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Prise de décision intuitive dans un environnement virtuel.

( Télécharger le fichier original )
par Mickael ESKINAZI
Université Catholique de Paris - Psychologie 2016
  

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1

ÉCOLE DES PSYCHOLOGUES PRATICIENS UNIVERSITÉCATHOLIQUE DE PARIS 23 rue du Montparnasse

75006 PARIS

MÉMOIRE DE RECHERCHE

EN VUE DE L'OBTENTION DU

DIPLÔME DE PSYCHOLOGUE

D'INDICES NON-CONSCIENTS DANS UN ENVIRONNEMENT NATUREL

À LA PRISE DE DÉCISION INTUITIVE DANS UN ENVIRONNEMENT VIRTUEL

Sous la direction de Madame le Professeur Irini Giannopulu

Par : Mickaël Eskinazi

PROMO : 2016

OPTION : Psychopathologie Clinique

NÉÀ : Saint-Mandé(94)

LE : 01/04/1991

MOTS CLÉS : intuition, réalitévirtuelle, prise de décision, non-conscient, marqueurs somatiques.

devant le jury composéde :

soutenue le :

Remerciements

5

Je tiens tout d'abord à remercier ma Maître de Mémoire, Madame le Professeur Irini Giannopulu, pour avoir acceptéde travailler sur l'intuition. J'ai pu apprendre la rigueur méthodologique, et elle m'a fait découvrir la réalitévirtuelle comme outil méthodologique. Malgréles difficultés qui se sont présentées, je la remercie de sa constance,

et de sa capacitéà faire fi de ces difficultés pour que cette recherche se réalise et que ce mémoire puisse aboutir. Bien entendu, je n'oublierai pas les encouragements de Monsieur Jules Firmo toujours dévouépour les étudiants,

Madame Yasmine toujours disponible et positive dans les moments de stress accru et Madame Celor pour ses conseils pratiques et son enthousiasme naturel.

Je remercie Monsieur le Professeur Jean Le Rohellec pour ses conseils avisés en statistiques et ses encouragements.

Je remercie ma famille pour leur soutien constant.

Je remercie bien entendu mon cher ami Félix, pour toutes ces discussions près du sommets des Idées, pendant les

mois froids de l'hiver, et ce qu'elles produisirent comme constantes remises en question, des doutes angoissés mais pourtant si nécessaires à la compréhension.

Je remercie ma chère amie Djaël, et mon ami Samuel pour leur soutien, leurs encouragements, et tout ce qu'ils ont

pu me donner comme affection pendant cette intense année.

Mes remerciements aussi à ma chère Cécile, qui a relu et questionnémon travail à la toute fin, et sans qui, certains

liens n'auraient pu émerger.

Je remercie Katia et Thomas, avec qui je parlais déjàde ce sujet il y a un an et qui ont su me poser les bonnes

questions.

Et enfin, je tiens à remercier Robert et Maria, qui m'ont nourri du grain des sphères légères et pures, et sans qui,

je n'aurais pu mener à bien ce travail constant. Merci pour ces discussions sur Goethe et l'intuition près du feu.

Table des matières

partie I Introduction

partie II Partie théorique

1

L'intuition

19

 

1.1

L'intuition philosophique

19

 

1.2

L'intuition dans l'invention scientifique

21

 
 

1.2.1 La préparation

23

 
 

1.2.2 L'incubation

23

 
 

1.2.3 Intuition et Insight

24

 
 

1.2.4 Vérification

25

 

1.3

L'intuition en psychologie

25

 
 

1.3.1 L'intuition selon la psychanalyse

25

 
 

1.3.2 Subtile communication

27

 
 

1.3.3 Intuition et stéréotype

28

 

1.4

L'intuition à la lumière des neurosciences

29

 
 

1.4.1 L'intuition dans la résolution de problèmes

29

 
 

1.4.2 Les processus cognitifs de l'intuition

30

2

L'intuition: une fonction essentielle à l'Homme ?

33

 

2.1

Une fonction d'anticipation

33

 
 

2.1.1 Le cerveau prédictif

33

 
 

2.1.2 Le cerveau bayésien

34

 

2.2

Une fonction sociale

36

 
 

2.2.1 La synchronisation généralisée

36

 
 

2.2.2 L'empathie émotionnelle : une catégorie de l'intuition

38

 
 

2.2.3 Intuition sociale et apprentissage implicite

39

 

2.3

L'intuition à la lumière de la neuro-imagerie

41

 
 

2.3.1 Les ganglions de la base

41

8 Table des matières

2.3.2 Les neurones miroirs 43

2.3.3 Le cortex ventromédian préfrontal 43

3 L'intuition: Une suggestion non-consciente 45

3.1 L'inconscient cognitif 45

3.1.1 Bref historique de l'inconscient 45

3.1.2 Le non-conscient dans la clinique 46

3.1.3 Le non-conscient cognitif 48

3.2 L'amorçage 49

3.2.1 L'amorçage supraliminaire 50

3.2.2 L'amorçage subliminales 50

3.2.3 Effets psychophysiologiques de l'amorçage subliminale 51

3.2.4 Les indices olfactifs 51

3.3 La prise de décision non-consciente 52

3.3.1 Les marqueurs somatiques 52

3.3.2 Corrélats physiologiques d'une prise de décision intuitive 53

3.4 Continuitéde l'intuition dans un environnement virtuel 54

4 Problématique et hypothèses 57

4.1 Problématique 57

4.2 Hypothèses 57

partie III Partie Expérimentale

5 Méthodologie 61

5.1 Participants 61

5.1.1 Présentation 61

5.1.2 Critères d'inclusion et d'exclusion 61

5.2 Matériel 61

5.2.1 Casque de réalitévirtuelle 61

5.2.2 Environnement virtuel 62

5.2.3 Bracelet Q sensor 62

5.2.4 Le test d'intuition (Annexe 1) 62

5.2.5 Le questionnaire (Annexe 2) 62

5.3 La procédure 62

5.4 Considérations éthiques et déontologiques 63

6 Analyse des résultats 67

6.1 Méthode statistique 67

6.2 Analyse 68

Bibliographie 109

Table des matières 9

6.2.1 Données physiologiques 68

Les médianes 68

Les variations atypiques 70

6.2.2 Données verbales 74

Test d'intuition 74

Prise de décision 74

6.2.3 Analyse des corrélations 75

Variables quantitatives 75

Variable qualitative Insight 76

partie IV Discussion

7 Amorçage, traces mnésiques et intuition 83

7.1 Hypothèse générale 83

7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage 84

7.2.1 Diffusion de l'activation 84

7.2.2 Mémoire en réseau de neurones 86

7.2.3 Théorie épisodique 87

7.2.4 Liens entre l'amorçage et l'intuition 88

8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise de décision 91

8.1 Effet de l'amorçage sur la température 91

8.2 L'instinct de connaissance 92

8.3 Prise de décision, réactions physiologiques et émotions 93

8.4 Vers une compréhension de l'intuition 95

8.4.1 Modèle de l'intuition 95

8.4.2 Les failles de l'intuition 98

9 Applications et Limites 101

9.1 Applications thérapeutiques 101

9.2 Limites 102

9.2.1 Limite liée à la population 102

9.2.2 Limite des outils utilisés 102

9.2.3 Limite liée au thème de recherche 102

partie V Conclusion

Première partie

Introduction

13

L'intuition est un concept large, populaire et finalement peu étudié, à défaut d'être poétisé. Les poètes d'abord, puis les philosophes, les inventeurs et les scientifiques remarquables décrivent l'intuition comme l'Envoyée invisible, inconnue, imperceptible qui illuminera de sa clairvoyance les sentiers sombres de la connaissance (Bergson, 1912). L'intuition est mystérieuse, presque sacrée, elle ne dépend pas de la volontépremière de l'individu mais par grand bruit, s'immisce à un moment oùrien ne prédisait son arrivée, comme un coup d'éclair, un coup de génie. Elle révèlera parfois au chercheur laborieux, quel que soit son domaine, une réponse, un sens jusque làdissimulé, voilé. Alors que l'individu pensait toutes les portes fermées, alors qu'il avait déjàabandonnél'idée de trouver le saint Graal, l'intuition lui donne la cléde ses problèmes au détour d'une promenade, en montant à cheval, en rêvassant... Une mise en sens spontanée, surgissant de l'inconnu, ébranle l'individu dans l'ensemble de sa personne.

Soudain, tout devient clair.

Nous avons tous plus ou moins vécu ces moments oùles portes grinçantes, se huilaient d'elles-mêmes. A posteriori, nous retrouvons une série de circonstances apparemment fortuites, nous guider vers la solution, comme si l'idée même de la solution nous appelait à elle, nous faisait lentement glisser vers le réconfort de la compréhension. Elle paraît donc être un élément indissociable de l'acquisition de connaissances et de la création. Pourtant à bien chercher et même s'il existe une importante littérature scientifique incluant le terme »intuition», elle a, à notre connaissance, souvent étéle parent pauvre de la psychologie (Petitmangin, 2002). En effet, les théories dominantes la relèguerait à un acte réflexe qui égare celui qui se veut logique, analytique et précis (Kahneman, 2003; Tversky et Kahneman, 1974). Pourtant à bien y voir et à entendre la sage parole des Anciens, il apparaît que l'intuition serait une des plus hautes formes menant à la compréhension d'un objet, d'un sujet. C'est précisément dans le but de resituer l'intuition dans la psychologie actuelle que nous nous sommes intéressés dans ce mémoire, à ses mécanismes, à ses corrélats neuroscientifiques, et avons tentéde comprendre ses intrications avec le non-conscient et le phénomène d'amorçage. Une plus grande compréhension de ce processus, qui nous le verrons, est à la jonction des processus cognitifs et émotionnels, pourrait s'appliquer à mieux rendre compte de la genèse de la pensée, des croyances, des jugements et des prises de décision(Zemack-Rugar, Bettman et Fitzsimons, 2007 ;Wetherill et al, 2014). Or, l'ensemble de ces mécanismes auraient un rôle majeur dans le maintien de nombreuses maladies psychiques mais aussi dans la pratique même du psychologue.

La plupart des études scientifiques portant sur l'intuition se sont intéressées à la résolution de problèmes algébriques plus ou moins complexes (Kahneman, 2003; Tversky et Kahneman, 1974), ou à l'intuition sociale qui a lieu dans la communication (Albrechtsen, Meissner et Susa, 2009), mais à notre connaissance, il n'existe pas ou peu d'études qui tentent de comprendre l'intrication entre l'environnement, l'intuition et la prise de décision. Pourtant, les inventeurs, les scientifiques et thérapeutes confrontés à une problématique, rapportent que l'intuition émerge souvent en rapport à des indices de l'environnement qui vont les guider dans leur prise de décision (Petit-mangin, 2002). Afin de mieux comprendre les liens entre l'environnement et l'intuition, nous faisons l'hypothèse que des indices présents dans l'environnement activeraient des représentations qui feraient émerger l'intuition, aboutissant alors à la prise de décision verbale. L'intuition serait observable à travers une augmentation de l'activité

14

électrodermale et thermale (Bechara, Damasio, Tranel, et Damasio, 1997; Crone, Somsen, Van Beek et Van Der Mo-len, 2004). Afin d'investiguer cette problématique, nous avons utilisécomme outils méthodologiques le phénomène d'amorçage afin d'activer des représentations liées à la thématique du »café» et la réalitévirtuelle, dans laquelle les participants devaient résoudre un problème intuitif. Les solutions de ce problème étaient liées à la thématique du »café». La réalitévirtuelle fut utilisée dans le but de créer une immersion en rupture avec l'environnement naturel, et permettre ainsi de créer un sentiment de familiaritéentre les amorces visuelles et olfactives de l'environnement naturel stockées en mémoire, et les éléments visuels de l'environnement virtuel.

Dans le but de mesurer le phénomène d'intuition, nous avons enregistrél'activitéélectrodermale et la température des participants pendant toute la durée de l'expérience. Afin de mettre en perspective le rôle de l'amorçage dans l'émergence de l'intuition, nous avions deux groupes de participants, un groupe amorcéet un groupe non-amorcé. L'hypothèse générale de cette recherche, est que les indices visuels et olfactifs de l'environnement naturel préactiveraient de manière non-consciente des représentations internes qui feraient émerger l'intuition, qui s'exprimerait dans la prise de décision verbale.

Secondairement, nous avons fait l'hypothèse que les participants amorcés, auraient une augmentation des activités thermales et électrodermales comparéaux participants non-amorcés, et qu'une différence de l'activitédu système nerveux autonome serait observable entre les participants ayant eu une prise de conscience de la solution (insight) et ceux n'en ayant pas eu.

Les analyses statistiques inférentielles montreraient que le nombre de réponses intuitives correctes est significativement plus élevéchez les participants amorcés comparativement aux participants non-amorcés. Ces analyses montreraient aussi que le nombre de variations atypiques de l'activitéélectrodermale, de la température ainsi que la moyenne des températures sont significativement plus élevés chez les participants amorcés comparativement aux participants non-amorcés. De plus, les résultats montrèrent une augmentation de l'activitéélectrodermale chez les participants amorcés avec »insight» comparativement aux participants amorcés sans »insight». Il semblerait que les indices présents dans l'environnement naturel auraient influencéla prise de décision intuitive dans l'environne-ment virtuel. La similaritéentre les indices de l'environnement naturel et la solution proposée dans l'environnement virtuel, ferait émerger l'intuition, qui influencerait de façon non-consciente, la prise de décision verbale.

Deuxième partie

Partie théorique

17

L'intuition, dans le sens vulgaire, c'est-à-dire un coup d'oeil juste pour saisir les affaires du monde, est le partage du sens commun. L'intuition pure du monde extérieur et intérieur est très rare. Le premier de ces deux genres d'intuition se manifeste avec le sens pratique, par l'action prompte et soudaine; le second, par des symboles, principalement par les rapports mathématiques, par les nombres et les formules, par le langage primitif figuré, comme poésie du génie, comme proverbe du sens commun.

Johann Wolfgang von Goethe

1

L'intuition

Le mot latin intuitere se rapporte à l'oeil et signifie regarder vers l'intérieur~, en chinois le mot intuition est représentépar un binôme de caractère constituéd'un oeil et d'un trait, signifiant »regarder directement», ainsi que d'un verbe signifiant »trouver», »sentir» , »prendre conscience» ou encore »élever son regard»(Faure et Javary, 2012). Ce serait donc une connaissance vraie et directe qui fait force dans la conscience aussi bien qu'une nouvelle façon de percevoir les choses, une manière de percevoir qui s'éloigne de l'habitude, qui s'élève. Le Littrédonne une définition de l'intuition assez similaire, en tant que connaissance soudaine, spontanée, indubitable, comme celle que la vue

nous donne de la lumière et des formes sensibles, et, par conséquent, indépendante de toute démonstration. Véritéd'intuition. Cette définition générale peut s'appliquer aux différents types d'intuition. En effet que ce soit en théologie, en philosophie, en psychanalyse, ou en psychologie, l'intuition comme processus de pensée, a toujours étédéfinie et intégrée comme méthode heuristique.

1.1 L'intuition philosophique

Rien n'est plus vertueux pour l'homme que d'étendre sa connaissance dans le but de comprendre les lois qui le déterminent. Ces lois selon les présocratiques ne peuvent être atteintes que par la contemplation de la loi divine, c'est à dire l'Un qui se dissimule dans le multiple: Ceux qui parlent avec intelligence doivent s'appuyer sur l'intelligence commune à tous, comme une citésur la loi, et même beaucoup plus fort. Car toutes les lois humaines sont nourries par une seule divine, qui domine autant qu'elle le veut, qui suffit à tout et vient à bout de tout. (Héraclite,Vème siècle av. J-C, Fragment 114).

Pour Platon, seule l'intuition élève l'homme vers la connaissance de la vérité(Vanhoutte, 1949). Elle est un aperçu du monde des Formes, des réalités intelligibles et immuables. Cette intuition n'existerait que dans l'âme, et permettrait d'atteindre les réalités universelles et immuables que sont le Juste, le Beau et le Bien. Ce ne serait que lorsque l'âme sera démise du corps, et donc du sensible, du temporel qu'elle pourra avoir un accès direct à ces vérités intelligibles. L'intelligence, voilée par la sensibilitédu corps, ne peut mener qu'àdes biais de raisonnement, c'est pourquoi la mort seule, permet au philosophe de contempler son âme. Privée des illusions du sensible, l'âme

sera alors capable de se souvenir d'elle-même, de contempler ce qu'elle est : Ainsi, immortelle et maintes fois
renaissante l'âme a tout vu, tant ici-bas que dans l'Hadès, et il n'est rien qu'elle n'ait appris; aussi n'y a-t-il rien

20 1 L'intuition

d'étonnant à ce que, sur la vertu et sur le reste, elle soit capable de se ressouvenir de ce qu'elle a su antérieurement ' (Platon, Vème av J.C, Ménon, p.8).

D'autre part, selon Platon, l'intuition pure ne procède pas du sensible, et relève de la contemplation, elle n'est pas une pensée logique, et ne procède pas de l'analyse. Vanhoutte (1949) nous précise que pour Platon, l'intelligence ne peut s'unir à la véritéqu'àtravers le Bien, qui est »l'objet suprême de savoir» : Il reçoit son intelligibilitépar une illumination qui ne vient pas de l'intelligence mais de la véritéelle-même, intermédiaire entre lui et l'intelligence et qui est créée par le Bien' (Vanhoutte, 1949, p.10). Pour se rapprocher de cette Idée du Bien, Platon préconise une ascèse de l'esprit qui passe par l'étude des sciences, dans le but d'atteindre une vision plus ou moins partielle de la réalité. Il est alors possible de parvenir à la connaissance des Idées et en même temps à la science pure ' par une méthode qui est défini dans le mythe du Phèdre : tout d'abord les âmes doivent s'élever vers les cieux visibles, elles doivent donc se mettre à l'étude de l'astronomie pour comprendre les lois qui régissent le mouvement des astres célestes et ainsi se rapprocher de la connaissance des âmes divines qui elles, ont une connaissance parfaite du mouvement qui les animent.

Pourtant la connaissance scientifique seule ne suffit pas, elle doit être transcendée dans le but d'arriver à la dialectique qui précède la contemplation pure des Idées. Ce changement de connaissance ne procède pas par un chemin de pensée linéaire (Vanhoutte, 1949) mais par un bond de la déduction scientifique à l'intuition. Cette idée de changement

de paradigme existe aussi dans la théorie de la connaissance scientifique qu'Einstein propose dans sa lettre àSolovine, et que nous présenterons dans la prochaine partie. Ces étapes sont aussi décrites dans La République, Platon, pédagogue, nous présente son éducation idéale. Les études supérieures commencent par l'apprentissage de

la géométrie, de l'arithmétique, l'astronomie et la science de l'harmonie car la géométrie est connaissance de ce qui est toujours (Platon, République, p.286), l'astronomie car elle force l'âme à regarder vers le haut et qu'elle la conduise d'ici-bas à celles de là-bas' (Ibid, p.288), puis arrivés à l'âge de trente ans, les meilleurs pourront être initiés à l'art de la dialectique lequel est capable en renonçant à se servir de ses yeux, d'accéder en véritéà l'être

lui même. (Ibid, p.296)

L'intuition seule mènerait à la contemplation des Idées, car attribut divin, elle est démise du sensible.

Dans les Ennéades de Plotin, l'intuition est vue comme une saisie directe de l'objet cognitif par la pensée (Lortie, 2010). Elle est une projection de la pensée sur l'objet; cette définition rejoindrait celle de Bergson pour qui l'intuition est la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable' (Bergson, 1934 ;2002, p.61), elle s'oppose à l'analyse qui est l'opération qui ramène l'objet à des éléments déjàconnus, c'est à dire communs à cet objet et à d'autres (Ibid, p.61).

L'intuition est donc un acte simple et direct tandis que l'analyse est complexe et infinie (Bergson, 1934). Pour Bergson l'intuition est le plus haut niveau cognitif humain, il est même l'aboutissement de la Nature en tant que conscience d'Elle-même. Bergson dans l'Evolution Créatrice (1907) différencie et associe trois termes : l'instinct, l'intelligence et l'intuition. Pour faire simple, l'intuition est l'enfant prodige d'une union entre instinct et intelligence. L'instinct est une facultéd'utiliser et même de construire des instruments organisés tandis que l'intelligence ~ est la facultéde fabriquer et d'employer des instruments inorganisés. (Bergson,1907, p.141). L'instinct s'appuie donc sur des propositions catégoriques tandis que l'intelligence s'appuie sur des propositions hypothétiques. Le degré

1.2 L'intuition dans l'invention scientifique 21

de conscience présent dans l'acte serait un indicateur permettant de différencier ce qui est de l'ordre de l'instinct et ce qui proviendrait de l'intelligence.

Bergson (1907) définit la conscience comme la différence arithmétique entre l'activitéréelle et l'activitévir-tuelle. Elle mesure l'écart entre la représentation et l'action. (Ibid, p.145 ) Làoùl'action réelle est la seule action possible, la conscience est alors nulle. Il n'y a pas de libertéd'agir, on est agit plus qu'on agit soi-même. L'intuition est aussi ce qui permet de saisir notre vie intérieur et la durée pure c'est à dire une succession de changements qualitatifs, qui se fondent, qui se pénètrent, sans contour précis, sans aucune tendance à s'extérioriser les uns par rapport aux autres, sans aucune parentéavec le nombre ' (Bergson, 1907, p.77). La durée englobe le présent, prolongement du passé, et idée de l'avenir. Bergson fait donc de l'intuition de la durée, le centre de sa philosophie. Toutefois, il ne décrit pas la genèse de l'intuition, le processus qui la fait émerger et les sensations qui peuvent être perçues. Certains inventeurs se sont essayés à décrire et expliquer leurs intuitions, voyons alors si leurs explications nous aident à comprendre le processus d'un point de vue phénoménologique.

1.2 L'intuition dans l'invention scientifique

L'ouvrage La valeur de la science du mathématicien Poincaré(1905) débute sur un chapitre consacréà l'intuition. Il y oppose deux types de personnalitéchez les mathématiciens : l'intuitif et le logicien. Il est

impossible d'étudier les oeuvres des plus grands mathématiciens, et même celles des petits, sans remarquer et sans distinguer deux tendances opposées, ou plutôt deux sortes d'esprits entièrement différents. Les uns sont avant tout préoccupés de la logique; à lire leurs ouvrages, on est tentéde croire qu'ils n'ont avancéque pas à pas, avec la méthode d'un Vauban qui pousse ses travaux d'approche contre une place forte, sans rien abandonner au hasard. Les autres se laissent guider par l'intuition et font du premier coup des conquêtes rapides, mais quelquefois précaires,

ainsi que de hardis cavaliers d'avant-garde. (Poincaré, 1905, p.11)

Poincaré(1905), tout comme Bergson (1907), discrimine l'intuition de la raison, non pas en faisant une hiérarchie aristotélicienne entre ces deux modes de raisonnement, et donc en plaçant la raison au dessus de l'intuition, mais au contraire, il les différencie simplement comme deux appréhensions distinctes de la réalité, deux structures d'esprit:» Les deux sortes d'esprits sont également nécessaires aux progrès de la science; les logiciens, comme les intuitifs, ont fait de grandes choses que les autres n'auraient pas pu faire» (Ibid, p.16 ). L'intuition mathématique est vue comme un processus d'accès à la connaissance différent de celui de la logique. En effet cette sorte d'intuition procèderait par bond immédiat (Einstein, 1952) alors que la logique tente d'inférer depuis l'expérience. Einstein (1952) dans sa lettre à son ami Solovine qui lui demande comment il pense en science, lui répond par un diagramme (Figure 1.1) qui articule intuition et logique dans le processus de création :

22 1 L'intuition

Figure 1.1. pris de Holton, 2004. Schéma d'Einstein pour expliquer l'intuition à son ami Solovine.

Sur ce diagramme, le E représente l'ensemble des expériences vécues, c'est la totalitédes faits empiriques. Toutefois cet ensemble d'expériences doit avoir une structure pour édifier un ordre et sortir du chaos des impressions pures. L'arc de flèche serait un bond de l'imaginaire, un bond platonicien'. Pour expliquer cet arc de flèche, Einstein écrit : A sont les axiomes d'oùnous tirons des conséquences. Psychologiquement, les A reposent sur les E. Il n'y a cependant pas de voie logique des E jusqu'aux A, mais seulement une connexion intuitive (psychologique), toujours sujette à révocation . A partir de l'inspiration présente en A s'en suit des déductions (S, S', S') établies grâce à la pensée logique apprise à l'école . Puis à partir de ces déductions, une corrélation peut être faite avec ce qui est observéet vécu en E (expériences). La logique permet de vérifier une intuition, et de la rendre accessible à tous ceux possédant le langage adéquat pour la comprendre.

Dans le chapitre 3 de Science et méthode, Poincarétente de comprendre l'invention mathématique. Il décrit une expérience intuitive qui surgit alors qu'il essayait depuis quinze jours de démontrer qu'il ne pouvait exister de fonctions fuchsiennes : Un soir, je pris du cafénoir contrairement à mon habitude; je ne pus m'endormir; les idées surgissaient en foule; je les sentais comme se heurter, jusqu'àce que deux d'entre elles s'accrochassent pour ainsi dire pour former une combinaison stable. Le matin, j'avais établi l'existence d'une classe de fonctions fuchsiennes, [...] je n'eus plus qu'àrédiger les résultats, ce qui ne me prit que quelques heures. Puis il décrit plus loin ce qu'il nomme illumination : [...]au moment oùje mettais le pied sur le marche-pied, l'idée me vint, sans que rien de mes pensées antérieures parut m'y avoir préparé, que les transformations dont j'avais fait usage pour définir les fonctions fuchsiennes sont identiques à celles de la Géométrie non-euclidienne.' Ce témoignage est riche pour celui qui souhaite comprendre le fonctionnement de l'intuition, il nous informe de son caractère immédiat, globale, et en rupture avec la chaîne associative des pensées. À travers ses observations, Poincaréidentifie un travail non-conscient

1.2 L'intuition dans l'invention scientifique 23

qui se situerait entre le commencement d'une recherche et cet »illumination subite» : Souvent, quand on travaille une question difficile, on ne fait rien de bon la première fois qu'on se met à la besogne; ensuite, on prend un repos plus ou moins long, et on s'assoit de nouveau devant sa table. Pendant la première demi-heure, on continue à ne rien trouver; puis, tout à coup, l'idée décisive se présente à l'esprit. (Poincaré, 1908, Livre 1) Poincaré(1908) définit l'intuition comme ce qui nous fait deviner des harmonies et des relations cachées ou encore comme ce qui entre en relation avec l'âme des choses plutôt qu'avec les faits bruts. Cette définition rejoint celle de la bisociation proposée par Koestler (1960) comme la mise en rapport de deux plans de r'eférence ou matrices de raisonnement

sans liaisons antérieures, dont l'union résoudra le problème jusque làinsoluble (Petitmangin,2002, p.66). Par
conséquent, l'intuition dans l'invention comprend l'ensemble du processus non-conscient décrit par Poincaréet Koestler comme la capacitéde rendre cohérent des éléments à priori distincts grâce à une loi objectivable. Wallas (1926) reprend Poincaré(1905) et caractérise l'invention en 4 phases : la préparation, l'incubation, l'illumination et la vérification. Alors que la préparation et la vérification sont des processus conscients, l'incubation et l'illumination

se passent de l'effort conscient et se rapportent en ce sens au processus même de l'intuition. Toutefois une continuitéexiste entre ces quatre phases, elles sont les étapes d'un même effort.

