VALEURS ET RELATIVISME MORAL DANS LA GENEALOGIE DE
LA MORALE (1887) DE FRIEDRICH NIETZSCHE
Mémoire rédigé en vue de l'obtention du
Diplôme de Professeur de l'enseignement Secondaire deuxième
grade (DI.P.E.S II)
Présenté par
BITECK Daniel Blaise (05p016)
Licencié en Philosophie
Sous la direction de
Pr. NKOLO FOE
Année Académique 2012-2013
A mon père à
qui je n'ai pas eu l'occasion de dire merci.
REMERCIEMENTS
Ce travail, fruit d'un très long cheminement, n'aurait
pas vu le jour sans la générosité et les encouragements de
diverses personnes qui ont été, à des positions
différentes, des témoins attentifs et bienveillants de cette
recherche. Au seuil de notre propos, qu'elles soient toutes remerciées.
Nous payons ici un tribut particulier au Pr. NKOLO FOE, qui a
accepté de diriger notre recherche ; Nous lui exprimons notre
profonde reconnaissance pour son accueil toujours encourageant et ses remarques
judicieuses et toujours stimulantes dont il nous a fait
bénéficier tout le long de notre travail.
A Monsieur ALIANA Serge qui a bien voulu chaque fois promener
son regard sur ce texte ; son attention tout comme sa documentation m'ont
aidé à éviter certaines imprécisions qui,
autrement, auraient ajouté de l'imperfection à ce travail. A
Messieurs MBASSI ONDOA Emanuel et LEMANA YOMO Max, dont l'intérêt
particulier à notre étude nous a été d'un grand
réconfort. Que tous les enseignants du département de philosophie
de l'Ecole Normale Supérieure de Yaoundé trouvent ici le
témoignage de notre estime et de notre gratitude.
A mes inconditionnels et fidèles amis dans la
recherche et les échéances de l'existence SAMBA Charles Patrick,
DJOH EYANGO Christian Moreau, OBE Sandrine Sonia pour leur apport, ô
combien inestimable.
A côté de cet apport académique, je
fléchis un genou à l'endroit de ceux qui me sont chers. Il s'agit
de ma maman Mme Veuve NJEBENG Cécile, mes tantes NGO BITEK Suzanne,
KINJEHEL Esther, mes oncles BONKA BITEK Daniel, BATISSECK Bienvenu, mes
frères et soeurs NGO BITEK Adèle, BITECK Daniel Christian,
NJOCMBEL Richard Alban, MOYIE Nicolas, qui ont compris le bien-fondé de
l'éducation et ont investi d'énormes sommes d'argent pour la
poursuite de mes études en s'imposant par-là de grandes
privations. Que tous les mérites reconnus à ce travail soient
d'abord les leurs. Ma profonde gratitude va à l'endroit de mademoiselle
NDOPSEU KOMBOU Stéphanie Laure, pour tout son soutien.
Mes remerciements vont également à l'endroit de
ESSOME Charly Stève, ONOMO ONOMO Paul Fiacre, ATANGANA NKOUDOU Patrick,
AMBE NEBA Gerald, BIHINA Nicolas Constantin, BESSALA NGONO Jacques, FANKEM
Narcisse, OMGBA Jacques Yann, SAMBA SAMBA Patrick, BATANGKEN ISSONDJ Fleur,
pour leurs aides multiformes.
RESUME
Valeurs et relativisme moral dans La
Généalogie de la morale de Friedrich
Nietzsche est le thème qui a sous-tendu notre réflexion. En nous
appuyant sur l'analyse textuelle, notre travail analyse la place que Nietzsche
accorde aux valeurs dans sa pensée morale. Ainsi, la lecture de cet
ouvrage nous a permis de constater qu'avant de militer en faveur d'un
relativisme moral, Nietzsche a d'abord rejeté la thèse de
l'existence d'une autorité morale transcendante (que ce soit
l'Idée comme chez Platon ou Dieu chez les judéo-chrétiens
ou encore la raison chez Kant) de qui l'homme recevrait non seulement des
ordres de conduite mais aussi de qui découleraient toutes les valeurs,
induisant ainsi la pensée d'une morale transcendante et universelle.
Prenant leur contre-pieds, Nietzsche postule le relativisme moral en soutenant
que non seulement les valeurs n'ont pas une origine transcendante mais
plutôt sociale, elles sont diverses et ne répondent, selon leur
type, qu'à des besoins précis du type d'hommes qui les produits.
Nietzsche professe donc une transmutation des valeurs qui lui permet non
seulement de faire une typologie de morales (celle des maîtres et celle
des esclaves) mais aussi de procéder à une sorte
d'archéologie à travers laquelle il restitue, selon lui, les
véritables origines des valeurs de « Bien » et
« Mal », « Bon » et
« Mauvais » etc. Toutefois, l'évaluation
conceptuelle de la critique nietzschéenne du caractère absolu des
valeurs nous a permis de mettre en relief les préjugés
ontologique, épistémologique et anthropologique d'une part, et
les dérives pratiques et logiques d'autre part, car l'institution d'une
morale sans obligation ni sanction ouvre la voie à l'immoralisme ;
et la « misologie » affirmée de notre auteur
engendre le relativisme moral et épistémologique. Celui-ci ouvre
la voie à toutes sortes de dérives éthiques comme
l'homosexualité, la transsexualité etc., toutes choses qui ne
favorisent pas le respect et l'élévation de la dignité
humaine, seule gage d'une vie proprement humaine.
ABSTRACT
This study focuses on values and
relativism in Friedrich Nietzsche's On the Genealogy of Morals. Based
on a textual analysis of the book, the study discusses the importance of values
from Nietzsche's standpoint. In fact, the text above reveals that before
advocating moral relativism, Nietzsche has opposed the thesis of the existence
of a transcending moral authority (be it Thought as with Plato, or God as with
Judaeo-Christians, or even Reason as with Kant) from which mankind would
receive behavioural orders. It is also from this authority that all sorts of
values would originate, thus bringing about the idea of transcending and
universal morals. On the contrary, Nietzsche postulates moral relativism,
stressing that not only are values void of transcendental origin (but rather
social), they are also diverse and, given their specificity, they can only
satisfy specific needs according to specific people who produce them. Nietzsche
therefore professes a transmutation of values that permits him not only to draw
a typology of morals (master's and slave's), but also to come up with an
archeological classification wherein, in his opinion, he restores the actual
origins «God» and «Evil» values, among others. However, the
conceptual assessment of the Nietzschean critical thought on the ultimate
nature of values has made it possible to accentuate ontological,
epistemological, and anthropological a prioris on the one hand. On the
other hand, the study has successfully analysed practical and logical drifts,
for the establishment of morals without responsibilities or penalties leads to
immorality. Homosexuality, trans-sexuality among others, are thus such
perversions which hinder the respect and elevation of human dignity, the sole
guarantor for a fully decent life.
INTRODUCTION GENERALE
L'auteur de Ainsi parlait Zarathoustra inaugure sa
pensée par le constat selon lequel toute la métaphysique depuis
l'Antiquité, s'est trompée sur le véritable sens à
attribuer à l'histoire. Il en est ainsi, selon lui, parce que la
question de l'être a sombré dans l'oubli. Nietzsche reste
convaincu par la suite que l'occultation de cette question a
entraîné une mauvaise interprétation des valeurs morales et
de leurs origines. Aussi pour lui,
Le champ de la culture s'ouvre (...) sur un
mensonge, une dissimulation : le refoulement du corps. Mais, de ce
mensonge naîtront la pensée, la raison, la morale, la religion,
l'art1(*).
Il ressort ainsi de ces propos de Nietzsche que le
pluralisme des valeurs et la crise des valeurs auxquels nous assistons de nos
jours sont la conséquence de ce travestissement de la
vérité. En effet, selon notre auteur, c'est la mise à
l'écart de l'Etre qui a introduit dans la pensée des conceptions
fausses, des points de vue qui cachent la réalité aux hommes et
qui les empêchent d'user de toutes leurs aptitudes et les poussent
à dédaigner une partie essentielle de leur être : le
corps. Avec le dédain de celui-ci, ce n'est pas seulement la remise en
question de la dimension charnelle de l'homme qui est consacrée ;
c'est aussi la négation de la matière dans tous ses aspects, la
réfutation de toute valeur à la réalité sensible au
profit d'une réalité supra-sensible : l'esprit, et avec lui
la célébration de la raison au détriment de
l'émotion, de la pensée contre l'instinct.
C'est donc dans un contexte caractérisé par
l'altération du réel et de son sens introduit par la
métaphysique que l'auteur d'Humain trop humain entreprend de
ramer à contre- courant de la tradition en cours. A y regarder de
près, on s'aperçoit que la pensée nietzschéenne
s'apparente à « la philosophie du
non » c'est-à-dire une philosophie dont le but est de
s'opposer à l'érection des statues, de briser les idoles (la
morale, les valeurs, la pitié etc.) crées par la pensée
moderne; elle s'apparente aussi à « une métaphysique de
la non métaphysique » c'est-à-dire quelle est
un discours construit dans l'optique de combattre et de mettre fin aux
conceptions qui valorisent la réalité intelligible en rejetant en
même temps la dimension sensible de celle-ci. Nietzsche élabore sa
philosophie dans le dessein de remettre en question toute la
métaphysique telle qu'elle a été produite de Socrate
jusqu'à nos jours. Socrate étant considéré par
notre auteur comme celui qui, par son voeu qui est
« connais-toi toi-même » a
sonné le point de départ de la rupture de la réflexion
philosophique sur l'être. Ce dernier est présenté par le
philosophe Allemand comme celui qui a poussé toutes les philosophies de
l'antiquité (notamment celles qui viennent juste après lui)
à mettre ensemble « les impératifs logiques avec les
impératifs moraux »2(*). De ce fait, Socrate se posait ainsi
« comme ennemi de la vie »3(*), mais surtout comme le géniteur du mal
moderne. Nietzsche affirme à ce propos : « J'ai reconnu
en Socrate et en Platon des symptômes de décadence, des
instruments de la décomposition »4(*).
De ce fait, à l'opposé du nihilisme qui est en
oeuvre dans la métaphysique classique et qui y a été
introduit par Platon (considéré par Nietzsche comme le premier
nihiliste) dans la mesure où il a ignoré le monde sensible au
profit du monde intelligible, la philosophie de Nietzsche apparaît
d'emblée comme une négation de la négation ou
« un nihilisme du nihilisme », dans la mesure
où elle cherche à détruire même à
« coups de marteau » tous les fétiches et tout ce
qui empoisonne la vie. L'auteur de L'Antéchrist se donne ainsi
pour mission d'opérer une révolution dans la métaphysique
occidentale qui est, selon lui, seule responsable et à double titre de
l'introduction du dualisme dans le monde et l'opposition des valeurs, qui a
postulé et consacré la supériorité de l'esprit sur
le corps, le primat de la raison sur l'instinct, la valorisation de
l'intelligible au détriment du sensible. Ce projet de dépassement
de la métaphysique consistera donc à :
Rentrer intégralement dans l'immanence,
[à] revenir pleinement sur terre, [à] réaffirmer
l'unicité du monde comme l'avaient fait les Grecs avant Socrate et
Platon5(*).
Nietzsche met en exergue dans cette
citation le concept de l'immanence pour marquer le retour au sujet, le retour
à une vision empirique du réel. Par immanence, on entend le
caractère de ce qui a son principe en soi-même. De ce fait, elle
est un principe dont non seulement l'activité n'est pas séparable
de ce sur quoi il s'applique (l'individu dans le cas présent), mais qui
le constitue de manière interne. En faisant l'éloge de
l'immanence, notre auteur s'oppose à la transcendance qui est le fait
d'avoir une cause extérieure et supérieure telle que le
soutiennent Platon et le judéo-christianisme.
Il est donc question pour Nietzsche de se
poser en s'opposant à « l'ancienne histoire de
la philosophie »6(*).
Au regard de ce qui précède, il
apparaît qu'en voulant opérer un dépassement de la
métaphysique, Nietzsche réalise en même temps le
dépassement des valeurs morales issues de cette métaphysique, car
il est question de réaliser un second renversement des valeurs morales
et de leur autorité. C'est pourquoi nous nous proposons, dans notre
réflexion, de revenir sur la critique nietzschéenne des valeurs
morales qui, en vérité, consiste en la remise en question de leur
autorité et l'affirmation d'un relativisme moral. Cependant, notre
réflexion se fondera sur la Généalogie de la
morale, l'ouvrage dans lequel Nietzsche procède à une sorte
de fouille archéologique qui consiste à établir l'origine
des préjugés moraux en remontant aux conditions et aux
circonstances qui leur ont donné naissance ainsi qu'aux conditions qui
ont facilité leur développement et leur modification. Pour
atteindre ce but, Nietzsche combine les méthodes
généalogique et historique. Aussi, il s'agira pour nous de
mettre en lumière le processus nietzschéen de
déconstruction des fondements sur lesquels les valeurs morales tirent
leur autorité.
Dès lors, la question fondamentale qui
structure la réflexion nietzschéenne est celle de savoir si les
fondements sur lesquels l'on a adossé les valeurs morales et qui
confèrent à celles-ci leur autorité et donc leur valeur ne
sont pas une création de l'imagination. En d'autres termes, les valeurs
morales dans leur essence ont-elles la capacité de se manifester
elles-mêmes sous la forme du commandement et de l'obéissance, de
la loi et de l'obligation ? Autrement dit, ne serait-ce pas judicieux de
suspecter, à la source des évaluations morales l'existence d'un
rempart, d'un appui ou d'une autorité déjà établie
de laquelle les valeurs tireraient leur transcendance ? Par ailleurs, la
ruine de l'autorité des valeurs ne pourrait-elle pas aboutir à
toutes sortes de dérives pratiques et logiques ? De même, la
négation absolue de toute transcendance par Nietzsche ne se nie-t-elle
pas elle-même dès lors qu'elle nous propose « un
mouvement vers un mieux », à savoir le surhomme? Telles sont
les principales interrogations qui vont sous-tendre notre réflexion.
Pour apporter une réponse à ces
questions, notre approche méthodologique est celle de l'analyse
textuelle. Il s'agira notamment de :
- Lire les principales oeuvres de Nietzsche en focalisant
notre attention particulièrement sur la Généalogie de
la morale ;
- Repérer dans cette oeuvre principale les concepts
centraux qui structurent la pensée morale de Nietzsche
- Opérationnaliser ces concepts pour cerner notre
problématique qui porte sur le relativisme des valeurs
- Voir quel retentissement cette problématique
connaît aujourd'hui dans notre univers marqué par une
véritable crise des valeurs.
C'est une telle démarche qui nous
permet de structurer notre travail ainsi qu'il suit :
Nous présenterons dans la
première partie les fondements des valeurs morales dans la
métaphysique classique, notamment chez Platon et le
judéo-christianisme, chez Kant et enfin chez Schopenhauer.
Dans un deuxième moment, nous exposerons
la critique de Nietzsche sur les valeurs morales dans le but de montrer d'une
part le caractère illusoire de leur nature prétendument
obligatoire, nécessaire et universelle, et d'affirmer la
nécessité de leur renversement, ceci dans le but de fonder
celles qui soient « par-delà bien et mal ».
Le dernier moment de notre réflexion
sera fondé sur une suite d'interrogations sur la critique de Nietzsche.
Nous attirerons l'attention sur les préjugés, les contradictions
et les dérives de la pensée de l'auteur.
PREMIERE PARTIE
POSITION DU PROBLEME :
NIETZSCHE ET SES DEVANCIERS SUR LA QUESTION DES VALEURS MORALES
INTRODUCTION PARTIELLE
Peut-on parler de l'origine des valeurs morales chez Nietzsche
sans toutefois remonter à l'histoire des idées ? Il nous
semble impossible de répondre à cette question par l'affirmative,
car ce serait poser que la réflexion sur l'origine et la valeur des
valeurs morales commence avec l'auteur de Aurore. Ainsi, on nierait
par là toute la grande histoire des valeurs morales qui a
commencé dans l'Antiquité avec les pensées de Platon,
Aristote etc., et qui s'est poursuivie jusqu'à l'époque moderne
avec La philosophie des Lumières en passant par le Moyen-âge avec
la pensée chrétienne. Durant toutes ces périodes, il s'est
posé la question de savoir sur quel support l'on devait fonder les
valeurs morales et relativement à cette origine, quelle importance
devait être attribuée à celles-ci. Il sera donc question,
dans la réflexion qui va suivre, de faire une sorte
d'archéologie, une fouille qui nous permettra de remonter à
l'histoire des idées pour savoir ce que les prédécesseurs
de Nietzsche ont pensé à propos de l'origine des valeurs morales.
Mais, avant de passer à une analyse non exhaustive des penseurs qui ont
précédé le rédacteur de
Généalogie de la morale sur cette question du fondement
des valeurs morales, il importe de se faire une idée précise sur
le sens qui doit être accordé à cette expression. Dans ce
sens, André Lalande soutient que les valeurs morales sont « un
ensemble des règles de conduites tenues pour inconditionnellement
valables ».7(*) On le voit, quand on parle de valeurs morales, on
évoque non pas un, mais plusieurs principes qui sont mis ensemble dans
le but de guider nos actions. Bien plus, c'est l'obligation de respect
scrupuleux de ces principes qui s'imposent à nous et qui fondent la
morale, car toute morale doit avoir un fondement c'est-à-dire
« ce sans quoi il ne serait pas possible de donner sens à
cette notion (...), (c'est) « ce qui légitime pour la raison
notre reconnaissance d'une vérité
morale ». »8(*) On voit ainsi que toute valeur dont la
fonction est normative doit s'appuyer, nécessairement, sur un principe
à partir duquel elle est déduite de sorte que la mise entre
parenthèse de ce dernier induise absolument la perte du caractère
nécessaire de celle-là.
De manière évidente, il ressort qu'il
y a donc une relation de dépendance entre les valeurs morales et leur
fondement de sorte que toute morale qui voudrait se donner sous la forme d'un
impératif catégorique doit être adossée sur un
fondement solide. C'est pourquoi l'on constate que la plupart des auteurs qui
ont traité de cette question avant Nietzsche se sont soumis à
cette exigence. Nous nous contenterons d'analyser la conception de quelques uns
d'entre eux, notamment Platon et le judéo-christianisme, Kant et Arthur
Schopenhauer. Pour cela, nous montrerons, relativement et respectivement aux
trois chapitres qui constitueront la première partie de notre recherche
comment les premiers fondent les valeurs morales sur la transcendance, ensuite
comment le second les fonde sur la raison individuelle et enfin comment le
dernier les adosse sur le sentiment de pitié.
Chapitre 1 : LA
QUESTION DE L'ABSOLU
L'histoire de la philosophie et celle du christianisme nous
montre que Platon et le judéo-christianisme militent en faveur d'une
morale du transcendant lorsqu'ils posent au fondement de celle-ci, l'absolu,
démontrant par là que la morale ne « résulte pas
du jeu d'une classe d'êtres ou d'actions »9(*) « mais suppose
l'intervention d'un principe extérieur et supérieur à
celle-ci»10(*). Avec
Nietzsche, il apparaît que la pensée morale de Platon tout comme
celle du christianisme posent que l'autorité des valeurs morales se
fonde non pas sur la volonté d'une classe comme le penseraient Karl
Marx et Engels, mais qu'elle repose plutôt sur l'idée qu'il existe
un être transcendant de qui tout découlerait.
