1
ÉCOLE DES PSYCHOLOGUES PRATICIENS
UNIVERSITÉCATHOLIQUE DE PARIS 23 rue du Montparnasse
75006 PARIS
MÉMOIRE DE RECHERCHE
EN VUE DE L'OBTENTION DU
DIPLÔME DE PSYCHOLOGUE
D'INDICES NON-CONSCIENTS DANS UN ENVIRONNEMENT NATUREL
À LA PRISE DE DÉCISION INTUITIVE DANS UN
ENVIRONNEMENT VIRTUEL
Sous la direction de Madame le Professeur Irini
Giannopulu
Par : Mickaël Eskinazi
PROMO : 2016
OPTION : Psychopathologie Clinique
NÉÀ : Saint-Mandé(94)
LE : 01/04/1991
MOTS CLÉS : intuition,
réalitévirtuelle, prise de décision, non-conscient,
marqueurs somatiques.
devant le jury composéde :
soutenue le :
Remerciements
5
Je tiens tout d'abord à remercier ma Maître de
Mémoire, Madame le Professeur Irini Giannopulu, pour avoir
acceptéde travailler sur l'intuition. J'ai pu apprendre la rigueur
méthodologique, et elle m'a fait découvrir la
réalitévirtuelle comme outil méthodologique.
Malgréles difficultés qui se sont présentées, je la
remercie de sa constance,
et de sa capacitéà faire fi de ces
difficultés pour que cette recherche se réalise et que ce
mémoire puisse aboutir. Bien entendu, je n'oublierai pas les
encouragements de Monsieur Jules Firmo toujours dévouépour les
étudiants,
Madame Yasmine toujours disponible et positive dans les moments
de stress accru et Madame Celor pour ses conseils pratiques et son enthousiasme
naturel.
Je remercie Monsieur le Professeur Jean Le Rohellec pour ses
conseils avisés en statistiques et ses encouragements.
Je remercie ma famille pour leur soutien constant.
Je remercie bien entendu mon cher ami Félix, pour toutes
ces discussions près du sommets des Idées, pendant les
mois froids de l'hiver, et ce qu'elles produisirent comme
constantes remises en question, des doutes angoissés mais pourtant si
nécessaires à la compréhension.
Je remercie ma chère amie Djaël, et mon ami Samuel
pour leur soutien, leurs encouragements, et tout ce qu'ils ont
pu me donner comme affection pendant cette intense
année.
Mes remerciements aussi à ma chère Cécile,
qui a relu et questionnémon travail à la toute fin, et sans qui,
certains
liens n'auraient pu émerger.
Je remercie Katia et Thomas, avec qui je parlais
déjàde ce sujet il y a un an et qui ont su me poser les bonnes
questions.
Et enfin, je tiens à remercier Robert et Maria, qui m'ont
nourri du grain des sphères légères et pures, et sans
qui,
je n'aurais pu mener à bien ce travail constant. Merci
pour ces discussions sur Goethe et l'intuition près du feu.
Table des matières
partie I Introduction
partie II Partie théorique
1
|
L'intuition
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19
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1.1
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L'intuition philosophique
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19
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1.2
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L'intuition dans l'invention scientifique
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21
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1.2.1 La préparation
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23
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1.2.2 L'incubation
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23
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1.2.3 Intuition et Insight
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24
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1.2.4 Vérification
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25
|
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1.3
|
L'intuition en psychologie
|
25
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1.3.1 L'intuition selon la psychanalyse
|
25
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1.3.2 Subtile communication
|
27
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1.3.3 Intuition et stéréotype
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28
|
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1.4
|
L'intuition à la lumière des neurosciences
|
29
|
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|
1.4.1 L'intuition dans la résolution de problèmes
|
29
|
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1.4.2 Les processus cognitifs de l'intuition
|
30
|
2
|
L'intuition: une fonction essentielle à l'Homme
?
|
33
|
|
2.1
|
Une fonction d'anticipation
|
33
|
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2.1.1 Le cerveau prédictif
|
33
|
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2.1.2 Le cerveau bayésien
|
34
|
|
2.2
|
Une fonction sociale
|
36
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|
2.2.1 La synchronisation généralisée
|
36
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|
|
2.2.2 L'empathie émotionnelle : une catégorie de
l'intuition
|
38
|
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|
2.2.3 Intuition sociale et apprentissage implicite
|
39
|
|
2.3
|
L'intuition à la lumière de la neuro-imagerie
|
41
|
|
|
2.3.1 Les ganglions de la base
|
41
|
8 Table des matières
2.3.2 Les neurones miroirs 43
2.3.3 Le cortex ventromédian préfrontal 43
3 L'intuition: Une suggestion non-consciente
45
3.1 L'inconscient cognitif 45
3.1.1 Bref historique de l'inconscient 45
3.1.2 Le non-conscient dans la clinique 46
3.1.3 Le non-conscient cognitif 48
3.2 L'amorçage 49
3.2.1 L'amorçage supraliminaire 50
3.2.2 L'amorçage subliminales 50
3.2.3 Effets psychophysiologiques de l'amorçage
subliminale 51
3.2.4 Les indices olfactifs 51
3.3 La prise de décision non-consciente 52
3.3.1 Les marqueurs somatiques 52
3.3.2 Corrélats physiologiques d'une prise de
décision intuitive 53
3.4 Continuitéde l'intuition dans un environnement virtuel
54
4 Problématique et hypothèses
57
4.1 Problématique 57
4.2 Hypothèses 57
partie III Partie Expérimentale
5 Méthodologie 61
5.1 Participants 61
5.1.1 Présentation 61
5.1.2 Critères d'inclusion et d'exclusion 61
5.2 Matériel 61
5.2.1 Casque de réalitévirtuelle 61
5.2.2 Environnement virtuel 62
5.2.3 Bracelet Q sensor 62
5.2.4 Le test d'intuition (Annexe 1) 62
5.2.5 Le questionnaire (Annexe 2) 62
5.3 La procédure 62
5.4 Considérations éthiques et
déontologiques 63
6 Analyse des résultats 67
6.1 Méthode statistique 67
6.2 Analyse 68
Bibliographie 109
Table des matières 9
6.2.1 Données physiologiques 68
Les médianes 68
Les variations atypiques 70
6.2.2 Données verbales 74
Test d'intuition 74
Prise de décision 74
6.2.3 Analyse des corrélations 75
Variables quantitatives 75
Variable qualitative Insight 76
partie IV Discussion
7 Amorçage, traces mnésiques et intuition
83
7.1 Hypothèse générale 83
7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage 84
7.2.1 Diffusion de l'activation 84
7.2.2 Mémoire en réseau de neurones 86
7.2.3 Théorie épisodique 87
7.2.4 Liens entre l'amorçage et l'intuition 88
8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise
de décision 91
8.1 Effet de l'amorçage sur la température 91
8.2 L'instinct de connaissance 92
8.3 Prise de décision, réactions physiologiques et
émotions 93
8.4 Vers une compréhension de l'intuition 95
8.4.1 Modèle de l'intuition 95
8.4.2 Les failles de l'intuition 98
9 Applications et Limites 101
9.1 Applications thérapeutiques 101
9.2 Limites 102
9.2.1 Limite liée à la population 102
9.2.2 Limite des outils utilisés 102
9.2.3 Limite liée au thème de recherche 102
partie V Conclusion
Première partie
Introduction
13
L'intuition est un concept large, populaire et finalement peu
étudié, à défaut d'être
poétisé. Les poètes d'abord, puis les philosophes, les
inventeurs et les scientifiques remarquables décrivent l'intuition comme
l'Envoyée invisible, inconnue, imperceptible qui illuminera de sa
clairvoyance les sentiers sombres de la connaissance (Bergson, 1912).
L'intuition est mystérieuse, presque sacrée, elle ne
dépend pas de la volontépremière de l'individu mais par
grand bruit, s'immisce à un moment oùrien ne prédisait son
arrivée, comme un coup d'éclair, un coup de génie. Elle
révèlera parfois au chercheur laborieux, quel que soit son
domaine, une réponse, un sens jusque làdissimulé,
voilé. Alors que l'individu pensait toutes les portes fermées,
alors qu'il avait déjàabandonnél'idée de trouver le
saint Graal, l'intuition lui donne la cléde ses problèmes au
détour d'une promenade, en montant à cheval, en
rêvassant... Une mise en sens spontanée, surgissant de l'inconnu,
ébranle l'individu dans l'ensemble de sa personne.
Soudain, tout devient clair.
Nous avons tous plus ou moins vécu ces moments
oùles portes grinçantes, se huilaient d'elles-mêmes. A
posteriori, nous retrouvons une série de circonstances apparemment
fortuites, nous guider vers la solution, comme si l'idée même de
la solution nous appelait à elle, nous faisait lentement glisser vers le
réconfort de la compréhension. Elle paraît donc être
un élément indissociable de l'acquisition de connaissances et de
la création. Pourtant à bien chercher et même s'il existe
une importante littérature scientifique incluant le terme
»intuition», elle a, à notre connaissance, souvent
étéle parent pauvre de la psychologie (Petitmangin, 2002). En
effet, les théories dominantes la relèguerait à un acte
réflexe qui égare celui qui se veut logique, analytique et
précis (Kahneman, 2003; Tversky et Kahneman, 1974). Pourtant à
bien y voir et à entendre la sage parole des Anciens, il apparaît
que l'intuition serait une des plus hautes formes menant à la
compréhension d'un objet, d'un sujet. C'est précisément
dans le but de resituer l'intuition dans la psychologie actuelle que nous nous
sommes intéressés dans ce mémoire, à ses
mécanismes, à ses corrélats neuroscientifiques, et avons
tentéde comprendre ses intrications avec le non-conscient et le
phénomène d'amorçage. Une plus grande compréhension
de ce processus, qui nous le verrons, est à la jonction des processus
cognitifs et émotionnels, pourrait s'appliquer à mieux rendre
compte de la genèse de la pensée, des croyances, des jugements et
des prises de décision(Zemack-Rugar, Bettman et Fitzsimons, 2007
;Wetherill et al, 2014). Or, l'ensemble de ces mécanismes auraient un
rôle majeur dans le maintien de nombreuses maladies psychiques mais aussi
dans la pratique même du psychologue.
La plupart des études scientifiques portant sur
l'intuition se sont intéressées à la résolution de
problèmes algébriques plus ou moins complexes (Kahneman, 2003;
Tversky et Kahneman, 1974), ou à l'intuition sociale qui a lieu dans la
communication (Albrechtsen, Meissner et Susa, 2009), mais à notre
connaissance, il n'existe pas ou peu d'études qui tentent de comprendre
l'intrication entre l'environnement, l'intuition et la prise de
décision. Pourtant, les inventeurs, les scientifiques et
thérapeutes confrontés à une problématique,
rapportent que l'intuition émerge souvent en rapport à des
indices de l'environnement qui vont les guider dans leur prise de
décision (Petit-mangin, 2002). Afin de mieux comprendre les liens entre
l'environnement et l'intuition, nous faisons l'hypothèse que des indices
présents dans l'environnement activeraient des représentations
qui feraient émerger l'intuition, aboutissant alors à la prise de
décision verbale. L'intuition serait observable à travers une
augmentation de l'activité
14
électrodermale et thermale (Bechara, Damasio, Tranel,
et Damasio, 1997; Crone, Somsen, Van Beek et Van Der Mo-len, 2004). Afin
d'investiguer cette problématique, nous avons utilisécomme outils
méthodologiques le phénomène d'amorçage afin
d'activer des représentations liées à la thématique
du »café» et la réalitévirtuelle, dans laquelle
les participants devaient résoudre un problème intuitif. Les
solutions de ce problème étaient liées à la
thématique du »café». La réalitévirtuelle
fut utilisée dans le but de créer une immersion en rupture avec
l'environnement naturel, et permettre ainsi de créer un sentiment de
familiaritéentre les amorces visuelles et olfactives de l'environnement
naturel stockées en mémoire, et les éléments
visuels de l'environnement virtuel.
Dans le but de mesurer le phénomène d'intuition,
nous avons enregistrél'activitéélectrodermale et la
température des participants pendant toute la durée de
l'expérience. Afin de mettre en perspective le rôle de
l'amorçage dans l'émergence de l'intuition, nous avions deux
groupes de participants, un groupe amorcéet un groupe non-amorcé.
L'hypothèse générale de cette recherche, est que les
indices visuels et olfactifs de l'environnement naturel préactiveraient
de manière non-consciente des représentations internes qui
feraient émerger l'intuition, qui s'exprimerait dans la prise de
décision verbale.
Secondairement, nous avons fait l'hypothèse que les
participants amorcés, auraient une augmentation des activités
thermales et électrodermales comparéaux participants
non-amorcés, et qu'une différence de l'activitédu
système nerveux autonome serait observable entre les participants ayant
eu une prise de conscience de la solution (insight) et ceux n'en ayant pas
eu.
Les analyses statistiques inférentielles montreraient
que le nombre de réponses intuitives correctes est significativement
plus élevéchez les participants amorcés comparativement
aux participants non-amorcés. Ces analyses montreraient aussi que le
nombre de variations atypiques de l'activitéélectrodermale, de la
température ainsi que la moyenne des températures sont
significativement plus élevés chez les participants
amorcés comparativement aux participants non-amorcés. De plus,
les résultats montrèrent une augmentation de
l'activitéélectrodermale chez les participants amorcés
avec »insight» comparativement aux participants amorcés sans
»insight». Il semblerait que les indices présents dans
l'environnement naturel auraient influencéla prise de décision
intuitive dans l'environne-ment virtuel. La similaritéentre les indices
de l'environnement naturel et la solution proposée dans l'environnement
virtuel, ferait émerger l'intuition, qui influencerait de façon
non-consciente, la prise de décision verbale.
Deuxième partie
Partie théorique
17
L'intuition, dans le sens vulgaire, c'est-à-dire un
coup d'oeil juste pour saisir les affaires du monde, est le partage du sens
commun. L'intuition pure du monde extérieur et intérieur est
très rare. Le premier de ces deux genres d'intuition se manifeste avec
le sens pratique, par l'action prompte et soudaine; le second, par des
symboles, principalement par les rapports mathématiques, par les nombres
et les formules, par le langage primitif figuré, comme poésie du
génie, comme proverbe du sens commun.
Johann Wolfgang von Goethe
1
L'intuition
Le mot latin intuitere se rapporte à l'oeil et signifie
regarder vers l'intérieur~, en chinois le mot intuition est
représentépar un binôme de caractère
constituéd'un oeil et d'un trait, signifiant »regarder
directement», ainsi que d'un verbe signifiant »trouver»,
»sentir» , »prendre conscience» ou encore
»élever son regard»(Faure et Javary, 2012). Ce serait donc une
connaissance vraie et directe qui fait force dans la conscience aussi bien
qu'une nouvelle façon de percevoir les choses, une manière de
percevoir qui s'éloigne de l'habitude, qui s'élève. Le
Littrédonne une définition de l'intuition assez similaire, en
tant que connaissance soudaine, spontanée, indubitable, comme celle que
la vue
nous donne de la lumière et des formes sensibles, et,
par conséquent, indépendante de toute démonstration.
Véritéd'intuition. Cette définition
générale peut s'appliquer aux différents types
d'intuition. En effet que ce soit en théologie, en philosophie, en
psychanalyse, ou en psychologie, l'intuition comme processus de pensée,
a toujours étédéfinie et intégrée
comme méthode heuristique.
1.1 L'intuition philosophique
Rien n'est plus vertueux pour l'homme que d'étendre sa
connaissance dans le but de comprendre les lois qui le déterminent. Ces
lois selon les présocratiques ne peuvent être atteintes que par la
contemplation de la loi divine, c'est à dire l'Un qui se dissimule dans
le multiple: Ceux qui parlent avec intelligence doivent s'appuyer sur
l'intelligence commune à tous, comme une citésur la loi, et
même beaucoup plus fort. Car toutes les lois humaines sont nourries par
une seule divine, qui domine autant qu'elle le veut, qui suffit à tout
et vient à bout de tout. (Héraclite,Vème
siècle av. J-C, Fragment 114).
Pour Platon, seule l'intuition élève l'homme
vers la connaissance de la vérité(Vanhoutte, 1949). Elle est un
aperçu du monde des Formes, des réalités intelligibles et
immuables. Cette intuition n'existerait que dans l'âme, et permettrait
d'atteindre les réalités universelles et immuables que sont le
Juste, le Beau et le Bien. Ce ne serait que lorsque l'âme sera
démise du corps, et donc du sensible, du temporel qu'elle pourra avoir
un accès direct à ces vérités intelligibles.
L'intelligence, voilée par la sensibilitédu corps, ne peut mener
qu'àdes biais de raisonnement, c'est pourquoi la mort seule, permet au
philosophe de contempler son âme. Privée des illusions du
sensible, l'âme
sera alors capable de se souvenir d'elle-même, de
contempler ce qu'elle est : Ainsi, immortelle et maintes
fois renaissante l'âme a tout vu, tant ici-bas que dans
l'Hadès, et il n'est rien qu'elle n'ait appris; aussi n'y a-t-il
rien
20 1 L'intuition
d'étonnant à ce que, sur la vertu et sur le
reste, elle soit capable de se ressouvenir de ce qu'elle a su
antérieurement ' (Platon, Vème av J.C, Ménon,
p.8).
D'autre part, selon Platon, l'intuition pure ne procède
pas du sensible, et relève de la contemplation, elle n'est pas une
pensée logique, et ne procède pas de l'analyse. Vanhoutte (1949)
nous précise que pour Platon, l'intelligence ne peut s'unir à la
véritéqu'àtravers le Bien, qui est »l'objet
suprême de savoir» : Il reçoit son
intelligibilitépar une illumination qui ne vient pas de l'intelligence
mais de la véritéelle-même, intermédiaire entre lui
et l'intelligence et qui est créée par le Bien' (Vanhoutte,
1949, p.10). Pour se rapprocher de cette Idée du Bien, Platon
préconise une ascèse de l'esprit qui passe par l'étude des
sciences, dans le but d'atteindre une vision plus ou moins partielle de la
réalité. Il est alors possible de parvenir à la
connaissance des Idées et en même temps à la science pure '
par une méthode qui est défini dans le mythe du Phèdre :
tout d'abord les âmes doivent s'élever vers les cieux visibles,
elles doivent donc se mettre à l'étude de l'astronomie pour
comprendre les lois qui régissent le mouvement des astres
célestes et ainsi se rapprocher de la connaissance des âmes
divines qui elles, ont une connaissance parfaite du mouvement qui les
animent.
Pourtant la connaissance scientifique seule ne suffit pas,
elle doit être transcendée dans le but d'arriver à la
dialectique qui précède la contemplation pure des Idées.
Ce changement de connaissance ne procède pas par un chemin de
pensée linéaire (Vanhoutte, 1949) mais par un bond de la
déduction scientifique à l'intuition. Cette idée de
changement
de paradigme existe aussi dans la théorie de la
connaissance scientifique qu'Einstein propose dans sa lettre
àSolovine, et que nous présenterons dans la prochaine
partie. Ces étapes sont aussi décrites dans La République,
oùPlaton, pédagogue, nous présente son
éducation idéale. Les études supérieures commencent
par l'apprentissage de
la géométrie, de l'arithmétique,
l'astronomie et la science de l'harmonie car la géométrie est
connaissance de ce qui est toujours (Platon, République, p.286),
l'astronomie car elle force l'âme à regarder vers le haut et
qu'elle la conduise d'ici-bas à celles de là-bas' (Ibid,
p.288), puis arrivés à l'âge de trente ans, les meilleurs
pourront être initiés à l'art de la dialectique lequel
est capable en renonçant à se servir de ses yeux,
d'accéder en véritéà l'être
lui même. (Ibid, p.296)
L'intuition seule mènerait à la contemplation
des Idées, car attribut divin, elle est démise du sensible.
Dans les Ennéades de Plotin, l'intuition est vue comme
une saisie directe de l'objet cognitif par la pensée (Lortie, 2010).
Elle est une projection de la pensée sur l'objet; cette
définition rejoindrait celle de Bergson pour qui l'intuition est la
sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet
pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent
d'inexprimable' (Bergson, 1934 ;2002, p.61), elle s'oppose à
l'analyse qui est l'opération qui ramène l'objet à des
éléments déjàconnus, c'est à dire communs
à cet objet et à d'autres (Ibid, p.61).
L'intuition est donc un acte simple et direct tandis que
l'analyse est complexe et infinie (Bergson, 1934). Pour Bergson l'intuition est
le plus haut niveau cognitif humain, il est même l'aboutissement de la
Nature en tant que conscience d'Elle-même. Bergson dans l'Evolution
Créatrice (1907) différencie et associe trois termes :
l'instinct, l'intelligence et l'intuition. Pour faire simple, l'intuition est
l'enfant prodige d'une union entre instinct et intelligence. L'instinct est
une facultéd'utiliser et même de construire des instruments
organisés tandis que l'intelligence ~ est la facultéde
fabriquer et d'employer des instruments inorganisés. (Bergson,1907,
p.141). L'instinct s'appuie donc sur des propositions catégoriques
tandis que l'intelligence s'appuie sur des propositions hypothétiques.
Le degré
1.2 L'intuition dans l'invention scientifique 21
de conscience présent dans l'acte serait un indicateur
permettant de différencier ce qui est de l'ordre de l'instinct et ce qui
proviendrait de l'intelligence.
Bergson (1907) définit la conscience comme la
différence arithmétique entre l'activitéréelle et
l'activitévir-tuelle. Elle mesure l'écart entre la
représentation et l'action. (Ibid, p.145 )
Làoùl'action réelle est la seule action possible, la
conscience est alors nulle. Il n'y a pas de libertéd'agir, on est agit
plus qu'on agit soi-même. L'intuition est aussi ce qui permet de saisir
notre vie intérieur et la durée pure c'est à dire une
succession de changements qualitatifs, qui se fondent, qui se
pénètrent, sans contour précis, sans aucune tendance
à s'extérioriser les uns par rapport aux autres, sans aucune
parentéavec le nombre ' (Bergson, 1907, p.77). La
durée englobe le présent, prolongement du passé, et
idée de l'avenir. Bergson fait donc de l'intuition de la durée,
le centre de sa philosophie. Toutefois, il ne décrit pas la
genèse de l'intuition, le processus qui la fait émerger et les
sensations qui peuvent être perçues. Certains inventeurs se sont
essayés à décrire et expliquer leurs intuitions, voyons
alors si leurs explications nous aident à comprendre le processus d'un
point de vue phénoménologique.
1.2 L'intuition dans l'invention scientifique
L'ouvrage La valeur de la science du mathématicien
Poincaré(1905) débute sur un chapitre consacréà
l'intuition. Il y oppose deux types de personnalitéchez les
mathématiciens : l'intuitif et le logicien. Il est
impossible d'étudier les oeuvres des plus grands
mathématiciens, et même celles des petits, sans remarquer et sans
distinguer deux tendances opposées, ou plutôt deux sortes
d'esprits entièrement différents. Les uns sont avant tout
préoccupés de la logique; à lire leurs ouvrages, on est
tentéde croire qu'ils n'ont avancéque pas à pas, avec la
méthode d'un Vauban qui pousse ses travaux d'approche contre une place
forte, sans rien abandonner au hasard. Les autres se laissent guider par
l'intuition et font du premier coup des conquêtes rapides, mais
quelquefois précaires,
ainsi que de hardis cavaliers d'avant-garde.
(Poincaré, 1905, p.11)
Poincaré(1905), tout comme Bergson (1907), discrimine
l'intuition de la raison, non pas en faisant une hiérarchie
aristotélicienne entre ces deux modes de raisonnement, et donc en
plaçant la raison au dessus de l'intuition, mais au contraire, il les
différencie simplement comme deux appréhensions distinctes de la
réalité, deux structures d'esprit:» Les deux sortes
d'esprits sont également nécessaires aux progrès de la
science; les logiciens, comme les intuitifs, ont fait de grandes choses que les
autres n'auraient pas pu faire» (Ibid, p.16 ). L'intuition
mathématique est vue comme un processus d'accès à la
connaissance différent de celui de la logique. En effet cette sorte
d'intuition procèderait par bond immédiat (Einstein, 1952) alors
que la logique tente d'inférer depuis l'expérience. Einstein
(1952) dans sa lettre à son ami Solovine qui lui demande comment il
pense en science, lui répond par un diagramme (Figure 1.1) qui articule
intuition et logique dans le processus de création :
22 1 L'intuition
Figure 1.1. pris de Holton, 2004.
Schéma d'Einstein pour expliquer l'intuition à son ami
Solovine.
Sur ce diagramme, le E représente l'ensemble des
expériences vécues, c'est la totalitédes faits empiriques.
Toutefois cet ensemble d'expériences doit avoir une structure pour
édifier un ordre et sortir du chaos des impressions pures. L'arc de
flèche serait un bond de l'imaginaire, un bond platonicien'.
Pour expliquer cet arc de flèche, Einstein écrit : A
sont les axiomes d'oùnous tirons des conséquences.
Psychologiquement, les A reposent sur les E. Il n'y a cependant pas de voie
logique des E jusqu'aux A, mais seulement une connexion intuitive
(psychologique), toujours sujette à révocation . A partir de
l'inspiration présente en A s'en suit des déductions (S,
S', S') établies grâce à la pensée logique
apprise à l'école . Puis à partir de ces
déductions, une corrélation peut être faite avec ce qui est
observéet vécu en E (expériences). La logique permet de
vérifier une intuition, et de la rendre accessible à tous ceux
possédant le langage adéquat pour la comprendre.
Dans le chapitre 3 de Science et méthode,
Poincarétente de comprendre l'invention mathématique. Il
décrit une expérience intuitive qui surgit alors qu'il essayait
depuis quinze jours de démontrer qu'il ne pouvait exister de fonctions
fuchsiennes : Un soir, je pris du cafénoir contrairement à
mon habitude; je ne pus m'endormir; les idées surgissaient en foule; je
les sentais comme se heurter, jusqu'àce que deux d'entre elles
s'accrochassent pour ainsi dire pour former une combinaison stable. Le matin,
j'avais établi l'existence d'une classe de fonctions fuchsiennes, [...]
je n'eus plus qu'àrédiger les résultats, ce qui ne me prit
que quelques heures. Puis il décrit plus loin ce qu'il nomme
illumination : [...]au moment oùje mettais le pied sur le
marche-pied, l'idée me vint, sans que rien de mes pensées
antérieures parut m'y avoir préparé, que les
transformations dont j'avais fait usage pour définir les fonctions
fuchsiennes sont identiques à celles de la Géométrie
non-euclidienne.' Ce témoignage est riche pour celui qui souhaite
comprendre le fonctionnement de l'intuition, il nous informe de son
caractère immédiat, globale, et en rupture avec la chaîne
associative des pensées. À travers ses observations,
Poincaréidentifie un travail non-conscient
1.2 L'intuition dans l'invention scientifique 23
qui se situerait entre le commencement d'une recherche et cet
»illumination subite» : Souvent, quand on travaille une question
difficile, on ne fait rien de bon la première fois qu'on se met à
la besogne; ensuite, on prend un repos plus ou moins long, et on s'assoit de
nouveau devant sa table. Pendant la première demi-heure, on continue
à ne rien trouver; puis, tout à coup, l'idée
décisive se présente à l'esprit.
(Poincaré, 1908, Livre 1) Poincaré(1908) définit
l'intuition comme ce qui nous fait deviner des harmonies et des relations
cachées ou encore comme ce qui entre en relation avec l'âme
des choses plutôt qu'avec les faits bruts. Cette définition
rejoint celle de la bisociation proposée par Koestler (1960) comme
la mise en rapport de deux plans de r'eférence ou matrices de
raisonnement
sans liaisons antérieures, dont l'union
résoudra le problème jusque làinsoluble
(Petitmangin,2002, p.66). Par conséquent, l'intuition dans
l'invention comprend l'ensemble du processus non-conscient décrit par
Poincaréet Koestler comme la capacitéde rendre cohérent
des éléments à priori distincts grâce à une
loi objectivable. Wallas (1926) reprend Poincaré(1905) et
caractérise l'invention en 4 phases : la préparation,
l'incubation, l'illumination et la vérification. Alors que la
préparation et la vérification sont des processus conscients,
l'incubation et l'illumination
se passent de l'effort conscient et se rapportent en ce sens
au processus même de l'intuition. Toutefois une continuitéexiste
entre ces quatre phases, elles sont les étapes d'un même
effort.