1.2.1 La préparation

Tout d'abord le phénomène d'intuition ne peut prendre place qu'après une période de préparation, ex nihilo nihil fit ( Holton, 2004; Poincaré, 1905). Cette période est un travail conscient qui consiste à assimiler un certain nombre de règles et à stocker en mémoire une certaine somme d'objets en rapport avec notre intérêt (mots pour l'écrivain, théorèmes et démonstrations pour le mathématicien, concepts pour le philosophe). Puis, vient l'instant oùla personne munis de tous ces outils se pose face à un problème et tente de le résoudre. Il est courant que cette première tentative de résolution se solde par un échec car l'attention aurait tendance à se fixer sur une perception biaisée du problème et de sa résolution (Moss, 2002; Sio et Ormerod, 2009). Une période entraînant un détournement de l'attention consciente sur le problème pourrait alors faciliter l'arrivée d'une nouvelle vision du problème (Smith et Blankenship, 1991). C'est d'ailleurs ce que décrit Poincarédans ses observations, le chercheur a besoin d'une rupture dans son travail pour que la solution émerge.

1.2.2 L'incubation

Arrive un moment de vide, d'échec que tout chercheurs, artistes et inventeurs un tant soit peu sérieux et volontaires connaissent à un moment ou un autre de leur vie. Ce moment bien que désagréable et souvent source de souffrances devrait être vécu comme une chance à la vue des recherches actuelles sur le phénomène d'incubation.

En effet l'incubation qui se définit comme une période entre la suspension de la résolution d'un problème et

l'apparition de l'insight (Moss, 2002) serait un processus non-conscient durant lequel des noeuds de concepts

(Bowers et al, 1990) précédemment ignorés seraient activés et accessibles à la mémoire, ainsi cette période pourrait éloigner le sujet des éléments ne permettant pas de répondre au problème (MacGregor et al., 2001).

Il y aurait donc une restructuration de la représentation mentale du problème, qui amènerait la personne à un tout nouveau type de réponses. Cette restructuration serait le plus souvent inconsciente (Sio et Ormerod, 2009). De

24 1 L'intuition

nombreuses expériences mettent en évidence le rôle positif de la période d'incubation sur la résolution de problème, ainsi lorsque la résolution d'un problème est interrompue avec une période d'incubation, l'émergence de la solution tend à être facilitée par rapport au groupe non-amorcé(Sio et Ormerod, 2009). Nous verrons dans la partie traitant de l'amorçage, ce qui pourrait expliquer ce phénomène.

Poincaré(1908) compare poétiquement le travail qui aurait lieu durant l'incubation à une rencontre fortuite entre deux atomes crochus (éléments mathématiques, idées, concepts etc.. ), Pendant une période de repos apparent et de travail inconscient, quelques-uns d'entre eux [ les atomes = les représentations mentales] sont détachés du mur et mis en mouvement. Ils sillonnent dans tous les sens l'espace, j'allais dire la pièce oùils sont enfermés, comme pourrait le faire, par exemple, une nuée de moucherons, ou, si vous pr'eférez une comparaison plus savante, comme le font les molécules gazeuses dans la théorie cinétique des gaz. Leurs chocs mutuels peuvent alors produire

des combinaisons nouvelles. (Poincaré, 1908, Chapitre 3). Le non-conscient serait plus à même de traiter les
informations dans une perspective d'ensemble, grâce à un traitement simultanépouvant catégoriser, moyenner et ainsi décider; tandis que l'esprit conscient a tendance à examiner les éléments un à un, grâce à la mémoire de travail. Pourtant loin d'être opposé, ces deux processus apparemment distincts se rencontrent dans l'insight.

1.2.3 Intuition et Insight

Il est courant de confondre insight et intuition, qui sont deux processus différents dans leur expression mais similaires tout de même. L'insight surgit après une période d'incubation durant laquelle la solution devient de plus en plus construite, évidente jusqu'àatteindre le seuil de la conscience et créer l'effet de Ahah ou d' Euréka! ~ (Bowden et al, 2005; Lieberman, 2000). Dans la littérature scientifique, l'insight se produit souvent à la suite de problèmes à résoudre, et se reconnait à son cri d'exclamation caractéristique, qui montre que la personne n'a pas procédépar pallier dans la résolution mais que la solution lui est tombédessus ~.

L'intuition relève plus de la sensation, d'un sentiment intérieur qui se traduit en anglais par le gut feeling , qu'on pourrait traduire par l'instinct, le flair, le sentir. L'intuition au contraire de l'insight n'est pas verbalement reconnue, elle relève plus de la sensation, du sentiment. Il est souvent décrit que les personnes savent quoi faire, mais ne savent pas pourquoi elles doivent agir dans cette direction. Petitmangin (2002) décrit que les personnes intuitives

vivent des pensées sans mots , »une compréhension sans parole» associée à une image '. D'autre part
l'intuition, au contraire de l'insight, ne résulte pas d'une compréhension logique mais relève plus d'une conviction intime , d'un sentiment de certitude, de cohérence, de sens. Reik nous dit : Le sentiment de vague et de confusion fait place à un sentiment de certitude. (Reik, 1948, p.309) L'intuition n'est donc pas immédiate, mais se prolonge dans la durée, elle résulte d'un enchainement de processus complexes et liés qui donne une sensation globale.

L'insight peut souvent émerger de l'intuition, c'est à dire que l'illumination (Poincaré, 1908) serait une connaissance cognitive de l'intuition, une métacognition des règles qui relient un problème à sa solution. Lieberman (2000) nous dit: L'intuition doit être distinguée de l'insight. L'insight semble être aussi reliéà un processus non-conscient, mais au contraire de l'intuition, ce n'est pas un jugement. L'insight est un processus oùsoudainement on devient conscient des relations logiques entre un problème et sa solution. Dans le cas de l'intuition, c'est seulement un jugement, une sensation, une impulsion ou un comportement. ' (Lieberman, 2000, pp.110-111). Il est courant que de l'intuition naisse l'insight (Collier et Beeman, 2012; Bowers et al, 1995; Metcalfe et Wiebe, 1987; Petitmangin,

1.3 L'intuition en psychologie 25

2002), c'est à dire que l'influence souterraine de l'intuition qui guide l'individu vers un but, soit découverte par l'individu. Lorsque le physicien Fermi posa spontanément et inconsciemment une lame de paraffine à la place d'une lame de plomb devant des neutrons incidents, il fut pris d'une intuition géniale traduite en un comportement impulsif qui fit avancer la physique nucléaire d'un bond. Holton (2004) tempère cet éclair en supposant que c'est la connaissance intime de la physique du neutron, une connaissance élaborée durant deux ans d'étude intensive et sa présence à la conférence de Solvay oùfurent discutés les publications relatives aux neutrons lents et les effets des substances hydrogénées sur les neutrons , qui assurèrent la spontanéitéde son acte. Pourtant cet acte n'était en aucun cas un insight car, non-réfléchi et raisonné. Ce fut à posteriori, lorsque Fermi comprit le génie de son geste, que la compréhension raisonnée intervint et qu'il put vérifier son intuition.

1.2.4 Vérification

Comme l'explique Einstein (1952) à son ami Solovine, la vérification est une expression de l'intuition à l'aide d'un langage partagé(mathématique, vers, prose, schéma, musique...). Le mathématicien livre son intuition dans un langage mathématique compréhensible par ses pairs, un peintre par l'agencement des couleurs et des formes, un poète par le contenu et la mélodie des mots. La vérification permet d' échapper au chaos dans le monde de l'expérience, le scientifique, le savant ou l'artiste bâtit une »image simplifiée et claire du monde» en y déplaçant le

»centre de gravitéde sa vie émotionnelle». (Einstein citépar Holton (2004)). C'est ce qui différencie d'ailleurs
l'intuition saine de l'intuition délirante (Minkowski, 1927). Les inventeurs nous ont donc livréquelques indices de la façon dont procède l'intuition grâce à leur expérience subjective. Nous pouvons retenir qu'elle s'opère dans une durée et mêle des processus conscients et non-conscients; qu'elle surgit le plus souvent sans prévenir et qu'elle résulte d'associations et d'analogies nouvelles. Les différents courants de la psychologie se sont intéressés à ce phénomène peu étudié, voyons ce qu'ils peuvent nous en dire.

1.3 L'intuition en psychologie

1.3.1 L'intuition selon la psychanalyse

Pour la psychanalyse, l'intuition est un outil à double tranchant. En effet, Freud ne portait pas l'intuition haut dans son coeur, il la comparait à la divination, ou à la voyance, termes qu'on aurait pu employer pour caractériser la psychanalyse au début du XXème siècle et dont il n'aura de cesse de se défendre. Il insistera : la vision du monde scientifique assure qu'il n'y a d'autre source de connaissance de l'univers que le travail intellectuel sur des observations soigneusement scrutées, en d'autres mots, ce que nous appelons recherche - et à cotéde cela, nulle connaissance qui soit dérivée de la révélation, l'intuition ou la divination. (Freud, 1933, p. 4758). La psychanalyse ne devait pas être assimilée à de la parapsychologie, discipline très en vogue au début du XXème siècle. D'autre part, même si Freud admet que de nombreux philosophes tels que Leibniz, Schopenhauer, ou Nietzsche aient eu des intuitions similaires aux siennes, il se défend par sa position de scientifique, Etant moins soucieux des questions d'antérioritéque de garder mon esprit libre et sans embarras, j'ai longtemps évitéde fréquenter la pensée de

26 1 L'intuition

Nietzsche, cet autre philosophe, dont les conjectures et les intuitions sont d'une si étonnante convergence avec les recherches laborieuses de la psychanalyse. (Ibid, p. 4234).

Pourtant Freud s'est toujours intéresséaux formes vacillantes de l'esprit en étudiant les rêves, mais en
s'intéressant aussi aux pressentiments et même à la télépathie. Il possède à la fois une fascination et une aversion pour ces sciences de l'occulte. Dans son article Rêve et télépathie, il voit le phénomène télépathique comme une simple information qui viendrait étayer le rêve, sans toutefois être l'essence du rêve: Le message télépathique est traitécomme un morceau du matériel destinéà la formation du rêve, comme tout autre stimulus qu'il vienne de l'extérieur ou de l'intérieur, comme un bruit gênant venant de la rue, comme une sensation insistante venant d'un organe du dormeur. (Rêve et Télépathie de Freud, citépar Turnheim, 2008, p. 5).

Denis (2009) relie l'intuition à la sensibilité, qui serait un contact sensible avec un objet mental, avec la psyché. Tout comme la pensée incidente (lapsus, actes manqués, erreurs de lecture, méprise), l'intuition serait un aperçu conscient de l'inconscient, un surgissement de l'inconscient dans la conscience. L'intuition proviendrait aussi d'une

représentation primaire, archaïque, infinie même, celle oùla pensée, l'imagerie mentale n'existait pas encore, mais le vécu s'exerçait seulement à travers la sensation. Il existerait en l'homme une infinitéde représentations possibles,

ce qui lui permettrait de ne jamais vraiment s'étonner, comme si tout l'existant était contenu potentiellement : ~ Les gens qui disent que l'homme apprend tout par l'éducation sont des imbéciles, y compris les grands philosophes qui ont soutenu cette thèse. Quelque singuliers et inattendus que soient les spectacles qui s'offrent à nos yeux, ils ne nous surprennent jamais complètement; il y a en nous un écho qui répond à toutes les impressions : ou nous avons vu cela ailleurs, ou bien toutes les combinaisons possibles des choses sont à l'avance dans notre cerveau. En les retrouvant dans ce monde passager, nous ne faisons qu'ouvrir une case de notre cerveau ou de notre âme. Comment expliquer autrement la puissance incroyable de l'imagination? (Eugène Delacroix, citépar Denis, 2009, p. 76). C'est ainsi que l'analyste peut ressentir ce qui se trame chez l'analysant, peut-être est-ce aussi par cela que l'empathie existe, qu'il est possible de ressentir totalement ce qui se joue en l'autre, tout comme il est possible de ressentir le vol d'un oiseau ou du moins de le deviner, alors même que nous n'avons pas d'ailes. C'est d'ailleurs cette qualitéde ressentir l'invisible dévoilédans la manifestation, qui fait le poète.

Lorsque Delacroix parle d'écho il fait référence à cette capacitéde vivre en soi ce qui est perçu à l'extérieur, de placer sa conscience dans ce qui est perçu. Cela rejoint la définition de l'intuition proposée par Bergson (1934) comme la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent d'inexprimable (Bergson, 1924, p.61). Ce qui est étrange, comme nous le souligne Delacroix, c'est la possibilitéde coïncider avec cet objet alors même qu'il est un étranger, et que de prime abord, rien ne nous aurait permis de croire à cette sympathie. C'est ce que peut éprouver de temps à autre l'analyste face à l'analysant, il y a une totale compréhension du symptôme et un accès au symbolique de l'analysant est possible.

Comment discriminer l'intuition de la conviction délirante, quand toutes deux viennent d'un Einfall ? Selon la théorie de l'intuition proposée par Einstein, la vérifiabilitéde l'intuition serait nécessaire, il faudrait être capable d'exprimer dans un langage partagécette sensation de l'ordre du sensible, en dehors du langage.

1.3 L'intuition en psychologie 27

Dans le cas de la paranoïa il y aurait unification des fantasmes' dans le but de les systématiser, de construire une unique réalitéenglobant l'ensemble des intuitions. Ainsi ces systèmes délirants ne reposent pas sur la réalité, mais sur la réalitépsychique de la personne qui ne s'est pas confrontée à l'épreuve de réalité(Bernat, 2002), et qui coûte que coûte souhaite mettre en sens cette insondable souffrance.

La conviction délirante se définit toujours comme une sensation de savoir sans savoir comment ', mais contrairement à l'intuition, elle serait basée sur un socle délirant. Pour autant qu'une démonstration peut se baser sur un postulat faux, un raisonnement peut tout aussi bien se construire à partir d'un incipit délirant. Comme le mentionnait Jaspers, dans les idées délirantes véritables, l'erreur réside dans le contenu, mais la pensée formelle reste tout à fait intacte ' (Jaspers, 1933,p.86). L'intuition délirante ne peut se communiquer, se partager, elle est close dans son monde, au contraire d'une intuition partageable grâce à un langage, à une logique. Notons toutefois, que la limite qui sépare l'intuition saine de celle pathologique est difficile à déceler.

1.3.2 Subtile communication

Lorsque nous communiquons, c'est tout notre être qui communique, et tel un émetteur/récepteur, il reçoit et émet différents types d'informations qui peuvent être catégorisées en deux groupes : les informations tacites et les informations implicites. La littérature considère souvent que les informations tacites sont verbales, tandis que les informations implicites se manifestent dans le champ du non-verbal. Berne (1977) nomme information tacite, tout ce qui est manifeste, tout ce que l'interlocuteur a voulu transmettre, tandis que l'implicite correspond à ce qui ne doit pas être entendu, à ce qui est sous-entendu. Par conséquent la somme d'informations disponibles dans une conversation est toujours supérieure à ce qui est communiquéintentionnellement. Sturtevant (1947) ironise [...]il

est bien rare que la communication volontaire serve à autre chose qu'àtromper, le langage a peut-être étéinvendans le seul but de mentir. ' (Sturtevant, 1947, p.48)

Les comportements non-verbaux sont les expressions faciales, les tons de la voix, le contact des yeux, la posture du corps, et la gestion de l'espace et du temps (Mehrabian, 1969; Argyle and al, 1970; Samfira et al, 2014). La fonction de ces comportements implicites seraient de donner à voir un état interne aux autres individus (Darwin, 1872; Argyle and al, 1970). Les manifestations non-verbales appartiendraient à l'inconscient tandis que le langage verbal serait conscient et permettrait un accès privilégiéà l'inconscient. Dans sa Psychopathologie de la Vie Quotidienne, Freud (1904) recense les différentes manifestations de l'inconscient dans la vie quotidienne, comme le lapsus linguae ou manus au détour d'une conversation qui trahit la pensée dissimulée de l'interlocuteur, ou encore un acte manquéqui viendrait manifester un désir inconscient. Toutes ces petites manifestations de l'inconscient font partie du langage implicite et dévoilent tout un pan psychique qui ne peut être tacite, car méconnu par l'individu lui-même dans bien des cas.

L'intuition serait ici la capacitéà synthétiser l'ensemble des informations perçues inconsciemment et consciem-

ment dans le but de conclure à une cohérence ou dissonance entre les informations tacites et implicites, et àcomprendre et anticiper l'état interne de l'interlocuteur, dans le but de réagir le plus justement possible. L'intuition relationnelle aurait en quelque sorte une fonction de survie, en inférant les comportements de l'autre et donc en

28 1 L'intuition

augmentant la sensation de maîtriser son environnement (prévenir des réactions émotionnelles à venir). Une dissonance entre les informations tacites et les informations implicites pourrait créer une perturbation émotionnelle qui entraînerait un sentiment désagréable, une sensation que l'autre n'est pas sincère (Argyle, Salter, Nicholson, Williams et Burgess, 1970). La honte que l'on peut éprouver à la suite d'un lapsus montrerait qu'une information inconsciente voire une information dissimulée en vient à être dévoilée et ce, non par l'individu lui-même mais toujours malgrélui (Freud, 1907).

1.3.3 Intuition et stéréotype

L'utilisation du jugement intuitif, spontanéet automatique, sans le soutien de la raison analytique mène souvent à des biais de jugements (Kahneman, 2003; Kahneman et Tversky, 1974). Le jugement intuitif qui se déclare souvent à la suite d'un ressenti somatique, serait souvent subjectif et en rupture avec la réalité. En effet, l'état somatique dépend en grande partie du comportement idiosyncrasique de l'individu et donc de son histoire individuelle, familiale et culturelle: Lorsque le choix d'une option X, qui conduit à une conséquence n~efaste Y, est suivi d'une punition et donc d'un état du corps déplaisant, [...] La réexposition de l'organisme à l'option X, ou l'évocation par la pensée de la conséquence aura dès lors la capacitéde réinstaurer l'état du corps déplaisant, lequel servira de rappel automatique des conséquences n~efastes et prévisibles (Damasio, 1994, p.248). Le jugement qui fait suite à cet état somatique peut alors ne pas être adaptéà la situation présente, et la connaissance intuitive d'une personne sera alors faussée et fondée sur une croyance ancienne non-adaptée.

Il est d'ailleurs courant que nos intuitions à propos de quelqu'un ne soient finalement que des jugements guidés par des stéréotypes (Kunda and al, 1996). Selon la théorie sociale cognitive, il existerait des structures implicites

de la connaissance ou schémas sociaux (Krieger, 2008), ces schémas seraient construits au cours de la vie et
contiendraient les croyances, les expériences, les connaissances de l'individu. Ainsi lorsqu'une personne veut interpréter le comportement d'une personne, ou avoir un avis global sur la personne, elle va corréler ses schémas à la perception de la situation ou d'autrui. Lorsque la personne perçue s'inscrit dans un élément du schéma, l'ensemble du schéma préexistant se réactive et donne une information globale et catégorisée de la personne. Une étude de Cuningham et al (2004) montre qu'il y aurait une activation plus importante de l'amygdale chez des sujets blancs occidentaux en réponse à la présentation de visages d'individus noirs. Lorsque le temps de présentation augmente (de 30 à 545ms), il y aurait l'intervention du cortex préfrontal qui viendrait contrôler la réponse émotionnelle.

Or en sachant que l'amygdale aurait un rôle dans la reconnaissance d'une menace externe (Becker and al, 2012; Feinstein et al, 2013), et connaissant les expériences de Tajfel (1974) sur les comportements intergroupe, on peut en conclure que cette réaction émotionnelle immédiate, automatique (< 30 ms) provoquant l'activation de

l'amygdale serait une réaction non-consciente apprise et transmise. Dans la définition du jugement intuitif proposépar Kahneman (2003), il ressort que ce type de jugement se forme automatiquement vis à vis d'un objet, et

n'est pas sous le contrôle volontaire. C'est ce que Kahneman appelle les jugements naturels '. Toutefois la nature automatique de ceux-ci peut être corrigée par un processus raisonnéet analytique (Evans, 2008; Stanovitch et Evans, 2004) qui interviendrait par l'intermédiaire du cortex préfrontal (Cuningham et al, 2004; Damasio, 1995). C'est que nous retrouvons dans l'étude précédemment citée, les structures impliquées dans la cognition sociale auraient

1.4 L'intuition à la lumière des neurosciences 29

une action sur les structures limbiques, l'amygdale dans ce cas particulier, et inhiberait le jugement automatique possiblement hérité, pour plus de tolérance, de respect et d'ouverture.

Toutefois méfions-nous des dichotomies. Depuis Aristote, il est courant de créer une dichotomie entre processus de pensée intuitif et logique. La logique serait souvent vue comme l'apanage des sociétés modernes, de la culture, tandis que l'intuition serait plutôt réservée aux sociétés dites primitives. La logique serait làpour pallier aux défauts

de l'intuition, pourtant comme nous allons le voir dans la partie suivante, il est courant que l'intuition se mêle àl'insight dans la résolution de problème, ce qui prouverait que l'intuition est indispensable à la logique tout comme la

logique est nécessaire à l'intuition dans le but de la transmettre, de la partager. Certains éléments des neurosciences semblent montrer qu'il est possible de dépasser cette ancienne dichotomie.

1.4 L'intuition à la lumière des neurosciences

1.4.1 L'intuition dans la résolution de problèmes

La résolution de problème est très utile pour étudier la sensation de savoir (Feeling of Knowing, FOK), la sensation de l'avoir sur le bout de la langue (Tip Of the Tongue state, TOT) ou encore la sensation de se rapprocher de la solution (Feeling Of Warmth, FOW). Toutes ces sensations, ces états, sont similaires à ce qu'on appelle communément l'intuition et peuvent être regroupés dans les phénomènes métacognitifs. La métacognition se définit comme une analyse ou un savoir à propos des états cognitifs et des processus en jeux (Nelson et Narrens, 1994), c'est une observation de ce qui se passe en soi.

Le FOK correspond à une sensation de savoir sans pouvoir toutefois livrer la réponse au problème posé. Le participant est toutefois en mesure de reconnaître la réponse si elle lui est présentée. Les processus métamnésiques en jeu dans le FOK sont de deux types : l'accès à une trace et l'inférence ((Nelson, Gerler, et Narens, 1984 citépar Dorfman, Kihlstrom et Shames, 1996). L'accès à la trace (trace-access) est un accès partiel à l'information stockée en mémoire.

Dans le TOT, la personne aurait la sensation de l'avoir sur le bout de la langue, elle peut d'ailleurs fournir des informations très précises sur la syntaxe, la phonologie, ou encore les synonymes du mot oublié. La sensation perçue de cet oubli est très intense et souvent désagréable (Collier et Beeman, 2012). Les sciences cognitives montrent que dans 96% des cas le mot traverse le seuil de la conscience pour devenir connu, s'en suit alors un état de détente, de plaisir (Bacon, Paire-Ficout, Izaute, 2001). Cet état de plaisir peut être attribuéà une tension résolue. Ce phénomène de tension de l'attention se retrouve dans l'incubation : tant que la personne n'a pas résolu le problème, elle serait comme sensibilisée à des représentations associées à la réponse.

Dans le test de Yaniv et Meyer (1987), des phrases, qui définissent un même mot, sont présentées au participant, qui doit alors deviner la réponse. Par exemple (tiréde Dorfman, Shames et Kihlstrom, 1996) :

Grand lumineux colorémouchoir, Couleur vive carréde soie de rouge et de tâches jaunes, portégénéralement autour du cou.

Les participants doivent donner leur sentiment de confiance vis à vis de la solution proposée, ou dire s'ils ressentent une sensation de savoir ou un Tip of the tongue s'ils ne trouvent pas de solutions. A la suite de cela une seconde

30 1 L'intuition

tâche de décision lexicale leur est proposéoùdes mots et non-mots leur sont présentés. Parmi cette liste la réponse de la tâche précédente est insérée comme amorce. Par exemple :

Dépenser, dacrire, bandana, trisfer, astéroïde, parapluie

Les participants remarquent aussitôt que bandana est la réponse de la série précédente. Même après un temps de latence entre ces deux séries, l'amorce est découverte. Selon Yaniv et Meyer (1987) la présentation du problème activerait des représentations contenues dans la mémoire sémantique qui, par association, se propagerait de proche en proche permettant d'arriver à la solution. Cette activation de champs sémantiques pourrait durer, alors même que la personne est engagée dans d'autres tâches cognitives, c'est ce qui se passerait pendant l'incubation.

L'intuition a beaucoup étéétudiée à partir de problèmes de type Remote Associates Tests (RAT) créépar Mednick en 1969 dans le but d'étudier la créativité. Pour Mednick (1962) et Koestler (1964) les personnes créatives sont celles capables de trouver des liens entre des idées oùd'autres ne verraient que des éléments disparates. Dans le test RAT, trois mots sont proposés, et le participant doit donner un quatrième mot reliéaux trois précédents. Voici un exemple de ce test, inspirépour la langue française : dîner, midi et rasage.

Ces trois mots peuvent tous trois être précédés du mot : APRÈS.

Pour mettre en évidence le rôle de l'intuition dans la résolution de problème de ce type, Bowers, Regerhr, Balthazard et Parker (1990) ont crééune variante du RAT, le Dyads of Triads (DOT) dans lequel le participant doit indiquer s'il pense la liste de mots présentée cohérente, même s'il ne trouve pas le mot faisant le lien sémantique. Les résultats montrent que les participants peuvent significativement reconnaître la cohérence d'une liste sans connaître la raison de cette cohérence. L'intuition est donc bien présente pendant la résolution de problème et plus particulièrement la phase d'incubation, qui est rappelons le, la partie la plus implicite du processus de raisonnement. Par conséquent il est difficile de dissocier l'intuition de la logique, car l'un et l'autre se complètent dans le but de résoudre certains types de problèmes.

1.4.2 Les processus cognitifs de l'intuition

Bowers et al (1990) reproduisirent les résultats du test du DOT avec un test non-verbal, le Waterloo Gestalt Closure Task similaire au principe du DOT. Deux formes sont présentées aux participants. Une d'elle possède un sens et est fragmentée selon le principe de la gestalt (forme incomplète, flou etc..) tandis que l'autre ne possède pas de cohérence. La consigne est la même que celle demandée dans le test du DOT. Les résultats sont aussi similaires, les participants peuvent reconnaître qu'il y a une cohérence sans pouvoir nommer la forme en question.

Bowers et al (1990) conclurent de ces résultats que l'intuition dans ce type de problèmes résulte d'une activation non-consciente et automatique d'un phénomène de propagation permettant de générer des associations et des analogies (Bowers et al, 1990; Bar et Neta, 2008).

Ce processus serait très similaire à celui de l'amorçage qui activerait des noeuds sémantiques et pourrait ainsi entraîner des réactions comportementales, émotionnelles, ou encore cognitives (Estes, Jones et Golonka, 2012; Gillath, Mikulincer, Birnbaum et Shaver, 2007; Spivey et Geng, 2001). À défaut d'études sur le système autonome pendant le travail non-conscient de l'incubation, il existe des données sur les rythmes du cortex cérébral ainsi qu'une topologie des régions impliquées. Le rythme alpha améliorerait l'accès aux représentations amorcées par

1.4 L'intuition à la lumière des neurosciences 31

le problème, et pourrait réduire l'accès aux informations inutiles, grâce à un état mental en alerte mais pourtant relâché(Haarmann, George, Smaliy, et Dien, 2012). Lieberman (2000) relie l'intuition à l'apprentissage implicite, et propose par conséquent une implication des ganglions de la base. Une étude plus récente de Ilg et ses collaborateurs (2007) montre une implication du lobe temporal droit qui serait impliquédans l'activation de champs sémantiques larges permettant l'intégration d'informations plus ou moins distantes. Une partie plus conséquente sera consacrée dans la suite de ce mémoire à la biologie de l'intuition.