Pour Platon il existe dans le monde intelligible la source
de toutes les valeurs morales : le Bien ou Dieu. Celui-ci est, selon le
penseur grec, le géniteur des valeurs telles que le Juste, le Beau etc.
Aussi, pour Platon, la morale existe dans le monde des idées, elle
n'est pas une création sociale, il s'agit dès lors pour l'homme
de la découvrir à travers l'effort d'une élévation
(la dialectique). Fort à propos, au sujet de la morale platonicienne,
Gaston François affirmera qu'elle «existe préalablement
à la réflexion du penseur, qui ne peut que la
découvrir »11(*). De ce fait, c'est l'inclination au bien
c'est-à-dire « l'effort vers le Bien »12(*) ou l'obéissance
à Dieu qui fonde la morale. Il est donc question, dans ce moment de
notre travail, de réfléchir sur ces valeurs morales
fondées sur un principe suprasensible en nous appuyant sur la
philosophie morale de Platon et la pensée théologique
judéo-chrétienne.
I.1. L'IDEE DE MORALE TRANSCENDANTE
CHEZ PLATON
La conception platonicienne de la morale est solidaire de sa
conception de l'être en général. En effet pour lui, la
réalité a une double dimension : le sensible et
l'intelligible. Le premier est le monde de l'expérience, de la
sensibilité le monde du relatif car les choses y sont changeantes. Pour
Platon, ce type de réalité ne nous introduit pas à la
connaissance à la vérité. Au contraire, parce que le monde
sensible c'est le règne de l'opinion ou la doxa, de l'à peu
près, il est nécessaire de s'en méfier et de marquer une
attitude de distanciation vis-à-vis de lui et nous retourner vers le
monde des idées qui est son original et qui se situe dans la
réalité supra-sensible c'est-à-dire le monde intelligible
dans lequel l'on retrouve les valeurs pures telles que le Beau, le Juste et au
sommet desquelles trône le Bien. Aussi Socrate
affirme-t-il :
Dans le connaissable, ce qui se trouve au terme, c'est la
forme du bien, et on ne la voit qu'avec peine, mais une fois qu'on l'a vue, on
doit en conclure que c'est elle qui constitue en fait pour toutes choses la
cause de tout ce qui est droit et beau13(*).
On le voit, pour le fondateur de l'académie, la
réalité première, celle qui mérite d'être
connue, c'est la réalité contemplative qui est informée
par les essences pures, au sommet desquelles règne le bien auquel on
accède non pas par les sens mais plutôt par l'exercice de la
raison. « L'allégorie de la caverne »,
notamment la dialectique ascendante, est dans ce sens une forte
illustration.
De cette conception du monde, Platon déduit une
conception duale de l'homme en lui reconnaissant une dimension sensible
(le corps) et une dimension intelligible (l'âme) et en précisant
la supériorité de la seconde réalité sur la
première. En effet, pour lui, bien que l'homme soit constitué
d'un corps et d'un esprit, (le premier coïncidant avec le sensible et le
second renvoyant à l'intelligible), la liaison de ces derniers est
accidentelle et signifie une sorte de mortification pour l'esprit ; en
effet, du fait des appétits et de l'habitude l'être de l'homme
reste attaché à la matière empêchant alors l'esprit
de s'élever. Dès lors, il est question, pour que l'homme
accomplisse sa véritable nature, qu'il réalise la fin à
laquelle il est destiné et celle-ci c'est de vivre ou de laisser parler
sa dimension spirituelle car c'est « ce pourquoi il existe,
sa fin ou son idéal »14(*). C'est la raison pour laquelle Platon
pose comme moyen pour l'accomplissement de cette fin (l'accès aux
Idées éternelles) la mortification du corps. C'est cette
élévation ou ascèse qui garantie la purification de
l'âme. Autrement dit, le salut de l'âme qui est le propre de
l'homme c'est sa réconciliation avec ce qui lui est parente
c'est-à-dire l'Idée. Alors, pour Platon, « la vraie
essence -et la valeur, c'est l'idée, et l'âme humaine peut y
accéder parce qu'elle en est parente »15(*).
Pour justifier cette parenté de l'âme et de
l'idée, Platon va remonter à l'origine de la première. Il
soutient en effet :
L'âme humaine, d'origine divine, a
connu jadis cet ordre des Essences et, déchue dans un corps
matériel qui l'obscurcit et la fausse, elle en conserve la nostalgie.
La voie du bonheur et de la sagesse s'offre donc à elle bien
nettement : se détourner des apparences sensibles, du
désordre matériel et charnel, pour retrouver sa nature
authentique ; faire régner la vertu, qui n'est autre que la
réplique des normes transcendantes centrées autour de
l'idée du Bien et ordonnées par celle
de justice16(*).
A partir de cette théorie de l'être, de laquelle
il ressort que non seulement le sensible est la pâle copie de
l'intelligible, mais aussi que celui-ci (l'intelligible) ne peut se saisir que
par lui-même et où le corps n'est réduit qu'à une
dimension et à une importance éphémère (dans la
mesure où il dépérit), Platon théorise sa
morale.
D'après le disciple de Socrate, le monde des
Idées est fait d'Essences au sommet desquelles se pose en originale
l'Idée de Bien, et c'est en orientant sa pensée vers cette source
que l'homme peut assurément acquérir la vérité. En
effet, l'esprit humain doit travailler à ne pas s'abaisser à
l'immoralité à l'ignorance. Au contraire, de par sa nature
immatérielle il doit toujours tendre vers le savoir, essayer de
contempler l'Idée de Bien et toujours tendre vers le divin. Et pour que
ce passage de l'âme du versant humain au versant divin soit possible, il
importe que l'esprit opère une mortification et pour cela il doit
procéder à une « subordination des désirs
inférieurs au désir de
connaître »17(*), et s'exercer à la pratique de la dialectique
et de la philosophie qui sont nécessaires pour son assainissement et sa
libération. A ce titre, Monique Canto-Sperber, affirme en citant le
Platon du Phédon :
Guidée par la
philosophie, l'âme prend alors le divin pour spectacle et pour
aliment, afin de s'en aller vers ce qui lui est apparenté et assorti, se
débarrassant ainsi de l'humaine misère18(*).
Nous constatons que Platon assimile l'âme à une
sorte d' « exilée en ce monde » corrompu.
Dès lors, seul l'exercice de la raison, à travers la pratique de
la vertu inspirée par l'Idée du Bien, constitue la voie qui
mène à la libération et la purification de l'âme.
Il apparait de ce qui précède que la morale
platonicienne trouve son fondement dans l'Idée de Bien car la
connaissance de celle-ci est la condition de la perfection de l'âme. Du
point de vue de Platon, c'est la connaissance du Bien qui conduit à la
perfection morale car on ne peut être vertueux si l'on ignore ce qu'est
le Bien, étant donné qu' « on ne peut voir le bien
sans le vouloir et le vice vient toujours de l'ignorance »19(*).
Ainsi se concrétise la prise de distance de Platon
d'avec la morale communément admise à son époque, surtout
celle des sophistes. Ces derniers, parce qu'ils font de la nature, des
conventions et des désirs le fondement de la moralité sont
considérés comme des esprits abjects par le fondateur de
l'Académie. D'après ceux-là, les normes morales n'ont pas
une origine transcendante tel que soutenu par Platon; au contraire, comme
le relève Protagoras cité par Monique Canto-Sperber à
propos du Théétète :
Le beau, le laid, le juste et
l'injuste sont ce qu' « une cité croit tel et
décrète légalement tel (...) car tel dans les questions de
juste et d'injuste, de pie et d'impie (...) rien de cela n'est par nature et ne
possède son être propre20(*).
Bien plus, Platon rejette aussi le naturalisme moral de
Calliclès dans le Gorgias à travers le débat
entre ce dernier et Socrate au sujet du juste et de l'injuste. Calliclès
précise que la moralité ou le juste se reconnaît à
la domination du fort sur le faible, du puissant sur l'impuissant et
l'acceptation par celui-ci de cet état de chose.
Le contradicteur de Socrate dans cette discussion
relève une différence entre le droit positif et le droit naturel.
Il y aurait selon lui un juste d'après la loi et un juste selon l'ordre
naturel. Le premier coïncide, dans une communauté avec la justice
distributive entendons par là l'égale répartition des
biens entre les membres de la société. Le second renvoie à
la disposition naturelle et hasardeuse qui pose la nécessité, au
nom de la justice, qu'il y ait des inégalités entre les hommes,
que certains soient plus grands que d'autres, ou qu'ils soient plus
intelligents etc.
Il apparaît que pour Calliclès et certains
sophistes, le caractère juste tout comme la moralité d'une action
se reconnaissent à leur conformité ou non au droit de la nature
c'est-à-dire cette disposition de la nature qui pose que celui qui vaut
le plus l'emporte sur celui qui vaut le moins. Le projet de Calliclès du
Gorgias est de montrer que la loi et les valeurs morales sont une
création des faibles qui se liguent contre les forts. Et par
conséquent, les valeurs morales ne sont pas absolues, elles sont un
accident de l'histoire et de ce fait elles sont contre nature. Cependant,
Platon défend fermement des réalités morales objectives
qui ne dépendent ni du désir des hommes ni des conventions
sociales.
En somme, toute la morale platonicienne se fonde sur :
La connaissance des choses éternelles du
monde des Idées, puisque les concepts de l'éthique [sont] pour
Platon des Idées éternelles. L'accès théorique
[fondamental] au principe de l'essence, c'est-à-dire au Bien,
[étant] le propre du didacticien21(*).
Contrairement à Platon qui fonde la morale sur la
connaissance de l'Idée du Bien, les religions monothéistes telles
que le christianisme, le judaïsme et l'islam etc....accordent aux valeurs
morales une origine absolue mais substituent à l'argument platonicien
du Bien celui de Dieu comme source de toutes valeurs dites morales.
I.2. L'IDEAL MORAL
JUDEO-CHRETIEN
Pour les judéo-chrétiens, les valeurs morales
ont une origine unique au-delà de toutes les affirmations : Dieu
considéré comme le seul organisateur de l'ordre éthique
que nous connaissons et subissons de nos jours. En effet, dans la conception
judéo-chrétienne, il est admis que la vie et les comportements
des hommes doivent être calqués sur les commandements qu'ils ont
reçus de leur créateur. C'est donc l'obéissance aux
« Dix commandements » donnés par le seigneur au
peuple d'Israël et partant au monde entier et qui s'imposent à lui
de manière catégorique qui constituent la source de la morale
religieuse. Aussi le chrétien, le musulman ou tout religieux doit
pouvoir mener une vie bonne c'est-à-dire une vie dont les actes sont
conformes à la volonté de Dieu, une vie qui plaît à
ce dernier. C'est dans ce sens que Saint Paul dans son Epître aux
Romains encourage ceux-ci en ces termes: « Je vous
exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir
votre corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce
qui sera de (leur) part un culte raisonnable »22(*).
Le successeur de Pierre recommande ainsi à ses
« frères » de vouer leur vie, leur âme au
seigneur et ceci passe par l'acceptation, la mise en pratique personnelle des
préceptes divins et l'évangélisation c'est-à-dire
l'enseignement ou la communication à Autrui des bienfaits de la parole
de Dieu. Aussi la moralité et le salut de l'homme sont garantis par la
soumission aux commandements divins d'une part et le service rendu au prochain
d'autre part. Ce service rendu au prochain est, au-delà de la simple
aide apportée à Autrui, une marque qui singularise les
« enfants de Dieu » des non croyants ou mondains.
Les paroles de Jésus à ce propos sont fort illustrateurs :
« Aime ton prochain comme toi toi-même. C'est par là
qu'on reconnaîtra que vous êtes mes enfants car l'amour est le
premier fruit de l'esprit »23(*).
Jésus résume ainsi tous les commandements, toute
la volonté de son père en un mot : l'Amour. Il s'agit du
don entier de soi entendons l'abandon total de soi à Dieu et à
Autrui. Il s'agit d'aimer notre prochain comme nous-mêmes, comme Dieu
lui-même nous aime. Il n'y a pas, aux yeux de Jésus, de plus grand
commandement que celui-là.
Cependant, il importe de remarquer qu'avec la mort et la
résurrection de Jésus, la condition du salut de l'homme ne se
limite plus à l'amour du prochain ou à la
« transformation empirique par le culte et par l'ascèse, mais
dans la foi en la puissance du salut apporté par la vie et par la mort
du christ, salut considéré en dernière instance comme don
de Dieu »24(*).
Contrairement au juif qui croit que la foi sans les oeuvres est vaine, le
chrétien pense que c'est la grâce divine symbolisée par
Jésus-Christ qui va lui procurer le salut. Mais sachant de
manière pertinente qu'il ne pourra jamais se conformer
entièrement et convenablement aux injonctions divines, le
chrétien trouve dans la crucifixion du christ le pardon de ses fautes et
en même temps son salut.
Parce que le chrétien a accepté Jésus
comme seigneur et sauveur il est à nouveau uni à son
créateur. En effet, la Bible nous enseigne que, parce qu'ils avaient
péché (en mangeant du fruit de l'arbre défendu) Adam et
Eve ont été chassés du jardin et condamnés à
la souffrance du dur labeur. Ce rejet de la part du créateur ne
signifiait pas seulement le départ de leur milieu de vie (le jardin)
mais il marquait surtout la rupture de la relation de confiance qui avait jadis
existé entre le créateur (Dieu) et ses enfants (Adam et Eve) de
sorte que le christ, par son sacrifice sert de lien qui vient réunir de
nouveau les parties autrefois cohérentes. L'homme qui s'était
perdu, qui s'était souillé par le péché retrouve
en et par Jésus la pureté, la sainteté. Par lui, il est
saint et l'esprit de Dieu réside en lui. En effet :
L'esprit de Dieu ou esprit saint est un
principe de vie supérieure, un mode de participation au divin, qui est
accordé au croyant en vue de son salut et de sa sanctification. Ainsi
l'ordre éthique s'établi sur la distinction entre deux
catégories d'hommes : ceux qui vivent selon la chair et ceux qui
vivent selon l'esprit25(*).
C'est ceux qui vivent par l'esprit qui sont agréables
aux yeux de l'éternel.
Il est à noter que c'est le sacrifice du christ qui
rend possible la réconciliation de l'homme et de Dieu.
Considéré comme source des valeurs morales par les
chrétiens et les religieux en général, Dieu construit
préalablement à l'homme et pour l'homme un ensemble de normes que
ce dernier ne doit que se limiter à suivre pour avoir une conduite
juste. Aussi, il devra faire preuve d'humilité, de pardon, de
charité etc....
A la fin de cette réflexion sur l'origine des valeurs
morales dans la philosophie de Platon et la pensée
judéo-chrétienne, il ressort que toutes les deux posent comme
fondement de celles-ci l'Absolu. Mais, nous avons noté une
différence sur la nature que l'une et l'autre attribut à cet
absolu. Pour Platon, la base des valeurs morales c'est l'Idée et plus
précisément l'Idée du Bien. Pour les religions par contre,
le socle sur lequel se construit la morale c'est Dieu. Mais, contre ceci Kant
fait valoir une morale adossée sur la raison.
CHAPITRE 2 : LA
MORALE RATIONNELLE KANTIENNE
La doctrine morale kantienne est solidaire de la
théorie de la connaissance de celui-ci. En effet, pour l'auteur de
Critique de la raison pratique, dans la recherche du savoir l'on ne
doit s'appuyer que sur le phénomène c'est-à-dire la chose
telle qu'elle se donne à nous par les sens. Est ainsi
évacué du domaine du connaissable le noumène entendons
par-là la chose en soi. Si avec Kant, la vérité ou la
validité d'une connaissance dépend de ce que nous y avons
préalablement mis, les valeurs morales elles-mêmes
n'échappent pas à ce principe. En effet, pour
« l'Ermite de Koenisberg » une valeur n'est morale
que si elle est le fruit de la raison qui s'est elle-même
déterminée c'est-à-dire qu'elle a posé
elle-même et pour elle-même les fondements et les buts de son
action. Aussi Victor Delbos nous confie à ce propos :
La vérité morale, comme celle de la
science, n'est comprise comme telle que si elle est exclusivement
déduite de la forme pure de la raison 26(*) non d'une transcendance
ni du contenu matériel de l'expérience27(*).
En d'autres termes, Kant fait du sujet la source de la morale
en tant que celui-ci est doué de raison. Bien plus selon l'auteur des
« trois critiques » l'homme est capable de produire,
à la fois, des connaissances de type spéculatif et des
connaissances pratiques. Dès lors, la moralité sera
fondée, chez le sujet sur la volonté, la bonne volonté
précisément et aussi sur le devoir marqué par son
caractère catégorique.
II.1. LA BONNE VOLONTE
A travers la plume de Victor Delbos dans La
philosophie pratique de Kant, nous constatons que celui-ci conçoit
la volonté comme étant la raison dans son activité
pratique. Il définit, en relation avec la précédente
acception, la bonne volonté comme celle qui agit par devoir et pour le
devoir. Dans ce sens, il apparaît que Delbos tout en rendant compte de
cette pensée de Kant corrobore le point de vue de ce dernier tout en
l'amplifiant et c'est d'ailleurs cette voie que suit Emile Bréhier en
parlant de la bonne volonté dans son Histoire de la philosophie
lorsqu'il présente le devoir comme ce qui « est accompli non pas
seulement lorsque l'acte est conforme au devoir mais lorsqu'il est fait par
devoir »28(*).
Il apparaît de ce qui précède que la
bonne volonté qu'exige Kant marche contre toute immixtion,
à la base de tout acte moral de mobiles intéressés, que
ceux-ci procurent au sujet un revenu pratique ou même symbolique. Kant
s'inscrit donc en faut contre les thèses de types utilitaristes qui font
valoir qu'il n'y a pas d'acte moral désintéressé, qu'il
n'y a pas d'action sans intérêt. On peut venir en aide à
autrui et penser ou faire croire que notre acte est altruiste, purement
désintéressé. Mais, à les en croire, il
s'avère très et peut être même toujours que le
désintéressement que nous affichons cache plutôt des
motivations inavouées. Par exemple, nous intervenons chez le voisin
lorsqu'il y a du bruit non pas par devoir mais soit par convenance, soit parce
que le climat qui y prévaut nous perturbe, trouble notre
tranquillité. A l'opposé de ces points de vues, l'auteur de
Qu'est-ce que les Lumières ? fonde l'agir moral sur
l'absence de mobiles égoïstes de notre conduite. Notre conduite
n'est pas moralement correcte parce qu'elle reflète l'idée de
Bien ni même parce qu'elle est conforme à la volonté divine
comme le précisent les religieux. Elle (la conduite) est moralement
acceptable parce qu'elle est désintéressée, parce qu'elle
coïncide comme l'affirme Angèle Kremer-Marietti « dans le
caractère immédiat de la détermination de la
volonté par la loi morale »29(*). Notre conduite
doit ainsi refléter la pureté de l'intention, de notre intention.