1.2.1 La préparation
Tout d'abord le phénomène d'intuition ne peut
prendre place qu'après une période de préparation, ex
nihilo nihil fit ( Holton, 2004; Poincaré, 1905). Cette
période est un travail conscient qui consiste à assimiler un
certain nombre de règles et à stocker en mémoire une
certaine somme d'objets en rapport avec notre intérêt (mots pour
l'écrivain, théorèmes et démonstrations pour le
mathématicien, concepts pour le philosophe). Puis, vient l'instant
oùla personne munis de tous ces outils se pose face à un
problème et tente de le résoudre. Il est courant que cette
première tentative de résolution se solde par un échec car
l'attention aurait tendance à se fixer sur une perception biaisée
du problème et de sa résolution (Moss, 2002; Sio et Ormerod,
2009). Une période entraînant un détournement de
l'attention consciente sur le problème pourrait alors faciliter
l'arrivée d'une nouvelle vision du problème (Smith et
Blankenship, 1991). C'est d'ailleurs ce que décrit Poincarédans
ses observations, le chercheur a besoin d'une rupture dans son travail pour que
la solution émerge.
1.2.2 L'incubation
Arrive un moment de vide, d'échec que tout chercheurs,
artistes et inventeurs un tant soit peu sérieux et volontaires
connaissent à un moment ou un autre de leur vie. Ce moment bien que
désagréable et souvent source de souffrances devrait être
vécu comme une chance à la vue des recherches actuelles sur le
phénomène d'incubation.
En effet l'incubation qui se définit comme une
période entre la suspension de la résolution d'un problème
et
l'apparition de l'insight (Moss, 2002) serait un
processus non-conscient durant lequel des noeuds de concepts
(Bowers et al, 1990) précédemment ignorés
seraient activés et accessibles à la mémoire, ainsi cette
période pourrait éloigner le sujet des éléments ne
permettant pas de répondre au problème (MacGregor et al.,
2001).
Il y aurait donc une restructuration de la
représentation mentale du problème, qui amènerait la
personne à un tout nouveau type de réponses. Cette
restructuration serait le plus souvent inconsciente (Sio et Ormerod, 2009).
De
24 1 L'intuition
nombreuses expériences mettent en évidence le
rôle positif de la période d'incubation sur la résolution
de problème, ainsi lorsque la résolution d'un problème est
interrompue avec une période d'incubation, l'émergence de la
solution tend à être facilitée par rapport au groupe
non-amorcé(Sio et Ormerod, 2009). Nous verrons dans la partie traitant
de l'amorçage, ce qui pourrait expliquer ce phénomène.
Poincaré(1908) compare poétiquement le travail
qui aurait lieu durant l'incubation à une rencontre fortuite entre deux
atomes crochus (éléments mathématiques, idées,
concepts etc.. ), Pendant une période de repos apparent et de
travail inconscient, quelques-uns d'entre eux [ les atomes = les
représentations mentales] sont détachés du mur et mis
en mouvement. Ils sillonnent dans tous les sens l'espace, j'allais dire la
pièce oùils sont enfermés, comme pourrait le faire, par
exemple, une nuée de moucherons, ou, si vous pr'eférez une
comparaison plus savante, comme le font les molécules gazeuses dans la
théorie cinétique des gaz. Leurs chocs mutuels peuvent alors
produire
des combinaisons nouvelles. (Poincaré, 1908,
Chapitre 3). Le non-conscient serait plus à même de traiter
les informations dans une perspective d'ensemble, grâce à un
traitement simultanépouvant catégoriser, moyenner et ainsi
décider; tandis que l'esprit conscient a tendance à examiner les
éléments un à un, grâce à la mémoire
de travail. Pourtant loin d'être opposé, ces deux processus
apparemment distincts se rencontrent dans l'insight.
1.2.3 Intuition et Insight
Il est courant de confondre insight et intuition, qui sont
deux processus différents dans leur expression mais similaires tout de
même. L'insight surgit après une période d'incubation
durant laquelle la solution devient de plus en plus construite, évidente
jusqu'àatteindre le seuil de la conscience et créer l'effet de
Ahah ou d' Euréka! ~ (Bowden et al, 2005; Lieberman,
2000). Dans la littérature scientifique, l'insight se produit souvent
à la suite de problèmes à résoudre, et se reconnait
à son cri d'exclamation caractéristique, qui montre que la
personne n'a pas procédépar pallier dans la résolution
mais que la solution lui est tombédessus ~.
L'intuition relève plus de la sensation, d'un sentiment
intérieur qui se traduit en anglais par le gut feeling , qu'on
pourrait traduire par l'instinct, le flair, le sentir. L'intuition au contraire
de l'insight n'est pas verbalement reconnue, elle relève plus de la
sensation, du sentiment. Il est souvent décrit que les personnes savent
quoi faire, mais ne savent pas pourquoi elles doivent agir dans cette
direction. Petitmangin (2002) décrit que les personnes intuitives
vivent des pensées sans mots , »une
compréhension sans parole» associée à une image
'. D'autre part l'intuition, au contraire de l'insight, ne
résulte pas d'une compréhension logique mais relève plus
d'une conviction intime , d'un sentiment de certitude, de
cohérence, de sens. Reik nous dit : Le sentiment de vague et de
confusion fait place à un sentiment de certitude. (Reik, 1948,
p.309) L'intuition n'est donc pas immédiate, mais se prolonge dans la
durée, elle résulte d'un enchainement de processus complexes et
liés qui donne une sensation globale.
L'insight peut souvent émerger de l'intuition, c'est
à dire que l'illumination (Poincaré, 1908) serait une
connaissance cognitive de l'intuition, une métacognition des
règles qui relient un problème à sa solution. Lieberman
(2000) nous dit: L'intuition doit être distinguée de
l'insight. L'insight semble être aussi reliéà un processus
non-conscient, mais au contraire de l'intuition, ce n'est pas un jugement.
L'insight est un processus oùsoudainement on devient conscient des
relations logiques entre un problème et sa solution. Dans le cas de
l'intuition, c'est seulement un jugement, une sensation, une impulsion ou un
comportement. ' (Lieberman, 2000, pp.110-111). Il est courant que
de l'intuition naisse l'insight (Collier et Beeman, 2012; Bowers et al, 1995;
Metcalfe et Wiebe, 1987; Petitmangin,
1.3 L'intuition en psychologie 25
2002), c'est à dire que l'influence souterraine de
l'intuition qui guide l'individu vers un but, soit découverte par
l'individu. Lorsque le physicien Fermi posa spontanément et
inconsciemment une lame de paraffine à la place d'une lame de plomb
devant des neutrons incidents, il fut pris d'une intuition géniale
traduite en un comportement impulsif qui fit avancer la physique
nucléaire d'un bond. Holton (2004) tempère cet éclair en
supposant que c'est la connaissance intime de la physique du neutron, une
connaissance élaborée durant deux ans d'étude intensive
et sa présence à la conférence de Solvay
oùfurent discutés les publications relatives aux neutrons
lents et les effets des substances hydrogénées sur les neutrons
, qui assurèrent la spontanéitéde son acte. Pourtant
cet acte n'était en aucun cas un insight car, non-réfléchi
et raisonné. Ce fut à posteriori, lorsque Fermi comprit le
génie de son geste, que la compréhension raisonnée
intervint et qu'il put vérifier son intuition.
1.2.4 Vérification
Comme l'explique Einstein (1952) à son ami Solovine, la
vérification est une expression de l'intuition à l'aide d'un
langage partagé(mathématique, vers, prose, schéma,
musique...). Le mathématicien livre son intuition dans un langage
mathématique compréhensible par ses pairs, un peintre par
l'agencement des couleurs et des formes, un poète par le contenu et la
mélodie des mots. La vérification permet d' échapper
au chaos dans le monde de l'expérience, le scientifique, le savant ou
l'artiste bâtit une »image simplifiée et claire du
monde» en y déplaçant le
»centre de gravitéde sa vie
émotionnelle». (Einstein citépar Holton (2004)). C'est
ce qui différencie d'ailleurs l'intuition saine de l'intuition
délirante (Minkowski, 1927). Les inventeurs nous ont donc
livréquelques indices de la façon dont procède l'intuition
grâce à leur expérience subjective. Nous pouvons retenir
qu'elle s'opère dans une durée et mêle des processus
conscients et non-conscients; qu'elle surgit le plus souvent sans
prévenir et qu'elle résulte d'associations et d'analogies
nouvelles. Les différents courants de la psychologie se sont
intéressés à ce phénomène peu
étudié, voyons ce qu'ils peuvent nous en dire.
1.3 L'intuition en psychologie
1.3.1 L'intuition selon la psychanalyse
Pour la psychanalyse, l'intuition est un outil à double
tranchant. En effet, Freud ne portait pas l'intuition haut dans son coeur, il
la comparait à la divination, ou à la voyance, termes qu'on
aurait pu employer pour caractériser la psychanalyse au début du
XXème siècle et dont il n'aura de cesse de se défendre. Il
insistera : la vision du monde scientifique assure qu'il n'y a d'autre
source de connaissance de l'univers que le travail intellectuel sur des
observations soigneusement scrutées, en d'autres mots, ce que nous
appelons recherche - et à cotéde cela, nulle connaissance qui
soit dérivée de la révélation, l'intuition ou la
divination. (Freud, 1933, p. 4758). La psychanalyse ne devait pas
être assimilée à de la parapsychologie, discipline
très en vogue au début du XXème siècle. D'autre
part, même si Freud admet que de nombreux philosophes tels que Leibniz,
Schopenhauer, ou Nietzsche aient eu des intuitions similaires aux siennes, il
se défend par sa position de scientifique, Etant moins soucieux des
questions d'antérioritéque de garder mon esprit libre et sans
embarras, j'ai longtemps évitéde fréquenter la
pensée de
26 1 L'intuition
Nietzsche, cet autre philosophe, dont les conjectures et
les intuitions sont d'une si étonnante convergence avec les recherches
laborieuses de la psychanalyse. (Ibid, p. 4234).
Pourtant Freud s'est toujours
intéresséaux formes vacillantes de l'esprit en étudiant
les rêves, mais en s'intéressant aussi aux
pressentiments et même à la télépathie. Il
possède à la fois une fascination et une aversion pour ces
sciences de l'occulte. Dans son article Rêve et
télépathie, il voit le phénomène
télépathique comme une simple information qui
viendrait étayer le rêve, sans toutefois être l'essence
du rêve: Le message télépathique est traitécomme un
morceau du matériel destinéà la formation du rêve,
comme tout autre stimulus qu'il vienne de l'extérieur ou de
l'intérieur, comme un bruit gênant venant de la rue, comme une
sensation insistante venant d'un organe du dormeur. (Rêve et
Télépathie de Freud, citépar Turnheim, 2008,
p. 5).
Denis (2009) relie l'intuition à la
sensibilité, qui serait un contact sensible avec un objet
mental, avec la psyché. Tout comme la pensée
incidente (lapsus, actes manqués, erreurs de lecture,
méprise), l'intuition serait un aperçu conscient de
l'inconscient, un surgissement de l'inconscient dans la conscience. L'intuition
proviendrait aussi d'une
représentation primaire, archaïque, infinie
même, celle oùla pensée, l'imagerie mentale
n'existait pas encore, mais oùle
vécu s'exerçait seulement à travers la sensation. Il
existerait en l'homme une infinitéde représentations
possibles,
ce qui lui permettrait de ne jamais vraiment
s'étonner, comme si tout l'existant était contenu
potentiellement : ~ Les gens qui disent que l'homme apprend tout par
l'éducation sont des imbéciles, y compris les grands philosophes
qui ont soutenu cette thèse. Quelque singuliers et inattendus que soient
les spectacles qui s'offrent à nos yeux, ils ne nous surprennent jamais
complètement; il y a en nous un écho qui répond à
toutes les impressions : ou nous avons vu cela ailleurs, ou bien toutes les
combinaisons possibles des choses sont à l'avance dans notre cerveau. En
les retrouvant dans ce monde passager, nous ne faisons qu'ouvrir une case de
notre cerveau ou de notre âme. Comment expliquer autrement la puissance
incroyable de l'imagination? (Eugène Delacroix, citépar
Denis, 2009, p. 76). C'est ainsi que l'analyste peut ressentir ce
qui se trame chez l'analysant, peut-être est-ce aussi par
cela que l'empathie existe, qu'il est possible de ressentir
totalement ce qui se joue en l'autre, tout comme il est
possible de ressentir le vol d'un oiseau ou du moins de le deviner,
alors même que nous n'avons pas d'ailes. C'est d'ailleurs cette
qualitéde ressentir l'invisible dévoilédans la
manifestation, qui fait le poète.
Lorsque Delacroix parle d'écho il fait
référence à cette capacitéde vivre en soi ce
qui est perçu à l'extérieur, de placer sa
conscience dans ce qui est perçu. Cela rejoint la
définition de l'intuition proposée par Bergson (1934) comme
la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un
objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent
d'inexprimable (Bergson, 1924, p.61). Ce qui est étrange, comme
nous le souligne Delacroix, c'est la possibilitéde coïncider
avec cet objet alors même qu'il est un étranger, et
que de prime abord, rien ne nous aurait permis de croire à cette
sympathie. C'est ce que peut éprouver de temps à autre l'analyste
face à l'analysant, il y a une totale compréhension du
symptôme et un accès au symbolique de l'analysant est
possible.
Comment discriminer l'intuition de la
conviction délirante, quand toutes deux viennent d'un Einfall ? Selon la
théorie de l'intuition proposée par Einstein, la
vérifiabilitéde l'intuition serait nécessaire, il faudrait
être capable d'exprimer dans un langage partagécette
sensation de l'ordre du sensible, en dehors du langage.
1.3 L'intuition en psychologie 27
Dans le cas de la paranoïa il y aurait unification
des fantasmes' dans le but de les systématiser, de construire une
unique réalitéenglobant l'ensemble des intuitions. Ainsi ces
systèmes délirants ne reposent pas sur la réalité,
mais sur la réalitépsychique de la personne qui ne s'est pas
confrontée à l'épreuve de réalité(Bernat,
2002), et qui coûte que coûte souhaite mettre en sens cette
insondable souffrance.
La conviction délirante se définit toujours
comme une sensation de savoir sans savoir comment ', mais
contrairement à l'intuition, elle serait basée sur un socle
délirant. Pour autant qu'une démonstration peut se baser sur un
postulat faux, un raisonnement peut tout aussi bien se construire à
partir d'un incipit délirant. Comme le mentionnait Jaspers, dans les
idées délirantes véritables, l'erreur réside
dans le contenu, mais la pensée formelle reste tout à fait
intacte ' (Jaspers, 1933,p.86). L'intuition délirante ne
peut se communiquer, se partager, elle est close dans son monde, au contraire
d'une intuition partageable grâce à un langage, à une
logique. Notons toutefois, que la limite qui sépare l'intuition saine de
celle pathologique est difficile à déceler.
1.3.2 Subtile communication
Lorsque nous communiquons, c'est tout notre être qui
communique, et tel un émetteur/récepteur, il reçoit et
émet différents types d'informations qui peuvent être
catégorisées en deux groupes : les informations tacites et les
informations implicites. La littérature considère souvent que les
informations tacites sont verbales, tandis que les informations implicites se
manifestent dans le champ du non-verbal. Berne (1977) nomme information tacite,
tout ce qui est manifeste, tout ce que l'interlocuteur a voulu transmettre,
tandis que l'implicite correspond à ce qui ne doit pas être
entendu, à ce qui est sous-entendu. Par conséquent la somme
d'informations disponibles dans une conversation est toujours supérieure
à ce qui est communiquéintentionnellement. Sturtevant (1947)
ironise [...]il
est bien rare que la communication volontaire serve à
autre chose qu'àtromper, le langage a peut-être
étéinventédans le seul but de mentir. '
(Sturtevant, 1947, p.48)
Les comportements non-verbaux sont les expressions faciales,
les tons de la voix, le contact des yeux, la posture du corps, et la gestion de
l'espace et du temps (Mehrabian, 1969; Argyle and al, 1970; Samfira et al,
2014). La fonction de ces comportements implicites seraient de donner à
voir un état interne aux autres individus (Darwin, 1872; Argyle and al,
1970). Les manifestations non-verbales appartiendraient à l'inconscient
tandis que le langage verbal serait conscient et permettrait un accès
privilégiéà l'inconscient. Dans sa Psychopathologie de la
Vie Quotidienne, Freud (1904) recense les différentes manifestations de
l'inconscient dans la vie quotidienne, comme le lapsus linguae ou manus
au détour d'une conversation qui trahit la pensée
dissimulée de l'interlocuteur, ou encore un acte manquéqui
viendrait manifester un désir inconscient. Toutes ces petites
manifestations de l'inconscient font partie du langage implicite et
dévoilent tout un pan psychique qui ne peut être tacite, car
méconnu par l'individu lui-même dans bien des cas.
L'intuition serait ici la capacitéà
synthétiser l'ensemble des informations perçues inconsciemment et
consciem-
ment dans le but de conclure à une cohérence ou
dissonance entre les informations tacites et implicites, et
àcomprendre et anticiper l'état interne de
l'interlocuteur, dans le but de réagir le plus justement possible.
L'intuition relationnelle aurait en quelque sorte une fonction de survie, en
inférant les comportements de l'autre et donc en
28 1 L'intuition
augmentant la sensation de maîtriser son environnement
(prévenir des réactions émotionnelles à venir). Une
dissonance entre les informations tacites et les informations implicites
pourrait créer une perturbation émotionnelle qui
entraînerait un sentiment désagréable, une sensation que
l'autre n'est pas sincère (Argyle, Salter, Nicholson, Williams et
Burgess, 1970). La honte que l'on peut éprouver à la suite d'un
lapsus montrerait qu'une information inconsciente voire une information
dissimulée en vient à être dévoilée et ce,
non par l'individu lui-même mais toujours malgrélui (Freud,
1907).
1.3.3 Intuition et stéréotype
L'utilisation du jugement intuitif, spontanéet
automatique, sans le soutien de la raison analytique mène souvent
à des biais de jugements (Kahneman, 2003; Kahneman et Tversky, 1974). Le
jugement intuitif qui se déclare souvent à la suite d'un ressenti
somatique, serait souvent subjectif et en rupture avec la
réalité. En effet, l'état somatique dépend en
grande partie du comportement idiosyncrasique de l'individu et donc de son
histoire individuelle, familiale et culturelle: Lorsque le choix d'une
option X, qui conduit à une conséquence n~efaste Y, est suivi
d'une punition et donc d'un état du corps déplaisant, [...] La
réexposition de l'organisme à l'option X, ou l'évocation
par la pensée de la conséquence aura dès lors la
capacitéde réinstaurer l'état du corps déplaisant,
lequel servira de rappel automatique des conséquences n~efastes et
prévisibles (Damasio, 1994, p.248). Le jugement qui fait suite
à cet état somatique peut alors ne pas être
adaptéà la situation présente, et la connaissance
intuitive d'une personne sera alors faussée et fondée sur une
croyance ancienne non-adaptée.
Il est d'ailleurs courant que nos intuitions à propos
de quelqu'un ne soient finalement que des jugements guidés par des
stéréotypes (Kunda and al, 1996). Selon la théorie sociale
cognitive, il existerait des structures implicites
de la connaissance ou schémas sociaux
(Krieger, 2008), ces schémas seraient construits au cours de la vie
et contiendraient les croyances, les expériences, les connaissances
de l'individu. Ainsi lorsqu'une personne veut interpréter le
comportement d'une personne, ou avoir un avis global sur la personne, elle va
corréler ses schémas à la perception de la situation ou
d'autrui. Lorsque la personne perçue s'inscrit dans un
élément du schéma, l'ensemble du schéma
préexistant se réactive et donne une information globale et
catégorisée de la personne. Une étude de Cuningham et al
(2004) montre qu'il y aurait une activation plus importante de l'amygdale chez
des sujets blancs occidentaux en réponse à la présentation
de visages d'individus noirs. Lorsque le temps de présentation augmente
(de 30 à 545ms), il y aurait l'intervention du cortex préfrontal
qui viendrait contrôler la réponse émotionnelle.
Or en sachant que l'amygdale aurait un rôle dans la
reconnaissance d'une menace externe (Becker and al, 2012; Feinstein et al,
2013), et connaissant les expériences de Tajfel (1974) sur les
comportements intergroupe, on peut en conclure que cette réaction
émotionnelle immédiate, automatique (< 30 ms)
provoquant l'activation de
l'amygdale serait une réaction non-consciente apprise et
transmise. Dans la définition du jugement intuitif proposépar
Kahneman (2003), il ressort que ce type de jugement se forme automatiquement
vis à vis d'un objet, et
n'est pas sous le contrôle volontaire. C'est ce que
Kahneman appelle les jugements naturels '. Toutefois la nature
automatique de ceux-ci peut être corrigée par un processus
raisonnéet analytique (Evans, 2008; Stanovitch et Evans, 2004) qui
interviendrait par l'intermédiaire du cortex préfrontal
(Cuningham et al, 2004; Damasio, 1995). C'est que nous retrouvons dans
l'étude précédemment citée, les structures
impliquées dans la cognition sociale auraient
1.4 L'intuition à la lumière des neurosciences
29
une action sur les structures limbiques, l'amygdale dans ce
cas particulier, et inhiberait le jugement automatique possiblement
hérité, pour plus de tolérance, de respect et
d'ouverture.
Toutefois méfions-nous des dichotomies. Depuis
Aristote, il est courant de créer une dichotomie entre processus de
pensée intuitif et logique. La logique serait souvent vue comme
l'apanage des sociétés modernes, de la culture, tandis que
l'intuition serait plutôt réservée aux
sociétés dites primitives. La logique serait làpour
pallier aux défauts
de l'intuition, pourtant comme nous allons le voir dans la partie
suivante, il est courant que l'intuition se mêle
àl'insight dans la résolution de problème, ce
qui prouverait que l'intuition est indispensable à la logique tout comme
la
logique est nécessaire à l'intuition dans le but
de la transmettre, de la partager. Certains éléments des
neurosciences semblent montrer qu'il est possible de dépasser cette
ancienne dichotomie.
1.4 L'intuition à la lumière des
neurosciences
1.4.1 L'intuition dans la résolution de
problèmes
La résolution de problème est très utile
pour étudier la sensation de savoir (Feeling of Knowing, FOK),
la sensation de l'avoir sur le bout de la langue (Tip Of the Tongue state,
TOT) ou encore la sensation de se rapprocher de la solution (Feeling
Of Warmth, FOW). Toutes ces sensations, ces états, sont similaires
à ce qu'on appelle communément l'intuition et peuvent être
regroupés dans les phénomènes métacognitifs. La
métacognition se définit comme une analyse ou un savoir à
propos des états cognitifs et des processus en jeux (Nelson et Narrens,
1994), c'est une observation de ce qui se passe en soi.
Le FOK correspond à une sensation de savoir sans
pouvoir toutefois livrer la réponse au problème posé. Le
participant est toutefois en mesure de reconnaître la réponse si
elle lui est présentée. Les processus métamnésiques
en jeu dans le FOK sont de deux types : l'accès à une trace et
l'inférence ((Nelson, Gerler, et Narens, 1984 citépar Dorfman,
Kihlstrom et Shames, 1996). L'accès à la trace (trace-access)
est un accès partiel à l'information stockée en
mémoire.
Dans le TOT, la personne aurait la sensation de l'avoir sur le
bout de la langue, elle peut d'ailleurs fournir des informations très
précises sur la syntaxe, la phonologie, ou encore les synonymes du mot
oublié. La sensation perçue de cet oubli est très intense
et souvent désagréable (Collier et Beeman, 2012). Les sciences
cognitives montrent que dans 96% des cas le mot traverse le seuil de la
conscience pour devenir connu, s'en suit alors un état de
détente, de plaisir (Bacon, Paire-Ficout, Izaute, 2001). Cet état
de plaisir peut être attribuéà une tension résolue.
Ce phénomène de tension de l'attention se retrouve dans
l'incubation : tant que la personne n'a pas résolu le problème,
elle serait comme sensibilisée à des représentations
associées à la réponse.
Dans le test de Yaniv et Meyer (1987), des phrases, qui
définissent un même mot, sont présentées au
participant, qui doit alors deviner la réponse. Par exemple
(tiréde Dorfman, Shames et Kihlstrom, 1996) :
Grand lumineux colorémouchoir, Couleur vive
carréde soie de rouge et de tâches jaunes,
portégénéralement autour du cou.
Les participants doivent donner leur sentiment de confiance
vis à vis de la solution proposée, ou dire s'ils ressentent une
sensation de savoir ou un Tip of the tongue s'ils ne trouvent pas de solutions.
A la suite de cela une seconde
30 1 L'intuition
tâche de décision lexicale leur est
proposéoùdes mots et non-mots leur sont présentés.
Parmi cette liste la réponse de la tâche précédente
est insérée comme amorce. Par exemple :
Dépenser, dacrire, bandana, trisfer,
astéroïde, parapluie
Les participants remarquent aussitôt que bandana est la
réponse de la série précédente. Même
après un temps de latence entre ces deux séries, l'amorce est
découverte. Selon Yaniv et Meyer (1987) la présentation du
problème activerait des représentations contenues dans la
mémoire sémantique qui, par association, se propagerait de proche
en proche permettant d'arriver à la solution. Cette activation de champs
sémantiques pourrait durer, alors même que la personne est
engagée dans d'autres tâches cognitives, c'est ce qui se passerait
pendant l'incubation.
L'intuition a beaucoup étéétudiée
à partir de problèmes de type Remote Associates Tests
(RAT) créépar Mednick en 1969 dans le but d'étudier
la créativité. Pour Mednick (1962) et Koestler (1964) les
personnes créatives sont celles capables de trouver des liens entre des
idées oùd'autres ne verraient que des éléments
disparates. Dans le test RAT, trois mots sont proposés, et le
participant doit donner un quatrième mot reliéaux trois
précédents. Voici un exemple de ce test, inspirépour la
langue française : dîner, midi et rasage.
Ces trois mots peuvent tous trois être
précédés du mot : APRÈS.
Pour mettre en évidence le rôle de l'intuition
dans la résolution de problème de ce type, Bowers, Regerhr,
Balthazard et Parker (1990) ont crééune variante du RAT, le Dyads
of Triads (DOT) dans lequel le participant doit indiquer s'il pense la liste de
mots présentée cohérente, même s'il ne trouve pas le
mot faisant le lien sémantique. Les résultats montrent que les
participants peuvent significativement reconnaître la cohérence
d'une liste sans connaître la raison de cette cohérence.
L'intuition est donc bien présente pendant la résolution de
problème et plus particulièrement la phase d'incubation, qui est
rappelons le, la partie la plus implicite du processus de raisonnement. Par
conséquent il est difficile de dissocier l'intuition de la logique, car
l'un et l'autre se complètent dans le but de résoudre certains
types de problèmes.
1.4.2 Les processus cognitifs de l'intuition
Bowers et al (1990) reproduisirent les résultats du
test du DOT avec un test non-verbal, le Waterloo Gestalt Closure Task similaire
au principe du DOT. Deux formes sont présentées aux participants.
Une d'elle possède un sens et est fragmentée selon le principe de
la gestalt (forme incomplète, flou etc..) tandis que l'autre ne
possède pas de cohérence. La consigne est la même que celle
demandée dans le test du DOT. Les résultats sont aussi
similaires, les participants peuvent reconnaître qu'il y a une
cohérence sans pouvoir nommer la forme en question.
Bowers et al (1990) conclurent de ces résultats que
l'intuition dans ce type de problèmes résulte d'une activation
non-consciente et automatique d'un phénomène de propagation
permettant de générer des associations et des analogies (Bowers
et al, 1990; Bar et Neta, 2008).
Ce processus serait très similaire à celui de
l'amorçage qui activerait des noeuds sémantiques et pourrait
ainsi entraîner des réactions comportementales,
émotionnelles, ou encore cognitives (Estes, Jones et Golonka, 2012;
Gillath, Mikulincer, Birnbaum et Shaver, 2007; Spivey et Geng, 2001). À
défaut d'études sur le système autonome pendant le travail
non-conscient de l'incubation, il existe des données sur les rythmes du
cortex cérébral ainsi qu'une topologie des régions
impliquées. Le rythme alpha améliorerait l'accès aux
représentations amorcées par
1.4 L'intuition à la lumière des neurosciences
31
le problème, et pourrait réduire l'accès
aux informations inutiles, grâce à un état mental en alerte
mais pourtant relâché(Haarmann, George, Smaliy, et Dien, 2012).
Lieberman (2000) relie l'intuition à l'apprentissage implicite, et
propose par conséquent une implication des ganglions de la base. Une
étude plus récente de Ilg et ses collaborateurs (2007) montre une
implication du lobe temporal droit qui serait impliquédans l'activation
de champs sémantiques larges permettant l'intégration
d'informations plus ou moins distantes. Une partie plus conséquente sera
consacrée dans la suite de ce mémoire à la biologie de
l'intuition.