Dans le phénomène de prédiction et d'anticipation, les recherches de Bar (2007) montrent que l'analogie et l'association joueraient un rôle important dans la construction de la réalitéet seraient impliquées dans le processus d'intuition. L'intuition pourrait donc être définie comme une fonction essentielle destinée à maîtriser son environnement en l'anticipant.

2

L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?

2.1 Une fonction d'anticipation

2.1.1 Le cerveau prédictif

Dans la définition de l'intuition nous retrouvons un aspect qui n'a pas encore ététraité: celui du pressentiment, de l'anticipation, comme lorsqu'on dit »j'ai l'intuition que cela va arriver» ou à posteriori, »j'avais l'intuition que...». Curieusement, l'anticipation est une fonction commune et naturelle, elle nous permet de nous adapter constamment à la réalitéen même temps que d'adapter la réalitéà nos expériences passées. Le travail conséquent

sur l'anticipation de Bar (2007) montre que le cerveau générerait continuellement des prédictions sur des situations àvenir en fonction des souvenirs, des expériences passées, des connaissances et des associations, plutôt que d'attendre

passivement les stimuli sensoriels. Ceci permettrait d'économiser les efforts (automatisation des actions), de

faciliter les interactions avec l'environnement et d'augmenter les chances de survie (Kveraga, Ghuman et Bar, 2007, p. 1).

Le modèle que propose Bar (2009) suppose que la perception d'un objet entraîne immédiatement l'émergence d'analogies, qui elles-mêmes impliquent des associations et finalement une prédiction. Les analogies peuvent être générées à partir de différents niveaux perceptifs, conceptuels, sémantiques, fonctionnels etc. Bar (2004) montre qu'il est possible d'extraire des informations à partir d'images générées en basse fréquence. Ce type d'image se projetterait des aires visuelles basses vers le cortex orbitofrontal (COF). Le COF activerait ensuite les représentations mentales correspondantes à cet objet dans le but de l'identifier rapidement et sans trop d'effort. Bar (2009) suppose que le cerveau génèrerait continuellement des prédictions de l'environnement, ce que ses travaux (Bar et al, 2007) basés sur la neuroimagerie tendent à démontrer : l'activitéde base du cerveau impliquerait les régions corticales enrôlées dans les processus associatifs. La mémoire serait alors encodée par association. La proposition de Bar (2009) sur la mémoire associative rejoint les théories connexionniste (résuméde Victori, 1995) pour qui les représentations seraient liées les unes aux autres. Telle une toile d'araignée, chaque n ?ud représenterait un concept associéà une multitude d'autres. Par conséquent l'activation d'un n ?ud via la perception ou l'imagination, activerait par cascade une suite d'autres n ?uds. Toutefois on ne peut soustraire la particularitésingulière de chaque mémoire, de chaque structure subjective. Par conséquent, en fonction de nos expériences passées, de nos préférences, de nos domaines d'expertise, il est probable selon ce modèle, que des poids de connexions soient attribuées à chaque association. Essayons de comprendre à l'aide d'un exemple simple : si le mot »étoile» est présentéà un astronome aguerri, il

34 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?

est fort probable que les images mentales, les mots représentés seront de l'ordre de son intérêt premier, on peut aisément s'imaginer qu'il pensera à des mots comme plasma, naine jaune, Soleil, géante rouge, hydrogène etc.. Mais si ce même astronome est parti la veille de notre entretien, en escapade amoureuse avec sa tendre et que pendant leur dîner en tête à tête, une imposante météorite perça l'atmosphère créant une magnifique étoile filante et de ce fait, immortalisa leur dîner, il se peut que la première image qui lui revienne soit celle de sa compagne et des chandelles. Cet exemple montre toute la complexitéde cette toile mnésique qui n'est pas fixe mais constamment changeante et il est fort probable que les émotions associées aux représentations impact fortement sur le processus de récupération et d'oubli.

Selon certaines théories, ces prédictions cognitives proviendraient des capacités de calculs statistiques de notre

cerveau. Ainsi notre cerveau pourrait être comparer à une machine Bayésienne, qui permettrait d'inférer la réalitéà partir de données sensorielles plus ou moins fragmentées et de choisir automatiquement, non-consciemment, les représentations les plus pertinentes dans la situations présentes, en rapport à toutes les expériences précédentes.

2.1.2 Le cerveau bayésien

Parce que notre perception de l'environnement est incertaine (Helmotz, 1866), le cerveau inférerait la perception à partir de nos expériences antérieures. Selon le modèle bayésien probabiliste, le cerveau effectuerait une série de calculs dans le but d'interpréter de façon optimale l'environnement et vérifierait ainsi des hypothèses à partir de données antérieurs, selon la règle de Bayes suivante :

P(donn'ees|hypoth`ese)P(hypoth`ese)

P(hypoth`ese|donn'ees) = P(donn'ees)

L'équation P(hypothèse|données) mesure la compatibilitédes données recueillies avec l'hypothèse proposée. P(hypothèse) correspond à la probabilitéque l'hypothèse soit vérifiée à priori, elle est appelée distribution de probabilitéà priori. Le terme P(données) est normatif, il correspond à la probabilitéque les données se réalisent et permet que P(hypothèse | données) soit compris entre 0 et 1.

Si nous imaginons un conducteur sur une route de campagne, qui face à un obstacle doit freiner d'urgence, il pourrait être possible d'utiliser le modèle bayésien avec des données multimodales. Simplifions les données environnementales à la perception visuelle de l'obstacle (V) et à la perception auditive du cri du passager (A). L'hypothèse serait qu'un accident se produise (W) et la décision serait alors de freiner rapidement.

P (V, A|W )P (W )

P (W |V, A) = P(V,A)

Dans ce cas précis P(W|V,A) correspond à la distribution de probabilitéà postériori qu'un accident survienne lorsqu'un obstacle se trouve sur la route et que mon passager hurle de peur. La fonction de vraisemblance P(V,A|W)

indique quelle serait la probabilitéque V et A se produisent si un accident survenait. Tandis que P(W) correspond àla distribution à priori, qu'un accident survienne sur notre route de campagne. Elle se base donc sur nos expériences

antérieures.

D'autre part notre cerveau pourrait aussi évaluer la probabilitéqu'un obstacle soit sur la route, et qu'un cri se produise au même moment, pour inférer un accident ou au moins un danger imminent, même si ces deux éléments sont indépendants.

2.1 Une fonction d'anticipation 35

C'est à dire que :

P(V,A|W) = P(V |W)P(A|W)

Ce modèle peut s'appliquer à la théorie prédictive pour qui le cerveau prédit constamment la réalité. Schultz (2000) montre que des populations de neurones à dopamine, norepinephrine, ainsi que des neurones des noyaux de la base sont sensibles aux erreurs de prédiction. C'est à dire que lorsqu'une récompense ou une punition est attendue et qu'elle ne survient pas, on constate un signal qui code pour cette erreur de prédiction (différence entre

ce qui est attendu et ce qui arrive). La Mismatch Negativity (MNN) correspondrait aussi à un signal en réponse àune erreur de prédiction. Un élément »déviant» (oddballs) qui est insérédans une série d'éléments répétés produit

une réponse qui peut être enregistrée comme un potentiel évoquénégatif survenant entre 100 et 200 ms après le changement au niveau des régions frontales (Garrido, Kilner, Kiebel et Friston, 2009). De même, le phénomène de répétition-suppression montre une diminution de l'activitécérébrale lorsqu'une image est répétée plusieurs fois (Naccache et Dehaene, 2001). Les signaux sensoriels reçus par le cortex seraient des signaux desquels on a soustrait ce qui pouvait être prédit, seule l'erreur de prédiction serait traitée. Cette façon de procéder, permettrait de gagner du temps, ainsi avant même que l'information ne survienne nous aurions déjàune construction de la réalitéen mémoire, ce qui permettrait de filtrer les entrées sensorielles et de restaurer les entrées manquantes (nous clignons des yeux plusieurs milliers de fois par jour, pourtant il est rare que notre image visuelle en soit perturbée), ceci aurait aussi un avantage en terme d'énergie : seul ce qui n'est pas prévisible est transmis. D'autre part, si le modèle prédictif tient compte de la plasticitédes connexions synaptiques, il serait probable qu'il se modifie sans cesse sous le poids des nouveaux signaux d'erreurs.

Dans le cas de notre conducteur, la probabilitéde voir un obstacle sur la route, et la probabilitéque le passager hurle de peur, sont assez faibles, par conséquent cela conduira à une augmentation de l'activitécérébrale. Ainsi pour éviter cet obstacle et donc obtenir la récompense de ne pas être blessé, le conducteur devra agir de façon rapide et précise. Nous pouvons imaginer que cette augmentation de l'activitécérébrale face à un évènement imprévu entraîne une augmentation des perceptions, de l'attention, et une promptitude à réagir. Il se peut comme le propose Friston (2005) que ce modèle puisse s'élargir à l'ensemble du vivant dans le but de maintenir un minimum d'entropie dans un environnement constamment changeant. Il est ainsi possible de parler de dissonance entre ce qui est attendu et ce qui est perçu. Cette différence ou erreur de prédiction est alors immédiatement traitée et entraînerait une augmentation de l'activitécérébrale.

Ce modèle pourrait s'appliquer à l'intuition dans le cas de la communication et plus largement dans le cas d'une dissonance quelconque. Ainsi lorsque deux interlocuteurs communiquent, des signaux verbaux et non-verbaux sont émis et reçus. Chacun de ces interlocuteurs attend de l'autre une réponse plus ou moins précise et tente ainsi d'inférer un comportement. Cela viendrait du fait que nous tentons de minimiser la surprise dans notre environnement (Brown and Br·un, 2012) et ainsi maximiser nos chances d'adaptation, de décisions et plus largement de survie (Friston,

2005). D'une certaine façon, nous pouvons dire que nous tentons à chaque moment de la conversation de prédire àl'avance le dialogue que nous allons avoir et les répliques que nous allons donner car chaque type de conversation

correspondrait à un modèle que nous avons en mémoire. De la même façon, l'intuition nous permettrait d'agir dans un environnement constamment changeant sur la base de nos expériences passées et de nos connaissances. La

36 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?

présence d'indices perçus consciemment ou non-consciemment dans l'environnement, nous permettrait d'anticiper de façon probabiliste, les différentes scènes de l'environnement selon des scénarii déjàengrammés dans la mémoire àlong terme. L'anticipation serait une fonction du vivant liée à l'adaptation et à la volontéde vivre. Une espèce capable

de prévoir le comportement d'un prédateur pourra plus facilement lui échapper. De la même façon, les humains mobilisent toute leur intelligence pour prévoir les catastrophes naturelles, les maladies, ou encore les guerres ou

crises économiques afin d'y faire face et de se sauvegarder en tant qu'espèce. L'intuition permettrait donc face àune série d'indices provenant de l'environnement de créer du lien dans le but de minimiser la surprise et maximiser

la prédiction. De la même façon et à la lumière des éléments précédents, nous pourrions supposer que le mécanisme de l'anticipation entraîne une suractivation de l'attention pour les représentations activées en interne, dans le but de créer du sens dans l'environnement réel. Je cherche dans le monde externe, ce que je crois qu'il devrait arriver. Ainsi ce qui se joue sur la scène psychique (la croyance) doit trouver écho sur la scène externe (familiarisation) afin d'être validéet accepté.

Nous retrouvons dans la théorie de Friston (2015) qui sera présentéci-après, une référence à la mathématique du chaos que nous introduirons avant la présentation de sa théorie.

2.2 Une fonction sociale

2.2.1 La synchronisation généralisée

Un système en physique est défini comme un ensemble d'éléments interagissant entre eux selon certaines règles. Il peut être ferméou ouvert, et est analyséen rapport à son environnement.

Il existe trois sortes de systèmes : aléatoires, déterministes et chaotiques. Les systèmes aléatoires évoluent au hasard sans qu'aucune équation ne les régisse, les systèmes déterministes sont déterminés par des lois mathématiques connues et sont donc prévisibles. Les systèmes chaotiques sont infiniment complexes, et nous pouvons dire qu'ils sont à la fois déterministes et aléatoires. Un système est dit chaotique s'il est régi par des lois déterministes connues mais que son évolution échappe tout de même à toute prévision sur le long terme. Ainsi même le mouvement de la Terre à l'échelle de l'Univers et non pas du seul système solaire décrit un mouvement chaotique; la fumée d'une cigarette s'élevant des les airs et formant une figure bien étrange peut aussi être considérée comme un système chaotique.

Nous ne rentrerons pas dans les détails, mais il semble que ces systèmes soient attirés par une figure géométrique nommée »attracteur étrange» ou »attracteur de Lorenz», (figure 2.1) qui est une structure fractale non périodique, souvent représentée comme suit :

2.2 Une fonction sociale 37

Figure 2.1. Attracteurs étranges, pris du site accromath.uqam.

Le fait de considérer un système comme chaotique, peut intéresser les psychologues, en ce sens, que toute psychéhumaine pourrait être représentée comme un système complexe. En effet, à l'inverse des théories déterministes

qui supposent qu'en connaissant toutes les informations d'une condition initiale, il serait possible de prédire son évolution, les théories chaotiques supposent qu'un système sensible aux conditions initiales ne peut être prédit, car chaque nouvelle information sera susceptible de changer le cours de son évolution. Le modèle n'est donc jamais stable.

C'est de cette théorie que provient l'idée populaire qu'un battement d'aile de papillon au Japon pourrait produire une tornade à New-York. C'est le fameux effet papillon. Il n'est pas utile pour notre propos d'étudier plus en avant cette théorie, ce que nous retiendrons ici est le terme de complexité. C'est à dire que le comportement humain peut être comparéà un système complexe non-déterministe. Pourtant à travers cette complexitéet cette instabilité, nous devons naviguer, et construire une forme de stabilité, même illusoire, de la réalité, et de l'autre qui nous fait face.

C'est pourquoi selon Friston et Frith (2015), nous inférerions en permanence le comportement d'autrui, et ce dans le but de maximiser la capacitéprédictive de notre modèle bayésien et ainsi, minimiser l'effet de surprise. Dans leur expérience, Friston et Frith (2015) ont modélisédeux »cerveaux bayésiens» qui tentent de se prédire mutuellement, d'anticiper les réactions d'autrui (figure 2.2). Leur étude montre que deux cerveaux qui tentent de se prédire, se règlent l'un sur l'autre et accèdent ainsi à un état général synchrone (generalized synchronisation). Nous pourrions comparer ces deux cerveaux aux deux pendules de Huygens (1673). En 1665, Huygens observa la synchronisation de deux pendules placés côte à côte. Il interpréta ce phénomène intuitivement, en le nommant sympathie : d'imperceptibles mouvements se transmettraient entre les pendules. De la même façon, deux personnes synchronisées seraient deux personnes partageant la même scène narrative. Il y aurait donc l'introduction d'un tiers faisant office de lien entre deux personnes étrangères et imprévisibles l'une de l'autre.

38 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?

Figure 2.2. Synchronisation généralisée (pris de Friston et Frith, 2015)

Friston et Frith (2015) supposent alors qu'une telle synchronisation entre deux personnes ne peut avoir lieu que si elles partagent le même modèle générateur. Nous pourrions dire que ce modèle commun fonctionne comme un tiers faisant office de lien au réel, et regroupant ainsi les mythes, les croyances partagées par l'ensemble des êtres humains : ceci se rapproche de l'inconscient collectif de Jung. D'une façon plus générale, nous pourrions dire que le langage fait office de tiers dans la relation à l'autre, et permet de part la structure langagière (logique) partagée par tous, de se synchroniser à l'autre et de partager la même scène narrative, le même lieu de pensées.

Quel que soit le domaine d'expertise de l'auteur (philosophie, psychanalyse, physique, psychologie cognitive), la notion de sympathie est utilisée quand il s'agit de d'intuition ou d'anticipation, et dans un sens plus large de la notion de résonnance (Denis, 2003).

2.2.2 L'empathie émotionnelle : une catégorie de l'intuition

Liebermann (2009) définit l'empathie émotionnelle comme un processus automatique, non-conscient oùla personne ressent les émotions d'autrui à partir de représentations mentales communes (Liebermann et Ramson, 2009, p. 3). Cette définition se rapproche du modèle de Friston (2015) présentédans la partie précédente, qui suppose un générateur commun permettant à deux interlocuteurs de rentrer dans une forme de synchronisation.

L'empathie pourrait aussi être assimilée à une capacitésomatique de deviner ce qui se dissimule derrière les mots. Tout comme l'intuition, l'empathie s'incarne dans le corps, dans la sensation pour ensuite mener à une réflexion (morale/éthique) et/ou à une action/décision. Nous pourrions reprendre les termes de Freud (1913), et renommer l'empathie, »empathie intuitive» (intuitive Einfuhlung) afin de mieux souligner le rôle de l'intuition dans l'empathie. L'intuition n'est pas que de l'empathie, mais l'empathie a besoin de l'intuition pour exister, c'est à dire de cette capacité»de voir au travers», de résonner, de se synchroniser avec l'autre, avec ce qui est en-dehors du Moi, c'est à dire l'autre.

Pourtant certaines études tendent à montrer qu'il est plus difficile d'être empathique lorsque nous ne partageons pas la même représentation qu'autrui. Ainsi les patients qui souffrent d'alexithymie ont plus de difficultés à décrire l'expérience émotionnelle d'autrui dans certaines situations (Bydlowski et al, 2005 citépar Liebermann, 2009).

D'autres études citées par le même auteur, vont dans ce sens, et montreraient que les patients alexithymiques sont incapables de se mettre à la place d'autrui. Sifneos (1973) définit l'alexithymie comme un déficit de l'affect

2.2 Une fonction sociale 39

~ une vie fantasmatique pauvre avec comme résultat une forme de pensée utilitaire, une tendance à utiliser l'action pour éviter les conflits et les situations stressantes, une restriction marquée dans l'expression des émotions et

particulièrement une difficultéà trouver les mots pour décrire ses sentiments , et une inhabilitéà pouvoir
faire des connexions entre les émotions et les idées, les pensées, les fantasmes, qui en général les accompagnent
~. Les patients alexithymiques sont surtout incapables de se relier à leurs émotions, ce qui par une absence de représentations internes et élaborées, les empêcheraient par la même, de ressentir les émotions d'autrui.

Il y aurait alors une incapacitéà traduire les signaux somatiques de l'émotion (tachycardie, bouffées de chaleur, tremblements) vers un niveau subjectif et à les élaborer en émotions (joie, tristesse, peur...). La personne souffrant d'alexithymie est empêchée de s'emparer de ses émotions et de les élaborer grâce au langage (c'est à dire de subjectiviser l'objet somatique).

L'intuition semble aussi fonctionner sur ce modèle : les informations de l'environnement sont perçues au niveau somatique pour être ensuite élaborées, interprétées et ainsi subjectivisées par l'individu. Le langage possède ici une

valeur principielle qui permet de structurer et matérialiser l'intuition ressentie et ainsi le rendre interprétable àl'autre. Il y a une prise de position subjective, qui donne ainsi corps à l'intuition. Nous retrouvons ce terme de

»prise de position», dans la définition que donne Freud (1921) de l'empathie : Partant de l'identification une

voie mène, par l'imitation, à l'empathie, c'est-à-dire à la compréhension du mécanisme qui nous rend possible toute prise de position à l'égard d'une vie d'âme. (citépar Widlöcher, 2013, p. 2)

Par conséquent, nous retiendrons que l'empathie peut être considérée comme une fonction de l'intuition sociale, c'est à dire comme capacitéde ressentir ce que l'autre vit dans toute sa personne, dans le but d'y répondre de façon adaptée. Si je ne peux ressentir la colère d'autrui, comment pourrais-je l'éviter/l'amoindrir? Si un ami ne peut me faire ressentir sa tristesse, comment pourrais-je savoir son besoin de consolation? Cette capacitéserait nécessaire à la vie en groupe, et permettrait la régulation, l'homéostasie des émotions individuels, dans le but de parvenir à un certain équilibre au sein du groupe, et de ce fait, à être plus à même de se tourner vers l'extérieur, et d'éviter/résoudre les conflits internes.

2.2.3 Intuition sociale et apprentissage implicite

Dans les parties précédentes, nous avons montréque le principe de l'intuition est présent dans de nombreux processus nécessaires à notre vie quotidienne. En effet, cette capacitéest présente dans la communication, dans la résolution de problème, dans la prise de décision, dans le jugement et même dans la perception (Bar, 2007 et Bar, 2009). Cette possibilitéattribuée à l'Homme, aurait donc un rôle majeur dans notre existence et serait même indispensable à la vie sociale (Liebermann, 2000; Frith et Libermann, 2009; Friston, 2015).

Les thèses actuelles présentent l'intuition comme une capaciténon-consciente, rapide, et holistique, basée sur une capacitéstatistique naturelle, et un apprentissage implicite menant vers une autonomisation de la fonction (Kahneman, 2003; Liebermann, 2000). Par conséquent, nous pourrions penser qu'une personne experte dans un domaine, c'est à dire une personne possédant des réflexes rapides et automatisés à propos d'un domaine, aurait naturellement plus d'intuition qu'un novice dans ce même domaine.

Toutefois, deux points de vue s'opposent sur la question du lien entre intuition et expertise. Selon Kahneman (2011), être expert dans un domaine ne réduirait pas les biais de jugements. Avoir des années de pratique en

40 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?

psychologie ou en médecine ne permettrait pas de réduire les erreurs de diagnostique (Camerer et Johnson, 1991). En finance non plus, l'expertise n'est pas le gage d'une meilleure prédiction des stocks, elle tendrait seulement àaccroitre la confiance dans son jugement (Zaleskiewicz, 2011).

D'un autre côté, les expériences menées sur les joueurs d'échec montrent que le niveau d'expertise incrimine fortement sur la capacitéde jeu, sur la rapiditéet la mémorisation immédiate (Chase et Simon, 1973). Lors d'une expérience oùle but est de reproduire un échiquier de mémoire après une unique présentation de 5 secondes, les experts ont plus de facilitéque les novices à reproduire l'ordre du jeu, mais seulement si les pièces sont disposés selon un ordre cohérent avec les règles du jeu. Dans le cas oùles pièces auraient étédisposées aléatoirement, la performance de mémorisation serait la même d'un groupe à l'autre (Chase et Simon, 1973). Dans une étude similaire plus récente, des joueurs d'échec experts, au contraire des novices, sont capables de juger inconsciemment si une partie est échec ou non d'après la présentation d'une amorce masquée (donc perçue non-consciemment) censée influencer positivement leur décision. Les joueurs experts auraient donc développéune forme de réflexe basésur une mémoire composée de milliers de combinaisons différentes. Cette capacitéde reconnaissance immédiate serait d'ailleurs accentuée par le fait que dans l'expérience citée, le roi est menacédirectement, donc lors d'une situation alarmante pour un joueur d'échec. D'autre part l'effet du masquage ne semble pas avoir d'effet sur les joueurs experts si les combinaisons masqués n'ont pas de sens (Kiesel, Kunde, Pohl, Berner et Hoffmann, 2009). Cette mémorisation est bien plus qu'un simple stockage d'information, elle est une véritable construction mentale qui se jouerait non-consciemment. La décision se jouerait alors à un niveau non-conscient, et ce, en fonction que le masque corrèle avec les données mémorisées du joueur d'échec ou non. Nous pourrions alors faire l'hypothèse qu'il y aurait une mise ou non en harmonie entre ce qui se trouve à l'extérieur (le masque) et ce qui se trouve à l'intérieur (données mémorisées), et ce serait cette congruence ou non-congruence qui déterminera la réaction appropriée. Il aurait étéintéressant de coupler cette expérience avec des mesures physiologiques, dans le but de détecter ou non des marqueurs somatiques.

L'intuition se trouverait donc à la lisière de ces deux mondes et permettraient le lien, la communication entre ces deux sources d'informations. Il se pourrait d'ailleurs qu'elle soit le lien lui-même.

L'apprentissage implicite qui se définit comme : l'acquisition de connaissances de façon non-consciente et
en l'absence d'une connaissance explicite à propos de ce qui est requis. L'apprentissage implicite est un processus

primaire fondamental, qui est à l'origine des comportements adaptifs des organismes complexes (Reber, 1993
citépar Lieberman, 2000 p. 4). L'apprentissage implicite serait donc l'internalisation non-consciente de règles et la capacitéde les utiliser en réponse à un problème, sans pouvoir toutefois expliquer logiquement la loi utilisée.

Pour illustrer notre propos, Liebermann (2000) cite l'expérience de Lewicki (1986), dans laquelle les participants devaient juger de la personnalitéde personnes représentées sur des photos. Lewicki créa une subtile corrélation entre la longueur des cheveux et un trait de personnalité. Pendant l'expérimentation, les participants utilisèrent significativement cette information de covariance pour juger de la personnalitédes personnes présentées. Or, lorsque les expérimentateurs leur demandaient sur quoi ils basèrent leur jugement, les participants répondaient généralement sur les yeux, mais à aucun moment ils n'avaient vu le lien qui unissait ce trait de caractère à la longueur des cheveux. Nous pourrions dire, qu'ils ont utiliséune loi malgréeux et donc, que l'apprentissage implicite ici, est une forme d'influence. Toutefois, nous pourrions nuancer ce propos, en proposant qu'il existe chez l'Homme une fonction

2.3 L'intuition à la lumière de la neuro-imagerie 41

non-consciente capable de reconnaître des patterns, des schémas, des liens, des analogies entre toutes choses. Ce serait finalement, l'associativitéqui serait ici derrière le phénomène de l'apprentissage implicite. C'est à dire la reconnaissance implicite d'un lien entre des objets (perceptifs ou idéels) et grâce à cela, une capacitéde catégoriser le monde selon des classes toutes liées entre elles. Ne serait-ce pas d'ailleurs la capacitéde créer des liens, du sens donc, qu'on appellerait intelligence? Toutefois, la capacitéde créer des liens fait aussi partie des instincts que l'on retrouve chez les animaux ((biche)//forme/odeur/mouvement du lion = danger = fuir), pourtant cette création de liens semble rigide et sélective (instincts) au contraire de celle de l'homme qui, conscientisée, peut se permettre de créer des liens entre le Camembert et Jésus comme Dali sut le faire en 1961 quand on l'interrogea sur les montres molles lors d'une interview (INA, 1961) :

~ Les montres molles sont comme du fromage, et surtout comme le camembert quand il est tout à fait à point, c'est à dire qui a la tendance de commencer à dégouliner. Et alors, mais quel rapport entre le fromage et le mysticisme? Alors Dal'ý a répondu une chose sublime, il a dit : Parce que Jésus, c'est du fromage '. Alors làil y a eu un certain malaise de la part des jésuites, mais comme je suis très jésuitique moi-même, je savais déjàque cette chose c'était saint Augustin qui l'avait dite avant Dal'ý. Et alors je leur ai citéun psaume de la Bible dans lequel on parle de Jésus en le comparant à une montagne. C'est très long et ça commence en disant : montus, quamdatus, montus termentatus, montus... , enfin. C'est une série de montagnes toutes lesquelles ont les attributs et les vertus caractérisées et ammoniacales du fromage. Et rien d'autre que saint Augustin, il dit, il écrit textuellement que ce passage il faut l'interpréter que Jésus ce n'est pas une montagne de fromage mais c'est des montagnes, des montagnes et des montagnes de fromage. Et naturellement si c'était Dal'ý tout seul qui aurait dit que Jésus c'était du fromage, mais si c'est saint Augustin, alors tout le monde est forcéde dire que quand même, c'est pas aussi fou ni aussi paranoïaque que ça. ~

Nous remarquerons que cette analogie n'est possible que grâce à l'abstraction du langage et à la déliaison effective qui peut exister entre représentations d'objets et représentations de mots (Freud, 1891), ce que les animaux ne sont pas capables de réaliser, d'oùune absence de choix dans leurs instincts. L'intuition suppose le choix et la liberté, tandis que l'instinct suppose l'acte et la rigidité.