C'est pourquoi en accord avec cette dernière, l'auteur de Critique
de la raison pratique, soutient :
Lorsque la morale s'appuie sur des
considérations empiriques, elle fournit par là la volonté
des mobiles sensibles qui la corrompent, soit en la détournant du
devoir, soit en l'invitant à chercher dans le devoir, autre chose que
lui-même. Au contraire, dès que la morale cesse de recourir
à ces arguments suspects, dès qu'elle s'applique à
n'énoncer les lois de la moralité que dans la pureté
rationnelle, elle est en mesure d'agir puissamment sur les âmes30(*).
Le projet de Kant apparaît donc ici de
manière évidente : il s'agit pour lui de saisir dans toute
sa pureté l'intention morale et c'est cette ambition qu'il partage avec
le christianisme et le judaïsme. Tous deux réclament la
pureté du coeur ou de l'intention chaque fois que l'on doit agir. C'est
pourquoi notre action perdra son caractère moral dès lors qu'elle
sera déterminée par des motivations inavouées en d'autres
termes lorsqu'elle se fondera sur des intentions autres que le devoir.
Au-delà de cette nécessité pour le sujet
de conformer sa conduite au devoir ou à la raison, Kant pose que la
liberté est le produit de la loi morale que fonde la raison dans son
usage pratique. Puisque la loi morale est le produit de la raison pratique se
donnant à elle-même une injonction, notre auteur réclame
ainsi l'autonomie de cette dernière. Autrement dit, le sujet moral ne
doit être déterminé par aucune autorité
extérieure à lui. Par conséquent, ni l'idée
platonicienne du Bien, ni la nécessité de se soumettre à
la volonté divine que prêche le judéo-christianisme ne sont
à valoriser pour Kant.
De manière définitive, nous pouvons noter
qu'à l'inverse des approches platonicienne et
judéo-chrétienne de l'origine de la morale qui empêchent
l'homme de disposer de lui- même en posant au-dessus de lui une
transcendance, l'approche kantienne en fondant l'agir moral sur la
pureté de l'acte et donc sur la raison, restitue l'homme à
lui-même. Cependant, Kant affirme le caractère obligatoire du
devoir.
II.2. LE CARACTERE CATEGORIQUE DU
DEVOIR
Pour Kant le propre de l'homme c'est la raison.
C'est elle qui, tout en le déterminant, détermine l'origine et la
validité de ses actes moraux. En tant qu'être doué de
raison, l'homme doit s'assujettir à la loi morale car celle-ci est une
injonction de la raison (et donc de l'homme) à elle-même. Chez
Kant, quand on parle de loi morale on fait allusion au produit de la raison
dans son usage pratique. Aussi, si la loi morale est le produit de la raison
qui elle-même est ce qui détermine fondamentalement l'homme, cela
implique selon l'auteur des Prolégomènes à toute
métaphysique qu'en obéissant à celle-ci, l'homme
obéit à lui-même et il est par ce fait libre. Il est libre
car la loi morale, en tant qu'elle vient de la raison est la production de
l'homme lui-même de sorte qu'en décidant volontairement et
librement de lui céder, le sujet cède à lui-même et
manifeste par là sa liberté. Kant précise par la suite que
c'est librement c'est-à-dire de manière inconditionnelle que
l'homme est tenu de se soumettre à la loi morale. Bien plus, cette loi
à laquelle le sujet moral doit être soumis ne trouve son
autorité que dans la raison. C'est pourquoi « l'Ermite de
Koenisberg » comme l'appelait Nietzsche
soutient : « l'universalité [celle de la
morale] signifie [ici] rationalité, [et] si le devoir commande
universellement, c'est qu'il est, en son fond,
rationnel »31(*). La loi morale implique alors la totale
soumission de la volonté humaine à elle-même. Bien plus,
l'impératif moral est catégorique c'est-à-dire qu'il ne
permet ni ne tolère aucun écart dans la conduite. Une seule
autorité doit présider à son édification : la
raison, celle du sujet. Aucune autre autorité aussi élevée
qu'elle soit elle ne doit ni ne peut la déterminer. Si l'homme doit
agir, il doit le faire par devoir et non pas même pour le devoir.
Ecoutons à ce propos Emile Bréhier :
Chez Kant, si l'autorité du devoir est celle de
la raison, ce qui commande dans l'homme est la faculté selon laquelle il
est homme ; le respect de la raison, c'est donc le respect de l'humain en
lui et chez les autres, si bien que l'impératif catégorique peut
s'énoncer ainsi : Agis de telle sorte que tu uses
l'humanité, en ta personne et comme celle d'autrui, toujours comme une
fin, jamais simplement comme moyen32(*).
Le caractère impératif de la loi
morale ne saurait être remis en cause puisque celle-ci n'est pas le fait
de la nature mais un fait rationnel universel et nécessaire. Aussi,
l'universalité c'est-à-dire le fait de ne faire que ce qui peut
être reproduit par tout homme mis à notre place et
l'objectivité entendons par ceci ce caractère que la loi morale a
d'être désintéressée et déterminée par
aucune autre force que la raison sont les marques auxquelles l'on
reconnaît la loi morale chez Kant si l'on en croit Hubert Grenier dans
Les grandes doctrines morales.
Il apparaît à l'analyse que le fait moral se
fonde chez l'auteur de Pour la paix perpétuelle sur
trois principes : le rigorisme car la loi morale ne tolère aucun
écart dans la conduite, le formalisme car ce n'est pas le
résultat qui compte mais la pureté de l'intention et l'autonomie
car le sujet moral n'a aucune autorité au-dessus d'elle que la raison. A
la fin de la lecture de Sur le fondement moral de Arthur Schopenhauer
il ressort que ce dernier partage la thèse qui pose le sujet comme
origine de la morale. Cependant, l'auteur de Le Monde comme volonté
et comme représentation se démarque de Kant lorsqu'il situe
l'origine de la morale dans le sentiment de pitié qui anime l'homme.
CHAPITRE 3 : LA MORALE
DU SENTIMENT
L'auteur dont nous exposerons la pensée
morale dans ce chapitre fait parti du courant philosophique que l'on nomme le
« pessimisme ». C'est un courant qui
affirme que l'existence humaine est malheureuse, que l'homme est livré
au hasard, aux forces de la vie qui le manipulent à leur guise. Aussi,
pris dans ce tourbillon, l'homme inspire la pitié et ressent de la
pitié pour les autres. C'est la raison pour laquelle Schopenhauer va
faire de la pitié le fondement véritable de la morale. Mais,
avant d'arriver à cette conclusion, celui que l'histoire de la
philosophie présente comme un farouche adversaire de Hegel rejette la
thèse kantienne qui situe l'origine de la morale dans la raison, dans la
raison du sujet. Contre ceci, il propose le sentiment de pitié. Par
sentiment on peut entendre cette capacité qu'a l'homme d'éprouver
des sensations, des émotions telles que la pitié, la compassion,
la sympathie etc. C'est donc un état essentiellement psychologique
opposé à la volonté que Kant valorise.
Pour Schopenhauer, la morale en tant que corps de principes
qui s'impose à l'individu trouve sa source dans le sentiment de
pitié qui est
Un fait indéniable de la conscience
humaine 33(*) qui
ne dépend pas de certaines conditions, telles que notions,
religions, dogmes, mythes, éducation, instruction : c'est un
produit primitif et immédiat de la nature, [il] fait partie de la
constitution même de l'homme, [il] peut résister à toute
épreuve, [il] apparaît dans tous les pays, en tout temps34(*).
Aussi il paraît absurde de ramener la moralité
à la dimension rationnelle de l'homme. Au contraire, il est
nécessaire, aux yeux de Schopenhauer de situer la morale dans la
décision du sentiment.
III.1. EVALUATION DE LA
RAISON COMME FONDEMENT DE LA MORALE PAR SCHOPENHAUER
A la question à quel critère
reconnaît-on un acte moral ? Schopenhauer et Kant produisent la
même réponse : l'acte moral doit être
désintéressé c'est-à-dire qu'il ne doit pas
être sous-tendu par quelque mobile égoïste. Le premier auteur
est donc solidaire du second lorsque celui-ci affirme que « l'absence
de tout motif égoïste [est] le critérium de l'acte qui a une
valeur morale »35(*). En fait, il est nécessaire pour ces deux
auteurs que l'agir moral soit pure c'est-à-dire qu'il soit
dépouillé de toute fin étrangère telle que le
plaisir, le bonheur, l'idée qu'on va gagner la vie éternelle etc.
Bien plus, ces deux philosophes partagent l'idée selon laquelle la
moralité ne saurait être fondée sur l'impératif du
respect des principes d'un être surnaturel et transcendant à
l'homme et dont la seule évocation suscite chez lui (l'homme) la crainte
comme le soutient le christianisme. L'auteur de De la quadruple racine du
principe de raison suffisante pense qu'un acte qui serait adossé
sur un fondement égoïste ne serait pas un acte véritablement
moral. Il présenterait plutôt l'aspect d'un acte moral sans
toutefois l'être dans le fond. Aussi, ni la peur du châtiment
qu'inspire son Dieu au chrétien, ni même la joie de la
récompense à venir qui lui serait offerte par son créateur
s'il lui obéissait ne confèrent aucunement une dimension morale
à l'action du chrétien. C'est pourquoi à en croire
Schopenhauer « un acte de moralité qui serait
déterminé par la menace du châtiment et la promesse d'une
récompense, serait moral en apparence plus qu'en
réalité »36(*). L'acte ou le comportement du religieux en
général et du chrétien en particulier est
égoïste, c'est un acte guidé par l'intérêt car
soit c'est la peur d'un châtiment éventuel soit c'est la
perspective d'une vie heureuse après la résurrection qui le
pousse à agir de manière vertueuse. Aussi le chrétien est
semblable ici à la fois à une sorte de chasseur de prime et
à un enfant turbulent qui donne, par son apparence, l'illusion
d'être calme, sage mais qui ne l'est pas au fond. Le chrétien nous
rappelle le « chasseur de prime » dans la mesure où,
tout comme celui-ci ne se met à la poursuite du fugitif que parce qu'il
y a eu une récompense mise en jeu, le chrétien n'obéit
à son dieu que parce qu'il espère qu'à la fin
c'est-à-dire à la résurrection, il gagnera le paradis
promis et aura ainsi la vie éternelle. Au second niveau, il nous renvoie
l'image de l'enfant turbulent dans la mesure où celui-ci ne se
tranquillise, ne s'assagit que parce que ses parents sont prompts à
sévir contre lui. C'est exactement le même cas de figure que l'on
retrouve dans la relation qui met en scène le chrétien et son
créateur. L'homme agit donc d'après des mobiles
égoïstes ce que condamnent de manière unanime Kant et
Schopenhauer. Ce dernier estime alors que la moralité de l'homme ne
saurait dépendre « d'une volonté
étrangère, qui le commande et qui [lui] édicte des
châtiments et des récompenses »37(*).
Mais, la distance entre ces deux auteurs se précise
lorsque Kant pose la raison pure comme fondement de la morale. Or, pour
Schopenhauer, « la raison considérée en
général et comme faculté intellectuelle, n'est rien que de
secondaire, quelle fait partie de la portion phénoménale en nous,
qu'elle est subordonnée à l'organisme »38(*). C'est donc le corps en tant
que siège des passions et des émotions qui détermine
l'origine de la moralité.
Par ailleurs, Schopenhauer dénonce en accord avec
Charles Péguy le caractère pure, immaculé que Kant
attribut à l'acte moral. Il se demande en effet d'où pourrait
sortir cet homme dépourvu de toute inclination, de toute
sensibilité que l'auteur de Critique de la raison pure pose
comme base de sa théorie morale. Cet être n'existe pas, c'est une
pure imagination, une illusion. Il affirme alors :
Ainsi le fondement sur lequel Kant a établit la
morale (...) s'abîme sous nos yeux dans ce gouffre profond, qui
peut-être jamais ne sera comblé, des erreurs philosophiques :
il se réduit, nous le voyons clairement, à une supposition
insoutenable, et à un pure déguisement de la morale
théologique39(*).
L'ambition de Schopenhauer c'est de prouver que dans un
premier temps que la morale kantienne ne se fonde pas sur une base solide et de
montrer par la suite que la morale a sa véritable source dans le
sentiment de pitié.
III.2. LE CARACTERE
CATEGORIQUE DU DEVOIR
A la question quel est le fondement de la morale l'auteur de
De la quadruple racine du principe de raison suffisante répond
que c'est la nature humaine. Pour lui, aucune origine autre que le sentiment de
pitié ne peut être attribuée à la morale. Pour lui,
c'est le sentiment de pitié qui caractérise l'essentiel de la
nature humaine. Même la raison tant élevée par les
rationalistes n'est qu' « une partie de la portion
phénoménale en nous ». La sympathie qui
signifie le fait de souffrir avec l'autre nous rapproche d'autrui, nous ouvre
la porte de son intimité, le découvre tout en nous
découvrant nous-mêmes aux yeux des autres. Elle nous introduit
ainsi à l'être secret de l'autre, nous révèle ses
besoins, ses craintes et ses espérances etc.... Ceci suppose selon
Schopenhauer que nous niions sinon que nous simplifiions la différence
qu'il y a entre autrui et nous et que nous nous reconnaissions en lui et lui en
nous. C'est cette auto-identification réciproque qui nous permet,
d'après celui que l'histoire de la philosophie présente comme
l'un des adversaires farouches de Hegel, agir moralement c'est-à-dire
à chercher à faire du bien à autrui. C'est ce qu'il
appelle l'action vertueuse. Car, lorsque nous comprenons que l'autre
mène une vie identique à la nôtre c'est-à-dire une
vie gouvernée par le hasard, une vie malheureuse, lorsqu'il nous
apparaît que nous faisons l'expérience des mêmes conditions
existentiales, nous nous sentons proche de l'autre et ce sentiment nous
détermine à agir en sa faveur. On peut constater ceci lorsque,
à chaque fin d'année, les personnes nanties et les organisations
non gouvernementales, les membres de certains corps de métier descendent
dans les hôpitaux, les orphelinats bref vers les personnes
nécessiteuses pour leur témoigner leur compassion en leur offrant
des présents de toutes sortes. Cet acte qui est
généralement considéré comme un
« élan du coeur », un acte
désintéressé qui montre qu'il y a un lien intense qui unie
ces deux catégories de personnes. Schopenhauer considère cet acte
comme la manifestation du sentiment de pitié qui anime l'homme et qui
constitue selon lui la véritable source de la moralité.
Cependant, à y regarder de près, on
s'aperçoit que la pitié, quoiqu'elle rapproche même pour
quelques temps les individus, n'annule pas pour autant la différence
existentielle qui existe entre eux. Comme le précise à cet effet
ce mot de Monique Canto-Sperber pour qui la sympathie ne peut
« annuler la différence entre nous et l'autre, pour la bonne
raison qu'elle n'oublie pas que l'autre souffre dans sa propre personne quand
il nous amène à souffrir avec lui. »40(*) La compassion
ramène ainsi au partage de la douleur de l'autre.
En fait, il apparaît qu'après avoir
rejeté la raison et l'absolu comme fondement des valeurs morales,
Schopenhauer pose le sentiment de pitié comme origine authentique de la
moralité. Il avance notamment l'idée de la
prédétermination des conduites humaines. Pour lui en effet, les
comportements humains sont innés et immuables c'est-à-dire qu'ils
sont soumis à un déterminisme biologique qui implique que nous
avons, dans notre constitution biologique des gènes qui
prédéterminent notre nature. L'auteur de Sur le fondement de
la morale s'inscrit donc en faut contre les thèses existentialistes
qui nient toute détermination naturelle ou biologique de l'homme et
affirment plutôt la totale liberté de celui-ci :
« L'on est libre même dans les fers » nous dit
à cet effet Jean-Paul Sartre. Contre ceux-ci, celui que l'histoire de la
philosophie présente comme l'un des adversaires les plus farouches de
Hegel pense que biologiquement nous sommes orientés soit à faire
le bien, soit à faire le mal et c'est pourquoi il soutiendra que
« les différences de caractère sont innées et
immuables. Le méchant tire sa méchanceté de naissance,
comme le serpent ses crochets et ses poches à
venin »41(*).
Comme nous l'avons indiqué d'entrée de jeu, il
transparaît un pessimisme et un essentialisme de la pensée de
Schopenhauer car pour lui, l'homme ne peut devenir ce qu'il veut, il n'en a pas
les capacités. Son destin est comme scellé étant
donné qu'il est victime de sa constitution biologique. Au demeurant, il
apparaît clairement que pour lui, l'homme n'est pas libre d'où
cette interrogation : comment les valeurs peuvent-elles exister dans un
contexte où il n'y a pas de liberté ?
Dans le but de consacrer une origine solide aux valeurs
morales, certains prédécesseurs de Nietzsche ont tôt fait
de convoquer l'Absolu, la raison et le sentiment croyant par-là fonder
ces valeurs sur une autorité solide et inébranlable. Aussi les
valeurs morales trouvent leur force de loi, leur universalité pour
Platon et le Judéo-christianisme dans la transcendance. Kant par contre
situe l'origine de l'autorité des valeurs morales dans la bonne
volonté et le devoir alors que Schopenhauer la trouve dans le sentiment
de pitié. Or, Nietzsche pense qu'il est nécessaire
d'opérer une révolution dans la manière de concevoir les
valeurs et surtout la nécessité de substituer aux critères
susmentionnés des critères nouveaux favorisant selon notre auteur
l'avènement d'un homme nouveau : le surhomme qui créé
lui-même ses valeurs. C'est pourquoi l'auteur de Par-delà bien
et mal va postuler une transmutation des valeurs.
CHAPITRE4 :
LA REVOLUTION
NIETZSCHEENNE : LA
TRANSVALUATION
Nietzsche était philosophe et philologue.
Etymologiquement, philologie signifie « amour du logos, du discours,
du langage, de la raison ». La philologie est donc l'art, la science,
la technique de prendre en compte les mots, de bien les lire
c'est-à-dire de les interroger, de se demander comment ils fonctionnent
entre eux jusqu'à les juger et les évaluer. Nietzsche agit en
philologue jusque dans sa philosophie ; il a travaillé à la
lecture des textes pendant ses études et cette lecture s'applique
maintenant au monde : la révolution dont il est question dans notre
réflexion n'est pas seulement l'amorce de la critique que l'auteur du
Gai savoir va faire aux valeurs qui structurent la morale occidentale
de son temps, mais elle est surtout une anticipation de la reconstruction qui
devra s'opérer par la suite. Il sera donc question de montrer en quoi
consiste cette transvaluation et par quelle voie celle-ci devrait passer selon
notre auteur. Pour cela, nous présenterons tour à tour la
destruction des valeurs, la reconstruction et enfin les moyens utilisés
pour la reconstruction.