Dans le phénomène de prédiction et
d'anticipation, les recherches de Bar (2007) montrent que l'analogie et
l'association joueraient un rôle important dans la construction de la
réalitéet seraient impliquées dans le processus
d'intuition. L'intuition pourrait donc être définie comme une
fonction essentielle destinée à maîtriser son environnement
en l'anticipant.
2
L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?
2.1 Une fonction d'anticipation
2.1.1 Le cerveau prédictif
Dans la définition de l'intuition nous retrouvons un
aspect qui n'a pas encore ététraité: celui du
pressentiment, de l'anticipation, comme lorsqu'on dit »j'ai
l'intuition que cela va arriver» ou à posteriori,
»j'avais l'intuition que...». Curieusement, l'anticipation
est une fonction commune et naturelle, elle nous permet de nous adapter
constamment à la réalitéen même temps que d'adapter
la réalitéà nos expériences passées. Le
travail conséquent
sur l'anticipation de Bar (2007) montre que le cerveau
générerait continuellement des prédictions sur des
situations àvenir en fonction des souvenirs, des
expériences passées, des connaissances et des associations,
plutôt que d'attendre
passivement les stimuli sensoriels. Ceci permettrait
d'économiser les efforts (automatisation des actions), de
faciliter les interactions avec l'environnement et
d'augmenter les chances de survie (Kveraga, Ghuman et Bar, 2007, p. 1).
Le modèle que propose Bar (2009) suppose que la
perception d'un objet entraîne immédiatement l'émergence
d'analogies, qui elles-mêmes impliquent des associations et finalement
une prédiction. Les analogies peuvent être
générées à partir de différents niveaux
perceptifs, conceptuels, sémantiques, fonctionnels etc. Bar (2004)
montre qu'il est possible d'extraire des informations à partir d'images
générées en basse fréquence. Ce type d'image se
projetterait des aires visuelles basses vers le cortex orbitofrontal (COF). Le
COF activerait ensuite les représentations mentales correspondantes
à cet objet dans le but de l'identifier rapidement et sans trop
d'effort. Bar (2009) suppose que le cerveau génèrerait
continuellement des prédictions de l'environnement, ce que ses travaux
(Bar et al, 2007) basés sur la neuroimagerie tendent à
démontrer : l'activitéde base du cerveau impliquerait les
régions corticales enrôlées dans les processus associatifs.
La mémoire serait alors encodée par association. La proposition
de Bar (2009) sur la mémoire associative rejoint les théories
connexionniste (résuméde Victori, 1995) pour qui les
représentations seraient liées les unes aux autres. Telle une
toile d'araignée, chaque n ?ud représenterait un concept
associéà une multitude d'autres. Par conséquent
l'activation d'un n ?ud via la perception ou l'imagination, activerait par
cascade une suite d'autres n ?uds. Toutefois on ne peut soustraire la
particularitésingulière de chaque mémoire, de chaque
structure subjective. Par conséquent, en fonction de nos
expériences passées, de nos préférences, de nos
domaines d'expertise, il est probable selon ce modèle, que des poids de
connexions soient attribuées à chaque association. Essayons de
comprendre à l'aide d'un exemple simple : si le mot
»étoile» est présentéà un astronome
aguerri, il
34 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?
est fort probable que les images mentales, les mots
représentés seront de l'ordre de son intérêt
premier, on peut aisément s'imaginer qu'il pensera à des mots
comme plasma, naine jaune, Soleil, géante rouge, hydrogène etc..
Mais si ce même astronome est parti la veille de notre entretien, en
escapade amoureuse avec sa tendre et que pendant leur dîner en tête
à tête, une imposante météorite perça
l'atmosphère créant une magnifique étoile filante et de ce
fait, immortalisa leur dîner, il se peut que la première image qui
lui revienne soit celle de sa compagne et des chandelles. Cet exemple montre
toute la complexitéde cette toile mnésique qui n'est pas fixe
mais constamment changeante et il est fort probable que les émotions
associées aux représentations impact fortement sur le processus
de récupération et d'oubli.
Selon certaines théories, ces prédictions
cognitives proviendraient des capacités de calculs statistiques de
notre
cerveau. Ainsi notre cerveau pourrait être comparer
à une machine Bayésienne, qui permettrait d'inférer la
réalitéà partir de données sensorielles plus ou
moins fragmentées et de choisir automatiquement, non-consciemment, les
représentations les plus pertinentes dans la situations
présentes, en rapport à toutes les expériences
précédentes.
2.1.2 Le cerveau bayésien
Parce que notre perception de l'environnement est incertaine
(Helmotz, 1866), le cerveau inférerait la perception à partir de
nos expériences antérieures. Selon le modèle
bayésien probabiliste, le cerveau effectuerait une série de
calculs dans le but d'interpréter de façon optimale
l'environnement et vérifierait ainsi des hypothèses à
partir de données antérieurs, selon la règle de Bayes
suivante :
P(donn'ees|hypoth`ese)P(hypoth`ese)
P(hypoth`ese|donn'ees) =
P(donn'ees)
L'équation P(hypothèse|données) mesure la
compatibilitédes données recueillies avec l'hypothèse
proposée. P(hypothèse) correspond à la
probabilitéque l'hypothèse soit vérifiée à
priori, elle est appelée distribution de probabilitéà
priori. Le terme P(données) est normatif, il correspond à la
probabilitéque les données se réalisent et permet que
P(hypothèse | données) soit compris entre 0 et 1.
Si nous imaginons un conducteur sur une route de campagne, qui
face à un obstacle doit freiner d'urgence, il pourrait être
possible d'utiliser le modèle bayésien avec des données
multimodales. Simplifions les données environnementales à la
perception visuelle de l'obstacle (V) et à la perception auditive du cri
du passager (A). L'hypothèse serait qu'un accident se produise (W) et la
décision serait alors de freiner rapidement.
P (V, A|W )P (W )
P (W |V, A) = P(V,A)
Dans ce cas précis P(W|V,A) correspond à la
distribution de probabilitéà postériori qu'un accident
survienne lorsqu'un obstacle se trouve sur la route et que mon passager hurle
de peur. La fonction de vraisemblance P(V,A|W)
indique quelle serait la probabilitéque V et A se
produisent si un accident survenait. Tandis que P(W) correspond
àla distribution à priori, qu'un accident survienne
sur notre route de campagne. Elle se base donc sur nos expériences
antérieures.
D'autre part notre cerveau pourrait aussi évaluer la
probabilitéqu'un obstacle soit sur la route, et qu'un cri se produise au
même moment, pour inférer un accident ou au moins un danger
imminent, même si ces deux éléments sont
indépendants.
2.1 Une fonction d'anticipation 35
C'est à dire que :
P(V,A|W) = P(V
|W)P(A|W)
Ce modèle peut s'appliquer à la théorie
prédictive pour qui le cerveau prédit constamment la
réalité. Schultz (2000) montre que des populations de neurones
à dopamine, norepinephrine, ainsi que des neurones des noyaux de la base
sont sensibles aux erreurs de prédiction. C'est à dire que
lorsqu'une récompense ou une punition est attendue et qu'elle ne
survient pas, on constate un signal qui code pour cette erreur de
prédiction (différence entre
ce qui est attendu et ce qui arrive). La Mismatch Negativity
(MNN) correspondrait aussi à un signal en réponse
àune erreur de prédiction. Un élément
»déviant» (oddballs) qui est insérédans une
série d'éléments répétés produit
une réponse qui peut être enregistrée
comme un potentiel évoquénégatif survenant entre 100 et
200 ms après le changement au niveau des régions frontales
(Garrido, Kilner, Kiebel et Friston, 2009). De même, le
phénomène de répétition-suppression montre une
diminution de l'activitécérébrale lorsqu'une image est
répétée plusieurs fois (Naccache et Dehaene, 2001). Les
signaux sensoriels reçus par le cortex seraient des signaux desquels on
a soustrait ce qui pouvait être prédit, seule l'erreur de
prédiction serait traitée. Cette façon de procéder,
permettrait de gagner du temps, ainsi avant même que l'information ne
survienne nous aurions déjàune construction de la
réalitéen mémoire, ce qui permettrait de filtrer les
entrées sensorielles et de restaurer les entrées manquantes (nous
clignons des yeux plusieurs milliers de fois par jour, pourtant il est rare que
notre image visuelle en soit perturbée), ceci aurait aussi un avantage
en terme d'énergie : seul ce qui n'est pas prévisible est
transmis. D'autre part, si le modèle prédictif tient compte de la
plasticitédes connexions synaptiques, il serait probable qu'il se
modifie sans cesse sous le poids des nouveaux signaux d'erreurs.
Dans le cas de notre conducteur, la probabilitéde voir
un obstacle sur la route, et la probabilitéque le passager hurle de
peur, sont assez faibles, par conséquent cela conduira à une
augmentation de l'activitécérébrale. Ainsi pour
éviter cet obstacle et donc obtenir la récompense de ne pas
être blessé, le conducteur devra agir de façon rapide et
précise. Nous pouvons imaginer que cette augmentation de
l'activitécérébrale face à un
évènement imprévu entraîne une augmentation des
perceptions, de l'attention, et une promptitude à réagir. Il se
peut comme le propose Friston (2005) que ce modèle puisse
s'élargir à l'ensemble du vivant dans le but de maintenir un
minimum d'entropie dans un environnement constamment changeant. Il est ainsi
possible de parler de dissonance entre ce qui est attendu et ce qui est
perçu. Cette différence ou erreur de prédiction est alors
immédiatement traitée et entraînerait une augmentation de
l'activitécérébrale.
Ce modèle pourrait s'appliquer à l'intuition
dans le cas de la communication et plus largement dans le cas d'une dissonance
quelconque. Ainsi lorsque deux interlocuteurs communiquent, des signaux verbaux
et non-verbaux sont émis et reçus. Chacun de ces interlocuteurs
attend de l'autre une réponse plus ou moins précise et tente
ainsi d'inférer un comportement. Cela viendrait du fait que nous tentons
de minimiser la surprise dans notre environnement (Brown and Br·un,
2012) et ainsi maximiser nos chances d'adaptation, de décisions et plus
largement de survie (Friston,
2005). D'une certaine façon, nous pouvons dire que nous
tentons à chaque moment de la conversation de prédire
àl'avance le dialogue que nous allons avoir et les
répliques que nous allons donner car chaque type de conversation
correspondrait à un modèle que nous avons en
mémoire. De la même façon, l'intuition nous permettrait
d'agir dans un environnement constamment changeant sur la base de nos
expériences passées et de nos connaissances. La
36 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?
présence d'indices perçus consciemment ou
non-consciemment dans l'environnement, nous permettrait d'anticiper de
façon probabiliste, les différentes scènes de
l'environnement selon des scénarii déjàengrammés
dans la mémoire àlong terme. L'anticipation serait une
fonction du vivant liée à l'adaptation et à la
volontéde vivre. Une espèce capable
de prévoir le comportement d'un prédateur pourra
plus facilement lui échapper. De la même façon, les humains
mobilisent toute leur intelligence pour prévoir les catastrophes
naturelles, les maladies, ou encore les guerres ou
crises économiques afin d'y faire face et de se
sauvegarder en tant qu'espèce. L'intuition permettrait donc face
àune série d'indices provenant de l'environnement de
créer du lien dans le but de minimiser la surprise et maximiser
la prédiction. De la même façon et
à la lumière des éléments précédents,
nous pourrions supposer que le mécanisme de l'anticipation
entraîne une suractivation de l'attention pour les représentations
activées en interne, dans le but de créer du sens dans
l'environnement réel. Je cherche dans le monde externe, ce que je crois
qu'il devrait arriver. Ainsi ce qui se joue sur la scène psychique (la
croyance) doit trouver écho sur la scène externe
(familiarisation) afin d'être validéet accepté.
Nous retrouvons dans la théorie de Friston (2015) qui
sera présentéci-après, une référence
à la mathématique du chaos que nous introduirons avant la
présentation de sa théorie.
2.2 Une fonction sociale
2.2.1 La synchronisation
généralisée
Un système en physique est défini comme un
ensemble d'éléments interagissant entre eux selon certaines
règles. Il peut être ferméou ouvert, et est
analyséen rapport à son environnement.
Il existe trois sortes de systèmes : aléatoires,
déterministes et chaotiques. Les systèmes aléatoires
évoluent au hasard sans qu'aucune équation ne les régisse,
les systèmes déterministes sont déterminés par des
lois mathématiques connues et sont donc prévisibles. Les
systèmes chaotiques sont infiniment complexes, et nous pouvons dire
qu'ils sont à la fois déterministes et aléatoires. Un
système est dit chaotique s'il est régi par des lois
déterministes connues mais que son évolution échappe tout
de même à toute prévision sur le long terme. Ainsi
même le mouvement de la Terre à l'échelle de l'Univers et
non pas du seul système solaire décrit un mouvement chaotique; la
fumée d'une cigarette s'élevant des les airs et formant une
figure bien étrange peut aussi être considérée comme
un système chaotique.
Nous ne rentrerons pas dans les détails, mais il semble
que ces systèmes soient attirés par une figure
géométrique nommée »attracteur étrange»
ou »attracteur de Lorenz», (figure 2.1) qui est une structure
fractale non périodique, souvent représentée comme suit
:
2.2 Une fonction sociale 37
Figure 2.1. Attracteurs étranges, pris
du site accromath.uqam.
Le fait de considérer un système comme chaotique,
peut intéresser les psychologues, en ce sens, que toute
psychéhumaine pourrait être représentée comme un
système complexe. En effet, à l'inverse des théories
déterministes
qui supposent qu'en connaissant toutes les informations d'une
condition initiale, il serait possible de prédire son évolution,
les théories chaotiques supposent qu'un système sensible aux
conditions initiales ne peut être prédit, car chaque nouvelle
information sera susceptible de changer le cours de son évolution. Le
modèle n'est donc jamais stable.
C'est de cette théorie que provient l'idée
populaire qu'un battement d'aile de papillon au Japon pourrait produire une
tornade à New-York. C'est le fameux effet papillon. Il n'est pas utile
pour notre propos d'étudier plus en avant cette théorie, ce que
nous retiendrons ici est le terme de complexité. C'est à dire que
le comportement humain peut être comparéà un système
complexe non-déterministe. Pourtant à travers cette
complexitéet cette instabilité, nous devons naviguer, et
construire une forme de stabilité, même illusoire, de la
réalité, et de l'autre qui nous fait face.
C'est pourquoi selon Friston et Frith (2015), nous
inférerions en permanence le comportement d'autrui, et ce dans le but de
maximiser la capacitéprédictive de notre modèle
bayésien et ainsi, minimiser l'effet de surprise. Dans leur
expérience, Friston et Frith (2015) ont modélisédeux
»cerveaux bayésiens» qui tentent de se prédire
mutuellement, d'anticiper les réactions d'autrui (figure 2.2). Leur
étude montre que deux cerveaux qui tentent de se prédire, se
règlent l'un sur l'autre et accèdent ainsi à un
état général synchrone (generalized synchronisation). Nous
pourrions comparer ces deux cerveaux aux deux pendules de Huygens (1673). En
1665, Huygens observa la synchronisation de deux pendules placés
côte à côte. Il interpréta ce phénomène
intuitivement, en le nommant sympathie : d'imperceptibles mouvements se
transmettraient entre les pendules. De la même façon, deux
personnes synchronisées seraient deux personnes partageant la même
scène narrative. Il y aurait donc l'introduction d'un tiers faisant
office de lien entre deux personnes étrangères et
imprévisibles l'une de l'autre.
38 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?
Figure 2.2. Synchronisation
généralisée (pris de Friston et Frith, 2015)
Friston et Frith (2015) supposent alors qu'une telle
synchronisation entre deux personnes ne peut avoir lieu que si elles partagent
le même modèle générateur. Nous pourrions dire que
ce modèle commun fonctionne comme un tiers faisant office de lien au
réel, et regroupant ainsi les mythes, les croyances partagées par
l'ensemble des êtres humains : ceci se rapproche de l'inconscient
collectif de Jung. D'une façon plus générale, nous
pourrions dire que le langage fait office de tiers dans la relation à
l'autre, et permet de part la structure langagière (logique)
partagée par tous, de se synchroniser à l'autre et de partager la
même scène narrative, le même lieu de pensées.
Quel que soit le domaine d'expertise de l'auteur (philosophie,
psychanalyse, physique, psychologie cognitive), la notion de sympathie est
utilisée quand il s'agit de d'intuition ou d'anticipation, et dans un
sens plus large de la notion de résonnance (Denis, 2003).
2.2.2 L'empathie émotionnelle : une catégorie
de l'intuition
Liebermann (2009) définit l'empathie
émotionnelle comme un processus automatique, non-conscient
oùla personne ressent les émotions d'autrui à partir de
représentations mentales communes (Liebermann et Ramson, 2009, p.
3). Cette définition se rapproche du modèle de Friston (2015)
présentédans la partie précédente, qui suppose un
générateur commun permettant à deux interlocuteurs de
rentrer dans une forme de synchronisation.
L'empathie pourrait aussi être assimilée à
une capacitésomatique de deviner ce qui se dissimule derrière les
mots. Tout comme l'intuition, l'empathie s'incarne dans le corps, dans la
sensation pour ensuite mener à une réflexion
(morale/éthique) et/ou à une action/décision. Nous
pourrions reprendre les termes de Freud (1913), et renommer l'empathie,
»empathie intuitive» (intuitive Einfuhlung) afin de mieux
souligner le rôle de l'intuition dans l'empathie. L'intuition n'est pas
que de l'empathie, mais l'empathie a besoin de l'intuition pour exister, c'est
à dire de cette capacité»de voir au travers», de
résonner, de se synchroniser avec l'autre, avec ce qui est en-dehors du
Moi, c'est à dire l'autre.
Pourtant certaines études tendent à montrer
qu'il est plus difficile d'être empathique lorsque nous ne partageons pas
la même représentation qu'autrui. Ainsi les patients qui souffrent
d'alexithymie ont plus de difficultés à décrire
l'expérience émotionnelle d'autrui dans certaines situations
(Bydlowski et al, 2005 citépar Liebermann, 2009).
D'autres études citées par le même auteur,
vont dans ce sens, et montreraient que les patients alexithymiques sont
incapables de se mettre à la place d'autrui. Sifneos (1973)
définit l'alexithymie comme un déficit de l'affect
2.2 Une fonction sociale 39
~ une vie fantasmatique pauvre avec comme résultat
une forme de pensée utilitaire, une tendance à utiliser l'action
pour éviter les conflits et les situations stressantes, une restriction
marquée dans l'expression des émotions et
particulièrement une difficultéà
trouver les mots pour décrire ses sentiments , et une
inhabilitéà pouvoir faire des connexions entre les
émotions et les idées, les pensées, les fantasmes, qui en
général les accompagnent ~. Les patients alexithymiques sont
surtout incapables de se relier à leurs émotions, ce qui par une
absence de représentations internes et élaborées, les
empêcheraient par la même, de ressentir les émotions
d'autrui.
Il y aurait alors une incapacitéà traduire les
signaux somatiques de l'émotion (tachycardie, bouffées de
chaleur, tremblements) vers un niveau subjectif et à les élaborer
en émotions (joie, tristesse, peur...). La personne souffrant
d'alexithymie est empêchée de s'emparer de ses émotions et
de les élaborer grâce au langage (c'est à dire de
subjectiviser l'objet somatique).
L'intuition semble aussi fonctionner sur ce modèle :
les informations de l'environnement sont perçues au niveau somatique
pour être ensuite élaborées, interprétées et
ainsi subjectivisées par l'individu. Le langage possède ici
une
valeur principielle qui permet de structurer et
matérialiser l'intuition ressentie et ainsi le rendre
interprétable àl'autre. Il y a une prise de position
subjective, qui donne ainsi corps à l'intuition. Nous retrouvons ce
terme de
»prise de position», dans la définition que
donne Freud (1921) de l'empathie : Partant de l'identification une
voie mène, par l'imitation, à l'empathie,
c'est-à-dire à la compréhension du mécanisme qui
nous rend possible toute prise de position à l'égard d'une vie
d'âme. (citépar Widlöcher, 2013, p. 2)
Par conséquent, nous retiendrons que l'empathie peut
être considérée comme une fonction de l'intuition sociale,
c'est à dire comme capacitéde ressentir ce que l'autre vit dans
toute sa personne, dans le but d'y répondre de façon
adaptée. Si je ne peux ressentir la colère d'autrui, comment
pourrais-je l'éviter/l'amoindrir? Si un ami ne peut me faire ressentir
sa tristesse, comment pourrais-je savoir son besoin de consolation? Cette
capacitéserait nécessaire à la vie en groupe, et
permettrait la régulation, l'homéostasie des émotions
individuels, dans le but de parvenir à un certain équilibre au
sein du groupe, et de ce fait, à être plus à même de
se tourner vers l'extérieur, et d'éviter/résoudre les
conflits internes.
2.2.3 Intuition sociale et apprentissage implicite
Dans les parties précédentes, nous avons
montréque le principe de l'intuition est présent dans de nombreux
processus nécessaires à notre vie quotidienne. En effet, cette
capacitéest présente dans la communication, dans la
résolution de problème, dans la prise de décision, dans le
jugement et même dans la perception (Bar, 2007 et Bar, 2009). Cette
possibilitéattribuée à l'Homme, aurait donc un rôle
majeur dans notre existence et serait même indispensable à la vie
sociale (Liebermann, 2000; Frith et Libermann, 2009; Friston, 2015).
Les thèses actuelles présentent l'intuition
comme une capaciténon-consciente, rapide, et holistique, basée
sur une capacitéstatistique naturelle, et un apprentissage implicite
menant vers une autonomisation de la fonction (Kahneman, 2003; Liebermann,
2000). Par conséquent, nous pourrions penser qu'une personne experte
dans un domaine, c'est à dire une personne possédant des
réflexes rapides et automatisés à propos d'un domaine,
aurait naturellement plus d'intuition qu'un novice dans ce même
domaine.
Toutefois, deux points de vue s'opposent sur la question du
lien entre intuition et expertise. Selon Kahneman (2011), être expert
dans un domaine ne réduirait pas les biais de jugements. Avoir des
années de pratique en
40 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?
psychologie ou en médecine ne permettrait pas de
réduire les erreurs de diagnostique (Camerer et Johnson, 1991). En
finance non plus, l'expertise n'est pas le gage d'une meilleure
prédiction des stocks, elle tendrait seulement
àaccroitre la confiance dans son jugement (Zaleskiewicz,
2011).
D'un autre côté, les expériences
menées sur les joueurs d'échec montrent que le niveau d'expertise
incrimine fortement sur la capacitéde jeu, sur la rapiditéet la
mémorisation immédiate (Chase et Simon, 1973). Lors d'une
expérience oùle but est de reproduire un échiquier de
mémoire après une unique présentation de 5 secondes, les
experts ont plus de facilitéque les novices à reproduire l'ordre
du jeu, mais seulement si les pièces sont disposés selon un ordre
cohérent avec les règles du jeu. Dans le cas oùles
pièces auraient étédisposées aléatoirement,
la performance de mémorisation serait la même d'un groupe à
l'autre (Chase et Simon, 1973). Dans une étude similaire plus
récente, des joueurs d'échec experts, au contraire des novices,
sont capables de juger inconsciemment si une partie est échec ou non
d'après la présentation d'une amorce masquée (donc
perçue non-consciemment) censée influencer positivement leur
décision. Les joueurs experts auraient donc développéune
forme de réflexe basésur une mémoire composée de
milliers de combinaisons différentes. Cette capacitéde
reconnaissance immédiate serait d'ailleurs accentuée par le fait
que dans l'expérience citée, le roi est menacédirectement,
donc lors d'une situation alarmante pour un joueur d'échec. D'autre part
l'effet du masquage ne semble pas avoir d'effet sur les joueurs experts si les
combinaisons masqués n'ont pas de sens (Kiesel, Kunde, Pohl, Berner et
Hoffmann, 2009). Cette mémorisation est bien plus qu'un simple stockage
d'information, elle est une véritable construction mentale qui se
jouerait non-consciemment. La décision se jouerait alors à un
niveau non-conscient, et ce, en fonction que le masque corrèle avec les
données mémorisées du joueur d'échec ou non. Nous
pourrions alors faire l'hypothèse qu'il y aurait une mise ou non en
harmonie entre ce qui se trouve à l'extérieur (le masque) et ce
qui se trouve à l'intérieur (données
mémorisées), et ce serait cette congruence ou non-congruence qui
déterminera la réaction appropriée. Il aurait
étéintéressant de coupler cette expérience avec des
mesures physiologiques, dans le but de détecter ou non des marqueurs
somatiques.
L'intuition se trouverait donc à la lisière de
ces deux mondes et permettraient le lien, la communication entre ces deux
sources d'informations. Il se pourrait d'ailleurs qu'elle soit le lien
lui-même.
L'apprentissage implicite qui se définit comme :
l'acquisition de connaissances de façon non-consciente et en
l'absence d'une connaissance explicite à propos de ce qui est requis.
L'apprentissage implicite est un processus
primaire fondamental, qui est à l'origine des
comportements adaptifs des organismes complexes (Reber,
1993 citépar Lieberman, 2000 p. 4). L'apprentissage implicite serait
donc l'internalisation non-consciente de règles et la capacitéde
les utiliser en réponse à un problème, sans pouvoir
toutefois expliquer logiquement la loi utilisée.
Pour illustrer notre propos, Liebermann (2000) cite
l'expérience de Lewicki (1986), dans laquelle les participants devaient
juger de la personnalitéde personnes représentées sur des
photos. Lewicki créa une subtile corrélation entre la longueur
des cheveux et un trait de personnalité. Pendant
l'expérimentation, les participants utilisèrent significativement
cette information de covariance pour juger de la personnalitédes
personnes présentées. Or, lorsque les expérimentateurs
leur demandaient sur quoi ils basèrent leur jugement, les participants
répondaient généralement sur les yeux, mais à aucun
moment ils n'avaient vu le lien qui unissait ce trait de caractère
à la longueur des cheveux. Nous pourrions dire, qu'ils ont
utiliséune loi malgréeux et donc, que l'apprentissage implicite
ici, est une forme d'influence. Toutefois, nous pourrions nuancer ce propos, en
proposant qu'il existe chez l'Homme une fonction
2.3 L'intuition à la lumière de la neuro-imagerie
41
non-consciente capable de reconnaître des patterns, des
schémas, des liens, des analogies entre toutes choses. Ce serait
finalement, l'associativitéqui serait ici derrière le
phénomène de l'apprentissage implicite. C'est à dire la
reconnaissance implicite d'un lien entre des objets (perceptifs ou
idéels) et grâce à cela, une capacitéde
catégoriser le monde selon des classes toutes liées entre elles.
Ne serait-ce pas d'ailleurs la capacitéde créer des liens, du
sens donc, qu'on appellerait intelligence? Toutefois, la capacitéde
créer des liens fait aussi partie des instincts que l'on retrouve chez
les animaux ((biche)//forme/odeur/mouvement du lion = danger = fuir), pourtant
cette création de liens semble rigide et sélective (instincts) au
contraire de celle de l'homme qui, conscientisée, peut se permettre de
créer des liens entre le Camembert et Jésus comme Dali sut le
faire en 1961 quand on l'interrogea sur les montres molles lors d'une interview
(INA, 1961) :
~ Les montres molles sont comme du fromage, et surtout comme
le camembert quand il est tout à fait à point, c'est à
dire qui a la tendance de commencer à dégouliner. Et alors, mais
quel rapport entre le fromage et le mysticisme? Alors Dal'ý a
répondu une chose sublime, il a dit : Parce que Jésus, c'est du
fromage '. Alors làil y a eu un certain malaise de la part des
jésuites, mais comme je suis très jésuitique
moi-même, je savais déjàque cette chose c'était
saint Augustin qui l'avait dite avant Dal'ý. Et alors je leur ai
citéun psaume de la Bible dans lequel on parle de Jésus en le
comparant à une montagne. C'est très long et ça commence
en disant : montus, quamdatus, montus termentatus, montus... , enfin. C'est une
série de montagnes toutes lesquelles ont les attributs et les vertus
caractérisées et ammoniacales du fromage. Et rien d'autre que
saint Augustin, il dit, il écrit textuellement que ce passage il faut
l'interpréter que Jésus ce n'est pas une montagne de fromage mais
c'est des montagnes, des montagnes et des montagnes de fromage. Et
naturellement si c'était Dal'ý tout seul qui aurait dit que
Jésus c'était du fromage, mais si c'est saint Augustin, alors
tout le monde est forcéde dire que quand même, c'est pas aussi fou
ni aussi paranoïaque que ça. ~
Nous remarquerons que cette analogie n'est possible que
grâce à l'abstraction du langage et à la déliaison
effective qui peut exister entre représentations d'objets et
représentations de mots (Freud, 1891), ce que les animaux ne sont pas
capables de réaliser, d'oùune absence de choix dans leurs
instincts. L'intuition suppose le choix et la liberté, tandis que
l'instinct suppose l'acte et la rigidité.