L'intuition dépendrait donc des structures cérébrales impliquées dans l'apprentissage implicite, dans l'antici-pation, dans l'inférence émotionnelle/comportementale d'autrui et de soi-même, dans l'élaboration des marqueurs somatiques ainsi que dans les structures impliquées dans la prise de décision.

2.3 L'intuition à la lumière de la neuro-imagerie

2.3.1 Les ganglions de la base

Il semblerait que les ganglions de la base (noyaux gris centraux) situés à la base du cerveau, soient impliqués dans l'apprentissage implicite (Liebermann, 2000). En effet certaines études montreraient qu'ils sont associés àl'apprentissage de séquences et de relations probabilistes non accessibles à la conscience (Rauch et al., 1995 citépar Liebermann, 2000).

42 2 L'intuition une fonction essentielle à l'Homme?

Les ganglions de la base sont constitués de quatre parties principales : le striatum, le pallidum, le noyau sub-thalamique, et la substance noire (pars compacta et pars reticulata). Le striatum contient deux noyaux - le noyaux caudéet le putamen - et reçoit des informations (inputs) de la plupart des aires corticales ainsi que du système limbique. Il existe deux territoires fonctionnels dans le striatum selon les aires afférentes : le territoire somatomoteur et le territoire associatif (Pidoux, 2011).

Il existerait cinq circuits qui impliquent les noyaux gris centraux et les voix thalamo-corticales (Figure 2.3). Chaque circuit agit en parallèle, est indépendant et assure un rôle spécifique - moteur, associatif, ou limbique. Ils sont tous constitués de boucles cortico-striato-pallido-thalamo-corticales reliant des aires corticales à des territoires des ganglions de la base. Ainsi chacun de ces circuits débutent dans des sites du cortex, converge vers le striatum, traverse le pallidum, le thalamus, et retourne vers une aire corticale afférente. Il se pourrait que ces circuits soient indépendants les uns des autres.

Figure 2.3. Circuits des noyaux gris centraux (pris dans le cours de physiologie Noyaux Gris Centraux du Dr Bernard

Pidoux

L'ensemble de ces circuits (oculomoteur, préfrontal dorsolatéral, orbitofrontal latéral, et cingulaire antérieur) révèlerait que les ganglions de la base sont des acteurs privilégiés dans l'influence de l'attention, la cognition, l'émotion, et le comportement. Il se pourrait que le circuit orbitofrontal latéral, qui implique la partie ventromédiane du noyau caudé, le pallidum et la substance noire reticulata ainsi que le thalamus qui projette en retour sur le cortex orbitofrontal, joue un rôle dans l'empathie et plus généralement sur les réponses appropriées aux stimuli sociaux ~ (Pidoux, 2011).

Il se pourrait que la maladie d'Huntington et la maladie de Parkinson soient de bons modèles du fonctionnement des ganglions de la base (Liebermann, 2000; Pidoux, 2011). Certaines expériences mettent en évidence que la

2.3 L'intuition à la lumière de la neuro-imagerie 43

mémoire procédurale, c'est à dire la mémoire non-consciente, automatique et à la base de l'apprentissage implicite, est impactée dans ces deux maladies, contrairement à la mémoire de travail qui semble stable (Martone, Butters, Payne, Becker, et Sax, 1984 citépar Liebermann, 2000, p.11).

De plus, de nombreuses études suggèrent que les ganglions de la base seraient impliqués dans la compréhension de la communication non-verbale. Comme le mentionne Liebermann dans sa review de 2000, les patients avec une lésion au niveau des ganglions de la base, ont des difficultés à produire des mouvements non-verbaux tels que des

expressions faciales spontanées, ou des prosodies émotionnelles; ils ont aussi plus de difficultés, en comparaison àdes patients sans lésion, à décoder les expressions non verbales faciales.

2.3.2 Les neurones miroirs

Certaines recherches montreraient que les neurones miroirs seraient impliqués dans l'expérience d'empathie. Ces neurones découverts dans les années 1990's dans le cortex prémoteur ventral du singe macaque (Rizzolati et al, 1996), mais aussi chez l'oiseau lorsqu'un des congénères écoute l'oiseau chantant (Prather, Peters, Nowicki et Mooney, 2008). Ces neurones existeraient aussi chez l'humain, au niveau du cortex frontal inférieur et du cortex pariétal (Rizzolatti et al., 1996). C'est ainsi que certaines recherchent mettent en évidence le rôle de ces neurones miroirs dans l'empathie (Decety et Jackson, 2004; Gallese et Goldman, 1998; Preston et De Wahl, 2002) et particulièrement dans la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles qui activent les neurones miroirs ainsi que les régions du système limbique.

D'autre part, le fait d'observer la douleur chez quelqu'un, pourrait activer les régions corticales associées àune composante affective de la douleur (non-sensorielles), et activerait l'insula antérieure et le cortex cingulaire

antérieur, qui seraient tous deux impliqués dans l'éprouvéd'une détresse dûà une douleur physique (Morrison, Lloyd, di Pellegrino, et Roberts, 2004; Singer et al., 2004).

2.3.3 Le cortex ventromédian préfrontal

Toutefois, des travaux plus récents remettent en cause la théorie simpliste des neurones miroirs dans l'empathie. Ainsi, même s'il existerait un degréde recouvrement entre les régions cérébrales activées lors de la sensation douloureuse éprouvée à la première personne et la sensation douloureuse évoquée par autrui (Jackson, Rainville et Decety, 2006), les expérience de Danziger et al.(2009) avec des patients atteints d'une insensibilitécongénitale à la douleur (ICD), montrent qu'elles ne suffisent pas à expliquer ce phénomène complexe. Dans cette expérience, les chercheurs ont tentéde comprendre par quels mécanismes cérébraux ces patients privés de la sensibilitédouloureuse, pouvaient imaginer la douleur d'autrui. Chez les patients ICD, les aires visuelles occipito-temporales étaient significativement moins activées comparativement au groupe témoin. Or, le degréd'activation de ces régions augmente avec la valence émotionnelle d'un stimulus visuel, par conséquent cela suggère, que la vue de l'acte douloureux aurait moins d'impact affectif immédiat chez ces patients. Pour appuyer cette observation, les patients ICD rapportent que la vue de la douleur d'autrui revêt un caractère abstrait'.

Pourtant chez ces mêmes patients, les chercheurs relèvent une corrélation importante entre le degréd'activation du cortex préfrontal ventromédian et les scores d'empathie. Cette région est connue entre autre pour s'activer lors

44 2 L'intuition : une fonction essentielle à l'Homme?

d'inférence de l'état émotionnel d'autrui ainsi que dans les émotions sociales comme la compassion. Plus les patients étaient dotés de capacités empathiques (évaluées grâce à un questionnaire) et plus cette région cérébrale s'activait; contrairement au groupe non-amorcé.

Ainsi comme le mentionne Danziger (2009), les patients atteints d'une insensibilitécongénitale à la douleur ont dûcompenser leur incapacitéà ressentir automatiquement la douleur d'autrui, en impliquant des processus d'inférence émotionnelle complexe. Il se pourrait alors, que ce soit par ce même mécanisme, que nous pourrions imaginer et partager avec autrui des affects, des sensations liées à des expériences que nous n'avons pas vécu. Les capacités d'inférence n'auraient comme limite que notre propre imagination.

3

L'intuition : Une suggestion non-consciente

3.1 L'inconscient cognitif

3.1.1 Bref historique de l'inconscient

Le non-conscient, c'est à dire ce qui est voiléà la conscience immédiate, a toujours poséquestion. Héraclite d'Éphèse (VIème siècle av. J.C) critique de façon acerbe dans les Fragments, la façon dont l'homme se croyant éveillé, ne contemple finalement que des choses mortes. C'est à dire que ne voyant que la surface des choses, son regard se pose sur des objets périssables alors que grâce à l'intelligence supérieure, il pourrait saisir le mouvement, le changement, et le sens profond qui se dégagent de ces objets. Il y aurait donc une dissociation entre ce qui est perçu et ce qui pourrait être perçu. Il existe ainsi un domaine voilé. Saint Augustin, dans ses Confessions (398 ap. J.C) compare la mémoire à un sanctuaire d'une ampleur infinie*' (Saint Augustin, 398, p.211), et se demande qui en a touchéle fond, et oùdonc se trouve ce que l'homme ignore de lui-même. Il conclue peu après, que ces choses ne sont pas hors de lui, mais en lui, dans ce temple de la mémoire. D'autres part, Saint Augustin se pose dans les Confessions des questions actuelles que les neurosciences ont mis en expérience, ainsi dans le chapitre XIX du livre X, il veut montrer que l'oubli n'est jamais total en prenant l'exemple du prénom oubliéd'une personne connue. Si nous essayons de nous rappeler d'autres prénoms que le sien, nous savons que nous sommes dans l'erreur. Lorsque le vrai prénom arrive, nous savons qu'il épouse parfaitement la représentation que nous avons de la personne et nous sommes certains que c'est le bon. Par conséquent Nous n'avons pas encore totalement oubliée ce que nous nous souvenons d'avoir oubliée (Ibid, p. 223).

Plus tard, Leibniz (1765) dans ses Nouveaux Essais sur l'entendement humain, traite du non-conscient en montrant qu'il existe dans l'âme, c'est à dire la parcelle immortelle qui habiterait le corps, des perceptions, des appétits, conscients et inconscients : D'ailleurs il y a mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment une infinitée de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réeexion, c'est à dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites et en trop grand nombre ou trop unies [...]*' (Leibniz, p.15). D'autre part, ces milliers de petites perceptions nous influencent constamment sans que l'on s'en aperçoive, il suffira que quelqu'un nous pointe l'existence de ces informations pour que l'on s'en aperçoive à posteriori. Leibniz, pointe donc ici le filtrage attentionnel, et la façon dont notre cerveau préserve l'attention vers ce qui est utile dans le moment, et filtre (sans toutefois supprimer) ce qui n'est pas nécessaire.

46 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente

Freud reprendra ce qui a étéfait précédemment mais ajoutera toute la dynamique inconsciente qui manquait précédemment. Nous ne ferons pas une description étayée de la théorie inconsciente de Freud, ce mémoire n'en est pas le sujet, mais nous nous contenterons de dire que Freud a introduit le concept de refoulement, qui permet de préserver le Moi des pulsions et désirs s'opposant à la censure. Dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne (1904), Freud montre comment l'inconscient fait pression sur le moi, et se déclare à la conscience au travers des actes manqués, lapsus, symptômes et rêves.

Les auteurs qui se sont particulièrement intéressés à l'intuition dans le cadre de la psychanalyse sont sans doute Jung et Groddeck. Nous avons déjàintroduit Jung au début du mémoire; en ce qui concerne Groddeck sa théorie du Ça (1923) nous montre à quel point il tente d'unifier le corps à l'esprit. Pour lui, ces deux entités ne sont pas séparées, ce sont seulement deux qualités de la même substance. C'est alors en revenant à cette unité, à cette non-séparation de principes, que Groddeck nous montre la voie de l'intuition. Pour lui il n'y a d'intuition que la force principielle qui est contenue dans toute forme de vie.

Pour la suite, nous préférerons utiliser le terme de »non-conscient» pour définir les représentations, les sensations, les émotions, en-dehors du traitement immédiat de la conscience. Le terme de »non-conscient» ou »d'inconscient cognitif», nous paraît adapté.

3.1.2 Le non-conscient dans la clinique

Il y a plus d'un siècle, Claparède, neurologue, psychologue et s'intéressant de près à la psychanalyse, serra la main d'une patiente atteinte du syndrome de Korsakoff avec une aiguille entre les doigts. Le lendemain, cette patiente ne se souvenait pas de son médecin (le syndrome de Korsakoff provoque des amnésie à court terme), mais elle refusa pourtant de lui serrer la main. Ainsi, nous supposons qu'une partie d'elle avait bien associée et enregistrée Claparède et l'aiguille. Il existerait donc une mémoire corporelle qui pourrait fonctionner sans l'intervention de la conscience.

Une autre expérience, très similaire à la précédente, montre que certains cas d'amnésie seraient moins un déficit de mémoire qu'un trouble lors de la récupération des souvenirs. Jacoby et Kelley (1987) raconte l'histoire d'un psychologue qui recevait un patient atteint de Korsakoff et qui eu l'idée de raconter toujours la même blague pendant l'entretien pour faire rire et détendre son patient (et au passage, minimiser sa créativité). La première fois qu'il raconta sa blague, le patient rit. Mais le jour d'après, le patient trouva la blague stupide et pas drôle ' alors même qu'il disait ne pas connaître la blague. Le patient aurait inconsciemment anticipéla chute de la blague, annulant son effet amusant. L'information aurait bien étéenregistrée, mais la personne serait incapable d'y avoir accès consciemment. Toutefois, l'information continue d'avoir un effet sur son comportement et ses réactions.

De la même façon, des patients atteints de lésions au niveau des aires corticales visuelles, qui les privent d'une vision consciente (ils se comportent comme des aveugles) sont capables d'indiquer la position d'un objet avec une grande précision (Weiskrantz, 1986). La première hypothèse stipule, que les informations visuelles provenant de la rétine, et se projetant sur le corps géniculélatéral par l'intermédiaire de l'axone du nerf optique, contourneraient la lésion du cortex occipital, et seraient déviées à 30% en direction du thalamus. Pourtant certains comportements de patients victimes de lésions occipitales seraient trop complexes pour ne provenir que de structures sous-corticales. Il a étémis en évidence que les informations visuelles pouvaient être déviées vers le lobe pariétal qui analysait la

3.1 L'inconscient cognitif 47

Figure 3.1. Le Doux, Wilson et Gazzaniga, 1977

taille, l'orientation et les formes présentées à la rétine (Milner et Goodale, 1991). Il y aurait donc un traitement implicite de l'information.

L'expérience de Halligan et Marshall (1988) montrerait de la même façon que des patients ayant une négligence

spatiale unilatérale sont capables de traiter implicitement la partie de l'image qui leur est normalement impossible àpercevoir consciemment. Les patients héminégligents auraient des lésions unilatérales au niveau d'un réseau atten-

tionnelle complexe encore mal délimitéaujourd'hui (Ptak, 2014), qui les priveraient du champ visuel controlatéral à la lésion. Ainsi, une héminégligence droite empêche l'orientation de l'attention vers la partie gauche de l'espace. Ces patients se raseront que du côtédroit ou ne dessineront que la partie droite d'un dessin, d'un visage. Pourtant, Halligan et Marshall (1988) démontre que ces patients perçoivent toujours inconsciemment la partie négligée et sont capables de la traiter. Dans leur expérience, ils ont présentéaux patients, négligeant la partie gauche, deux maisons, dont l'une avait la partie gauche en flamme. Alors que pour le patient, ces deux maisons étaient strictement les mêmes (négligence de la partie gauche enflammée), lorsqu'on lui demandait dans laquelle il voudrait vivre, il choisissait systématiquement celle sans flamme. Les informations négligées seraient donc présentes dans le cortex des patients héminégligents.

Les patients ayant subi ou souffrant de callosotomie (split-brain), ont les deux hémisphères séparés,ceux-ci ayant un fonctionnement plus ou moins indépendant. Dans l'expérience de LeDoux, Wilson et Gazzaniga (1977), il était demandéà un jeune garçon ayant subit une callosotomie de juger ce qu'il ressentait à propos de certains mots, sur une échelle de 1 à 7 avec 1 comme bien, et 7 comme mal. On adressait successivement les mots à son hémisphère gauche puis à son hémisphère droit. Étonnement, les résultats montrèrent que l'hémisphère droit juge différemment et plus négativement que l'hémisphère gauche. Sans arrière-pensée psychanalytique, on constate que les mots ayant la plus grande différence de jugement sont : mère, sexe, guerre, son prénom et son personnage de télévision préféré.

48 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente

Une autre patiente très connue des neurocognitivistes, Vicki, se plaignait après sa callosotomie de ne plus pouvoir s'habiller normalement. En effet elle passait plusieurs heures avant de se mettre d'accord sur sa tenue. Lorsque sa main gauche attrapait un habit, aussitôt sa main droite s'en emparait pour le lui retirer (Wolman, 2012). Ces observations cliniques posent la question de l'unitéde la conscience au sein du cerveau, l'hémisphère gauche aurait un jugement différent de l'hémisphère droit; le Christ en avait déjàpressenti l'hypocrisie : » Mais toi quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite.» (Evangile selon Matthieu 6 (1-8)).

3.1.3 Le non-conscient cognitif

Il existerait donc des processus cognitifs non-conscients définit par Kihlstrom (1987) comme des aptitudes

ou des procédures qui opèrent sans prise de conscience et qui ne sont en aucune façon accessible à la conscience ~ (citépar Westen, D. (2000). Psychologie. Pensée, cerveau et culture. De Boeck, p. 480). Il distingue ces processus totalement non-conscients des processus préconscients qui se situent juste en deçàdu seuil de conscience et peuvent

être activés grâce à des amorces subliminales. L'inconscient cognitif comprend la mémoire implicite, une capacitéde reconnaissance sémantique, les processus automatiques et non-conscients.

Les expériences de Dehaene sur l'attention, lui ont permis de définir le non-conscient selon deux paramètres : l'attention du sujet et l'intensitédu stimulus (Dehaene, Changeux, Naccache, Sackur et Sergent, 2006). En effet, une information pour qu'elle soit consciente doit être accessible et donc rapportable (Dehaene, 2009).

Le non-conscient est ainsi diviséen deux processus principaux selon ces deux paramètres :

-- Lorsque les conditions de présentation d'un stimulus ne lui permettent pas de passer le seuil de la conscience, le processus est appelésubliminal. Le stimulus est donc inaccessible, et l'activation neuronale est insuffisante pour s'épandre dans l'espace de travail neuronal global qui est un espace interne de synthèse, de maintien et de partage des données (Dehaene, Cours du Collège de France, Théorie de la conscience d'accès, p. 3). Les expériences de masquages en sont un exemple.

-- Lorsque les données sensorielles ascendantes (bottom-up) sont suffisamment intense pour être perçues mais que l'attention du sujet, provenant de boucles descendantes (top-down) est détournée ou absente du stimulus en question, le processus est appelépréconscient. Les expériences de cécités au changement (Rensink, O'Regan et Clark, 1997) et de cécitéattentionnelle (Simons et Chabris, 1999) en sont un bon exemple. Dans l'expérience de Simons et Chabris (1999), on demande à des participants de compter le nombre de passes de balles de l'équipe en blanc. À un moment, un gorille apparaît au centre de l'écran, mais la plupart des participants rapportent ne pas l'avoir vu. La simple focalisation de l'attention sur l'équipe blanche a rendu invisible le gorille. Le stimulus était donc fort, mais l'attention sur celui-ci pratiquement absente. Cette dernière expérience rejoint la théorie selon laquelle la conscience est sélective et à capacitélimitée (Broadbent, 1958).

En effet, la masse d'informations sensorielles présentes dans notre environnement excèderait notre capacitéde traitement, il est donc nécessaire de sélectionner les informations qui nous sont nécessaires dans l'instant.

D'autre part la conscience n'a accès qu'àune interprétation d'une perception à la fois, même si il existe plusieurs interprétations possibles.

3.2 L'amorçage 49

Figure 3.2. Dehaene, Sackur, Changeux, Naccache et Sergent, 2006

Dans la figure du vase de Rubin, selon que notre attention se place sur le fond, ou sur la forme nous distinguons soit un vase, soit des visages. Mais nous ne pouvons percevoir les deux au même instant (Rubin, 2001). Il existerait alors un lien étroit entre attention et conscience. C'est ce que nous allons voir dans la partie sur la méthode des amorces maquées.

3.2 L'amorçage

L'amorçage est une technique expérimentale qui utilise un stimulus initial (l'amorce) dans le but d'influencer une réponse à un stimulus secondaire (cible).

Le paradigme de l'amorçage possède cinq caractéristiques de bases (Janiszewski et Wyer, 2014) :

1. Comme mentionnédans la définition, il doit y avoir deux stimuli, une amorce et une cible.

2. L'amorce doit influencer la réponse au stimulus cible.

3. Une caractéristique spécifique de l'amorce doit être responsable de la réponse modifiée à la cible.

4. L'influence de l'amorce sur la cible doit être temporaire.

5. Les effets de l'amorce doivent être imprévisible, inattendu et se passer en deçàdu seuil de conscience.

50 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente

3.2.1 L'amorçage supraliminaire

L'amorçage est dit supraliminaire lorsque l'amorce est consciemment perçue par le participant. Dans l'effet d'amorçage, l'amorce permet de faciliter l'accès à une représentation spécifique, qui induira alors une réponse vis àvis de la cible donnée. Janiszewsi et Wyer (2014) ont classifiéles amorces en 5 catégorie selon les représentations

auxquelles elles s'adressent : sémantique, affective, motivationnelle et motrice. Chacune de ces amorces peut être directe ou indirecte. Une amorce directe va permettre d'agir directement sur la cible en facilitant son accessibilité. Le fait de présenter une amorce subliminale à caractère sexuel va par exemple augmenter l'accessibilitéde pensées sexuelles (Gillath, Mikulincer, Birnbaum et Shaver, 2007). Une amorce directe de caractère affectif telle qu'une musique déplaisante peut influencer le jugement à propos d'un produit (Gorn, Goldberg et Basu, 1993), ou permettre à des évènements positifs d'être juger plus positifs qu'ils ne le sont (Estes, Jones et Golonka, 2012).

L'effet d'amorçage pourrait provenir d'une activation d'un réseau d'association. Le modèle associatif proposépar Janiszewsi et Wyer (2014), suppose que l'amorce active des représentations et des processus cognitifs organisés en réseau. Les représentations ont un niveau d'activation qui dépend de sa fréquence et de sa proximitéd'utilisation, ainsi que de la force du réseau associatif activé, donc de sa pertinence. Dans le but d'illustrer ce modèle, les auteurs citent l'expérience de Spivey et Geng (2001) durant laquelle ils présentèrent l'amorce »oiseau», qui eut comme effet de les faire plus souvent regarder vers le haut. L'association viendrait du fait que les oiseaux se trouvent le plus souvent en hauteur. Par conséquent, l'intensitéde l'amorce sémantique »oiseau», a pu activer le processus cognitif »regarder en haut».

3.2.2 L'amorçage subliminales

Le terme subliminal signifie en deçàdu seuil de perception consciente. Cette idée est déjàprésente chez Leibniz (1765) qui, déjàen avance sur son temps, faisait un lien avec l'attention :

~ Toute attention demande de la mémoire, et quand nous ne sommes point avertis pour ainsi dire de prendre garde à quelques-unes de nos propres perceptions présentes, nous les laissons passer sans réflexion et même sans les remarquer. Mais si quelqu'un nous en avertit et nous fait remarquer par exemple quelque bruit qu'on vient d'entendre, nous nous en souvenons et nous nous apercevons d'en avoir eu tantôt quelque sentiment. ~ (Leibniz G. W. (1765). Nouveaux Essais sur l'entendement. Flammarion, ed.1921, p.16).

Dans ce texte de 1765, est décrit la façon dont seront utilisées plus de deux siècles plus tard les amorces masquées. Le paradigme de masquage a permis d'explorer les fonctions du non-conscient et donc, par contraste, de mieux comprendre la conscience.

La plupart des amorces subliminales utilisées sont visuelles. Toutefois le principe de masquage reste plus ou moins le même selon que l'amorce soit visuelle ou auditive. Le but du masquage est de réduire la perception d'un stimulus présentébrièvement (la cible) à l'aide d'un second stimulus (le masque). En effet ce n'est pas parce qu'une image est présentée brièvement (20ms) qu'elle ne peut être perçue, c'est pourquoi la méthodologie est importante.

Il existe plusieurs façons de masquer une cible selon l'effet de l'intervalle temporel qui sépare la cible et le masque (Stimulus Onset asynchrony, SOA). L'effet du masque est maximal dans le masquage de type A lorsque la cible

3.2 L'amorçage 51

et le masque apparaisse simultanément, tandis que dans le masquage de type B, l'effet atteint son acmélorsque le masque apparait après la cible. (Dehaene, 2009).

Toutefois dans notre expérience, nous n'utiliserons pas de masque, mais des amorces plus ou moins subliminales. En effet, il pourrait exister un troisième type d'amorce, qui serait présent dans l'environnement mais dont le sujet serait »libre» de percevoir ou non.

Nous considérons dans cette expérience, que l'intuition résulterait de la synthèse et de la mise en lien non-consciente, de ces petites perceptions présentes dans l'environnement externe (perceptions) et interne (sensations), ce qui justifie notre intérêt pour les phénomènes d'amorçage, qui peuvent être une création artificielle, expérimentale,

de ces petites perceptions. Il s'avère que les phénomènes d'amorçage auraient une action physiologique, et ce, malgréson caractère subliminal, non-conscient.

3.2.3 Effets psychophysiologiques de l'amorçage subliminale

Les amorces subliminales pourraient avoir une action sur directe sur les structures sous-corticales telle que l'amygdale, qui serait impliquée dans le traitement de stimuli émotionnels (Aggleton, 1992), et pourrait réagir de façon réflexe sans l'intervention de la conscience (Whalen, 1998). Dans une étude de Whalen et al (1998), une activation de l'amygdale est perçue à l'aide de l'IRM lors d'une présentation subliminale de visages exprimant la peur comparativement à des visages exprimant la joie.

D'autres études montrent que la présentation subliminale d'émotions peut influencer le comportement, ainsi une expérience de Zemack-Rugar, Bettman et Fitzsimons (2007) montre que les personnes soumises à l'amorce masquée sémantique culpabilité se montrent plus aidante lors d'un questionnaire que celles ayant perçues l'amorce ~ triste ; une expérience de Skandrani-Marzouki et Marzouki (2010) montrerait que des amorces masquées de visages à valence positive ou négative tendent à influencer la prise de décision des participants. Effectivement, les participants étaient plus enclins à rejeter les visages neutres précédés d'un visage masqué(amorce) à valence émotionnelle négative que ceux précédés d'un visage masquéà valence émotionnelle positive.

La perception subliminale aurait donc les mêmes effets au niveau des structures biologiques que la perception pure. Une expérience de Wetherill et al (2014) montre que la présentation subliminale d'images relatives au cannabis à des sujets dépendants au THC active le circuit neuronal impliquédans l'addiction.

3.2.4 Les indices olfactifs

Les précédentes études portant sur l'amorçage utilisent principalement des amorces visuelles pour leur facilitéd'emploi et la possibilitéde contrôler leur mode d'apparition (subliminale ou supraliminaire).

Toutefois, dans notre approche, nous avons aussi utilisédes indices olfactifs pour deux raisons. Premièrement, les odeurs sont connues pour entraîner une remémoration d'évènements passés. La madeleine de Proust (1913) est un bon exemple de la façon dont une odeur ou un goût aurait un effet puissant et immédiat sur la mémoire. De plus, d'autres expériences montrèrent que les odeurs sont associées à la remémoration d'évènements plus émotionnels et subjectifs que les autres indices sensoriels (Larsson et Willander, 2009; Miles et Berntsen, 2011).Cette connexion entre les odeurs, les souvenirs et les émotions, place le stimulus olfactif comme un excellent indice sensoriel permettant la remémoration d'évènements, et notamment une efficacitéimportante dans l'effet d'amorçage. D'autre

52 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente

part, il est difficile de décrire verbalement et d'identifier (consciemment) une odeur (Jonsson and Olsson, 2003), elles sont donc des indices généralement plus discrets que les indices visuels et plus efficaces pour la remémoration. Dans notre approche, les odeurs de cafépourraient donc améliorer et renforcer l'effet d'amorçage et permettre un meilleur »insight» de la situation donnée.