IV-1- LA DESTRUCTION DES VALEURS
ET LA RECONSTRUCTION
La Généalogie de la morale tout comme
Par-delà bien et mal sont une critique nietzschéenne de
la culture occidentale moderne et de l'ensemble de ses valeurs religieuses,
métaphysiques et morales. Les valeurs qui règnent en occident
depuis la naissance du christianisme, dont Nietzsche a situé les
prémisses chez Platon, sont néfastes et ont été des
instruments de domination. Certaines valeurs, que Nietzsche juge comme
étant les plus basses et les plus fausses, l'ont progressivement
emporté sur les valeurs les plus authentiques. Nietzsche nous dit que le
nihilisme c'est-à-dire la haine de la vie ; étymologiquement
« le goût pour le rien » vient du fait que les plus
hautes valeurs se dévalorisent. L'humanité a renoncé aux
valeurs du monde sensible au nom du monde des idéaux, l'au-delà
de la religion chrétienne ou le « monde
intelligible » chez Platon, monde qui n'est que le reflet illusoire
du monde réel, le seul monde digne d'intérêt pour
Nietzsche. L'au-delà des métaphysiciens a rendu l'humanité
malade. Il a appris aux hommes à délaisser la vie sur terre au
profit d'une vie après la mort. L'homme ne vit donc plus pleinement, il
est dans l'abstinence et dans le renoncement. Le nihilisme est
l'évènement fondamental de l'histoire, l'auteur de Ainsi
parlait Zarathoustra lit donc cette histoire comme celle de la
dévalorisation des valeurs suprêmes. Il a compris la
nécessité d'invalider, de dévaloriser les anciennes
valeurs pour redonner à la vie le goût que Platon, Kant,
Schopenhauer et la morale chrétienne lui ont ôté. Il est
important de faire naître une nouvelle hiérarchie entre les
valeurs : la destruction n'implique pas le néant, elle conduira
à la reconstruction. Martin Heidegger nous dira que
Malgré la dévalorisation des plus
hautes valeurs pour le monde, ce monde lui-même continue, et ce monde
ainsi dépourvu de valeurs tend inévitablement à une
institution de valeurs42(*).
Il semble que notre monde soit nécessairement porteur
de valeurs. La dévalorisation des valeurs doit permettre une
reconstruction.
En effet, pour Nietzsche, il va falloir inverser le principe
d'évaluation, passer des valeurs négatives, hostiles à la
vie, à des valeurs affirmatives exaltant la vie. L'au-delà des
métaphysiciens n'existe pas, pas plus que les dieux des religions.
L'homme doit donc se référer uniquement à lui-même,
il est seul, il doit créer lui-même ses valeurs. Mais quels moyens
vont être mis en oeuvre pour une réévaluation des
valeurs ?
IV.2. LE PROJET
GENEALOGIQUE
Nietzsche rejette toutes les formes de transcendance qui ne
peuvent que déformer la compréhension historique et psychologique
de l'homme, il les remplace par le projet qu'il nomme
« généalogique » qui consiste à
étudier l'homme comme être entièrement corporel et animal,
dirigé par des pulsions c'est-à-dire des affects, tels que
l'envie, la cupidité, l'amour, la haine ou la vengeance qui constituent
sa personnalité. Nietzsche s'oppose au dualisme : l'homme n'est
plus un corps séparé d'une âme mais une infinité de
pulsions qui constituent sa personnalité ; son espèce, sa
race. On voit ici que le terme de « race » a un tout autre
sens que celui qu'on lui donne habituellement, il s'agit de la race
intellectuelle, c'est-à-dire de la personnalité, non de la
provenance génétique, d'où l'importance d'avoir
précisé au début de notre propos la particularité
du nouveau langage de Nietzsche.
Nietzsche choisit d'étudier l'homme comme être
entièrement corporel et animal car le corps est ce qui
« donné »43(*), ce qui est le plus connu pour nous. Notre corps est
une structure sociale composée de nombreuses âmes. Nietzsche
critique la croyance qui tient l'âme pour quelque chose
d'indestructible, d'éternelle ou d'indivisible. Il faut expulser cette
croyance de la science mais il ne faut pas se débarrasser de
l'âme : la voie est libre pour de nouvelles versions et affinements
de l'hypothèse d'âme. De nouveaux concepts d'âme peuvent
voir le jour comme « âme mortelle »,
« âme multiplicité du sujet »,
« âme structure sociale des pulsions et
affects »44(*).
Puisque le corps est ce qui est le plus connu pour nous,
Nietzsche le prend comme point de départ dans la reconstruction des
valeurs. Il substitue au critère ancien qu'était la
vérité celui de l'avenir, de la santé. Aussi,
Par-delà bien et mal est un « prélude à
une philosophie de l'avenir ». L'image de l'avenir renvoie à
la vie forte capable de continuer à vivre par opposition à la
vie malade, épuisée, qui aspire à en finir. En effet dans
son ouvrage on trouve de nombreuses références à la
physiologie, non pas en tant que discipline scientifique, mais comme ce qui
permettrait de réfléchir aux conditions fondamentales de toute
vie. L'auteur d'Aurore considère d'ailleurs que la conscience
n'est plus qu'un instrument. Il s'oppose ici à la morale et à la
religion qui donne la primauté à l'esprit sur la nature, et qui
font de l'esprit un principe causal qui expliquerait les
phénomènes humains. Pour lui, l'esprit n'est pas supérieur
aux instincts, le conscient n'est pas le contraire de l'instinctif, c'est un
aspect de l'instinctif. Car il réfute le primat de la conscience. Celui
qui appelait ironiquement Kant « l'Ermite de Koenigsberg »
est amené à développer une psychologie qui met en avant le
conflit entre les pulsions. Le projet généalogique
nietzschéen consistera donc à étudier les jugements que
font les hommes, à propos de la morale par exemple, et à se
demander quelles sont les pulsions qui en sont responsables. Nos jugements
deviennent donc des symptômes plus ou moins conscients de besoin,
d'envie, de vengeance, en fonction des instincts qui en sont à
l'origine. C'est donc à partir de l'expérience que l'on peut
observer les phénomènes humains, c'est la nature qui peut nous
renseigner sur l'homme et non l'homme sur la nature. Notre appréhension
de l'existence dépend avant tout de notre organisation physiologique et
de ses fonctions comme la nutrition ou la reproduction, tandis que les
fonctions jugées traditionnellement plus élevées comme la
conscience ou la pensée n'en sont que des formes dérivées.
Notre auteur accorde la primauté à l'affectivité contre la
tradition philosophique qui a toujours accordé le primat à la
raison. Or, si l'homme est avant tout un être animal qui peut être
étudié en termes d'affectivité, un être conduit par
ses instincts, ne devrait-il pas se préoccuper de ce qui pourrait
assurer la réalisation de ses instincts, ne doit-il pas poser comme
valeurs ce qui pourrait le maintenir en vie ?
IV-3- LA VOLONTE DE
PUISSANCE Nietzsche va donc analyser toute chose à partir
de sa conception de la vie, c'est-à-dire à partir du
critère de la puissance. Une chose est bonne lorsqu'elle est signe de
santé, c'est-à-dire lorsqu'elle exprime un accroissement de
puissance. L'être vivant en bonne santé est celui qui cherche
à accroître sa puissance, celui qui exprime sa volonté de
puissance. Tout organisme vivant aspire donc à plus de puissance. C'est
l'être lui-même qui devient volonté de puissance, qui se met
dans le chemin de ce qui sauve la vie face aux principes de mort. La
volonté de puissance n'est pas une volonté de dominer mais une
volonté de dépasser les antagonismes entre le bien et le mal, de
se placer par-delà bien et mal, en laissant agir le dynamisme de la vie.
Ce que Nietzsche entend par « volonté de puissance »
c'est que l'homme ne cherche pas seulement sa conservation, il cherche à
croître. Il s'oppose ici aux physiologistes qui posent la pulsion
d'autoconservation comme pulsion essentielle d'un être
organique.45(*) L'instinct
de conservation est secondaire. L'essence de l'homme est de vouloir
croître, s'assurer l'espace vital n'est pas un but, c'est le moyen de son
accroissement. L'espace de vie se réalise donc dans le devenir.
Nietzsche s'oppose ici au dualisme métaphysique qui sépare
l'essence et l'existence. Il s'oppose également à la tradition
philosophique selon laquelle l'homme aspire au bonheur. Le plaisir sera le
sentiment de la puissance atteinte. L'homme aspire à la puissance mais
elle n'est pas à comprendre ici comme un objet extérieur à
la volonté vers lequel cette dernière devrait tendre, c'est une
puissance interne. Il y a quelque chose dans la volonté qui affirme sa
puissance c'est-à-dire un impératif interne à la
volonté : devenir plus, ou périr. L'homme est avide de se
développer aux dépens de ce qui l'entoure mais il est
perpétuellement menacé d'extinction. La volonté de
puissance est donc un instrument de description du monde puisque tout vivant
tend à se développer et doit faire face à la lutte pour la
survie. La volonté de puissance introduit la notion de force car si le
vivant doit toujours croître c'est-à-dire toujours aller
au-delà de lui-même, il doit faire face à des
résistances car il peut se confronter à un type de vivant qui
cherchera lui aussi à accroître sa puissance. Chaque être
vivant, chaque corps, désire en permanence dominer, dépouiller,
exploiter, s'approprier ce qui l'entoure, imposer ses propres lois. Cela vaut
pour toute vie, et cela ne se fait pas par « moralité ou
immoralité »46(*), cela se fait parce que la vie est volonté de
puissance. L'exploitation n'appartient pas à une société
pervertie : elle est le propre du vivant en tant que fonction organique
fondamentale, conséquence de la volonté de puissance,
volonté de vie.47(*)La volonté de puissance devient donc la valeur
des valeurs puisqu'elle détermine les valeurs favorables à la
puissance, c'est-à-dire à l'accroissement de la vie.
CONCLUSION PARTIELLE
L'homme doit donc considérer comme valeur tout ce qui
permet sa croissance, tout ce qui est favorable à sa vie. La source des
valeurs est donc immanente : c'est la vie elle-même qui crée
les valeurs dont elle a besoin. La question ne sera plus de savoir si une
idée est vraie ou fausse mais si elle est favorable ou
défavorable à la vie. L'importance du devenir, de la croissance,
se remarque jusque dans la forme que Nietzsche choisit pour délivrer ses
pensées. S'il choisit d'exposer sa pensée sous la forme
d'aphorismes c'est-à-dire de fragments, de paragraphes, c'est pour
s'écarter d'une pensée de la fixité que nous imposent les
systèmes. Avec l'aphorisme, l'auteur de Par-delà bien et
mal conserve la spontanéité de ses pensées, le
jaillissement. Certains aphorismes nous renvoient à d'autres, la
pensée est vivante ; il y a peu de mise en forme, nous sommes plus
près de l'expression immédiate. Nietzsche conteste non seulement
les valeurs dominantes dans la tradition philosophique mais également
les formes choisies pour les retranscrire, d'où l'importance qu'il donne
à la dimension philologique dans sa philosophie.
DEUXIEME PARTIE : LE
RELATIVISME MORAL DANS LA GENEALOGIE
INTRODUCTION PARTIELLE
Nous avons vu dans la partie précédente que
certains courants de pensée philosophiques ont tenté de fonder la
nécessité et la généralité des valeurs
morales qui organisent de nos jours l'Occident en leur attribuant une origine
soit transcendante, soit rationnelle ou encore immanente. C'est pourquoi ces
valeurs morales s'imposaient à tous. De sorte que, ni leur origine, ni
leur autorité encore moins leur valeur ne pouvaient être mises en
doute. Cependant, Nietzsche s'est inscrit en faut contre cette conception en
affirmant que ces philosophies camouflent la réalité et vont
à l'encontre de l'ordre naturel en procédant au nivellement de la
hiérarchie naturelle. Il montre ainsi par une étude
généalogique, entendons par là, une recherche des origines
qu'il est absurde de fonder la morale sur une base essentiellement
transcendante en conférant aux valeurs morales un caractère
obligatoire, universelle et nécessaire. Cette recherche amène
Nietzsche à penser que ces valeurs sont le produit de l'imagination,
qu'elles n'existent pas réellement et donc qu'elles ne sauraient avoir
de valeur en elles-mêmes. Bien plus, l'auteur voit dans cette
consécration des valeurs une idéologie des faibles et des
impuissants dont l'objectif est de renverser l'ordre normal des choses à
savoir l'ordre naturel en procédant à un nivellement de l'ordre
naturel qui impose désormais une égalité entre le fort et
le faible, entre le puissant et l'impuissant, entre le père et le
fils.
Voici donc l'objectif que visent selon Nietzsche, les
discours des généalogistes dont nous avons
présentés les pensées plus haut. De sorte qu'une
étude menée sur l'origine des valeurs morales en question
révèlerait leur véritable nature, leur provenance, leur
rôle et partant leur valeur pour la civilisation moderne. Nous
montrerons, à la suite de notre auteur que les évaluations
morales faites par la métaphysique (de l'Antiquité à nos
jours) sont essentiellement nihilistes, qu'elles n'ont pas une dimension
universelle, nécessaire, et obligatoire et qu'il s'impose tout à
la fois d'établir et d'affirmer de nouvelles valeurs qui soient
« par-delà bien et mal ».
CHAPITRE 1: LE
NIHILISME
Originairement, en philosophie on reconnaît au concept
de nihilisme un double sens. Dans son sens premier ce concept renvoi aux
idées de négation, de destruction, de crise, de souffrance, de
désespoir. Aussi, dans cette première signification, le nihilisme
désigne cette « volonté de néant qui s'exprime
dans [les] valeurs supérieures »48(*) et attribut à la
vie une valeur de néant. Cet aspect du nihilisme qui est un renversement
de la table des valeurs et une dépréciation de la vie, est
orchestré par la métaphysique et ce depuis Socrate.
Dans sa deuxième conception, le nihilisme
désigne cette réaction contre la réalité
suprasensible et les valeurs supérieures dont on nie l'existence et la
validité. Cet aspect du nihilisme qui est celui de Nietzsche n'en est
pas un en fait car il est la négation d'une négation en vue d'une
affirmation. Cependant, la difficulté c'est de savoir comment s'est
exactement développée la première forme de nihilisme
contre laquelle l'auteur de Le voyageur et son ombre
s'élève.
I.1. LE RENVERSEMENT DES
VALEURS
Avant de militer pour un renversement total des valeurs,
Nietzsche part d'un constat : l'objectif que s'est assigné la
morale occidentale contemporaine dans une perspective humaniste s'est
avéré perturbateur et nuisible à l'égard de
l'espèce humaine. La raison en est que l'homme par le biais de cette
morale est arrivé à se méjuger et à se dresser
contre ce qui faisait son bonheur à l'origine. L'implantation de la
morale du ressentiment dans la philosophie est apparue à Nietzsche comme
un évènement épouvantable d'autant plus qu'elle a
donné la possibilité aux faibles de se soulever contre les
maîtres. Ces derniers jouissaient jusque là de toutes sortes de
prérogatives à l'égard de tout ce qui était
vulgaire et bas. Ce soulèvement des faibles contre les hommes de valeur
est considéré par l'auteur de Ainsi parlait Zarathoustra
comme un mouvement de révolte intransigeant devant substituer les
valeurs morales aux valeurs de la noblesse de race, les vertus des incapables
à celles des hommes d'action. Notre penseur Allemand va donc contre ce
type de morale qui donne comme instrument aux faibles le ressentiment pour
justifier leur situation et procéder au renversement de l'ordre
hiérarchique des choses. Ainsi, les médiocres opposent-ils les
valeurs « Bien et Mal », « Bon et
Mauvais ». Mais, notre auteur affirme que cette opposition des
valeurs entretenue par les faibles contre les forts semble avoir subi une crise
dans le cadre du rétablissement des droits des opprimés. Ceux-ci
ont en effet, ménagé tout ce qui avait trait à leur
condition de vie, et pris en grappe ce qui leur opposait des
résistances. Cet antagonisme a entraîné selon lui le
déclin absolu des valeurs authentiques, et détourné leur
contenu symbolique. C'est pourquoi l'auteur de Le voyageur et son
ombre soutient dans ce sens :
Si l'on se
représente l'ennemi tel que le conçoit [le faible], on
constatera que c'est là son exploit, sa création propre :
il a connu l'ennemi, le méchant, le malin en tant que concept
fondamental, et c'est à ce concept qu'il imagine une
antithèse, le bon, qui n'est rien d'autre que
lui-même49(*).
Et il ajoute par ailleurs : « Enfin, -et
c'est ce qu'il y a de plus terrible -dans la notion de l'homme bon, on prend
parti pour tout ce qui est faible, malade, mal venu, pour tout ce qui souffre
de soi-même, pour tout ce qui doit disparaître. La loi de la
sélection est contrecarrée »50(*). Cette crise des
valeurs à laquelle nous assistons aujourd'hui est donc
consécutive à l'avènement de la morale du ressentiment qui
a incité à la révolte tous ceux qui appartiennent de par
leur statut social à la racaille. Pour Nietzsche, le soulèvement
des esclaves contre les maîtres dans la morale des faibles n'est pas la
preuve du droit de chacun à l'affirmation de soi comme sujet mais
plutôt la subversion des valeurs aristocratiques.
Pour celui que l'histoire de la philosophie
présente comme le disciple infidèle de Schopenhauer, ce
renversement des valeurs aristocratiques a une origine : le christianisme.
L'avènement de celui-ci dans le monde a donné au religieux le
moyen d'ordonner la société et ses structures à sa guise.
Cependant, notre auteur note aussi que le christianisme n'a pas seulement
permis aux prêtres de se fabriquer un statut social à leur mesure,
il a aussi donné l'illusion au peuple d'avoir droit à toutes
sortes de prérogatives. Par ce fait, la remise en question de l'ordre
hiérarchique des choses a permis à la communauté
sacerdotale créée par le christianisme de veiller au triomphe de
la morale du ressentiment. Et c'est ce triomphe qui est à l'origine de
l'interprétation erronée de l'histoire de l'humanité et le
détournement du contenu significatif des jugements moraux. Et à
Nietzsche d'observer : « Partout où s'étend
l'influence des théologiens, le jugement de valeur est la tête en
bas et les notions de « vrai » et
« faux » sont nécessairement
interverties »51(*).
Grâce à la transmutation des
valeurs morales, la masse des incapables prend l'initiative de conquérir
la liberté contre toutes formes d'aristocraties qui cherchent, par un
sursaut d'orgueil, à ressusciter. Cependant, il s'avère que ce
n'est pas en utilisant les armes que les faibles conquièrent les valeurs
morales mais plutôt par le sentiment vindicatif qu'est le ressentiment.
Déjà à l'oeuvre dans la morale rétrograde, le
ressentiment est considéré par les faibles comme une arme de
combat capable de les introduire parmi les rangs des forts, et par voie de
conséquence de leur permettre d'imposer et d'établir un
modèle de conduite qui rompt totalement avec la philosophie de la vie
des forts.
La subversion des valeurs s'explique par le besoin
psychologique qui incite l'homme dégénéré à
se dresser contre l'impulsion vitale de l'homme d'esprit. C'est pourquoi
Nietzsche relève que le ressentiment de l'aristocratique équation
des valeurs est sous-tendu par la passion de la rancune qui a rendu dans le
même temps ce renversement solide et infrangible. Aussi
souligne-t-il : « [Les faibles] ont maintenu ce renversement
avec l'acharnement d'une haine sans borne (la haine de
l'impuissance) »52(*).
Le maintient, par le faible des valeurs de décadence
démontre que le faible, l'impuissant est un être angoissé
qui refuse délibérément de tendre vers un plus être.
