cas d'espèce,
croire que l'on appartient à la haute classe sociale parce qu'on a un
téléphone de marque. Ainsi donc, le fait pour les loméens
de se représenter le téléphone portable comme un
instrument de prestige concoure à sa vulgarisation et à son
adoption rapide. Aussi, l'utilisation de cet instrument crée t-il un
cercle d'utilisateurs ayant un langage spécifique, et des pratiques qui
tendent à s'uniformiser. La possession de cet instrument répond
dans ce cas à une logique identitaire, les potentiels usagers cherchent
à s'intégrer au cercle des détenteurs de cet instrument de
communication qui renforce dans ce cas les liens entre eux : c'est un
instrument d'intégration sociale.
Au total, en plus du contexte (incapacité du
réseau de téléphonie fixe de répondre aux divers
besoins communicationnels des loméens) et de la stratégie
adoptée par les opérateurs de téléphonie mobile
(prix relativement bas de téléphone mobile, cartes de
prépaiement à la portée de toutes les bourses...) le
caractère utilitaire, pratique et les représentations que se font
les loméens du téléphone portable ont favorisé le
succès de ce moyen de communication dans cette ville du Togo.
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