A- Visions du salaire
Le salaire est perçu de diverses manières.
1. Vision économique du salaire
Pour tout salarié rationnel, l'objectif après
les dépenses est l'épargne. Ce qui fait que le salaire est
sensé d'indexer les réalités économiques du
moment.
Sous l'angle économique, la rémunération
doit prendre en compte les éléments suivants :
- fidélisation des salariés occupant des postes
clés : suivi d'enquêtes de salaire pour s'assurer de
l'équité externe ;
- coût pour l'entreprise : pilotage et suivi de la masse
salariale.
5 Thomas d'Aquin, Somme théologique (1273), le
Cerf, 1986.
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2. Vision sociale du salaire
Sous l'angle social, la rémunération doit
prendre en compte les éléments suivants : - équité
interne : existence d'une classification et d'une échelle des salaires
;
- récompense de la performance, du mérite : mise
en oeuvre de l'individualisation des salaires ;
- partage des bénéfices de l'entreprise : existence
d'une formule de participation ;
- implication des hommes : existence de systèmes de
récompense de la performance d'équipe et de la performance
individuelle ;
- climat social : implication dans des négociations
annuelles ;
- gestion des carrières : mesure des capacités,
analyse des potentiels. B- Les théories autour de la
rémunération
Dans cette rubrique, il est question de passer en revue les
différentes conceptions théoriques de la
rémunération dans la littérature économique.
1. La théorie classique
Pour Adam SMITH6(1776), le salaire est le
résultat d'un rapport de force inégale entre l'ouvrier et le
propriétaire du capital dont il dépend pour lui verser son
salaire. Le niveau de salaire dépend du « fonds des salaires
», c'est-à-dire de capitaux dont dispose les employeurs pour payer
leurs salariés. Toute période de croissance est favorable aux
salaires. Le salaire du marché tend à se fixer autour de salaire
de subsistance, mais il se peut qu'à un moment donné le salaire
de marché augmente et s'écarte du salaire de subsistance. Ainsi,
lorsque la richesse du pays augmente, les profits augmentent, le fonds des
salaires augmentera permettant aux salaires d'augmenter et à l'emploi de
progresser.
David RICARDO reprend la notion du « salaire naturel
» d'Adam SMITH, il indique que le facteur travail a un prix naturel.
Cependant D. RICARDO introduit la notion du prix courant ou de prix du
marché. Ainsi, le salaire est déterminé par le jeu de
l'offre et de la demande et il varie entre le prix naturel et le prix courant
du marché.7
6 SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la
richesse des nations, 1776
7 Sandretto R., « Rémunération et
répartition des revenus ». Edition Armand Colin, Paris, 1993,
P85-86.
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Selon Léon WALRAS (1898)8, le salaire est la
rémunération du service rendu par les personnes. Quant à
JOHN STUART MILL (1848)9, le salaire est fonction du fonds de
salaire et du nombre de travailleurs (salaire moyen) et ne peut être
amélioré par l'action syndicale.
2. La théorie néo-classique
Pour les néo-classiques, le travail est une
marchandise comme une autre dont le prix se fixe par confrontation de l'offre
et de la demande sur un marché. Le travailleur doit arbitrer librement
entre travail et loisir. Un salaire qui augmente incite à offrir plus de
travail.
La flexibilité des salaires constitue un moyen de
lutter contre le chômage en favorisant l'ajustement sur le marché
du travail. Les néo-classiques affirment que, le marché de
travail possède des vertus d'autorégulation qui exécutent
toutes possibilités de chômage involontaire. La restitution de
l'équilibre qui conditionne la disparition du chômage involontaire
passe, pour les néoclassiques, par la restitution du marché du
travail concurrentiel et la « flexibilité » salariale.
3. La théorie keynésienne
Pour Keynes, le marché du travail des
néoclassiques est une pure fiction. Le choix entre travail et loisir est
purement théorique puisque le salarié est contraint de vendre sa
force de travail pour vivre et ce, quel que soit le niveau de salaire qui lui
est proposé. Le niveau de l'emploi ne dépend pas de la loi du
marché mais de la demande effective. Quand il y a une crise de
surproduction et chômage, baisser les salaires ne favorise pas l'embauche
et ne fait qu'aggraver la situation. Il faut au contraire relancer la demande
effective en créant du pouvoir d'achat. Le salaire n'est pas un prix
comme les autres. Il est fixé hors du marché par voie de
négociation, de convention collective, de réglementation.
Chez les néo-classiques, l'apparition du
déséquilibre entre l'offre et la demande de travail,
c'est-à-dire le chômage peut être résorbé par
l'ajustement à la baisse du taux de salaire réel
réputé flexible. Pour Keynes, ce raisonnement est erroné,
car les contrats de travail sont exprimés en salaire nominal et non en
salaire réel. Or, précise-t-il contrairement au salaire
réel, le salaire nominal présente une rigidité à la
baisse.
