I.I.Z. Les post-sartriens
Parmi Merleau-Ponty (1908-1961) et Simone de Beauvoir
(1908-1986), Emmanuel Levinas (1905-1995) sera l'un des plus connus parmi les
penseurs influencés par Jean Paul Sartre dans ce cadre de la
Responsabilité même. En effet, Sartre et Levinas auraient eu une
seule expression de la responsabilité humaine hormis une question de
foi qui englobe à chacun leur attachement : « la
responsabilité est toujours responsabilité envers autrui »
selon le dernier.
Quant à Hannah Arendt (1907-1975)5, elle
sera comme Sartre, influencée par Heidegger et Jaspers. A partir de
l'eudaimôn6, l'eudaîmonia est le bien
être du daîmon qui
1 II s'agit d'un impersonnalisme, un
anonymat de la situation, des
phénomènes qui apparaissent comme « pure
évènement », voulu, fait, sans regret, mais en dehors du
non-sens,...
2 II s'agit d'un personnalisme existentiel qui
crée la relation avec le monde, et est l'origine du monde ou le moyen
(qui est plutôt qu'un moyen, un état) par lequel une
personne pérennise son tranquille
existence.
a II s'agit de l'existence d'un autrui que le moi ne connait
pas, que je voudrais tuer mais que je ne pourrais pas du fait qu'il est moi et
qu'il est en détresse dans sa seule présence.
a II s'agit de la réponse machinale aux visages, une
responsabilité pour autrui et non devant autrui.
s Hannah Arendt est connue
généralement par son premier grand ouvrage, Les
origines du totalitarisme, édité en 1951 sous le
nom « The origins of Totalitarism ».
Journaliste qui devient philosophe, élève de Martin
Heidegger à Marbourg, de Husserl à Fribourg, et fidèle
amie de Karl Jaspers, elle est classiciste et s'intéresse
particulièrement aux propos éthiques et politiques.
6 « Eudaimôn » est un mot grec qui signifie
« heureux» ou « désir, volonté », ou «
plaisir » qui se dit plutôt souvent « eudaîmonia ».
Hannah Arendt cite : « 11 [l'eudaimônia] exprime une
idée de bénédiction, mais sans nuances religieuses, et
signifie littéralement quelque chose comme le bien-être du
daimôn[esprit, génie] qui accompagne
chacun des hommes durant sa vie, qui est son identité distincte, mais
qui n'apparaît, qui n'est visible qu'aux autres (...) Différente,
par conséquent du bonheur..., l'eudaimônia comme la vie
elle-même est un état durable, qui ne change pas et ne peut
effectuer un changement (...). Cette identité inchangeable de la
personne,...comme telle on ne peut la connaitre...que lorsqu'elle a pris fin.
En d'autres termes l'essence humaine -- non la nature humaine en
général (qui n'existe pas) [...], mais l'essence de qui est
quelqu'un - ne commence à exister que lorsque la vie s'en va, ne
laissant derrière elle qu'une histoire. Par conséquent, quiconque
vise
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accompagne l'hekastos de chacun des hommes durant sa
vie et qui est son identité distincte, n'apparaissant qu'aux autres.
Elle explique dans son ouvrage politique) l'eu dzèn
(le « vivre bien » grec où l'action fut
profondément individualiste) que c'est une révélation de
soi, mais que c'est toujours « aux dépens d'autres facteurs
»2... L'action est donc le
cheirotechnoi3 ou l'artisan du construit qui sera le
produit du faire, subséquent à l'architecture : «
La polis n'était pas Athènes, mais les Athéniens
»4. Mais la « praxis » encore mène à
nouveau à l'imprévisible, à la fragilité. Hannah
préfère ainsi au vue des rapports humains5, le
«poièsis » (le « faire »), à
l'action proprement dite (la « praxis ») ; parce que l'action ne peut
rien produire que de l'éloignement6 son sens
authentique [...]. Et effectivement, reprise d'Aristote en passant par Kant
pour être convertie à un collectivisme, la
responsabilité est catégoriquement pour cet auteur une
coresponsabilité : moi seul peut être le coupable, mais
jamais le responsable. Mon père m'éduque : je suis libre ; je
tue, je vole ; je suis coupable, j'ai fait l'acte, alors j'ai effectué
un choix, mais le responsable est d'abord mon père. Pour Hannah Arendt,
les évènements n'ont pas d'origine, c'est
l'évènement même qui défmit son origine et ainsi, il
n'y a de responsabilité que s'il y a conflit' ; il n'y a de
responsabilité que s'il y a morale ; et il n'y a jamais de
responsabilité que lorsqu'il n'y a que le bien et
l'individualité. Or, « l'homme est un animal politique » comme
l'a dit Aristote.
