Valeurs et et relativisme moral dans la généalogie de la morale (1887) de friedrich nietzsche( Télécharger le fichier original )par Daniel Blaise BITECK Université de Yaoundé 1 - DIPES II 2013 |
I-2- NIETZSCHE ET SES CONTRADICTIONSIl y a chez Nietzsche une prolifération de contradictions si « véhémente (s) qu'elle (s) semble (nt) être beaucoup moins garantie (s) d'une fécondité inépuisable qu'une menace pour la cohérence du discours philosophique »75(*). En effet, Nietzsche semble ne pas respecter le principe du mouvement qu'il a lui-même posé. Il nie, par ailleurs, la foi en la transcendance, mais affirme subrepticement, c'est-à-dire d'une manière dissimulée voire furtive, une autre forme de transcendance. Nietzsche tombe dans le piège de sa propre dialectique puisqu'il considère ses assertions comme vraies, ceci en désaccord complet avec le devenir héraclitéen qui rend l'objectivité impossible. Si toute connaissance n'est qu'une perspective, si par ailleurs « rien n'est vrai, tout est permis », l'auteur du Gai savoir n'a pas le droit de considérer ses thèses comme vraies, puisqu'elles ne sont d'ailleurs qu'une simple croyance. Ainsi, en niant les autres interprétations du monde et en posant son interprétation comme l'interprétation, c'est-à-dire comme l'unique et la véritable ontologie, Nietzsche retourne contre lui le fameux paradoxe sus-cité, à savoir « rien n'est vrai, tout est permis ». Par un tel paradoxe, l'auteur de Le cas Wagner s'est posé Délibérément en hors-la-loi de la philosophie et qu'il ne saurait donc nous offrir le feu d'artifice d'une négativité qui se consume elle-même jusqu'à l'absurde ! Car c'est de deux choses l'une, [...] ou bien il considère son assertion comme vraie, et alors il se contredit lui-même, ou bien il la considère comme fausse, et il s'est déjà ôté par-là tout moyen de nous convaincre76(*). Dans tous les cas, Nietzsche ne devrait pas rejeter les points de vue des autres, ni poser les siens comme vrais, ceci parce qu'il souscrit au fait que le réel ne se laisse épuiser par aucune interprétation, et qu'il n'existe pas d'interprétation exacte, car regarder à un point différent, le monde prend chaque fois un visage nouveau. Toutefois, l'on peut relever que Nietzsche assume ses contradictions puisqu'il les reconnaît et les accepte comme faisant partie intégrante de sa philosophie de la vie. La contradiction est pour lui le moteur de la vie, et toute philosophie de la vie devrait s'y complaire. Tentant de justifier les contradictions qui sont en oeuvre dans la pensée de Nietzsche, Jean Granier affirme : « Toute grande pensée vit des contradictions qu'elle surmonte- et plus encore, peut-être, des contradictions qu'elle ne surmonte pas »77(*). Cette tentative d'explication ou de justification des contradictions internes à la pensée de Nietzsche ne suffit pas à nous convaincre sur le plan logique. En effet, le discours philosophique doit être cohérent et rationnel, et non truffé de contradictions indigestes. Le respect des principes de la rationalité doit être une exigence sans laquelle la philosophie ne pourrait pas se démarquer de l'intuition, de l'imagination ou de toutes sortes de discours non conceptuels. En plus du non respect de la logique du devenir, l'auteur de Le voyageur et son ombre a élaboré ou produit les formes de remplacement de la transcendance qu'il récusait auparavant. D'une manière ou d'une autre, Nietzsche reste attaché à la transcendance. Il reproche certes, aux tenants de l'idéal ascétique, donc à Platon et à Kant, d'avoir disqualifié le monde et l'homme au profit d'une transcendance, mais lui aussi, lui surtout « crucifie l'homme, au nom d'un hypothétique surhomme qui n'est peut-être que le fantasme compensateur d'un pathétique amour déçu »78(*). L'homme nietzschéen doit réaliser l'absolu, c'est-à-dire parvenir sans Dieu à l'élévation suprême, ce qui constitue un véritable paradoxe puisqu'il s'agit dans ce cas de le replacer dans la transcendance cette transcendance qui, autrefois, était réfutée. Le surhomme apparaît ici comme une autre forme de transcendance, au même titre que le Dieu judéo-chrétien ou l'Idée platonicienne. Le surhomme, l'Idée et Dieu, sont placés au-dessus de l'homme et se présentent comme un idéal. Néanmoins, on pourrait nous objecter qu'à l'opposé de Dieu ou de l'Idée qui est une transcendance absolue, le surhomme est cet infini que l'homme porte en lui comme une aspiration, une volonté qui le pousse vers un mieux. En d'autres termes, le surhomme serait une transcendance immanente, à l'inverse de Dieu ou de l'Idée qui est une transcendance absolue. Mais, nous pensons que ces utopies n'en demeurent pas moins des transcendances. Nietzsche ne fait que replacer l'être qu'il refuse sous l'aspect d'une transcendance absolue dans la réalité comme une virtualité secrète que le progrès ou l'action va déployer dans le temps ou dans l'histoire, et sur laquelle se fondent à nouveau les valeurs. L'auteur du Crépuscule des idoles, déclasse l'autorité de Dieu et de la raison, nie l'idée du progrès et rejette la « morale des esclaves » afin de légitimer l'utopie du surhomme, la fatalité de l'instinct, le mythe de l'éternel retour, et enfin la « morale des maître » qui se situent par-delà les distinctions habituelles entre le bien et le mal, le vrai et le faux. A côté de ces préjugés et de ces contradictions qui fragilisent la philosophie nietzschéenne, on peut noter qu'elle aboutit à des dérapages ou à des dérives pratiques et logiques. * 75 J. Granier, Le problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche, Paris, Edition du seuil, 1966, p. 11. * 76 Ibid., pp. 12-13. * 77 Ibid., p. 11. * 78 O. Reboul, Op.Cit., p.169. |
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