Parce qu'il lui est impossible de transcender ou de surmonter ses
piètres conditions de vie, le faible s'attache et voue un culte aux
valeurs traditionnelles qui sont à ses yeux, éternelles et
immuables. Même s'il est vrai que l'immutabilité de ces valeurs
n'empêche en aucun cas une soif du nouveau.
Toutefois, Nietzsche soutient que cette soif du nouveau qui
caractérise l'homme versatile n'est pas identifiable à celle qui
anime le fort dans la mesure où celui-ci vise la création,
l'innovation alors que celui-là cherche à maintenir un statut
quo, à se figer dans la finitude de l'affirmation. C'est probablement ce
qui a incité Nietzsche à présenter le faible comme un
individu qui, marqué et dégoûté par les
persécutions de l'existence, lasse de vivre, s'invente un monde
imaginaire dans lequel il veut vivre de manière solitaire. Dans ce
monde, il prétend jouir d'un bonheur absolu. L'absoluté de ce
monde semble être le mouvement d'opposition du faible. En effet,
l'aspiration de ce dernier à une éternité de jouissance
est soutenue par l'idée d'une récompense à venir dont sera
gratifiée celui qui aura accepté, au terme d'une vie bien
menée, de vivre conformément aux principes moraux.
En renversant l'ordre hiérarchique des valeurs, la
morale du ressentiment a par-là contribué à faire
émerger une nouvelle forme idéologique qui s'enracine selon notre
auteur dans une forme modérée de démocratie : le
socialisme. Par celui-ci, la morale du ressentiment a pris possession de la
faiblesse et de l'impuissance au détriment de la puissance et de la
noblesse. Qui plus est, d'après le penseur Allemand, elle a
contribué au nivellement des inégalités et à
l'extension de la puissance des hommes du commun, qui ont créé
des valeurs morales. Toutefois, les valeurs créées par l'homme
veule ne sont que des valeurs d'emprunt calquées sur le modèle de
celles du fort. Et ceci s'illustre par le fait que le faible vit comme par
procuration, aspire à devenir fort.
Le socialisme et partant la démocratie
doit également son essor au sentiment de dégoût, de
douleur, de pitié, de haine qui marque la masse des faibles. En effet,
c'est la permanence ou la fréquence de ces sentiments dans la morale des
faibles qui pousse ceux-ci à penser que l'absence ou la rareté de
ces sentiments chez un individu notamment le fort, l'homme de classe est le
signe d'un cynisme de sa part. L'incapacité des hommes veules à
se représenter un homme qui ne puisse compatir ou partager
l'étendue de la souffrance de l'autre, les a poussés à
tenir la souffrance comme sentiment commun à tous les individus. Dans
cette mesure, le socialisme a été défini par les faibles
comme une doctrine politico-religieuse oeuvrant pour le bonheur.
En définissant le socialisme comme une
doctrine théologico-politique, les laissés pour compte n'ont pas
hésité à distinguer une fois pour toutes les bonnes et les
mauvaises valeurs et à distinguer les méchants et les bons, les
opprimés des oppresseurs, les malheureux des bienheureux, les esclaves
des maîtres etc.... En montrant comment cette entreprise de
hiérarchisation des valeurs a tourné à l'avantage des
déshérités et au désavantage des biens portants,
Nietzsche a mis en relief le rapport d'homologie entre les valeurs morales de
la décadence et le socialisme. Celui-ci lui a paru être un
instrument assurant la domination des faibles sur les forts.
Le fait pour les faibles de ne pas tenir
compte des capacités de chaque individu dans la morale du ressentiment
les a conduits à affirmer la supériorité de la
majorité sur la minorité. Parce que les valeurs morales sont
issues de la majorité, il est convenable de préciser que ce qui
n'est pas de son ressort est mauvais et abominable, exécrable et
honteux. C'est la raison pour laquelle l'auteur de Le Cas Wagner
affirme dans ce sens : « Quand la bête du
troupeau rayonne dans la clarté de la vertu la plus pure, l'homme
d'exception est forcément abaissé à un degré
inférieur, au mal. »53(*)
Le renversement des valeurs morales au sein de
la morale du ressentiment a provoqué le rabaissement des qualités
propres de l'individu au vu de la nature de ceux qui ont établi les
nouveaux principes de vie. Par conséquent, malgré le triomphe de
cette morale du ressentiment sur celle des hommes de vertu, il y a lieu de
relever ici que les faibles sont toujours habités par la passion de la
rancune. Ce sentiment vindicatif en s'introduisant dans la démocratie,
s'est transformé en remords de conscience. Pour mettre fin à
l'angoisse qui fragilise les faibles, la morale du ressentiment va trouver
comme palliatif à cette situation l'arasement de la hiérarchie
naturelle.
I.2. L'ARASEMENT DE LA
HIERARCHIE NATURELLE
En promouvant la pitié, la compassion et
l'humilité pour ne citer que celles-ci, la morale des faibles nie
totalement les différences qui existent entre les hommes. En effet,
c'est volontairement c'est-à-dire d'une manière intentionnelle
que les hommes veules procèdent à cette négation car ils
savent de manière pertinente que le but ou même l'essence des
forts est précisément d'agir dans le sens de la force. Cependant,
les faibles, les esclaves guidés par le sentiment de vengeance vont
convaincre les forts et les maîtres et les amener à partager
l'idée que le mal, l'immoralité consiste à donner libre
cours à ses passions et à exercer sa domination sur l'autre. Ils
vont ainsi établir que ce qui fait valeur dans l'existence, c'est le
travail sur soi-même c'est-à-dire le fait de se forcer
soi-même à aller contre ses propres instincts, en particulier,
à se forcer soi-même à considérer toute situation de
conflit avec autrui comme mauvaise, immorale. On assiste donc ici à une
introversion par l'homme du sentiment de culpabilité dans la mesure
où celui-ci considère désormais l'usage de sa force ou de
son pouvoir comme une mauvaise chose. L'on se retrouve alors dans une sorte
d'égalisation des inégalités car désormais, ce qui
s'apparentait par sa nature à un puissant, un fort, un chasseur de race
ressemble à un impuissant, un faible, un agneau. On assiste donc ici
à un ascétisme qui induit l'affaiblissement des forts.
Nietzsche trouve malsain que « les agneaux en
veuillent aux oiseaux de proie »54(*) dans la mesure où on ne doit pas exiger
de la force qu'elle se présente comme faiblesse. A ce propos il
affirme :
Exiger de la force qu'elle ne se manifeste pas comme
force, qu'elle ne soit pas une volonté de subjuguer, une volonté
de terrasser, une volonté de dominer, une soif d'ennemis, de
résistances et de triomphes, c'est aussi absurde qu'exiger de la
faiblesse de se manifester comme force 55(*).
Cependant, à en croire l'auteur de Le voyageur et
son ombre, c'est la pratique généralisée de la
morale des esclaves qui a abouti au nivellement de la hiérarchie
naturelle. Le triomphe de la démocratie en est une illustration car
celle-ci est adossée sur le principe selon lequel une personne
égale à une voix et que toutes les voix sont égales de
sorte que la voix du fils vaut celle du père. Nietzsche voit dans cette
victoire des esclaves et des faibles le début de la décadence.
I.3. LA DECONSTRUCTION
La déconstruction apparaît « comme un
effet historique : celui de la victoire, puis de la domination des faibles
sur les forts, des esclaves sur les maîtres, de la Judée sur
Rome »56(*). Elle se caractérise par la diminution et
l'anéantissement du sujet et un dérèglement de ses
instincts. L'introduction dans le monde du dualisme, le changement des sens est
à l'origine de ce que Nietzsche appelle l'« étouffement
général du sentiment de la vie »57(*). L'homme de la
modernité n'est pas en mesure de supporter le poids des charges
existentielles à cause de la morale du ressentiment qui l'empêche
d'atteindre « le plus haut degré de puissance et de splendeur
auquel [il] puisse prétendre »58(*). Aussi, d'après notre auteur, la
civilisation moderne, à l'opposé de la civilisation grecque
d'avant Socrate, est en pleine fragmentation. Nietzsche en veut pour preuve
l'incapacité de ses contemporains à vivre seuls
c'est-à-dire sans appui ni idoles, ni même sécurité.
L'auteur voit aussi dans l'avènement des droits humains une des
caractéristiques de la déconstruction dans la mesure où
ceux-ci consacrent l'égalité de tous. Or, ce qui devrait
être au coeur de chaque culture c'est ce principe : « aux
égaux, l'égalité ; aux inégaux,
l'inégalité ».
Au regard de ce qui précède, il apparaît
que les évaluations morales sont d'origine « humaines trop
humaines », qu'elles sont essentiellement négatives et nocives
pour la vie, car elles entraînent non seulement un nivellement de la
hiérarchie naturelle, mais surtout une déconstruction de la
civilisation moderne. Dès lors, est-il encore pertinent de postuler le
caractère obligatoire, nécessaire et universel des valeurs
morales, étant donné qu'elles ont été
privées de leurs attraits et montrées sous leur vrai jour ?
Quelle serait donc maintenant l'attitude de Nietzsche par rapport aux
fondements qui prétendaient légitimer des valeurs qui se
révèlent fausses ?
CHAPITRE 2 : LES TYPES
MORAUX
Les types moraux sont des attitudes que l'on adopte en
matière de moralité. On peut également les qualifier de
type moral, la personnalité morale de base d'un individu ou d'un groupe.
Ainsi pour Nietzsche, le bon serait ce qui nous arrange particulièrement
et personnellement c'est-à-dire ce qui va dans le sens de nos
intérêts et de nos aspirations. Dans ce cas le mauvais c'est ce
qui va contre. Pour lui,
A l'origine décrètent-ils
[les psychologues Anglais parmi lesquels que Paul Ree], les actions
non égoïstes, ont été louées et
réputées bonnes, par ceux à qui elles s'adressaient,
à qui elles étaient utiles59(*).
Nietzsche a pressenti dans toutes les langues que les
appréciations morales étaient les reflets des puissances
sociales. C'est uniquement par le jeu de leurs fonctions sociales
différentes que le maître et l'esclave doivent autrement
définir leurs droits et formuler leurs jugements moraux. Autrement dit,
les valeurs, par leurs fondements et leurs rôles sont des
créations des individus de telle sorte que postuler la thèse des
valeurs existant en dehors de l'homme, des valeurs qui auraient un
caractère absolu et universel serait une vue de l'esprit.
Dans la Généalogie, selon Nietzsche,
la classification des types moraux correspond d'une part à une
description critique de la morale comme étant un ensemble de
comportements aberrants pour lui parce que dévaluatifs de la richesse
humaine. D'autre part, elle abouti à un déclassement de la
morale traditionnelle avec comme finalité la libération de
l'énergie contenue dans l'être de l'homme.
II.1. La morale des
maîtres
Pour Nietzsche, ceux que l'on appelle les maîtres ou
encore les « fauves blonds » sont ceux qui, dans une
société, apparaissent comme les pionniers ou les modèles,
ceux qui décident. Ils sont les premiers fondateurs de toute
société. Ce sont eux qui représentent le socle sur lequel
vont se fonder toute l'audace des races nobles, leur
légèreté entreprenante. C'est parce qu'ils sont les
pionniers que ces individus établissent les normes de la justice et les
règles morales. Ceci démontre qu'il n'y a pas de justice ni de
morale qui ne soit une création humaine. Toute morale sociale, toute
justice sociale s'impose aux individus de manière souveraine.
Les maîtres fixent les valeurs morales en fonction de
l'estime qu'ils accordent à leur propre valeur. Imbus de leur pouvoir,
ils décrètent leur manière d'être et d'agir comme
bonne puisqu'elle est souveraine. Parce qu'ils sont souverains, les
maîtres ne pensent pas (et c'est leur droit) à égaliser
leurs obligations, à déclarer leurs droits, ni même
à les ramener au même étiage que ceux des autres hommes
(les esclaves). C'est pourquoi Nietzsche soutient que « leurs devoirs
encore, ils les comptent au nombre de prérogatives dont ils n'admettent
pas le partage. »60(*).
C'est librement c'est-à-dire arbitrairement que les
maîtres se sont emparés de ce qui est en toute logique leur
dû. La subordination des autres apparaît ainsi à leurs yeux
comme une manière de reconnaître l'existence d'une justice
immanente, qui serait inscrite dans l'ordre des choses, semblable à une
mécanique céleste dont les aristocrates ont la foi infuse comme
les astres dans leur cours.
Au regard de ce précède, nous voyons que pour
notre auteur la morale des maîtres abouti à l'exercice d'une
domination de ceux-ci sur les inférieurs qui sans doute sont les
esclaves. Mais, qu'en est-il de la morale des esclaves ?
II.2. LA MORALE DES
ESCLAVES
Au-dessous des fauves blonds, se situent les esclaves, les
« esclaves noirs » caractérisés par la
vilénie et l'absence de loi. Mais, les esclaves qui sont les
serviteurs, jugent aussi et définissent le mal. Pour eux, est mal ce que
les vainqueurs appellent bien pour les opprimer.
La morale des esclaves est une morale passive
contrairement à la morale des maîtres qui est active. Cette morale
des faibles triomphe non pas grâce à ses actions nobles mais
plutôt parce qu'elle est une réaction contre celle des forts, des
maîtres. A cet effet, Nietzsche affirme :
Tandis que toute morale aristocratique naît
d'une triomphale affirmation d'elle-même, la morale des esclaves oppose
dès l'abord un non à ce qui ne fait pas partie
d'elle-même, à ce qui est son non-moi : et ce non est
son acte créateur61(*).
C'est de cette manière que Nietzsche explique le
développement de la morale des faibles c'est-à-dire les esclaves
à partir de l'esprit de vengeance qui anime et obsède
perpétuellement les peuples en général et le peuple juif
tout particulièrement. Ici, il s'agit de la morale du ressentiment qui
caractérise les forces réactives. C'est l'effet psychologique que
produit la substitution d'un sentiment, d'un affect à une vraie
réaction. Le ressentiment provient de la séparation d'une force
réelle et de son action réelle, d'une force qui ne peut plus agir
ou qui est incapable d'agir. Il est esprit de vengeance : c'est ce qui
caractérise les faibles, les malades, les esclaves qui, impuissants
c'est-à-dire incapables d'agir, développent une haine sans borne,
une haine viscérale.
Il résulte de ceci qu'un dénouement
tragique entre tous se prépare alors, la révolte de tous les
instincts serviles refoulés par les faibles. Le résultat ou
l'issue de cet affrontement c'est la victoire de la morale des faibles sur
celle des maîtres. Un tel dénouement trouve sa raison d'être
dans le fait que les maîtres n'accordant aucune considération
à leur contraire que sont les esclaves, développent une attitude
hautaine vis-à-vis de ceux-ci. Les aristocrates éprouvent du
mépris vis-à-vis des hommes ordinaires et évitent à
ce titre tout contact avec eux. Aussi, la réalité de l'esclave
leur échappe. Ils ignoraient que l'unique souci des esclaves
c'était de détruire de manière systématique les
maîtres.
Eu égard de ce qui précède, il
ressort que la morale des maîtres promeut la domination tandis que celles
des esclaves valorise la révolte par le biais du ressentiment.
Cependant, force est de constater que, pour notre auteur, tout comme il existe
un relativisme dans la conception de la morale selon que l'on se situe dans la
classe des meilleurs ou plutôt dans celle des médiocres, il est
aussi difficile d'assigner un contenu au concept de
« valeur » qui soit universellement partagé. Aussi,
l'auteur de Le voyageur et son ombre va postuler, contre la
thèse qui valorise l'idée de l'existence d'une morale
transcendante qui s'impose de manière absolue à l'individu, des
valeurs morales qui sont la création de l'individu.
CHAPITRE 3 : LES
VALEURS MORALES
La signification exacte du concept de valeur est difficile
à cerner de manière rigoureuse dans la mesure où celui-ci
représente à certains moments un concept mobile, à
d'autres un passage du fait au désiré.
Du point de vue d'André Lalande, au
sens subjectif « la valeur est le caractère des
choses consistant en ce qu'elles sont plus ou moins estimées ou
désirées par un sujet ou un groupe de
sujets. » Objectivement, « la valeur est le
caractère des choses consistant en ce qu'elles méritent plus ou
moins d'estime ». Il apparaît qu'on peut établir une
liaison entre la valeur et l'essence même de ce qui est valorisé.
Nous disons parfois d'une chose qu'elle a de la valeur et « la valeur
de quelque chose est la hiérarchie des forces qui s'expriment dans la
chose en tant que
phénomène complexe »62(*).
Au niveau de la morale, les valeurs morales apparaissent
comme des principes et des idées dans lesquels nous agissons. Les
valeurs morales sont des valeurs suprêmes à partir desquelles nous
nous référons pour poser un acte quelconque par exemple le bien
et le mal.
III.1. LE BIEN ET LE
MAL
Pour Nietzsche, c'est le sujet qui est la
source de la morale. Les évaluations morales telles que le bien et le
mal, le mauvais sont élaborées par le sujet. Pour André
Lalande, « le bien se dit de tout ce qui est objet de satisfaction ou
d'approbation dans n'importe quel ordre de finalité »63(*). Par contre, « le
mal se dit de tout ce qui est objet de désapprobation ou de blâme,
tout ce qui est tel que la volonté a le droit de s'y opposer
légitimement et de la modifier si possible »64(*).
Ce que l'on appelle bien, mal ou mauvais est
nécessairement fonction d'une tendance, d'un vouloir fondamental, celui
de l'humanité ou celui de la société prise dans sa
totalité, ou encore celui d'un groupe de sujets. Le bien est une valeur
et non un commandement, c'est ce dont nous avons besoin en tant qu'être
raisonnable.
Les valeurs sont produites par le sujet et de ce fait, elles
sont différentes autant que les sujets qui les produisent. Elles sont la
marque des velléités des sujets qui cherchent à
hypostasier leurs intentions propres. Dans ce sens que ce qui satisfait les uns
ne satisfait pas les autres. Le bon pour l'aristocrate ne coïncide pas
avec ce que l'esclave considère comme bon. En d'autres termes, le bien
n'aura pas la même connotation ou le même sens pour le sujet selon
que celui-ci se recrutera dans la classe des possédants ou au contraire
lorsqu'il se trouve parmi les prolétaires pour parler comme Karl Marx.
Solidaire de la pensée de celui-ci dans une certaine mesure, Nietzsche
montre qu'il n'y a pas de valeurs qui valent universellement. Au contraire, il
faut soupçonner à la base de chacune des évaluations
morales produites au cours de l'histoire, les intentions inavouées et
donc cachées de leurs producteurs. Les valeurs morales ne sont pas le
produit d'une conscience désintéressée. Elles
reflètent les modes de pensée et les aspirations des individus
qui les créées. Elles sont donc relatives car ordonnées
à des finalités diverses. Le bien pour le bourgeois n'aura pas le
même sens pour le pauvre ; tout comme le Chrétien et
l'Athée n'ont pas une conception identique du bien, du mal, du juste
etc.... Nietzsche soutient dans ce sens que
Le concept bon n'est pas unique ; pour s'en
convaincre qu'on se demande plutôt ce qu'est en réalité
``le méchant'' au sens de la morale du ressentiment. La réponse
rigoureusement exacte la voici : ce méchant est
précisément le ``bon'' de l'autre morale, c'est l'aristocrate, le
puissant, le dominateur, mais noirci, vu et pris à rebours par le regard
venimeux du ressentiment65(*).