Les perceptions non-conscientes auraient donc un effet physiologique sur l'être humain, elles pourraient influencer nos comportements et nos choix.

3.3 La prise de décision non-consciente

3.3.1 Les marqueurs somatiques

C'est à partir d'observations sur ses patients cérébro-lésés que Damasio (1995) en vient à élaborer son hypothèse des marqueurs somatiques. Il constate que des patients lésés de la région préfrontale sont incapables d'éprouver des émotions et de prendre des décisions avantageuses. Il y aurait donc un lien étroit entre le raisonnement et l'émotion, le somatique. A partir de tous ces éléments, Damasio suppose que le mécanisme du raisonnement reçoit des signaux du corps (viscéraux ou non) des centres émotionnels, qui viendraient étayer le jugement, le raisonnement, et lui permettrait d'aboutir :

~ Imaginez qu'avant d'avoir appliquéla moindre analyse de »coût/bénéfice» aux différents cas de figure, et avant que vous ayez entaméle processus de raisonnement devant vous mener à la solution du problème, quelque chose d'important se produit : lorsque vous visualisez dans votre esprit, même fugitivement, la conséquence néfaste d'une réponse que vous pourriez choisir, vous ressentez une sensation déplaisante au niveau du ventre. [...] Il (le marqueur somatique) oblige à faire attention au résultat néfaste que peut entraîner une action donnée, et fonctionne comme un signal d'alarme automatique [...] (Damasio, 1995, L'erreur de Descartes, pp. 224-225).

Les émotions chez Damasio, sont à entendre dans un sens plus large que les simples émotions primaires (joie, tristesse, colère, peur...), ces émotions dépendraient, reflèteraient, les signaux que certaines partie du corps produisent lors d'un stimulus, lors d'une représentation imaginaire d'une situation possible, et qui serait perçues consciemment ou non. Pour expliquer le fait que les émotions peuvent influencer inconsciemment une prise de décision, Damasio (1999) réalisa une expérimentation avec un patient amnésique incapable de se souvenir de personnes rencontrées ou d'évènements. Malgrécette déficience, le patient en question était capable de choisir avec quelles personnes il préférait être ou ne pas être, avec lesquelles ils s'entendaient ou non. Ceci est surprenant,car son amnésie ne lui permet pas de souvenir des attributs positifs ou négatifs des personnes rencontrées, pour lui, chaque rencontre est nouvelle. Damasio (1999) suggère qu'il existerait donc une mémoire non-consciente liée à des émotions à valence négative ou positive et permettant au patient de »sentir», de savoir spontanément, sans éléments d'analyse ce qu'il aime ou n'aime pas. Nous n'hésitons pas à repenser aux expériences sus-cités (p. 39) de Claparède ou de Jacoby et Kelley (1987). Selon Damasio, cette mémoire implicite serait favorisée par l'existence de marqueurs somatiques.

Damasio (1999) donne l'exemple d'un patient souffrant d'une lésion du lobe préfrontal qui pouvait prendre plusieurs heures pour choisir rationnellement entre deux prises de rendez-vous :

3.3 La prise de décision non-consciente 53

Pendant presque une demi-heure, il a énuméréles raisons pour et contre chacune des deux dates : engagements antérieurs, proximitéd'autres engagements, prévisions météorologiques, et pratiquement toutes les sortes de raisons envisageables [...] il se livrait à des comparaisons sans fin et sans intérêt entre différentes options et leurs éventuelles conséquences [...] Finalement, je lui ai effectivement dit, sans me troubler, qu'il devrait venir le second des deux jours proposés. Sa réponse a étéégalement calme et rapide. Il a simplement dit : `C'est très bien.' Il a rangél'agenda dans sa poche et s'en est allé (Ibid, p.265-266)

Nous comprenons alors que le simple raisonnement peut devenir irraisonnable dans ces cas extrêmes, d'autre part, les marqueurs somatiques auraient un rôle dans la relation à l'autre, en nous rendant apte à faire des choix en coopération avec les autres. Ces marqueurs somatiques nous permettraient aussi de réduire le champ des possibles

grâce à l'imposition d'une marque émotionnelle. Si nous étions indifférent à tout, nous ne pourrions choisir, c'est àdire trancher dans l'infinitude du réel.

Bien entendu, les marqueurs somatiques seuls ne permettent pas de prendre une décision, mais permettent d'affiner le choix des possibles, ils sont en quelque sorte un premier filtre vers la décision optimale et réduisent ainsi considérablement le temps de délibération. D'autre part, comme nous l'avons vu dans les parties précédentes traitant de la prédiction et de l'anticipation ainsi que celles traitant du non-conscient, il serait impossible de compiler consciemment toutes les informations à notre disposition dans le but, de prendre la décision la plus raisonnable. Des informations nous échapperons toujours, et c'est bien là, le rôle de l'émotion.

Dans certain cas ce mode de raisonnement s'avère plus précis et efficace qu'une longue introspection (Albrechtsen, Meissner et Susa, 2009; Dijkstra, Van der Pligt, Van Kleef et Kerstholt, 2012). Par exemple, il serait plus judicieux de se fier à son intuition pour détecter le mensonge chez une personne, que d'utiliser la seule analyse et introspection (Albrechtsen, Meissner et Susa, 2009).

3.3.2 Corrélats physiologiques d'une prise de décision intuitive

Peu d'études furent menées sur les composantes psychophysiologiques de l'intuition, toutefois nous retrouvons de nombreuses études psychophysiologiques sur la prise de décision. En nous référant à l'hypothèse que l'apprentissage implicite serait une composante du processus intuitif (Lieberman, 2000), les travaux sur l'Iowa Gambling Task (IGT) montre l'importance des marqueurs somatiques dans une prise de décision intuitive et plus généralement dans le processus intuitif. Ce test de poker propose aux participants de tirer des cartes une centaine de fois parmi quatre paquets qui diffèrent dans leur distribution de gains et pertes. Deux paquets sont à haut risque de pertes mais apportent avec une faible occurrence un gain élevétandis que les deux autres paquets sont à bas risque de perte, mais apporte un gain tout aussi faible. Ces deux derniers paquets permettaient d'obtenir une somme conséquente sur le long terme, tandis que les paquets à haut risque de perte entraînaient une perte totale sur le long terme. Par conséquent, il était plus stratégique de choisir les paquets à faible perte et faible gain. La plupart des patients sains finissent par choisir les deux paquets avantageux, tandis que les patients avec une lésion du lobe préfrontal ventromédial persistent à piocher dans les paquets désavantageux. L'apprentissage implicite des personnes non-lésées seraient liéaux marqueurs somatiques (Bechara et al, 1997) dans le but d'anticiper au mieux les récompenses et punitions (Tomb et al, 2002). Cette réaction somatique se traduirait par une augmentation de

54 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente

la conductance cutanée (Crone, Somsen, Van Beek et Van Der Molen, 2004; Jenkinson, Baker, Edelstyn et Ellis, 2008) et une diminution du rythme cardiaque (Crone et al, 2004). Des hypothèses complémentaires montreraient que les marqueurs somatiques sont le signe d'un conflit interne entre deux décisions plus ou moins conscientes (De Neys et al, 2010) ou encore qu'ils résultent d'un défaut d'inhibition d'une réponse stéréotypée, alors même que le cortex cingulaire antérieur serait activé. Or ce dernier serait impliquédans la reconnaissance d'un conflit lors d'un raisonnement, ce qui entraîne la sensation de ne pas avoir donnéla bonne réponse, sans toutefois pouvoir en proposer une autre mieux adaptée (De Neys, Vartanian et Goel, 2008).

Il faut pourtant relativiser ces conclusions générales, en pointant que tous les individus ne sont pas égaux dans leur capacitéà ressentir leur intuition et à suivre la bonne décision. Crone et al (2004) observent une réaction plus intense du système nerveux autonome chez les bons décideurs, contrairement à Jenkinson et al (2008) qui n'observent pas de différence significative entre les bons et les mauvais décideurs. Une étude phénoménologique de l'intuition montre que le processus d'intuition se traduirait par un corpus de gestes mentaux et physiques préexistants à la venue de l'intuition (Petitmangin, 2002), certaines personnes seraient alors plus enclines à provoquer ces gestes et cette position mentale utiles à l'intuition et à la prise de décision intuitive. L'expérience menée par Katkins, Wiens et ·Ohman (2001) appuie l'hypothèse selon laquelle les bons décideurs auraient tendance à être plus sensibles à leurs réactions physiologiques/viscérales, comparéaux mauvais décideurs. Dans cette étude, les personnes capables de ressentir leur rythme cardiaque étaient les plus aptes à anticiper un choc électrique lors d'une tâche de prédiction. Bien entendu, ces deux variables sont seulement corrélées et en aucun cas causales. Il pourrait donc exister une autre variable contribuant à la relation de ces deux évènements (humeur, condition physique, anxiété..).

3.4 Continuitéde l'intuition dans un environnement virtuel

Il est commun, presque trivial, de souligner la capacitéde tout individu sain à passer d'une réaliténaturelle àune réalitévirtuelle. C'est ce que nous faisons plusieurs dizaines de fois par jour avec nos smartphones, nos commu-

nications en ligne, nos ordinateurs. En science cognitive, psychiatrie, et réalitévirtuelle, le concept de présence est utilisépour décrire cette capacitécognitive étonnante, de maintenir un sens du self et un sens de la réalitélors de

ce passage. Dans cette étude, nous investiguons les processus cognitifs et physiologiques impliqués dans la capacitéde créer cette continuitéentre des environnements virtuels et naturels et ainsi maintenir une forme de réalitéfluide

(mélangée) (mixed reality). Cette dernière correspond à un continuum entre l'environnement réel et virtuel. Un environnement virtuel est un environnement dans lequel le participant est totalement immergéet fait l'expérience d'un monde artificielle, qui peut ou non, respecter les lois physiques de notre monde, il pourrait s'apparenter au monde du rêve, à la fiction (Milgram et al, 1994). Au contraire, l'environnement réel est défini par les lois physiques stables et immuables qui le gouvernent.

La réalitévirtuelle date des années 1960's, pendant lesquelles Morton Heilig créa le premier cinéma immersif en 1962. Le »Sensorama» était le premier cinéma individuel projetant cinq courts métrages en exploitant les différents sens (souffle, vibrations, 3-D). En 1968 est créée le premier casque de réalitévirtuel, l'Épée de Damoclès, par Ivan Sutherland. Ce casque était lourd et ne permettant aucun mouvement. Mais il influencera de nombreux autres inventeurs, dont Jaron Lanier, qui créa en 1990, le »Dataglove», muni d'un gant, ce casque permettait de recréer

3.4 Continuitéde l'intuition dans un environnement virtuel 55

le mouvement dans un environnement virtuel. Il fut utilisépar la NASA et l'armée dans le but d'entraîner ses hommes et de les mettre dans des situations au plus proche de la réalité(combats dans un désert, dans une ville, déplacement dans l'espace etc..). Paradoxalement, cette même réalitévirtuelle, est utilisée aussi dans le traitement des stress post-traumatique chez les vétérans.

La réalitévirtuelle se définit comme »l'ensemble des techniques et systèmes qui procurent à l'Homme le sentiment de péenéetrer dans des univers synthéetiques créeées sur ordinateur; avec la possibilitée d'effectuer en temps réeel un certain nombre d'actions déenies par un ou plusieurs programmes informatiques, à l'aide de techniques qui offrent la possibilitée d'éeprouver physiquement un certain nombre de sensations (visuelles, auditives, haptiques) et de pouvoir opéerer dans ce monde par des moyens d'actions »naturels» comme les mouvement du corps et la voix.» (Segura, 2012, p.1).

La réalitévirtuelle s'appuie donc sur un double concept avec d'un côtél'interaction en temps réel avec des objets virtuels et de l'autre, un sentiment d'immersion qui dépend le plus souvent des outils et techniques utilisés. L'interac-tion en temps réel englobe toutes les opérations effectuées sur les objets virtuels ainsi que sur leurs transformations. Le sentiment d'immersion dépend essentiellement des outils de réalitévirtuelle et de leur capacitéà retranscrire l'environnement en augmentant le nombre de modalités sensorielles impliquées. De nombreuses sociétés se sont crées dans la Silicon Valley afin de maximiser le degréde présence au sein d'un environnement virtuel (exemple de Fake Space Labs dont le but est de faciliter la perception intuitive humaine face à des données et comportements générés par un ordinateur).

Le terme de réalitévirtuelle participe aussi au concept de téléprésence, développépar Scott Fisher à la NASA, qui permet à un opérateur humain munis de gants, d'un visiocasque et d'une télécommande permettant de donner des ordres de déplacements et gestes au robot situéà distance dans un environnement hostile ou inaccessible (drones utilisés par l'armée, mais aussi dispositifs permettant d'explorer les fonds marins). Ce même robot, peut en retour, envoyer des informations à l'opérateur sur la nature de l'environnement et sur les conséquences des actions effectuées. (Segura, 2012). La réalitévirtuelle participe aussi au concept de télévirtualitéqui permet à plusieurs personnes de partager une même expérience dans des mondes virtuels, et permettre de la même façon une communication entre les personnes et les objets virtuels. La télévirtualitéest utilisée dans les jeux vidéos mais aussi dans le monde professionnel, »Skype» pourrait être une forme simplifiée de télévirtualité. Enfin, la réalitévirtuelle comprend aussi la réalitéaugmentée qui »propose de méelanger des images et graphiques de synthèse en surimposition du monde réeel par le biais d'interfaces déediéees de type visières ou surface semi-transparente» (Ibid, p.9).Ses applications les plus utiles pourraient concerner la médecine avec la visualisation en direct des organes d'un patient grâce aux images provenant d'un appareil d'examen tomographique (scanner X ou IRM).

Le terme de réalitévirtuel se réfère généralement à un des trois types de présentations virtuelles : (i) un environ-

nement présentésur un écran plat tel que les jeux vidéos sur ordinateur, les films... (ii) un environnement présentédans un CAVE (Cave Automatic Virtual Environment), qui est un ensemble de 3 à 6 écrans formant un cube d'en-

viron 9m2 et oùsont projetés en haute résolution un environnement préalablement modélisésur ordinateur, et dans lequel l'utilisateur est en total immersion et peut, dans certains cas, interagir grâce à des lunettes et des capteurs de mouvement. (iii) L'environnement peut être présentédans un casque de réalitévirtuel (Head Mounted display), qui suit les mouvements de l'individu et qui adapte l'environnement 360° en temps réel (Christophe et Sorenzo,

56 3 L'intuition : Une suggestion non-consciente

2015). Ces systèmes créent tous l'illusion de percevoir des objets dans un espace 3-D, et permettent d'interagir avec (Burdea et Coffit, 2003). Les possibilités presque illimitées de création, la possibilitéde contrôler strictement les stimuli et l'environnement, et la facilitéà mesurer les réactions de l'individu comparéà l'environnement naturel, en font un outil riche d'application dans de nombreux domaines comme l'éducation, la médecine, la psychothérapie, et la recherche. Même si la personne sait que l'environnement n'est pas naturel, mais artificiel, les perceptions des objets virtuels entraînent des manifestations émotionnelles (Diemer et al, 2015). L'individu a l'impression »d'être là» (Lombard et Ditton, 1997), de se sentir »présent» dans ce nouvel environnement et d'y réagir comme il le ferait dans une situation naturelle. Par conséquent, les automatismes, les processus émotionnels et cognitifs utilisés dans un environnement naturel aux lois physiques reconnues (temps, gravité, espace, danger), se transmettent en changeant d'environnement. Les modèles structuraux qui permettent de comprendre cette continuité, cette sensation de présence, le font à travers l'analyse des processus émotionnels et cognitifs (Sheridan, 1999; Schuemie et al, 2001). Le modèle le plus récent suggère que la sensation d'être dans un environnement virtuel est associée avec la »précision des signaux intéroceptifs prédictifs» (Seth, 2012, p.12). Par conséquent, les stimuli interoceptifs sont continuellement interprétés et prédis en fonction du différentiel entre les informations bottom-up (perceptions) et les prédictions et anticipations top-down. Ce différentiel est appelé»erreur de prédiction» dans les modèles bayésiens appliqués aux sciences cognitives et permet grâce à un ensemble de boucles rétro-actives d'adapter constamment le comportement à la situation présente. La perception intéroceptive comprenant la sensation des viscères mais aussi les sensations liées à la température, au rythme cardiaque, à la transpiration, joueraient un rôle dans la sensation d'être là, d'être soi dans un environnement virtuel. La perception intéroceptive est indispensable dans les prises de décisions intuitives (Bechara et al, 1997; Crone et al, 2004; Damasio, 1995; Tomb et al, 2002), ainsi que dans la sensation de continuum entre les différents environnements, c'est pourquoi nous supposons que les processus cognitifs impliqués dans l'intuition sont aussi ceux impliqués dans la sensation de continuitédu self entre naturel et virtuel.

4

Problématique et hypothèses

4.1 Problématique

Dans cette première partie, nous avons présentél'intuition sous les angles philosophiques, psychologiques et neuroscientifiques. Une même définition de l'intuition fait lien entre toutes ces discipline, celle de savoir que l'on sait sans savoir comment. Nous avons la connaissance face à un problème mais nous ne connaissons pas les mécanismes, les étapes qui nous ont permis d'acquérir ce savoir, au contraire de l'insight. De plus, l'intuition et l'insight sont associés à une émotion intense et dépendent de notre expérience subjective. Pour les neurosciences, l'intuition serait donc un processus cognitivo-émotionnel de haut niveau qui impliquerait à la fois les structures conscientes et langagières, et des structures impliquées dans l'apprentissage implicite, l'attention non-consciente et les émotions. Par conséquent, l'intuition se situerait à la jonction du conscient et du non-conscient, et notre hypothèse serait qu'elle permettrait face à une problématique, de créer des liens entre des informations non-conscientes de l'environnement et des informations de notre expérience subjective.

Une problématique qui se présente à nous (qu'elle soit existentielle, mathématique, sociale, ou encore instinctive), créerait une tension psychique qui nécessiterait de résoudre le problème afin de revenir à une position homéostasique stable. Cette tension entraînerait alors une pré-activation des représentations mnésiques en lien avec la problématique, ce qui faciliterait la recherche dans l'environnement d'informations liées plus ou moins fortement à ces représentations internes. Lorsqu'il existerait une relation de similaritéentre les représentations internes pré-activées par la problématique, et des informations perçues consciemment ou non dans l'environnement externe, alors l'intuition pourrait émerger. Selon son degréd'activation (émotions plus ou moins intense), une prise de conscience (insight) de la similaritépourrait avoir lieu ou non. Afin d'investiguer cette problématique, nous allons tester plusieurs hypothèses dans la suite de ce travail.

4.2 Hypothèses

Nous avons utiliséun environnement naturel contenant des amorces visuelles et olfactives associées à un caféet un environnement virtuel dans lequel des cafés se trouvent parmi d'autres commerce, dans lequel le participant

devait utiliser son intuition afin de prendre une décision verbale consciente (Giannopulu et al, 2008). D'après les études précédemment citées, il se pourrait que les amorces aient pu activer des représentations non-conscientes qui

58 4 Problématique et hypothèses

faciliteraient la prise de décision verbale (consciente). La prise en charge non-consciente des amorces modifierait l'état physiologique (activitéélectrodermale et température) des participants (Bechara et al, 1999; Crone et al, 2004). Dans ce contexte, la prise en charge non consciente des informations ferait émerger l'intuition verbalement. De plus, les participants ayant eu un insight pourraient avoir une activitéélectrodermale et thermale plus importante que ceux n'ayant pas eu d'insight.

L'hypothèse générale de cette recherche, est que les indices visuels et olfactifs de l'environnement naturel préactiverait de manière non-consciente des représentations internes qui feraient émerger l'intuition, qui s'expri-merait dans la prise de décision verbale.

Dans le but d'étayer cette hypothèse, plusieurs hypothèses secondaires furent énoncer :

1 Les individus amorcés auraient des variations de leur activitéphysiologique signe de la préactivation non-consciente (température et activitéélectrodermale) plus importantes que les individus du groupe non-amorcé.

2 Les individus du groupe amorcéayant eu un insight de la solution, auraient des variations de leur activitéphysiologique plus importante que les individus sans insight.

3 Les individus amorcés présentant des scores élevés au test d'intuition énuméreraient plus de lieux cibles que les individus présentant des scores faibles.

4 Les individus immergés (participants amorcés) dans un environnement naturel présentant des amorces visuelles et olfactives auraient un nombre de décisions intuitives correctes (dénommer le café) plus élevées que les participants non-amorcés (absence d'amorces visuelles et olfactives).

5 Il existerait une corrélation positive entre la prise de décision et les activités physiologiques effectuées : l'activitéphysiologique est d'autant plus élevée que la prise de décision est correcte.

Troisième partie

Partie Expérimentale

5

Méthodologie

5.1 Participants

5.1.1 Présentation

La population rencontrée pour cette recherche se compose de 23 étudiants volontaires qui habitaient Paris et la région parisienne, tous étudiants en psychologie et tiréau hasard parmi une population d'étudiants. 12 étudiants (4 filles et 8 garçons) d'âge moyen 20 ans (écart-type=2.59) furent dans le groupe amorcéet 11 étudiants (6 filles

et 5 garçons) d'âge moyen 20 ans (écart-type=1.14) furent dans le groupe non-amorcé(contrôle). L'étude a étéapprouvée par le comitéd'éthique locale. L'étude est conforme à la convention d'Helsinki.

5.1.2 Critères d'inclusion et d'exclusion

-- Hommes ou femmes entre 17 et 30 ans, quel que soit leur milieu socio-professionnel habitant ou ayant habités à Paris ou la région parisienne.

-- Acceptant de participer à la recherche après consentement libre et éclairé.

-- Présentant les aptitudes requises pour l'expérience : absence de handicap visuel, de troubles vestibulaires, cardiaques ou des troubles neurologiques de perception spatiale ou de l'orientation maîtrisant le français. -- Vision normale ou corrigée-normale

5.2 Matériel

5.2.1 Casque de réalitévirtuelle

Un casque de réalitévirtuel HOMIDO compatible pour Iphone a étéutilisépour afficher l'environnement. Le casque est muni de deux lentilles faites sur mesure dont la FOV est de 100° et permettant de corriger la myopie et l'hypermétropie. Nous avons utiliséun Iphone 4S qui possède un écran panoramique Multi-Touch de 3,5 pouces, ainsi qu'une résolution de 960 x 640 pixels à 326 ppp. L'Iphone était muni de l'application HOMIDO VR Player permettant de visionner la vidéo diffusant l'environnement virtuel.

62 5 Méthodologie

5.2.2 Environnement virtuel

L'environnement virtuel est constituéd'une traversée dans un environnement urbain. Cet environnement représentait une partie du 1er arrondissement de Paris entre Le Louvre et l'Opéra: la base »Louvre-Rivoli» (Gian-nopulu et al, 2008). Le trajet a démarréà la place des Pyramides, pour continuer dans la rue des Pyramides et prendre à droite à l'intersection de la rue St Honoré, pour suivre la rue de Rohan en direction du Square du Palais Royale, puis encore à droite sur la Rue de Rivoli et continuer tout droit jusqu'àla place des Pyramides. Dans cet environnement, il y a un nombre équivalent de commerces : cafés, boutiques, places.

5.2.3 Bracelet Q sensor

Les réactions physiologiques (activitéélectrodermale et température) des participants ont étéenregistrées grâce au bracelet Q sensor. Le bracelet Q Sensor enregistre l'activitéélectrodermale et la température à l'aide de deux électrodes en contact avec la peau, qui réceptionne le courant électrique de la peau et fournissent une mesure en microSiemens. Nous avons utiliséles logiciels Q air, Q live, Excel, SPSS et R afin d'analyser les données enregistrées grâce aux différents appareils de mesure.

5.2.4 Le test d'intuition (Annexe 1)

Dans le but d'évaluer la capacitéintuitive de chaque participant, nous nous sommes inspirés du seul test d'intui-tion connu à ce jour, qui est le Remote Associates Test (RAT), créépar Mednick en 1969. Dans le test RAT, trois mots sont proposés, et le participant doit donner un quatrième mot reliéaux trois précédents. Exemple : DINER, MIDI, RASAGE ces trois mots peuvent tous être précédés du mot : APRÈS. Le test que nous avons proposéaux participants se composait de 50 groupes de mots, dont 25 cohérents (avec un mot sémantique) et 25 non-cohérents (sans aucun lien sémantique entre les mots).

5.2.5 Le questionnaire (Annexe 2)

Un questionnaire composéde huit questions fut utilisépour recueillir les impressions des participants à la fin de l'expérimentation.

5.3 La procédure

L'expérience s'est déroulée dans une salle familière aux étudiants, deux expérimentateur y étaient présents pendant l'expérimentation. L'expérimentation inclus 3 phases : Immersion dans un environnement naturel avec ou sans amorce, une phase de contrôle et test, et enfin une immersion dans un environnement virtuel avec une condition familiarisation et expérimentation (Eskinazi et Giannopulu, in press).

1. Immersion dans un environnement naturel avec ou sans amorce

Pour les participants amorcés, l'environnement était composéde cinq affiches rappelant des terrasses de cafés parisiens disposées dans les couloirs jouxtant la salle d'expérimentation. Le participant devait attendre au

5.4 Considérations éthiques et déontologiques 63

rez-de-chaussée que l'expérimentateur vienne le chercher. Par conséquent, l'expérimentateur faisait en sorte de passer devant ces affiches, en gardant une attitude neutre, dans le but que le participant ne se doute de rien. Dans la salle d'expérimentation, une table ronde était placée avec un thermos et des verres en plastique contenant du café. Les expérimentateurs se servaient systématiquement deux fois du caféen début et milieu d'expérience. A l'intérieur de cette scène, les participants du groupe expérimental étaient invités à passer la condition contrôle ainsi que le test.

L'environnement est resténeutre pour le groupe non-amorcé.

2. Condition repos et test d'intuition

Nous avons enregistréchez tous les participants leur fréquence cardiaque au repos ainsi que leur activitéélectrodermale de base pendant une minute silencieuse.

A la suite de ce test, les participants étaient invités à réaliser un test d'intuition. Un des expérimentateur disait la consigne :

»Je vais vous lire des groupes de trois mots chacun. Dans certains il existe un lien, dans d'autres pas. Si vous trouvez ce lien, vous me le dites. Si vous ne trouvez pas ce lien mais que vous sentez, que vous avez l'impression que ce lien existe, vous me dites »oui, ce lien existe», sinon »non». Soyez rapide et précis(e). Est-ce que tu as compris ?»

Tous les participants ont gardéle bracelet Q sensor pendant toute la durée de l'expérimentation.

3. Immersion dans un environnement virtuel

Après le test, chaque participant était immergépendant un tour de familiarisation, dans l'environnement virtuel avec comme la consigne suivante : Vous allez être immergédans un environnement virtuel qui représente une partie du 1er arrondissement de Paris. Vous allez voir que dans cet environnement il y a

plusieurs endroits, lieux, magasins, boutiques et commerces. Après ce premier tour, nous stoppions la
vidéo et leur demandions ce qu'ils avaient vu. Puis nous leur donnions la consigne suivante : Parmi les endroits, magasins commerces que vous avez vu, il y en a certains que nous avions sélectionnés. Vous devez maintenant utiliser votre intuition pour nous dire quels sont les endroits, magasins, commerces que nous avions sélectionnés. Chaque fois que vous pensez avoir trouvécet endroit, lieu, commerce, vous devez le déclarer à haute voix (nommer à haute voix). Vous ne devez pas donner le nom publicitaire de l'endroit mais la qualification du lieu. Est-ce que vous avez compris? Explique nous ce que vous avez compris. Nous nous assurions que le participant avait bien compris la consigne avant de démarrer la vidéo. La vidéo était composée de quatre même tours séparés chacun par un écran gris de 30 secondes, réalisée grâce à Final Cut Pro X.