L'intuition dépendrait donc des structures
cérébrales impliquées dans l'apprentissage implicite, dans
l'antici-pation, dans l'inférence émotionnelle/comportementale
d'autrui et de soi-même, dans l'élaboration des marqueurs
somatiques ainsi que dans les structures impliquées dans la prise de
décision.
2.3 L'intuition à la lumière de la
neuro-imagerie
2.3.1 Les ganglions de la base
Il semblerait que les ganglions de la base (noyaux gris
centraux) situés à la base du cerveau, soient impliqués
dans l'apprentissage implicite (Liebermann, 2000). En effet certaines
études montreraient qu'ils sont associés
àl'apprentissage de séquences et de relations
probabilistes non accessibles à la conscience (Rauch et al., 1995
citépar Liebermann, 2000).
42 2 L'intuition une fonction essentielle à l'Homme?
Les ganglions de la base sont constitués de quatre
parties principales : le striatum, le pallidum, le noyau sub-thalamique, et la
substance noire (pars compacta et pars reticulata). Le striatum contient deux
noyaux - le noyaux caudéet le putamen - et reçoit des
informations (inputs) de la plupart des aires corticales ainsi que du
système limbique. Il existe deux territoires fonctionnels dans le
striatum selon les aires afférentes : le territoire somatomoteur et le
territoire associatif (Pidoux, 2011).
Il existerait cinq circuits qui impliquent les noyaux gris
centraux et les voix thalamo-corticales (Figure 2.3). Chaque circuit agit en
parallèle, est indépendant et assure un rôle
spécifique - moteur, associatif, ou limbique. Ils sont tous
constitués de boucles cortico-striato-pallido-thalamo-corticales reliant
des aires corticales à des territoires des ganglions de la base. Ainsi
chacun de ces circuits débutent dans des sites du cortex, converge vers
le striatum, traverse le pallidum, le thalamus, et retourne vers une aire
corticale afférente. Il se pourrait que ces circuits soient
indépendants les uns des autres.
Figure 2.3. Circuits des noyaux gris centraux (pris dans le cours
de physiologie Noyaux Gris Centraux du Dr Bernard
Pidoux
L'ensemble de ces circuits (oculomoteur, préfrontal
dorsolatéral, orbitofrontal latéral, et cingulaire
antérieur) révèlerait que les ganglions de la base sont
des acteurs privilégiés dans l'influence de l'attention, la
cognition, l'émotion, et le comportement. Il se pourrait que le circuit
orbitofrontal latéral, qui implique la partie ventromédiane du
noyau caudé, le pallidum et la substance noire reticulata ainsi que le
thalamus qui projette en retour sur le cortex orbitofrontal, joue un rôle
dans l'empathie et plus généralement sur les réponses
appropriées aux stimuli sociaux ~ (Pidoux, 2011).
Il se pourrait que la maladie d'Huntington et la maladie de
Parkinson soient de bons modèles du fonctionnement des ganglions de la
base (Liebermann, 2000; Pidoux, 2011). Certaines expériences mettent en
évidence que la
2.3 L'intuition à la lumière de la neuro-imagerie
43
mémoire procédurale, c'est à dire la
mémoire non-consciente, automatique et à la base de
l'apprentissage implicite, est impactée dans ces deux maladies,
contrairement à la mémoire de travail qui semble stable (Martone,
Butters, Payne, Becker, et Sax, 1984 citépar Liebermann, 2000, p.11).
De plus, de nombreuses études suggèrent que les
ganglions de la base seraient impliqués dans la compréhension de
la communication non-verbale. Comme le mentionne Liebermann dans sa review
de 2000, les patients avec une lésion au niveau des ganglions de la
base, ont des difficultés à produire des mouvements non-verbaux
tels que des
expressions faciales spontanées, ou des prosodies
émotionnelles; ils ont aussi plus de difficultés, en comparaison
àdes patients sans lésion, à décoder les
expressions non verbales faciales.
2.3.2 Les neurones miroirs
Certaines recherches montreraient que les neurones miroirs
seraient impliqués dans l'expérience d'empathie. Ces neurones
découverts dans les années 1990's dans le cortex prémoteur
ventral du singe macaque (Rizzolati et al, 1996), mais aussi chez l'oiseau
lorsqu'un des congénères écoute l'oiseau chantant
(Prather, Peters, Nowicki et Mooney, 2008). Ces neurones existeraient aussi
chez l'humain, au niveau du cortex frontal inférieur et du cortex
pariétal (Rizzolatti et al., 1996). C'est ainsi que certaines
recherchent mettent en évidence le rôle de ces neurones miroirs
dans l'empathie (Decety et Jackson, 2004; Gallese et Goldman, 1998; Preston et
De Wahl, 2002) et particulièrement dans la reconnaissance des
expressions faciales émotionnelles qui activent les neurones miroirs
ainsi que les régions du système limbique.
D'autre part, le fait d'observer la douleur chez quelqu'un,
pourrait activer les régions corticales associées
àune composante affective de la douleur (non-sensorielles),
et activerait l'insula antérieure et le cortex cingulaire
antérieur, qui seraient tous deux impliqués dans
l'éprouvéd'une détresse dûà une douleur
physique (Morrison, Lloyd, di Pellegrino, et Roberts, 2004; Singer et al.,
2004).
2.3.3 Le cortex ventromédian préfrontal
Toutefois, des travaux plus récents remettent en cause
la théorie simpliste des neurones miroirs dans l'empathie. Ainsi,
même s'il existerait un degréde recouvrement entre les
régions cérébrales activées lors de la sensation
douloureuse éprouvée à la première personne et la
sensation douloureuse évoquée par autrui (Jackson, Rainville et
Decety, 2006), les expérience de Danziger et al.(2009) avec des patients
atteints d'une insensibilitécongénitale à la douleur
(ICD), montrent qu'elles ne suffisent pas à expliquer ce
phénomène complexe. Dans cette expérience, les chercheurs
ont tentéde comprendre par quels mécanismes
cérébraux ces patients privés de la
sensibilitédouloureuse, pouvaient imaginer la douleur d'autrui. Chez les
patients ICD, les aires visuelles occipito-temporales étaient
significativement moins activées comparativement au groupe
témoin. Or, le degréd'activation de ces régions augmente
avec la valence émotionnelle d'un stimulus visuel, par conséquent
cela suggère, que la vue de l'acte douloureux aurait moins d'impact
affectif immédiat chez ces patients. Pour appuyer cette observation, les
patients ICD rapportent que la vue de la douleur d'autrui revêt un
caractère abstrait'.
Pourtant chez ces mêmes patients, les chercheurs
relèvent une corrélation importante entre le
degréd'activation du cortex préfrontal ventromédian et les
scores d'empathie. Cette région est connue entre autre pour s'activer
lors
44 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?
d'inférence de l'état émotionnel d'autrui
ainsi que dans les émotions sociales comme la compassion. Plus les
patients étaient dotés de capacités empathiques
(évaluées grâce à un questionnaire) et plus cette
région cérébrale s'activait; contrairement au groupe
non-amorcé.
Ainsi comme le mentionne Danziger (2009), les patients
atteints d'une insensibilitécongénitale à la douleur ont
dûcompenser leur incapacitéà ressentir automatiquement la
douleur d'autrui, en impliquant des processus d'inférence
émotionnelle complexe. Il se pourrait alors, que ce soit par ce
même mécanisme, que nous pourrions imaginer et partager avec
autrui des affects, des sensations liées à des expériences
que nous n'avons pas vécu. Les capacités d'inférence
n'auraient comme limite que notre propre imagination.
3
L'intuition : Une suggestion non-consciente
3.1 L'inconscient cognitif
3.1.1 Bref historique de l'inconscient
Le non-conscient, c'est à dire ce qui est
voiléà la conscience immédiate, a toujours
poséquestion. Héraclite d'Éphèse (VIème
siècle av. J.C) critique de façon acerbe dans les Fragments, la
façon dont l'homme se croyant éveillé, ne contemple
finalement que des choses mortes. C'est à dire que ne voyant que la
surface des choses, son regard se pose sur des objets périssables alors
que grâce à l'intelligence supérieure, il pourrait saisir
le mouvement, le changement, et le sens profond qui se dégagent de ces
objets. Il y aurait donc une dissociation entre ce qui est perçu et ce
qui pourrait être perçu. Il existe ainsi un domaine voilé.
Saint Augustin, dans ses Confessions (398 ap. J.C) compare la mémoire
à un sanctuaire d'une ampleur infinie*' (Saint Augustin, 398, p.211), et
se demande qui en a touchéle fond, et oùdonc se trouve ce que
l'homme ignore de lui-même. Il conclue peu après, que ces choses
ne sont pas hors de lui, mais en lui, dans ce temple de la mémoire.
D'autres part, Saint Augustin se pose dans les Confessions des questions
actuelles que les neurosciences ont mis en expérience, ainsi dans le
chapitre XIX du livre X, il veut montrer que l'oubli n'est jamais total en
prenant l'exemple du prénom oubliéd'une personne connue. Si nous
essayons de nous rappeler d'autres prénoms que le sien, nous savons que
nous sommes dans l'erreur. Lorsque le vrai prénom arrive, nous savons
qu'il épouse parfaitement la représentation que nous avons de la
personne et nous sommes certains que c'est le bon. Par conséquent
Nous n'avons pas encore totalement oubliée ce que nous nous
souvenons d'avoir oubliée (Ibid, p. 223).
Plus tard, Leibniz (1765) dans ses Nouveaux Essais sur
l'entendement humain, traite du non-conscient en montrant qu'il existe dans
l'âme, c'est à dire la parcelle immortelle qui habiterait le
corps, des perceptions, des appétits, conscients et inconscients :
D'ailleurs il y a mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment
une infinitée de perceptions en nous, mais sans aperception et sans
réeexion, c'est à dire des changements dans l'âme
même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou
trop petites et en trop grand nombre ou trop unies [...]*' (Leibniz,
p.15). D'autre part, ces milliers de petites perceptions nous influencent
constamment sans que l'on s'en aperçoive, il suffira que quelqu'un nous
pointe l'existence de ces informations pour que l'on s'en aperçoive
à posteriori. Leibniz, pointe donc ici le filtrage attentionnel, et la
façon dont notre cerveau préserve l'attention vers ce qui est
utile dans le moment, et filtre (sans toutefois supprimer) ce qui n'est pas
nécessaire.
46 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente
Freud reprendra ce qui a étéfait
précédemment mais ajoutera toute la dynamique inconsciente qui
manquait précédemment. Nous ne ferons pas une description
étayée de la théorie inconsciente de Freud, ce
mémoire n'en est pas le sujet, mais nous nous contenterons de dire que
Freud a introduit le concept de refoulement, qui permet de préserver le
Moi des pulsions et désirs s'opposant à la censure. Dans sa
Psychopathologie de la vie quotidienne (1904), Freud montre comment
l'inconscient fait pression sur le moi, et se déclare à la
conscience au travers des actes manqués, lapsus, symptômes et
rêves.
Les auteurs qui se sont particulièrement
intéressés à l'intuition dans le cadre de la psychanalyse
sont sans doute Jung et Groddeck. Nous avons déjàintroduit Jung
au début du mémoire; en ce qui concerne Groddeck sa
théorie du Ça (1923) nous montre à quel point il tente
d'unifier le corps à l'esprit. Pour lui, ces deux entités ne sont
pas séparées, ce sont seulement deux qualités de la
même substance. C'est alors en revenant à cette unité,
à cette non-séparation de principes, que Groddeck nous montre la
voie de l'intuition. Pour lui il n'y a d'intuition que la force principielle
qui est contenue dans toute forme de vie.
Pour la suite, nous préférerons utiliser le
terme de »non-conscient» pour définir les
représentations, les sensations, les émotions, en-dehors du
traitement immédiat de la conscience. Le terme de
»non-conscient» ou »d'inconscient cognitif», nous
paraît adapté.
3.1.2 Le non-conscient dans la clinique
Il y a plus d'un siècle, Claparède, neurologue,
psychologue et s'intéressant de près à la psychanalyse,
serra la main d'une patiente atteinte du syndrome de Korsakoff avec une
aiguille entre les doigts. Le lendemain, cette patiente ne se souvenait pas de
son médecin (le syndrome de Korsakoff provoque des amnésie
à court terme), mais elle refusa pourtant de lui serrer la main. Ainsi,
nous supposons qu'une partie d'elle avait bien associée et
enregistrée Claparède et l'aiguille. Il existerait donc une
mémoire corporelle qui pourrait fonctionner sans l'intervention de la
conscience.
Une autre expérience, très similaire à la
précédente, montre que certains cas d'amnésie seraient
moins un déficit de mémoire qu'un trouble lors de la
récupération des souvenirs. Jacoby et Kelley (1987) raconte
l'histoire d'un psychologue qui recevait un patient atteint de Korsakoff et qui
eu l'idée de raconter toujours la même blague pendant l'entretien
pour faire rire et détendre son patient (et au passage, minimiser sa
créativité). La première fois qu'il raconta sa blague, le
patient rit. Mais le jour d'après, le patient trouva la blague stupide
et pas drôle ' alors même qu'il disait ne pas connaître la
blague. Le patient aurait inconsciemment anticipéla chute de la blague,
annulant son effet amusant. L'information aurait bien
étéenregistrée, mais la personne serait incapable d'y
avoir accès consciemment. Toutefois, l'information continue d'avoir un
effet sur son comportement et ses réactions.
De la même façon, des patients atteints de
lésions au niveau des aires corticales visuelles, qui les privent d'une
vision consciente (ils se comportent comme des aveugles) sont capables
d'indiquer la position d'un objet avec une grande précision (Weiskrantz,
1986). La première hypothèse stipule, que les informations
visuelles provenant de la rétine, et se projetant sur le corps
géniculélatéral par l'intermédiaire de l'axone du
nerf optique, contourneraient la lésion du cortex occipital, et seraient
déviées à 30% en direction du thalamus. Pourtant certains
comportements de patients victimes de lésions occipitales seraient trop
complexes pour ne provenir que de structures sous-corticales. Il a
étémis en évidence que les informations visuelles
pouvaient être déviées vers le lobe pariétal qui
analysait la
3.1 L'inconscient cognitif 47
Figure 3.1. Le Doux, Wilson et Gazzaniga,
1977
taille, l'orientation et les formes présentées
à la rétine (Milner et Goodale, 1991). Il y aurait donc un
traitement implicite de l'information.
L'expérience de Halligan et Marshall (1988) montrerait de
la même façon que des patients ayant une négligence
spatiale unilatérale sont capables de traiter
implicitement la partie de l'image qui leur est normalement impossible
àpercevoir consciemment. Les patients
héminégligents auraient des lésions unilatérales au
niveau d'un réseau atten-
tionnelle complexe encore mal
délimitéaujourd'hui (Ptak, 2014), qui les priveraient du champ
visuel controlatéral à la lésion. Ainsi, une
héminégligence droite empêche l'orientation de l'attention
vers la partie gauche de l'espace. Ces patients se raseront que du
côtédroit ou ne dessineront que la partie droite d'un dessin, d'un
visage. Pourtant, Halligan et Marshall (1988) démontre que ces patients
perçoivent toujours inconsciemment la partie négligée et
sont capables de la traiter. Dans leur expérience, ils ont
présentéaux patients, négligeant la partie gauche, deux
maisons, dont l'une avait la partie gauche en flamme. Alors que pour le
patient, ces deux maisons étaient strictement les mêmes
(négligence de la partie gauche enflammée), lorsqu'on lui
demandait dans laquelle il voudrait vivre, il choisissait
systématiquement celle sans flamme. Les informations
négligées seraient donc présentes dans le cortex des
patients héminégligents.
Les patients ayant subi ou souffrant de callosotomie
(split-brain), ont les deux hémisphères
séparés,ceux-ci ayant un fonctionnement plus ou moins
indépendant. Dans l'expérience de LeDoux, Wilson et Gazzaniga
(1977), il était demandéà un jeune garçon ayant
subit une callosotomie de juger ce qu'il ressentait à propos de certains
mots, sur une échelle de 1 à 7 avec 1 comme bien, et 7 comme mal.
On adressait successivement les mots à son hémisphère
gauche puis à son hémisphère droit. Étonnement, les
résultats montrèrent que l'hémisphère droit juge
différemment et plus négativement que l'hémisphère
gauche. Sans arrière-pensée psychanalytique, on constate que les
mots ayant la plus grande différence de jugement sont : mère,
sexe, guerre, son prénom et son personnage de télévision
préféré.
48 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente
Une autre patiente très connue des neurocognitivistes,
Vicki, se plaignait après sa callosotomie de ne plus pouvoir s'habiller
normalement. En effet elle passait plusieurs heures avant de se mettre d'accord
sur sa tenue. Lorsque sa main gauche attrapait un habit, aussitôt sa main
droite s'en emparait pour le lui retirer (Wolman, 2012). Ces observations
cliniques posent la question de l'unitéde la conscience au sein du
cerveau, l'hémisphère gauche aurait un jugement différent
de l'hémisphère droit; le Christ en avait
déjàpressenti l'hypocrisie : » Mais toi quand tu fais
l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite.»
(Evangile selon Matthieu 6 (1-8)).
3.1.3 Le non-conscient cognitif
Il existerait donc des processus cognitifs non-conscients
définit par Kihlstrom (1987) comme des aptitudes
ou des procédures qui opèrent sans prise de
conscience et qui ne sont en aucune façon accessible à la
conscience ~ (citépar Westen, D. (2000). Psychologie.
Pensée, cerveau et culture. De Boeck, p. 480). Il distingue ces
processus totalement non-conscients des processus préconscients qui se
situent juste en deçàdu seuil de conscience et peuvent
être activés grâce à des amorces
subliminales. L'inconscient cognitif comprend la mémoire implicite, une
capacitéde reconnaissance sémantique, les processus automatiques
et non-conscients.
Les expériences de Dehaene sur l'attention, lui ont
permis de définir le non-conscient selon deux paramètres :
l'attention du sujet et l'intensitédu stimulus (Dehaene, Changeux,
Naccache, Sackur et Sergent, 2006). En effet, une information pour qu'elle soit
consciente doit être accessible et donc rapportable (Dehaene, 2009).
Le non-conscient est ainsi diviséen deux processus
principaux selon ces deux paramètres :
-- Lorsque les conditions de présentation d'un stimulus
ne lui permettent pas de passer le seuil de la conscience, le processus est
appelésubliminal. Le stimulus est donc inaccessible, et l'activation
neuronale est insuffisante pour s'épandre dans l'espace de travail
neuronal global qui est un espace interne de synthèse, de maintien
et de partage des données (Dehaene, Cours du Collège de
France, Théorie de la conscience d'accès, p. 3). Les
expériences de masquages en sont un exemple.
-- Lorsque les données sensorielles ascendantes
(bottom-up) sont suffisamment intense pour être perçues mais que
l'attention du sujet, provenant de boucles descendantes (top-down) est
détournée ou absente du stimulus en question, le processus est
appelépréconscient. Les expériences de
cécités au changement (Rensink, O'Regan et Clark, 1997) et de
cécitéattentionnelle (Simons et Chabris, 1999) en sont un bon
exemple. Dans l'expérience de Simons et Chabris (1999), on demande
à des participants de compter le nombre de passes de balles de
l'équipe en blanc. À un moment, un gorille apparaît au
centre de l'écran, mais la plupart des participants rapportent ne pas
l'avoir vu. La simple focalisation de l'attention sur l'équipe blanche a
rendu invisible le gorille. Le stimulus était donc fort, mais
l'attention sur celui-ci pratiquement absente. Cette dernière
expérience rejoint la théorie selon laquelle la conscience est
sélective et à capacitélimitée (Broadbent,
1958).
En effet, la masse d'informations sensorielles présentes
dans notre environnement excèderait notre capacitéde traitement,
il est donc nécessaire de sélectionner les informations qui nous
sont nécessaires dans l'instant.
D'autre part la conscience n'a accès qu'àune
interprétation d'une perception à la fois, même si il
existe plusieurs interprétations possibles.
3.2 L'amorçage 49
Figure 3.2. Dehaene, Sackur, Changeux, Naccache et Sergent,
2006
Dans la figure du vase de Rubin, selon que notre attention se
place sur le fond, ou sur la forme nous distinguons soit un vase, soit des
visages. Mais nous ne pouvons percevoir les deux au même instant (Rubin,
2001). Il existerait alors un lien étroit entre attention et conscience.
C'est ce que nous allons voir dans la partie sur la méthode des amorces
maquées.
3.2 L'amorçage
L'amorçage est une technique expérimentale qui
utilise un stimulus initial (l'amorce) dans le but d'influencer une
réponse à un stimulus secondaire (cible).
Le paradigme de l'amorçage possède cinq
caractéristiques de bases (Janiszewski et Wyer, 2014) :
1. Comme mentionnédans la définition, il doit y
avoir deux stimuli, une amorce et une cible.
2. L'amorce doit influencer la réponse au stimulus
cible.
3. Une caractéristique spécifique de l'amorce doit
être responsable de la réponse modifiée à la
cible.
4. L'influence de l'amorce sur la cible doit être
temporaire.
5. Les effets de l'amorce doivent être
imprévisible, inattendu et se passer en deçàdu seuil de
conscience.
50 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente
3.2.1 L'amorçage supraliminaire
L'amorçage est dit supraliminaire lorsque l'amorce est
consciemment perçue par le participant. Dans l'effet d'amorçage,
l'amorce permet de faciliter l'accès à une représentation
spécifique, qui induira alors une réponse vis
àvis de la cible donnée. Janiszewsi et Wyer (2014) ont
classifiéles amorces en 5 catégorie selon les
représentations
auxquelles elles s'adressent : sémantique, affective,
motivationnelle et motrice. Chacune de ces amorces peut être directe ou
indirecte. Une amorce directe va permettre d'agir directement sur la cible en
facilitant son accessibilité. Le fait de présenter une amorce
subliminale à caractère sexuel va par exemple augmenter
l'accessibilitéde pensées sexuelles (Gillath, Mikulincer,
Birnbaum et Shaver, 2007). Une amorce directe de caractère affectif
telle qu'une musique déplaisante peut influencer le jugement à
propos d'un produit (Gorn, Goldberg et Basu, 1993), ou permettre à des
évènements positifs d'être juger plus positifs qu'ils ne le
sont (Estes, Jones et Golonka, 2012).
L'effet d'amorçage pourrait provenir d'une activation
d'un réseau d'association. Le modèle associatif proposépar
Janiszewsi et Wyer (2014), suppose que l'amorce active des
représentations et des processus cognitifs organisés en
réseau. Les représentations ont un niveau d'activation qui
dépend de sa fréquence et de sa proximitéd'utilisation,
ainsi que de la force du réseau associatif activé, donc de sa
pertinence. Dans le but d'illustrer ce modèle, les auteurs citent
l'expérience de Spivey et Geng (2001) durant laquelle ils
présentèrent l'amorce »oiseau», qui eut comme effet de
les faire plus souvent regarder vers le haut. L'association viendrait du fait
que les oiseaux se trouvent le plus souvent en hauteur. Par conséquent,
l'intensitéde l'amorce sémantique »oiseau», a pu
activer le processus cognitif »regarder en haut».
3.2.2 L'amorçage subliminales
Le terme subliminal signifie en deçàdu seuil de
perception consciente. Cette idée est déjàprésente
chez Leibniz (1765) qui, déjàen avance sur son temps, faisait un
lien avec l'attention :
~ Toute attention demande de la mémoire, et quand nous
ne sommes point avertis pour ainsi dire de prendre garde à quelques-unes
de nos propres perceptions présentes, nous les laissons passer sans
réflexion et même sans les remarquer. Mais si quelqu'un nous en
avertit et nous fait remarquer par exemple quelque bruit qu'on vient
d'entendre, nous nous en souvenons et nous nous apercevons d'en avoir eu
tantôt quelque sentiment. ~ (Leibniz G. W. (1765). Nouveaux Essais sur
l'entendement. Flammarion, ed.1921, p.16).
Dans ce texte de 1765, est décrit la façon dont
seront utilisées plus de deux siècles plus tard les amorces
masquées. Le paradigme de masquage a permis d'explorer les fonctions du
non-conscient et donc, par contraste, de mieux comprendre la conscience.
La plupart des amorces subliminales utilisées sont
visuelles. Toutefois le principe de masquage reste plus ou moins le même
selon que l'amorce soit visuelle ou auditive. Le but du masquage est de
réduire la perception d'un stimulus
présentébrièvement (la cible) à l'aide d'un second
stimulus (le masque). En effet ce n'est pas parce qu'une image est
présentée brièvement (20ms) qu'elle ne peut être
perçue, c'est pourquoi la méthodologie est importante.
Il existe plusieurs façons de masquer une cible selon
l'effet de l'intervalle temporel qui sépare la cible et le masque
(Stimulus Onset asynchrony, SOA). L'effet du masque est maximal dans
le masquage de type A lorsque la cible
3.2 L'amorçage 51
et le masque apparaisse simultanément, tandis que dans
le masquage de type B, l'effet atteint son acmélorsque le masque
apparait après la cible. (Dehaene, 2009).
Toutefois dans notre expérience, nous n'utiliserons pas
de masque, mais des amorces plus ou moins subliminales. En effet, il pourrait
exister un troisième type d'amorce, qui serait présent dans
l'environnement mais dont le sujet serait »libre» de percevoir ou
non.
Nous considérons dans cette expérience, que
l'intuition résulterait de la synthèse et de la mise en lien
non-consciente, de ces petites perceptions présentes dans
l'environnement externe (perceptions) et interne (sensations), ce qui justifie
notre intérêt pour les phénomènes d'amorçage,
qui peuvent être une création artificielle,
expérimentale,
de ces petites perceptions. Il s'avère que les
phénomènes d'amorçage auraient une action physiologique,
et ce, malgréson caractère subliminal,
non-conscient.
3.2.3 Effets psychophysiologiques de l'amorçage
subliminale
Les amorces subliminales pourraient avoir une action sur
directe sur les structures sous-corticales telle que l'amygdale, qui serait
impliquée dans le traitement de stimuli émotionnels (Aggleton,
1992), et pourrait réagir de façon réflexe sans
l'intervention de la conscience (Whalen, 1998). Dans une étude de Whalen
et al (1998), une activation de l'amygdale est perçue à l'aide de
l'IRM lors d'une présentation subliminale de visages exprimant la peur
comparativement à des visages exprimant la joie.
D'autres études montrent que la présentation
subliminale d'émotions peut influencer le comportement, ainsi une
expérience de Zemack-Rugar, Bettman et Fitzsimons (2007) montre que les
personnes soumises à l'amorce masquée sémantique
culpabilité se montrent plus aidante lors d'un questionnaire que celles
ayant perçues l'amorce ~ triste ; une expérience de
Skandrani-Marzouki et Marzouki (2010) montrerait que des amorces
masquées de visages à valence positive ou négative tendent
à influencer la prise de décision des participants.
Effectivement, les participants étaient plus enclins à rejeter
les visages neutres précédés d'un visage
masqué(amorce) à valence émotionnelle négative que
ceux précédés d'un visage masquéà valence
émotionnelle positive.
La perception subliminale aurait donc les mêmes effets
au niveau des structures biologiques que la perception pure. Une
expérience de Wetherill et al (2014) montre que la présentation
subliminale d'images relatives au cannabis à des sujets
dépendants au THC active le circuit neuronal impliquédans
l'addiction.
3.2.4 Les indices olfactifs
Les précédentes études portant sur
l'amorçage utilisent principalement des amorces visuelles pour leur
facilitéd'emploi et la possibilitéde contrôler leur mode
d'apparition (subliminale ou supraliminaire).
Toutefois, dans notre approche, nous avons aussi
utilisédes indices olfactifs pour deux raisons. Premièrement, les
odeurs sont connues pour entraîner une remémoration
d'évènements passés. La madeleine de Proust (1913) est un
bon exemple de la façon dont une odeur ou un goût aurait un effet
puissant et immédiat sur la mémoire. De plus, d'autres
expériences montrèrent que les odeurs sont associées
à la remémoration d'évènements plus
émotionnels et subjectifs que les autres indices sensoriels (Larsson et
Willander, 2009; Miles et Berntsen, 2011).Cette connexion entre les odeurs, les
souvenirs et les émotions, place le stimulus olfactif comme un excellent
indice sensoriel permettant la remémoration d'évènements,
et notamment une efficacitéimportante dans l'effet d'amorçage.