Il apparaît ainsi que c'est par ce qui les satisfait,
ce qu'ils ont apprécié, en un mot c'est la poursuite des
intérêts égoïstes qui détermine les hommes
quels qu'ils soient à créer des valeurs et à vouloir les
imposer à tous. Au regard de ce qui précède, nous
constatons que pour l'auteur de Ainsi parlait Zarathoustra les valeurs
sont essentiellement choses d'esprit. Elles sont immanentes et
hiérarchisées.
III.2. LA HIERARCHISATION
DES VALEURS
Parce que les valeurs morales ne tombent pas toutes faites
du ciel, puisqu'elles sont produites par les sujets eux-mêmes, elles ne
sont pas identiquement valorisées. Dans toute organisation sociale, on
observe à côté de la classe dominante des classes
dominées et par ce fait, subordonnées et soumises à la
première. Ce sont les classes dominantes entendons par là les
riches, les nobles qui créé les valeurs et leur attribuent
autorité transcendante et absolue a priori. Bien plus, l'auteur de
Le cas Wagner estime que c'est en réaction contre ceci que les
couches défavorisées c'est-à-dire les pauvres, les faibles
ou les gens de peu d'esprit, ceux qui, incapables de créer inventent et
hiérarchisent des valeurs contraires dans le but de renverser les
maîtres et leurs valeurs. Nietzsche trouve dans ces deux
catégories opposées la « double origine du Bien et
du Mal »66(*)
c'est-à-dire que ceux-ci proviennent de la sphère des
maîtres ou des esclaves on a un type de morale précis et selon que
l'on considère les gens de basse condition l'on a un autre type de
morale d'où le rejet par notre auteur de l'idée de valeurs
absolues s'imposant au sujet et la valorisation du relativisme moral.
Nietzsche soutient également en plus de cette
valorisation du relativisme moral que la hiérarchie que l'on peut noter
aujourd'hui au sein des valeurs n'a d'origine ni naturelle, ni divine, encore
moins rationnelle. Il rappelle que toute l'histoire de la philosophie de Platon
aux Lumières est parsemée d'auteurs qui se sont limités
à ne penser que le côté nocif ou négatif des valeurs
par exemple les effets pervers de la pitié en oubliant que celle-ci
pouvait aussi être pensée dans le sens inverse. Bien plus, le
philosophe Allemand précise que c'est délibérément
et sans aucun examen critique que l'homme a procédé à une
hiérarchisation des jugements de valeur et qu'il a hissé le
« bon » au-dessus du
« méchant ». Cette hiérarchie introduite
entre les valeurs fait qu'il est communément admis que dans l'homme
« bon » on voit le signe de la distinction, du
progrès et que l'homme « méchant » soit la
marque de la dégringolade. Comment en est-on arrivé à
cela ? S'interroge notre auteur. Il répond à cette question
en s'appuyant sur nombre d'auteurs ayant abordé la question de l'origine
et l'opposition entre les jugements « Bon » et
« Méchant ». L'auteur de la
Généalogie de la morale nous apprend que des
« psychologues Anglais »67(*) qu'il ne nomme pas mais
parmi lesquels l'on reconnaît Paul Ree, ont montré ainsi que ce
sont ceux qui sont l'objet des gestes dits bons c'est-à-dire des gestes
à première vue désintéressés qui ont
créé le concept « bon » et lui ont
conféré son sens. C'est parce que certains individus
reçoivent des cadeaux, de l'aide, bref de l'attention des autres qu'ils
considèrent leurs donateurs comme des bons et assimilent tout ce qui
concourt à la promotion de leurs intérêts comme le signe de
la bonté. Nietzsche affirme à ce propos :
A l'origine, décrètent-ils [ces
psychologues anglais], les actions non égoïstes ont louées
été et réputées bonnes, par ceux à qui elles
s'adressaient, à qui elles étaient utiles ; plus tard on a
oublié l'origine de cette louange et l'on a simplement trouvé
bonnes les actions non égoïstes, parce que, par habitude, on les
avait toujours louées comme telles-comme si elles étaient bonnes
en soi68(*).
Voici donc d'après Nietzsche, l'origine que ces
philosophes ont reconnue aux valeurs. Pour eux, ce sont les personnes de peu
d'esprit, les faibles parmi lesquels il situe les prêtres qui sont, de
son point de vue des personnes rongées par le ressentiment et qui,
incapables de se projeter, d'innover en un mot de créer se sont
inventé les jugements moraux. Bien plus, à en croire notre
auteur, les hommes de peu de consistance n'ont pas seulement créé
et attribué son contenu au concept « bon » mais ils
l'ont opposé et érigé au-dessus de celui de
« méchant ». Cette hiérarchisation a eu pour
corollaire ceci que désormais il est communément admis que dans
« l'homme bon » on voit le signe du progrès, de la
distinction et que « l'homme méchant » soit la
marque désignant l'individu disgracieux, indélicat. L'auteur de
Ainsi parlait Zarathoustra remarque aussi que la hiérarchie
qu'on a instaurée entre les notions de « bien » et
« mal », « bon » et
« mauvais » tout comme « riche » et
« pauvre » tient aussi de ce que l'on a accompagné
chacun des éléments de ces trois couples par des qualitatifs de
deux sortes. Aussi, les premiers concepts de ces couples c'est-à-dire
« bien », « bon » et
« riche » étaient fondés sur le
critère psychologique de « pureté » tandis
que les seconds soient « mal »,
« mauvais » et « pauvre » se fondaient
sur « l'impureté ». Est donc bon ce qui est
« pur » entendons par là celui qui fait preuve
d'abstinence, de contenance, celui qui limite ses jouissances, qui ne vit pas
intensément. Toute chose qui fonde les valeurs du
judéo-christianisme et donc du monde occidental. Nietzsche s'insurge
contre cette tendance qui a induit l'homme à s'abaisser, à se
rabougrir en célébrant des valeurs qui ne facilitent pas
l'expression de sa vitalité. Contre les valeurs issues de la classe
sacerdotale (les prêtres, les pasteurs etc....) notre auteur valorise les
valeurs issues de l'aristocratie guerrière. C'est pourquoi il
affirme :
Les jugements de valeurs de l'aristocratie
guerrière sont fondées sur une puissante constitution corporelle,
une santé florissante, voire débordante, sans oublier ce qui est
nécessaire à l'entretien de cette vigueur éclatante :
la guerre, l'aventure, la chasse, la danse...tout ce qui implique une
activité robuste69(*).
Ce sont donc ces valeurs qu'il faut célébrer
car elles s'inscrivent dans la voie qui mène à l'avènement
du surhomme. Contrairement aux valeurs chrétiennes qui introduisent
l'homme dans la méchanceté. Aussi Nietzsche soutient :
Le mode d'évaluation de la haute classe
sacerdotale, ..., repose sur d'autres conditions premières : tant
pis pour elle quand il s'agit d'affronter la guerre. Les prêtres, le fait
est notoire sont les ennemis les plus méchants-Pourquoi donc ?
Parce qu'ils sont les plus impuissants. L'impuissance fait croître en eux
une haine monstrueuse, sinistre, des plus intellectuelles et des plus
venimeuses. Les plus haineux des vindicatifs, dans l'histoire universelle, ont
toujours été des prêtres, comme aussi les plus spirituels
des vindicatifs70(*).
Il est donc clair aux yeux de notre auteur que
c'est le ressentiment nourri par le sentiment d'impuissance qui
caractérise les prêtres et le clergé en
général. C'est parce que ceux-ci n'ont ni une santé
florissante, ni une bonne constitution physique encore moins ce qui est
nécessaire à l'entretient de cette vigueur c'est-à-dire la
guerre et la chasse entre autre, qu'ils sont intolérants,
colériques et nourrissent une haine viscérale contre tout ce qui
peut militer en faveur d'un renversement de situation. Les prêtres
apparaissent ainsi à Nietzsche comme des sortes
d'émasculés incapables de suivre ou de tracer des voies qui en
appellent à la vigueur, au développement de la vie.
CONCLUSION PARTIELLE
Tout au long de notre analyse du relativisme des valeurs, nous
avons constaté que les valeurs issues de la métaphysique
classique sont essentiellement nocives pour la vie, qu'elles sont des fausses
valeurs et que l'autorité dont elles se prévalaient
apparaît maintenant illusoire, dans la mesure où ce sur quoi
reposait leur légitimité relève du néant, du mythe
ou d'une pure invention « humaine trop humaine ». Qui plus
est, cette découverte susmentionnée a permis à Nietzsche
d'opérer comme un retour en arrière pour remettre au goût
du jour les valeurs des maîtres enracinées dans les
préférences individuelles et dominées par l'instinct de
vie. Mais la question qui demeure reste celle de savoir la pertinence
épistémologique de cette critique nietzschéenne de
l'absoluité des valeurs.
TROISIEME PARTIE :
EVALUATION DE LA CRITIQUE NIETZSCHEENNE DES VALEURS
INTRODUCTION PARTIELLE
La réfutation historique et le souci d'être au
service de la vérité ont permis à Nietzsche de mettre fin
aux illusions d'une morale qui se passait pour nécessaire et
universelle. En effet, nous avons noté au cours de la réflexion
précédente, qu'avec Nietzsche, il n'est pas juste, à
l'égard de la nature, d'imposer la même morale à tous, de
postuler des règles générales, d'impératifs
catégoriques identiques, car les actions ne peuvent être
semblables du fait de la spécificité des individus. La morale
issue de la métaphysique occidentale est apparue comme une morale contre
nature parce qu'elle « nous rend injustes à l'égard de
notre propre nature et de toute nature »71(*). Partant d'un tel
constat, l'auteur de Généalogie de la morale a
établi de nouvelles valeurs qui cadrent, à son avis, avec le sens
de la vie.
Toutefois, la question qui demeure reste celle de savoir si,
d'une part, la critique nietzschéenne du caractère absolu des
valeurs n'est pas entachée d'incohérences logiques et de
contradictions, et d'autre part, si elle ne débouche pas sur le
libertinage, la permissivité, le relativisme et l'anarchie. En fait, il
s'agira pour nous de mettre en lumière la portée de la
philosophie nietzschéenne, qui va de la récupération de
son oeuvre par le national socialisme, à la référence
à sa critique de la raison dans le cadre de la
« Théorie Critique » et de la post-modernité.
Nous montrerons par ailleurs que l'auteur de Le voyageur et son ombre,
a le mérite d'avoir fait preuve d'esprit critique, car il a
réfléchit « autrement qu'on ne l'attendait de lui
d'après son origine, ses relations, sa situation, son emploi et les
idées dominantes du moment »72(*)
CHAPITRE 1 : LA
NECESSITE D'UNE NORME TRANSCENDANTE
Du fait de la double difficulté que l'on peut
éprouver à démontrer objectivement l'existence d'une
transcendance comme lieu d'émergence des valeurs morales, à
mettre hors jeu le postulat nietzschéen des rapports de force et des
passions comme source de ces valeurs, la réfutation nietzschéenne
apparaît d'emblée pertinente. Or, une évaluation rigoureuse
de cette réfutation nous permet de mettre en relief les
préjugés et les contradictions qui se dissimulent dans la
pensée de Nietzsche.
I.1- NIETZSCHE ET SES PREJUGES
La philosophie de Nietzsche repose sur un triple
préjugé : ontologique, épistémologique et
anthropologique. Autrement dit, l'auteur de la Généalogie de
la morale s'est fait d'avance une opinion sur l'essence de l'être,
la question de la connaissance et la nature de l'homme.
Sur l'essence de l'être et la question de la
connaissance, Friedrich Nietzsche admet la réalité absolue du
devenir héraclitéen et l'éternel retour, niant par ce fait
même toute idée de permanence et toute possibilité de dire
l'être par le langage. En effet, le flux ininterrompu rend le langage et
la connaissance impossibles puisque le réel que nous voulons exprimer
change de manière perpétuelle. Ainsi, toute connaissance ne peut
être qu'une croyance, une perspective entendons par là une
manière parcellaire d'appréhender les choses que l'on voudrait
présenter. Bien plus, c'est parce que l'être est total, c'est
parce qu'il est tout et que le langage n'est qu'une de ses parties ou l'un de
ses aspects qu'il ne peut rendre compte de manière efficace de
l'être. C'est parce que l'être ne s'offre jamais dans sa
totalité, c'est parce qu'il ne nous donne à voir que certaines de
ses parties que nous ne pouvons le cerner dans sa globalité selon
Nietzsche. Or, nous pensons que cette théorie du devenir ne rend pas
elle aussi compte du réel dans sa totalité,
précisément parce qu'au-delà du changement, demeure une
certaine permanence qui permet d'unifier l'être et de le saisir dans sa
nature. Il est possible de dégager l'unité de l'être en
dépit de la multiplicité de ses aspects, car le mouvement
n'exclut pas nécessairement la permanence. Socrate, par illustration
demeure ce qu'il est, c'est-à-dire un homme, un « animal
raisonnable », malgré son passage de la jeunesse à la
vieillesse, de la niaiserie à la sagesse, de la beauté à
la laideur. L'être de Socrate peut être dit de manière
plurivoque, mais cela se fait toujours relativement à un terme
unique : l'essence. L'essence d'une chose, nous dit Aristote dans la
Métaphysique c'est ce qui fait que cette chose soit ce qu'elle
est malgré ses multiples changements. En d'autres termes, l'essence
d'une réalité renvoie à ce qui reste permanent dans cette
dernière et qui fait que, malgré ses diverses mutations nous la
reconnaissions. Aussi, à l'inverse du perspectivisme de Nietzsche qui
réduit la connaissance à la croyance, nous pensons que la science
est bel et bien possible, ceci du fait de l'unité de l'être qui
reste sauvegardée en dépit de la multiplicité de ses
aspects. Nous avons donc la nette impression que Nietzsche est tombé
dans l'idéologie, au sens marxien du terme, car il a occulté le
réel.
A côté de ses préjugés
ontologiques et épistémologiques, Nietzsche a fait sien un autre
préjugé, celui à l'égard de l'homme. Il pense que
« l'homme est corps et instincts »73(*), et non un être de
raison, ce qui revient à réduire ce dernier à sa dimension
animale. Cette réduction de l'homme à ce qu'il y a de plus
primitif en lui a comme conséquence sa déshumanisation. L'homme
nietzschéen évolue en marge de la culture, c'est-à-dire de
ce qui porte la marque de l'esprit ou de la raison. Il demeure à
l' « état de nature » et rebute l'humanisme de
la modernité.
Par ailleurs, force est de remarquer que la disqualification
de la raison par Nietzsche a un enjeu pratique. En effet, pour ce dernier,
l'homme moral est celui qui s'évertue à imposer, non plus la loi
de sa raison à ses passions, mais bien plus celle de ses instincts
à ses conduites. Aussi, à l'opposé de l'homme de la
philosophie classique défini comme âme, raison, esprit ou
conscience, l'homme nietzschéen est corps, et doit par conséquent
se laisser gouverner par le désir et l'intérêt du moment.
On comprend donc la nécessité pour Nietzsche de détruire
« à coup de marteau » « la morale du
troupeau », car elle entretient, selon lui, « le mythe
détestable d'une humanité de droit divin »74(*) où
coexistent des individus égaux.
Toutefois, nous pensons que cette réduction
nietzschéenne de l'homme à sa dimension animale n'est pas
pertinente parce que l'être humain n'est pas un animal comme les autres.
En effet, l'homme est à définir, certes, à partir de la
matière à laquelle il ne cesse de participer, par la
sensibilité, mais aussi à partir de son histoire et de sa culture
qui portent la marque ou l'empreinte de sa dimension rationnelle. A la
vérité, l'histoire et la culture constituent une expression de la
transcendance de l'homme, c'est-à-dire sa capacité à se
situer au-dessus de l'animalité, de la sensibilité ou de la
matière. La différence qu'il y a entre l'homme et les autres
êtres de la nature se situe dans la possibilité pour le premier
à se définir par la raison.
A l'analyse, nous constatons que la critique
nietzschéenne du caractère absolu des valeurs repose sur des
préjugés ontologiques, épistémologiques et
anthropologiques qui ne sont pas recevables sur le plan logique. A
côté de ces préjugés, la pensée de notre
auteur regorge de contradictions que nous nous efforcerons de déceler ou
de dévoiler.
I-2- NIETZSCHE ET SES
CONTRADICTIONS
Il y a chez Nietzsche une prolifération de
contradictions si « véhémente (s) qu'elle (s) semble
(nt) être beaucoup moins garantie (s) d'une fécondité
inépuisable qu'une menace pour la cohérence du discours
philosophique »75(*). En effet, Nietzsche semble ne pas respecter le
principe du mouvement qu'il a lui-même posé. Il nie, par ailleurs,
la foi en la transcendance, mais affirme subrepticement, c'est-à-dire
d'une manière dissimulée voire furtive, une autre forme de
transcendance.
Nietzsche tombe dans le piège de sa propre dialectique
puisqu'il considère ses assertions comme vraies, ceci en
désaccord complet avec le devenir héraclitéen qui rend
l'objectivité impossible. Si toute connaissance n'est qu'une
perspective, si par ailleurs « rien n'est vrai, tout est
permis », l'auteur du Gai savoir n'a pas le droit de
considérer ses thèses comme vraies, puisqu'elles ne sont
d'ailleurs qu'une simple croyance. Ainsi, en niant les autres
interprétations du monde et en posant son interprétation comme
l'interprétation, c'est-à-dire comme l'unique et la
véritable ontologie, Nietzsche retourne contre lui le fameux paradoxe
sus-cité, à savoir « rien n'est vrai, tout est
permis ». Par un tel paradoxe, l'auteur de Le cas Wagner
s'est posé
Délibérément en hors-la-loi de
la philosophie et qu'il ne saurait donc nous offrir le feu d'artifice d'une
négativité qui se consume elle-même jusqu'à
l'absurde ! Car c'est de deux choses l'une, [...] ou bien il
considère son assertion comme vraie, et alors il se contredit
lui-même, ou bien il la considère comme fausse, et il s'est
déjà ôté par-là tout moyen de nous
convaincre76(*).
Dans tous les cas, Nietzsche ne devrait pas rejeter les points
de vue des autres, ni poser les siens comme vrais, ceci parce qu'il souscrit au
fait que le réel ne se laisse épuiser par aucune
interprétation, et qu'il n'existe pas d'interprétation exacte,
car regarder à un point différent, le monde prend chaque fois un
visage nouveau.
Toutefois, l'on peut relever que Nietzsche assume ses
contradictions puisqu'il les reconnaît et les accepte comme faisant
partie intégrante de sa philosophie de la vie. La contradiction est pour
lui le moteur de la vie, et toute philosophie de la vie devrait s'y complaire.
Tentant de justifier les contradictions qui sont en oeuvre dans la
pensée de Nietzsche, Jean Granier affirme : « Toute
grande pensée vit des contradictions qu'elle surmonte- et plus encore,
peut-être, des contradictions qu'elle ne surmonte
pas »77(*).