A la fin, tous les étudiants furent interrogés sur leur perception de mouvement de soi dans l'environnement virtuel, ainsi que sur leur ressentis et stratégies cognitives grâce au questionnaire.

Pendant cette recherche, nous avons questionnéles différentes étapes de notre démarche expérimental afin de les mettre à la lumière des règles éthiques et déontologiques propre à notre profession, enseignées pendant ces cinq

5.4 Considérations éthiques et déontologiques

64 5 Méthodologie

années d'études et de réflexion. Selon le Code de Déontologie des Psychologues (établi en mars 1996, puis réviséen février 2012), nous avons pris soin durant cette recherche de respecter les points suivants :

-- Principe 1 : Respect des droits de la personne (février 2012).

~ Le psychologue r'efère son exercice [...] sur le respect des droits fondamentaux des personnes, et spécialement de leur dignité, de leur libertéet de leur protection. Il s'attache à respecter l'autonomie d'autrui et en particulier ses possibilités d'information, sa libertéde jugement et de décision. [...]. Il n'intervient qu'avec le consentement libre et éclairédes personnes concernées. (p.5). ? ?63 Egalement, selon l'article 9 (Chapitre II) (p.8) : Avant toute intervention, le psychologue s'assure du consentement libre et éclairéde ceux qui le consultent ou qui participent à une évaluation, une recherche ou une expertise. Il a donc l'obligation de les informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités et des limites de son intervention, et des éventuels destinataires de ses conclusions. '

Dans le but de respecter ce droit, nous avons expliquéles enjeux et les objectifs de cette recherche, de la façon

la plus claire et explicite possible. Nous avons bien préciséqu'il était possible de se retirer de la recherche àtout moment, et cela sans aucune conséquence, sans jugement. Il n'y eu aucun refus de la part des participants.

-- Principe 2 : Les conditions de l'exercice de la profession (février 2012)

Selon l'article 7 du chapitre II (février 2012), Les obligations concernant le respect du secret professionnel

s'imposent quel que soit le cadre d'exercice. (p.7). L'article 26 (Chapitre III, p.9) postule que Lorsque
ces données sont utilisée à des fins d'enseignement, de recherche, de publication ou de communication, elles sont impérativement traitées dans le respect absolu de l'anonymat. ' Afin de respecter l'anonymat des participants, nous avons enregistréles données recueillies dans notre base de données de façon anonyme, de telle façon qu'il soit impossible de reconnaître un participant. Et nous leur avons bien expliquéque les résultats publiés seront anonymes et que le retour de ces résultats ne sera pas individuel.

Selon l'article 16 de ce chapitre, Le psychologue présente ses conclusions de façon claire et compréhensible

aux intéressés (p.8). Nous avons récupéréles adresses mails de l'ensemble des participants curieux de
connaître les résultats non nominatif de la recherche.

L'article 21 postule que Le psychologue doit pouvoir disposer sur le lieu de son exercice professionnel d'une installation convenable, de locaux adéquats pour préserver la confidentialité, de moyens techniques suffisants en rapport avec la nature de ses actes professionnels et des personnes qui le consultent. (p.9). Nous avions à notre disposition une salle correctement équipée pour le confort des participants, ainsi que le matériel nécessaire en bon état de marche pour réaliser la recherche dans des conditions optimales.

-- Titre III : La recherche en psychologie

L'article 44 implique que La recherche en psychologie implique le plus souvent la participation de sujets humains dont il faut respecter la libertéet l'autonomie, et éclairer le consentement. Le chercheur protège les données recueillies et n'oublie pas que ses conclusions comportent le risque d'être détournées de leur

but.' ainsi que d'après l'article 46 Les personnes doivent également savoir qu'elles gardent leur libertéde participer ou non et peuvent en faire usage à tout moment sans que cela puisse avoir sur elles quelque

5.4 Considérations éthiques et déontologiques 65

conséquence que ce soit. Les participants doivent exprimer leur accord explicite, autant que possible sous forme écrite.

Comme nous l'avons mentionnéci-dessus, nous avons clairement énoncéles objectifs de la recherche ainsi que la possibilitéd'arrêter l'expérience à tout moment.

Toutefois, nous ne pouvions pas expliciter l'ensemble de la recherche sous peine de fausser les résultats. Selon l'article 48, Si, pour des motifs de validitéscientifique et de stricte nécessitéméthodologique, la personne ne peut être entièrement informée des objectifs de la recherche, il est admis que son information préalable soit incomplète ou comporte des éléments volontairement erronés. Cette exception à la règle du consentement éclairédoit être strictement réservée aux situations dans lesquelles une information complète risquerait de fausser les résultats et de ce fait de remettre en cause la recherche. Les informations cachées ou erronées ne doivent jamais porter sur des aspects qui seraient susceptibles d'influencer l'acceptation à participer. Au terme de la recherche, une information complète devra être fournie à la personne qui pourra alors décider

de se retirer de la recherche et exiger que les données la concernant soient détruites. , nous avons informéchaque participant de la teneur exacte de la recherche et de la présence, dans le cas du groupe expérimental,

d'un phénomène d'amorçage qui auraient pu aider, influencer, suggérer leur prise de décision. Ils eurent le choix de nous autoriser à utiliser les données comportementales et physiologiques recueillies ou de les détruire.

Des tests de normalitétels que le QQ-plot et le test de Shapiro-Wilk (Royston, 1995) furent utilisées afin de vérifier la distribution de notre population. Nous avons utiliséles tests non-paramétriques de Mann-Whitney

6

Analyse des résultats

6.1 Méthode statistique

Deux types de données sont considérés pour la présente analyse:

-- (i) Les données physiologiques. L'activitéélectrodermale et la température furent recueillies grâce au logiciel Q air fournis avec l'appareil de mesure Q sensor, exportées et traitées grâce au tableur Excel 2010 et analysées par la suite grâce au logiciel statistique libre de droit R (version 3.2.3) et au logiciel SPSS (IBM Corp, 2014). Les données physiologiques furent mesurées toutes deux à une fréquence de 1000 Hz (soit toutes les 125ms). Pour l'analyse, seules les mesures effectuées lors des conditions contrôles (60s), familiarisation (180s) et immersion (540s) ont ététraitées. Considérant le nombre limitéde notre population (n=23), des tests non-paramétriques ont étéutilisés.

La fréquence et l'amplitude de la réponse électrodermale sont de bons indicateurs de la variation de l'état émotionnel (Brown, 2012; Goddard, 1982). Dans le but de tester l'hypothèse secondaire (1) selon laquelle les individus amorcés auraient des variations de leurs activités physiologiques plus importantes que les individus non-amorcés, nous avons choisi de comptabiliser le nombre de variations positives ou négatives atypiques de l'activitéélectrodermale par rapport à la moyenne. Étant donnéque la ligne de base est différente pour chaque participant (figure 6.3 et 6.4), et que cette ligne basale varie au cours du temps; nous avons défini la moyenne et l'écart type de l'activitéélectrodermale par fenêtre de 30 secondes sur l'ensemble du tracé,

et avons comptabiliséle nombre de variations supérieures ou inférieures à deux écarts types par rapport àla moyenne. Nous avons somméle nombre de variations de l'activitéélectrodermale pour chacune des trois

conditions.

Pour les mesures de la température, nous avons redéfini la moyenne et l'écart type toutes les 60 secondes, et avons comptabiliséle nombre de variations atypiques supérieure ou inférieure à deux écarts types. Étant donnéque les trois conditions n'avaient pas la même durée, nous avons représentéet analyséla fréquence (en seconde) du nombre de variations atypiques.

68 6 Analyse des résultats

et Wilcoxon pour comparer les médianes, et le nombre de variations atypiques de l'activitéélectrodermale et de la température entre les groupes non-amorcé(n=11) et amorcé(n=12), en fonction des différentes conditions. Une probabilitép 0.05 fut considérésignificative (SPSS, R).

-- (ii) les données comportementales sont les données recueillies lors du test d'intuition, lors de la phase d'immer-sion, à la fin de l'immersion et enfin, pendant le questionnaire. Par conséquent, le résultat au test d'intuition, les lieux déclarés verbalement pendant l'immersion, et le ressenti subjectif des participants furent analysés. L'hypothèse secondaire (2) suppose que les individus du groupe amorcéavec insight auraient des variations

de leurs activités physiologiques plus importantes que les individus amorcés sans insight, nous avons utiliséun test de Mann-Whitney sur les variables électrodermales et thermales afin de tester cette hypothèse.

Pour tester l'hypothèse secondaire (3) selon laquelle les individus amorcés auraient un nombre de décisions intuitives correctes plus élevées que les participants non-amorcés, nous avons utiliséun test de Mann-Whitney entre les deux groupes, afin de comparer le nombre de »cafés», de lieux totaux, et la fréquence (cafés/lieux totaux).

L'hypothèse secondaire (4) selon laquelle les individus amorcés présentant des scores élevés au test d'intuition énuméreraient plus de cafés que les individus présentant des scores faibles, fut testée à l'aide d'un test de Mann-Whitney.

Dans le but de tester l'hypothèse secondaire (5) selon laquelle il existerait une corrélation positive entre la prise de décision et les activités physiologiques effectuées, une matrice de corrélation de Spearman fut appliquée pour tester les relations entre les variables quantitatives physiologiques (nombre de variations et médianes des températures et de l'activitéélectrodermale) en condition repos et immersion virtuelle, les variables quantitatives continues comportementales et subjectives (nombre de lieux cafénommé), nombre de lieux total nommé(mots total), score au test d'intuition (TestScore), et un test non-paramétrique de Mann-Whitney pour comparer les variables quantitatives physiologiques et les variables qualitatives (insight).

6.2 Analyse

6.2.1 Données physiologiques Les médianes

Activitéélectrodermale

La figure 6.1 représente les médianes de l'activitéélectrodermale selon les conditions »repos», »familiarisation» et »immersion», entre les participants amorcés et non-amorcés.

Dans les conditions »repos» et »familiarisation», les médianes de l'activitéélectrodermale n'étaient pas significativement différentes entre les groupes amorcéet non-amorcé, pour le premier groupe (U=64, p>0,05 bilatéral, n=23), et pour le second groupe (U=61, p>0,05 bilatéral, n=23).

6.2 Analyse 69

Dans la condition immersion, la différence observée n'était pas significative (U=78, p>0,05 bilatéral, n=23; ).

Un test de rang de Wilcoxon pour échantillon liéfut utiliséet l'activitéélectrodermale augmente significativement entre la condition repos et familiarisation pour le groupe amorcé(T=73,p<0,05 bilatéral, n=12), ainsi que pour le groupe non-amorcé(T=59, p<0,05 bilatéral, n=11).

Figure 6.1. Comparaisons des médianes de l'activitéélectrodermale entre les sujets du groupe non-amorcéet ceux du groupe amorcé.

Température

La figure 6.2 représente les médianes des températures selon les conditions »repos», »familiarisation» et »immersion», entre les participants amorcés et non-amorcés.

En condition »repos», la différence entre les médianes des températures des groupes amorcéet non-amorcéétait significative (Mcontrole = 24, 4°C et Mamorce = 34, 3°C avec U=132, p<0,0001 bilatéral, n=23). La médiane des températures du groupe amorcéétait supérieure à celle du groupe non-amorcédans la condition »repos».

En condition »familiarisation», la différence entre les médianes des températures des groupes non-amorcéet amorcéétait significative (Mcontrole = 32, 4°C et Mamorce = 34, 5°C avec U=112; p<0,01 bilatéral, n=23). La médiane des températures du groupe amorcéétait supérieure à celle du groupe non-amorcédans la condition »familiarisation».

70 6 Analyse des résultats

De la même façon, une différence significative fut observée entre les groupes non-amorcéet amorcé, en condition »immersion» (Mcontrole = 33,3°C et Mamorce = 34, 5°C avec U=102, p<0,01 bilatéral, n=23). La médiane des températures du groupe amorcéétait supérieure à celle du groupe non-amorcédans la condition »immersion».

Sur l'ensemble des conditions, les températures du groupe amorcéne varièrent pas au cours du temps (bilatéral; n=12; W=49; p>0,05), au contraire de celles du groupe non-amorcéqui augmentèrent au cours du temps de façon significative (Mrepos = 24,4°C ;Mfamiliarisation = 32,4°C; Mimmersion = 33,3°C avec T=66; p<0,005 bilatéral; n=11).

Figure 6.2. Comparaisons des médianes des températures entre les sujets du groupe non-amorcéet ceux du groupe amorcé.

Les variations atypiques

La représentation graphique de l'activitéélectrodermale en fonction du temps des participants montre qu'il existe de nombreuses variations de l'activitéphysiologique, représentées par les pics d'activité(figure 6.3 et 6.4), c'est à dire par une augmentation soudaine et ponctuelle de l'intensitéélectrodermale.

6.2 Analyse 71

Figure 6.3. Activitéélectrodermale des participants du groupe non-amorcéenregistrée à une fréquence de 1000Hz, soit toutes les 125ms.

Dans le but de poursuivre notre investigation de l'hypothèse secondaire selon laquelle les participants amorcés auraient des variations de leurs activités physiologiques plus élevées que ceux des participants non-amorcés, nous

Figure 6.4. Activitéélectrodermale des participants du groupe amorcé.

72 6 Analyse des résultats

souhaitons savoir s'il existe une différence de la fréquence de variations (FV) entre les participants des deux groupes,

pour l'activitéélectrodermale et la température. Selon la règle établie (Iglewicz et Hoaglin, 1993), pour l'activitéélectrodermale et la température, toute variation supérieure ou inférieure à deux écarts-types à la moyenne sera considérée comme atypique.

Activitéélectrodermale

Suivant la configuration (figure 6.5), les participants du groupe amorcéavaient en moyenne un nombre de variations atypiques par seconde de leur activitéélectrodermale, supérieur à celui du groupe non-amorcésur l'ensemble de l'expérience (fnon-amorc'e = 0, 25s-' et famorce = 0,32 avec U=103, p<0,05 bilatéral, n=23).

Le nombre moyen de variations de l'activitéélectrodermale entre les participants du groupe amorcéet ceux du groupe non-amorcéétait significativement différent lors de la condition »repos». Les participants du groupe amorcéavaient un nombre de variations atypiques supérieur à ceux du groupe non-amorcé(fnon-amorc'e = 0, 17s-' et famorce = 0, 35s-' avec U=100, p<0,05 bilatéral, n=23).

Lors de la condition »familiarisation», la différence entre les deux groupes existerait en tendance (fcontrole = 0, 15s-' et famorce = 0, 28s-' avec U=97,5, p= 0,051 bilatéral, n=23), le groupe amorcéaurait alors une fréquence de variations atypiques plus élevée que celui du groupe non-amorcé. Il n'y avait pas de différence significative entre les deux groupes pour la condition »immersion» (U=85, p>0,05 bilatéral, n=23).

Pour les participants du groupe amorcé, il n'y avait pas de différences significatives de la FV selon les conditions (frepos = 0, 35s-' ;ffamiliarisation = 0, 28s-' ; fimmersion = 0, 34s-' avec T=37, p>0,05 bilatéral, n=12). Pour les participants du groupe non-amorcé, une différence significative entre les conditions »familiarisation» et »immersion», fut observée (ffamiliarisation = 0, 15s-' ; fimmersion = 0, 28s-' avec T=51, p>0,05 bilatéral, n=11).

6.2 Analyse 73

Figure 6.5. Fréquence du nombre de variations atypiques de l'activitéélectrodermale

Température

Suivant la configuration (figure 6.6), le nombre moyen de variations de l'activitéthermale entre les participants amorcés et ceux non-amorcés était significativement différent lors de la condition »repos». Les participants du groupe amorcéavaient un nombre de variations atypiques supérieurs à ceux du groupe non-amorcé(fnon-amorc'e = 0, 22s-' et famorce = 0,33s-' avec U=99,5, p<0,05 bilatéral, n=23).

Pour les conditions »familiarisation» et »immersion», il n'y avait pas de différences significatives avec respectivement (U=68,5, p>0,05 bilatéral, n=23)familiarisationet(U = 72,p>0, 05bilat~eral, n = 23)immersion.

74 6 Analyse des résultats

Figure 6.6. Fréquence du nombre de variations atypiques de la température

6.2.2 Données verbales

Les données verbales émanent (i) des réponses des participants au test d'intuition et (ii) des prises de décision intuitive lors de l'immersion virtuelle.

Test d'intuition

Nous avons effectuéun test de Mann-Whitney dans le but de tester notre hypothèse secondaire selon laquelle les participants du groupe amorcéavec des scores élevés au test d'intuition énuméreraient un nombre de cafés plus élevéque ceux avec des scores peu élevés. Le test n'était pas significatif (U=16, p>0,05 bilatéral, n=12).

Prise de décision

Afin de tester notre hypothèse selon laquelle les participants amorcés auraient un nombre de décisions verbales correctes plus élevéque les participants non-amorcés, nous avons comparéà l'aide d'un test de Mann-Whitney, les variables »cafés», »lieux» et »fréquence» entre les deux groupes.

Les participants du groupe amorcénommèrent plus de lieux que les participants du groupe non-amorcé(Lieuxamorce = 16 avec Q1 = 14 et Q3 = 23; Lieuxnon-amorc'e = 8 avec Q1 = 6, 5 et Q3 = 12, 5; avec U=110,5, p<0,005 bilatéral, n=23).

6.2 Analyse 75

2. Plus la corrélation est forte et positive et plus le point est intense et rouge. Plus la corrélation est forte et négative et plus le point est intense et bleu. Réaliségrâce au logiciel R.

Ils identifièrent plus de cafés (décisions intuitives verbales correctes) que les participants du groupe non-amorcé(Cafesamorce = 5, 75 avec Q1 = 3,75 et Q3 = 8; Cafesnon-amorc'e = 2,72 avec Q1 = 1 et Q3 = 4; avec U=104,5,

p < 0,05 bilatéral, n=23).

Bien que la fréquence des lieux cibles du groupe amorcéfut supérieure à celle du groupe non-amorcé(Famorce = 33% avec Q1 = 24 et Q3 = 44; Fnon-amorc'e = 20% avec Q1 = 6,25 et Q3 = 39,59), la différence n'était pas significative (U=85,5, p>0,05 bilatéral, n=23).

Figure 6.7. Comparaison entre groupe non-amorcéet groupe amorcédes médianes du nombre de cafés nommés, du nombre

de lieux total nommé, et de la fréquence exprimée en pourcentage (Cafes

Lieux ).

6.2.3 Analyse des corrélations Variables quantitatives

Les figures 6.8 et 6.9 représentent les corrélographes des matrices de corrélations de Spearmann effectuées entre les variables qualitatives et quantitatives, dans le but de tester l'hypothèse secondaire selon laquelle, il existerait des corrélations entre les variables physiologiques et la prise de décision. Des corrélations positives furent observées entre le nombre de cafés nommés et la fréquence du nombre de variations atypiques de la température en condition familiarisation (rho=0,56 et p<0,05), ainsi qu'entre le nombre de lieux nommés et l'activitéélectrodermale au repos (rho=0,59 et p<0,05), pour le groupe amorcé. Alors qu'une corrélation positive fut observée entre le nombre de cafés nommés et le nombre de lieux nommés dans le groupe non-amorcé(rho=0,73 et p<0,02), cette relation de dépendance ne fut pas observée dans le groupe amorcé. Pour les participants du groupe amorcé, des corrélations positives furent observées entre la fréquence de variations atypiques de la température et celle de l'ac-tivitéélectrodermale, sur l'ensemble de l'expérience (rho=0,6 et p<0,05). Aucune corrélation entre les différentes

76 6 Analyse des résultats

Figure 6.8. Corrélographe représentant la matrice de corrélation du groupe amorcé. 2

Figure 6.9. Corrélographe représentant la matrice de corrélation du groupe non-amorcé.

mesures physiologiques ne furent observées dans le groupe non-amorcé. Toutefois, nous observons une corrélation positive élevée (r=0,78 et p<0,005)dans le groupe non-amorcéentre le nombre de lieux dénommés et la fréquence des variations atypique de température.

Variable qualitative Insight

Dans le but de tester notre hypothèse sur un lien éventuel entre les mesures physiologiques enregistrées et la capacitéintuitive des participants, nous avons comparéles participants du groupe amorcéavec insight, des participants du groupe amorcésans insight, en fonction des médianes de l'activitéélectrodermale et de la température dans

les trois condition »repos», »familiarisation» et »immersion», ainsi que de la fréquence des variations de l'activitéélectrodermale et de la température. Un test de Mann-Whitney fut utilisé.

6.2 Analyse 77

Figure 6.10. Comparaison des médianes de l'activitéélectrodermale en condition repos et familiarisation entre les participants du groupe amorcéavec insight et ceux sans insight.

Selon la figure 6.8, les participants amorcés avec insight auraient une médiane plus élevée que ceux sans insight, dans les conditions repos et familiarisation. Les tests montrent que les participants avec insight auraient une médiane de leur activitéélectrodermale en condition repos et familiarisation supérieure à ceux sans insight (U=34, p<0,005 bilatéral, n=12), alors que la différence entre les médianes des températures ne sont pas significatives (U=27, p>0,05 bilatéral, n=12).

Les participants avec insight sont aussi ceux qui nommèrent le plus de lieux pendant la condition immersion (U=36, p<0,005 bilatéral, n=12).

De plus, tous les participants dirent ressentir une sensation d'immersion lors de notre questionnaire, ce qui soulignerait l'effet de présence ressenti.

Quatrième partie

Discussion

81

La discussion de nos hypothèses à la lumière de nos résultats est nécessaire pour comprendre ce qui s'est possiblement passédans cette expérience et ce qui pourrait être compris des résultats recueillis. Nous rappelons dans un premier temps l'ensemble de nos hypothèses et les résultats associés :

L'hypothèse générale suppose que les indices visuels et olfactifs de l'environnement naturel préactiveraient de manière non-consciente des représentations internes qui feraient émerger l'intuition, qui s'exprimerait dans la prise de décision verbale. Pour investiguer cette hypothèse générale, nous avons mesuréd'une part les variables physiologiques (marqueurs somatiques) pouvant suggérer une influence non-conscientes des amorces au niveau du système nerveux autonome, et d'autre part, les données verbales suggérant une influence des marqueurs somatiques sur une décision verbale consciente.

Les hypothèses nous aidant à résoudre cette hypothèse générale sont :

1 Les individus amorcés auraient des variations de leurs activités physiologiques (température et activitéélectrodermale) plus importantes que les individus du groupe non-amorcé.

Les résultats montrèrent que les participants amorcés eurent une activitéélectrodermale (médiane et fréquence des variations atypiques) statistiquement plus élevée dans les conditions contrôle et familiarisation, au contraire des participants non-amorcés. La médiane des températures fut aussi plus élevées chez les participants amorcés que les non-amorcés selon les trois conditions.

2 Les individus du groupe amorcéayant eu un insight de la solution, auraient des variations de leurs activités physiologiques différentes des individus sans insight.

Les participants amorcés avec insight eurent leur médiane de l'activitéélectrodermale statistiquement plus élevée que les participants amorcés sans insight.

3 Les individus amorcés présentant des scores élevés au test d'intuition énuméreraient plus de lieux cibles que les individus présentant des scores faibles.

Les résultats montrèrent qu'il n'existait pas de différence statistique entre les participants amorcés avec un score élevéau test d'intuition et les participants amorcés avec un score faible, pour le nombre de prises de décision intuitives correctes.

4 Les participants amorcés auraient un nombre de décisions intuitives correctes (»le café») plus élevées que les participants non-amorcés. Les participants amorcés identifièrent plus de »cafés» que les participants non-

amorcés. Ils semble qu'ils eurent plus de décisions verbales correctes que les participants non-amorcés.

5 Il existerait une corrélation positive entre la prise de décision et les activités physiologiques effectuées : l'activitéphysiologique est d'autant plus élevée que la prise de décision est correcte.

Les résultats montrèrent qu'il existerait une corrélation positive entre le nombre de prises de décision correctes et les variations atypiques de la température en condition familiarisation et de l'activitéélectrodermale en condition repos.

Nous rappelons aussi, que les indices visuels et olfactifs présentés, étaient discrets sans être subliminales et avaient comme thématique principale, le »café». Nous supposions que les participants du groupe amorcé, comprennent de façon intuitive que les lieux à nommer correspondaient aux quatre cafés présents dans l'environnement virtuel, au contraire des participants non-amorcés. Nous rappelons que l'insight est l'émergence à la conscience du processus non-conscient intuitif (Lieberman, 2000). C'est le moment, soudain et spontané, oùla personne, face à un problème,

82

comprend la solution. Par conséquent, nous parlons d'insight, lorsqu'il y a un accès conscient et verbal de la représentation, alors que nous parlons plutôt d'intuition, lorsque la représentation demeure non-consciente, ou préconsciente, et influence l'individu malgr~e-lui. La personne fait donc un choix conscient juste sans savoir toutefois

pourquoi ce choix est juste (Damasio, 2000). A la lumière de ces éléments, nous allons discuter nos hypothèses àl'aide des résultats recueillis.

7

Amorçage, traces mnésiques et intuition

7.1 Hypothèse générale

Les résultats montrèrent que les participants amorcés ont nommé, en moyenne, plus de cafés que les participants du groupe non-amorcé. Les participants amorcés ont aussi nomméplus de lieux en général. Les matrices de corrélations montrent que dans le cas du groupe amorcé, le nombre de cafés nommés et le nombre de lieux total nommés ne seraient pas dépendants, au contraire du groupe non-amorcé.

D'après les résultats de corrélations, les participants non-amorcés qui nommèrent le plus de lieux, nommèrent aussi le plus de cafés. Cette corrélation positive n'est pas retrouvée dans le groupe amorcé. Cette différence suggérait une sélection de la part des participants amorcés, au contraire des participants non-amorcés qui auraient nommés les cafés sans l'influence de l'effet d'amorçage. Étant donnéque l'ensemble E1 cafés, est inclus dans l'ensemble E lieux, une relation de probabilitéexiste entre ces deux ensembles. C'est à dire qu'en tirant au sort dans l'ensemble E, j'aurais une chance statistiquement calculable de tomber sur un élément de l'ensemble E1. Par conséquent, dans le cas d'un choix non dirigé, plus un individu nommerait de lieux présent dans l'ensemble E, plus il nommerait aussi de cafés. Ceci pourrait expliquer la corrélation positive retrouvée chez les participants non-amorcés et l'absence de corrélations chez les participants amorcés.