D'autre
52 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente
part, il est difficile de décrire verbalement et
d'identifier (consciemment) une odeur (Jonsson and Olsson, 2003), elles sont
donc des indices généralement plus discrets que les indices
visuels et plus efficaces pour la remémoration. Dans notre approche, les
odeurs de cafépourraient donc améliorer et renforcer l'effet
d'amorçage et permettre un meilleur »insight» de la situation
donnée.
Les perceptions non-conscientes auraient donc un effet
physiologique sur l'être humain, elles pourraient influencer nos
comportements et nos choix.
3.3 La prise de décision non-consciente
3.3.1 Les marqueurs somatiques
C'est à partir d'observations sur ses patients
cérébro-lésés que Damasio (1995) en vient à
élaborer son hypothèse des marqueurs somatiques. Il constate que
des patients lésés de la région préfrontale sont
incapables d'éprouver des émotions et de prendre des
décisions avantageuses. Il y aurait donc un lien étroit entre le
raisonnement et l'émotion, le somatique. A partir de tous ces
éléments, Damasio suppose que le mécanisme du raisonnement
reçoit des signaux du corps (viscéraux ou non) des centres
émotionnels, qui viendraient étayer le jugement, le raisonnement,
et lui permettrait d'aboutir :
~ Imaginez qu'avant d'avoir appliquéla moindre analyse
de »coût/bénéfice» aux différents cas de
figure, et avant que vous ayez entaméle processus de raisonnement devant
vous mener à la solution du problème, quelque chose d'important
se produit : lorsque vous visualisez dans votre esprit, même
fugitivement, la conséquence néfaste d'une réponse que
vous pourriez choisir, vous ressentez une sensation déplaisante au
niveau du ventre. [...] Il (le marqueur somatique) oblige à faire
attention au résultat néfaste que peut entraîner une action
donnée, et fonctionne comme un signal d'alarme automatique [...]
(Damasio, 1995, L'erreur de Descartes, pp. 224-225).
Les émotions chez Damasio, sont à entendre dans
un sens plus large que les simples émotions primaires (joie, tristesse,
colère, peur...), ces émotions dépendraient,
reflèteraient, les signaux que certaines partie du corps produisent lors
d'un stimulus, lors d'une représentation imaginaire d'une situation
possible, et qui serait perçues consciemment ou non. Pour expliquer le
fait que les émotions peuvent influencer inconsciemment une prise de
décision, Damasio (1999) réalisa une expérimentation avec
un patient amnésique incapable de se souvenir de personnes
rencontrées ou d'évènements. Malgrécette
déficience, le patient en question était capable de choisir avec
quelles personnes il préférait être ou ne pas être,
avec lesquelles ils s'entendaient ou non. Ceci est surprenant,car son
amnésie ne lui permet pas de souvenir des attributs positifs ou
négatifs des personnes rencontrées, pour lui, chaque rencontre
est nouvelle. Damasio (1999) suggère qu'il existerait donc une
mémoire non-consciente liée à des émotions à
valence négative ou positive et permettant au patient de
»sentir», de savoir spontanément, sans éléments
d'analyse ce qu'il aime ou n'aime pas. Nous n'hésitons pas à
repenser aux expériences sus-cités (p. 39) de Claparède ou
de Jacoby et Kelley (1987). Selon Damasio, cette mémoire implicite
serait favorisée par l'existence de marqueurs somatiques.
Damasio (1999) donne l'exemple d'un patient souffrant d'une
lésion du lobe préfrontal qui pouvait prendre plusieurs heures
pour choisir rationnellement entre deux prises de rendez-vous :
3.3 La prise de décision non-consciente 53
Pendant presque une demi-heure, il a
énuméréles raisons pour et contre chacune des deux dates :
engagements antérieurs, proximitéd'autres engagements,
prévisions météorologiques, et pratiquement toutes les
sortes de raisons envisageables [...] il se livrait à des comparaisons
sans fin et sans intérêt entre différentes options et leurs
éventuelles conséquences [...] Finalement, je lui ai
effectivement dit, sans me troubler, qu'il devrait venir le second des deux
jours proposés. Sa réponse a étéégalement
calme et rapide. Il a simplement dit : `C'est très bien.' Il a
rangél'agenda dans sa poche et s'en est allé (Ibid, p.265-266)
Nous comprenons alors que le simple raisonnement peut devenir
irraisonnable dans ces cas extrêmes, d'autre part, les marqueurs
somatiques auraient un rôle dans la relation à l'autre, en nous
rendant apte à faire des choix en coopération avec les autres.
Ces marqueurs somatiques nous permettraient aussi de réduire le champ
des possibles
grâce à l'imposition d'une marque
émotionnelle. Si nous étions indifférent à tout,
nous ne pourrions choisir, c'est àdire trancher dans
l'infinitude du réel.
Bien entendu, les marqueurs somatiques seuls ne permettent pas
de prendre une décision, mais permettent d'affiner le choix des
possibles, ils sont en quelque sorte un premier filtre vers la décision
optimale et réduisent ainsi considérablement le temps de
délibération. D'autre part, comme nous l'avons vu dans les
parties précédentes traitant de la prédiction et de
l'anticipation ainsi que celles traitant du non-conscient, il serait impossible
de compiler consciemment toutes les informations à notre disposition
dans le but, de prendre la décision la plus raisonnable. Des
informations nous échapperons toujours, et c'est bien là, le
rôle de l'émotion.
Dans certain cas ce mode de raisonnement s'avère plus
précis et efficace qu'une longue introspection (Albrechtsen, Meissner et
Susa, 2009; Dijkstra, Van der Pligt, Van Kleef et Kerstholt, 2012). Par
exemple, il serait plus judicieux de se fier à son intuition pour
détecter le mensonge chez une personne, que d'utiliser la seule analyse
et introspection (Albrechtsen, Meissner et Susa, 2009).
3.3.2 Corrélats physiologiques d'une prise de
décision intuitive
Peu d'études furent menées sur les composantes
psychophysiologiques de l'intuition, toutefois nous retrouvons de nombreuses
études psychophysiologiques sur la prise de décision. En nous
référant à l'hypothèse que l'apprentissage
implicite serait une composante du processus intuitif (Lieberman, 2000), les
travaux sur l'Iowa Gambling Task (IGT) montre l'importance des marqueurs
somatiques dans une prise de décision intuitive et plus
généralement dans le processus intuitif. Ce test de poker propose
aux participants de tirer des cartes une centaine de fois parmi quatre paquets
qui diffèrent dans leur distribution de gains et pertes. Deux paquets
sont à haut risque de pertes mais apportent avec une faible occurrence
un gain élevétandis que les deux autres paquets sont à bas
risque de perte, mais apporte un gain tout aussi faible. Ces deux derniers
paquets permettaient d'obtenir une somme conséquente sur le long terme,
tandis que les paquets à haut risque de perte entraînaient une
perte totale sur le long terme. Par conséquent, il était plus
stratégique de choisir les paquets à faible perte et faible gain.
La plupart des patients sains finissent par choisir les deux paquets
avantageux, tandis que les patients avec une lésion du lobe
préfrontal ventromédial persistent à piocher dans les
paquets désavantageux. L'apprentissage implicite des personnes
non-lésées seraient liéaux marqueurs somatiques (Bechara
et al, 1997) dans le but d'anticiper au mieux les récompenses et
punitions (Tomb et al, 2002). Cette réaction somatique se traduirait par
une augmentation de
54 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente
la conductance cutanée (Crone, Somsen, Van Beek et Van
Der Molen, 2004; Jenkinson, Baker, Edelstyn et Ellis, 2008) et une diminution
du rythme cardiaque (Crone et al, 2004). Des hypothèses
complémentaires montreraient que les marqueurs somatiques sont le signe
d'un conflit interne entre deux décisions plus ou moins conscientes (De
Neys et al, 2010) ou encore qu'ils résultent d'un défaut
d'inhibition d'une réponse stéréotypée, alors
même que le cortex cingulaire antérieur serait activé. Or
ce dernier serait impliquédans la reconnaissance d'un conflit lors d'un
raisonnement, ce qui entraîne la sensation de ne pas avoir donnéla
bonne réponse, sans toutefois pouvoir en proposer une autre mieux
adaptée (De Neys, Vartanian et Goel, 2008).
Il faut pourtant relativiser ces conclusions
générales, en pointant que tous les individus ne sont pas
égaux dans leur capacitéà ressentir leur intuition et
à suivre la bonne décision. Crone et al (2004) observent une
réaction plus intense du système nerveux autonome chez les bons
décideurs, contrairement à Jenkinson et al (2008) qui n'observent
pas de différence significative entre les bons et les mauvais
décideurs. Une étude phénoménologique de
l'intuition montre que le processus d'intuition se traduirait par un corpus de
gestes mentaux et physiques préexistants à la venue de
l'intuition (Petitmangin, 2002), certaines personnes seraient alors plus
enclines à provoquer ces gestes et cette position mentale utiles
à l'intuition et à la prise de décision intuitive.
L'expérience menée par Katkins, Wiens et ·Ohman
(2001) appuie l'hypothèse selon laquelle les bons décideurs
auraient tendance à être plus sensibles à leurs
réactions physiologiques/viscérales, comparéaux mauvais
décideurs. Dans cette étude, les personnes capables de ressentir
leur rythme cardiaque étaient les plus aptes à anticiper un choc
électrique lors d'une tâche de prédiction. Bien entendu,
ces deux variables sont seulement corrélées et en aucun cas
causales. Il pourrait donc exister une autre variable contribuant à la
relation de ces deux évènements (humeur, condition physique,
anxiété..).
3.4 Continuitéde l'intuition dans un
environnement virtuel
Il est commun, presque trivial, de souligner la capacitéde
tout individu sain à passer d'une réaliténaturelle
àune réalitévirtuelle. C'est ce que nous
faisons plusieurs dizaines de fois par jour avec nos smartphones, nos commu-
nications en ligne, nos ordinateurs. En science cognitive,
psychiatrie, et réalitévirtuelle, le concept de présence
est utilisépour décrire cette capacitécognitive
étonnante, de maintenir un sens du self et un sens de la
réalitélors de
ce passage. Dans cette étude, nous investiguons les
processus cognitifs et physiologiques impliqués dans la
capacitéde créer cette continuitéentre des environnements
virtuels et naturels et ainsi maintenir une forme de
réalitéfluide
(mélangée) (mixed reality). Cette
dernière correspond à un continuum entre l'environnement
réel et virtuel. Un environnement virtuel est un environnement dans
lequel le participant est totalement immergéet fait l'expérience
d'un monde artificielle, qui peut ou non, respecter les lois physiques de notre
monde, il pourrait s'apparenter au monde du rêve, à la fiction
(Milgram et al, 1994). Au contraire, l'environnement réel est
défini par les lois physiques stables et immuables qui le gouvernent.
La réalitévirtuelle date des années
1960's, pendant lesquelles Morton Heilig créa le premier cinéma
immersif en 1962. Le »Sensorama» était le premier
cinéma individuel projetant cinq courts métrages en exploitant
les différents sens (souffle, vibrations, 3-D). En 1968 est
créée le premier casque de réalitévirtuel,
l'Épée de Damoclès, par Ivan Sutherland. Ce casque
était lourd et ne permettant aucun mouvement. Mais il influencera de
nombreux autres inventeurs, dont Jaron Lanier, qui créa en 1990, le
»Dataglove», muni d'un gant, ce casque permettait de
recréer
3.4 Continuitéde l'intuition dans un environnement virtuel
55
le mouvement dans un environnement virtuel. Il fut
utilisépar la NASA et l'armée dans le but d'entraîner ses
hommes et de les mettre dans des situations au plus proche de la
réalité(combats dans un désert, dans une ville,
déplacement dans l'espace etc..). Paradoxalement, cette même
réalitévirtuelle, est utilisée aussi dans le traitement
des stress post-traumatique chez les vétérans.
La réalitévirtuelle se définit comme
»l'ensemble des techniques et systèmes qui procurent à
l'Homme le sentiment de péenéetrer dans des univers
synthéetiques créeées sur ordinateur; avec la
possibilitée d'effectuer en temps réeel un certain nombre
d'actions déenies par un ou plusieurs programmes informatiques, à
l'aide de techniques qui offrent la possibilitée d'éeprouver
physiquement un certain nombre de sensations (visuelles, auditives, haptiques)
et de pouvoir opéerer dans ce monde par des moyens d'actions
»naturels» comme les mouvement du corps et la voix.»
(Segura, 2012, p.1).
La réalitévirtuelle s'appuie donc sur un double
concept avec d'un côtél'interaction en temps réel avec des
objets virtuels et de l'autre, un sentiment d'immersion qui dépend le
plus souvent des outils et techniques utilisés. L'interac-tion en temps
réel englobe toutes les opérations effectuées sur les
objets virtuels ainsi que sur leurs transformations. Le sentiment d'immersion
dépend essentiellement des outils de réalitévirtuelle et
de leur capacitéà retranscrire l'environnement en augmentant le
nombre de modalités sensorielles impliquées. De nombreuses
sociétés se sont crées dans la Silicon Valley afin de
maximiser le degréde présence au sein d'un environnement virtuel
(exemple de Fake Space Labs dont le but est de faciliter la perception
intuitive humaine face à des données et comportements
générés par un ordinateur).
Le terme de réalitévirtuelle participe aussi au
concept de téléprésence, développépar Scott
Fisher à la NASA, qui permet à un opérateur humain munis
de gants, d'un visiocasque et d'une télécommande permettant de
donner des ordres de déplacements et gestes au robot
situéà distance dans un environnement hostile ou inaccessible
(drones utilisés par l'armée, mais aussi dispositifs permettant
d'explorer les fonds marins). Ce même robot, peut en retour, envoyer des
informations à l'opérateur sur la nature de l'environnement et
sur les conséquences des actions effectuées. (Segura, 2012). La
réalitévirtuelle participe aussi au concept de
télévirtualitéqui permet à plusieurs personnes de
partager une même expérience dans des mondes virtuels, et
permettre de la même façon une communication entre les personnes
et les objets virtuels. La télévirtualitéest
utilisée dans les jeux vidéos mais aussi dans le monde
professionnel, »Skype» pourrait être une forme
simplifiée de télévirtualité. Enfin, la
réalitévirtuelle comprend aussi la
réalitéaugmentée qui »propose de méelanger
des images et graphiques de synthèse en surimposition du monde
réeel par le biais d'interfaces déediéees de type
visières ou surface semi-transparente» (Ibid, p.9).Ses
applications les plus utiles pourraient concerner la médecine avec la
visualisation en direct des organes d'un patient grâce aux images
provenant d'un appareil d'examen tomographique (scanner X ou IRM).
Le terme de réalitévirtuel se
réfère généralement à un des trois types de
présentations virtuelles : (i) un environ-
nement présentésur un écran plat tel que
les jeux vidéos sur ordinateur, les films... (ii) un environnement
présentédans un CAVE (Cave Automatic Virtual Environment), qui
est un ensemble de 3 à 6 écrans formant un cube d'en-
viron 9m2 et oùsont projetés en haute
résolution un environnement préalablement
modélisésur ordinateur, et dans lequel l'utilisateur est en total
immersion et peut, dans certains cas, interagir grâce à des
lunettes et des capteurs de mouvement. (iii) L'environnement peut être
présentédans un casque de réalitévirtuel (Head
Mounted display), qui suit les mouvements de l'individu et qui adapte
l'environnement 360° en temps réel (Christophe et Sorenzo,
56 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente
2015). Ces systèmes créent tous l'illusion de
percevoir des objets dans un espace 3-D, et permettent d'interagir avec (Burdea
et Coffit, 2003). Les possibilités presque illimitées de
création, la possibilitéde contrôler strictement les
stimuli et l'environnement, et la facilitéà mesurer les
réactions de l'individu comparéà l'environnement naturel,
en font un outil riche d'application dans de nombreux domaines comme
l'éducation, la médecine, la psychothérapie, et la
recherche. Même si la personne sait que l'environnement n'est pas
naturel, mais artificiel, les perceptions des objets virtuels entraînent
des manifestations émotionnelles (Diemer et al, 2015). L'individu a
l'impression »d'être là» (Lombard et Ditton, 1997), de
se sentir »présent» dans ce nouvel environnement et d'y
réagir comme il le ferait dans une situation naturelle. Par
conséquent, les automatismes, les processus émotionnels et
cognitifs utilisés dans un environnement naturel aux lois physiques
reconnues (temps, gravité, espace, danger), se transmettent en changeant
d'environnement. Les modèles structuraux qui permettent de comprendre
cette continuité, cette sensation de présence, le font à
travers l'analyse des processus émotionnels et cognitifs (Sheridan,
1999; Schuemie et al, 2001). Le modèle le plus récent
suggère que la sensation d'être dans un environnement virtuel est
associée avec la »précision des signaux intéroceptifs
prédictifs» (Seth, 2012, p.12). Par conséquent, les stimuli
interoceptifs sont continuellement interprétés et prédis
en fonction du différentiel entre les informations bottom-up
(perceptions) et les prédictions et anticipations top-down. Ce
différentiel est appelé»erreur de prédiction»
dans les modèles bayésiens appliqués aux sciences
cognitives et permet grâce à un ensemble de boucles
rétro-actives d'adapter constamment le comportement à la
situation présente. La perception intéroceptive comprenant la
sensation des viscères mais aussi les sensations liées à
la température, au rythme cardiaque, à la transpiration,
joueraient un rôle dans la sensation d'être là, d'être
soi dans un environnement virtuel. La perception intéroceptive est
indispensable dans les prises de décisions intuitives (Bechara et al,
1997; Crone et al, 2004; Damasio, 1995; Tomb et al, 2002), ainsi que dans la
sensation de continuum entre les différents environnements, c'est
pourquoi nous supposons que les processus cognitifs impliqués dans
l'intuition sont aussi ceux impliqués dans la sensation de
continuitédu self entre naturel et virtuel.
4
Problématique et hypothèses
4.1 Problématique
Dans cette première partie, nous avons
présentél'intuition sous les angles philosophiques,
psychologiques et neuroscientifiques. Une même définition de
l'intuition fait lien entre toutes ces discipline, celle de savoir que l'on
sait sans savoir comment. Nous avons la connaissance face à un
problème mais nous ne connaissons pas les mécanismes, les
étapes qui nous ont permis d'acquérir ce savoir, au contraire de
l'insight. De plus, l'intuition et l'insight sont associés à une
émotion intense et dépendent de notre expérience
subjective. Pour les neurosciences, l'intuition serait donc un processus
cognitivo-émotionnel de haut niveau qui impliquerait à la fois
les structures conscientes et langagières, et des structures
impliquées dans l'apprentissage implicite, l'attention non-consciente et
les émotions. Par conséquent, l'intuition se situerait à
la jonction du conscient et du non-conscient, et notre hypothèse serait
qu'elle permettrait face à une problématique, de créer des
liens entre des informations non-conscientes de l'environnement et des
informations de notre expérience subjective.
Une problématique qui se présente à nous
(qu'elle soit existentielle, mathématique, sociale, ou encore
instinctive), créerait une tension psychique qui nécessiterait de
résoudre le problème afin de revenir à une position
homéostasique stable. Cette tension entraînerait alors une
pré-activation des représentations mnésiques en lien avec
la problématique, ce qui faciliterait la recherche dans l'environnement
d'informations liées plus ou moins fortement à ces
représentations internes. Lorsqu'il existerait une relation de
similaritéentre les représentations internes
pré-activées par la problématique, et des informations
perçues consciemment ou non dans l'environnement externe, alors
l'intuition pourrait émerger. Selon son degréd'activation
(émotions plus ou moins intense), une prise de conscience (insight) de
la similaritépourrait avoir lieu ou non. Afin d'investiguer cette
problématique, nous allons tester plusieurs hypothèses dans la
suite de ce travail.
4.2 Hypothèses
Nous avons utiliséun environnement naturel contenant des
amorces visuelles et olfactives associées à un caféet un
environnement virtuel dans lequel des cafés se trouvent parmi d'autres
commerce, dans lequel le participant
devait utiliser son intuition afin de prendre une
décision verbale consciente (Giannopulu et al, 2008). D'après les
études précédemment citées, il se pourrait que les
amorces aient pu activer des représentations non-conscientes qui
58 4 Problématique et hypothèses
faciliteraient la prise de décision verbale
(consciente). La prise en charge non-consciente des amorces modifierait
l'état physiologique (activitéélectrodermale et
température) des participants (Bechara et al, 1999; Crone et al, 2004).
Dans ce contexte, la prise en charge non consciente des informations ferait
émerger l'intuition verbalement. De plus, les participants ayant eu un
insight pourraient avoir une activitéélectrodermale et thermale
plus importante que ceux n'ayant pas eu d'insight.
L'hypothèse générale de cette recherche,
est que les indices visuels et olfactifs de l'environnement naturel
préactiverait de manière non-consciente des
représentations internes qui feraient émerger l'intuition, qui
s'expri-merait dans la prise de décision verbale.
Dans le but d'étayer cette hypothèse, plusieurs
hypothèses secondaires furent énoncer :
1 Les individus amorcés auraient des variations de leur
activitéphysiologique signe de la préactivation non-consciente
(température et activitéélectrodermale) plus importantes
que les individus du groupe non-amorcé.
2 Les individus du groupe amorcéayant eu un insight de
la solution, auraient des variations de leur
activitéphysiologique plus importante que les individus sans
insight.
3 Les individus amorcés présentant des scores
élevés au test d'intuition énuméreraient plus de
lieux cibles que les individus présentant des scores faibles.
4 Les individus immergés (participants amorcés)
dans un environnement naturel présentant des amorces visuelles et
olfactives auraient un nombre de décisions intuitives correctes
(dénommer le café) plus élevées que les
participants non-amorcés (absence d'amorces visuelles et olfactives).
5 Il existerait une corrélation positive entre la prise
de décision et les activités physiologiques effectuées :
l'activitéphysiologique est d'autant plus élevée que la
prise de décision est correcte.
Troisième partie
Partie Expérimentale
5
Méthodologie
5.1 Participants
5.1.1 Présentation
La population rencontrée pour cette recherche se
compose de 23 étudiants volontaires qui habitaient Paris et la
région parisienne, tous étudiants en psychologie et tiréau
hasard parmi une population d'étudiants. 12 étudiants (4 filles
et 8 garçons) d'âge moyen 20 ans (écart-type=2.59) furent
dans le groupe amorcéet 11 étudiants (6 filles
et 5 garçons) d'âge moyen 20 ans
(écart-type=1.14) furent dans le groupe
non-amorcé(contrôle). L'étude a
étéapprouvée par le
comitéd'éthique locale. L'étude est conforme à la
convention d'Helsinki.
5.1.2 Critères d'inclusion et d'exclusion
-- Hommes ou femmes entre 17 et 30 ans, quel que soit leur
milieu socio-professionnel habitant ou ayant habités à Paris ou
la région parisienne.
-- Acceptant de participer à la recherche après
consentement libre et éclairé.
-- Présentant les aptitudes requises pour
l'expérience : absence de handicap visuel, de troubles vestibulaires,
cardiaques ou des troubles neurologiques de perception spatiale ou de
l'orientation maîtrisant le français. -- Vision normale ou
corrigée-normale
5.2 Matériel
5.2.1 Casque de réalitévirtuelle
Un casque de réalitévirtuel HOMIDO compatible
pour Iphone a étéutilisépour afficher l'environnement. Le
casque est muni de deux lentilles faites sur mesure dont la FOV est de
100° et permettant de corriger la myopie et l'hypermétropie. Nous
avons utiliséun Iphone 4S qui possède un écran panoramique
Multi-Touch de 3,5 pouces, ainsi qu'une résolution de 960 x 640 pixels
à 326 ppp. L'Iphone était muni de l'application HOMIDO VR Player
permettant de visionner la vidéo diffusant l'environnement virtuel.
62 5 Méthodologie
5.2.2 Environnement virtuel
L'environnement virtuel est constituéd'une
traversée dans un environnement urbain. Cet environnement
représentait une partie du 1er arrondissement de Paris entre Le Louvre
et l'Opéra: la base »Louvre-Rivoli» (Gian-nopulu et al, 2008).
Le trajet a démarréà la place des Pyramides, pour
continuer dans la rue des Pyramides et prendre à droite à
l'intersection de la rue St Honoré, pour suivre la rue de Rohan en
direction du Square du Palais Royale, puis encore à droite sur la Rue de
Rivoli et continuer tout droit jusqu'àla place des Pyramides. Dans cet
environnement, il y a un nombre équivalent de commerces : cafés,
boutiques, places.
5.2.3 Bracelet Q sensor
Les réactions physiologiques
(activitéélectrodermale et température) des participants
ont étéenregistrées grâce au bracelet Q sensor. Le
bracelet Q Sensor enregistre l'activitéélectrodermale et la
température à l'aide de deux électrodes en contact avec la
peau, qui réceptionne le courant électrique de la peau et
fournissent une mesure en microSiemens. Nous avons utiliséles logiciels
Q air, Q live, Excel, SPSS et R afin d'analyser les données
enregistrées grâce aux différents appareils de mesure.
5.2.4 Le test d'intuition (Annexe 1)
Dans le but d'évaluer la capacitéintuitive de
chaque participant, nous nous sommes inspirés du seul test d'intui-tion
connu à ce jour, qui est le Remote Associates Test (RAT),
créépar Mednick en 1969. Dans le test RAT, trois mots sont
proposés, et le participant doit donner un quatrième mot
reliéaux trois précédents. Exemple : DINER, MIDI, RASAGE
ces trois mots peuvent tous être précédés du mot :
APRÈS. Le test que nous avons proposéaux participants se
composait de 50 groupes de mots, dont 25 cohérents (avec un mot
sémantique) et 25 non-cohérents (sans aucun lien
sémantique entre les mots).
5.2.5 Le questionnaire (Annexe 2)
Un questionnaire composéde huit questions fut
utilisépour recueillir les impressions des participants à la fin
de l'expérimentation.
5.3 La procédure
L'expérience s'est déroulée dans une
salle familière aux étudiants, deux expérimentateur y
étaient présents pendant l'expérimentation.
L'expérimentation inclus 3 phases : Immersion dans un environnement
naturel avec ou sans amorce, une phase de contrôle et test, et enfin une
immersion dans un environnement virtuel avec une condition familiarisation et
expérimentation (Eskinazi et Giannopulu, in press).
1. Immersion dans un environnement naturel avec ou sans amorce
Pour les participants amorcés, l'environnement
était composéde cinq affiches rappelant des terrasses de
cafés parisiens disposées dans les couloirs jouxtant la salle
d'expérimentation. Le participant devait attendre au
5.4 Considérations éthiques et
déontologiques 63
rez-de-chaussée que l'expérimentateur vienne le
chercher. Par conséquent, l'expérimentateur faisait en sorte de
passer devant ces affiches, en gardant une attitude neutre, dans le but que le
participant ne se doute de rien. Dans la salle d'expérimentation, une
table ronde était placée avec un thermos et des verres en
plastique contenant du café. Les expérimentateurs se servaient
systématiquement deux fois du caféen début et milieu
d'expérience. A l'intérieur de cette scène, les
participants du groupe expérimental étaient invités
à passer la condition contrôle ainsi que le test.
L'environnement est resténeutre pour le groupe
non-amorcé.
2. Condition repos et test d'intuition
Nous avons enregistréchez tous les participants leur
fréquence cardiaque au repos ainsi que leur
activitéélectrodermale de base pendant une minute
silencieuse.
A la suite de ce test, les participants étaient
invités à réaliser un test d'intuition. Un des
expérimentateur disait la consigne :
»Je vais vous lire des groupes de trois mots chacun.
Dans certains il existe un lien, dans d'autres pas. Si vous trouvez ce lien,
vous me le dites. Si vous ne trouvez pas ce lien mais que vous sentez, que vous
avez l'impression que ce lien existe, vous me dites »oui, ce lien
existe», sinon »non». Soyez rapide et précis(e). Est-ce
que tu as compris ?»
Tous les participants ont gardéle bracelet Q sensor
pendant toute la durée de l'expérimentation.
3. Immersion dans un environnement virtuel
Après le test, chaque participant était
immergépendant un tour de familiarisation, dans l'environnement virtuel
avec comme la consigne suivante : Vous allez être immergédans un
environnement virtuel qui représente une partie du 1er arrondissement de
Paris. Vous allez voir que dans cet environnement il y a
plusieurs endroits, lieux, magasins, boutiques et commerces.