Cette tentative d'explication ou de justification des
contradictions internes à la pensée de Nietzsche ne suffit pas
à nous convaincre sur le plan logique. En effet, le discours
philosophique doit être cohérent et rationnel, et non
truffé de contradictions indigestes. Le respect des principes de la
rationalité doit être une exigence sans laquelle la philosophie ne
pourrait pas se démarquer de l'intuition, de l'imagination ou de toutes
sortes de discours non conceptuels.
En plus du non respect de la logique du devenir, l'auteur de
Le voyageur et son ombre a élaboré ou produit les formes
de remplacement de la transcendance qu'il récusait auparavant. D'une
manière ou d'une autre, Nietzsche reste attaché à la
transcendance. Il reproche certes, aux tenants de l'idéal
ascétique, donc à Platon et à Kant, d'avoir
disqualifié le monde et l'homme au profit d'une transcendance, mais lui
aussi, lui surtout « crucifie l'homme, au nom d'un
hypothétique surhomme qui n'est peut-être que le fantasme
compensateur d'un pathétique amour
déçu »78(*). L'homme nietzschéen doit
réaliser l'absolu, c'est-à-dire parvenir sans Dieu à
l'élévation suprême, ce qui constitue un véritable
paradoxe puisqu'il s'agit dans ce cas de le replacer dans la transcendance
cette transcendance qui, autrefois, était réfutée. Le
surhomme apparaît ici comme une autre forme de transcendance,
au même titre que le Dieu judéo-chrétien ou
l'Idée platonicienne. Le surhomme, l'Idée et Dieu, sont
placés au-dessus de l'homme et se présentent comme un
idéal.
Néanmoins, on pourrait nous objecter qu'à
l'opposé de Dieu ou de l'Idée qui est une transcendance absolue,
le surhomme est cet infini que l'homme porte en lui comme une aspiration, une
volonté qui le pousse vers un mieux. En d'autres termes, le surhomme
serait une transcendance immanente, à l'inverse de Dieu ou de
l'Idée qui est une transcendance absolue.
Mais, nous pensons que ces utopies n'en demeurent pas moins
des transcendances. Nietzsche ne fait que replacer l'être qu'il refuse
sous l'aspect d'une transcendance absolue dans la réalité comme
une virtualité secrète que le progrès ou l'action va
déployer dans le temps ou dans l'histoire, et sur laquelle se fondent
à nouveau les valeurs.
L'auteur du Crépuscule des idoles,
déclasse l'autorité de Dieu et de la raison, nie l'idée du
progrès et rejette la « morale des esclaves » afin
de légitimer l'utopie du surhomme, la fatalité de l'instinct, le
mythe de l'éternel retour, et enfin la « morale des
maître » qui se situent par-delà les distinctions
habituelles entre le bien et le mal, le vrai et le faux.
A côté de ces préjugés et de ces
contradictions qui fragilisent la philosophie nietzschéenne, on peut
noter qu'elle aboutit à des dérapages ou à des
dérives pratiques et logiques.
CHAPITRE 2 : LES
DERIVES PRATIQUES ET LOGIQUES DE LA PENSEE DE NIETZSCHE
La déconstruction de la transcendance, de la raison et
de toute autorité qui garantit le caractère obligatoire des
valeurs morales génèrent le libertinage, la permissivité,
et conduit à l'anarchisme facteur du relativisme. En effet, la remise en
question de la loi morale conduit nécessairement à l'immoralisme,
et bien entendu, à l'introduction du chaos dans la
société. En plus de cette dérive immoraliste, la
philosophie de Nietzsche ouvre le chemin à l'émergence des
philosophies relativistes.
I-1- DE LA MORALE SANS OBLIGATION
NI SANCTION A L'IMMORALISME
Nietzsche n'a pas pour projet d'abolir la morale, mais bien
plutôt de faire une critique génético-historique des
valeurs morales en cours, ceci dans le but de revenir à la
« morale des maîtres » pour procéder à
son institution, car la « morale des esclaves » a perdu,
selon lui, sa nature, et qu'il s'agit dès lors de la faire revenir
à sa nature véritable, c'est-à-dire à son
immoralité naturelle. En fait, Nietzsche reconnait que le naturalisme
moral qu'il postule entre en contradiction de phase avec la morale classique
telle que pensée par Platon et Kant. C'est la raison pour laquelle, par
rapport à cette dernière, la « morale
par-delà bien et mal » apparaît comme immorale. De notre
point de vue, elle est véritablement immorale parce qu'elle ne tient pas
compte de l'humanité de l'homme.
A la vérité, si Nietzsche procède
à la négation de l'humain en l'homme, c'est dans le but de le
ramener au stade de l'animalité ou de l' « état de
nature », état où règne le principe de la
sélection naturelle basée sur la ruse, la force, la
capacité d'adaptation de chaque être de la nature. En effet,
à l' « état de nature », l'homme fort a
le droit, et même le devoir de vivre dans la pleine mesure de ses
passions et de donner libre cours à ses désirs. C'est ainsi que
« l'oiseau de proie » doit nécessairement se
comporter en prédateur, ceci sans aucun état d'âme. Mais la
question qui demeure reste celle de savoir le sort de la communauté
humaine dans un contexte où règne la loi de la jungle,
c'est-à-dire celle selon laquelle le droit à la vie est fonction
de la force ou de la ruse.
A notre avis Nietzsche est dans l'erreur lorsqu'il assimile la
société humaine à la société animale, car
les lois qui régissent ces deux sociétés sont radicalement
opposées, et il n'est pas question d'appliquer à
l' « état civil » une loi qui relève de
l' « état de nature ». La
généralisation de la loi du plus fort ou du plus rusé dans
la société entraîne l'éclatement de cette
dernière. Autrement dit, une communauté fondée sur une loi
de la jungle est vouée à l'autodestruction. Dès lors, la
survie de la cité des hommes dépend donc de sa capacité
à édicter et à respecter des normes qui garantissent les
droits fondamentaux de tous ses membres. Il s'agit entre autre du droit
à la vie, du droit à la sécurité, du droit à
la propriété privée.
De ce qui précède, il ressort que l'application
de la loi de la jungle dans la communauté humaine aboutit à la
régression de l'humain de l'état de culture où elle s'est
élevée progressivement et douloureusement à
l' « état de nature » où
« l'homme est un loup pour l'homme ». En effet, à
l' « état de nature », il n'y a pas de
société, car celle-ci commence avec la volonté de vivre
ensemble que manifestent des individus. Ce « vouloir - vivre -
ensemble » suppose l'élaboration d'un contrat qui
protège, non seulement les intérêts particuliers, mais
aussi l'intérêt général, tel que
sus-mentionné. Nous constatons donc le caractère inapplicable de
la morale qui veut dépasser le bien et le mal, précisément
parce qu'elle conduit l'humanité à sa
désagrégation, à sa néantisation. Le nihilisme de
Nietzsche a suscité au cours de l'histoire l'émergence des
périls, à l'instar des régimes nazis et fascistes, dont
l'humanité n'a pas pu s'accommoder.
Par ailleurs, on peut aussi constater que les prophètes
de ce nouveau désordre, à savoir les nihilistes et les
anarchistes, ont généralement une vie non conforme à leur
théorie, ce qui montre que leur vision du monde ne conduit finalement
à aucun résultat, et serait par le fait même
condamnée à la solitude et à l'abandon. Cette solitude qui
caractérise le nihilisme est consécutive au fait qu'il y a
quelque chose en l'homme qui lui proscrit
« catégoriquement de se livrer à n'importe
quelle expérimentation, à n'importe quelle manipulation sur sa
personne, et c'est son humanité même »79(*). C'est l'humain en
l'homme qui le pousse à sortir de son animalité, à se
forger une conscience, à se dépasser sans cesse, et ceci dans le
but de toujours reconnaître en l'autre un autre lui-même.
Nous comprenons que l'auteur de Le voyageur et son
ombre soit donc irrité contre l'humain qui constitue une limitation
de la volonté de puissance. En effet, Nietzsche a oeuvré pour que
l'aventure humaine soit relancée et que « quelques uns au
moins aient l'énergie de se remodeler, de se hausser au-dessus de leur
humanité comme leurs ancêtres s'étaient haussés
au-dessus de leur animalité »80(*). Mais, ce projet nietzschéen est voué
à l'échec parce que le dépassement de l'humain conduit,
non pas aux sommets convoités, mais bien plutôt vers des gouffres.
Or, l'humanité ne peut accepter de se laisser conduire pas à pas
inexorablement vers sa propre destruction.
Nous venons de mettre en lumière les dérives
pratiques de la pensée morale de Nietzsche. Toutefois, si nous
récusons l'idée d'un fondement supra-phénoménal des
valeurs, nous ne réfutons pas, comme le font les tenants du relativisme
moral, l'idée d'une position éthique rationnellement ou
universellement fondée. En effet, l'homme, dont le propre est
d'être un « animal raisonnable », a la
capacité de se donner des règles de conduite et de les respecter
de manière rigoureuse. Ainsi, une communauté d'êtres
humains peut, à travers la discussion, le débat et le consensus,
fonder des valeurs ultimes qui doivent régir leur évolution.
C'est justement dans cette optique que Jean-Pierre Changeux soutient :
L'idée sans nul doute dominante aujourd'hui
est que le consensus éthique, s'il est possible, résulte de
procédures réglées de confrontation des points de vues et
d'échange des arguments dont la théorie philosophique a
été produite sur le nom d'éthique de la
discussion81(*).
Cela revient à dire que nous ne pouvons
« confier à un arbitre unique - individu -
institution - système de pensée ...- le soin de
déterminer ce qui vaut de façon
universelle »82(*), précisément parce que
« toute pensée est marquée au plus intime par son
enracinement culturel particulier »83(*).
Il ressort de l'analyse que l'humanité ne peut
s'accommoder du naturalisme moral de Nietzsche parce qu'il est susceptible de
l'entraîner dans le chaos. Qui plus est, nous avons noté que la
vie en société nécessite l'établissement de normes
rationnelles, universelles et obligatoires qui soient le garant du
« vivre ensemble ». Toutefois, en plus du chaos
consécutif au naufrage des valeurs, la pensée de Nietzsche
débouche sur l'émergence des philosophies relativistes.
I.2- NIETZSCHE, PRECURSEUR
DES PHILOSOPHIES RELATIVISTES
La haine de la raison inaugurée par Nietzsche a
suscité ou déclenché l'incrédulité de
certains penseurs à l'égard des
« méta-récits de l'esprit, de la liberté et de
l'émancipation ». En effet, les partisans de la
« Théorie Critique » et de la post-modernité
se sont référés à la critique nietzschéenne
des autorités pour fonder leurs pensées. Il est donc question
pour nous de commenter et d'évaluer ces nouvelles théories qui se
caractérisent par la « misologie »,
c'est-à-dire la haine que la raison éprouve à
l'égard d'elle-même.
Le scepticisme des tenants de la
« Théorie critique» à l'égard de la
raison est consécutif à la défaite de cette
dernière. En effet, ils estiment que la raison, naguère
idolâtrée, s'est rendue suspecte de domination, de violence ou de
barbarie, car son efficacité théorique et pratique n'a pas
correspondu aux attentes de l'humanité. Ils espéraient de la
raison qu'elle libère l'humanité de l'obscurantisme entretenu par
les superstitions et les mythologies irrationalistes. Mais, cette attente a
été déçue dans la mesure où à la
mythologie et à la superstition que la raison devait combattre, elle a
plutôt substitué ses propres mythes. Ainsi, pour Max Horkheimer et
Théodor Adorno, la raison est susceptible de tyrannie, car à la
libération qu'elle devrait promouvoir, elle a plutôt
substitué une nouvelle forme de domination non moins barbare, avec les
produits de la techno-science.
Par ailleurs, Adorno estime que la raison est devenue vorace
et boulimique parce qu'elle dévore tout dans ses catégories
logiques insatiables, et ne restitue que ce qui résiste à sa
digestion. Ainsi, tout ce qui est réfractaire aux catégories de
la raison est classé immédiatement dans la catégorie de
l'irrationnel. Ce totalitarisme de la raison trouve une illustration dans la
philosophie hégélienne, car la raison qui y opère charrie
du cours de l'histoire tous les modes d'expressions historiques qui ne se
conforment pas à elle. Or, pour les chantres de la
« Théorie critique », chacun doit pouvoir
s'accommoder des différences culturelles de l'autre sans attendre
qu'elles se fondent sur un idéal de civilisation unique. Ce scepticisme
à l'égard de la raison et de toute autorité va se
cristalliser avec l'avènement de la post-modernité qui
prône un relativisme absolu.
La post-modernité radicalise la critique de Nietzsche,
de Max Horkheimer et de Théodor Adorno, à l'égard des
autorités. Elle est l'âge où le doute se fait envahissant,
elle est l'expression de la volonté d'ébranler les valeurs
établies, telles la supériorité de la culture occidentale,
les bienfaits de la croissance économique, l'adhésion
inconditionnelle à la raison et à la science ou à un
passé historique commun. Le discours post-moderne est un discours de
délégitimation des grands récits de notre époque,
notamment le grand récit de l'esprit, le grand récit de la
liberté et de l'émancipation.
Le « méta-récit de
l'esprit », pour utiliser un terme cher à Jean François
Lyotard, consiste en un projet moderne de totalisation du savoir grâce
à un principe unique d'explication (la raison) qui a la
prétention de rendre compte de l'intelligibilité du réel.
Or, le discours post-moderne réfute le principe d'une raison
trans-historique destinée à triompher de manière fatale
dans le monde. Il refuse le principe de l'inéluctabilité de la
rationalisation du monde en ses aspects économique, culturel et
politique, précisément parce que l'histoire du monde montre la
persistance des légitimités charismatiques, traditionnelles et
religieuses qui sont contraires au postulat rationnel. Ainsi, de l'avis des
post-modernes, le projet moderne de laïcisation de la
société et du désenchantement du monde a
échoué, d'où l'incrédulité à
l'égard des méta-récits, non seulement de l'esprit, mais
aussi de la liberté de l'émancipation.
La post-modernité rejette l'utopie humaniste qui se
donnait pour tâche l'instauration du règne de l'homme et la
réalisation de sa libération. En effet, selon Michel Foucault, la
prétention moderne d'instaurer le règne de l'homme est compromise
par la « finitude » et la « mort » de
ce dernier. L'auteur de Les mots et les choses conteste la
souveraineté du « Je pense »
précisément parce qu'il estime que ce que nous rencontrons chaque
fois que nous tentons de fonder une théorie de l'homme, ce n'est ni
l'être, ni l'essence de l'homme, mais bien plutôt
« l'impensé » et l'inconscient, c'est-à-dire
tout ce qu'il y a de plus contraire au cogito, à la conscience, à
la vérité. Ainsi, l'affirmation de la
« finitude » de l'homme et la mise en lumière d'un
« impensé » se logeant au coeur de la pensée
moderne ont suffit à légitimer le discrédit du
« méta-récit de la liberté de
l'émancipation ». A ce propos Michel Foucault
affirme :
A tous ceux qui veulent encore parler de
l'homme, de son règne ou de sa libération, à tous ceux qui
posent encore des questions sur ce qu'est l'homme en son essence, à tous
ceux qui veulent partir de lui pour avoir accès à la
vérité, à tous ceux qui en revanche reconduisent toute
connaissance aux vérités de l'homme lui-même, à tous
ceux qui ne veulent pas formaliser sans anthropologiser, qui ne veulent pas
mythologiser sans démystifier, qui ne veulent pas penser sans penser
aussitôt que c'est l'homme qui pense, à toutes ces formes de
réflexions gauches et gauchies, on ne peut qu'opposer un rire
philosophique84(*).
CONCLUSION PARTIELLE
De ce qui précède, les tenants de la
« Théorie critique » et de la post-modernité
se caractérisent par leur incrédulité à
l'égard des grandes utopies qui ont fait le monde. En effet, les utopies
du progrès, de l'humanisme, de la liberté, du bonheur et de la
rationalisation du monde, selon cette perspective, sont des mythes qui ne
valent pas mieux que ceux qui les ont précédés et qu'ils
tentent de remplacer. Radicalement, le scepticisme des partisans de la
« Théorie Critique », parmi lesquels Paul Karl
Feyerabend prône un relativisme absolu, un véritable anarchisme
épistémologique. Mais la question qui demeure reste celle de la
pertinence épistémologique, non seulement de la haine de la
raison et de la science, mais aussi de ce relativisme post-moderne.
Partant de l'examen de la thèse de la
« Théorie critique », nous pensons que l'idée
selon laquelle la raison et la science ont finalement
« instrumentalisé » l'homme n'est pas pertinente. Il
convient de remarquer, en effet, que l'instrumentalisation de l'homme ne
dépend pas directement de la raison ou de la science, mais bien
plutôt de ce que l'homme lui-même pourrait faire des
résultats des progrès scientifiques. Aussi, la raison et la
science ne se convertissent en obstacle à la libération et ne
prennent la forme de « l'instrumentalisation » de l'homme
que si elles ont été
« instrumentalisées » par l'homme lui-même. A
notre avis, la raison et la science sont fondamentalement libératrices.
Elles libèrent des préjugés, des mythes et des
superstitions qui maintiennent l'homme dans la
« Minorité »85(*). De ce fait, nous ne
comprenons pas comment la post-modernité a pu postuler la parité
entre toutes les formes de connaissances, toutes les théories, toutes
les méthodes, y compris les plus aberrantes et les plus absurdes.
Le relativisme moral et épistémologique auquel
conduit la pensée de Nietzsche est suspect, car il veut séduire
et entraîner l'humanité dans le contingent, l'instant, le
singulier, le précaire, et le relatif. En rejetant l'idée de loi
et de prévision historique, il apparaît comme une théorie
de la désorientation, de la démobilisation et de la diversion.
Ainsi, il n'est pas question pour nous d'accepter de retourner dans la caverne
du mythe platonicien du même nom, car la science et la raison sont la
vraie mesure de l'homme.
CONCLUSION GENERALE
Au terme de notre étude où il était
question des valeurs et du relativisme moral dans La
Généalogie de Friedrich Nietzsche, il ressort que la
philosophie nietzschéenne est une critique radicale des illusions des
valeurs traditionnelles qui se voulaient obligatoires, nécessaires et
universelles. Nietzsche a en effet souligné que la crise de
l'autorité des valeurs est, à la vérité, une crise
des fondements, car les fondements sur lesquels on avait fait reposer la force
obligatoire des valeurs se sont révélés fictifs. C'est
ainsi que l'invention d'une transcendance absolue, d'une raison
législatrice ou normative, l'absolutisation du sentiment et
précisément du sentiment de pitié par les hommes
pétris de ressentiment apparaît, non seulement comme une
volonté manifeste de niveler la société par le bas, mais
aussi comme la manifestation de l'incapacité des esclaves à vivre
seuls et sans appui. Pour Nietzsche, l'homme doit trouver un nouveau chemin
à l'écart de la morale nihiliste pour retrouver de nouvelles
valeurs positives et créatrices. D'où la postulation par notre
auteur de la transmutation des valeurs.