Il existait une cinquantaine de lieux différents présents dans l'environnement virtuel dont les quatre cafés sélectionnés, la probabilitéde choisir les cafés en l'absence d'amorces était donc de 4/50. Toutefois, il faut nuancer ce propos car certains lieux, parmi la cinquantaine présent dans l'environnement virtuel, étaient plus à même d'attirer l'attention que les autres, étant la population d'étudiants citadins que nous avions choisie. Ainsi les musées, les boutiques, les restaurants et les cafés font partis des lieux les plus mentionnés par nos participants, tout groupe confondu, c'est à dire les lieux oùil serait commun de se rendre en tant que citadin. Il y avait dans l'environnement une vingtaine de boutiques, un musée, deux places connues et enfin les quatre cafés sélectionnés. A' la suite de la consigne, les participants ont dûfaire un choix parmi ces lieux possibles, or dans les deux groupes, les participants ont tous consciemment essayéd'inférer »raisonnablement» le choix à faire. En effet, lors de notre questionnaire, l'ensemble des participants, nous ont dit s'être basés sur des éléments visuels tels que les couleurs, la position du lieu ou un élément visuel marquant, qui aurait pu en faire un lieu sélectionnépar l'expérimentateur. Que les participants furent amorcés ou non, ils n'ont pas consciemment mentionnéles indices présents dans l'environnement naturel. Pourtant, les résultats montreraient une différence de corrélations entre les deux groupes pour les ensembles »lieux»

84 7 Amorçage, traces mnésiques et intuition

et »cafés», et seraient en faveur d'un phénomène d'amorçage dans la prise de décision. Ces résultats sont compatibles avec une étude parue en 2013 de Qu et al, montrant que l'amorçage dans un contexte de réalitévirtuelle pouvait influencer le choix des réponses des participants.

Une influence non-consciente des indices de l'environnement naturel sur les prises de décision verbales des participants amorcés pourraient expliquer cette différence de corrélations entre les deux groupes et cette augmentation significative du nombre de prises de décisions verbales.

Nous tenterons d'expliquer ces résultats à la lumière du connexionnisme (Andler, 1990; Victori, 1995; McCulloch, 1949) et de l'associationnisme (Hebb, 1949; Hopfield, 1982); mais tout d'abord nous nous intéresserons aux participants qui ont eu un »insight» afin de comprendre les processus cognitifs à l'oeuvre derrière cette prise de conscience et ce que les participants ont pu nous en dire.

Certains des participants ont compris à un certain moment de l'expérience que la solution au problème se trouvait dans les cafés. Aucun des participants n'a pu faire le lien entre les indices présents dans l'environnement (les affiches, la table de bar, le thermos et les gobelets de café) et le problème posé, mais 58%(7 participants sur 12) d'entre eux ont déclaréavoir étéattirés par les cafés et ont du eu un »insight», et parmi eux, deux participants ont clairement su que la réponse se trouvait dans les cafés. Un des participants a d'ailleurs seulement nomméles cafés, ce qui montrerait la décision sélective effectuée sur la base des indices. Il dit à la fin de l'expérience qu'il savait que la solution était »café», mais ne pouvait pas l'expliquer.

Nous allons dans les prochaines sections comprendre les liens existants entre l'amorçage et la prise de décision intuitive explorée dans cette étude.

7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage

Il existe plusieurs modèles qui permettraient d'expliquer le phénomène d'amorçage. Le premier que nous présenterons est héritédu modèle de Collins et Loftus (1975) et de la psychologie computationnelle, il reste encore utiliséde nos jours du fait de sa facilitéde compréhension et se place au niveau des représentations. Le second (Masson, 1995) rompt totalement avec le premier et est tirédes théories du connexionnisme qui se placent à un niveau sub-représentationnel et proposent un modèle plus proche de la neurophysiologie théorique et des réseaux de neurones que de la psychologie cognitive. Enfin le troisième développépar Ratcliff et McKoon (1988) se base sur le concept de familiaritéet fait appel aux relations entre mémoire à court terme (MCT) et mémoire à long terme (MLT).

7.2.1 Diffusion de l'activation

Le modèle de propagation de l'activation ou diffusion de l'activation (spreading activation theory) est particulièrement utiliséen psychologie cognitive pour expliquer ce phénomène. Un concept activépar un input interne ou externe activerait tout un réseau de concepts voisins. Dans notre cas, le mot »café» pourrait alors activer »sucre», »lait», »cappuccino», mais aussi »terrasse», »cigarette». Ainsi, après activation d'un premier concept, tous les autres gravitant autour de ce dernier, seraient pré-activés (Collins et Loftus, 1975). Ce modèle suppose donc à la base, que les idées seraient agencées selon un réseau de noeuds interconnectés et communicants. Contrairement au modèle

7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage 85

de Quillian (1969), l'ensemble de ces noeuds-concepts ne seraient pas organisés hiérarchiquement mais plutôt selon une distance et un poids sémantique.

Ce modèle se base sur plusieurs hypothèses :

| (i)Lorsqu'un concept est stimulé, l'activation irait diffuser sur l'ensemble du réseau selon un gradient décroissant. Ainsi, les concepts les plus éloignés du concept stimuléseraient activés à moindre degréque

86 7 Amorçage, traces mnésiques et intuition

Figure 7.1. Exemple d'un réseau sémantique réaliséà partir des amorces utilisées dans l'expérience : tasse de caféet affiches utilisées pendant l'expérimentation. Il y aurait diffusion de l'activation à partir des amorces, et il existerait un gradient d'activation représentée dans l'exemple par l'épaisseur des lignes. Plus les représentations sont proches des amorces et plus elles auraient un degréd'activation élevé. Et, plus il y aurait d'amorces activatrices de la même représentation, plus la représentation serait activée.

les concepts jouxtant le concept stimulé. Il serait donc plus facile pour un expérimentateur d'activer »sucre» en amorçant le mot »café», que »soucoupe» ou »confiture».

(ii) Selon ce même modèle, plus l'activation est répétée dans le temps, et selon plusieurs modalités (sémantique, sensorielle), et plus l'activation durerait dans le temps. Dans le cas de notre expérience, les participants étaient amorcés grâce aux affiches de terrasse de cafés avant l'entrée dans la salle d'expérimentation, puis l'amorçage continua pendant toute la passation du test d'intuition et selon une modalitévisuelle (affiches, gobelets) et olfactive (odeur du café).

(iii) L'activation est une variable quantitative qui nécessiterait d'atteindre un seuil d'activation afin d'activer un certain concept cible. Cette quantitéd'énergie serait directement proportionnelle à la somme des stimuli et à la diversitédes modalités utilisées. Ainsi comme vu précédemment, dans le but d'activer la solution au problème posé(cafés), nous avons utiliséplusieurs amorces, toutes reliées de façon conceptuelle et perceptive à la cible afin de maximiser l'énergie d'activation diffusée.

7.2.2 Mémoire en réseau de neurones

Ce second modèle tiréde l'approche connexionniste, diffère du précédant, d'un point de vue conceptuel. En effet, le connexionnisme postule que la mémoire serait agencée et distribuée en réseaux d'unités (neurone formel), eux-mêmes organisés en modules (Andler, 1990; pour une revue de ces modèles voir : Abdi, 1994). Un certain nombre de ces unités recevraient l'information de l'extérieur (perception) et d'autres transmettraient l'information jusqu'àcertaines unités de sortie (motrice). Entre l'entrée (input) et la sortie (output), il existerait des unités dites cachées, de traitement intermédiaire. L'activation d'une unitédécoulerait de la somme pondérée des entrées, et tout comme le neurone, si l'activation est supérieure à un seuil fixé, l'unitéenverrait l'information 1 (activation), si le seuil n'est pas atteint l'unitén'enverrait aucune information (0), et enfin, si le seuil est atteint et inhibiteur, l'unitéenverrait l'information (-1). Ainsi chaque unitépourrait activer, inhiber ou rester »dormante» par rapport aux autres unités. L'ensemble du réseau de neurones se base aussi sur la modification des poids d'interconnexions entre les unités, en fonction de l'expérience. La mémoire correspondrait à un état d'activation antérieure à l'état actuel. Dans le but d'expliquer le phénomène d'amorçage, nous nous concentrerons sur le modèle de Masson (1995). Ce réseau représente les concepts en fonction des poids de connexions reliant un ensemble d'unités entre elles. Ainsi pour l'identification d'un mot, il y aurait activation d'un ensemble d'unités codant chacune pour l'orthographe, la sémantique, la phonologie. Ce schéma d'activation définit donc le concept, et à chaque activation de ce patron, le concept serait remémoré. Le patron d'activation est défini selon des poids de connexions qui suivent la règle d'apprentissage de Hebb (1949). Selon le postulat de Hebb ou théorie des assemblées de neurones, deux neurones qui stimulent au même moment sont des neurones qui se relient ensemble. Appliquéau modèle connexionniste de la

7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage 87

mémoire, elle définit la loi d'encodage des différents schémas d'activation. Ainsi, lorsque de nouveaux stimuli sont présentés, une modification des poids de connexions entre les unités ainsi qu'une altération des valeurs de chaque unitéinterviendraient. Au début de l'apprentissage, les états d'activation des unités sont plus ou moins chaotiques, mais au fur et à mesure que la présentation se répète (apprentissage), les poids de connexions augmentent entre les unités qui ont les même valeurs d'activation, sinon ils diminuent. Ceci se poursuit jusqu'àce que l'ensemble du système atteigne un point d'équilibre qui définira le nouveau pattern appris.

Le modèle de Masson (1995) suppose que les concepts liés sémantiquement ont des schémas d'activation similaires à travers les unités de traitement du module sémantique. Pour que des concepts soient liés sémantiquement, il est nécessaire qu'ils apparaissent fréquemment ensemble et qu'ils partagent des aspects sémantiques en fonction du contexte. Une tâche de cafésera plus proche d'une tâche d'huile que d'une tasse de cafépar exemple, à cause du contexte dans lequel le concept »tâche de café» apparaît (pour une revue sur le lien entre mémoire et contexte voir Rosenfield, 1989). Par conséquent, chaque structure d'apprentissage dépend de l'individu et de son environnement d'apprentissage. A' partir de ces éléments, nous supposons que l'amorce activerait un certain pattern qui sera plus ou moins en harmonie (en rapport) avec le pattern d'activation de la cible. Plus la similaritéentre les deux patterns serait élevée et plus le pattern des unités du module sémantique de la cible pourrait s'activer rapidement.

7.2.3 Théorie épisodique

La théorie de l'indice composite (»compound cue theory») proposée par Ratcliff et McKoon (1988), se fonde sur l'hypothèse que les informations stockées en mémoire à long terme(MLT) sont sous forme d'images mnésiques contenant la représentation et les informations associatives et contextuelles associées. Ces dernières sont dépendantes de l'encodage en mémoire à court terme (MCT). Ainsi, les informations de la MLT dépendent essentiellement de la durée passée en MCT, de la liaison à ce moment à d'autres items. La récupération de l'information en MLT dépend d'indices qui peuvent être des mots, des sons, des images et qui ont une force d'associativitéavec l'information contenue en MLT, plus ou moins forte. Plus l'indice serait fortement associéà l'image mnésique contenue en MLT et plus la récupération serait effective. Ce modèle se base sur le concept de familiarité(Gillund et Shiffrin, 1984) qui propose que l'indice génèrerait une activation globale au sein de la MLT qui déterminerait la probabilitéde la reconnaissance de l'image mnésique cible. La familiaritése définit comme la force de liaison entre l'indice et l'image mnésique en MLT multipliée par la force de liaison entre le contexte et cette même image mnésique (Gillund et Shiffrin, 1984). Plus deux concepts sont connectés et plus sera grande la valeur de familiaritéentre eux. Dans le cas de l'amorçage, plus la valeur d'amorçage sera grande entre l'amorce (objet perçu) et la cible (image mnésique), plus le temps de décision sur la cible sera court. Dans notre cas, l'indice était constituéde l'amorce »café» et de la cible (lieux »cafés» dans l'environnement virtuel). Ces deux représentations seraient associées dans la MLT. Chacun de ces deux items activeraient les traces mnésiques qui lui sont propres dans la MLT, ce qui donnerait une valeur globale d'activation ( un champs d'activation). Or comme ces deux items sont proches sémantiquement, selon la théorie de l'indice composite, les champs d'activation pourraient se recouper, ce qui provoquerait une valeur d'activation importante (Ratcliff et McKoon, 1988) et faciliterait la prise de décision envers cette cible.

88 7 Amorçage, traces mnésiques et intuition

7.2.4 Liens entre l'amorçage et l'intuition

Les modèles présentés ci-dessus, la diffusion de l'activation, la mémoire en réseau, et la théorie épisodique, permettraient d'expliquer en partie l'intuition dont a fait preuve les participants du groupe amorcé. Reprenons les faits de l'expérience. Les participants de ce groupe ont perçu consciemment ou préconsciemment les indices de »cafés» présents dans la salle - en effet l'amorçage n'était pas subliminal - sans toutefois savoir qu'ils avaient un lien avec le problème qui allait être posé. Lors de l'immersion virtuelle, les participants amorcés ont nomméplus de lieux en lien avec le café, et certains d'entre eux ont devinéque la solution était »café», sans faire de liens avec les indices. D'autre part, à la fin de l'expérience les participants nous dirent qu'ils n'avaient pas vraiment fait attention aux indices présents. Au regard de ces faits et des modèles précédemment présentés, nous supposons que des informations perçus, même non-consciemment ou »pré-consciemment», c'est à dire sans une attention consciente, sont capables d'avoir une influence sur une prise de décision ultérieure. D'après ces modèles, il se pourrait que la perception dans l'environnement virtuel des cafés s'associent à celle des amorces de l'environnement naturel et influence la prise de décision pour ce lieu plutôt que d'autres lieux. Toutefois, étant donnéque les participants étaient tous parisiens et étudiants, nous pourrions imaginer que certains des lieux de la vidéo seraient de prime abord plus attractifs pour eux, annulant ainsi l'effet des amorces. Toutefois, la consigne devait provoquer chez les participants une mise en lien entre le contexte de l'expérimentation, et l'environnement virtuel. Or dans le cas d'une familiaritéentre ces deux objet, le participant pourrait se baser sur une intuition, alors que dans le cas d'une absence de familiarité, le participant ne pourrait se baser que sur une inférence »logique» ou être dans l'incapacitéde répondre. C'est d'ailleurs ce qu'on observerait chez trois des participants non-amorcés qui ne nommèrent aucun lieu. Nous supposons que cette absence de réponses dénoterait d'une absence de liens dans l'expérimentation pour ces participants. Toutefois, chez d'autres participants non-amorcés, il y eu des réponses basées sur les éléments visuels et sur une tentative d'inférer ce que les expérimentateurs auraient choisi. Ainsi, certains nous dirent avoir choisis les lieux aux couleurs les plus voyantes. Ainsi, même en l'absence d'indices, et d'intuition, les individus tenteraient de créer du sens dans le but de répondre correctement à une situation donnée.

Nous entrevoyons les limites des théories de l'amorçage dans le cas de l'intuition. En effet, aucune de ces théories n'expliquent vraiment pourquoi les participants se sentent attirés par les lieux amorcés. Le fait même que ces lieux soient déjàpré-activés ne peut être une solution. Il aurait fallu une théorie de l'esprit basée sur des principes d'économie énergétique pour rendre compte de ce phénomène. A' notre connaissance, il n'existe pas de modèle complet rendant compte du fait que la pré-activation d'une représentation ou d'un réseau de neurones, a le dessein de tendre vers l'équilibre énergétique, et que cette pré-activation tend à s'annuler dans la résolution du problème présenté. C'est à dire, qu'àpartir du moment oùil y a pr'e-activation, il y a besoin de trouver une représentation ou un pattern annulateur afin de retourner à un état d'homéostasie propre au système. Tant que la pr'e-activation durerait, l'état de tension psychique du sujet serait supérieure à sa ligne de base, et créerait un besoin/désir de trouver l'objet.

Dans le cas de notre expérience, l'amorçage aurait activécertains schémas chez les participants en lien avec le champ sémantique du café, des terrasses de café, et de Paris(voir Figure 7.1 par exemple). Selon les modèles précédemment

7.2 Modèles explicatifs de l'amorçage 89

cités, la rencontre avec un environnement liéà ces pré-activations devrait provoquer une réaction. Dans le but de mesurer cette/ces réaction(s), nous avons choisi sur la base des expériences de Bechara et ses collaborateurs (1997), de nous intéresser aux réactions physiologiques des participants amorcés et des non-amorcés afin de détecter une possible différence.

8

Environnement, Système nerveux autonome et Prise de décision

8.1 Effet de l'amorçage sur la température

Dans les trois conditions, les participants du groupe amorcéavaient des médianes de températures périphériques supérieures à celles des participants du groupe non-amorcé. Même si la température est une variable physiologique encore peu étudiée pour mettre à jour des modifications du système nerveux autonome, les études montrent qu'une diminution de la température périphérique au niveau des doigts et du poignet serait liée à une augmentation du stress (Vinkers et al, 2013), et serait de la même façon utilisée comme un marqueur de stress dans les techniques

de biofeedback (Ahmed et al, 2010). Au contraire, une augmentation de la température périphérique serait liée àun état de relaxation (Yang et al, 2011). Ces données peuvent être expliquées par la vasoconstriction provoquée

par une activation du système nerveux autonome sympathique, afin d'augmenter la température centrale dans le cas d'une situation aversive (Nakayama et al, 2005). Dans le cas d'un état de relaxation, une augmentation de la température périphérique serait expliquée par le fait que les nerfs cholinergiques des vaisseaux périphériques appartiennent au système nerveux parasympathique et sont vasodilatateurs (Chédotal et Hamel, 1993). A' la lumière de ces informations, nous pouvons supposer que les participants amorcés avec le cafése sentaient plus détendus que les participants non-amorcés, et ce, dès la condition repos; c'est à dire dès le début de l'expérience. Plusieurs explications pourraient expliquer ce phénomène :

[1 ] Les expérimentateurs auraient étéplus accueillants avec les participants du groupe amorcé.

[2 ] L'effet d'amorçage aurait fonctionnéet le café, la table de bar, ainsi que les affiches auraient contribuéàcréer un environnement plus chaleureux, plus accueillant.

Les expérimentateurs, tout comme les participants, auraient pu se sentir plus détendus. Ce qui pourrait alors confirmer l'hypothèse [1], en renforçant l'hypothèse [2] et expliquerait la température périphérique plus élevée chez les participants amorcés, souvent signe d'une relaxation.

De plus, en condition »familiarisation» et »immersion», les températures des participants non-amorcés augmentèrent comparéà la condition repos, mais les différences restèrent toujours significatives entre les deux groupes.

Afin d'expliquer cette différence inter-groupe dans les conditions familiarisation et immersion, nous nous baserons sur ce que les participants ont pu nous dire de leurs ressentis pendant l'expérience. La plupart des participants du groupe non-amorcé, rapportèrent avoir étédéstabilisés après la consigne par le manque d'information, qui pourrait expliquer la différence de »cafés» et de »lieux» identifiés entre les deux groupes. Il serait envisageable que le manque

92 8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise de décision

d'information pour répondre à la consigne produise un état de stress plus élevéque chez les participants amorcés. Les participants amorcés furent plus prolixes, ce qui pourrait aller dans le sens d'un degréde relaxation plus élevécomparativement aux participants non-amorcés.

8.2 L'instinct de connaissance

La résolution d'un problème, quelle que soit sa nature, passe par la mise au point de stratégies de résolution qui peuvent être, soit de nature analytique, soit de nature intuitive (Kahneman, 2003). Dans les deux cas pourtant, l'individu utilise un ensemble d'informations pertinent associéau problème posé. Dans le cas d'un raisonnement analytique, l'individu se baserait sur un ensemble de lois apprises (par exemple celles de la physique ou des mathématiques) qu'il agencera entre elles afin de résoudre le problème. Dans le cas d'un raisonnement intuitif, l'individu se baserait de la même façon sur un ensemble de lois apprises de façon consciente et/ou implicite, qui vont s'agencer, se synthétiser dans le sujet pour le mener à la réponse. Même si le processus est différent par le degréde conscience impliqué, les informations dans les deux cas sont de même nature : une information inscrite en mémoire (les lois apprises, les expériences) et une information contextuelle (l'environnement). Il y aurait un constant aller-retour entre les traces mnésiques et la perception immédiate du problème.

Plus l'individu disposerait d'un ensemble d'informations étendu et protéiforme et plus il serait à même de créer des associations, des liens lui permettant d'enrichir son élaboration du problème afin d'atteindre la solution. Dans le cas d'un modèle bayésien basésur l'anticipation, ceci pourrait se comprendre de la façon suivante:

Plus le système dispose d'informations contextuelles et subjectives, plus il serait efficace pour anticiper les réactions de son environnement ou d'un autre système. Or, l'Homme est un être qui possèderait un besoin de contrôle (Kanfer, 1990; Weiner, 1974), afin de maintenir un environnement sécurisant et prédictible. Le besoin de contrôle permettrait de minimiser la surprise liée au hasard et aléas, et maximiser la prédictibilitéde l'environnement; ce besoin s'accomplirait dans ce que les psychanalystes appellent la pulsion épistémique ou encore ce que Jeangirard (2007, 2014) nomme »pulsion dromique». Ce besoin impérieux chez l'enfant d'aller explorer un ailleurs, de lâcher la main de la mère afin de satisfaire son besoin de curiosité. D'un point de vue évolutionniste, cette volontéde minimiser la surprise et de maximiser la prédictibilitéd'un environnement, pourrait permettre de protéger l'individu et le groupe, des prédateurs opportunistes ou encore des grandes catastrophes naturelles, industrielles, économiques (Festinger, 1957). Le comportement exploratoire d'un animal viendrait d'une pulsion, d'une motivation interne (Harlow et al, 1950; Berlyne, 1960). Selon Perlovsky (2006), il existerait un instinct de connaissance au même titre qu'il existerait un instinct sexuel; cet instinct viendrait du fait que l'espèce vivante aurait besoin de s'adapter en permanence à un environnement constamment changeant. Nous ne voyons jamais deux fois le même objet de la même façon (angles, luminosité, contexte etc.), c'est pourquoi nos représentations internes auraient continuellement besoin de s'adapter et de se modifier. Les connaissances ne seraient pas statiques, mais sans cesse gouvernées par un processus d'adap-tation et d'apprentissage, et sans cette adaptation entre nos modèles internes et le monde, il se pourrait que notre compréhension du monde ne soit possible, et nous ne pourrions survivre. Par conséquent, il se pourrait que l'instinct qui nous motive, et nous pousse à augmenter nos connaissances soit innéet soit à la base de nos capacités cognitives de haut niveau. Aristote pensait que nous comprenons le monde à travers des Formes (représentations, modèles) de

8.3 Prise de décision, réactions physiologiques et émotions 93

notre esprit. La Cognition serait un processus d'apprentissage par lequel, des Formes potentielles (modèle initial) rencontreraient le monde phénoménal (signales sensoriels) et deviendraient une Forme actuelle (un concept). Alors que les Formes actuelles découlent de la logique, les Formes potentielles n'obéissent pas à la logique. Ainsi, la logique apparaîtrait d'états et de processus illogiques (Perlovsky, 2007).

Mathématiquement, cet instinct pourrait être traduit par une maximisation de la similaritéentre les concepts, les représentations internes (top-down) et le monde externe (bottom-up) (Grossberg, 1983; Perlovsky, 2006). Dans le but d'accroitre cette similarité, l'individu serait investit d'un besoin de connaître son environnement et d'accumu-ler de l'information. Nous pourrions supposer à partir de ces postulats, que l'absence d'informations face à une problématique ciblée pourrait entraîner une tension psychique, réalisée sous forme de peur ou d'anxiété.

Lorsque les participants non-amorcés se sont confrontés au problème posé, il leur manquait les indices nécessaires au processus de résolution. Alors que l'environnement virtuel présentéaux individus du groupe non-amorcén'avait aucun point familier avec l'environnement naturel du début de l'expérience, les individus du groupe amorcédispo-saient, eux, d'une certaine familiaritéentre les deux environnements dont le point d'ancrage était représentépar la thématique du »café». En liant la théorie de l'amorçage avec celle de la connaissance (knowledge instinct), il se pourrait que le participant confrontéau nouvel environnement (l'environnement virtuel) fut dans une position cognitive d'observation et d'anticipation. Or, dans ce cas, le participant amorcéétait dans une position avantageuse, comparéau participant non-amorcé, pour maximiser la similaritéentre ses représentations internes et l'environne-ment virtuel, et pour satisfaire son désir de connaissance.

L'effet d'amorçage aurait activéun ensemble de traces mnésiques liéau »café», qui est retrouvépar la suite dans la scène virtuelle. Cette familiaritéentre les traces et la perception pendant l'immersion faciliterait la reconnaissance de la solution, et favoriserait de la même façon, l'anticipation de la solution correcte (Bechara et Damasio, 2005). L'activitéélectrodermale serait un marqueur de l'anticipation et des réactions émotionnelles (Andreassi, 2007; Boucsein, 1992; Lang, Greenwald, Bradley, et Hamm, 1993). En effet, la conductance mesurée correspond aux propriétés de variabilitéélectrique de la peau en réponse à la sudation sécrétée par les glandes sudoripares. Il existerait trois types de glandes : eccrine, apocrine et apoeccrine. Seule, les glandes eccrines, innervées par le système nerveux sympathique, réagiraient aux réponses émotionnelles. Une de nos hypothèses suppose que les variations physiologiques des participants amorcés seraient plus nombreuses que ceux des participants non-amorcés.

8.3 Prise de décision, réactions physiologiques et émotions

Selon l'hypothèse précédente, les participants amorcés auraient des variations de leur activitéphysiologique supérieures à celui des participants non-amorcés; or dans notre expérience, les résultats montrèrent une différence significative pour la réponse électrodermale (médiane et fréquence de variations atypiques) en faveur du groupe amorcésur l'ensemble de l'expérience et plus particulièrement dans les conditions »repos» et »familiarisation». Les différences observées pourraient sous-tendre une différence dans l'utilisation des schémas cognitifs et émotionnels entre les deux groupes de participants. Les variations de fréquence dans la réponse électrodermale sont utilisées dans la littérature comme marqueur des réactions émotionnelles, positives ou négatives,(Wood et al, 2014; Najstrom et Jansson, 2007, Bechara et al, 1995; ); et dans la reconnaissance des visages familiers (Stormark, 2004; Bonnifacci,

94 8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise de décision

Desideri et Ottaviani,2015). Lorsqu'un visage familier est présentéà un individu, une augmentation de sa réponse électrodermale est observée, comparée à un visage non-familier. De la même façon, lorsqu'on présente un visage

familier à des patients souffrants de prosopagnosie, incapable donc de reconnaître un visage familier,il est observéune augmentation de la réponse électrodermale (Bate et Cook, 2012). La réponse électrodermale pourrait donc être

un indicateur pertinent de la présence d'objet familier dans l'environnement.

Lors de notre expérience, les résultats montrèrent une activation du système nerveux autonome à travers une corrélation positive entre la réponse électrodermale et la température, contrairement aux participants non-amorcés. Cette différence de corrélation entre les groupes, montrerait que les variables régulées par le système nerveux autonome tendraient à s'homogénéiser par la présence de la pré-activation. Il se pourrait que cette reconnaissance de la familiaritén'opère pas seulement pour des visages, mais aussi pour tout type de représentations et qu'elle interviendrait à un niveau sous-corticale sous l'influence du système nerveux autonome.

Toutefois, lors de nos hypothèses et en rapport à la théorie des marqueurs somatiques (Bechara et Damasio, 2005), nous nous attendions à une augmentation de la réponse électrodermale en condition »immersion» chez les participants amorcés. Pourtant, alors même que cette condition était liée à une prise de décision verbale, il n'y a pas eu de différence significative entre les deux groupes. Nous aurions pu supposer une telle différence, comme une anticipation physiologique de la prise de décision à l'abord des cafés; toutefois notre expérience n'était pas basée sur un système de punition/récompense lors d'un choix, comme dans l'expérience présentée par Bechara et ses collaborateurs (1997), et n'était donc pas conditionnée par une forme d'apprentissage, ce qui pourrait expliquer cette absence de similaritéentre nos résultats et ceux de Bechara et al (1997).