Après ce premier tour, nous stoppions la vidéo et leur
demandions ce qu'ils avaient vu. Puis nous leur donnions la consigne suivante :
Parmi les endroits, magasins commerces que vous avez vu, il y en a certains que
nous avions sélectionnés. Vous devez maintenant utiliser votre
intuition pour nous dire quels sont les endroits, magasins, commerces que nous
avions sélectionnés. Chaque fois que vous pensez avoir
trouvécet endroit, lieu, commerce, vous devez le déclarer
à haute voix (nommer à haute voix). Vous ne devez pas donner le
nom publicitaire de l'endroit mais la qualification du lieu. Est-ce que vous
avez compris? Explique nous ce que vous avez compris. Nous nous assurions que
le participant avait bien compris la consigne avant de démarrer la
vidéo. La vidéo était composée de quatre même
tours séparés chacun par un écran gris de 30 secondes,
réalisée grâce à Final Cut Pro X.
A la fin, tous les étudiants furent interrogés
sur leur perception de mouvement de soi dans l'environnement virtuel, ainsi que
sur leur ressentis et stratégies cognitives grâce au
questionnaire.
Pendant cette recherche, nous avons
questionnéles différentes étapes de notre démarche
expérimental afin de les mettre à la lumière des
règles éthiques et déontologiques propre à notre
profession, enseignées pendant ces cinq
5.4 Considérations éthiques et
déontologiques
64 5 Méthodologie
années d'études et de réflexion. Selon le
Code de Déontologie des Psychologues (établi en mars 1996, puis
réviséen février 2012), nous avons pris soin durant cette
recherche de respecter les points suivants :
-- Principe 1 : Respect des droits de la personne
(février 2012).
~ Le psychologue r'efère son exercice [...] sur le
respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur
dignité, de leur libertéet de leur protection. Il s'attache
à respecter l'autonomie d'autrui et en particulier ses
possibilités d'information, sa libertéde jugement et de
décision. [...]. Il n'intervient qu'avec le consentement libre et
éclairédes personnes concernées. (p.5). ? ?63
Egalement, selon l'article 9 (Chapitre II) (p.8) : Avant toute
intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et
éclairéde ceux qui le consultent ou qui participent à une
évaluation, une recherche ou une expertise. Il a donc l'obligation de
les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des
modalités et des limites de son intervention, et des éventuels
destinataires de ses conclusions. '
Dans le but de respecter ce droit, nous avons
expliquéles enjeux et les objectifs de cette recherche, de la
façon
la plus claire et explicite possible. Nous avons bien
préciséqu'il était possible de se retirer de la recherche
àtout moment, et cela sans aucune conséquence, sans
jugement. Il n'y eu aucun refus de la part des participants.
-- Principe 2 : Les conditions de l'exercice de la profession
(février 2012)
Selon l'article 7 du chapitre II (février 2012), Les
obligations concernant le respect du secret professionnel
s'imposent quel que soit le cadre d'exercice. (p.7). L'article
26 (Chapitre III, p.9) postule que Lorsque ces données sont
utilisée à des fins d'enseignement, de recherche, de publication
ou de communication, elles sont impérativement traitées dans le
respect absolu de l'anonymat. ' Afin de respecter l'anonymat des participants,
nous avons enregistréles données recueillies dans notre base de
données de façon anonyme, de telle façon qu'il soit
impossible de reconnaître un participant. Et nous leur avons bien
expliquéque les résultats publiés seront anonymes et que
le retour de ces résultats ne sera pas individuel.
Selon l'article 16 de ce chapitre, Le psychologue
présente ses conclusions de façon claire et
compréhensible
aux intéressés (p.8). Nous avons
récupéréles adresses mails de l'ensemble des participants
curieux de connaître les résultats non nominatif de la
recherche.
L'article 21 postule que Le psychologue doit pouvoir
disposer sur le lieu de son exercice professionnel d'une installation
convenable, de locaux adéquats pour préserver la
confidentialité, de moyens techniques suffisants en rapport avec la
nature de ses actes professionnels et des personnes qui le consultent.
(p.9). Nous avions à notre disposition une salle correctement
équipée pour le confort des participants, ainsi que le
matériel nécessaire en bon état de marche pour
réaliser la recherche dans des conditions optimales.
-- Titre III : La recherche en psychologie
L'article 44 implique que La recherche en psychologie
implique le plus souvent la participation de sujets humains dont il faut
respecter la libertéet l'autonomie, et éclairer le consentement.
Le chercheur protège les données recueillies et n'oublie pas que
ses conclusions comportent le risque d'être détournées de
leur
but.' ainsi que d'après l'article 46 Les
personnes doivent également savoir qu'elles gardent leur
libertéde participer ou non et peuvent en faire usage à tout
moment sans que cela puisse avoir sur elles quelque
5.4 Considérations éthiques et
déontologiques 65
conséquence que ce soit. Les participants doivent
exprimer leur accord explicite, autant que possible sous forme
écrite.
Comme nous l'avons mentionnéci-dessus, nous avons
clairement énoncéles objectifs de la recherche ainsi que la
possibilitéd'arrêter l'expérience à tout moment.
Toutefois, nous ne pouvions pas expliciter l'ensemble de la
recherche sous peine de fausser les résultats. Selon l'article 48,
Si, pour des motifs de validitéscientifique et de stricte
nécessitéméthodologique, la personne ne peut être
entièrement informée des objectifs de la recherche, il est admis
que son information préalable soit incomplète ou comporte des
éléments volontairement erronés. Cette exception à
la règle du consentement éclairédoit être
strictement réservée aux situations dans lesquelles une
information complète risquerait de fausser les résultats et de ce
fait de remettre en cause la recherche. Les informations cachées ou
erronées ne doivent jamais porter sur des aspects qui seraient
susceptibles d'influencer l'acceptation à participer. Au terme de la
recherche, une information complète devra être fournie à la
personne qui pourra alors décider
de se retirer de la recherche et exiger que les
données la concernant soient détruites. , nous avons
informéchaque participant de la teneur exacte de la recherche
et de la présence, dans le cas du groupe expérimental,
d'un phénomène d'amorçage qui auraient pu
aider, influencer, suggérer leur prise de décision. Ils eurent le
choix de nous autoriser à utiliser les données comportementales
et physiologiques recueillies ou de les détruire.
Des tests de normalitétels que le QQ-plot et le test de
Shapiro-Wilk (Royston, 1995) furent utilisées afin de vérifier la
distribution de notre population. Nous avons utiliséles tests
non-paramétriques de Mann-Whitney
6
Analyse des résultats
6.1 Méthode statistique
Deux types de données sont considérés
pour la présente analyse:
-- (i) Les données physiologiques.
L'activitéélectrodermale et la température furent
recueillies grâce au logiciel Q air fournis avec l'appareil de mesure Q
sensor, exportées et traitées grâce au tableur Excel 2010
et analysées par la suite grâce au logiciel statistique libre de
droit R (version 3.2.3) et au logiciel SPSS (IBM Corp, 2014). Les
données physiologiques furent mesurées toutes deux à une
fréquence de 1000 Hz (soit toutes les 125ms). Pour l'analyse, seules les
mesures effectuées lors des conditions contrôles (60s),
familiarisation (180s) et immersion (540s) ont
ététraitées. Considérant le nombre limitéde
notre population (n=23), des tests non-paramétriques ont
étéutilisés.
La fréquence et l'amplitude de la réponse
électrodermale sont de bons indicateurs de la variation de l'état
émotionnel (Brown, 2012; Goddard, 1982). Dans le but de tester
l'hypothèse secondaire (1) selon laquelle les individus amorcés
auraient des variations de leurs activités physiologiques plus
importantes que les individus non-amorcés, nous avons choisi de
comptabiliser le nombre de variations positives ou négatives atypiques
de l'activitéélectrodermale par rapport à la moyenne.
Étant donnéque la ligne de base est différente pour chaque
participant (figure 6.3 et 6.4), et que cette ligne basale varie au cours du
temps; nous avons défini la moyenne et l'écart type de
l'activitéélectrodermale par fenêtre de 30 secondes sur
l'ensemble du tracé,
et avons comptabiliséle nombre de variations
supérieures ou inférieures à deux écarts types par
rapport àla moyenne. Nous avons somméle nombre de
variations de l'activitéélectrodermale pour chacune des trois
conditions.
Pour les mesures de la température, nous avons
redéfini la moyenne et l'écart type toutes les 60 secondes, et
avons comptabiliséle nombre de variations atypiques supérieure ou
inférieure à deux écarts types. Étant
donnéque les trois conditions n'avaient pas la même durée,
nous avons représentéet analyséla fréquence (en
seconde) du nombre de variations atypiques.
68 6 Analyse des résultats
et Wilcoxon pour comparer les médianes, et le nombre de
variations atypiques de l'activitéélectrodermale et de la
température entre les groupes non-amorcé(n=11) et
amorcé(n=12), en fonction des différentes conditions. Une
probabilitép 0.05 fut considérésignificative (SPSS, R).
-- (ii) les données comportementales sont les
données recueillies lors du test d'intuition, lors de la phase
d'immer-sion, à la fin de l'immersion et enfin, pendant le
questionnaire. Par conséquent, le résultat au test d'intuition,
les lieux déclarés verbalement pendant l'immersion, et le
ressenti subjectif des participants furent analysés. L'hypothèse
secondaire (2) suppose que les individus du groupe amorcéavec insight
auraient des variations
de leurs activités physiologiques plus importantes que les
individus amorcés sans insight, nous avons utiliséun test de
Mann-Whitney sur les variables électrodermales et thermales afin de
tester cette hypothèse.
Pour tester l'hypothèse secondaire (3) selon laquelle
les individus amorcés auraient un nombre de décisions intuitives
correctes plus élevées que les participants non-amorcés,
nous avons utiliséun test de Mann-Whitney entre les deux groupes, afin
de comparer le nombre de »cafés», de lieux totaux, et la
fréquence (cafés/lieux totaux).
L'hypothèse secondaire (4) selon laquelle les individus
amorcés présentant des scores élevés au test
d'intuition énuméreraient plus de cafés que les individus
présentant des scores faibles, fut testée à l'aide d'un
test de Mann-Whitney.
Dans le but de tester l'hypothèse secondaire (5) selon
laquelle il existerait une corrélation positive entre la prise de
décision et les activités physiologiques effectuées, une
matrice de corrélation de Spearman fut appliquée pour tester les
relations entre les variables quantitatives physiologiques (nombre de
variations et médianes des températures et de
l'activitéélectrodermale) en condition repos et immersion
virtuelle, les variables quantitatives continues comportementales et
subjectives (nombre de lieux cafénommé), nombre de lieux total
nommé(mots total), score au test d'intuition (TestScore), et un test
non-paramétrique de Mann-Whitney pour comparer les variables
quantitatives physiologiques et les variables qualitatives (insight).
6.2 Analyse
6.2.1 Données physiologiques Les médianes
Activitéélectrodermale
La figure 6.1 représente les médianes de
l'activitéélectrodermale selon les conditions »repos»,
»familiarisation» et »immersion», entre les participants
amorcés et non-amorcés.
Dans les conditions »repos» et
»familiarisation», les médianes de
l'activitéélectrodermale n'étaient pas significativement
différentes entre les groupes amorcéet non-amorcé, pour le
premier groupe (U=64, p>0,05 bilatéral, n=23), et pour le second
groupe (U=61, p>0,05 bilatéral, n=23).
6.2 Analyse 69
Dans la condition immersion, la différence observée
n'était pas significative (U=78, p>0,05 bilatéral, n=23; ).
Un test de rang de Wilcoxon pour échantillon
liéfut utiliséet l'activitéélectrodermale augmente
significativement entre la condition repos et familiarisation pour le groupe
amorcé(T=73,p<0,05 bilatéral, n=12), ainsi que pour le groupe
non-amorcé(T=59, p<0,05 bilatéral, n=11).
Figure 6.1. Comparaisons des médianes de
l'activitéélectrodermale entre les sujets du groupe
non-amorcéet ceux du groupe amorcé.
Température
La figure 6.2 représente les médianes des
températures selon les conditions »repos»,
»familiarisation» et »immersion», entre les participants
amorcés et non-amorcés.
En condition »repos», la différence entre les
médianes des températures des groupes amorcéet
non-amorcéétait significative (Mcontrole = 24, 4°C
et Mamorce = 34, 3°C avec U=132, p<0,0001 bilatéral,
n=23). La médiane des températures du groupe
amorcéétait supérieure à celle du groupe
non-amorcédans la condition »repos».
En condition »familiarisation», la différence
entre les médianes des températures des groupes
non-amorcéet amorcéétait significative (Mcontrole
= 32, 4°C et Mamorce = 34, 5°C avec U=112; p<0,01
bilatéral, n=23). La médiane des températures du groupe
amorcéétait supérieure à celle du groupe
non-amorcédans la condition »familiarisation».
70 6 Analyse des résultats
De la même façon, une différence
significative fut observée entre les groupes non-amorcéet
amorcé, en condition »immersion» (Mcontrole =
33,3°C et Mamorce = 34, 5°C avec U=102, p<0,01
bilatéral, n=23). La médiane des températures du groupe
amorcéétait supérieure à celle du groupe
non-amorcédans la condition »immersion».
Sur l'ensemble des conditions, les températures du
groupe amorcéne varièrent pas au cours du temps
(bilatéral; n=12; W=49; p>0,05), au contraire de celles du groupe
non-amorcéqui augmentèrent au cours du temps de façon
significative (Mrepos = 24,4°C ;Mfamiliarisation =
32,4°C; Mimmersion = 33,3°C avec T=66; p<0,005
bilatéral; n=11).
Figure 6.2. Comparaisons des médianes des
températures entre les sujets du groupe non-amorcéet ceux du
groupe amorcé.
Les variations atypiques
La représentation graphique de
l'activitéélectrodermale en fonction du temps des participants
montre qu'il existe de nombreuses variations de l'activitéphysiologique,
représentées par les pics d'activité(figure 6.3 et 6.4),
c'est à dire par une augmentation soudaine et ponctuelle de
l'intensitéélectrodermale.
6.2 Analyse 71
Figure 6.3.
Activitéélectrodermale des participants du groupe
non-amorcéenregistrée à une fréquence de 1000Hz,
soit toutes les 125ms.
Dans le but de poursuivre notre investigation de
l'hypothèse secondaire selon laquelle les participants amorcés
auraient des variations de leurs activités physiologiques plus
élevées que ceux des participants non-amorcés, nous
Figure 6.4.
Activitéélectrodermale des participants du groupe
amorcé.
72 6 Analyse des résultats
souhaitons savoir s'il existe une différence de la
fréquence de variations (FV) entre les participants des deux groupes,
pour l'activitéélectrodermale et la
température. Selon la règle établie (Iglewicz et Hoaglin,
1993), pour l'activitéélectrodermale et la température,
toute variation supérieure ou inférieure à deux
écarts-types à la moyenne sera considérée comme
atypique.
Activitéélectrodermale
Suivant la configuration (figure 6.5), les participants du
groupe amorcéavaient en moyenne un nombre de variations atypiques par
seconde de leur activitéélectrodermale, supérieur à
celui du groupe non-amorcésur l'ensemble de l'expérience
(fnon-amorc'e
= 0, 25s-' et famorce = 0,32 avec
U=103, p<0,05 bilatéral, n=23).
Le nombre moyen de variations de
l'activitéélectrodermale entre les participants du groupe
amorcéet ceux du groupe non-amorcéétait significativement
différent lors de la condition »repos». Les participants du
groupe amorcéavaient un nombre de variations atypiques supérieur
à ceux du groupe
non-amorcé(fnon-amorc'e
= 0, 17s-' et famorce = 0, 35s-' avec
U=100, p<0,05 bilatéral, n=23).
Lors de la condition »familiarisation», la
différence entre les deux groupes existerait en tendance
(fcontrole = 0, 15s-' et famorce
= 0, 28s-' avec U=97,5, p= 0,051 bilatéral, n=23), le
groupe amorcéaurait alors une fréquence de variations atypiques
plus élevée que celui du groupe non-amorcé. Il n'y avait
pas de différence significative entre les deux groupes pour la condition
»immersion» (U=85, p>0,05 bilatéral, n=23).
Pour les participants du groupe amorcé, il n'y avait
pas de différences significatives de la FV selon les conditions
(frepos = 0, 35s-' ;ffamiliarisation
= 0, 28s-' ; fimmersion = 0, 34s-' avec
T=37, p>0,05 bilatéral, n=12). Pour les participants du groupe
non-amorcé, une différence significative entre les conditions
»familiarisation» et »immersion», fut observée
(ffamiliarisation = 0, 15s-' ; fimmersion
= 0, 28s-' avec T=51, p>0,05 bilatéral, n=11).
6.2 Analyse 73
Figure 6.5. Fréquence du nombre de
variations atypiques de l'activitéélectrodermale
Température
Suivant la configuration (figure 6.6), le nombre moyen de
variations de l'activitéthermale entre les participants amorcés
et ceux non-amorcés était significativement différent lors
de la condition »repos». Les participants du groupe
amorcéavaient un nombre de variations atypiques supérieurs
à ceux du groupe non-amorcé(fnon-amorc'e = 0,
22s-' et famorce = 0,33s-' avec
U=99,5, p<0,05 bilatéral, n=23).
Pour les conditions »familiarisation» et
»immersion», il n'y avait pas de différences significatives
avec respectivement (U=68,5, p>0,05 bilatéral,
n=23)familiarisationet(U = 72,p>0,
05bilat~eral, n = 23)immersion.
74 6 Analyse des résultats
Figure 6.6. Fréquence du nombre de
variations atypiques de la température
6.2.2 Données verbales
Les données verbales émanent (i) des
réponses des participants au test d'intuition et (ii) des prises de
décision intuitive lors de l'immersion virtuelle.
Test d'intuition
Nous avons effectuéun test de Mann-Whitney dans le but de
tester notre hypothèse secondaire selon laquelle les participants du
groupe amorcéavec des scores élevés au test d'intuition
énuméreraient un nombre de cafés plus
élevéque ceux avec des scores peu élevés. Le test
n'était pas significatif (U=16, p>0,05 bilatéral,
n=12).
Prise de décision
Afin de tester notre hypothèse selon laquelle les
participants amorcés auraient un nombre de décisions verbales
correctes plus élevéque les participants non-amorcés, nous
avons comparéà l'aide d'un test de Mann-Whitney, les variables
»cafés», »lieux» et »fréquence»
entre les deux groupes.
Les participants du groupe amorcénommèrent plus de
lieux que les participants du groupe non-amorcé(Lieuxamorce
= 16 avec Q1 = 14 et Q3 = 23;
Lieuxnon-amorc'e = 8 avec Q1 = 6, 5 et
Q3 = 12, 5; avec U=110,5, p<0,005
bilatéral, n=23).
6.2 Analyse 75
2. Plus la corrélation est forte et positive et plus le
point est intense et rouge. Plus la corrélation est forte et
négative et plus le point est intense et bleu.
Réaliségrâce au logiciel R.
Ils identifièrent plus de cafés (décisions
intuitives verbales correctes) que les participants du groupe
non-amorcé(Cafesamorce = 5, 75 avec Q1 = 3,75 et Q3 = 8;
Cafesnon-amorc'e = 2,72 avec Q1 = 1 et Q3 = 4; avec
U=104,5,
p < 0,05 bilatéral, n=23).
Bien que la fréquence des lieux cibles du groupe
amorcéfut supérieure à celle du groupe
non-amorcé(Famorce = 33% avec Q1 = 24 et Q3 = 44;
Fnon-amorc'e = 20% avec Q1 = 6,25 et Q3 = 39,59), la
différence n'était pas significative (U=85,5, p>0,05
bilatéral, n=23).
Figure 6.7. Comparaison entre groupe non-amorcéet groupe
amorcédes médianes du nombre de cafés nommés, du
nombre
de lieux total nommé, et de la fréquence
exprimée en pourcentage (Cafes
Lieux ).
6.2.3 Analyse des corrélations Variables
quantitatives
Les figures 6.8 et 6.9 représentent les
corrélographes des matrices de corrélations de Spearmann
effectuées entre les variables qualitatives et quantitatives, dans le
but de tester l'hypothèse secondaire selon laquelle, il existerait des
corrélations entre les variables physiologiques et la prise de
décision. Des corrélations positives furent observées
entre le nombre de cafés nommés et la fréquence du nombre
de variations atypiques de la température en condition familiarisation
(rho=0,56 et p<0,05), ainsi qu'entre le nombre de lieux nommés et
l'activitéélectrodermale au repos (rho=0,59 et p<0,05), pour
le groupe amorcé. Alors qu'une corrélation positive fut
observée entre le nombre de cafés nommés et le nombre de
lieux nommés dans le groupe non-amorcé(rho=0,73 et p<0,02),
cette relation de dépendance ne fut pas observée dans le groupe
amorcé. Pour les participants du groupe amorcé, des
corrélations positives furent observées entre la fréquence
de variations atypiques de la température et celle de
l'ac-tivitéélectrodermale, sur l'ensemble de l'expérience
(rho=0,6 et p<0,05). Aucune corrélation entre les
différentes
76 6 Analyse des résultats
Figure 6.8. Corrélographe
représentant la matrice de corrélation du groupe amorcé.
2
Figure 6.9. Corrélographe
représentant la matrice de corrélation du groupe
non-amorcé.
mesures physiologiques ne furent observées dans le
groupe non-amorcé. Toutefois, nous observons une corrélation
positive élevée (r=0,78 et p<0,005)dans le groupe
non-amorcéentre le nombre de lieux dénommés et la
fréquence des variations atypique de température.
Variable qualitative Insight
Dans le but de tester notre hypothèse sur un lien
éventuel entre les mesures physiologiques enregistrées et la
capacitéintuitive des participants, nous avons comparéles
participants du groupe amorcéavec insight, des participants du groupe
amorcésans insight, en fonction des médianes de
l'activitéélectrodermale et de la température dans
les trois condition »repos»,
»familiarisation» et »immersion», ainsi que de la
fréquence des variations de l'activitéélectrodermale et de
la température. Un test de Mann-Whitney fut utilisé.
6.2 Analyse 77
Figure 6.10. Comparaison des médianes de
l'activitéélectrodermale en condition repos et familiarisation
entre les participants du groupe amorcéavec insight et ceux sans
insight.
Selon la figure 6.8, les participants amorcés avec
insight auraient une médiane plus élevée que ceux sans
insight, dans les conditions repos et familiarisation. Les tests montrent que
les participants avec insight auraient une médiane de leur
activitéélectrodermale en condition repos et familiarisation
supérieure à ceux sans insight (U=34, p<0,005
bilatéral, n=12), alors que la différence entre les
médianes des températures ne sont pas significatives (U=27,
p>0,05 bilatéral, n=12).
Les participants avec insight sont aussi ceux qui
nommèrent le plus de lieux pendant la condition immersion (U=36,
p<0,005 bilatéral, n=12).
De plus, tous les participants dirent ressentir une sensation
d'immersion lors de notre questionnaire, ce qui soulignerait l'effet de
présence ressenti.
Quatrième partie
Discussion
81
La discussion de nos hypothèses à la
lumière de nos résultats est nécessaire pour comprendre ce
qui s'est possiblement passédans cette expérience et ce qui
pourrait être compris des résultats recueillis. Nous rappelons
dans un premier temps l'ensemble de nos hypothèses et les
résultats associés :
L'hypothèse générale suppose que les
indices visuels et olfactifs de l'environnement naturel préactiveraient
de manière non-consciente des représentations internes qui
feraient émerger l'intuition, qui s'exprimerait dans la prise de
décision verbale. Pour investiguer cette hypothèse
générale, nous avons mesuréd'une part les variables
physiologiques (marqueurs somatiques) pouvant suggérer une influence
non-conscientes des amorces au niveau du système nerveux autonome, et
d'autre part, les données verbales suggérant une influence des
marqueurs somatiques sur une décision verbale consciente.
Les hypothèses nous aidant à résoudre
cette hypothèse générale sont :
1 Les individus amorcés auraient des variations de leurs
activités physiologiques (température et
activitéélectrodermale) plus importantes que les
individus du groupe non-amorcé.
Les résultats montrèrent que les
participants amorcés eurent une activitéélectrodermale
(médiane et fréquence des variations atypiques) statistiquement
plus élevée dans les conditions contrôle et
familiarisation, au contraire des participants non-amorcés. La
médiane des températures fut aussi plus élevées
chez les participants amorcés que les non-amorcés selon les trois
conditions.
2 Les individus du groupe amorcéayant eu un insight de
la solution, auraient des variations de leurs activités physiologiques
différentes des individus sans insight.
Les participants amorcés avec insight eurent leur
médiane de l'activitéélectrodermale statistiquement plus
élevée que les participants amorcés sans insight.
3 Les individus amorcés présentant des scores
élevés au test d'intuition énuméreraient plus de
lieux cibles que les individus présentant des scores faibles.
Les résultats montrèrent qu'il n'existait pas de
différence statistique entre les participants amorcés avec un
score élevéau test d'intuition et les participants amorcés
avec un score faible, pour le nombre de prises de décision intuitives
correctes.
4 Les participants amorcés auraient un nombre de
décisions intuitives correctes (»le café») plus
élevées que les participants non-amorcés. Les
participants amorcés identifièrent plus de
»cafés» que les participants non-
amorcés. Ils semble qu'ils eurent plus de
décisions verbales correctes que les participants
non-amorcés.
5 Il existerait une corrélation positive entre la prise
de décision et les activités physiologiques effectuées :
l'activitéphysiologique est d'autant plus élevée que la
prise de décision est correcte.
Les résultats montrèrent qu'il existerait
une corrélation positive entre le nombre de prises de décision
correctes et les variations atypiques de la température en condition
familiarisation et de l'activitéélectrodermale en condition
repos.
Nous rappelons aussi, que les indices visuels et olfactifs
présentés, étaient discrets sans être subliminales
et avaient comme thématique principale, le »café». Nous
supposions que les participants du groupe amorcé, comprennent de
façon intuitive que les lieux à nommer correspondaient aux quatre
cafés présents dans l'environnement virtuel, au contraire des
participants non-amorcés. Nous rappelons que l'insight est
l'émergence à la conscience du processus non-conscient intuitif
(Lieberman, 2000). C'est le moment, soudain et spontané, oùla
personne, face à un problème,
82
comprend la solution. Par conséquent, nous parlons
d'insight, lorsqu'il y a un accès conscient et verbal de la
représentation, alors que nous parlons plutôt d'intuition, lorsque
la représentation demeure non-consciente, ou préconsciente, et
influence l'individu malgr~e-lui. La personne fait donc un choix conscient
juste sans savoir toutefois
pourquoi ce choix est juste (Damasio, 2000). A la
lumière de ces éléments, nous allons discuter nos
hypothèses àl'aide des résultats recueillis.
7
Amorçage, traces mnésiques et intuition
7.1 Hypothèse générale
Les résultats montrèrent que les participants
amorcés ont nommé, en moyenne, plus de cafés que les
participants du groupe non-amorcé. Les participants amorcés ont
aussi nomméplus de lieux en général. Les matrices de
corrélations montrent que dans le cas du groupe amorcé, le nombre
de cafés nommés et le nombre de lieux total nommés ne
seraient pas dépendants, au contraire du groupe non-amorcé.
D'après les résultats de corrélations,
les participants non-amorcés qui nommèrent le plus de lieux,
nommèrent aussi le plus de cafés. Cette corrélation
positive n'est pas retrouvée dans le groupe amorcé. Cette
différence suggérait une sélection de la part des
participants amorcés, au contraire des participants non-amorcés
qui auraient nommés les cafés sans l'influence de l'effet
d'amorçage. Étant donnéque l'ensemble E1 cafés, est
inclus dans l'ensemble E lieux, une relation de probabilitéexiste entre
ces deux ensembles. C'est à dire qu'en tirant au sort dans l'ensemble E,
j'aurais une chance statistiquement calculable de tomber sur un
élément de l'ensemble E1. Par conséquent, dans le cas d'un
choix non dirigé, plus un individu nommerait de lieux présent
dans l'ensemble E, plus il nommerait aussi de cafés. Ceci pourrait
expliquer la corrélation positive retrouvée chez les participants
non-amorcés et l'absence de corrélations chez les participants
amorcés.
Il existait une cinquantaine de lieux différents
présents dans l'environnement virtuel dont les quatre cafés
sélectionnés, la probabilitéde choisir les cafés en
l'absence d'amorces était donc de 4/50. Toutefois, il faut nuancer ce
propos car certains lieux, parmi la cinquantaine présent dans
l'environnement virtuel, étaient plus à même d'attirer
l'attention que les autres, étant la population d'étudiants
citadins que nous avions choisie. Ainsi les musées, les boutiques, les
restaurants et les cafés font partis des lieux les plus
mentionnés par nos participants, tout groupe confondu, c'est à
dire les lieux oùil serait commun de se rendre en tant que citadin. Il y
avait dans l'environnement une vingtaine de boutiques, un musée, deux
places connues et enfin les quatre cafés sélectionnés.