Il a ainsi été question, dans la seconde
partie de notre réflexion, de l'exposition de la théorie
nietzschéenne des valeurs. Ainsi, il nous est apparu que l'auteur de
Ainsi parlait Zarathoustra a posé comme absolue la thèse
d'un relativisme des valeurs en déconstruisant, pour les reconstruire
ensuite à sa manière, les origines et les valeurs autrefois
attribuées aux évaluations morales telles que le
« Bien », le « Mal », le
« Bon », le « Méchant » par les
généalogistes de la morale tels que Paul Ree, Schopenhauer
etc....Après avoir présenté ces dernières comme
faisant partie de la morale dite des esclaves, entendons par-là les
faibles, les individus incapables de créer, de faire éclore leur
géni, et qui s'inventent toutes sortes de
« sottises » telles que la pitié, la divinité
et l'esprit de vengeance pour masquer leur impuissance, Nietzsche valorise
contre ceux-ci la morale des maîtres ou des aristocrates
caractérisée par des valeurs telles que la guerre, la domination
du faible par le fort bref, le retour au respect du droit naturel qui pose
comme le dit Spinoza dans L'Ethique que les gros poissons mangent les
petits. Notre auteur n'a ainsi reconnu comme valeurs que celles qui concourent
à l'émergence d'un type d'homme créateur, innovateur de
valeurs car celles-ci sont perpétuellement appelées à
muter selon les aspirations du sujet. D'où il ressort qu'il y a une
ample valorisation de la thèse protagoricienne selon laquelle l'homme
serait la mesure de toutes choses.
Toutefois, l'évaluation conceptuelle de la critique
nietzschéenne du caractère absolu des valeurs morales nous a
permis de mettre en lumière des préjugés ontologique,
épistémologique et anthropologique qui compromettent la
pensée de l'auteur de La Généalogie de la morale.
Il nous est apparu, en plus de ces préjugés que la
réflexion de Nietzsche est émaillée de contradictions qui
menacent le discours philosophique. En effet, non seulement Nietzsche ne
respecte pas le principe héraclitéen du devenir qu'il a
lui-même postulé, mais retourne subrepticement aux formes de
remplacement de la transcendance qu'il a récusé.
Par ailleurs, nous avons aussi noté que la
pensée de Nietzsche aboutit à des dérives pratiques et
logiques, car, d'une part l'institution d'une morale sans obligation, ni
sanction ouvre nécessairement la voie à l'immoralisme, et que
d'autre part, la « misologie » engendre le relativisme
moral et même le relativisme épistémologique.
Néanmoins, malgré notre réticence à suivre
Nietzsche sur le sentier du relativisme moral et épistémologique,
nous lui savons gré d'avoir fait preuve d'un esprit critique, puisqu'il
s'est évertué à remonter à l'origine des choses
pour déterminer ce qui s'est réellement passé. Cette
remontée génético-historique qui récuse
« les arrières-mondes » a fortement influencé
l'existentialisme. Aussi, la portée philosophique nietzschéenne
jusqu' aujourd'hui n'est plus à démontrer. Nietzsche a
exercé une influence considérable sur l'esprit de son
époque.
BIBLIOGRAPHIE
I. OUVRAGES DE NIETZSCHE
- Le voyageur et son ombre (1880), traduction Henri
Albert, Paris, Mercure de France, 1919.
- Aurore (1880-1882), traduction Henri Albert, Paris,
Mercure de France, 1943.
- Humain trop humain (1878), Tommes 1 et 2,
(première partie), traduction A.M Desrousseau, Paris, Mercure de
France, 1943.
- La naissance de la tragédie (1871),
traduction Geneviève Bianquis, Paris, Gallimard, 1949.
- Le gai savoir (1881-1882), traduction Alexandre
Vialatte, Paris, Gallimard, 1950.
- Généalogie de la morale (1887),
Paris, Gallimard, 1971.
- Ainsi parlait Zarathoustra (1882-1885), traduction
de Maurice de Condillac, Paris, Gallimard, 1972.
- Le crépuscule des idoles (1888), Paris, G.F
-Flammarion, 1985.
- Ecce homo (posthume), Paris, Union
générale d'Editions, 1988.
- Par-delà bien et mal (1886), traduction et
présentation par Patrick Wotling, Paris, G.F- Flammarion, 2000.
II. OUVRAGES
GENERAUX
- Bernt-Winter, Harold, Nietzsche et le problème
des valeurs, Paris, Gallimard, 2000.
- Bréhier, Emile, Histoire de la philosophie,
Tome 2, Paris, Quadrige/ P.U.F, 1996.
- Canto-sperber, Monique (Dir), Dictionnaire
d'éthique et de philosophie morale, Paris, P.U.F, 1996.
- De Finance, Joseph, Ethique générale,
Roma, Editrice Pontificia Università gregoriana, 1988.
- Gratelouy, Léon-Louis, Les philosophies de Platon
à Sartre, Paris, Hachette, 1985.
- Huisman, Denis, Dictionnaire des philosophes (K-
Z), Paris, P.U.F, 1984.
- Jerphagnon, Lucien (Dir), Dictionnaire des grandes
philosophies, Paris, Editions Privat, 1989.
- Kant, Emmanuel, La philosophie de l'histoire, traduction de
Stéphane Piobetta, Paris, Editions Gonthier, 1947.
- Histoire universelle de la philosophie et des
philosophes, sous la direction de Jan Bor, Enit Petersma et Jelle King-ma,
Paris, Flammarion, 1997.
- Richard, Michel, La pensée contemporaine. Les
grands courants, Lyon, Chronique Sociale de France, 1990.
- Russ, Jacqueline, L'aventure de la pensée
européenne. Une histoire des idées occidentales, Paris,
Edition Armand Colind, 1995.
III. OUVRAGES ANNEXES
- Beaubatie, Yannick, Le nihilisme et la morale de
Nietzsche, Paris, Collection Jeunes talents, 1994.
- Challaye, Félicien, Nietzsche, Paris,
Editions Mellottée.
- Changeux, Jean-pierre, Une même éthique
pour tous ?, Paris, Editions Odile Jacob, 1997.
- Conche, Marcel, Le fondement de la morale, Paris,
P.U.F/ perspectives critiques, 1999.
- Delbos, Victor, La philosophie pratique de Kant,
Paris, P.U.F, 1969.
- Deleuze, Gilles, Nietzsche et la philosophie,
Paris, P.U.F, 1988.
- Eliade Mircea, Le mythe de l'éternel retour,
Archétypes et répétitions, Paris, Gallimard, 1949.
- Eugen Fink, La philosophie de Nietzsche, Traduction
Hans Hildenberg et alex Lindenberg, Paris, Editions de Minuit, 1965.
- Granier, Jean, Le problème de la
vérité dans la philosophie de Nietzsche, Paris,
Editions du seuil, 1966.
- Grégoire, François, Les grandes doctrines
morales, Paris, P.U.F, 1955.
- Grenier, Hubert, Les grandes doctrines morales,
Paris, P.U.F, Collection Que sais-je ?, 1989.
- Haar, Michel, Nietzsche et la métaphysique,
Paris, Gallimard, 1993.
- Horkheimer, Max et W Adorno, Théodor, La
dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1996.
- Jaspers, Karl, Nietzsche, introduction à sa
philosophie, Paris, Gallimard, 1950.
- Kremer-Marietti, Angèle, L'éthique,
Paris, P.U.F, 1987.
- Platon, La république, Paris, G.F-
Flammarion, 1966.
- Platon, Théétète -
Parménide, Traduction, notices et notes par Emile Chambry, Paris,
G.F- Flammarion, 1967.
- Reboul, Olivier, Nietzsche, critique de Kant,
Paris, P.U.F, 1974.
IV. USUELS
- Dictionnaire des philosophes, Paris, Albin Michel, 1998.
- Lalande, André, Vocabulaire technique et critique de
la philosophie, Paris, P.U.F, 1ere édition, 1926.
V. MEMOIRES SUR NIETZSCHE
- NNANA Christine, Critique des valeurs dans La
Généalogie de la morale de Friedrich Nietzsche (1887),
mémoire présenté en vue de l'obtention du diplôme de
Maîtrise, année académique 1989-1990 à la FALSH de
l'Université de Yaoundé 1, Sous la direction de Dr Antoine Manga
BIHINA.
- MBAMFON Gervais-Noel, La remise en question de
l'autorité des valeurs dans la Généalogie de la
morale (1887) de Friedrich Nietzsche, Mémoire
présenté en vue de l'obtention du diplôme de Maîtrise
en philosophie, année académique 2002-2003 à
l'Université de Yaoundé 1, Sous la direction de Dr Antoine Manga
BIHINA.
- ALIANA Serge Bernard E., Le défi nietzschéen
et la problématique postmoderniste, mémoire soutenu en vue de
l'obtention du Diplôme d'études approfondies en philosophie sous
la direction de M. NKOLO FOE, Maître de conférences, année
académique 2004-2005 à la FALSH de l'Université de
Yaoundé 1.
TABLE DES MATIERES
DEDICACE
ii
REMERCIEMENTS
ii
RESUME
1
ABSTRACT
2
INTRODUCTION
GENERALE
3
PREMIERE
PARTIE :
POSITION
DU PROBLEME : NIETZSCHE ET SES DEVANCIERS SUR LA QUESTION DES VALEURS
MORALES
8
INTRODUCTION PARTIELLE
9
Chapitre
1 : LA QUESTION DE L'ABSOLU
11
I.1. L'IDEE DE MORALE TRANSCENDANTE CHEZ
PLATON
12
I.2. L'IDEAL MORAL JUDEO-CHRETIEN
16
CHAPITRE
2 : LA MORALE RATIONNELLE KANTIENNE
19
II.1. LA BONNE VOLONTE
20
II.2. LE CARACTERE CATEGORIQUE DU DEVOIR
21
CHAPITRE
3 : LA MORALE DU SENTIMENT
23
III.1. EVALUATION DE LA RAISON COMME FONDEMENT DE
LA MORALE PAR SCHOPENHAUER .............................................
24
III.2. LE CARACTERE CATEGORIQUE DU DEVOIR
25
IV-1- LA DESTRUCTION DES VALEURS ET LA
RECONSTRUCTION
29
CHAPITRE
4:
LA
REVOLUTION
NIETZSCHEENNE :
LA TRANSVALUATION
29
IV.2. LE PROJET GENEALOGIQUE
30
IV-3- LA VOLONTE DE PUISSANCE
32
CONCLUSION PARTIELLE
34
DEUXIEME
PARTIE : LE RELATIVISME MORAL DANS LA GENEALOGIE
35
INTRODUCTION PARTIELLE
36
CHAPITRE 1:
LE NIHILISME
37
I.1. LE RENVERSEMENT DES VALEURS
38
I.2. L'ARASEMENT DE LA HIERARCHIE NATURELLE
42
I.3. LA DECONSTRUCTION
43
CHAPITRE
2 : LES TYPES MORAUX
44
II.1. La morale des maîtres
45
II.2. LA MORALE DES ESCLAVES
45
III.1. LE BIEN ET LE MAL
48
CHAPITRE
3 : LES VALEURS MORALES
48
III.2. LA HIERARCHISATION DES VALEURS
49
CONCLUSION PARTIELLE
53
TROISIEME
PARTIE : EVALUATION DE LA CRITIQUE NIETZSCHEENNE DES VALEURS
54
INTRODUCTION PARTIELLE
55
I.1- NIETZSCHE ET SES PREJUGES
56
CHAPITRE
1 : LA NECESSITE D'UNE NORME TRANSCENDANTE
56
I-2- NIETZSCHE ET SES CONTRADICTIONS
58
I-1- DE LA MORALE SANS OBLIGATION NI SANCTION A
L'IMMORALISME
61
CHAPITRE
2 : LES DERIVES PRATIQUES ET LOGIQUES DE LA PENSEE DE NIETZSCHE
61
I.2- NIETZSCHE, PRECURSEUR DES PHILOSOPHIES
RELATIVISTES
64
CONCLUSION PARTIELLE
66
CONCLUSION
GENERALE
67
BIBLIOGRAPHIE
70
I. OUVRAGES DE NIETZSCHE
71
II. OUVRAGES GENERAUX
71
III. OUVRAGES ANNEXES
72
IV. USUELS
74
V. MEMOIRES SUR NIETZSCHE
74
TABLE
DES MATIERES
75
* 1 Y. Beaubatie, Le
nihilisme et la morale de Nietzsche, Paris, collection jeunes talents,
1994, pp. 133- 134.
* 2 F. Nietzsche, Le
crépuscule des idoles, Paris, G.F-Flammarion, 1985, p.81.
* 3 Ibid.
* 4 Ibid., p.
82.
* 5 M. Haar, Nietzsche
et la métaphysique, Paris, Gallimard, 1923, p. 9.
* 6 F. Nietzsche,
Op.cit., p.58.
* 7 A. Lalande,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, T1, Paris,
Quadrige, /P.U.F, 1991, p. 655.
* 8 M. Conche, Le
Fondement de la morale, Paris, P.U.F /Perspectives critiques, 1999,
2e éd., p. 148.
* 9 G. François,
Les grandes philosophies morales, Paris, P.U.F, 1995, p.16.
* 10 Ibidem.
* 11 Ibid.,
p.17.
* 12 Platon, La
République, Op.Cit., p. 44.
* 13 Ibid.,
p. 362.
* 14 J. De Finance,
Ethique générale, Paris, Ed. pontifica Universitia
Gregoriana, 1988, p. 13.
* 15 L. Jerphagnon, (dir.),
Dictionnaire des grandes philosophies, Paris, Ed. Privat, 1989,
p.297.
* 16 G. François,
Les grandes philosophies morales, Paris, P.U.F, 1995, p.16.
* 17 Platon,
Théétète-Parménide, Traduction, notices et
notes par Emile Chambry, Paris, G.F-Flammarion, 1967, p.19.
* 18 M. Canto-Sperber,
(dir.), Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale, Paris,
P.U.F, 1996, p. 1053.
* 19 Platon, Op.Cit.,
p. 20.
* 20 M. Canto-Sperber,
(dir), op. Cit., p. 1148.
* 21 A. Kremer-marietti,
L'Ethique, Paris, P.U.F, 1987, p.86.
* 22 La sainte Bible,
Romains 12 : 1, traduction révisée de Louis Segond,
Genève, 1975, p. 1145.
* 23 Ronz, Artiste
musicien Camerounais, « Un seul et grand commandement » in
album intitulé« Stop », 2010.
* 24 Monique Canto-Sperber,
(dir), Op.Cit., p. 1094.
* 25 Ibid., p.
1104.
* 26 V. Delbos, La
Philosophie pratique de Kant, Paris, PUF, 1969, p.251.
* 27 Ibidem.
* 28 E. Bréhier,
Histoire de la philosophie, Paris, T2 Quadrige/PUF, 1996,
7e éd, p.484.
* 29 A. Kremer-Marietti,
L'Ethique, Paris, P.U.F, 1987, p.98.
* 30 V. Delbos, op.Cit., p.
251.
* 31 E. Bréhier,
Histoire de la philosophie, Paris, T2 Quadrige/PUF, 1996, 7e
éd, p.485.
* 32 Ibid.,
p.486.
* 33 A. Schopenhauer,
Sur le fondement moral, Paris, Le livre de poche, 1991, p. 13.
* 34 Ibid., p.
14.
* 35 Ibid., p.
11.
* 36 Ibid.,
P.38.
* 37 Ibid., p.51.
* 38 Ibid., p.60.
* 39 Ibid., p.
127.
* 40 M. Canto-Sperber,
(dir), op.Cit., p. 1361.
* 41 A. Schopenhauer,
Sur le fondement de la morale, Paris, P.U.F, 1997, p.20.
* 42 H. Bernt-Winter,
Nietzsche et le problème des valeurs, Paris, Gallimard, 2000,
p. 34.
* 43 Friedrich Nietzsche,
Par-delà bien et mal, traduction et présentation par
Patrick Wotling, Paris, G.F-Flammarion, 2000, §36.
* 44 Ibid., §
12.
* 45 Ibid.,
§13.
* 46 Ibid., §
259.
* 47 Ibid.
* 48 G. Deleuze,
Nietzsche et la philosophie, Paris, P.U.F, 1988, p. 170.
* 49 F. Nietzsche,
Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1971,
première dissertation, « Bien et Mal »,
« Bon et Mauvais », § 10, pp.49-50.
* 50 F. Nietzsche, Ecce
Homo : « comment on devient ce qu'on est »,
« Pourquoi je suis une fatalité », Paris,
Robert Laffont, 1993, § 8, pp. 166- 167.
* 51 F. Nietzsche,
L'Antéchrist suivi d'Ecce Homo, Paris, Robert Laffont, 1993,
§ 9, p. 20.
* 52 F. Nietzsche,
Généalogie de la morale, première
dissertation, Paris, Robert Laffont, 1993, §7,
p.40.
* 53 F. Nietzsche, Ecce
Homo : « comment on devient ce qu'on est »,
« Pourquoi je suis une fatalité », Paris, Union
générale des éditions, 1988, §5, p. 160.
* 54 Friedrich Nietzsche,
Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1971, p.
44.
* 55 Ibid.,
p.45.
* 56 Y. Beaubatie, Le
nihilisme et la morale de Nietzsche, Paris, Collection Jeunes talents,
1994, p. 165.
* 57 F. Nietzsche, Op.cit.,
p. 163.
* 58 Ibid.
* 59 Nietzsche,
Généalogie de la morale, Première dissertation,
« Bien et mal », « bon et
mauvais », § 1, Paris, Les Intégrales de Philo,
Nathan, 1981, p. 85.
* 60 F. Nietzsche,
Par-delà bien et mal, Paris, Aubier, 1963, T.
7, §272, p. 260.
* 61 F. Nietzsche,
Généalogie de la morale, Paris, Nathan, Les
Intégrales de philo, 1994, p. 95.
* 62 Gilles Deleuze,
Nietzsche et la philosophie, Paris, P.U.F, 1988, p.9.
* 63 A. Lalande,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, P.U.F,
1ere édition, 1926, p.112.
* 64 Ibid.,
p.590.
* 65 F. Nietzsche,
Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1971,
p.99.
* 66 Ibid., $45.
* 67 Ibid.,
Première dissertation, $. 1.
* 68 Ibid., $.2.
* 69 F. Nietzsche, op.cit.,
p. 84.
* 70 Idem.
* 71 F. Challaye,
Nietzsche, Paris, Editions Mellotté, 1991, p.117.
* 72 Ibid.
* 73 O. Reboul, Op.Cit., p.
50.
* 74 H. Grenier, Les
grandes doctrines morales, Paris, P.U.F, Collection Que sais-je ?,
1989, p. 99.
* 75 J. Granier, Le
problème de la vérité dans la philosophie de
Nietzsche, Paris, Edition du seuil, 1966, p. 11.
* 76 Ibid., pp.
12-13.
* 77 Ibid., p.
11.
* 78 O. Reboul, Op.Cit.,
p.169.
* 79 H. Grenier, Les
grandes doctrines morales, Paris, P.U.F, Collection Que sais-je ?,
1989, p. 100.
* 80 Ibid.
* 81 J. Changeux, Une
même éthique pour tous ?, Paris, Editions Odile Jacob,
1997, p. 202.
* 82 Ibid.
* 83 Ibid.
* 84 M. Foucault, Les
mots et les choses : une archéologie des sciences humaines,
Paris, NRF, Editions Gallimard, 1966, pp. 353-354.
* 85 E. Kant, La
philosophie de l'histoire, Traduction de Stéphane Piobetta, Paris,
Editions Gonthier, 1947, p. 45.
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