1.3 La face cachée de la Coupe du Monde 2022 au
Qatar.
Depuis la création de la Coupe du Monde, le football
fait l'objet de nouveaux débats médiatiques. Premièrement,
de nombreuses enquêtes soupçonnent que l'organisation de cette
compétition internationale soit au coeur de plusieurs scandales comme
par exemple la corruption, les pots-de-vin et des abus de pouvoir. Le nouveau
terme de FIFAGATE ne surprend plus personne. Récemment, le Qatar a
été choisi pour organiser la prochaine édition en 2022.
Bien évidemment, tout laisse à penser que le
procédé d'attribution des voix ne s'est pas fait dans les
règles de l'art. L'étrange issue de ce vote a provoqué de
nombreuses réactions de contestations et d'indignations de la part des
plus grands experts du football. Ceci étant, nous exclurons de notre
analyse le problème des conditions d'attribution de la Coupe du Monde et
des suspicions de corruption en tout genre, tant les informations disponibles
sont maigres en raison des enquêtes encore en cours. En revanche, nous
analyserons les dessous de l'organisation de la compétition. Comment le
Qatar va-t-il relever le défi ? Quels sont les moyens mis en oeuvre ? Le
tournoi cacherait-il une réalité que l'on connaît peu ?
Après avoir pointé du doigt l'émergence
des trafics d'enfants africains comme nouveau fléau du football moderne,
cette seconde sous-partie vise à analyser des nouvelles dérives
encore peu connues mais, ô combien déplorables : il s'agit de la
traite des travailleurs immigrés au Qatar.
Depuis l'annonce de la nomination du Qatar pour organiser
cette prestigieuse compétition, réunissant la planète
entière, le Qatar s'est fixé un nouveau un défi
gargantuesque : rassembler toutes les conditions nécessaires pour
accueillir la compétition.
Nouveaux stades, plus grands et conformes aux règles de
sécurité, nouveaux camps d'entrainements pour accueillir les
différentes équipes de la compétition, nouveaux
hôtels pour réceptionner les supporters étrangers, sont
donc les nouveaux objectifs que doivent atteindre le pays en seulement six ans.
Ce pari fou, ne fait cependant pas peur au royaume où,
99
comme nous l'indiquions précédemment, tous les
rêves les plus inimaginables sont possibles. Mais à quel prix ?
Un rapport d'enquête mené par l'organisme
militant des droits de l'homme, Amnesty International, nous laisse dubitatifs
quant à la bonne préparation de la Coupe du Monde.
En effet, l'étude réalisée rapporte les
conditions dans lesquelles les travailleurs immigrés sont
confrontés au quotidien. Lors de cette investigation, près d'une
centaine de personnes ont été (et sont encore) victimes de
violation des droits de l'homme de la part des entreprises qui les emploient,
notamment sur les chantiers de rénovation de stades comme celui du stade
Khalifa par exemple.
Le rapport révèle que la plupart des
travailleurs viennent d'Asie du Sud et vivent illégalement sur le
territoire qatari.
Beaucoup d'entre eux ont décidé de quitter leur
pays, dans l'espoir d'un avenir meilleur au Qatar. Mais en
réalité, la plupart d'entre eux déchantent en
découvrant la réalité qui les attend. Et pour preuve, les
conditions de détentions sont déplorable, tant le traitement se
révèle inhumain.
En premier lieu, il est nécessaire d'évoquer un
phénomène que l'on croyait disparu depuis des années : le
système de Kafala94, plus connu sous le nom de «
parrainage ».
Lorsqu'un immigré arrive au Qatar pour trouver du
travail, ce dernier est soumis à un système de surveillance. Cela
signifie que l'employé migrant non qualifié dépendra de
son employeur. En d'autres termes, le travailleur se retrouve sous la tutelle
de son employeur. Pour que le travailleur immigré puisse changer
d'emploi, il doit en faire demande auprès de son « parrain »,
qui bien évidemment refuse la plupart du temps. Un employé qui
n'est plus parrainé par son employeur, risque d'être
expulsé du territoire.
Le travailleur immigré se retrouve ainsi dans une
situation de « non-choix ».
Dans ce contexte, employer le mot « d'esclavage »
pour qualifier de tels agissements semble être adéquat
étant donné la situation.