A' la suite de la consigne, les participants ont dûfaire un
choix parmi ces lieux possibles, or dans les deux groupes, les participants ont
tous consciemment essayéd'inférer »raisonnablement» le
choix à faire. En effet, lors de notre questionnaire, l'ensemble des
participants, nous ont dit s'être basés sur des
éléments visuels tels que les couleurs, la position du lieu ou un
élément visuel marquant, qui aurait pu en faire un lieu
sélectionnépar l'expérimentateur. Que les participants
furent amorcés ou non, ils n'ont pas consciemment mentionnéles
indices présents dans l'environnement naturel. Pourtant, les
résultats montreraient une différence de corrélations
entre les deux groupes pour les ensembles »lieux»
84 7 Amorçage, traces mnésiques et intuition
et »cafés», et seraient en faveur d'un
phénomène d'amorçage dans la prise de décision. Ces
résultats sont compatibles avec une étude parue en 2013 de Qu et
al, montrant que l'amorçage dans un contexte de
réalitévirtuelle pouvait influencer le choix des réponses
des participants.
Une influence non-consciente des indices de l'environnement
naturel sur les prises de décision verbales des participants
amorcés pourraient expliquer cette différence de
corrélations entre les deux groupes et cette augmentation significative
du nombre de prises de décisions verbales.
Nous tenterons d'expliquer ces résultats à la
lumière du connexionnisme (Andler, 1990; Victori, 1995; McCulloch, 1949)
et de l'associationnisme (Hebb, 1949; Hopfield, 1982); mais tout d'abord nous
nous intéresserons aux participants qui ont eu un »insight»
afin de comprendre les processus cognitifs à l'oeuvre derrière
cette prise de conscience et ce que les participants ont pu nous en dire.
Certains des participants ont compris à un certain
moment de l'expérience que la solution au problème se trouvait
dans les cafés. Aucun des participants n'a pu faire le lien entre les
indices présents dans l'environnement (les affiches, la table de bar, le
thermos et les gobelets de café) et le problème posé, mais
58%(7 participants sur 12) d'entre eux ont déclaréavoir
étéattirés par les cafés et ont du eu un
»insight», et parmi eux, deux participants ont clairement su que la
réponse se trouvait dans les cafés. Un des participants a
d'ailleurs seulement nomméles cafés, ce qui montrerait la
décision sélective effectuée sur la base des indices. Il
dit à la fin de l'expérience qu'il savait que la solution
était »café», mais ne pouvait pas l'expliquer.
Nous allons dans les prochaines sections comprendre les liens
existants entre l'amorçage et la prise de décision intuitive
explorée dans cette étude.
7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage
Il existe plusieurs modèles qui permettraient
d'expliquer le phénomène d'amorçage. Le premier que nous
présenterons est héritédu modèle de Collins et
Loftus (1975) et de la psychologie computationnelle, il reste encore
utiliséde nos jours du fait de sa facilitéde compréhension
et se place au niveau des représentations. Le second (Masson, 1995)
rompt totalement avec le premier et est tirédes théories du
connexionnisme qui se placent à un niveau sub-représentationnel
et proposent un modèle plus proche de la neurophysiologie
théorique et des réseaux de neurones que de la psychologie
cognitive. Enfin le troisième développépar Ratcliff et
McKoon (1988) se base sur le concept de familiaritéet fait appel aux
relations entre mémoire à court terme (MCT) et mémoire
à long terme (MLT).
7.2.1 Diffusion de l'activation
Le modèle de propagation de l'activation ou diffusion
de l'activation (spreading activation theory) est particulièrement
utiliséen psychologie cognitive pour expliquer ce
phénomène. Un concept activépar un input interne ou
externe activerait tout un réseau de concepts voisins. Dans notre cas,
le mot »café» pourrait alors activer »sucre»,
»lait», »cappuccino», mais aussi »terrasse»,
»cigarette». Ainsi, après activation d'un premier concept,
tous les autres gravitant autour de ce dernier, seraient
pré-activés (Collins et Loftus, 1975). Ce modèle suppose
donc à la base, que les idées seraient agencées selon un
réseau de noeuds interconnectés et communicants. Contrairement au
modèle
7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage 85
de Quillian (1969), l'ensemble de ces noeuds-concepts ne
seraient pas organisés hiérarchiquement mais plutôt selon
une distance et un poids sémantique.
Ce modèle se base sur plusieurs hypothèses :
| (i)Lorsqu'un concept est stimulé, l'activation irait
diffuser sur l'ensemble du réseau selon un gradient décroissant.
Ainsi, les concepts les plus éloignés du concept
stimuléseraient activés à moindre degréque
86 7 Amorçage, traces mnésiques et intuition
Figure 7.1. Exemple d'un réseau
sémantique réaliséà partir des amorces
utilisées dans l'expérience : tasse de caféet affiches
utilisées pendant l'expérimentation. Il y aurait diffusion de
l'activation à partir des amorces, et il existerait un gradient
d'activation représentée dans l'exemple par l'épaisseur
des lignes. Plus les représentations sont proches des amorces et plus
elles auraient un degréd'activation élevé. Et, plus il y
aurait d'amorces activatrices de la même représentation, plus la
représentation serait activée.
les concepts jouxtant le concept stimulé. Il serait
donc plus facile pour un expérimentateur d'activer »sucre» en
amorçant le mot »café», que »soucoupe» ou
»confiture».
(ii) Selon ce même modèle, plus l'activation
est répétée dans le temps, et selon plusieurs
modalités (sémantique, sensorielle), et plus l'activation
durerait dans le temps. Dans le cas de notre expérience, les
participants étaient amorcés grâce aux affiches de terrasse
de cafés avant l'entrée dans la salle d'expérimentation,
puis l'amorçage continua pendant toute la passation du test d'intuition
et selon une modalitévisuelle (affiches, gobelets) et olfactive (odeur
du café).
(iii) L'activation est une variable quantitative qui
nécessiterait d'atteindre un seuil d'activation afin d'activer un
certain concept cible. Cette quantitéd'énergie serait directement
proportionnelle à la somme des stimuli et à la
diversitédes modalités utilisées. Ainsi comme vu
précédemment, dans le but d'activer la solution au
problème posé(cafés), nous avons utiliséplusieurs
amorces, toutes reliées de façon conceptuelle et perceptive
à la cible afin de maximiser l'énergie d'activation
diffusée.
7.2.2 Mémoire en réseau de neurones
Ce second modèle tiréde l'approche
connexionniste, diffère du précédant, d'un point de vue
conceptuel. En effet, le connexionnisme postule que la mémoire serait
agencée et distribuée en réseaux d'unités (neurone
formel), eux-mêmes organisés en modules (Andler, 1990; pour une
revue de ces modèles voir : Abdi, 1994). Un certain nombre de ces
unités recevraient l'information de l'extérieur (perception) et
d'autres transmettraient l'information jusqu'àcertaines unités de
sortie (motrice). Entre l'entrée (input) et la sortie (output), il
existerait des unités dites cachées, de traitement
intermédiaire. L'activation d'une unitédécoulerait de la
somme pondérée des entrées, et tout comme le neurone, si
l'activation est supérieure à un seuil fixé,
l'unitéenverrait l'information 1 (activation), si le seuil n'est pas
atteint l'unitén'enverrait aucune information (0), et enfin, si le seuil
est atteint et inhibiteur, l'unitéenverrait l'information (-1). Ainsi
chaque unitépourrait activer, inhiber ou rester »dormante» par
rapport aux autres unités. L'ensemble du réseau de neurones se
base aussi sur la modification des poids d'interconnexions entre les
unités, en fonction de l'expérience. La mémoire
correspondrait à un état d'activation antérieure à
l'état actuel. Dans le but d'expliquer le phénomène
d'amorçage, nous nous concentrerons sur le modèle de Masson
(1995). Ce réseau représente les concepts en fonction des poids
de connexions reliant un ensemble d'unités entre elles. Ainsi pour
l'identification d'un mot, il y aurait activation d'un ensemble d'unités
codant chacune pour l'orthographe, la sémantique, la phonologie. Ce
schéma d'activation définit donc le concept, et à chaque
activation de ce patron, le concept serait remémoré. Le patron
d'activation est défini selon des poids de connexions qui suivent la
règle d'apprentissage de Hebb (1949). Selon le postulat de Hebb ou
théorie des assemblées de neurones, deux neurones qui stimulent
au même moment sont des neurones qui se relient ensemble.
Appliquéau modèle connexionniste de la
7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage 87
mémoire, elle définit la loi d'encodage des
différents schémas d'activation. Ainsi, lorsque de nouveaux
stimuli sont présentés, une modification des poids de connexions
entre les unités ainsi qu'une altération des valeurs de chaque
unitéinterviendraient. Au début de l'apprentissage, les
états d'activation des unités sont plus ou moins chaotiques, mais
au fur et à mesure que la présentation se répète
(apprentissage), les poids de connexions augmentent entre les unités qui
ont les même valeurs d'activation, sinon ils diminuent. Ceci se poursuit
jusqu'àce que l'ensemble du système atteigne un point
d'équilibre qui définira le nouveau pattern appris.
Le modèle de Masson (1995) suppose que les concepts
liés sémantiquement ont des schémas d'activation
similaires à travers les unités de traitement du module
sémantique. Pour que des concepts soient liés
sémantiquement, il est nécessaire qu'ils apparaissent
fréquemment ensemble et qu'ils partagent des aspects sémantiques
en fonction du contexte. Une tâche de cafésera plus proche d'une
tâche d'huile que d'une tasse de cafépar exemple, à cause
du contexte dans lequel le concept »tâche de café»
apparaît (pour une revue sur le lien entre mémoire et contexte
voir Rosenfield, 1989). Par conséquent, chaque structure d'apprentissage
dépend de l'individu et de son environnement d'apprentissage. A' partir
de ces éléments, nous supposons que l'amorce activerait un
certain pattern qui sera plus ou moins en harmonie (en rapport) avec le pattern
d'activation de la cible. Plus la similaritéentre les deux patterns
serait élevée et plus le pattern des unités du module
sémantique de la cible pourrait s'activer rapidement.
7.2.3 Théorie épisodique
La théorie de l'indice composite (»compound cue
theory») proposée par Ratcliff et McKoon (1988), se fonde sur
l'hypothèse que les informations stockées en mémoire
à long terme(MLT) sont sous forme d'images mnésiques contenant la
représentation et les informations associatives et contextuelles
associées. Ces dernières sont dépendantes de l'encodage en
mémoire à court terme (MCT). Ainsi, les informations de la MLT
dépendent essentiellement de la durée passée en MCT, de la
liaison à ce moment à d'autres items. La
récupération de l'information en MLT dépend d'indices qui
peuvent être des mots, des sons, des images et qui ont une force
d'associativitéavec l'information contenue en MLT, plus ou moins forte.
Plus l'indice serait fortement associéà l'image mnésique
contenue en MLT et plus la récupération serait effective. Ce
modèle se base sur le concept de familiarité(Gillund et Shiffrin,
1984) qui propose que l'indice génèrerait une activation globale
au sein de la MLT qui déterminerait la probabilitéde la
reconnaissance de l'image mnésique cible. La familiaritése
définit comme la force de liaison entre l'indice et l'image
mnésique en MLT multipliée par la force de liaison entre le
contexte et cette même image mnésique (Gillund et Shiffrin, 1984).
Plus deux concepts sont connectés et plus sera grande la valeur de
familiaritéentre eux. Dans le cas de l'amorçage, plus la valeur
d'amorçage sera grande entre l'amorce (objet perçu) et la cible
(image mnésique), plus le temps de décision sur la cible sera
court. Dans notre cas, l'indice était constituéde l'amorce
»café» et de la cible (lieux »cafés» dans
l'environnement virtuel). Ces deux représentations seraient
associées dans la MLT. Chacun de ces deux items activeraient les traces
mnésiques qui lui sont propres dans la MLT, ce qui donnerait une valeur
globale d'activation ( un champs d'activation). Or comme ces deux items sont
proches sémantiquement, selon la théorie de l'indice composite,
les champs d'activation pourraient se recouper, ce qui provoquerait une valeur
d'activation importante (Ratcliff et McKoon, 1988) et faciliterait la prise de
décision envers cette cible.
88 7 Amorçage, traces mnésiques et intuition
7.2.4 Liens entre l'amorçage et l'intuition
Les modèles présentés ci-dessus, la
diffusion de l'activation, la mémoire en réseau, et la
théorie épisodique, permettraient d'expliquer en partie
l'intuition dont a fait preuve les participants du groupe amorcé.
Reprenons les faits de l'expérience. Les participants de ce groupe ont
perçu consciemment ou préconsciemment les indices de
»cafés» présents dans la salle - en effet
l'amorçage n'était pas subliminal - sans toutefois savoir qu'ils
avaient un lien avec le problème qui allait être posé. Lors
de l'immersion virtuelle, les participants amorcés ont nomméplus
de lieux en lien avec le café, et certains d'entre eux ont
devinéque la solution était »café», sans faire
de liens avec les indices. D'autre part, à la fin de l'expérience
les participants nous dirent qu'ils n'avaient pas vraiment fait attention aux
indices présents. Au regard de ces faits et des modèles
précédemment présentés, nous supposons que des
informations perçus, même non-consciemment ou
»pré-consciemment», c'est à dire sans une attention
consciente, sont capables d'avoir une influence sur une prise de
décision ultérieure. D'après ces modèles, il se
pourrait que la perception dans l'environnement virtuel des cafés
s'associent à celle des amorces de l'environnement naturel et influence
la prise de décision pour ce lieu plutôt que d'autres lieux.
Toutefois, étant donnéque les participants étaient tous
parisiens et étudiants, nous pourrions imaginer que certains des lieux
de la vidéo seraient de prime abord plus attractifs pour eux, annulant
ainsi l'effet des amorces. Toutefois, la consigne devait provoquer chez les
participants une mise en lien entre le contexte de l'expérimentation, et
l'environnement virtuel. Or dans le cas d'une familiaritéentre ces deux
objet, le participant pourrait se baser sur une intuition, alors que dans le
cas d'une absence de familiarité, le participant ne pourrait se baser
que sur une inférence »logique» ou être dans
l'incapacitéde répondre. C'est d'ailleurs ce qu'on observerait
chez trois des participants non-amorcés qui ne nommèrent aucun
lieu. Nous supposons que cette absence de réponses dénoterait
d'une absence de liens dans l'expérimentation pour ces participants.
Toutefois, chez d'autres participants non-amorcés, il y eu des
réponses basées sur les éléments visuels et sur une
tentative d'inférer ce que les expérimentateurs auraient choisi.
Ainsi, certains nous dirent avoir choisis les lieux aux couleurs les plus
voyantes. Ainsi, même en l'absence d'indices, et d'intuition, les
individus tenteraient de créer du sens dans le but de répondre
correctement à une situation donnée.
Nous entrevoyons les limites des théories de
l'amorçage dans le cas de l'intuition. En effet, aucune de ces
théories n'expliquent vraiment pourquoi les participants se sentent
attirés par les lieux amorcés. Le fait même que ces lieux
soient déjàpré-activés ne peut être une
solution. Il aurait fallu une théorie de l'esprit basée sur des
principes d'économie énergétique pour rendre compte de ce
phénomène. A' notre connaissance, il n'existe pas de
modèle complet rendant compte du fait que la pré-activation d'une
représentation ou d'un réseau de neurones, a le dessein de tendre
vers l'équilibre énergétique, et que cette
pré-activation tend à s'annuler dans la résolution du
problème présenté. C'est à dire, qu'àpartir
du moment oùil y a pr'e-activation, il y a besoin de trouver une
représentation ou un pattern annulateur afin de retourner à un
état d'homéostasie propre au système. Tant que la
pr'e-activation durerait, l'état de tension psychique du sujet serait
supérieure à sa ligne de base, et créerait un
besoin/désir de trouver l'objet.
Dans le cas de notre expérience, l'amorçage
aurait activécertains schémas chez les participants en lien avec
le champ sémantique du café, des terrasses de café, et de
Paris(voir Figure 7.1 par exemple). Selon les modèles
précédemment
7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage 89
cités, la rencontre avec un environnement
liéà ces pré-activations devrait provoquer une
réaction. Dans le but de mesurer cette/ces réaction(s), nous
avons choisi sur la base des expériences de Bechara et ses
collaborateurs (1997), de nous intéresser aux réactions
physiologiques des participants amorcés et des non-amorcés afin
de détecter une possible différence.
8
Environnement, Système nerveux autonome et Prise de
décision
8.1 Effet de l'amorçage sur la
température
Dans les trois conditions, les participants du groupe
amorcéavaient des médianes de températures
périphériques supérieures à celles des participants
du groupe non-amorcé. Même si la température est une
variable physiologique encore peu étudiée pour mettre à
jour des modifications du système nerveux autonome, les études
montrent qu'une diminution de la température périphérique
au niveau des doigts et du poignet serait liée à une augmentation
du stress (Vinkers et al, 2013), et serait de la même façon
utilisée comme un marqueur de stress dans les techniques
de biofeedback (Ahmed et al, 2010). Au contraire, une
augmentation de la température périphérique serait
liée àun état de relaxation (Yang et al, 2011).
Ces données peuvent être expliquées par la vasoconstriction
provoquée
par une activation du système nerveux autonome
sympathique, afin d'augmenter la température centrale dans le cas d'une
situation aversive (Nakayama et al, 2005). Dans le cas d'un état de
relaxation, une augmentation de la température
périphérique serait expliquée par le fait que les nerfs
cholinergiques des vaisseaux périphériques appartiennent au
système nerveux parasympathique et sont vasodilatateurs (Chédotal
et Hamel, 1993). A' la lumière de ces informations, nous
pouvons supposer que les participants amorcés avec le cafése
sentaient plus détendus que les participants non-amorcés, et ce,
dès la condition repos; c'est à dire dès le début
de l'expérience. Plusieurs explications pourraient expliquer ce
phénomène :
[1 ] Les expérimentateurs auraient étéplus
accueillants avec les participants du groupe amorcé.
[2 ] L'effet d'amorçage aurait fonctionnéet le
café, la table de bar, ainsi que les affiches auraient
contribuéàcréer un environnement plus chaleureux, plus
accueillant.
Les expérimentateurs, tout comme les participants,
auraient pu se sentir plus détendus. Ce qui pourrait alors confirmer
l'hypothèse [1], en renforçant l'hypothèse [2] et
expliquerait la température périphérique plus
élevée chez les participants amorcés, souvent signe d'une
relaxation.
De plus, en condition »familiarisation» et
»immersion», les températures des participants
non-amorcés augmentèrent comparéà la condition
repos, mais les différences restèrent toujours significatives
entre les deux groupes.
Afin d'expliquer cette différence inter-groupe dans les
conditions familiarisation et immersion, nous nous baserons sur ce que les
participants ont pu nous dire de leurs ressentis pendant l'expérience.
La plupart des participants du groupe non-amorcé, rapportèrent
avoir étédéstabilisés après la consigne par
le manque d'information, qui pourrait expliquer la différence de
»cafés» et de »lieux» identifiés entre les
deux groupes. Il serait envisageable que le manque
92 8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise de
décision
d'information pour répondre à la consigne
produise un état de stress plus élevéque chez les
participants amorcés. Les participants amorcés furent plus
prolixes, ce qui pourrait aller dans le sens d'un degréde relaxation
plus élevécomparativement aux participants
non-amorcés.
8.2 L'instinct de connaissance
La résolution d'un problème, quelle que soit sa
nature, passe par la mise au point de stratégies de résolution
qui peuvent être, soit de nature analytique, soit de nature intuitive
(Kahneman, 2003). Dans les deux cas pourtant, l'individu utilise un ensemble
d'informations pertinent associéau problème posé. Dans le
cas d'un raisonnement analytique, l'individu se baserait sur un ensemble de
lois apprises (par exemple celles de la physique ou des mathématiques)
qu'il agencera entre elles afin de résoudre le problème. Dans le
cas d'un raisonnement intuitif, l'individu se baserait de la même
façon sur un ensemble de lois apprises de façon consciente et/ou
implicite, qui vont s'agencer, se synthétiser dans le sujet pour le
mener à la réponse. Même si le processus est
différent par le degréde conscience impliqué, les
informations dans les deux cas sont de même nature : une information
inscrite en mémoire (les lois apprises, les expériences) et une
information contextuelle (l'environnement). Il y aurait un constant
aller-retour entre les traces mnésiques et la perception
immédiate du problème.
Plus l'individu disposerait d'un ensemble d'informations
étendu et protéiforme et plus il serait à même de
créer des associations, des liens lui permettant d'enrichir son
élaboration du problème afin d'atteindre la solution. Dans le cas
d'un modèle bayésien basésur l'anticipation, ceci pourrait
se comprendre de la façon suivante:
Plus le système dispose d'informations contextuelles et
subjectives, plus il serait efficace pour anticiper les réactions de son
environnement ou d'un autre système. Or, l'Homme est un être qui
possèderait un besoin de contrôle (Kanfer, 1990; Weiner, 1974),
afin de maintenir un environnement sécurisant et prédictible. Le
besoin de contrôle permettrait de minimiser la surprise liée au
hasard et aléas, et maximiser la prédictibilitéde
l'environnement; ce besoin s'accomplirait dans ce que les psychanalystes
appellent la pulsion épistémique ou encore ce que Jeangirard
(2007, 2014) nomme »pulsion dromique». Ce besoin impérieux
chez l'enfant d'aller explorer un ailleurs, de lâcher la main de la
mère afin de satisfaire son besoin de curiosité. D'un point de
vue évolutionniste, cette volontéde minimiser la surprise et de
maximiser la prédictibilitéd'un environnement, pourrait permettre
de protéger l'individu et le groupe, des prédateurs opportunistes
ou encore des grandes catastrophes naturelles, industrielles,
économiques (Festinger, 1957). Le comportement exploratoire d'un animal
viendrait d'une pulsion, d'une motivation interne (Harlow et al, 1950; Berlyne,
1960). Selon Perlovsky (2006), il existerait un instinct de connaissance au
même titre qu'il existerait un instinct sexuel; cet instinct viendrait du
fait que l'espèce vivante aurait besoin de s'adapter en permanence
à un environnement constamment changeant. Nous ne voyons jamais deux
fois le même objet de la même façon (angles,
luminosité, contexte etc.), c'est pourquoi nos représentations
internes auraient continuellement besoin de s'adapter et de se modifier. Les
connaissances ne seraient pas statiques, mais sans cesse gouvernées par
un processus d'adap-tation et d'apprentissage, et sans cette adaptation entre
nos modèles internes et le monde, il se pourrait que notre
compréhension du monde ne soit possible, et nous ne pourrions survivre.
Par conséquent, il se pourrait que l'instinct qui nous motive, et nous
pousse à augmenter nos connaissances soit innéet soit à la
base de nos capacités cognitives de haut niveau. Aristote pensait que
nous comprenons le monde à travers des Formes (représentations,
modèles) de
8.3 Prise de décision, réactions physiologiques et
émotions 93
notre esprit. La Cognition serait un processus d'apprentissage
par lequel, des Formes potentielles (modèle initial) rencontreraient le
monde phénoménal (signales sensoriels) et deviendraient une Forme
actuelle (un concept). Alors que les Formes actuelles découlent de la
logique, les Formes potentielles n'obéissent pas à la logique.
Ainsi, la logique apparaîtrait d'états et de processus illogiques
(Perlovsky, 2007).
Mathématiquement, cet instinct pourrait être
traduit par une maximisation de la similaritéentre les concepts, les
représentations internes (top-down) et le monde externe (bottom-up)
(Grossberg, 1983; Perlovsky, 2006). Dans le but d'accroitre cette
similarité, l'individu serait investit d'un besoin de connaître
son environnement et d'accumu-ler de l'information. Nous pourrions supposer
à partir de ces postulats, que l'absence d'informations face à
une problématique ciblée pourrait entraîner une tension
psychique, réalisée sous forme de peur ou
d'anxiété.
Lorsque les participants non-amorcés se sont
confrontés au problème posé, il leur manquait les indices
nécessaires au processus de résolution. Alors que l'environnement
virtuel présentéaux individus du groupe non-amorcén'avait
aucun point familier avec l'environnement naturel du début de
l'expérience, les individus du groupe amorcédispo-saient, eux,
d'une certaine familiaritéentre les deux environnements dont le point
d'ancrage était représentépar la thématique du
»café». En liant la théorie de l'amorçage avec
celle de la connaissance (knowledge instinct), il se pourrait que le
participant confrontéau nouvel environnement (l'environnement virtuel)
fut dans une position cognitive d'observation et d'anticipation. Or, dans ce
cas, le participant amorcéétait dans une position avantageuse,
comparéau participant non-amorcé, pour maximiser la
similaritéentre ses représentations internes et l'environne-ment
virtuel, et pour satisfaire son désir de connaissance.
L'effet d'amorçage aurait activéun ensemble de
traces mnésiques liéau »café», qui est
retrouvépar la suite dans la scène virtuelle. Cette
familiaritéentre les traces et la perception pendant l'immersion
faciliterait la reconnaissance de la solution, et favoriserait de la même
façon, l'anticipation de la solution correcte (Bechara et Damasio,
2005). L'activitéélectrodermale serait un marqueur de
l'anticipation et des réactions émotionnelles (Andreassi, 2007;
Boucsein, 1992; Lang, Greenwald, Bradley, et Hamm, 1993). En effet, la
conductance mesurée correspond aux propriétés de
variabilitéélectrique de la peau en réponse à la
sudation sécrétée par les glandes sudoripares. Il
existerait trois types de glandes : eccrine, apocrine et apoeccrine. Seule, les
glandes eccrines, innervées par le système nerveux sympathique,
réagiraient aux réponses émotionnelles. Une de nos
hypothèses suppose que les variations physiologiques des participants
amorcés seraient plus nombreuses que ceux des participants
non-amorcés.
8.3 Prise de décision, réactions
physiologiques et émotions
Selon l'hypothèse précédente, les
participants amorcés auraient des variations de leur
activitéphysiologique supérieures à celui des participants
non-amorcés; or dans notre expérience, les résultats
montrèrent une différence significative pour la réponse
électrodermale (médiane et fréquence de variations
atypiques) en faveur du groupe amorcésur l'ensemble de
l'expérience et plus particulièrement dans les conditions
»repos» et »familiarisation». Les différences
observées pourraient sous-tendre une différence dans
l'utilisation des schémas cognitifs et émotionnels entre les deux
groupes de participants. Les variations de fréquence dans la
réponse électrodermale sont utilisées dans la
littérature comme marqueur des réactions émotionnelles,
positives ou négatives,(Wood et al, 2014; Najstrom et Jansson, 2007,
Bechara et al, 1995; ); et dans la reconnaissance des visages familiers
(Stormark, 2004; Bonnifacci,
94 8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise de
décision
Desideri et Ottaviani,2015). Lorsqu'un visage familier est
présentéà un individu, une augmentation de sa
réponse électrodermale est observée, comparée
à un visage non-familier. De la même façon, lorsqu'on
présente un visage
familier à des patients souffrants de prosopagnosie,
incapable donc de reconnaître un visage familier,il est observéune
augmentation de la réponse électrodermale (Bate et Cook, 2012).
La réponse électrodermale pourrait donc être
un indicateur pertinent de la présence d'objet familier
dans l'environnement.
Lors de notre expérience, les résultats
montrèrent une activation du système nerveux autonome à
travers une corrélation positive entre la réponse
électrodermale et la température, contrairement aux participants
non-amorcés. Cette différence de corrélation entre les
groupes, montrerait que les variables régulées par le
système nerveux autonome tendraient à
s'homogénéiser par la présence de la
pré-activation. Il se pourrait que cette reconnaissance de la
familiaritén'opère pas seulement pour des visages, mais aussi
pour tout type de représentations et qu'elle interviendrait à un
niveau sous-corticale sous l'influence du système nerveux autonome.
Toutefois, lors de nos hypothèses et en rapport
à la théorie des marqueurs somatiques (Bechara et Damasio, 2005),
nous nous attendions à une augmentation de la réponse
électrodermale en condition »immersion» chez les participants
amorcés. Pourtant, alors même que cette condition était
liée à une prise de décision verbale, il n'y a pas eu de
différence significative entre les deux groupes. Nous aurions pu
supposer une telle différence, comme une anticipation physiologique de
la prise de décision à l'abord des cafés; toutefois notre
expérience n'était pas basée sur un système de
punition/récompense lors d'un choix, comme dans l'expérience
présentée par Bechara et ses collaborateurs (1997), et
n'était donc pas conditionnée par une forme d'apprentissage, ce
qui pourrait expliquer cette absence de similaritéentre nos
résultats et ceux de Bechara et al (1997).