D'ailleurs, la responsabilité va de part en part
aujourd'hui. Ainsi, Jean Michel REYNAUD citera :
La philosophie va nous aider à éclairer le
concept. C'est avec un philosophe allemand contemporain,
décédé il y a une quinzaine d'années, Hans Jonas,
que nous pouvons aborder ce principe responsabilité comme il a
intitulé un des ses ouvrages, paru en 1979, traduit en 1990. Son
approche de la notion de responsabilité est en fait, plus un principe de
justice naturelle qu'une conséquence de la réparation d'un tort
fait à autrui. La responsabilité, telle qu'étudiée
et définie
consciemment à être
« essentiel », à laisser une
histoire et une identité qui lui procureront «
une gloire immortelle », doit non seulement risquer sa vie
mais, mais comme Achille, choisir expressément une vie brève...
(Sophocle, OEdipe roi,
1186...)».
1 ARENDT, Hannah, Condition de l'homme
moderne, Pocket, Agora, France, 1997, p. 251.
2lbid., p.253.
a Le mot cheirotechnoi
est composé de deux mots dont « kheiros
» (main) et « tekhnê »
(métier, procédé), et Arendt, s'en sert pour
expliquer l'artisan aristotélicien dans la
cité grecque antique.
4lbid., p.254. (Cf. Aristote,
Éthique à Nicomaque (Livre III, IV, V,
VI), pp.58-61, 82-86, 105-126, 129-145).
5 II s'agit d'une reprise du «
syzèn », c'est-à-dire le «
vivre ensemble ».
6 Le mot « hekastos » qui désigne
vaguement « chacun » est dérivé du mot « hekas
» même qui signifie littéralement « loin ».
C'est-à-dire que chacun n'est chacun que si chacun est loin
de chaque autre chacun ; et le mot adverbial « hekastos
» exprime ce phénomène du « chacun ».
« Passions, maux, peines,... ».
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par Hans Jonas, doit interdire à l'homme d'entreprendre
toute action qui pourrait mettre en danger autant l'existence des
générations futures que la qualité de l'existence sur
terre dans le futur (...). Hans Jonas, un philosophe très
étudié en Allemagne, a inspiré fortement ce que nous
appelons aujourd'hui le principe de précaution. Une
éthique de la responsabilité en quelque sorte... Cette
responsabilité, Jonas la sent, la ressent : « c'est du monde de la
vie, là où elle est menacée, que surgit un appel muet et
qu'on préserve son intégrité.'
Cet appel muet, il le définit empiriquement en quelque
sorte, à travers ce qui sert à sa découverte. Il parle
alors de l'heuristique de la peur, ce qui veut dire que la peur sert à
la découverte, mais qu'elle devient un principe cognitif, une
éthique de l'urgence pour temps de crise ; une peur positive qui
aiguille la responsabilité et qui est donc fondamentalement une
sollicitude de l'altérité.
Hans Jonas définit alors, dans son Principe de
Responsabilité, ce qu'il nomme
l'impératif catégorique de
responsabilité qui est un impératif moral
inconditionnel
qu'il formule en quatre items, en héritage de la morale
kantienne :
«Agis de façon que les effets de ton action soient
compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre ;
Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs
pour la possibilité future d'une telle vie ; Ne compromet pas les
conditions de la survie indéfinie de l'humanité sur terre ;
Inclus dans ton choix actuel l'intégrité future de l'homme comme
objet secondaire de ton vouloir ... »2
Ces quelques auteurs3 ne suffisent pas pour
exprimer l'ampleur de la Responsabilité. Ces illustrations nous montrent
quand même que ce n'est encore ni le « corps » ni «
l'âme » qui est le plus important. À ce stade, ce ne l'est
plus : ce sera plutôt l'expérience ou l'action et la
pensée, et les paroles que l'on oeuvre et entretienne, ce que l'on fait
de notre libre existence. C'est le fondement de toute
valeur connaissable ou non du corps et de l'âme.
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