8 Léon WALRAS ; Elément
d'économie politique appliquée ; 1898.
9 STUART MILL ; Principes d'économie politique
; 1848
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4. La théorie marxiste
A l'instar de l'analyse classique, l'analyse marxiste
n'élabore pas une théorie à part du salaire. La question
de la formation des salaires est abordée dans le cadre de la
théorie de l'exploitation. Si, pour les classiques le salaire constitue
la contrepartie du travail, il constitue pour Karl MARX l'expression
monétaire de la valeur de la force du travail.10
Le salaire correspond à l'expression monétaire
de la force du travail, il constitue donc un prix. Le salaire fluctue à
l'instar des prix des autres marchandises autour de cette valeur selon le jeu
de l'offre et de la demande. L'explication fournie par Karl MARX sur la
formation du salaire joue un rôle important dans la théorie de
l'exploitation.
Cette théorie s'explique de la manière suivante
: lors de l'établissement d'un contrat de travail, le salarié met
à la disposition du capitaliste toute sa force de travail,
c'est-à-dire sa valeur d'usage. Il obtient en contrepartie la valeur
d'échange. Or, comme le précise K. MARX, la valeur d'usage
crée une valeur supérieure à la valeur d'échange,
ce qui explique l'apparition d'une plus-value qui revient au capitaliste. Pour
les différences des niveaux de salaires, Karl MARX explique cette
différenciation en opérant une distinction entre « travail
simple » et « travail complexe ».
Le premier se définit comme étant une
dépense du travail qualifié, qui correspond à un
coût supérieure de la force de travail. Pour les deux formes de
salaires, c'est-à-dire : le salaire au temps et le salaire aux
pièces, Karl MARX précise que la première forme ne permet
pas d'établir une relation étroite entre le niveau du salaire et
la dépense effective de la force de travail. Le deuxième
présente un avantage dans le sens où elle permet d'établir
une relation étroite entre le niveau du salaire et le niveau de la
production. Ainsi la qualité et l'intensité du travail sont
garanties par la forme même du salaire, c'est-à-dire le salaire
aux pièces.
5. Théorie des contrats implicites
Publiée par Costas Azariadis en 1975, la théorie
des contrats implicites appartient au courant de la Nouvelle économie
keynésienne et cherche à montrer les imperfections qui existent
sur le marché du travail, expliquant une rigidité des prix sur ce
marché.
Cette théorie part du constat que les fluctuations des
salaires sont beaucoup plus faibles que les variations de l'emploi et de la
production. L'explication tient au fait que les salariés ont
10 Reynaud B., Op.cit., P9.
Le PIB est une mesure des richesses créées dans
un pays donné et pour une année donnée.
Schématiquement, on le calcule en faisant la somme des valeurs
ajoutées dans le pays.
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une aversion pour le risque, ils craignent une baisse de leur
revenu (salaire). Dans le même temps, les entrepreneurs acceptent la
prise de risque, ils vont donc proposer aux salariés un contrat
d'assurance implicite en offrant un salaire peu lié aux fluctuations
conjoncturelles. En période de forte croissance, les salaires
n'augmentent pas ou pas assez. En période de récession, les
salaires ne baissent pas, comme si les entreprises payaient une
indemnité. Pour les entreprises, le coût est nul : le salaire est
le même. L'avantage pour le salarié est qu'il peut réguler
sa consommation, l'entreprise peut quant à elle fidéliser ses
salariés.
D'une façon plus concrète, les agents
économiques sont confrontés à une situation d'incertitude
devant l'activité économique et ses fluctuations, un contrat avec
un salaire fixe permet à un salarié de ne pas voir son salaire
ajusté selon l'activité économique: lors d'une
récession par exemple, le salaire d'un agent ne va pas diminuer en vertu
d'un contrat signé avec l'employeur, cela permet de garantir un revenu
fixe aux salariés.
Inversement, une période de forte croissance de
l'activité économique ne se traduira pas forcément par une
hausse des salaires, l'employeur gagnera donc une plus-value.
6. Théorie hédonique des
salaires
La théorie hédonique des salaires est un des
modèles développés en économie du travail pour
rendre compte des différences de salaire entre individus. Cette
théorie a pour objectif d'expliquer théoriquement les
différences de salaire entre individus reposant sur les
différences de pénibilité des tâches qu'ils
accomplissent au travail.
Le modèle simple établi par Rosen rend compte de
l'hétérogénéité des salaires entre individus
en tant que mécanisme de compensation de la différence de
pénibilité de chaque type de travail. La théorie de Rosen
montre qu'un marché concurrentiel aboutira à compenser les
travailleurs qui effectuent un travail plus pénible par un salaire plus
élevé. La théorie de Rosen montre également qu'un
marché de concurrence pure et parfaite permet à chaque individu
de choisir le niveau de pénibilité de son travail en fonction de
ses préférences.
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