A' défaut de retrouver des variations physiologiques
lors de la prise de décision chez les individus amorcés, nous
retrouvons une différence significative en condition
»familiarisation», qui pourrait s'expliquer par la perception des
objets familiers présents dans la scène virtuelle. Alors
même que l'ensemble des participants connaissaient bien Paris, car ils y
vivaient et y étudiaient, la réponse à l'environnement
virtuel fut significativement différente entre les deux groupes. Nous
pourrions considérer que l'effet d'amorçage perdure dans la
scène virtuelle et fait lien avec l'environnement naturel à
travers le sentiment de familiaritéde la scène.
Cette continuitédu naturel au virtuel pour les
individus amorcés, reflet d'une continuitéde l'interne et de
l'externe, serait perceptible dans l'absence de variation significative de la
réponse électrodermale chez les participants amorcés
selon les conditions. En effet, les participants
amorcés eurent une fréquence des variations atypiques de
l'activitéélectrodermale élevée et constante au
cours des trois conditions, comparativement aux participants
non-amorcés,
qui vécurent une augmentation significative de leur
fréquence des variations atypiques de
l'activitéélectrodermale entre la condition
»familiarisation» et »immersion».
Cette différence inter-condition pour les participants
du groupe non-amorcé, pourrait être expliquée par la
tâche cognitive exécutée par les participants ainsi que par
le stress ressenti face à la consigne (Andreassi, 2007; Boucsein, 1992)
et le contrôle dont ils ont dûfaire preuve pour répondre
à la consigne. Cette explication pourrait être appuyée par
la corrélation positive et élevée chez les participants
non-amorcés, entre la fréquence des variations atypiques de la
température et le nombre de lieux nommés. Ainsi, les participants
qui nommèrent le plus de lieux furent aussi ceux avec une
fréquence des variations atypiques de la température
élevée. La température périphérique
élevée pourrait signer un état de relaxation, de
détente. Il se pourrait que les participants non-amorcés qui ont
tentéde
8.4 Vers une compréhension de l'intuition 95
mettre du sens sur la consigne, en l'absence d'indices (et qui
ont donc proposéplus de lieux), soient plus détendus que ceux
n'ayant pu poser du sens.
L'absence de corrélation du même type et la
différence d'expression des variables physiologiques entre les deux
groupes pourrait souligner une différence dans les processus cognitifs
et émotionnels investis.
Il existerait une activation synchrone du système
nerveux autonome, chez les participants amorcés, avec une
corrélation entre les fréquences de variations de
l'activitéélectrodermale et celles de la température; ce
qui n'est
pas retrouvéchez les participants non-amorcés.
Les résultats montrèrent aussi une augmentation de
l'activitéélectrodermale chez les participants amorcés
»avec insight» comparativement aux participants amorcés
»sans in-
sight».
Nous avons souhaitéobserver si un lien entre les
réactions physiologiques et les comportements liés aux prises de
décision intuitives correctes (»cafés») ainsi
qu'àla capacitéd'insight des participants pourraient être
mis en exergue. L'augmentation de l'activitéélectrodermale en
condition »repos» et »familiarisation» chez les
participants »avec insight» pourrait suggérer que la
pré-activation par les amorces aient eu plus d'impact que pour les
autres participants. Cette intensitéde la pré-activation serait
quantifiable à travers les marqueurs somatiques non-conscients. Des
études de Wetherill et ses collaborateurs (2014) et de Whalen et ses
collaborateurs (1998) montreraient une action des amorces sur le système
nerveux autonome, qui irait en faveur de nos résultats, et qui
suggèrerait un lien entre un seuil d'activitéphysiologique et une
prise de conscience d'informations non-conscientes. De plus, l'augmentation de
l'activitéélectrodermale eut lieu pendant les conditions
»repos» et »familiarisation», et par conséquent
avant l'insight qui eut lieu en condition »immersion». Il se pourrait
alors qu'un seuil d'activation soit nécessaire pour créer une
émergence dans la conscience (»insight»). De prochaines
études pourraient étudier ce lien entre l'intensitéde
l'effet d'amorçage et la prise de conscience à posteriori.
Pour résumer, les participants amorcés
présentèrent des fréquences des variations atypiques de
l'activitéélectrodermale significativement plus
élevées que les individus non-amorcés en condition repos
et familiarisation,
de même qu'une température médiane plus
élevée toute condition confondue. D'autre part une
corrélation entre les fréquence des variations atypiques de
l'activitéélectrodermale et de la température, est
présente seulement dans le groupe amorcé, ce qui pourrait aller
en faveur d'une activation du système nerveux autonome. Nos
résultats suggéreraient une action des amorces et du sentiment de
familiaritésur les variables physiologiques (Bate et Cook, 2012;
Bonnifacci, Desideri et Ottaviani, 2015; Stormark, 2004). Toutefois, il reste
encore à expliquer s'il existe un seuil d'activation nécessaire
à la prise de conscience et si des réactions physiologiques ont
lieu avant ou après l'évènement familier à
l'amorce.
8.4 Vers une compréhension de l'intuition
8.4.1 Modèle de l'intuition
D'après notre expérience et les théories
présentées dans la discussion, nous résumerons et
présenterons notre compréhension du processus intuitif. Pour
qu'il y ait intuition, une interrogation face à une situation
donnée serait nécessaire. Cette situation pourrait créer
une tension psychique qui pousserait (drive) l'individu à
vouloir
96 8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise de
décision
résoudre la situation. Cette tension pourrait se
comprendre comme la tension qui résulte d'un abaissement de l'in-dice
glycémique, et qui pousse l'individu à chercher de la nourriture
afin de retourner à un état homéostatique stable. Dans le
cas de l'intuition, le manque de nourriture pourrait être
comparéau manque d'information.
Cette tension et la volontéde l'abaisser,
entraînerait une pré-activation des représentations
liées à la problématique, dans le but de trouver une
solution. Nous avons pris le parti de symboliser la mémoire comme un
réseau intercon-nectébasésur les théories
connexionnistes (Victori, 1995; Andler, 1990), c'est ainsi que chaque pattern
d'activation correspondrait à une/des représentation(s) (voir
partie 7.1). Le manque d'information face à la situation donnée
appellerait à lui toutes les représentations, les concepts
mémorisés, afin de créer un sens, une substance
représentable qui viendrait remplir cette absence. Nous pourrions dire
que pareil à un trou noir, le questionnement possèderait une
force de gravité, qui attire à lui tout ce qui serait susceptible
de créer du sens (voir la logothérapie de Franz, 1988). Ce
travail serait non-conscient et mobiliserait les fonctions cognitives
liées à l'attention, au raisonnement, et à l'association,
tout comme les structures impliquées dans les émotions que nous
aborderons dans un second temps (Bechara et al, 1997; Lieberman, 2007).
Dans la figure 8.1, nous avons tentéde
représenter les processus impliqués dans l'intuition. Tant que la
tension est activée, l'individu tendrait à chercher dans
l'environnement les indices, les représentations en lien avec l'objet
manquant. Et, tout ce qui pourrait nourrir l'instinct de savoir, et ainsi
maximiser la similaritéentre le questionnement interne, l'idée
que l'on se représente du monde, et l'environnement externe, serait
traitépar l'individu à des degrés
8.4 Vers une compréhension de l'intuition 97
plus ou moins conscients.
Figure 8.1. Processus de l'intuition
Le sentiment de familiarité, c'est à dire la
sensation de reconnaître à l'extérieur ce qui est à
l'intérieur, pourrait avoir un rôle majeur dans l'intuition. En
effet, lorsque l'individu serait en présence d'un objet externe qui lui
rappellerait une trace mnésique (une expérience), ce sentiment
pourrait émerger et imposer une émotion qui viendrait informer
l'individu de cette similarité. Plus la réaction
émotionnelle (marqueurs somatiques) serait importante, et plus
l'individu serait conscient de son intuition. Dans le cas, oùla
problématique serait résolue, la tension psychique retournerait
à un état d'équilibre, et l'individu ressentirait une
émotion associée. L'émotion qui accompagne ce moment est
souvent représentée comme une joie, une certitude rassurante, ou
encore une détente ( voir le livre de thèse de Petitmangin, 2002
pour une revue complète sur la phénoménologie de
l'intuition). Dans l'autre cas, oùla problématique,
l'interrogation, ne serait pas résolue, la tension et la
pré-activation persisteraient à travers le temps et pourraient
même se renforcer en présence ponctuelle d'indices dans
l'environnement. Ce qui pourrait
98 8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise de
décision
expliquer que l'incubation pourrait persister plusieurs
années (Poincaré, 1908; Moss, 2002) et renforcerait la tension
psychique et l'instinct de connaissance, dans le but de trouver la solution.
8.4.2 Les failles de l'intuition
L'intuition est un processus cognitivo-emotionnel
liéà l'apprentissage (Lieberman, 2000) faisant intervenir un
ensemble de processus cognitifs allant de la perception au raisonnement, en
passant par la mémorisation, la sensation et l'émotion. Nous
avons vu dans la revue de littérature qu'elle faisait intervenir un
grand nombre de structures corticales et sous corticales telles que le cortex
temporal supérieur droit (Ilg et al, 2008; Jung-Beeman et al, 2004), le
cortex ventromédian préfrontal, les ganglions de la base
(Lieberman, 2000), le cortex inférieur bipariétal (Ilg et al,
2008). L'ensemble des expériences n'a pas portésur le même
type d'intuition, certains se focalisant plus sur l'intui-tion
sémantique (Ilg et al, 2008) et d'autres sur l'intuition
émotionnelle (Lieberman, 2000), toutefois la plupart des recherches
supposent que les régions neurales impliquées dans l'intuition
sont aussi impliquées dans l'activation de réseaux
sémantiques larges et dispersés pouvant mener à l'insight.
D'autre part, des régions comme les ganglions de la base et le cortex
préfrontal ventro-médian, suggèrent que l'intuition joue
un rôle primordial dans l'apprentissage ainsi que dans tous les types de
comportements rapides et automatiques tels que les jugements basés sur
des stéréotypes ou encore les prises de décision. Dans les
psychoses mais aussi dans tout type de pathologies psychologiques, le fondement
des dysfonctionnements pourrait provenir des apprentissages dysfonctionnels,
des croyances inadaptées, des jugements automatiques engrammés
menant alors, à des raisonnements biaisés et inadaptés au
contexte. Or, les thérapies cognitivo-comportementales se sont
efforcées, dans une première et seconde génération,
de travailler sur les-dites croyances dysfonctionnelles et les raisonnements
défaillants. Pourtant, une meilleure compréhension de
l'intuition, de ses liens avec les processus automatiques et les processus de
contrôle pourraient aider à élaborer des thérapies
permettant de modifier l'intuition, c'est à dire un complexe
cognitivo-émotionnel-contextuel derrière le raisonnement
défaillant. A' mieux comprendre le sentiment de
familiaritéimmédiat et spontanéqui crée le lien
entre les traces mnésiques et l'objet contextuel, il serait possible de
le modifier, de le transformer, et de travailler dessus afin de modifier
l'ensemble des réactions émanant de cette familiarité.
Dans la psychose, l'intuition délirante est souvent
présente dans la paranoïa donnant lieu à un délire
interprétatif mais aussi dans la schizophrénie pouvant
créer des délires hallucinatoires en lien avec cette intuition
primordiale (Minkowski, 1927). Or, nous avons reliél'intuition à
un vide, à une absence d'information élicitant de ce fait un
instinct de connaissance et préactivant à sa suite un certain
nombre de réseaux neuronaux liés à des
représentations
internes, et qui viendraient s'apparier à travers le
sentiment de familiaritéà des objets externes, menant alors
àune sensation de plaisir, à un sentiment
»d'avoir trouvé» en lien avec l'appétence du
désir de connaissance. Cette
conception de l'intuition, pourrait se rapprocher de la
psychanalyse, et des termes de déni(Verleugnung), de forclusion
(Verwerfung), qui supposent une négation, un rejet d'une trace
mnésique. Pour Freud (1895, 1924), ce rejet de la représentation
ressurgira dans le réel sous forme de délire, et proviendrait
d'une »faille dans la relation du moi au monde extérieur»
(Freud, 1924). Ainsi, le délire s'élaborerait autour de cette
faille, autour de cette absence de représentation et
d'élaboration possible. Minkowski (1927) suggérait
déjàau début du siècle précédant, que
les thèmes récurrents abordés par le délire d'un
patient, pourraient avoir une signification avec ce qui a fait
8.4 Vers une compréhension de l'intuition 99
défaut au patient, et ainsi, tout comme Freud, accorder
une fonction réparatrice au délire. Il se pourrait alors, que le
traumatisme en tant que trace mnésique intolérable pour la
conscience, créerait une dépression (dans le sens physique) dans
le réseau mnésique neuronal qui augmenterait l'appétence
du désir de connaissance à travers une pré-activation des
réseaux adjacents. Cette pré-activation figée et
ciblée du réseau mnésique, entraînerait une
recherche d'éléments dans le monde extérieur afin de
remplir cette dépression, et de pallier à ce manque. Ainsi, tout
élément externe se rapprochant des concepts internes
pré-activés susciterait un sentiment de familiaritéet une
impression d'avoir trouvél'élément manquant, menant ainsi
à une intuition délirante et par la suite, à une
interprétation délirante pouvant entraîner un passage
à l'acte. L'intuition délirante proviendrait donc, de cette
absence d'infor-mations dans le réseau, laissée par la faille du
traumatisme. Nous pensons donc, qu'une meilleure compréhension
des processus sous-jacents à l'intuition sous ses
formes sociales, émotionnelles, et sémantiques pourrait aider
àcomprendre ce phénomène d'intuition
délirante présente dans de nombreuses psychoses. Les
mécanismes de l'intui-
tion et plus généralement de l'apprentissage
implicite joueraient aussi un rôle prépondérant selon les
théories des thérapies cognitivo-comportementales dans d'autres
pathologies comme les phobies,
l'anxiétégénéralisée, ou encore la
dépression (Samuel-Lajeunesse, Mirabel-Sarron, Vera, 1998).
9
Applications et Limites
9.1 Applications thérapeutiques
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) utilisent
un modèle de la mémoire similaire à celui
utilisédans la présente étude. En effet, selon
Bower (1981) la mémoire serait organisée selon un treillis de
représentations
organisés en unités d'informations distinctes.
Ces unités seraient composées à la fois de
représentations purement cognitives (le réseau sémantique)
et d'émotions, et seraient associées selon des forces
d'activation variant au cours de la vie et dépendant de l'apprentissage,
de l'expérience et du contexte. Dans la théorie des
schémas de Young (1990, 1991), inspirée du modèle de la
mémoire proposépar Beck (1967), les schémas seraient des
programmes stables appris précocement et permettant de traiter
l'information dans certaines situations récurrentes. Les schémas
peuvent être positifs ou négatifs, adaptés ou
inadaptés. Toutefois, la limite entre adaptation et inadaptation est
mouvante selon les contextes et un schéma cognitif adaptédans la
petite enfance pourrait devenir inadaptéà l'âge adulte.
Dans les cas de pathologies, les schémas seraient devenus rigides et se
seraient renforcés avec le temps selon un principe d'incubation, c'est
à dire une présence courte mais répétée dans
le temps avec le stimulus aversif. Les
TCC ont comme vocation de modifier ces schémas
cognitifs en permettant une prise de conscience du patient face
àses schémas. Cette prise de conscience peut avoir
lieu grâce à différents outils que les thérapeutes
manient pendant
la thérapie, comme la psychoéducation, les
carnets d'écriture, l'observation du comportement avec l'exercice du
stop (avant que le comportement impulsif ne se produise, le patient doit
écrire son état, ses pensées, ses émotions
présentes), ou encore les colonnes de Beck qui permettent de mieux
prendre conscience des pensées automatiques. Ces outils permettraient
ainsi de rallumer le feu de la conscience dans une matière de
pensées dense et figée. Or l'insight est souvent de bon pronostic
pour le patient, car cela veut dire qu'il tente de créer du sens sur ce
qui lui arrive et ainsi de subjectiviser son trouble. Par conséquent, si
nous connaissions les mécanismes qui sous-tendent l'intuition, puis les
stimuli qui permettraient de faciliter l'intuition face à un
problème complexe, nous pourrions proposer aux thérapeutes des
outils ou encore des techniques dans le but de provoquer ce processus chez
lui-même (Reik, 1976) mais aussi et surtout chez le patient. Il serait
nécessaire d'investiguer à quel point l'environnement et les
indices contextuels de nature perceptive et émotionnelle influencent les
remaniements psychiques dans la mémoire , et associer l'étude de
la plasticitécérébrale à la résolution
intuitive de problèmes complexes. Nous pouvons suggérer pour les
études ultérieures qu'une rigiditépathologique à
l'origine de pathologies psychiques pourraient avoir un impact négatif
sur les capacités intuitives des patients. Une réplication de
l'expérience sur des individus souffrant de
102 9 Applications et Limites
phobies, d'anorexie ou encore d'autisme pourrait permettre de
mieux comprendre les racines du processus intuitif, et le passage des formes
intuitives aux formes logiques.
9.2 Limites
9.2.1 Limite liée à la population
Notre population était essentiellement composée
d'étudiant de 20 ans, or il aurait étéintéressant
de prendre en compte la variable âge et profession dans l'analyse des
données, afin d'observer s'il y a une variation de de la
capacitéintuitive en fonction de ces deux variables
supplémentaires. En effet, l'étude menée par Petitmangin
(2002) montre que les mathématiciens, les thérapeutes et
certain(e)s hommes/femmes d'affaire auraient par exemple une excellente
intuition. Comme nous l'avons mentionnédans la discussion, une
population de patients présentant des troubles de la pensée
logique aurait aussi aidéà une meilleur compréhension des
mécanismes en jeu dans l'intuition.
9.2.2 Limite des outils utilisés
Nous voulions, dans un souci de précision
méthodologique, synchroniser les mesures physiologiques avec les
périodes d'immersion virtuelle, et ce, à la seconde près.
Ceci, dans le but d'observer de potentielles variations des activités
physiologiques aux abords des cafés et voir s'il y avait un lien entre
les traces mnésiques pré-activées et les marqueurs
somatiques. Toutefois, les appareils de mesure ne permirent finalement pas une
telle précision.
Aussi pour des raisons techniques, nous n'avons pu utiliser
les mesures cardiaques, qui auraient apportées davantage de
précisions pour nos hypothèses sur les variations du
système nerveux autonome.
Nous avons constatéà la suite de nos analyses
que le test d'intuition utiliséne mesurait pas vraiment l'intuition. En
effet, ce test dont le fonctionnement est expliquédans la partie
Méthodologique, était censémesurer l'intuition, pourtant
nous avons remarquéqu'il mesurait plutôt les connaissances
lexicales des participants et n'avait donc pas de réel
validitépour discriminer l'intuition. Actuellement, il n'existe que
très peu de tests de l'intuition, ce qui est regrettable, car ces tests
auraient pu nous permettre de classifier les participants entre intuitifs et
non-intuitifs, et observer si les plus intuitifs avaient des marqueurs
somatiques plus intenses, ou des stratégies de résolution
différentes.
9.2.3 Limite liée au thème de recherche
L'intuition est aussi bien un concept philosophique, qu'une
réalitépsychologique, physiologique, clinique et
phénoménologique. C'est pourquoi, le thème fut vaste et
noua plusieurs disciplines entre elles tout en essayant de préserver la
complexitédes théories de chaque discipline. D'autre part,
l'intuition demeure un sujet trouble, emprunt de mystère, et il n'a pas
étésimple de devoir réduire un phénomène
philosophique et singulier à son processus le plus simple afin d'en
saisir l'essence et d'en tirer une compréhension psychologique
plutôt que poétique. Nous ne
9.2 Limites 103
souhaitons à aucun moment supprimer le poétique
et le mystère de ce processus, et nous pensons humblement que notre
travail n'a pu explorer que les couches basiques de ce processus essentiel et
éminemment complexe.
Nous n'avons pu investiguer le passage de l'intuition à
la prise de conscience logique et verbale, thème qui nous paraît
nécessaire pour comprendre les processus intuitifs et leurs
conséquences sur les pathologies psychiques.
Cinquième partie
Conclusion
107
Dans ce mémoire de recherche, nous avions pour but
d'investiguer et de mieux comprendre les processus cognitifs et
émotionnels liés à l'intuition. La littérature
scientifique, à notre connaissance, définissait l'intuition et
l'analyse comme deux processus duels, opposés et fonctionnant en
parallèles. Or, les théories philosophiques,
phénoménologiques et mathématiques, tendraient
plutôt à définir l'intuition comme le socle de la logique
et de l'analyse (Bergson, 1923; Perlovsky, 2007). L'analyse serait plutôt
une fonction héritée de l'intuition, qu'un processus
opposéà cette dernière.
L'intuition permettrait de ressentir le lien existant entre
nos schémas internes et l'environnement externe. Cette
continuitéentre l'interne et l'externe, et les constantes adaptations et
apprentissage, qu'elle entraîne pourrait définir la notion
d'intuition.
Afin de créer cette continuité, nous avons
utiliséd'une part un environnement naturel et un environnement virtuel
(Giannopulu, 2008), et nous avons disposédes indices dans
l'environnement naturel afin de créer un effet de
fami-liaritéface à la situation à résoudre dans
l'environnement virtuel.
Les résultats tendraient à montrer un lien entre
les indices environnementaux, la pré-activation des
représentations et l'émergence de l'intuition. Il y aurait une
augmentation de l'activitédu système nerveux autonome lors de la
présence d'amorces, et un lien entre cette activation et la
capacitéd'insight des individus. Ainsi, les processus intuitifs et
l'émergence d'une représentation non-consciente à la
conscience pourrait être mesurable. Toutefois, des études
mériteraient d'investiguer ce phénomène plus en avant, car
le manque de synchronisation de nos mesures avec l'environnement virtuel nous
empêcha d'interpréter sur la nature de ces réactions
physiologiques et sur le sens de cette quantification. Nous avons
proposédes pistes d'explications dans la discussion afin d'aider
à la résolution de ce problème complexe. Ainsi, il nous
paraît important de concevoir l'intuition comme un processus mouvant
entre l'intérieur (les traces mnésiques) et l'extérieur
(l'environnement, les perceptions). La superposition optimale entre ces deux
interfaces enclencherait alors une émotion liée à la
résolution d'un problème. Nous n'avons pas inves-tiguédans
cette recherche l'idée de décharge et de tension psychique. Mais,
de prochaines études pourraient tenter d'observer s'il y a bien un
relâchement, une détente lorsque la situation est résolue,
et si la prise de conscience de la solution (insight ou non insight) est
modulée par l'intensitéde ce relâchement. De plus, une
question subsiste sur le lien entre l'instinct de connaissance (Perlovsky,
2007), ou encore la pulsion dromique (Jeangirard, 2014), et l'intuition. D'un
point de vue philosophique et psychologique, l'intuition ne serait ni un
instinct, ni une pulsion, mais bien plutôt une sensation. Avoir une bonne
intuition signifierait-il, avoir une grande curiosité, avoir une grande
capacitéà créer des liens ou avoir une grande
capacitéà ressentir les signaux corporels non-conscients? Il se
pourrait que l'intuition comprenne l'ensemble de ces phénomènes
et que les psychologues, philosophes et neuroscientifiques puissent être
intéressés dans leur compréhension.
Ces questionnements amènent aussi au problème du
lien entre intuition et logique qui contribua à l'ouverture de ce
mémoire. Nous ne pouvons dire que nous avons mieux compris ce lien,
même si, nous avons pu observer dans cette expérimentation, que la
plupart des individus qui résolurent consciemment le problème,
n'ont pas étéconscients des indices de l'environnement et n'ont
pas fait, comme nous l'attendions, un lien entre les indices de l'environnement
naturel et la problématique posée. Malgrécette absence de
liens, ils tentèrent d'inférer logiquement leurs prises de
décision. Ainsi il se pourrait que les formes intuitives internes se
matérialisent en fonction des attributs singuliers de l'individu, et que
l'expression consciente de l'intuition prenne forme en fonction de la
personnalitéde chacun.
108
Des études sur le lien entre système cortical
(EEG, IRMf) et système nerveux autonome (activitécardiaque,
ac-tivitéélectrodermale, respiration, températion) dans
une situation intuitive avec prise de conscience et sans prise de conscience
des liens pourraient aider à mieux comprendre d'un point de vue
neurologique, l'émergence de la représentation intuitive à
la conscience.
RÉFÉRENCES 109
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RÉFÉRENCES 117
Résumé
Objectifs: L'objectif de ce travail
est d'étudier les marqueurs physiologiques et les processus cognitifs
conscients et implicites à l'oeuvre dans la prise de décision
intuitive dans un environnement virtuel. L'intuition est définie comme
un processus automatique, rapide, et non-conscient (Kahneman, 2003; Lieberman,
2000), qui serait impliquée dans la synthèse d'informations
multimodales dans le but d'acquérir des connaissances implicites
(Lieberman, 2000) et de constamment anticiper les réactions possibles
dans un environnement donnéafin de maximiser le comportement
adaptéet minimiser l'effet de surprise. Il pourrait exister des
corrélats physiologiques liés à l'émergence de
l'intuition, mesurables à travers les réactions du système
nerveux autonome (Damasio, 2000).
Nous avons utiliséun environnement naturel contenant des
amorces visuelles et olfactives et un environnement virtuel, dans lequel le
participant devait utiliser son intuition afin de prendre une décision
verbale consciente. L'hypothèse générale suppose que les
indices visuels et olfactifs de l'environnement naturel faciliteraient
l'émergence de l'intuition et influenceraient à travers les
marqueurs somatiques non-conscients la prise de décision verbale.
Méthodologie : Douze sujets furent
immergés dans un environnement naturel contenant des amorces visuelles
et olfactives sur la thématique du »café», tandis que
11 sujets furent immergés dans un environnement naturel sans amorce. A
la suite de cette immersion, tous les participants furent immergés dans
un environnement virtuel grâce à un casque Head Mounted Display
(HMD) oùétait représentéune partie du 1er
arrondissement de Paris. Dans l'environnement virtuel, les participants
devaient répondre à un problème intuitif. La solution
à ce problème
était liée aux amorces présentées
dans l'environnement naturel. Pendant toute la durée de
l'expérience, l' activitéélectrodermale et la
température furent enregistrées chez l'ensemble des
participants.
Résultats :Le nombre de variations
atypiques de l'activitéélectrodermale et la médiane des
températures sont significativement plus élevés chez les
participants amorcés comparativement aux participants non-amorcés
et le nombre de réponses intuitives correctes est significativement plus
élevéchez les participants du groupe amorcécom-
parativement au groupe contrôle. Les participants
amorcés ayant trouvéla solution eurent une médiane de
l'activitéélectrodermale plus élevée que ceux
n'ayant pas trouvé.
Conclusion :Il semblerait que les indices
présents dans l'environnement naturel auraient influencéla prise
de décision intuitive dans l'environnement virtuel. La
similaritéentre les indices de l'environnement naturel et la solution
proposée dans l'environnement virtuel, témoignerait de
l'influence de ces indices sur l'intuition.
118 RÉFÉRENCES
Abstract
Introduction :The purpose of the present
research was to study the effects of non-conscious information presents in
natural environment, on intuition in virtual environment. Therefore, the study
hypothesizes that there is continuity between this two environments through
intuition and non-conscious somatic reaction. Instead of giving the
instructions to switch the attention on the problem's resolution, we have
immersed the participant in an environment with clues before the instruction.
Therefore, the clues were neutral for the participant and without meaning. If
we follow the previous researches about priming, we would suggest that clues
from natural environment have activated a field of representations from the
background interface. When the participant had to make decisions, we suppose
that this activated field, through somatic reaction, guide the decision-making
and create an intuitive feeling. Intuition could be this continuous line, which
creates fluidity between different environments. Moreover, similarity in
implicit memory between the catogories of non-conscious clue and the problem's
solution in virtual environment could produce the intuition feeling.
Main hypothesis suggest that visual and olfactory primes in
natural environment could enhence intuition and influence the verbal decision
through somatic markers.
Methodology : A total number of 23 healthy
students who volunteered for the study were randomly assigned to one of two
conditions : control (N=11) and experimental (N=12). They were exposed to a
naturalistic visual environment via a Head Mounted Display. The visual
environment was a real urban scenario pre-recorded on vi-deo.It was filmed in
the 1st district of Paris between the Louvre museum and the Paris Opera. All
participants were immersed in the virtual environment where they had to resolve
an intuitive problem. The semantic category of the solution was linked with the
semantic category of the primes.
Results :Intuitive answers were
significatively different between the prime's groupe and the control's group.
Primed participants gave more intuitiv answers that non-primed participants.
Moreover, the amount of electrodermal variation and the temperatures's average
were significatively more higher in primed group compared with control
group.
Conclusion :The results suggest that the
similarity between the clues in the natural environment and the solutions in
the virtual environment could produce the intuition feeling. This intuition
feeling could influence the decision through somatic markers.
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