Conclusion générale
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La complexité de la question des interventions
militaires en Afrique constitue une préoccupation majeure, qui
amène à s'interroger sur l'essence de ces interventions. Le
thème, l'intervention militaire française au Mali. Essai
d'analyse géopolitique, qui a fait l'objet de nos
réflexions, vient une fois de plus montrer la difficulté de
cerner les véritables facteurs qui engendrent le déploiement des
forces Occidentales à l'intérieur des Etats africains.
Le but de ce travail était de répondre à
une question préjudicielle : quels enjeux sous-tendent l'intervention
militaire française au Mali ?
Nos hypothèses étaient les suivantes :
La France recherche, à travers son
intervention militaire, de préserver ses intérêts
économiques, à maintenir le positionnement de son axe
stratégique dans les régions sahélo-saharienne et
ouest-africaine.
L'analyse qui a été menée tout au long de
ce travail démontre que les objectifs fondamentaux de cette intervention
se focalisaient sur la préservation des intérêts
français, qui étaient menacés par les actions des groupes
terroristes. Il a également été démontré que
l'intervention avait une préoccupation géostratégique du
fait des projections militaires et diplomatique qui ont accompagné cette
intervention militaire française au Mali et dans l'ensemble de la
région. Dès lors, l'intervention au Mali avait ainsi un double
objectif. Le premier visait la sécurisation et le renforcement des liens
économique et politique dans une région, qui est plus que par le
passé convoitée par une pluralité d'acteurs
internationaux. Le second était la construction et le renforcement des
réseaux de défense et de diplomatie de la France dans l'espace
sahélo-saharien.
S'agissant de la deuxième hypothèse qui posait
que l'intervention militaire française a visé à
créer une profondeur stratégique et à combattre le
terrorisme et les trafics mafieux sévissant particulièrement au
Mali et en général dans toute cette sous-région
sahélo-saharienne, nous avons démontré qu'à
travers cette opération militaire, la France objectivait sa propre
défense à l'extérieur de ses frontières, notamment
au Mali, et luttait contre le `'grand banditisme» qui sévit dans
l'ensemble de la région. Aussi, l'analyse faite dans ce travail situe
également cette intervention dans la problématique de
fragmentation des réseaux, qui forment le marché des produits
illicites de stupéfiants, de démilitarisation de l'espace malien
et sous régional, et de repoussement de la menace à un intervalle
conséquent tout en protégeant ses ressortissants de toute action
nuisible.
En résumé, le déploiement militaire de la
France au Mali ne se distingue nullement de ces précédentes
interventions en Afrique. La logique des interventions françaises en
Afrique ne varie pas en réalité: seule la défense des
intérêts économique, politique et sécuritaire,
justifie l'engagement militaire de la France dans les Etats du continent.
Dès lors, les discours
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de l'Hexagone sur l'obligation morale d'intervenir au Mali
afin de maintenir son intégrité territoriale sont à
relativiser. L'Etat malien qui était apriori sans enjeu, devient
stratégique pour la France et `'le temps de le dédaigner est
révolu», pour paraphraser S. Loungou204.
Au-delà du Mali et des intérêts sous
régionaux, les enjeux de cette intervention anticipaient aussi de la
lutte de leadership des Etats Occidentaux en Afrique. Ainsi, si la France
n'intervenait pas au Mali, elle aurait laissé la latitude à ses
concurrents directs dans la sous-région (Etats-Unis, pays
émergents) de s'y implanter.
Cet ensemble de facteurs permettent de répondre au
problème que posait ce travail et de comprendre le jeu de cette
intervention. Cette dernière confirme la pensée de P. Chaigneau
qui soutient que « la France, pays exigu en termes d'espace
géographique, placé à l'extrême Ouest de la masse
continentale, européenne, n'a d'autre choix dans la conception de ses
décideurs, pour maintenir son rôle de puissance mondiale, que de
solidifier ses positions dans le tiers monde. L'Afrique est le lieu
préférentiel de cette stratégie
»205.
Sur le terrain, l'armée française supplante les
armées régulières des Etats africains dont la mission
première est pourtant de garantir la sécurité de leur
territoire. En conséquence, les forces françaises s'arrogent la
responsabilité de la sécurisation des territoires des Etats
francophones d'Afrique ralliés.
Cependant, au regard de l'instabilité qui
prévaut dans la région sahélo-saharienne, il n'est pas
évident que cette région connaisse une stabilité totale et
que le Mali échappe à ces vagues de violence des groupes rebelles
et terroristes qui sévissent dans sa partie septentrionale.
L'apparition de ces nouvelles menaces en Afrique et d'autres
formes de conflictualité rend problématique la défense
assurée par la puissance extérieure hexagonale. Des pistes de
solutions existent:
? les Etats africains doivent se doter de véritables
instruments de politique de défense qui fixent des actions à
entreprendre en cas de menaces contre leur sécurité ;
? les Etats africains se doivent d'appliquer la logique de
« l'offensive-défense » élaborée par
l'américain Jervis dans le cadre de la sécurité. C'est une
logique de rééquilibrage des forces en fonction de l'adversaire,
ou de dissuasion par ses capacités militaires ;
? les instances inter-africaines (continentales ; sous
régionales ; et régionales), doivent anticiper les menaces
sécuritaires des Etats en procédant aux interventions rapides
et
204 S. Loungou, interview, op cit.
205 P. Chaigneau, op cit., p.49.
organisées sans attendre un soutien extérieur.
Pour cela, elles doivent s'empêcher d'être laxistes.
Sans cela, la France profitera toujours des conflits
armés africains pour mieux asseoir son étiquette de puissance
mondiale.
La réforme des systèmes de défenses
africaines, et le renforcement de la sécurité collective
continentale peuvent constituer des réponses à
l'instrumentalisation des faiblesses sécuritaires des Etats africains
par les grandes puissances. La prédiction de J-B.
Duroselle206 sur la mort des grandes puissances,
consécutivement à la diminution de leurs moyens, est trop
lointaine pour constituer une alternative à l'interventionnisme
militaire français en Afrique.
Dès lors, n'est-il pas temps pour les Etats africains
d'élaborer leurs propres systèmes de sécurité et de
défense, au lieu de se contenter d'un protectionnisme français
trompeur et qui peut s'avérer dangereux pour la sécurité
des Etats africains ?
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206 J-B. Duroselle, Théorie des relations
internationales, Tout empire périra, Paris, Armand colin, 1992.
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