94 BARBANCEY PIERRE, « Kafala, ou comment les
salariés deviennent esclaves de leur compagnie »,
l'Humanité, 14 octobre 2013
100
D'après l'enquête menée sur place,
plusieurs problèmes sont à énumérer. Tout d'abord,
lors du recrutement des immigrés dans leurs pays d'origine, beaucoup
sont victimes de tromperies quant au travail que l'on leurs proposent.
L'escroquerie étant minutieusement élaborée, les
immigrés acceptent de partir travailler au Qatar. Sur place, bon nombre
d'entre eux gagnent des salaires dérisoires ou ne sont finalement pas
payés. Certains d'entre eux ont accumulé des retards de paiement
sur six mois. A cela s'ajoute la confiscation systématique des
passeports à l'arrivée des nouveaux employés afin
d'être certains que ces derniers ne tentent pas de quitter le pays
précipitamment.
Les recherches se sont surtout concentrées sur le
chantier de rénovation du stade Khalifa et de l'espace urbain autour du
stade, appelé l'Aspire Zone.
Sur 234 personnes interviewées, 228 ont
été informées à l'arrivée au Qatar que le
salaire qui leur était promis n'est en réalité pas celui
qu'elles espéraient. N'ayant plus la possibilité de faire marche
arrière, les travailleurs ont été contraints d'accepter un
salaire revu à la baisse. Lors de la première rencontre entre les
militants d'Amnesty International et des ouvriers du chantier du stade Khalifa
et des espace verts de l'Aspire Zone, tous vivaient dans des camps insalubres
sans installations sanitaires. A cela, s'ajoute des problèmes
d'évacuations des eaux usées, dégageant une forte odeur
d'égout, le tout exposé sous des chaleurs maximales. Il est clair
que le comité suprême, nommé par le gouvernement qatari et
en charge du bon déroulement de l'organisation de la coupe du monde,
ferme les yeux sur les conditions de vie de ces clandestins.
Les entreprises responsables du mauvais traitement des
employés sont pour la plupart qataries : Il s'agit de la
société Eversendai et Nakheel landscapes.
Les deux sociétés sont largement pointées
du doigt pour avoir manifestement introduit au sein des sites de la Coupe du
Monde des entreprises sous-traitantes qui ne respectaient les normes
imposées par le comité suprême, notamment concernant les
conditions de travail des employés ainsi que de leurs logements.
Pour preuve, une statistique publiée par la
Confédération Syndicale Internationale confirme nos propos.
D'après l'agence, 1 200 ouvriers ont perdu la vie lors de leur
activité sur les
101
chantiers des stades. Ce chiffre dépasse largement la
moyenne, comme le révèle le graphique ci-dessous.
![](Les-strategies-politico-economiques-du-football-professionnel-depassent-elles-celles-des-terrains16.png)
D'après les chiffres du gouvernement népalais,
191 travailleurs népalais seraient décédés durant
l'exercice de leurs fonctions au Qatar en 2013 et 169 en 2012. Depuis que le
Qatar ait été élu pour organiser la compétition
c'est près de 400 décès népalais.
On dénombre aussi 218 décès indiens en
2013 au Qatar. Ils étaient 237 en 2012 et 239 en 2011. Selon les
statistiques, la moyenne des décès indiens par mois était
de 20 travailleurs, pouvant atteindre un pic de 27 décès par
mois.
Il est important de mentionner que la plupart des
décès sont des migrants népalais et indiens ce qui
constituent 50% de la force de travail au Qatar.
La traite d'humain est un cataclysme au Qatar, renforcé
par les enjeux qu'implique l'organisation de la coupe du monde. Les supporters,
qui se réuniront lors de la compétition n'auront sûrement
pas conscience des conditions et des mauvais traitements de ceux qui ont
oeuvré pour que le tournoi puisse avoir lieu dans les meilleures
conditions.
A l'heure actuelle, le branle-bas de combat d'Amnesty
International est de mettre chaque acteur face à ses
responsabilités. Le premier responsable est bien entendu le gouvernement
du Qatar, largement responsable du non-respect des droits de l'homme sur son
territoire. Comme évoqué précédemment, le
système de parrainage (Kafala) établi au Qatar est un abus,
ô combien déplorable, qui n'est autre que l'esclavage des temps
modernes. En Octobre 2015, l'Emir du Qatar a approuvé la loi n°21
permettant de remplacer en partie la loi de 2009 sur le système de
parrainage, permettant à un travailleur de faire appel de la
décision du « parrain » lui refusant de sortir du
territoire.