A' défaut de retrouver des variations physiologiques lors de la prise de décision chez les individus amorcés, nous retrouvons une différence significative en condition »familiarisation», qui pourrait s'expliquer par la perception des objets familiers présents dans la scène virtuelle. Alors même que l'ensemble des participants connaissaient bien Paris, car ils y vivaient et y étudiaient, la réponse à l'environnement virtuel fut significativement différente entre les deux groupes. Nous pourrions considérer que l'effet d'amorçage perdure dans la scène virtuelle et fait lien avec l'environnement naturel à travers le sentiment de familiaritéde la scène.

Cette continuitédu naturel au virtuel pour les individus amorcés, reflet d'une continuitéde l'interne et de l'externe, serait perceptible dans l'absence de variation significative de la réponse électrodermale chez les participants amorcés

selon les conditions. En effet, les participants amorcés eurent une fréquence des variations atypiques de l'activitéélectrodermale élevée et constante au cours des trois conditions, comparativement aux participants non-amorcés,

qui vécurent une augmentation significative de leur fréquence des variations atypiques de l'activitéélectrodermale entre la condition »familiarisation» et »immersion».

Cette différence inter-condition pour les participants du groupe non-amorcé, pourrait être expliquée par la tâche cognitive exécutée par les participants ainsi que par le stress ressenti face à la consigne (Andreassi, 2007; Boucsein, 1992) et le contrôle dont ils ont dûfaire preuve pour répondre à la consigne. Cette explication pourrait être appuyée par la corrélation positive et élevée chez les participants non-amorcés, entre la fréquence des variations atypiques de la température et le nombre de lieux nommés. Ainsi, les participants qui nommèrent le plus de lieux furent aussi ceux avec une fréquence des variations atypiques de la température élevée. La température périphérique élevée pourrait signer un état de relaxation, de détente. Il se pourrait que les participants non-amorcés qui ont tentéde

8.4 Vers une compréhension de l'intuition 95

mettre du sens sur la consigne, en l'absence d'indices (et qui ont donc proposéplus de lieux), soient plus détendus que ceux n'ayant pu poser du sens.

L'absence de corrélation du même type et la différence d'expression des variables physiologiques entre les deux groupes pourrait souligner une différence dans les processus cognitifs et émotionnels investis.

Il existerait une activation synchrone du système nerveux autonome, chez les participants amorcés, avec une corrélation entre les fréquences de variations de l'activitéélectrodermale et celles de la température; ce qui n'est

pas retrouvéchez les participants non-amorcés. Les résultats montrèrent aussi une augmentation de l'activitéélectrodermale chez les participants amorcés »avec insight» comparativement aux participants amorcés »sans in-

sight».

Nous avons souhaitéobserver si un lien entre les réactions physiologiques et les comportements liés aux prises de décision intuitives correctes (»cafés») ainsi qu'àla capacitéd'insight des participants pourraient être mis en exergue. L'augmentation de l'activitéélectrodermale en condition »repos» et »familiarisation» chez les participants »avec insight» pourrait suggérer que la pré-activation par les amorces aient eu plus d'impact que pour les autres participants. Cette intensitéde la pré-activation serait quantifiable à travers les marqueurs somatiques non-conscients. Des études de Wetherill et ses collaborateurs (2014) et de Whalen et ses collaborateurs (1998) montreraient une action des amorces sur le système nerveux autonome, qui irait en faveur de nos résultats, et qui suggèrerait un lien entre un seuil d'activitéphysiologique et une prise de conscience d'informations non-conscientes. De plus, l'augmentation de l'activitéélectrodermale eut lieu pendant les conditions »repos» et »familiarisation», et par conséquent avant l'insight qui eut lieu en condition »immersion». Il se pourrait alors qu'un seuil d'activation soit nécessaire pour créer une émergence dans la conscience (»insight»). De prochaines études pourraient étudier ce lien entre l'intensitéde l'effet d'amorçage et la prise de conscience à posteriori.

Pour résumer, les participants amorcés présentèrent des fréquences des variations atypiques de l'activitéélectrodermale significativement plus élevées que les individus non-amorcés en condition repos et familiarisation,

de même qu'une température médiane plus élevée toute condition confondue. D'autre part une corrélation entre les fréquence des variations atypiques de l'activitéélectrodermale et de la température, est présente seulement dans le groupe amorcé, ce qui pourrait aller en faveur d'une activation du système nerveux autonome. Nos résultats suggéreraient une action des amorces et du sentiment de familiaritésur les variables physiologiques (Bate et Cook, 2012; Bonnifacci, Desideri et Ottaviani, 2015; Stormark, 2004). Toutefois, il reste encore à expliquer s'il existe un seuil d'activation nécessaire à la prise de conscience et si des réactions physiologiques ont lieu avant ou après l'évènement familier à l'amorce.

8.4 Vers une compréhension de l'intuition

8.4.1 Modèle de l'intuition

D'après notre expérience et les théories présentées dans la discussion, nous résumerons et présenterons notre compréhension du processus intuitif. Pour qu'il y ait intuition, une interrogation face à une situation donnée serait nécessaire. Cette situation pourrait créer une tension psychique qui pousserait (drive) l'individu à vouloir

96 8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise de décision

résoudre la situation. Cette tension pourrait se comprendre comme la tension qui résulte d'un abaissement de l'in-dice glycémique, et qui pousse l'individu à chercher de la nourriture afin de retourner à un état homéostatique stable. Dans le cas de l'intuition, le manque de nourriture pourrait être comparéau manque d'information.

Cette tension et la volontéde l'abaisser, entraînerait une pré-activation des représentations liées à la problématique, dans le but de trouver une solution. Nous avons pris le parti de symboliser la mémoire comme un réseau intercon-nectébasésur les théories connexionnistes (Victori, 1995; Andler, 1990), c'est ainsi que chaque pattern d'activation correspondrait à une/des représentation(s) (voir partie 7.1). Le manque d'information face à la situation donnée appellerait à lui toutes les représentations, les concepts mémorisés, afin de créer un sens, une substance représentable qui viendrait remplir cette absence. Nous pourrions dire que pareil à un trou noir, le questionnement possèderait une force de gravité, qui attire à lui tout ce qui serait susceptible de créer du sens (voir la logothérapie de Franz, 1988). Ce travail serait non-conscient et mobiliserait les fonctions cognitives liées à l'attention, au raisonnement, et à l'association, tout comme les structures impliquées dans les émotions que nous aborderons dans un second temps (Bechara et al, 1997; Lieberman, 2007).

Dans la figure 8.1, nous avons tentéde représenter les processus impliqués dans l'intuition. Tant que la tension est activée, l'individu tendrait à chercher dans l'environnement les indices, les représentations en lien avec l'objet manquant. Et, tout ce qui pourrait nourrir l'instinct de savoir, et ainsi maximiser la similaritéentre le questionnement interne, l'idée que l'on se représente du monde, et l'environnement externe, serait traitépar l'individu à des degrés

8.4 Vers une compréhension de l'intuition 97

plus ou moins conscients.

Figure 8.1. Processus de l'intuition

Le sentiment de familiarité, c'est à dire la sensation de reconnaître à l'extérieur ce qui est à l'intérieur, pourrait avoir un rôle majeur dans l'intuition. En effet, lorsque l'individu serait en présence d'un objet externe qui lui rappellerait une trace mnésique (une expérience), ce sentiment pourrait émerger et imposer une émotion qui viendrait informer l'individu de cette similarité. Plus la réaction émotionnelle (marqueurs somatiques) serait importante, et plus l'individu serait conscient de son intuition. Dans le cas, oùla problématique serait résolue, la tension psychique retournerait à un état d'équilibre, et l'individu ressentirait une émotion associée. L'émotion qui accompagne ce moment est souvent représentée comme une joie, une certitude rassurante, ou encore une détente ( voir le livre de thèse de Petitmangin, 2002 pour une revue complète sur la phénoménologie de l'intuition). Dans l'autre cas, oùla problématique, l'interrogation, ne serait pas résolue, la tension et la pré-activation persisteraient à travers le temps et pourraient même se renforcer en présence ponctuelle d'indices dans l'environnement. Ce qui pourrait

98 8 Environnement, Système nerveux autonome et Prise de décision

expliquer que l'incubation pourrait persister plusieurs années (Poincaré, 1908; Moss, 2002) et renforcerait la tension psychique et l'instinct de connaissance, dans le but de trouver la solution.

8.4.2 Les failles de l'intuition

L'intuition est un processus cognitivo-emotionnel liéà l'apprentissage (Lieberman, 2000) faisant intervenir un ensemble de processus cognitifs allant de la perception au raisonnement, en passant par la mémorisation, la sensation et l'émotion. Nous avons vu dans la revue de littérature qu'elle faisait intervenir un grand nombre de structures corticales et sous corticales telles que le cortex temporal supérieur droit (Ilg et al, 2008; Jung-Beeman et al, 2004), le cortex ventromédian préfrontal, les ganglions de la base (Lieberman, 2000), le cortex inférieur bipariétal (Ilg et al, 2008). L'ensemble des expériences n'a pas portésur le même type d'intuition, certains se focalisant plus sur l'intui-tion sémantique (Ilg et al, 2008) et d'autres sur l'intuition émotionnelle (Lieberman, 2000), toutefois la plupart des recherches supposent que les régions neurales impliquées dans l'intuition sont aussi impliquées dans l'activation de réseaux sémantiques larges et dispersés pouvant mener à l'insight. D'autre part, des régions comme les ganglions de la base et le cortex préfrontal ventro-médian, suggèrent que l'intuition joue un rôle primordial dans l'apprentissage ainsi que dans tous les types de comportements rapides et automatiques tels que les jugements basés sur des stéréotypes ou encore les prises de décision. Dans les psychoses mais aussi dans tout type de pathologies psychologiques, le fondement des dysfonctionnements pourrait provenir des apprentissages dysfonctionnels, des croyances inadaptées, des jugements automatiques engrammés menant alors, à des raisonnements biaisés et inadaptés au contexte. Or, les thérapies cognitivo-comportementales se sont efforcées, dans une première et seconde génération, de travailler sur les-dites croyances dysfonctionnelles et les raisonnements défaillants. Pourtant, une meilleure compréhension de l'intuition, de ses liens avec les processus automatiques et les processus de contrôle pourraient aider à élaborer des thérapies permettant de modifier l'intuition, c'est à dire un complexe cognitivo-émotionnel-contextuel derrière le raisonnement défaillant. A' mieux comprendre le sentiment de familiaritéimmédiat et spontanéqui crée le lien entre les traces mnésiques et l'objet contextuel, il serait possible de le modifier, de le transformer, et de travailler dessus afin de modifier l'ensemble des réactions émanant de cette familiarité.

Dans la psychose, l'intuition délirante est souvent présente dans la paranoïa donnant lieu à un délire interprétatif mais aussi dans la schizophrénie pouvant créer des délires hallucinatoires en lien avec cette intuition primordiale (Minkowski, 1927). Or, nous avons reliél'intuition à un vide, à une absence d'information élicitant de ce fait un instinct de connaissance et préactivant à sa suite un certain nombre de réseaux neuronaux liés à des représentations

internes, et qui viendraient s'apparier à travers le sentiment de familiaritéà des objets externes, menant alors àune sensation de plaisir, à un sentiment »d'avoir trouvé» en lien avec l'appétence du désir de connaissance. Cette

conception de l'intuition, pourrait se rapprocher de la psychanalyse, et des termes de déni(Verleugnung), de forclusion (Verwerfung), qui supposent une négation, un rejet d'une trace mnésique. Pour Freud (1895, 1924), ce rejet de la représentation ressurgira dans le réel sous forme de délire, et proviendrait d'une »faille dans la relation du moi au monde extérieur» (Freud, 1924). Ainsi, le délire s'élaborerait autour de cette faille, autour de cette absence de représentation et d'élaboration possible. Minkowski (1927) suggérait déjàau début du siècle précédant, que les thèmes récurrents abordés par le délire d'un patient, pourraient avoir une signification avec ce qui a fait

8.4 Vers une compréhension de l'intuition 99

défaut au patient, et ainsi, tout comme Freud, accorder une fonction réparatrice au délire. Il se pourrait alors, que le traumatisme en tant que trace mnésique intolérable pour la conscience, créerait une dépression (dans le sens physique) dans le réseau mnésique neuronal qui augmenterait l'appétence du désir de connaissance à travers une pré-activation des réseaux adjacents. Cette pré-activation figée et ciblée du réseau mnésique, entraînerait une recherche d'éléments dans le monde extérieur afin de remplir cette dépression, et de pallier à ce manque. Ainsi, tout élément externe se rapprochant des concepts internes pré-activés susciterait un sentiment de familiaritéet une impression d'avoir trouvél'élément manquant, menant ainsi à une intuition délirante et par la suite, à une interprétation délirante pouvant entraîner un passage à l'acte. L'intuition délirante proviendrait donc, de cette absence d'infor-mations dans le réseau, laissée par la faille du traumatisme. Nous pensons donc, qu'une meilleure compréhension

des processus sous-jacents à l'intuition sous ses formes sociales, émotionnelles, et sémantiques pourrait aider àcomprendre ce phénomène d'intuition délirante présente dans de nombreuses psychoses. Les mécanismes de l'intui-

tion et plus généralement de l'apprentissage implicite joueraient aussi un rôle prépondérant selon les théories des thérapies cognitivo-comportementales dans d'autres pathologies comme les phobies, l'anxiétégénéralisée, ou encore la dépression (Samuel-Lajeunesse, Mirabel-Sarron, Vera, 1998).

9

Applications et Limites

9.1 Applications thérapeutiques

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) utilisent un modèle de la mémoire similaire à celui utilisédans la présente étude. En effet, selon Bower (1981) la mémoire serait organisée selon un treillis de représentations

organisés en unités d'informations distinctes. Ces unités seraient composées à la fois de représentations purement cognitives (le réseau sémantique) et d'émotions, et seraient associées selon des forces d'activation variant au cours de la vie et dépendant de l'apprentissage, de l'expérience et du contexte. Dans la théorie des schémas de Young (1990, 1991), inspirée du modèle de la mémoire proposépar Beck (1967), les schémas seraient des programmes stables appris précocement et permettant de traiter l'information dans certaines situations récurrentes. Les schémas peuvent être positifs ou négatifs, adaptés ou inadaptés. Toutefois, la limite entre adaptation et inadaptation est mouvante selon les contextes et un schéma cognitif adaptédans la petite enfance pourrait devenir inadaptéà l'âge adulte. Dans les cas de pathologies, les schémas seraient devenus rigides et se seraient renforcés avec le temps selon un principe d'incubation, c'est à dire une présence courte mais répétée dans le temps avec le stimulus aversif. Les

TCC ont comme vocation de modifier ces schémas cognitifs en permettant une prise de conscience du patient face àses schémas. Cette prise de conscience peut avoir lieu grâce à différents outils que les thérapeutes manient pendant

la thérapie, comme la psychoéducation, les carnets d'écriture, l'observation du comportement avec l'exercice du stop (avant que le comportement impulsif ne se produise, le patient doit écrire son état, ses pensées, ses émotions présentes), ou encore les colonnes de Beck qui permettent de mieux prendre conscience des pensées automatiques. Ces outils permettraient ainsi de rallumer le feu de la conscience dans une matière de pensées dense et figée. Or l'insight est souvent de bon pronostic pour le patient, car cela veut dire qu'il tente de créer du sens sur ce qui lui arrive et ainsi de subjectiviser son trouble. Par conséquent, si nous connaissions les mécanismes qui sous-tendent l'intuition, puis les stimuli qui permettraient de faciliter l'intuition face à un problème complexe, nous pourrions proposer aux thérapeutes des outils ou encore des techniques dans le but de provoquer ce processus chez lui-même (Reik, 1976) mais aussi et surtout chez le patient. Il serait nécessaire d'investiguer à quel point l'environnement et les indices contextuels de nature perceptive et émotionnelle influencent les remaniements psychiques dans la mémoire , et associer l'étude de la plasticitécérébrale à la résolution intuitive de problèmes complexes. Nous pouvons suggérer pour les études ultérieures qu'une rigiditépathologique à l'origine de pathologies psychiques pourraient avoir un impact négatif sur les capacités intuitives des patients. Une réplication de l'expérience sur des individus souffrant de

102 9 Applications et Limites

phobies, d'anorexie ou encore d'autisme pourrait permettre de mieux comprendre les racines du processus intuitif, et le passage des formes intuitives aux formes logiques.

9.2 Limites

9.2.1 Limite liée à la population

Notre population était essentiellement composée d'étudiant de 20 ans, or il aurait étéintéressant de prendre en compte la variable âge et profession dans l'analyse des données, afin d'observer s'il y a une variation de de la capacitéintuitive en fonction de ces deux variables supplémentaires. En effet, l'étude menée par Petitmangin (2002) montre que les mathématiciens, les thérapeutes et certain(e)s hommes/femmes d'affaire auraient par exemple une excellente intuition. Comme nous l'avons mentionnédans la discussion, une population de patients présentant des troubles de la pensée logique aurait aussi aidéà une meilleur compréhension des mécanismes en jeu dans l'intuition.

9.2.2 Limite des outils utilisés

Nous voulions, dans un souci de précision méthodologique, synchroniser les mesures physiologiques avec les périodes d'immersion virtuelle, et ce, à la seconde près. Ceci, dans le but d'observer de potentielles variations des activités physiologiques aux abords des cafés et voir s'il y avait un lien entre les traces mnésiques pré-activées et les marqueurs somatiques. Toutefois, les appareils de mesure ne permirent finalement pas une telle précision.

Aussi pour des raisons techniques, nous n'avons pu utiliser les mesures cardiaques, qui auraient apportées davantage de précisions pour nos hypothèses sur les variations du système nerveux autonome.

Nous avons constatéà la suite de nos analyses que le test d'intuition utiliséne mesurait pas vraiment l'intuition. En effet, ce test dont le fonctionnement est expliquédans la partie Méthodologique, était censémesurer l'intuition, pourtant nous avons remarquéqu'il mesurait plutôt les connaissances lexicales des participants et n'avait donc pas de réel validitépour discriminer l'intuition. Actuellement, il n'existe que très peu de tests de l'intuition, ce qui est regrettable, car ces tests auraient pu nous permettre de classifier les participants entre intuitifs et non-intuitifs, et observer si les plus intuitifs avaient des marqueurs somatiques plus intenses, ou des stratégies de résolution différentes.

9.2.3 Limite liée au thème de recherche

L'intuition est aussi bien un concept philosophique, qu'une réalitépsychologique, physiologique, clinique et phénoménologique. C'est pourquoi, le thème fut vaste et noua plusieurs disciplines entre elles tout en essayant de préserver la complexitédes théories de chaque discipline. D'autre part, l'intuition demeure un sujet trouble, emprunt de mystère, et il n'a pas étésimple de devoir réduire un phénomène philosophique et singulier à son processus le plus simple afin d'en saisir l'essence et d'en tirer une compréhension psychologique plutôt que poétique. Nous ne

9.2 Limites 103

souhaitons à aucun moment supprimer le poétique et le mystère de ce processus, et nous pensons humblement que notre travail n'a pu explorer que les couches basiques de ce processus essentiel et éminemment complexe.

Nous n'avons pu investiguer le passage de l'intuition à la prise de conscience logique et verbale, thème qui nous paraît nécessaire pour comprendre les processus intuitifs et leurs conséquences sur les pathologies psychiques.

Cinquième partie

Conclusion

107

Dans ce mémoire de recherche, nous avions pour but d'investiguer et de mieux comprendre les processus cognitifs et émotionnels liés à l'intuition. La littérature scientifique, à notre connaissance, définissait l'intuition et l'analyse comme deux processus duels, opposés et fonctionnant en parallèles. Or, les théories philosophiques, phénoménologiques et mathématiques, tendraient plutôt à définir l'intuition comme le socle de la logique et de l'analyse (Bergson, 1923; Perlovsky, 2007). L'analyse serait plutôt une fonction héritée de l'intuition, qu'un processus opposéà cette dernière.

L'intuition permettrait de ressentir le lien existant entre nos schémas internes et l'environnement externe. Cette continuitéentre l'interne et l'externe, et les constantes adaptations et apprentissage, qu'elle entraîne pourrait définir la notion d'intuition.

Afin de créer cette continuité, nous avons utiliséd'une part un environnement naturel et un environnement virtuel (Giannopulu, 2008), et nous avons disposédes indices dans l'environnement naturel afin de créer un effet de fami-liaritéface à la situation à résoudre dans l'environnement virtuel.

Les résultats tendraient à montrer un lien entre les indices environnementaux, la pré-activation des représentations et l'émergence de l'intuition. Il y aurait une augmentation de l'activitédu système nerveux autonome lors de la présence d'amorces, et un lien entre cette activation et la capacitéd'insight des individus. Ainsi, les processus intuitifs et l'émergence d'une représentation non-consciente à la conscience pourrait être mesurable. Toutefois, des études mériteraient d'investiguer ce phénomène plus en avant, car le manque de synchronisation de nos mesures avec l'environnement virtuel nous empêcha d'interpréter sur la nature de ces réactions physiologiques et sur le sens de cette quantification. Nous avons proposédes pistes d'explications dans la discussion afin d'aider à la résolution de ce problème complexe. Ainsi, il nous paraît important de concevoir l'intuition comme un processus mouvant entre l'intérieur (les traces mnésiques) et l'extérieur (l'environnement, les perceptions). La superposition optimale entre ces deux interfaces enclencherait alors une émotion liée à la résolution d'un problème. Nous n'avons pas inves-tiguédans cette recherche l'idée de décharge et de tension psychique. Mais, de prochaines études pourraient tenter d'observer s'il y a bien un relâchement, une détente lorsque la situation est résolue, et si la prise de conscience de la solution (insight ou non insight) est modulée par l'intensitéde ce relâchement. De plus, une question subsiste sur le lien entre l'instinct de connaissance (Perlovsky, 2007), ou encore la pulsion dromique (Jeangirard, 2014), et l'intuition. D'un point de vue philosophique et psychologique, l'intuition ne serait ni un instinct, ni une pulsion, mais bien plutôt une sensation. Avoir une bonne intuition signifierait-il, avoir une grande curiosité, avoir une grande capacitéà créer des liens ou avoir une grande capacitéà ressentir les signaux corporels non-conscients? Il se pourrait que l'intuition comprenne l'ensemble de ces phénomènes et que les psychologues, philosophes et neuroscientifiques puissent être intéressés dans leur compréhension.

Ces questionnements amènent aussi au problème du lien entre intuition et logique qui contribua à l'ouverture de ce mémoire. Nous ne pouvons dire que nous avons mieux compris ce lien, même si, nous avons pu observer dans cette expérimentation, que la plupart des individus qui résolurent consciemment le problème, n'ont pas étéconscients des indices de l'environnement et n'ont pas fait, comme nous l'attendions, un lien entre les indices de l'environnement naturel et la problématique posée. Malgrécette absence de liens, ils tentèrent d'inférer logiquement leurs prises de décision. Ainsi il se pourrait que les formes intuitives internes se matérialisent en fonction des attributs singuliers de l'individu, et que l'expression consciente de l'intuition prenne forme en fonction de la personnalitéde chacun.

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Des études sur le lien entre système cortical (EEG, IRMf) et système nerveux autonome (activitécardiaque, ac-tivitéélectrodermale, respiration, températion) dans une situation intuitive avec prise de conscience et sans prise de conscience des liens pourraient aider à mieux comprendre d'un point de vue neurologique, l'émergence de la représentation intuitive à la conscience.

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Résumé

Objectifs: L'objectif de ce travail est d'étudier les marqueurs physiologiques et les processus cognitifs conscients et implicites à l'oeuvre dans la prise de décision intuitive dans un environnement virtuel. L'intuition est définie comme un processus automatique, rapide, et non-conscient (Kahneman, 2003; Lieberman, 2000), qui serait impliquée dans la synthèse d'informations multimodales dans le but d'acquérir des connaissances implicites (Lieberman, 2000) et de constamment anticiper les réactions possibles dans un environnement donnéafin de maximiser le comportement adaptéet minimiser l'effet de surprise. Il pourrait exister des corrélats physiologiques liés à l'émergence de l'intuition, mesurables à travers les réactions du système nerveux autonome (Damasio, 2000).

Nous avons utiliséun environnement naturel contenant des amorces visuelles et olfactives et un environnement virtuel, dans lequel le participant devait utiliser son intuition afin de prendre une décision verbale consciente. L'hypothèse générale suppose que les indices visuels et olfactifs de l'environnement naturel faciliteraient l'émergence de l'intuition et influenceraient à travers les marqueurs somatiques non-conscients la prise de décision verbale.

Méthodologie : Douze sujets furent immergés dans un environnement naturel contenant des amorces visuelles et olfactives sur la thématique du »café», tandis que 11 sujets furent immergés dans un environnement naturel sans amorce. A la suite de cette immersion, tous les participants furent immergés dans un environnement virtuel grâce à un casque Head Mounted Display (HMD) oùétait représentéune partie du 1er arrondissement de Paris. Dans l'environnement virtuel, les participants devaient répondre à un problème intuitif. La solution à ce problème

était liée aux amorces présentées dans l'environnement naturel. Pendant toute la durée de l'expérience, l' activitéélectrodermale et la température furent enregistrées chez l'ensemble des participants.

Résultats :Le nombre de variations atypiques de l'activitéélectrodermale et la médiane des températures sont significativement plus élevés chez les participants amorcés comparativement aux participants non-amorcés et le nombre de réponses intuitives correctes est significativement plus élevéchez les participants du groupe amorcécom-

parativement au groupe contrôle. Les participants amorcés ayant trouvéla solution eurent une médiane de l'activitéélectrodermale plus élevée que ceux n'ayant pas trouvé.

Conclusion :Il semblerait que les indices présents dans l'environnement naturel auraient influencéla prise de décision intuitive dans l'environnement virtuel. La similaritéentre les indices de l'environnement naturel et la solution proposée dans l'environnement virtuel, témoignerait de l'influence de ces indices sur l'intuition.

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Abstract

Introduction :The purpose of the present research was to study the effects of non-conscious information presents in natural environment, on intuition in virtual environment. Therefore, the study hypothesizes that there is continuity between this two environments through intuition and non-conscious somatic reaction. Instead of giving the instructions to switch the attention on the problem's resolution, we have immersed the participant in an environment with clues before the instruction. Therefore, the clues were neutral for the participant and without meaning. If we follow the previous researches about priming, we would suggest that clues from natural environment have activated a field of representations from the background interface. When the participant had to make decisions, we suppose that this activated field, through somatic reaction, guide the decision-making and create an intuitive feeling. Intuition could be this continuous line, which creates fluidity between different environments. Moreover, similarity in implicit memory between the catogories of non-conscious clue and the problem's solution in virtual environment could produce the intuition feeling.

Main hypothesis suggest that visual and olfactory primes in natural environment could enhence intuition and influence the verbal decision through somatic markers.

Methodology : A total number of 23 healthy students who volunteered for the study were randomly assigned to one of two conditions : control (N=11) and experimental (N=12). They were exposed to a naturalistic visual environment via a Head Mounted Display. The visual environment was a real urban scenario pre-recorded on vi-deo.It was filmed in the 1st district of Paris between the Louvre museum and the Paris Opera. All participants were immersed in the virtual environment where they had to resolve an intuitive problem. The semantic category of the solution was linked with the semantic category of the primes.

Results :Intuitive answers were significatively different between the prime's groupe and the control's group. Primed participants gave more intuitiv answers that non-primed participants. Moreover, the amount of electrodermal variation and the temperatures's average were significatively more higher in primed group compared with control group.

Conclusion :The results suggest that the similarity between the clues in the natural environment and the solutions in the virtual environment could produce the intuition feeling. This intuition feeling could influence the decision through somatic markers.






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