102
Cette loi devrait être mise en place d'ici fin 2016.
Néanmoins, il est parfaitement légitime de
douter de l'efficacité de cette nouvelle loi tant les moyens de
contrôle sont opaques.
Le second responsable et non des moindres, est la
Fédération Internationale Football Association (la FIFA) pour son
manque d'implication à ce sujet. Premièrement, en acceptant que
le Qatar soit le pays organisateur de la Coupe du Monde 2022 et sachant les
nombreux travaux que nécessite un tel événement, la FIFA
devait se douter que le Qatar utiliserait de la main d'oeuvre bon marché
et immigrée et qui plus est, que la main d'oeuvre fasse l'objet de
surexploitation grave et endémique. Ceci étant, la FIFA n'a pas
certainement pris de mesures efficaces visant à protéger les
travailleurs.
Amnesty International a tenté à plusieurs
reprises de faire part de ce problème aux dirigeants de la haute
instance mais en vain. Seule nouveauté de 2015 : la FIFA promet
d'entreprendre une procédure de diligence requise en matière des
droits humains au Qatar. Sachant que l'attribution au Qatar de l'organisation
de la Coupe du Monde s'est faite en 2010, il a donc fallu attendre cinq ans
pour que la FIFA amorce enfin une procédure juridique.
Quelles sont les autres solutions que nous pouvons envisager ?
Comment nous venons de le voir, le gouvernement du Qatar est
largement responsable des agissements des sociétés qui emploient
ces immigrés. S'attaquer aux entreprises ne dissuadera sûrement
pas ces dernières d'agir comme elles le font. En revanche, s'attaquer
à l'échelle nationale aurait des répercussions bien
meilleures. Les nombreux contrats commerciaux sont engagés entre le
Qatar et l'Europe. Menacer le pays par le moyen d'un embargo commercial serait
judicieux et efficace pour que le Qatar puisse régler ces
problèmes.
Deuxièmement, il semble nécessaire que le Qatar
adopte des lois en adéquation avec les intérêts des
immigrés. Tout d'abord, le gouvernement doit entreprendre des
démarches pour supprimer le système Kafala, donnant donc le droit
aux immigrés de circuler librement. D'après le quotidien la
Tribune95, le ministre du travail qatari, Abdallah Saleh Moubarak
al-
95 JANOVIC PIERRE, « Le Qatar veut conserver la Kafala pour
les travailleurs immigrés », La Tribune, 2015
103
Khlifi, proposait une solution en ce sens mais le 23 juin
dernier, le président du principal conseil consultatif de
l'émirat avait indiqué que les démarches n'étaient
pas d'actualité. C'est donc la raison pour laquelle la FIFA doit imposer
sa force de persuasion, quitte à renoncer finalement à
l'attribution de la compétition au Qatar.
Il est primordial que les travailleurs immigrés soient
rémunérés à la hauteur de leurs efforts. Pour ce
faire, le Qatar doit mettre en place un système de paiement des salaires
efficace, pour éviter tout retard de paiement voire de non-paiement.
Enfin, il est aussi primordial de mettre en place un
système de traçabilité des migrants. Comme le soutient le
journal Libération96, le pays est composé de 1,5
millions d'immigrés pour une population totale de 1,9 millions
d'habitants. Pour ce faire, il serait judicieux de mettre en place directement
sur le territoire qatari, un organisme dédié aux immigrés
via une collaboration entre la FIFA et le gouvernement,.
Cette institut permettra d'aider et de rapporter directement
à la FIFA toutes les entreprises qui agiraient à l'encontre des
principes des droits de l'homme.
Nous venons donc de voir en quoi ce sport est sujet à
de nombreuses dérives en dehors des terrains de football. La traite
d'être humain est une réalité dont le football a bien du
mal à se défaire. Pour autant, les solutions que nous venons de
proposer permettraient sans doute de réduire ces pratiques qui sont le
cancer du football mondial.
Néanmoins, une seconde pratique peut faire l'objet
d'une analyse plus approfondie. Il s'agit des trucages des matchs de football.
Véritable fléaux du football moderne, les trucages des matchs
développe une réelle économie souterraine et un enjeu
qu'il faut à tout prix stopper.
96 MOUILLARD SYLVAIN, « Au Qatar, ces travailleurs
étrangers sous le joug des patrons », Liberation, aout
2013
104
|